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LA CHAMBRE LITTERAIRE DE MORLAIX

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Les origines de la Chambre Littéraire de Morlaix.

(anciennement « Chambre de Littérature et de Politique »).

Les Chambres littéraires sont une institution très répandue au XVIIIème siècle. La plus ancienne en Bretagne, est probablemente, la Chambre de Lecture de la Fosse, à Nantes, fondée en 1759, et dont les statuts serviront de modèle à plusieurs autres. La Chambre littéraire du Tiers, à Rennes, est fondée en 1774. Celle de Morlaix vit le jour en 1775.

Le principe en est excellent : mettre, dans un local, à la disposition d'un certain nombre de lecteurs éclairés, un ensemble de journaux et de publications, ainsi qu'une bibliothèque formée d'ouvrages choisis, rien de plus utile à l'époque si l'on tient compte des conditions d'existence de la presse. Le tirage des journaux était très limité, et les abonnés peu nombreux. L'accès d'une Chambre littéraire devenait une aubaine pour ces publications. C'est de là que proviendra. pour une part, la puissance de la nouvelle institution. Elle augmente ou restreint les abonnements suivant ses convenances ou plus simplement ses possibilités. De la sorte, elle propage ou arrête la circulation de certaines idées dans le pays. A Morlaix, ces mesures seront prises plusieurs fois.

Mais on ne manie pas impunément les idées : en cette fin du XVIIIème siècle, plus qu'à aucun autre moment. La vieille société française éprouvait un impérieux besoin de réformes. Notre bourgeoisie morlaisienne, enrichie par le négoce et l'armement, s'y emploie plus que toute autre, avec les moyens que lui donne sa situation prépondérante à l'Ouest de la province. La doctrine nouvelle de progrès social, élaborée dans les discussions de la Chambre de Littérature et de Politique et propagée dans les Chambres soeurs des environs, contribue à orienter l'opinion publique. Ce rôle devient plus visible aux approches de la Révolution, lorsqu'au mois de juin 1788, se constitue, en Bretagne, une Fédération des Comités de correspondance particulière, dont l'activité est maintenant connue grâce à la relation du comte de la Fruglaye, le gendre du grand La Chalotais, parlementaire décidé, châtelain de Keranroux, à la porte de Morlaix.

On a observé, en effet, que lorsque les consignes transmises par les Chambres ne parvenaient pas dans une localité, aucun mouvement ne se produisait. Par contre, la population était alertée lorsque la machine fonctionnait. On le constatera particulièrement lors des événements qui se produisirent à Rennes et dans la province, les années 1788 et 1789, et plus tard, jusque 1791, moment du déclin de l'influence des Chambres littéraires, qui furent remplacées par des clubs plus ardents, ailes marchantes de la Révolution jacobine.

Ce n'est point ici le lieu, dans cette trop courte esquisse, de décrire ces idées. Tout le courant philosophique du XVIIIème siècle est suffisamment connu. Qu'il nous soit permis cependant d'attirer l'attention sur ceux qui le canalisèrent, avec les sociétés de pensé, ainsi qu'on a dénommé les Chambres littéraires, sur ceux qui furent en réalité les maîtres du jeu et qui en firent la machine explosive qui hâta la fin de l'Ancien Régime. Les loges maçonniques, à côté et dans les Chambres littéraires, furent le laboratoire intellectuel où s'elabora la doctrine nouvelle empreinte d'un mysticisme cosmique, pleine de foi dans la raison, les sciences, le progrès et les forces sociales.

En 1789, plus de 600 loges régulièrement constituées fonctionnaient en France. Morlaix, pour sa part, en possédait quatre : La Fidèle Union, fondée en 1776 ; La Noble Amitié, fondée en 1776 ; L'Ecole des Moeurs, fondée en 1784 ; La Parfaite Egalité, fondée en 1789, où nous retrouvons plusieurs adhérents de la Chambre littéraire.

Mais il ne faut pas du tout donner à ces loges maçonniques, le sens péjoratif acquis depuis, grâce à nos dissensions politiques. A la fin de l'Ancien Régime, les plus grands seigneurs de France, à la suite du duc d'Orléans, sont vénérables des loges. Le clergé lui-même dirige 27 loges. Joseph de Maistre, on le sait, fut franc-maçon.

