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L'inhumation des cadavres à Nantes suite à l'épidémie de typhus

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Les fossoyeurs manquent. — Discours du substitut de l'agent, national sur la nécessité d'enterrer convenablement les corps morts. — Arrêté qui oblige tous les citoyens valides à coopérer à cette mesure. — Les chiens dévorent les nombreux cadavres qu'on n'a pas eu le temps d'ensevelir. — L'autorité fait fermer le cimetière du Grand-Brigantin. — Les enterre-morts tombent malades. — Le typhus fait de nombreuses victimes à l'Hôtel-Dieu et dans les infirmeries, — Dévouement des médecins. — Souvenirs de M. Hectot sur la maladie.

XXIV.

On venait de fusiller un grand nombre d'hommes, de femmes enceintes, de filles et d'enfants… Leurs cadavres, sont encore gisants çà et là dans la ville. Le nombre des morts laissés sans sépulture sur les lieux d'exécution est tel, que le 18 janvier 1794, sur un rapport fait au conseil, on arrête que tous les citoyens seront tenus de concourir à la continuation des travaux pour l'enterrement des cadavres.... Laissons, parler le substitut de l'agent national :

« Enfin les braves soldats de la République ont vaincu les hordes de brigands qui, depuis plus de dix mois, s'étaient épaissies pour envahir cette cité, et par la suite se rendre maîtres de tous les départements de la ci-devant Bretagne. Tous ces scélérats ont mordu la poussière, et ceux qui ont échappé au fer de nos soldats républicains ont été faits prisonniers dans nos murs, où ils reçoivent le châtiment dû à leurs forfaits. Le nombre de ces infâmes est malheureusement trop grand ; il est intéressant qu'ils soient enterrés avec la plus grande précaution, afin qu'après leur mort ils ne nous fassent pas plus de mal que pendant leur vie... Déjà, citoyens, vous avez pris cet objet en considération ; déjà on s'est occupé fructueusement à cet utile travail ; mais les bras qui y étaient employés nous sont enlevés ; le général Vimeux et le commandant temporaire de la place viennent de vous annoncer qu'ils étaient requis pour se rendre au champ d'honneur, et qu'il n'était pas en leur pouvoir de les faire remplacer. Dans cette circonstance où tous les moments sont précieux, je vous propose un moyen qui pourra répugner à certaine classe de la société, mais qui ne doit pas moins être pris en considération.... La salubrité de l'air intéresse tous les citoyens ; la conservation de leur vie et de leur santé y est attachée ; tous ont concouru aux travaux qui ont été faits pour les fortifications. Eh bien ! citoyens magistrats, il faut que tous concourent aux travaux qui doivent la garantir de l'horreur de la peste. Tout citoyen, valide ne peut s'y soustraire ; il ne serait pas juste que le républicain zélé et courageux, travaillât pour le salut général, pendant que l'indifférent et le muscadin se reposeraient et jouiraient des avantages des travaux auxquels ils n'auraient pas concouru. Il est bien urgent d'inviter tous les citoyens à travailler, à faire des fosses profondes et à combler celles qui ne le sont pas assez. Que ceux qui s'y refuseraient soient réputés suspects et traités comme tels ; car ils ne mériteraient aucuns égards.

J'aime à croire, citoyens, qu'à la voix de leurs magistrats, ils s'empresseront de remplir un devoir aussi sacré ».

Le conseil, après avoir entendu ce discours, considérant combien il était urgent de continuer les travaux commencés pour l'inhumation des cadavres et l'enfouissement des chevaux, afin de prévenir la peste, dernier fléau qu'entraîne la guerre civile ; considérant que le 34ème régiment, qui s'était porté à ces opérations avec un zèle digne des soldats de la République, était obligé de quitter Nantes, arrêta que « tous les citoyens validés de la cité auraient été invités par bataillon à continuer les travaux commencés, sous l'inspection des commissaires pris dans le sein de l'infatigable société Vincent-la-Montagne ».

