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LES ORIGINES MORLAISIENNES DE MORLAIX

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« Morlaix » dit l'auteur latin de la description des deux Bretagnes [Note : Voici en entier le passage de Conrad de Salisbury : « Morlacum oppidum istuis (quæ Armorica dicitur) Britanniæ, quondam Julia appellatum ad radices Castri Cæsaris in crepidine montis situm ad imam vallem vergens, quod duo hinc indé fluvioli alluunt, in alveum aquæ marinæ ad septentrionem recepti »] « est bâtie au pied d'un mont, dans une vallée profonde : elle est baignée par deux rivières qui y arrivent d'extrémités opposées, et vont se réunir vers le nord, aux eaux d'un bras de mer ». En termes moins vagues, cette ville est située au fond d'un entonnoir formé par trois vallées qui se rejoignent à angles aigus. Les ruisseaux qui viennent y affluer sont le Jarlo, le Queun, le Keffleut [Note : Le Jarlo se nomme aussi Jaclot ou Trémorgan : le Keffleuc, Relec, Keleut, Keulent, etc.] : le premier et le dernier méritent seuls le nom de rivières. Descendus du versant septentrional des montagnes d'Aré, ils se grossissent des divers cours d'eau qui arrosent les communes de Lannéanou, Le Cloître, Plougonven, Plouigneau, Plourin, Plounéour-Ménez, Ste. Sève, Saint Martin et Pleiber-Christ ; ils se rejoignent à Morlaix derrière l'hôtel de ville. Leur sillon, d'abord resserré par des hauteurs abruptes, se développe aux approches de Morlaix jusqu'à la largeur de 150 mètres, en même temps que leur cours devient plus lent et plus égal : leurs eaux vaseuses et ternes, mais très poissonneuses, atteignent un mètre et douze centimètres de profondeur, et sont sujettes à des crues fréquentes, sans éprouver de baisses très sensibles dans les grandes sécheresses. — Un troisième cours d'eau, sorti des marais du Queun, en Plourin, forme un bassin peu important, quoique profond, entre les deux premiers : c'est le torrent qui passe sous le prolongement de la rue de Paris et vient tomber au pont du Pouliet.

Les massifs de hauteurs qui dominent et environnent cet entonnoir, sont au nombre de quatre ; les deux plus importants à l'est et à l'ouest, se nomment hauteurs du Créou et de St. Martin ou du Château : les deux autres, au midi, sont les petits plateaux de Parc-an-Duc et de Kerneguès. Aucun de ces groupes ne présente, à vrai dire, de points culminants : ce sont des ramifications plus ou moins secondaires des plateaux de Plouigneau, Plourin et Pleiber-Christ, qui viennent s'y terminer. Leurs caractères communs sont des crêtes légèrement arrondies, des flancs abruptes et sévèrement découpés : la carte de Cassini en retrace minutieusement tous les contours : nous y renvoyons pour les détails qui ne pourraient être bien compris sans un examen des lieux ou l'inspection de la carte.

Géologiquement parlant, le sol de Morlaix repose sur une formation schisteuse (schiste talcqueux, ou talkschiefer) limité au midi par les quartzites de Parc-an-Duc et de Kerneguès : on y trouve enclavés, à l'est, quelques lambeaux de grünsteins verts, au Pont-Pouliet, vers Coatamour : au nord, des eurites porphyriques (Coatserc'ho) [Note : Carte géologique du Finistère, par M. E. de Fourcy, ingénieur de Mines : Paris, 1844. Vote du conseil général, 1835]. M. Le Hir, qui a étudié avec un soin particulier les terrains des environs de Morlaix, est arrivé à des conclusions toutes différentes de celles de M. de Fourcy [Note : LEFÉBURE DE FOURCY (Michel-Eugène) (promotion de 1832 de Polytechnique), né le 29 novembre 1812, mort le 30 août 1889, Inspecteur général de deuxième classe en retraite. On lui doit, outre les Cartes géologiques départementales du Finistère (1844), des Côtes-du-Nord (1844), du Morbihan (1848), en collaboration avec Ch. Lorieux, et du Loiret (1859), toutes publiées avec texte explicatif, le premier Atlas souterrain des carrières de Paris (1841-1859)] : il a reconnu dans le terrain une grauwache schisteuse fossilifère, quoique le savant auteur de la carte géologique ait positivement affirmé qu'il n'y avait de grauwache dans ce département que dans le bassin de l'Aulne [Note : Annuaire de Brest et du Finistère, 1839 : — Introduction à la carte géologique, Paris, Fain et Thunot, 1844]. D'après M. Le Hir, ce terrain qui commence à Carantec, au milieu des grünsteins, se développe à Pennelé, entre des stéaschistes quartzeux et des schistes talcqueux, et est séparé de stéaschistes par une ligne qui passe à La Madeleine, Bagatelle, Kervaon, le Merdy, le Pont-Hereau, Mur, Restigou, la Croix-Rouge et Kerosar. Le schiste phylladien bleu borde les deux rives du chenal : le schiste conglomérat se montre sur le plateau des Ursulines, l'arkose sur les hauteurs opposées : le schiste bréchiforme poudingoïde à Keranroux, le quartz hyalin, à Pennelé, aux environs de Ploujean, sur les deux quais, etc. Enfin, les eurites se voient en un grand nombre d'endroits, à St. Charles, l'hôpital, Portzantrez, Pennelé, Coatserho, Keranroux, Troudoustein, Kerscoff, Ploujean : on y reconnaît l'eurite granitoïde, l'eurite granito-porphyrique, l'eurite argileuse, l'eurite argileuse porphyrique, etc. Celles de l'hôpital et de Kerscoff contiennent du manganèse. — Le calcaire se rencontre au Pont-Pouliet, à Pont-Pol, à Portzantrez, à Lannidy, à Keranroux, dans la rue du Pavé, sur la route de Carhaix en deçà de Plourin : mais il est en trop faible quantité pour être exploitable, et n'offre d'intérêt que comme accident géologique [Note : Voyez l'Echo de Morlaix, 18 mars, 15 juillet 1843 : 1er mars 1845]. Dans les terrains plus modernes, nous avons un banc assez puissant d'argile euritique dans la vallée de Troudoustein, exploité au village du même nom : et peut-être des tourbières exploitables, dans les coulées du Queun, de Trividy, de Portzantrez, de Cuburien et de Keranroux.