Après ce préambule qui ne vise qu'à replacer notre Chambre littéraire dans le climat de son époque, notons que notre vieille cité commerçante ne manquait pas, auparavant, de lieux de réunion où les esprits s'affinaient en de courtoises discussions.

Si l'on en croit Francis Gouin, qui publia, il y a près de cent ans, des « Recherches sur la Ville et Communauté de Morlaix », où il fait état de traditions orales qu'il tenait de son père :

« Grâce à ses nombreux couvents, la ville possédait des bibliothèques précieuses, où, depuis la Régence, arrivaient le Journal des Savants, le Mercure Galant, toutes les oeuvres philosophiques et littéraires du temps, où chacun venait deviser avec les moines, disserter dogmatiquement sur les jansénistes, la bulle Ugenitus, et, plus tard, sur le Contrat Social ».

Ces refuges de la libre discussion devaient paraître, à la longue, insuffisants. La fermentation des esprits était grande dans nos petites villes, à la veille de la Révolution, particulièrement à Morlaix, qui vit la tenue des Etats de Bretagne, en 1772, dans son église des Jacobins. Ce fut l'occasion de durs dissentiments entre les corps privilégiés de la Noblesse et du Clergé, et ceux de la bourgeoisie opulente de Morlaix, irritée par l'arrogance des « épées de fer », ainsi qu'on désignait la petite noblesse rurale.

Pour y mettre un terme, l'idée de créer un terrain neutre, où tout le monde pouvait se rencontrer, sans déchoir, germa dans quelques esprits. Et c'est ainsi qu'à l'exemple de bien d'autres villes, Morlaix eut sa « Chambre littéraire ».

La fondation.

Macé de Richebourg, négociant et maire, représentant le Tiers-Etat, le marquis de Coëtlosquet, habitant le Porsmeur (dont les fils devait périr à Quiberon) représentant la Noblesse, l'abbé de Pennamprat, archidiacre et grand vicaire, représentant l'Eglise, ainsi que les recteurs des trois paroisses, en prirent l'initiative, dans le courant de l'année 1778.

Lorsque les fondateurs se virent assurés d'un nombre assez considérable de souscripteurs — 88 environ — ils en firent imprimer la liste, dont un exemplaire fut envoyé à chacun des adhérents avec prière « de se trouver le jeudi 3 décembre 1778, à dix heures du matin, dans la grande salle de l'Hôtel de Ville ».

Le projet de règlement adopté, douze commissaires, choisis dans tous les ordres et états, furent nommés pour en surveiller l'application et « régler entre eux ce qu'il croiront le plus convenable pour le bon ordre, l'économie et le bien de la société ». (Article 10).

Ces premiers commissaires furent :

Dans l'Eglise : l'abbé de Pennamprat (49 voix) ; l'abbé Expilly recteur de St-Martin (26 voix) ;

Dans la Noblesse : le marquis de Coëtlosquet (47 voix) ; le chevalier de St-Gilles (35 voix) ; de Kerosven (23 voix) ; le vicomte de Dresnay (21 voix) ;

Dans la Judicature : Le Dissez, avocat (30 voix) ; Onfray de la Painnière, bailli (26 voix) ;

Dans le Tiers (commerce et finances) : Hamelin (28 voix) ; Bouestard de la Touche, médecin (21 voix) ; Beaumont (17 voix).

M. Beaumont fut nommé trésorier, et l'abbé de Pennamprat, l'abbé Expilly, Macé de Richebourg et Bouestard de la Touche, secrétaires.

M. de Richebourg fut prié, en sa qualité de maire, de soumettre cette première délibération à l'approbation des autorités compétentes, savoir : le marquis d'Aubeterre, commandant en Bretagne ; Caze de la Bove, intendant ; Raoul de Caradeuc, procureur général, et de solliciter l'autorisation d'établir, à Morlaix. une société littéraire sous la dénomination de : Chambre de Littérature et de Politique.

La municipalité, par délibération du 18 décembre 1778. accorda immédiatement à la nouvelle Chambre littéraire, pour ses réunions, deux salles dans l'Hôtel de Ville, qui formaient l'appartement occupé par la duchesse Fitz James pendant la tenue des Etats de Bretagne à Morlaix, en 1772. Une des salles était particulièrement consacrée aux réunions de politique.

