Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

L'épidémie exerce ses derniers ravages à l'Eperonnière et à la Marrière

  Retour page d'accueil      Retour "Epidémie de typhus à Nantes"  

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Les détenus dans la maison du Bon-Pasteur. — Lettres du représentant Bo sur l'état des prisons. — L'épidémie exerce ses derniers ravages à l'Eperonnière et à la Marrière. — Influence de l'encombrement sur le développement du typhus. — Partout, comme à Nantes, cette cause produit les mêmes effets. — Conclusion.

XXIX.

Carrier n'était plus à Nantes. Il avait été remplacé par les représentants Bo et Bourbotte. Sur leurs ordres, les prisons sont assainies, et les malheureux qui les encombrent sont en grande partie élargis ; sur leurs ordres, de pauvres enfants de la Vendée, ces êtres innocents que Carrier regardait comme des louveteaux qu'il fallait étouffer, et qui étaient détenus dans les cachots de la République, en sortent pour être confiés aux familles patriotes qui veulent bien s'en charger.

La sollicitude de ces représentants est grande pour tout ce qui concerne la salubrité, et le 11 juin 1794, ils écrivaient la lettre suivante à l'agent national du district :

« On rapporte de toutes parts aux représentants du peuple que la maison du Bon-Pasteur contient un si grand nombre de détenus, que l'encombrement corrompt l'air et donne lieu à des maladies graves, qui doivent fixer l'attention des amis de l'humanité. Nous t'invitons, citoyen, à prendre les moyens les plus sages et les plus prompts pour prévenir le développement d'une épidémie qui pourrait avoir les suites les plus dangereuses ; tu nous instruiras des mesures que tu prendras, et nous te seconderons dans tout ce qui peut assurer et la tranquillité publique et la salubrité des maisons de correction ». BO, BOURBOTTE.

Ils avaient raison d'appeler l'attention de l'autorité sur cette maison du Bon-Pasteur, qui contenait des femmes enceintes, des nourrices, des mères de famille restées dans l'abandon. Ces pauvres et malheureuses détenues étaient au nombre de 800 dans une maison qui pouvait à peine contenir 200 personnes !

Entassées les unes sur les autres, et dans le plus grand dénûment, elles périssaient faute d'air et de soins.... Tel était l'encombrement de ces infortunées, que « les malades avaient plutôt l'air d'être suffoquées que de mourir des suites d'une maladie » (Rapport des commissaires).

Là aussi, dans l'état de disette où se trouvait Nantes, chaque détenue n'avait qu'une demi-livre de pain... Comment une mère, avec une si petite quantité d'aliment, aurait-elle pu donner une nourriture suffisante à l'enfant qu'elle allaitait ?

Le 22 juin 1794, Bo adressait, au commandant temporaire de la place, les mêmes ordres relativement à l'hygiène publique.

Il lui disait :

« Il importe, citoyen, au salut des habitants de la commune, et à la conservation des détenus dans les diverses maisons d'arrêt, que l'air soit conservé dans toute sa pureté. Je suis informé que la contagion existe dans plusieurs prisons, et qu'elle enlève chaque jour un nombre plus ou moins considérable d'individus.

L'humanité, la justice, exigent qu'il soit pris de promptes mesures pour renouveler l'air infecté et détruire les causes qui produisent la contagion. Tu voudras bien, en conséquence, te rendre près de moi demain à cinq heures du soir, pour concerter les moyens utiles pour rendre à l'air toute la salubrité nécessaire » Signé : Bo.

Pareilles lettres furent envoyées au médecin et au chirurgien en chef de l'armée, au conseil général de la commune, aux administrateurs du département et au district.

XXX.

Les maisons de l'Eperonnière et de la Marrière étaient devenues des prisons. Les influences d'encombrement, d'alimentation insuffisante et de malpropreté, qui avaient existé dans tous les lieux où l'on avait entassé des détenus ou des malades, s'étaient aussi fait sentir dans ces maisons. Le typhus y exerçait ses ravages.... Darbefeuille, au nom du comité de salubrité, est chargé de l'apprendre à l'autorité municipale. A la séance du conseil de la commune, il fait connaître « qu'il a trouvé une cinquantaine de femmes gravement atteintes, et demande qu'elles soient transférées dans la maison de Saint-Charles. Il représente qu'il est dangereux de les conduire à l'hospice de l’Humanité (Hôtel-Dieu), refuge des indigents de la cité de Nantes, parce que le caractère contagieux de la maladie occasionnerait de grands maux ».