A quelle époque faut-il rapporter les premiers établissements réguliers qui se formèrent sur le petit territoire que nous venons de décrire ? Sans recourir aux témoignages prétendus historiques, toujours au moins douteux quand il s'agit d'époques aussi reculées, on peut dire que l'histoire de Morlaix a commencé comme celle de la plupart de nos villes maritimes de Bretagne. Sa position avantageuse aura fixé l'attention des Celtes, ces premiers habitants de la Gaule, habituellement si clairvoyants dans le choix des lieux où ils établissaient leur demeure : puis la guerre, et le village Kymry aura été augmenté de quelques fortifications de bois et de terre : sous les Romains, l'oppidum aura reçu une bonne enceinte murée et un régime municipal : l'invasion bretonne aura détruit l'un et l'autre, et les barbares se seront campés dans un village de bois dominé par une grossière tour carrée, et après bien des siècles de luttes et de déchirements, il se sera formé à l'abri de la féodalité monacale et séculière, une bicoque crénelée qui pourra déjà, dès le douzième siècle, réclamer une large part dans l'histoire écrite et authentique de nos cités de Bretagne.

On nous objectera sans doute, que ce n'est là qu'un roman historique, que des conjectures et des inductions sans fait : mais n'est-ce pas encore vingt fois plus probable et par cela plus historique, que les milliers de fables orientales, troyennes, grecques, tyriennes et latines qui forment encore aujourd'hui les seules
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annales authentiques des quatre cinquièmes de nos cités avant l'époque féodale ? L'amour des fables en histoire et le patriotisme de localité réunis ont fait germer parmi nous des myriades d'historiens archéologues, race métisse de savants qui se sont évertués à illustrer les annales de la plus petite ville et du moindre clocher : et depuis Conrad de Salisbury jusqu'au chantre contemporain de Conan-Mériadec (Albert le Grand, vie de Ste, Ursule). La Bretagne a été plus que tout autre pays, défiguré par ces agréables héritiers de Tite-Live. En marchant sur leurs traces, nous pourrions dire que Morlaix se nommait Port-Stalliocan, sous les Celtes (6), et Julia sous les Romains (Conrad de Salisbury, t. IX, ch. 56, v. plus haut, p. 1), quoiqu'il soit prouvé que la première de ces positions existait à Porz-Liogan, près le Conquet, et que la seconde n'a jamais existé que dans l'imagination d'un chroniqueur anglais : nous pourrions ajouter que l'ancien château fut bâti par César (Conrad de Salisbury, t. IX, ch. 56, v. plus haut, p. 1), auquel il n'est pas de masure un peu antique en France qui ne prétende rapporter son origine. Nous dirions que 72 ans après l'ère chrétienne, Drennalus, disciple de Joseph d'Arimathie, vint y annoncer le christianisme après avoir évangélisé la Bretagne insulaire [Note : Idem, ibid. — Huic Drennale, majori Britannia veniens, christi fidem prædicavit, Lexobiæ postea præsul effectus] : et nous terminerions en disant que Maximus Clemens et Conan-Mériadcc y passèrent en marchant à la conquête de l'empire, et même que le premier passa une nuit au manoir de l'Armorique, à 5 milles de là (Cambry, t. I. — Ogée, t. II, v. Morlaix).