Il était temps d'agir ; un spectacle horrible s'offrait de nouveau aux yeux de toute la population : les cadavres entassés dans les carrières de Gigant et à peine recouverts de terre étaient déchirés par des chiens réunis en bandes, qui répandaient l'effroi dans la ville et venaient ajouter une puissante cause d'insalubrité à toutes celles qui favorisaient le développement de l'épidémie... Ces paroles qu'un membre du conseil du département adressait à ses collègues révèlent, dans toute son horreur, l'effroyable situation de Nantes et du département : « Dans le nombre des mesures prises pour empêcher que les suites dangereuses de l'épidémie, qui fait des ravages dans le département de la Loire-Inférieure, ne désolent plus longtemps ce territoire, il en est une à laquelle ou n'a pas assez fait attention : il est connu qu'une quantité de chiens de toute espèce errent dans l'étendue des districts du ressort, se nourrissant de la chair de cadavres qui sont malheureusement épars çà et là ; l'expérience a convaincu presque tout le monde que cet animal, vorace de sa nature, déterre les corps morts pour les dévorer. Par les efforts qu'il fait pour parvenir à la possession de sa proie, il donne aux miasmes pestilentiels tous les moyens de se répandre dans l'air et de l'infecter. Il est à craindre que les chiens accoutumés à se nourrir ainsi se jettent sur les enfants, et même qu'ils ne deviennent hydrophobes, ce qui ajouterait fléau sur fléau. Leur multiplicité, leur voracité et l'habitude qu'ils ont de fouiller dans les ordures pour y chercher leur vie , peuvent occasionner les inconvénients les plus funestes ».

XXV.

Malgré les arrêtés de la municipalité, les mesures d'hygiène publique étaient loin d'être exécutées !....... Plusieurs cimetières sont remplis de cadavres au point d'infecter les passants et les voisins, et l'on continue encore à y enterrer ! Mais ce n'est point impunément que l'on viole les règles de la salubrité ; la plupart des ouvriers qui sont employés à l'inhumation des corps tombent malades et beaucoup succombent…… Les bras manquent ; et la putréfaction des cadavres, qui se trouvent entassés dans divers endroits, et particulièrement ceux que l'on a déposés dans le cimetière du Grand-Brigantin sans les enterrer, viennent s'ajouter aux causes de mort qui augmentent tous les jours.

Il existait cependant des conseils de salubrité pour appeler l'attention de l'administration municipale sur ces influences délétères... Oui ; mais celui qui était présidé par Darbefeuille, et dont la compétence pouvait offrir toute garantie, était entravé dans ses opérations par le comité révolutionnaire, qui avait formé aussi, dans le sein de la société Vincent-la-Montagne, une commission de surveillance pour tout ce qui tenait à la santé publique. Ils étaient rarement d'accord : de là, le manque d'union dans la décision des moyens ; de là, le retard dans l'exécution des mesures les plus urgentes, et, comme conséquences, un état de choses déplorable auquel on n'apportait aucun remède.

XXVI.

L'état des cimetières est signalé par les deux comités de salubrité. C'est alors que le conseil général de la commune, comprenant le danger de ces foyers d'infection , arrête, le 25 janvier, dans sa séance du soir :

« 1° que les membres du comité des travaux publics et les commissions de santé s'occuperont, sans délai, à chercher des locaux pour y établir des cimetières ;

2° Que celui dit Grand-Brigantin sera fermé de suite, avec défense d'y enterrer davantage jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné ;

3° Qu'il sera écrit sur le champ aux directeurs des hôpitaux pour les en prévenir, et que, dès demain, ils cessent de faire les inhumations audit cimetière ;

4° Que celui sur la route de Rennes, terrain du citoyen Jogues, leur sera indiqué pour y faire les inhumations dans les vingt-quatre heures du décès de chaque individu ;

5° Que le citoyen Bernard, sous-agent-voyer de la commune, sera autorisé à mettre en réquisition tous les maçons des ateliers et chantiers particuliers qu'il jugera nécessaires pour clore le nouveau cimetière ;

6° Qu'il sera écrit aux citoyens Lambert, Daubigny et Landais, commissaires nommés pour les inhumations des cadavres et des bestiaux, pour les inviter à faire porter des ouvriers pour ouvrir des fosses audit nouveau cimetière et y faire conduire de la chaux ; ils seront de même, invités à faire ouvrir des fosses dans le terrain dit de la Salle-Verte, et à y conduire pareillement de la chaux, le local étant jugé convenable pour y faire des enterrements, par sa grandeur et sa salubrité ».

Ainsi que ses ouvriers, Landais (jeune), qui avait été nommé commissaire pour l'inhumation des cadavres, comme nous venons de le voir, ne tarda point aussi à ressentir les effets de l'influence délétère à laquelle l'exposaient ses fonctions ; il s'alita, et invita la municipalité à le remplacer ... Landais ne voulut point toucher ses appointements, et pria la commune de distribuer l'argent qu'il avait gagné aux femmes et aux enfants des pères et maris ouvriers qui étaient tombés malades en travaillant à l'inhumation des corps.