La translation n'a point lieu, et quelques jours après, le 10 juillet, l'Eperonnière recevait encore des réfugiés malades et infirmes, des femmes enceintes ... Ils entrèrent dans cette maison au nombre de 200, manquant de tout, plongés enfin dans le plus grand dénûment.

Ce surcroît de population, dans une maison qui contenait déjà trop de prisonniers, y augmenta l'intensité de l'épidémie.... Vingt femmes bien portantes furent désignées pour avoir soin des malades, et la municipalité nomma pour les visiter le citoyen Baudin, chirurgien de Vallet, réfugié à Nantes depuis un an. Darbefeuille l'avait présenté au conseil de la commune comme « un père de six enfants et patriote prononcé de 1789, ruiné par les brigands ».

A l'Eperonnière, il succomba aussi beaucoup de monde. Ce fut là que le typhus exerça ses derniers ravages.

On a évalué à 10,000 le nombre de ceux qui moururent dans les prisons, dans les hôpitaux et dans la ville !

Un mot sur la contagion.

La maladie ne fut pas contagieuse en ce sens qu'elle aurait eu pour cause un virus spécifique susceptible d'être transmis à des individus par le contact des malades ou des objets contaminés ; mais elle se propagea par infection, c'est-à-dire par l'action des miasmes qui se dégageaient des malades, là surtout où se trouvaient un grand nombre de personnes atteintes du typhus, dans un espace circonscrit et peu aéré.

Cette distinction est importante ; car détruire les foyers d'infection en faisant cesser l'agglomération des malades, en les disséminant dans des lieux bien aérés est, dans le typhus, comme dans les autres épidémies infectieuses, l'indication hygiénique à remplir, pour arrêter la maladie…. C'est pour le typhus surtout que les cordons sanitaires, qui ont été mis si souvent en usage pour circonscrire le mal dans une ville, ont une désastreuse influence sur la propagation et l'intensité de l'épidémie, en entassant, sur un seul point, des individus qui devraient être placés dans des conditions entièrement opposées. De l'air et de l'espace, voilà ce qu'il faut à ceux qui sont atteints du typhus, afin qu'ils ne deviennent point des foyers d'infection pour tous les autres malades placés dans la même salle, comme pour les personnes qui sont appelées à les soigner...

Nos réflexions sont bien affirmatives ; et cependant un certain nombre de médecins, depuis quelques années, semblent revenir aux idées de contagion pour le typhus et même pour le choléra, .... Mais, pour la majeure partie de mes confrères, je dois le dire, le choléra n'est point contagieux. C'est un mal qui voyage, mais qui ne se transmet point par le contact... On ne songe heureusement plus à lui opposer ni cordons sanitaires, ni lazarets, ni quarantaines .... Allez donc opposer des barrières à une maladie qui fait parfois cent lieues dans un jour !

Si le choléra eût été contagieux en 1832, pense-t-on qu'il fût arrivé en droite ligne, subitement et sans intermédiaire, soit de Hambourg à Londres, soit de Londres à Paris ?...... S'il passe ainsi brusquement d'une capitale à l'autre, c'est que dans les grandes cités se trouvent agglomérées les circonstances propices aux épidémies : je veux dire la misère, indigence souvent accrue par les vices. C'est là, dans les grandes villes, qu'on voit l'imprévoyance punie par d'extrêmes privations, et la prodigalité de toutes choses, même de la vie, même de l'intelligence ; c'est là qu'on voit l'intempérance d'un jour, pour un seul, s'expier par une semaine de jeûnes et d'entier dénûment dans toute une maison.

On les a vus, en 1832, — ces rues étroites, obscures, mal aérées et populeuses, — ces quartiers habités par les pauvres, — ces allées humides et sombres, cloaques ouverts dans les faubourgs, où les malheureux qui s'y logent respirent à chaque minute un poison lent, comme les animaux qu'on plonge, dans certaines expériences, au milieu d'un gaz délétère, afin de voir combien de temps ils y conserveront la vie ;

On les a vues, — ces cours sales et malsaines, — ces chambres où la détresse a engendré le vice et la dégradation, où des femmes, des enfants couverts de haillons offrent le spectacle du plus affreux dénûment ; là se fixait le choléra ... On le voyait au rez-de-chaussée, on le voyait sous les combles : il passait de l'un à l'autre lieu, souvent sans intermédiaire, absolument comme il était venu de Londres à Paris .... Frappe-t-il les autres villes, c'est aussi dans ces constructions resserrées du moyen-âge qu'il sévit avec le plus d'intensité ; c'est dans ces maisons habitées par les ouvriers, où le père, la mère, les enfants, grands et petits, sont entassés dans une seule pièce, qui sert en même temps d'atelier, de cuisine et de chambre à coucher ; c'est dans ces quartiers remplis de ces hôtels garnis où on loge à la nuit, réceptacles impurs des vices et de la misère …… Et si le choléra se montre dans les quartiers mieux bâtis, alors il semble y attaquer de préférence le concierge dans sa loge étroite, et le valet sous sa toiture abaissée ...