En rejetant, comme nous le devons, ces fables indignes de la sévère impartialité de l'histoire, examinons l'une après l'autre quelques questions qui se présentent naturellement ici. D'abord, Morlaix existait-il sous les Gallo-Romains ; et s'il existait, quel nom portait-il ? Un ancien auteur, dont le nom nous échappe, s'est prononcé pour l'affirmative, et a indiqué Vorganium, que Ptolémée nous donne pour capitale des Osismes : on sait que cette dernière peuplade occupait, avec six ou sept tribus secondaires, tout le territoire connu plus tard sous les noms de Cornouaille, Léon, Tréguier et Goëllo. — Ce nom de Vorganium mérite un sérieux examen. Si on le confond, comme l'ont fait presque tous les auteurs, avec Vorgium-Osismorum, il faut de toute nécessité le placer à Carhaix : les itinéraires romains et l'examen des voies romaines actuellement existantes ne permettent pas d'en douter. Si on regarde ces deux noms comme distincts, on peut, en se fondant sur le nom de Vorganium ou Morgan (maritime : le changement de l'm en v est très familier aux Bretons bretonnants), placer cette ville à Concarneau (Walckenaër, géographie de l'ancienne Gaule) : nous préférerons Morlaix, non seulement à cause des ruines romaines trouvées récemment à Keranroux, des restes de fortifications également romaines, signalées à Morlaix même, des médailles du même peuple qu'on y a découvertes, mais encore par la raison qu'en remontant le Jarlo environ une lieue, on retrouve un très ancien village situé dans la vallée et appelé pour cette raison Tromorgan-an-Disheol (Val-Morgan-l'Abrité). Ce village, que Cassini nomme Trémorgan, d'où vient le nom de Trémorgan également donné au Jarlo, n'aurait-il pas reçu le sien, dont on ne retrouve aucun équivalent dans l'arrondissement, du moins que nous sachions : ne l'aurait-il pas reçu, disons-nous, de la cité gallo-romaine qui s'élevait à peu de distance ?

Quoi qu'il en soit, les Celtes ne semblent guère avoir affectionné cette localité : pour trouver des pierres druidiques, il faut aller à Plouigneau, à Garlan, à Lanmeur, à Guimaëc, à Plougasnou : un tumulus à Plouégat-Guerrand : un simulacre de pierre branlante à la Croix-Rouge : un curieux menhir au Guerlesquin. Des fouilles faites dans un tumulus de Lanmeur, ont donné des armes, des cendres, des urnes funéraires. Deux tombeaux curieux ont été découverts à Plouégat-Guerrand (Coëtcoëzer). — Les Romains y ont laissé quelques traces, outre celles que nous avons mentionnées : une enceinte ou camp, à l'extrémité de Plouigneau, appelé le Château-Invincible (Castel-Dynam) : des briques, des fragments de poteries remarquables, au château du Guerrand : une ruine au Ponthou, dont la maçonnerie est indubitablement romaine (ar C'hastel) : à Locquirec, des briques, du ciment, des tombes, des squelettes, des armes, des monnaies romaines de peu de valeur......

A ces époques reculées, le territoire sur lequel est bâti Morlaix, appartenait concurremment aux Osismes et aux Lexobies, peuplade dépendante de la première et qui possédait le Trécorrois actuel, moins les côtes de Perros à Pleubihan [Note : M. Leclech, à Plougasnou, a trouvé à Locquirec, une médaille lexobienne, avec légende : Civitas Lexobiensis. — M. de la Pylaie a levé, à Coz-Yeaudet, près de Lannion, le plan de Lexobie]. Le Douron, qui sépare aujourd'hui l'arrondissement de Lannion du nôtre, se nommait Menuvius : la vallée spacieuse qui l'encaisse, alors plus basse qu'aujourd'hui, permettait aux eaux de la Manche de remonter jusqu'au pic des hauteurs de Lanvizinec (la lande de goëmon) : aujourd'hui le terrain s'est exhaussé, et l'on peut suivre depuis le Moulin blanc jusqu'à Moualc'hic un longue bande d'alluvions [Note : Sable et cailloux roulés] recouverte d'une légère couche végétale quelquefois tourbeuse. A l'embouchure, les Romains avaient un corps de garde, peut-être même cette position était Menuthias, ville de garnison indiquée dans la notice de l'empire [Note : Selon divers auteurs, à Ploumanak, près de Perros, à Matignon, à S. Mahé-Finistere, etc. Ces solutions sont très peu satisfaisantes]. La localité qui nous occupe ne s'étendait alors qu'à l'est du Keffleut, et appartenait conséquemment aux Lexobies. A l'ouest végétaient quelques principautés soumises aux Romains, mais conservant leurs souverains nationaux comme le petit royaume de Cottius dans les Alpes, et de nos jours, quelques chétives républiques [Note : Albert le Grand, édition Kerdanet. — Cet auteur, et surtout son commentateur, y ont mêlé un très grand nombre de fables].