L'approbation royale ne tarda pas. Le 31 décembre 1778, Amelot, Secrétaire d'Etat, s'exprimait ainsi : « S.M. a bien voulu donner son approbation à cette association... S.M. ne s'est portée à permettre ce nouvel établissement qu'autant qu'il pourra contribuer à entretenir l'union entre les habitants, à répandre des connaissances utiles et à former les bonnes mœurs… ».

Le procureur général, Raoul de Caradeuc, avait répondu au maire dans ces termes : « Je ne doute point que le Ministre n'autorise votre société littéraire dont l'établissement ne peut être que très utile aux progrès des sciences. Vous me trouverez toujours disposé à la favoriser de tout mon crédit ».

L'inauguration officielle de la Chambre de Littérature et de Politique eut lieu le dimanche 10 janvier 1779, à 8 heures du matin, dans la grande salle de l'Hôtel de Ville.

Les gazettes et journaux mis à la disposition des premiers sociétaires furent : La Gazette de France, Le Journal de Paris, Le Mercure de France, Le Journal du Commerce, La Gazette de Leyde, Le Courrier de l'Europe, Le Courrier d'Avignon, Les Affiches de Nantes, etc...

M. de Coëtlosquet fit don de l'Histoire de Bretagne, en 5 volumes. L'abbé de Pennamprat, du Dictionnaire de Moreri, en 10 volumes. L'abbé Expilly, de l'Institution Oratoire, de Quintillien. M. Macé de Richebourg, des œuvres de Plutarque.

L'assemblée générale du 15 suivant admit le comte de Guichen, qui devait finir ses jours, quelques années plus tard, en 1790, à Morlaix, dans sa maison des Lances. En raison de ses qualités de Commandant de la Marine, à Brest, et de l'armée navale de l'Amérique, il fut d'office compris au nombre des commissaires pour l'exercice 1780. La chevalier de Cadeville le représentait à la Chambre.

Au début de cette année 1780, la Chambre littéraire comptait 112 abonnés. Les recettes étaient de 3.700 livres. On supprima cependant l'abonnement aux publications : La Gazette des Deux Provinces, Le Courrier d'Avignon, Le Journal du Commerce, Les Affiches de Nantes.

Affaire de l'Encyclopédie.

Vint l'affaire de l'Encyclopédie qui suscita une grosse émotion.

Le 20 juillet 1780, les 33 volumes de l'Encyclopédie furent installés dans la bibliothèque, à la satisfaction de tous, sembla-t-il. Mais, à l'assemblée de décembre, la Chambre fut avisée qu'une dénonciation avait été envoyée à Rennes, et de là à Versailles, à propos de cet achat. Une lettre adressée immédiatement au Ministre-Secrétaire d'Etat, demandant s'il fallait conserver ou rejeter l'acquisition, est signée des commissaires Boudin de Tromelin, prévôt du Mur, vicaire général, Le Roux, chanoine du Mur, de Pennelé, de Kersauson-Vieux-Châtel, de la Masse Chrétien, Drillet de Lanigou, Le Dal de Quéréon, etc.

Sans se prononcer sur le fond du débat, le Ministre répondit, le 7 février 1781, que, « pour cet achat, l'on s'est écarté de l'article 10 du règlement qui prescrit de s'en rapporter, pour les acquisitions, à l'avis des commissaires, et non à la pluralité des voix ». Il fallait donc se défaire de tous les livres qui n'auront pas été achetés dans ces conditions.

Les commissaires prirent, le 19 février suivant, une délibération dans laquelle ils expliquèrent que tout est approuvé dans la bibliothèque par les pères de famille, et qu'au surplus, l'édition de l'Encyclopédie acquise par la Chambre sort des ateliers de Le Breton, imprimeur ordinaire du Roi, avec approbation et privilège de Sa Majesté, et que cet ouvrage se trouve dans toutes les Chambres littéraires de la province.