Au milieu des atrocités qui ont été commises ou qu'on a laissé commettre dans ces tristes temps, on est heureux de pouvoir citer les hommes qui ont honoré leurs fonctions par de semblables actes !

XXVII.

Les prisons restent toujours pleines… Les hôpitaux aussi sont encombrés. Les plaies les plus simples y prennent un caractère gangréneux, et les femmes qui viennent de devenir mère succombent presque toutes à la fièvre puerpuérale. La ventilation ne se fait pas ou se fait mal dans les salles où il faudrait que l'air fût le plus pur possible. On semble craindre les fluxions de poitrine, et l'on ne redoute pas ces émanations putrides dont les effets délétères donnent la mort !...

Bientôt le typhus attaque les malades de l'Hôtel-Dieu, ceux qui sont dans les infirmeries ; et médecins, élèves, employés sont atteints…….. Blin, Laënnec, Darbefeuille, Bacqua et Deshays tombent malades. Delatouche, jeune médecin, qui avait voulu partager le poids du service de ses confrères, meurt : il s'est précipité de sa fenêtre au fort du délire…

Dans la ville et dans les hôpitaux temporaires, l'épidémie avait déjà moissonné cinq à six médecins... Larue était mort du typhus qu'il avait contracté aux Saintes-Claires … Comme au champ-d'honneur, d'autres ont pris la place de ceux qui avaient succombé. En vain l'effroi général les environne de toute part ; en vain l'expérience leur dit que le malade est un foyer d'infection, que son soufle est empoisonné ; en vain le typhus, rapide dans sa marche, a frappé des confrères généreux qui venaient lui arracher ses victimes ..... Une moralité sévère impose silence à l'instinct de conservation, qui leur crie de fuir. La contagion ! les médecins ne la craignaient pas ; ils ne l'ont jamais crainte ... Dans ces tristes temps où la peste, chaque année, exerçait ses ravages à Nantes, nous les avons vu se consacrer avec une abnégation et un zèle admirables à leur pénible et périlleux ministère ; nous les avons vu s'empresser autour des victimes abandonnées, devenues des objets d'horreur pour leurs semblables, et cruellement délaissées par les objets de leurs plus chères affections, consolant les malades, les arrachant à la mort du désespoir, multipliant les préservatifs, désinfectant les matières suspectes et isolant les victimes... En 1793, c'est encore avec le même zèle et le même dévouement qu'ils ont rempli leur pénible et périlleuse mission !

XXVIII.

On conçoit sans peine que l'Hôtel-Dieu a dû être décimé par l'épidémie, lorsque l'on songe que tout y manquait, pour ainsi dire : « Le pain, le vin, la viande, les légumes, les médicaments, le savon, l'huile, tous les objets enfin nécessaires à la vie, à la propreté, à la guérison des maladies ;

Lorsque l'on songe que, par ordre formel, les convalescents, réduits au quart de ration pour toute nourriture, traînant leur misérable existence à travers le tourment de la faim, la lassitude du mal être, le découragement du désespoir, demeuraient constamment susceptibles de contracter toutes les maladies » (LAENNEC) ;

Lorsque l'on songe enfin que les nombreux blessés, dont les plaies suppurantes remplissaient l'air d'émanations délétères, venaient encore s'ajouter, avec l'encombrement, à toutes les causes locales d'insalubrité qui y exerçaient, depuis longtemps, leur maligne influence ....

Et cependant, bien des améliorations hygiéniques avaient été apportées dans cet hôpital depuis 1791, alors qu'il n'était encore, comme nous l'a appris Laënnec, qu'une espèce de catacombe décorée du nom d'Hôtel-Dieu, contenant environ 150 à 160 lits de trois-pieds de largeur, et chargés chacun de deux malades ;

Alors que le quartier de la Magdeleine n'était qu'une sentine physique et morale, qui n'avait ni égouts, ni latrines, ni fosses de vidanges, où toute police dormait, d'où le vent de la prostitution apportait à l'hospice le souffle impur de la rue des Mânis, et les exhalaisons des amidoneries et des fumiers de la ville ;

Alors que deux cimetières, l'un dans la cour même, à l'entrée du pavillon de la chapelle, l'autre dans la prairie prolongeant la grosserie et la salle Saint-Charles, exhalaient tous deux leurs émanations cadavéreuses dans toutes les infirmeries, et qu'un ensevelissoir obscur ouvrait dans la salle Saint-René, sous l'œil et l'odorat des malades ;

Alors, enfin, que près de seize cents fiévreux périssaient en une seule année dans un hospice qui n'avait que cent soixante lits montés !...