Après quatre siècles et plus, passés sous la domination romaine, l'Armorique vit arriver par bans nombreux les bretons insulaires, exilés volontaires ou forcés, la chose est restée indécise. Tout ce que l'on sait, c'est que tous ces nouveaux colons, d'abord contents de l'humble désignation de Létes (colons soumis aux Romains), détruisirent, le sabre en main, l'autorité romaine dans ce pays auquel ils imposèrent leur nom : démantelèrent ou ruinèrent les cités gallo-romaines, exterminèrent les indigènes ou tout au moins les rejetèrent dans l'intérieur, se réservant la riche bande du littoral. L'histoire pittoresque de la monarchie bretonne n'a été jusqu'ici présentée que sous un faux jour, par nos historiens nationaux, aveuglés par le système routinier qui les portait à peindre les temps anciens avec les couleurs qui convenaient au nôtre. Il faut en convenir, quoique notre amour-propre national puisse souffrir de cette peinture peu flattée de nos ancêtres, ils n'étaient guère plus civilisés que les hordes germaniques qui les avaient expulsés : guerriers rapineurs, demi-vandales, redoutables en guerre et prêts à s'entre-déchirer pendant la paix : plutôt campés qu'établis sur le sol qui les nourrissait ; à cheval, s'il nous est permis de parler ainsi, sur l'océan britannique, passant en essaims innombrables du continent dans l'île, de l'île au continent, comme des oiseaux voyageurs, suivant que tournaient le vent et la victoire ; et cependant par une bizarre anomalie, combattant jusqu'à extinction de population pour ce sol auquel ils tenaient si peu : on croit lire, dans les écrivains contemporains, l'histoire d'un de ces peuples américains dont Cooper nous a retracé la physionomie presque effacée. C'était un peuple à demi païen, sauvage et indocile troupeau pour les nombreux missionnaires qui venaient de l'île de Bretagne évangéliser leurs compatriotes : ils y fondèrent une église isolée comme eux du reste de la chrétienté, moitié catholique, moitié pélagienne, qui ne rentra qu'avec assez de difficulté dans l'église gauloise et romaine. Le gouvernement des Bretons fut d'abord monarchique, puis pentarchique, puis encore un, puis finalement heptarchique, gouvernement auquel succéda la conquête franche. Malgré les savants mémoires de Gallet, une obscurité sans égale est restée répandue sur ces personnages demi-fabuleux, et que l'on croirait presque calqués sur les sept premiers rois de Rome. Conan-Mériadec [Note : Couan, Caunas, Cyn ou Cynan : Méréadoc, Megriadog, Murdoch, Mériadec : fils de Waranton, roi d'Alcluta, en Calédonie], maître du pays qui s'étend de Cantiguice (Nantes) au mont Jou (mont Dol) et au promontoire de l'occident, bâtit un château sur les limites de la paroisse de Ploec-Kolm (Plougoulm), sur le fleuve Guillidon, aujourd'hui le Guilliec, et y fit sa résidence ordinaire. Après sa mort, le royaume fut démembré : le Kornwall ou Cornouaille, la Domnonée ou Bretagne septentrionale, les pays de Rennes, de Vannes et de Nantes s'érigèrent en principautés séparées. La guerre civile s'alluma, les Romains dévastèrent le littoral, les Alains, les Wisigoths, les Hyberniens, les Saxons, les Francs et les Frisons assaillirent le pays, et finalement Hoël, roi de Domnonée, fut obligé de passer la mer à la tête de sa tribu : il se réfugia en Cambrie (509). Quatre ans après, il retourna dans ses foyers suivi de ses 15,000 guerriers, et prit une éclatante revanche sur les Frisons qui avaient ravagé la Bretagne pendant onze ans, et qui, gorgés de butin, s'étaient retirés au nombre de 50,000 hommes, à Carantec, à trois lieues de Morlaix : Hoël y débarqua et tailla complètement en pièces l'armée envahissante, commandée par Korsold. Après avoir fait élever sur le théâtre de sa victoire une chapelle que la tradition place dans l'île de Callot [Note : Voici l'inscription actuelle de Notre-Dame-de-Callot : — « Elle fut fondée l'an 502 en mémoire de la victoire obtenue par l'intercession de N.-D., dans l'endroit même ou Corsolde, général des Danois, avoit sa tente, où il s'étoit retranché, après avoir pillé le pays de Léon, et où enfin il fut forcé et son armée taillée en pièces par le prince Rivallon-Murmaczon. Elle a continué depuis à être une chapelle de grande dévotion et fort fréquentée. Réédifiée a différentes époques et notamment par le soin de M. Y. Nedellec, curé de Carantec, et bénite le 24 avril 1808, par M. F. Laot, recteur de Taulé »], le jeune vainqueur réunit toute la Bretagne sous sa domination, et régna trente ans avec le plus grand éclat.