Cette délibération passait sous silence le fait que l'Encyclopédie avait été suspendue par arrêt du Conseil le 7 février 1752, et condamnée par l'Assemblée du Clergé en août 1765, ce que les commissaires ne pouvaient ignorer. En réalité, l'Encyclopédie réflétait trop bien les doctrines dont s'inspiraient les dirigeants de la Chambre. A la séance du Bureau du 13 juillet 1780, les commissaires présents étaient au nombre de 19, dont 2 ecclésiastiques, 7 votèrent pour, et 3 contre. On aurait pu s'en tenir là. L'article 10 n'exigeait, en aucun cas, l'unanimité des suffrages : il y était dit que les commissaires, seuls, devaient choisir les livres, les gazettes et les journaux qu'ils jugeraient les plus convenables. Mais l'un des ecclésiastiques opposants ayant demandé que l'on consultât tous les abonnés, par la voie du scrutin, on eut la faiblesse de déférer à son sentiment. La décision définitive fut alors prise à l'assemblée générale du 20 juillet 1780. A une grande majorité, on prit la résolution d'acheter l'Encyclopédie. Les deux ecclésiastiques et le laïc qui avait voté comme eux protestèrent en sortant immédiatement de la salle, sans vouloir signer la délibération.

La réponse du Ministre Amelot, à la lettre des commissaires du 19 février 1781, vint le 14 avril suivant, définitive et sans appel. Il ordonnait de retirer incessamment le Dictionnaire Encyclopédique de la Chambre de lecture, et prescrivait qu'à l'avenir, les commissaires, pour l'acquisition des livres, devraient être pris en égal nombre dans les trois ordres dont l'association est composée.

C'est ainsi que, le jour suivant, l'Encyclopédie fut retirée de la bibliothèque de la Chambre et déposée chez M. Bougeant de Lavilleauclerc, secrétaire-trésorier.

On chercha à combler le vide produit par la disparition de ce gros et important ouvrage en achetant, l'année suivante, une autre Encyclopédie méthodique que l'on paya 1.200 livres, les œuvres de Buffon, payées 800 livres, l'Histoire de Bretagne par dom Morice, le Dictionnaire de Furetière, et l'Histoire Universelle, de Bossuet.

Toutes ces dépenses étaient lourdes à supporter pour le budget de la Chambre. Aussi, les commissaires cherchèrent à vendre, pour 600 livres, au lieu de 800, prix coûtant, les 33 volumes de l'Encyclopédie condamnée. Il ne se présenta pas d'acheteur. Les circonstances n'étaient pas propices. Une loterie resta également sans effet.

L'Encyclopédie attendra les événements de 1789 pour réintégrer la bibliothèque de la Chambre.

Polémiques et discussions.

Les années qui suivirent furent une période où les passions politiques s'exacerbèrent. La bonne harmonie qui existait à la Chambre allait s'en ressentir.

Le 10 mai 1788, le comte de Thiard, commandant en chef de la province de Bretagne, avait transmis au Parlement de Rennes des ordonnances du Roi, modifiant et réduisant son rôle. Le Parlement fut dissous par la force. La population, alertée par les meneurs, résiste. C'est là que se distingue, pour la première fois, notre jeune compatriote, Victor Moreau, à la tête de ses camarades de l'Ecole de Droit. L'agitation gagne la province, par le canal des sociétés, qui transmettent aux villes, les circulaires de la Commission intermédiaire, le Mémoire de la Noblesse contre les Ministres, les circulaires de la Commission de Correspondance de Nantes, etc., pour les amener à s'associer à la protestation qu'elles formulaient près du Roi.

Il existait cependant de l'opposition. Deux diocèses entiers, Quimper et Tréguier, ne partageaient pas les vues des patriotes rennais. Aussi, le procureur général-syndic des Etats, M. de Botherel, fut délégué pour convertir les dissidents.

A Morlaix, les sentiments étaient partagés.

La municipalité se trouvait discutée, même à la Chambre littéraire, qu'elle avait pourtant contribué à fonder. La Maison de Ville était au pouvoir de trois ou quatre familles de négociants en gros, de par les règlements royaux, en tout cas, hors de l'influence directe des sociétés. Les opposants avaient colporté, de maison en maison, un mémoire, signé de 130 noms, diffamatoire contre la Communauté de Ville. Ces querelles allaient avoir leur répercussion à la Chambre littéraire, et également à la Mairie, ainsi qu'en témoigne cette délibération du corps de ville du 7 juin 1788 :

« Asemblée de MM. le Maire, Echevins, Jurats et Officiers municipaux de la ville et communauté de Morlaix, tenue en la salle de l'Hôtel de Ville à la manière accoutumée, après la semonce des hérauts et où a présidé M. Béhic, chef et premier de la ville. Présents et délibérants MM. Dubernad, Rannou, échevins, Beaujeune, Jean Diot, Dessaux, Barrère l'aîné, Macé de Richebourg, Resguen, Le Denmat et Beaumont absent.