Par prédilection, il attaquait les vieillards, les valétudinaires, ceux qui avaient rêvé et déjà mérité l'hôpital sans avoir eu le loisir ou la hardiesse de s'y rendre. Il choisissait avant tout les personnes faibles et timorées, celles à qui l'âge, à qui la crainte, des maux physiques ou la pénurie, ôtaient l'usage des bons aliments et de ces choses fortifiantes qui font taire l'appréhension du mal et préservent de ses atteintes …… Mais revenons au typhus de 1793.

XXXI.

Nous avons vu Nantes, en proie à tous les fléaux, lutter, et contre l'ennemi qui combattait à ses portes, et contre l'épidémie qui se déclara sous l'influence des tristes conditions dans lesquelles elle était alors placée ...

Que l'on se représente l'état des prisons, recevant chaque jour des familles en fuite, on des paysans désarmés qui n'avaient pu suivre l'armée vendéenne ;

Que l'on se figure des détenus manquant de tout, entassés dans des lieux infects ;

Que l'on pense à la grande quantité de corps morts déposés dans les cimetières, dans des carrières, et à peine recouverts de terre, — aux animaux privés de la vie et qui étaient épars çà et là dans les rues, — aux malheureux qui gisaient sous l'instrument du supplice faute de bras et de charriots pour transporter leurs cadavres ;

Que l'on se rappelle le genre de vie des habitants, leurs privations, l'effet si profond de toutes les affections pénibles depuis l'amertume des regrets jusqu'aux angoisses de la terreur ;

Que l'on se reporte à la sombre inquiétude dont étaient frappées toutes les familles que leur position portait naturellement vers le parti modéré ;

Que l'on se retrace cette situation d'une grande population intimidée par un proconsul qui dictait, le sabre à la main, des arrêts sanguinaires ;


Que l'on songe, enfin, que l'encombrement était partout, et l'on comprendra facilement qu'une maladie grave devait inévitablement se déclarer.

Pouvait-on empêcher le développement du typhus ? ai-je souvent entendu demander ... Pour cela, il aurait fallu construire des hôpitaux et des prisons temporaires plus vastes et plus salubres que ceux qui existaient, ou bien multiplier ces établissements de telle sorte qu'ils n'eussent jamais été encombrés.

Il aurait fallu ne pas entasser un nombre considérable de détenus dans des lieux trop resserrés et où l'air n'était pas suffisamment renouvelé ; ne point pousser, par exemple, des prisonniers dans des chambres jusqu'à ce qu'il n'eût plus été possible d'y en faire entrer ; ne point mettre quatre-vingt Vendéens, comme on l'avait fait aux Saintes-Claires, dans une pièce qui n'avait que 12 pieds de largeur sur 24 de longueur.

Il aurait fallu savoir que, parmi les influences qui font naître les épidémies ou qui augmentent leur gravité, il n'en est point de plus maligne, dans ses effets, que l'agglomération d'un grand nombre de personnes dans un espace resserré ; que c'est là la cause de la maladie désastreuse que l’on voit régner dans les prisons, les hôpitaux, les pensionnats , — le typhus, cette affection terrible, avec son cortège de putridité, avec sa désagrégation du sang, sa fétidité des excrétions, sa teinte noire et son ramollissement des tissus, ses escarres, et cette stupeur qui donne un aspect de mort aux traits du malade .....

Il aurait fallu savoir que s'il faut à l'homme sain un volume d'air déterminé pour entretenir la régularité de ses fonctions, à l'homme malade il faut un volume d'air plus considérable pour neutraliser les effets des exhalaisons qui sortent de son corps ; que, s'il en est autrement, un miasme se forme alors, et donne lieu à des symptômes plus ou moins graves, depuis le mal de tête jusqu'au typhus le plus meurtrier, la plus grave des épidémies, mais la plus facile à prévenir ; que ce miasme plus ou moins morbifique naît toutes les fois qu'un grand nombre d'individus se rassemblent dans un lieu étroit ; qu'alors l'air qu'ils respirent s'épuise bientôt de gaz réparateur, et se charge d'émanations délétères produites par l'acte de la respiration.

Il aurait fallu savoir, enfin, que si l'air pur est le meilleur des remèdes, l'air vicié parles exhalaisons des malades est le plus mortel des poisons.

XXXII.