C'était alors l'époque héroïque des Bretons de l’Armorique et de ceux de la Cambrie, commandés par l'immortel Arthur, le chef poétique et fabuleux de la Table-Ronde. Les rapports étaient au mieux entre les deux nations : de fréquents échanges s'opéraient à travers la mer, et c'étaient pour la plupart des prêtres ou des solitaires qui allaient évangéliser les deux pays, également sauvages et remplis de souvenirs des cultes anciens. S. Samson quittait le territoire de Plougasnou et le petit hameau qui porte son nom, pour aller convertir la Domnonée insulaire : quelques années après il fondait un monastère à Lan-Mur (la grande église) et l'appelait Kerfeunteun, du nom de celui qu'il possédait près de Dol : St. Quirec arrivait à l'embouchure du Douron et y fondait une abbaye avec les débris des habitations romaines qui y existaient avant lui : puis, passant « le Keffleut à Morlaix, » disent les légendaires, il allait s'établir à Ploudaniel, dans la vallée de Traon-Guevroc. En même temps les circouscriptions territoriales se dessinaient mieux, entées sans doute sur les anciennes divisions gallo-romaines, de clans et de cités : St. Pol Aurélien devenait évêque de Léon, St. Tugdual, évêque de Tréguier : on comptait quelques paroisses, Plou-Kolm (Plougoulm), Lan-Mur (Lanmeur), Plouigneau, Locquirec (église tréviale), Cléder ; Lanmeur s'érigeait en évêché [Note : Cet évêché s'est fondu plus tard dans celui de Dol, dont Lanmeur est resté archidiaconé jusqu'à la révolution. Les tombeaux des évêques étaient à Rupeulven, disent quelques-uns : à l'Hospital-Pell, dit Albert-le-Grand en 1637]. Outre les routes pavées dont les Romains avaient sillonné la péninsule (l'une d'elles conduisait de Morlaix à Carhaix, une autre de Carhaix à Lexobie), les Bretons avaient tracé quelques chemins peu importants entre les localités d'une illustration récente : une de ces voies, qui menait de Carhaix à Lanmeur, est encore reconnaissable sur la traverse de Plouigneau, et la partie méridionale sert aujourd'hui de route vicinale de Plouigneau à Lannéanou.

Voilà à peu près où en étaient les choses, quand Hoël le grand mourut : la pentarchie se rétablit et la guerre civile éclata. Conan II [Note : Aussi nommé Conobert, Comorre, Canao, Conobre, etc.] poignarda ses frères : Judwal, fils de l'aîné de ces malheureux princes, fut sauvé et caché à la cour de Childebert, roi des Franks neustriens. A la mort de celui-ci, Clothaire, son frère et son héritier, furieux contre son fils Chramne et contre le roi des Bretons qui lui avait donné asile, marcha sur la péninsule avec 15,000 hommes et le jeune prétendant dont il comptait se servir pour armer les Bretons les uns contre les autres. Effectivement, en entrant sur le territoire armorikain, il se vit à la tête de 60,000 hommes aisément recrutés parmi les Gallo-Romains, hostiles à la race insulaire : et il s'avança vers le Léon en commettant les dégâts les plus violents, même sur les terres alliées. Conan II se porta à sa rencontre avec 50,000 guerriers de bonnes troupes, parmi lesquels se trouvaient quelques bandes de pirates northmans débarqués à Douarnenez. La Basse-Bretagne entière s'était réunie sous ses bannières, à l'exception du clergé que Conan avait molesté assez vivement durant les années de son règne : le métropolitain de Dol suivait l'armée d'invasion et priait pour ses succès.

On se rencontra près de Morlaix, dans les vallons boisés où s'élevait une abbaye de récente construction, appelée Ger-ber (courte parole) : on l'avait ainsi nommée parce que l'on y pratiquait la règle du silence. Un combat sanglant, qui dura deux jours, n'amena aucun résultat : les deux armées se séparèrent, et Conan II, rentré dans sa tente, engagea Chramne à ne pas se montrer le lendemain sur le champ de bataille. « Combattre ton père, lui dit-il, est pour moi un devoir, pour toi c'est peut-être un crime. Crains que cette action n'ait pour toi quelque suite funeste : il suffira que tu t'abstiennes demain, je pourrai seul commander mon armée ». Chramne refusa, par un sentiment d'honneur : « Je t'ai attiré cette guerre, lui dit-il, je ne t'abandonnerai point à l'heure du danger ».