« M. le Maire remontre qu'il trahirait les devoirs de sa charge, s'il laissait ignorer les excès auxquels le sieur Barazer de Lannurien s'est porté, le 7 de ce mois. Cet avocat, non content d'avoir apostrophé publiquement, dans la Chambre littéraire, deux membres de la communauté et d'avoir, en leurs personnes, proféré contre elle les injures les plus atroces, s'est écarté au point d'aller dans la salle d'audience du Consulat et d'enlever le nom de son aïeul du tableau où sont inscrits les noms de tous ceux qui ont exercé la charge de Maire dans cette ville.

Si la communauté porte des plaintes des calomnies, des propos injurieux et de la voie de fait du sieur de Lannurien, la chose peut devenir sérieuse à son égard, et. d'un autre côté, comme on cherche de toutes parts à noircir ladite communauté par toute sorte de moyens, jusqu'à vouloir insinuer, contre toute vérité, qu'elle est indifférente sur les intérêts, droits et privilèges de la province, il est bien possible que, dans ce moment de crise, la punition qui serait infligée à cet avocat en fit un homme important dans les esprits prévenus contre ladite communauté, sur quoi il a recours à sa sagesse et requiert délibération.

La communauté a décerné acte de la remontrance, et résolue de soutenir, autant qu'il peut être en son pouvoir, tous et chacun des droits, privilèges et libertés de la province, et en particulier ceux de cette ville, avec fermeté, mais en même temps avec décence, lorsque le temps et le lieu lui en donneront l'occasion légale, est d'avis de ne faire aucun cas des propos injurieux que la malignité et l'effervescence tiennent sur son compte, et, en ce qui regarde ledit sieur Barazer de Lannurien, en particulier, réduite à l'alternative ou de porter contre lui des plaintes en Cour, ce qui pourrait lui attirer une affaire disgracieuse, ou de vouer au mépris ses insultes et sa voie de fait, ladite communauté, délibérant, est d'avis, pour cette fois, de prendre le dernier parti comme le plus conforme à l'esprit de modération, dont on ne doit jamais s'écarter, et moins dans les circonstances actuelles ».

M. de Botherel arriva à Morlaix, le 10 août 1788, après ces incidents. L'accueil de la municipalité fut plutôt froid, comme on le devine. La Chambre littéraire, dont on suivait la politique, s'efforça, par son accueil, de pallier à cet échec, en ménageant à M. de Botherel une réception plus encourageante près des juges royaux.

La noblesse de Bretagne délégua, à ce moment, douze de ses membres, pour porter ses doléances à la Cour, avec à leur tête M. de la Fruglaye, ancien commissaire de la Chambre. La députation fut enfermée à la Bastille par ordre du Roi, et ne fut rendue à la liberté qu'au changement de ministère, à l'arrivée de M. Necker au pouvoir. Les patriotes rennais s'employèrent aussitôt à préparer l'explosion de l'esprit public. Circulaires et correspondances parvinrent aux sociétés. A Morlaix, où la Société littéraire était logée à l'Hôtel de Ville, elle prend, le 16 septembre 1788, la direction de la manifestation, d'accord cette fois avec la municipalité. Il y eut illuminations et feu de joie sur la grande place.

Lorsque, plus tard, M. de la Fruglaye fut de retour à Morlaix, le corps de ville, le président du commerce, les anciens prieurs, les consuls et les négociants se rendirent à son hôtel « afin de porter à ce citoyen respectable, qui avait souffert pour la patrie, un témoignage plus complet de l'estime publique ».

Les esprits restent cependant divisés.

Ces mêmes jours, où l'on illuminait, le maire, Béhic, écrivait le 17 septembre à l'Intendant de Bretagne : « Je ne dois pas vous dissimuler, Monseigneur, que, privatement et collectivement, la Communauté se trouve menacée de tout ce qui peut l'affecter davantage... et qu'enfin, le crime de n'avoir pas adhéré aux protestations du grand nombre paraît irrémissible en ces jours de vengeance ». Un des échevins, Mazurier de Pennanech — plus tard député aux Etats Généraux — eut tous ses carreaux cassés, dans son immeuble du quai de Léon.