L'encombrement exerce sur le développement du typhus une influence si puissante qu'on peut le faire naître dans une salle d'hôpital, en y mettant plus de malades que l'appartement où ils sont renfermés ne l'exige. Dupuytren a vu, à plusieurs reprises, le typhus paraître et disparaître dans une salle pour 200 blessés, aussitôt que leur nombre était porté à 220, ou réduit proportionnellement à la capacité du local. Beaucoup d'autres médecins ont pu constater, par des observations analogues, la vérité et l'importance de ce fait ... La cause du typhus est donc l'absorption d'un miasme plus ou moins délétère par les voies de la respiration, et qui, allant infecter le sang et par suite tout l'organisme, se forme toutes les fois que de grandes réunions d'hommes sont entassées dans des lieux étroits et où l'air n'est pas suffisamment renouvelé.... C'est ainsi que les places fortes pendant les sièges, les hôpitaux encombrés de malades, les prisons dans lesquelles un gouvernement sans raison comme sans humanité fait refluer un grand nombre de détenus, que l'on traite avec la plus grande rigueur, sont toujours décimés par le typhus ; c'est ainsi que, sur les pontons d'Angleterre, où les mesures d'une administration sans cœur comme sans pitié faisaient entasser nos infortunés compatriotes, avec une inhumanité dont les temps barbares offrent à peine des exemples, le typhus fit de cruels ravages.

Si quelques personnes avaient des doutes sur la grande influence que l'encombrement exerce à l'égard de l'irruption spontanée du typhus, nous leur rappellerions, avec le docteur Renauldin, que, durant toutes les guerres qui ont ensanglanté l'Europe depuis soixante ans, le typhus n'a jamais manqué de se manifester dans tous les lieux où les prisonniers étaient réunis. Ce funeste résultat a été observé en France, en Allemagne, en Italie, en Russie, en Angleterre, etc., et pour ne parler que d'un fait, nous citerons les trop infortunés prisonniers espagnols, moissonnés par le typhus dans toutes les villes où ils étaient détenus. On n'a point oublié les justes alarmes que le peuple et l'administration conçurent au sujet des épidémies auxquelles ces prisonniers avaient donné lieu dans plusieurs de nos provinces. On conserve encore le souvenir des maladies qui désolèrent les villes situées au bord du Rhin et dans les départements limitrophes, pendant les funestes campagnes de 1813 et de 1814 ; les villes de la Prusse, de la Pologne et de la Saxe, telles que Wilna, Dantzick, Koœnigsberg, Dresde, Leipsick, Torgau, etc., après nos désastres de 1812 et 1813 ... Toutes ces épidémies étaient le résultat de l'encombrement des militaires dans les villes et dans les hôpitaux ; et les médecins qui étaient à Wilna après la déplorable retraite de Moscou ; ceux qui sont restés dans les places fortes de la Saxe, où les troupes françaises s'étaient renfermées après la défection de Leipsick ; ceux qui ont vu Mayence après notre retraite au-delà du Rhin, en 1813, savent que, nulle part, les, ravages causés par la peste ne furent plus désastreux que ceux qui résultèrent du typhus.

L'affreux commerce des noirs en offrait autrefois d'horribles exemples ; et tel bâtiment partait de la Côte-d'Afrique avec 7 à 800 nègres, qui n'en débarquait pas le quart dans les colonies ... Pendant la révolution, les prêtres que l'on déportait à Cayenne, et qu'on entassait au fond des transports qui les conduisaient dans les déserts de Sinnamary, périssaient par trente et quarante par jour : on venait le matin ôter les morts de la cale, et ce n'est que par cette dépopulation que quelques individus pouvaient arriver vivants au lieu où un climat brûlant et malsain finissait par mettre fin à leurs souffrances.

Mais ce fléau, si l'on peut le faire naître, pour ainsi dire, à volonté, dans les hôpitaux, les camps, les prisons, les vaisseaux, en concentrant sur un petit espace un trop grand nombre d'individus sains ou malades, on peut aussi arrêter ses ravages, on peut le faire cesser en disséminant les malades, en détruisant, par une ventilation convenable et par les soins de propreté les mieux dirigés, les miasmes que les malades émettent et absorbent de toutes parts … Nous en avons un exemple bien remarquable dans l'époque où nos armées vaincues se portaient vers Paris ; dans l'époque où, avec l'invasion étrangère, les fiévreux et les blessés affluaient dans la capitale. Le typhus se déclara, mais il fut comprimé : sa durée fut bornée, ses ravages restreints, et cela grâce aux mesures d'une administration éclairée et sensible... En 1793, l'autorité municipale de Nantes, chargée de veiller à la salubrité publique, était sans doute animée des mômes sentiments ; mais les circonstances graves au milieu desquelles se trouvait placée la ville l'absorbèrent presque entièrement et ne lui permirent pas d'apprécier toute l'influence de l'encombrement et des causes d'insalubrité qui existaient partout, et de songer à temps aux moyens qu'il fallait mettre en usage pour les neutraliser... Et puis, la municipalité, comme nous l'avons vu, n'était pas toujours maîtresse d'agir comme elle le voulait ; une autorité supérieure dominait toutes les administrations.