La mêlée recommença le lendemain avec autant de fureur que la veille et resta quelque temps indécise. Le vieux roi, du milieu de ses Franks, priait et appelait à haute voix le ciel à témoin contre le nouvel Absalon. Pendant ce temps, sa cavalerie mettait en déroute l'infanterie légère des Northmans, et la fuite de ces derniers en découvrant les guerriers bretons qui combattaient encore, ruina de fond en comble les dernières espérances de Conan. L'imdoptable fils d'Hoël courut les rallier, et ce mouvement qui fut pris pour une fuite, découragea totalement les siens : pour les retenir, il planta sa bannière en terre, soutint encore deux heures la furie de l'ennemi, et tomba de cheval la gorge percée d'une flèche qu'il renvoya, en expirant, à celui qui la lui avait lancée. Sa mort compléta la déroute : les Bretons furent sabrés, les Northmans assommés par les habitants des campagnes voisines, irrités de leurs déprédations précédentes. Chramne voyant la bataille perdue, s'enfuyait vers le port voisin (sans doute Morlaix ), où il avait eu la précaution de faire préparer des vaisseaux : mais revenu sur ses pas pour dégager sa femme et ses enfants, il fut saisi par les vainqueurs, lié avec sa famille sur des escabelles dans la cabane d'un montagnard, et sur l'ordre exprès du vainqueur, tous ces malheureux périrent dans les flammes (560).

Le nom funèbre de Brank-Hallek (branche de saule) est resté à la plaine où tant de sang coula : entourée de sépultures, l'abbaye reçut la nouvelle appellation de Relec (reliques) qu'elle a porté depuis ; et près du village de Mengleuz on voyait encore, il n'y a pas trente ans, une pierre schisteuse bleue et plate, sans inscription, que l'on appelait dans le pays la pierre tombale de Comorre. — Les suites de ce désastre furent fatales à la Bretagne : en rendant à Judwal l'héritage ensanglanté de ses pères, le roi frank se fit la part du lion, et les territoires de Dol, Rennes, Nantes, Vannes, détachés de la pentarchie, furent ajoutés au royaume neustrien, sous le titre de « marche ou frontière bretonne ».

De Clothaire à Charlemagne, cette marche devint une sorte de territoire neutre où les deux nations rivales s'exercèrent deux cent vingt ans, avec des succès très variés. L'indomptable Waroch usa vingt armées ennemies dans ces guerres de chouans auxquels ce pays a toujours été favorable : Allain II, son digne héritier, regagna l'intégrité de son petit royaume par la victoire décisive d'Allion, et quelques règues glorieux s'ensuivirent : mais en 690, l’heptarchie s’organisa sur les ruines de l'unité nationale, et l'état, déchiré par les dissensions civiles, déclina rapidement vers sa perte.

En 792, Méliau, roi de la Domnonée, fut égorgé par son père Rivod, qui voulut s'emparer de la tutelle de Melar, fils de la victime, et n'ayant pu y réussir, chercha à le faire périr par le poison. Cette seconde tentative ne lui ayant pas mieux réussi, il lui fit couper la main droite et le pied gauche, mutilation qui, dans les idées de cette époque primitive et guerrière, entraînait une incapacité de régner. Mélar fût alors envoyé par sa mère à Quimper, et Rivod, qui avait échoué dans ses tentatives auprès des grands vassaux pour obtenir la couronne, crut vaincre toutes les résistances en faisant poignarder son neveu. Celui-ci prévenu par la mère d'un de ces misérables, quitta Quimper et se retira à Lanmeur, chez un comte du lieu nommé Comorre ou Conan, qui lui donna un asile dans son château de Beuzit (Ou la Boissière, près Rumarc : détruit vers le temps de la ligue). Les sicaires de Rivod découvrirent sa retraite, l'attirèrent à Lanmeur sous un prétexte supposé et l'y poignardèrent de nuit. — Dans une très ancienne maison, en face de l'église, est un appartement auquel les Bretons ont donné le nom de chambre du saint : c'est ainsi qu'ils appellent Mélar. Son tombeau, élevé dans l'église paroissiale, n'existe plus aujourd'hui : l'église et la ville même ont conservé le nom de Mélar, que celle-ci ne porte toutefois que dans de vieilles chroniques [Note : Voyez pour la légende, Albert le Grand : pour la tradition locale, M. de Kerdanet. — La vie de St. Melar ou Melaire, a été écrite par S. Arrel, prieur de Kernitron, doyen de Lanmeur : Morlaix, G. Allienne, 1627].