Enfin, l'année suivante, aux élections de la sénéchaussée, sur 12 électeurs de Morlaix désignés, il n'y a que 2 officiers municipaux, contre 6 membres de la Chambre littéraire : Hamelin, Dubernard, Rannou, Janin, Le Hénaff, Duquesne, et enfin Bouestard de la Touche, Vénérable de l'Ecole des Mœurs depuis 1784, et boute-en-train des Patriotes pendant les années qui vont suivre.

L'influence se déplace.

Le 30 janvier 1789, la Chambre tint une séance extraordinaire, au cours de laquelle 41 membres demandent que les commissaires pris dans la Judicature ne fussent plus distingués de ceux du Tiers, comme ils l'avaient été jusque là. Le Bureau inclinait à rejeter cette pétition. Il finit, après une longue et orageuse discussion, à y faire droit, grâce aux instances de MM. Le Brigant, Le Gall et Le Denmat-Kervern, tous trois commissaires de la Judicature. De ce jour, la noblesse de robe cessa de faire une classe à part dans la Chambre littéraire. Elle y fut confondue avec le Tiers.

Pendant la Révolution.

Mais ce rôle d'animatrice, la Chambre de Littérature et de Politique n'allait plus le conserver longtemps. Les idées qu'elle avait, pour sa part, contribué à propager, entraient dans l'ère des réalisations. La Révolution devenait un fait. Des organes, mieux appropriés à ce nouvel office, se créaient pour la soutenir. Ce furent les clubs, plus en contact avec les classes populaires.

A Morlaix, il s'en créa deux, celui des « Amis de la Constitution », qui s'appuyait sur la bourgeoisie, et resta, en grande partie, secrètement girondin, même quand il fut dangereux de l'être, et l'autre, composé d'ouvriers, dit le « Comité des Douze », s'appuyant sur le peuple, et présidé par un cordonnier de la ville. Le premier tenait ses réunions dans la salle de l'ancienne Comédie, et le second, dans une maison de la rue St-Melaine.

L'influence encore se déplaçait.

En 1791, la Chambre décline visiblement. Les abonnés diminuent. On décide qu'il n'y aura plus que 8 commissaires et 4 journaux. Le concierge, lui-même, eut son indemnité diminuée de 400 à 200 livres.

L'année 1792 vit la fin. Le 18 mai 1792. la municipalité retire à la Chambre les locaux qu'elle occupait à l'Hôtel de Ville, depuis sa fondation.

En vain, une demande de sursis fut introduite par les commissaires. Un nouvel arrêté municipal confirmait le précédent, accusant « la Chambre d'entretenir la désunion entre les citoyens, en perpétuant des distinctions qui peuvent porter ombrage au peuple ». Les scellés furent apposés le 17 septembre 1792.

Le prétexte fut l'agitation produite par la lecture publique des journaux tels que le Moniteur qui se faisait dans la bibliothèque. Chaque jour, à l'arrivée du courrier, des groupes de citoyens se formaient sur la place, devant l'Hôtel de Ville, pour recueillir les nouvelles. Il va de soi qu'il n'y avait pas unanimité dans les commentaires. D'où discussions passionnées. C'est pour couper court à cette fermentation dangereuse que la municipalité crut politique de fermer la Chambre littéraire.

L'exode aux Lances.

Les membres composant la Chambre cherchèrent un autre lieu, moins public, pour tenir leurs réunions. Ils louèrent le 2° étage d'une maison sous les Lances, et réussirent, en 1793, à obtenir de la municipalité le mobilier et les livres leur appartenant. Les comptes arrêtés au 1er décembre 1793 indiquaient une situation qui n'était point désespérée. En recettes, 3.288 livres sous 6 deniers ; en dépenses, 2.781 livres 9 sous, ce qui laissait un solde de 506 livres 15 sous et 6 deniers, malheureusement en assignats. MM. Moreau et Le Denmat-Kervern furent choisis pour réviser le règlement.

Réorganisée le 23 Nivôse, an V, la Chambre de Littérature et de Politique ne s'appellera désormais que Chambre littéraire, ainsi que le prescrivait le nouveau règlement. Le vocable « politique » allait disparaître, comme la chose, elle-même, pendant plusieurs années.