De combien, le nombre des malades qui moururent du typhus de 1793 à l'Hôtel-Dieu, n'aurait-il point été augmenté, si cet hôpital eût toujours été placé dans ces conditions si défavorables d'insalubrité !

L'Hôtel-Dieu n'avait encore présenté, jusqu'au mois de décembre 1793, que des maladies ordinaires ; mais dès que la guerre civile, avec ses horreurs, vint absorber toutes les pensées, comprimer tous les cœurs, répandre la consternation et la douleur dans toutes les familles ; dès que la difficulté des subsistances vint menacer Nantes d'une famine prochaine, qu'une monnaie de papier ne pouvait guère empêcher ou prévenir ; dès que la ville eut dans ses murs une armée composée d'hommes inaguerris aux fatigues du service militaire ; dès que l'on en vint au point d'incarcérer arbitrairement des citoyens paisibles ou non, et d'en encombrer des maisons construites primitivement pour une meilleure fin ; dès que, surtout, de nombreux prisonniers malades, épuisés par les fatigues de la guerre, les privations de tout genre, la mauvaise nourriture, le chagrin, vinrent encombrer les salles de l'Hôpital, alors, nous apprend encore Laënnec, l'épidémie y fit aussi de grands ravages. Les soldats qui avaient résisté aux armes de la Vendée succombent dans cet asile destiné à les secourir : l'air altéré qu'ils y respirent est plus funeste pour eux que le fer des ennemis !

Voici, sur ce typhus de l'Hôtel-Dieu, un récit simple comme l'homme qui l'a écrit, Hectot, que Nantes a compté au nombre de ses botanistes les plus distingués, et à la mémoire, duquel mon confrère le docteur de Rostaing de Rivas vient de rendre un hommage bien mérité, dans une notice sur la vie et les travaux de ce savant horticulteur.

« A cette époque, dit Hectot dans une note qu'il a eu la bonté de me donner, les arrestations, les emprisonnements et plus encore les exécutions ont dû être en partie la cause première de l'invasion de la maladie ; car la crainte de la mort, que chacun avait sous les yeux, la grande mortalité qui avait lieu tant à la guillotine que par les privations de vivres, les noyades, les fusillades, les mauvais traitements, agissaient sur le moral des malades et des détenus ... Ce qui m'a prouvé plusieurs fois que ces motifs tourmentaient les malades, c'est que dans les accès de fièvre auxquels ils finissaient par être en proie, leur délire était la frayeur : ils voyaient la guillotine, on les noyait, on les fusillait.

Les hôpitaux militaires s'organisaient à Nantes ; il y en avait partout ; tout était plein. L’Hôtel-Dieu était rempli de malheureux blessés et de détenus. Ce sont surtout ces derniers qui ont fourni les observations que j'ai faites .... Nous étions tellement encombrés qu'on avait pris le parti de faire conduire toutes les femmes à Saint-Charles, de manière à y former un petit hospice civil, dont l'Hôtel-Dieu fournissait tout ce qui était nécessaire pour son entretien. On y portait vivres et médicaments. On en faisait autant aux Enfants-Trouvés, ainsi qu'au Sanitat ; en un mot, l'Hôtel-Dieu était central, et c'est sur ce point où tout était dirigé pour les trois autres ... On doit bien penser qu'il y avait beaucoup d'occupation ; les employés tombaient malades, les sœurs étaient arrêtées ; les infirmiers, les élèves, tous paraissaient frappés.

Il eu mourait tous les jours, et cependant, rien n'était négligé pour la propreté et la salubrité de l'hospice ... Il est bien vrai qu'on avait peu de vivres et qu'ils n'étaient pas toujours choisis ; mais on se contentait de ce qu'on avait.