Dès 786, Charlemague avait profité de ces divisions pour conquérir la Bretagne, qui, saignée à blanc par ses nombreux tyranneaux, résista dans cette dernière lutte avec une énergie furieuse. « Encore un pareil triomphe, disait le futur César, après sa quatrième victoire, et je n'ai plus de soldats. ». De nouvelles insurrections, que l'empereur ne put étouffer, rendirent aux barbares du promontoire leur liberté antique : mais ce succès ne fut que momentané. Jarnithyn mourut, Morwan fut tué dans une escarmouche à Briec : Wiomarch, après avoir fait quelques années la guerre de guérilla, fut surpris comme Stofflet dans une maison particulière, et massacré par le comte des Marches (824). Plus habile et non moins brave, Nomin-Oë (Nominoë) mit vingt ans à préparer l'immortelle journée de Ballon [Note : Voyez dans le Dictionnaire d'Ogée, édition Marteville, l’excellente dissertation sur le lieu où se livra cette bataille, notre journée de Bouvines (v. Bains)], où 20,000 Bretons détruisirent une armée double de la leur (Novembre 845). Certes, quoiqu’en aient écrit les historiens français, il ne s'avançait pas trop après un pareil succès en prenant le titre de roi : il ravagea d'ailleurs saus obstacle le royaume de son rival, et mourut devant Vendôme (851). Son digne fils Hérisp-Oë (Hérispoë) ou Ylysp-Oë [Note : Cette particule, dont nous ignorons la signification, est très fréquente dans les noms bretons de cette époque (v. les preuves de D. Morice)] remporta devant Redon une victoire encore plus décisive que celle de Ballon : Charles le Chauve faillit y périr, et se hâta d'abandonner à son vainqueur ses droits sur la Bretagne. Le règne de Salomon III, glorieux sur tous les points, complète cette éclatante triade, à laquelle succéda l’anarchie (875).

Et cependant le pays souffrait : les Northmans montraient déjà sur les côtes armorikaines les couleurs lugubres de leurs étendards mystérieux. Du champ de bataille de Ballon, Nomin-Oë accourut dans le Léonais qu'ils dévastaient, et se fit battre trois fois de suite : sa cavalerie légère devenait inutile dans ce pays montagneux. Il acheta leur retraite à prix d'argent. Le fameux roi de mer, Hastings le Champenois, avait pris et brûlé Lexobie, en 836 (voir la note qui suit)

Note : Voici les détails vrais ou poétiques donnés sur cet événement par la complainte trécorroise :

Hasterin a deuas gant listri
A Zanemarck da Lexobi,
Ag en deus y assieget
Gant pevar mil a zoudardet.

Gloar d'ar Verches a Goz-Yeodet,
Melodi d'e mab biniguet !

Nao mis e oa neuze gante
O clasq abordi varneze :
Pa n'elle quel antren enni,
En deus concluet e zevi. — Gl.

An habitantet eus a guer
Pa en eur voeljont en danger,
O deus sonjet en em renta,
En esperanç treti ganta. — Gl.

Hasterin, an tirant cruel,
Evel ma antreas en ker,
A gommanças da vassaeri
Ar gristenien dre m'o c’hifi. — Gl.

Goude a pillas an oll vadou,
Deus an ilis an tensoriou
Nemet relegou Sant Tual
Ec'h ejont oll gant an dud fall. — Gl

: il fut plus tard moins heureux ou moins brave devant Rennes, où le comte Wrfand, avec 1,000 hommes seulement, tailla par deux fois en pièces l'armée assiégeante, forte de 30,000 guerriers (875). Ce fut probablement cette année que furent ruinés les monastères de Batz et de Locquirec, ainsi que l'édicule primitif de Callot, et le monastère de St. Samson à Lanmur-Meler : du moins nous n'en entendons plus parler après cette époque.

Ces ravages se continuèrent les années suivantes avec d'autant plus de facilité que les deux comtes du pays se déchiraient entre eux. Ils ouvrirent enfin les yeux, et le premier fruit de leur réunion fut l'éclatante victoire de Questembert, où périrent 14,600 pirates, dont on, retrouve encore aujourd'hui les tombeaux dans les plaines voisines de Limmerzel. Leur successeur, Mathved-Oë, trouva plus commode d'émigrer dans la grande Bretagne : Juhaël-Béranger, pendant ce temps, passait sur le ventre, à Trans, aux 18,000 guerriers de Guillaume-longue-Épée, le fier héritier de Rollon de Normandie (931).