Les médecins intervinrent pour signaler les dangers ; ils disaient de disséminer les malades et les prisonniers dans un vaste espace, de les arracher des foyers d'infection en leur donnant, s'il le fallait, la liberté... Mais traités de suspects par les satellites du proconsul sanguinaire qui régnait en maître absolu, ils allaient bientôt rejoindre les malheureux qui périssaient dans les maisons de détention ... et pourtant ils ne se décourageaient pas !... Ils répétaient, mais en vain, à l'autorité : Ces dortoirs où vous placez trop de lits ; ces chambres où vous entassez tant de malades ; ces salles, dans lesquelles vous rassemblez et renfermez un si grand nombre de détenus, sont nuisibles à leur santé ; l'air qu'ils y respirent sera promptement vicié et rendu impropre aux besoins de la respiration : saturé d'acide carbonique, il sera pour eux un poison !

A l'Hôtel-Dieu, ils avaient dit aussi, qu'il était important de ne point accumuler trop de monde dans les salles ; que l'air ne tarderait pas à s'y altérer sans autre cause que l'encombrement ; qu'un poison dangereux se développerait rapidement au sein de ce foyer humain d'infection ; que les maladies aiguës s'aggraveraient et prendraient un caractère épidémique ; que les maladies chroniques y deviendraient incurables ; que les plaies simples se compliqueraient et que les plaies graves deviendraient mortelles ... L'administration ne prenait aucune mesure, et ce n'est que lorsque le typhus se déclara que l'on eut recours à la science : c'était trop tard ...

Si ces temps sont loin de nous ; si maintenant nous ne sommes plus témoins de ces épidémies typhoïdes graves qui ont moissonné tant de monde dans les prisons et dans les innombrables hôpitaux qui appartenaient à des armées aussi nombreuses que celles de la République, de Napoléon et de la coalition en 1813, l'encombrement qui existe encore parfois dans les hôpitaux, dans les prisons ; les tentes des soldats, à peine assez spacieuses pour répondre aux besoins de la respiration ; les dortoirs des collèges, des séminaires et des pensionnats, qui contiennent souvent plus de lits que le local ne le comporte, donnent souvent naissance au typhus, et l'on ne pense à la dissémination des individus que lorsque l'épidémie, par la dépopulation qu'elle opère, a déjà détruit en partie l'encombrement qui en était la cause.

XXXIII.

Pour les sociétés, comme pour les individus, les enseignements du passé sont donc le plus souvent perdus pour elles ... Une épidémie vient à se déclarer ; la mort s'abat sur des familles entières, et, avec cette égalité qui n'est nulle part que chez elle, elle courbe sous son fatal niveau et le riche et le pauvre ; elle tranche les plus brillantes comme les plus humbles existences !... Les médecins sont appelés pour combattre le fléau ; mais leur science est alors bien bornée : elle guérit, il est vrai, quelques malades, mais tous ses efforts ne peuvent empêcher la maladie de parcourir ses cruelles périodes ... La sollicitude de l'administration est grande quand l'épidémie est déclarée ; il n'est plus temps : c'est pendant la paix qu'il faut se préparer à la guerre ; c'est dans les temps calmes qu'il faut savoir prévoir le mal, pour l'empêcher de se produire. Que n'emploie-t-on les lumières du médecin dans un temps plus opportun, et que ne lui dorme-t-on tous les moyens de prévenir le développement d'une épidémie par des mesures bien entendues prises longtemps à l'avance !... Lorsqu'il parlera de salubrité publique que l'on ne se montre point indifférent à de telles questions, et lorsqu'il signalera le mal qu'on ait le courage de le détruire.

Si les médecins, qui sont appelés par leurs études à exercer l'action la plus directe sur la société, ne font pas tout le bien dont ils sont susceptibles, ne les accusez donc pas : les coupables, comme on le voit, sont ceux qui, chargés des intérêts les plus chers des populations, méconnaissent trop souvent la haute mission des hommes qui se consacrent au soulagement de l’humanité !.

(Gabriel Le Borgne).

 © Copyright - Tous droits réservés.