Malgré la grande occupation que nous avions à la pharmacie de l'Hôtel-Dieu, il me vint un ordre pour aller faire des fumigations guylouniennes dans diverses maisons qui avaient reçu des détenus. Je ne citerai seulement que l'Entrepôt. Ce local était très vaste. Je ne doute pas qu'il n'y avait contenu plusieurs centaines de prisonniers. Je le trouvai dans un tel état d'infection et de désordre qu'il est difficile de le peindre.

Il y avait delà paille en quantité assez minime et coupée menue. C'était pourtant sur cette paille qu'étaient couchés les détenus... Les portes et les fenêtres étaient fermées ; des baquets en bois étaient placés çà et là et contenaient de l'urine et des matières fécales ; d'autres étaient au quart ou à moitié pleins d'eau, c'était celle que ces détenus buvaient ; quelques morts, placés de distance en distance, une femme entr'autres était accouchée sans être délivrée, puisque son enfant y était encore adhérent... L'enfant et la mère étaient d'une couleur violet-noirâtre. Les autres morts étaient déjà en putréfaction. L'odeur qui s'exhalait en général était de matière fécale et de putréfaction.

Je plaçai mes fournaux allumés avec du charbon sur lequel je mis des terrassons contenant du muriate de soude et de l'oxide de manganèse, dans lesquels je versai, en m'éloignant, de l'acide sulfurique.

Je m'en retournai à l'Hôtel-Dieu ; mais dès ce soir plusieurs infirmiers que j'avais amené avec moi tombèrent malades, et plus tard deux en moururent ... Jusques là, tout allait comme à l'ordinaire. Mes aides en pharmacie furent malades ; les docteurs Blin et Laënnec le furent aussi. Bacqua eût la maladie et s'en guérit, ainsi que M. Deshays, attaché à la chirurgie.

Mon travail augmentait journellement et la maladie prenait de plus en plus de malignité. Beaucoup d'habitants des environs arrivaient à l'Hôtel-Dieu et succombaient.

Enfin, je fus pris à mon tour. Un mal de tète me tracassa d'abord. Je pensai que le sang en était la cause ; je fus saigné, il ne diminua pas. La saignée fut faite à midi et répétée le soir : le mal de tête continua toute la nuit, je ne dormis pas ... Messieurs les médecins arrivèrent le matin pour leur visite. Je fis des efforts pour assister à celle que j'avais l'habitude de suivre ; mais à peine fut elle finie que je ne pus rester debout, il fallut me retirer dans ma chambre. Je refusai une troisième saignée qu'on voulait me faire et un vésicatoire qu'on proposait de me poser. Je n'avais pas encore perdu ma présence d'esprit, puisque je dictais de mon lit la manière de preparer plusieurs potions et médecines qu'on avait ordonnées aux malades le matin.

Mon mal de tête était insupportable. Je préparai tout ce que je croyais avoir besoin pour passer la nuit, pensant qu'en raison du repos que je croyais prendre, j'aurais été mieux le lendemain, d'autant que je n'avais rien mangé depuis deux jours ... Je n'avais donc rien autre chose que mon indigne mal de tête, dont je croyais être débarrassé dans la nuit. Mais point du tout ! Je me suis réveillé 22 jours après ! Il me semblait que c'était la veille que je m'étais endormi. Je me rappelais tout ce que j'avais fait jusqu'au moment de me coucher. J'ouvris les yeux, j'appelai André, mon garçon de pharmacie. Il ne vint point, c'était une femme qui se présenta et qui me dit : Monsieur, André va venir ; je suis là pour vous garder ; vous avez été bien malade ; il paraît que vous êtes mieux... Voulez-vous avoir quelque chose ?... Je lui répondis que non, et je la priai d'aller chercher André ...

Je voulus me lever ; mais je tombai par terre. Aussitôt il arriva du monde pour me remettre au lit... Ma peau était devenue sèche et jaune ; j'avais la vue affaiblie ; j'étais devenu sourd ; tout mon corps était épilé, l'intérieur de ma bouche était devenu noir-brun et se dépouillait par lambeaux.

Les réflexions se présentèrent à mon esprit. Je ne concevais rien à tout ce qui s'était passé ; c'est alors que je fis questions sur questions. Je trouvais très-extraordinaire tout ce que l'on me rapportait. Les jours qui suivirent furent plus tristes pour moi, je demandai une infinité d'individus les uns après les autres, et on ne me satisfaisait pas, de crainte de me faire de la peine…… Ils étaient morts pour la plupart, ou dans un état de maladie qui ne valait pas mieux ! ».

(Gabriel Le Borgne).

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