Ce coup d'éclat faillit coûter cher au patriote Juhaël : écrasé par des forces supérieures, il se trouva fort heureux de conserver la Basse-Bretagne et vint à Lanmur-Meler (Lanmeur ) établir un simulacre de principauté indépendante : en 936, disent les actes, il y tenait sa cour avec ses barons et la fleur de sa noblesse. Les Normands de la Seine et les pirates vikings occupaient cependant, à petit bruit, les divers points de la péninsule. Tous les ans, une armée passait le Couësnon, ravageait le pays dolois, et rentrait, chargée de butin, dans ses propres frontières : un chroniqueur comptait jusqu'à neuf de ces razzias successives, exécutées sur le pays de Dol seulement.

Les armées d'invasion furent contenues, et les corps d'occupation exterminés dans quatre grandes batailles, par le fameux Allain Barbetorte : « Le grand pieu qui fermait l'entrée de la Loire est renversé, » disait après la mort du héros, son épouse désolée. Il donna aux Bretons le secret et l'exemple d'une attitude calme, fière et puissante en face des monarchies secondaires qui s'élevaient à côté d'eux. Les fruits immédiats de ce système furent une autonomie complète, et plus tard la centralisation entre les mains d'un seul comte de la puissance politique : elle fut exécutée par le comte Geoffroy, vainqueur de la haute féodalité bretonne (995 et suivants).

On sait combien était profonde, à cette époque, la croyance que la fin des temps devait s'accomplir en l'an mil : quand la fatale année fut écoulée, le terme ne sembla qu'ajourné, et la terreur universelle ne se dissipa que fort longtemps après. Le secret de cette terrible et mystérieuse préoccupation se révèle dans un acte curieux du onzième siècle, et dont voici la teneur :

« La fin du monde annonce son approche par des signes fréquents et multipliés prédits par le Seigneur. Les nations se lèvent contre les nations, les royaumes contre les royaumes, et il y a de grands tremblements de terre. Or, moi Berthe, par la grâce de Dieu, comtesse de toute la Bretagne, et mon fils Conan, effrayés de ces prodiges et surtout de la mort de mon bien aimé seigneur Alain, illustre comte et père de ce mien fils Conan, mort qui nous a été annoncée hier ; frappés jusqu'au fond du cœur et obéissant au précepte évangélique qui nous dit : « Faites vous des amis de la source de l'iniquité, afin que quand vous ne serez plus, etc. ». Nous avons donné à Saint Georges et aux pieuses nonnes qui y servent Dieu, pour l'âme de mondit seigneur Alain, récemment défunt, pour la mienne, pour celles de mon fils Conan et de tous mes prédécesseurs ; nous leur avons donné, à titre d'aumône perpétuelle, toute la paroisse que l'on nomme Ploicathnou [Note : Plougasnou, à 13 kilom. au nord de Morlaix], dans le territoire de Léon, avec ses prés, ses bois, ses terres cultivées et ses landes, etc. Et si quelqu'un, ce que Dieu ne veuille, s'avise de faire opposition à cet acte, qu'il reste a jamais séparé de la communion des fidèles, jusqu'à ce qu'il rentre en lui-même. Nous avons fait cette donation devant les témoins dont les noms suivent ; Conan étant consul, Salomon évêque. Témoins, le comte Eudon, Juthcaël, archevêque, Alain, fils d'Ewarin, Gothcelin de Dinan, Robert, fils de Guihenoc, Audren (Aldroën) le chapelain, Hervé Grassevache, Audren fils d'Holèdre ». [Note : Mundi terminum propinquare pronuntiata à Domino signa multiplici frequentia dederunt. Surgit enim gens contra gentem et regnum adversus regnum et terræ motus magni sunt. Unde ego Bertha, dono dei totius Britanniæ comitissa et filius meus Conanus his signis territi, et præcipué de obitu dulcissimi senioris mei Alani videlicet celeberrimi consulis hujus filii mei Gonani patris pridié nobis nuciato, corde tenus sauciati, acquiescentes evangelico præcepto ubi dicitur : — Facite vobis amicos de mammona iniquitatis, ut cum defeceritis, etc. Donavimus S. Georgio et sanctimonialibus ibi Deo servientibus pro anima supradicti senioris mei Alani nuper defuncti et nostris animabus meæ scilicet et filii mei Conani et omnium antecessorun nostrorum in elecmosynam sempiternam parrochiam quæ est in pago Leonensi quæ vocatur Ploicathnou, totam ex integro cum pratis et silvis cultis et incultis, etc. Si quis autem, quod absit, huic rationi resistere voluerit, separatus a communione fidelium, nisi resipuerit, maneat in æternum. Fecimus hanc donationem coram istis testibus Conano consule, Salomone episcopo existentibus. Eudo comes testis. Juthecaëlus, archiep. T. Alanus filius Ewarini T. Gothcelinus de Dinant. Robertus filius Guihenoci T. Aldroënus capellanus T. Herveus Crassavacca T. Aldroënus filius Holedri T. (Cart. S- George R.)].

(Guillaume Marie Lejean).

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