Parmi les abonnements de cette époque, on note : Le Moniteur, Le Journal du Commerce, Les Nouvelles Politiques et Etrangères, La Clef du Cabinet des Souverains, Le Journal des Hommes Libres et Le Journal des Départements de l'Ouest, imprimé à Rennes.

La Chambre servait surtout, à ce moment, de Bourse de Commerce aux négociants et aux armateurs de Morlaix. C'est, du moins, la raison qu'ils donnèrent au Ministre pour décliner sa proposition de fonder une Chambre de Commerce. Ces bourgeois ne restaient pas, toutefois, sans préoccupations intellectuelles. Nos aïeux surent allier souvent la culture de l'esprit avec la pratique des affaires. Bien des inventaires du temps en témoignent. C'est ainsi, lorsque l'occasion leur en fut offerte, qu'ils firent avec empressement, en 1799, l'acquisition, pour la Chambre littéraire, de 822 volumes. provenant du couvent des Jacobins.

Cette même année, le 21 mars, la Société Littéraire, en corps, assiste à la fête de la Souveraineté du Peuple, où Bouestard de la Touche prononce un discours sur l'excellence de la Loi.

Peu après la mort de La Tour d'Auvergne, sur l'invitation du Préfet du Finistère, la Chambre littéraire vota, en août 1800, une somme de 120 francs pour sa quote-part à l'érection d'un mounment funéraire à la mémoire du Premier Grenadier de France.

Les événements politiques qui suivirent ne sont guère relatés. Cependant, le procès intenté injustement à leur glorieux compatriote Moreau par Bonaparte, à l'instigation de Fouché, soulève des commentaires passionnés dans la Chambre, qui devint, pour une fois encore, Chambre de Littérature et de Politique. Les Pouvoirs publics rappelèrent la Chambre au respect du règlement qui, par son article 17, interdisait toute discussion politique.

De l'Hôtel de Ville à la place de Viarme.

En 1804, la location de la maison des Lances, à 300 livres par an, n'ayant pu être continué, le maire, Philippe Delleville, offrit un local dans les mansardes de l'Hôtel de Ville. La Chambre y resta jusque 1821. Elle eut, à ce moment, le désir bien légitime de posséder un local à elle. On réunit par actions un capital de 32.500 francs — remboursé ensuite par souscription en 1830 — qui lui permit d'édifier l'hôtel actuel de la place de Viarme.

L'Histoire des origines s'arrête là. Je ne voudrais pas terminer cependant ce trop rapide exposé, sans évoquer une dernière manifestation politique, où les notables morlaisiens de la Chambre se distinguèrent.

En 1848, sur 15 représentants du Finistère à l'Assemblée Nationale, trois appartenaient à la Chambre littéraire : Gillart de Keranflech, James Mège et Découvrant, maire de Morlaix.

Enfin, lorsque les gardes nationales de la province durent ensuite partir à Paris, en juin 1848, appelées par l'Assemblée Nationale en péril, dans le groupe morlaisien, on comptait 17 membres de la Chambre littéraire :

Simon Lefebvre, capitaine, Alexandre Charles, Daniellou Auguste, de Guernisac Louis, Homon Ernest, de Kerautern Alfred, de Penguern, de Pennelé Camille, de St-Prix Jean, de St-Prix Charles, Desloges fils, Guyet de la Villeneuve, Le Bozec Charles, Le Denmat-Kervern, Le Febvre Théodore, Docteur Le Stir, Rendu Auguste.

En résumé, et comme conclusion, il ne semble pas que la Chambre littéraire de Morlaix ait failli à la pensée de ses fondateurs et du monarque débonnaire qui les approuva. Elle a contribué à la formation de cet esprit de bienveillante tolérance qui distingue la ville de Morlaix.

Jean Marzin.

SOURCES. — Archives de la Chambre Littéraire, du Conseil Municipal et de la Chambre de Commerce de Morlaix.
ALLIER. — « Morlaix pendant la Révolution » (Bulletin de la Société d'Etudes Scientifiques du Finistère, 1882 à 1885).
Augustin COCHIN. — « Les Sociétés de Pensée et la Révolution en Bretagne » (1788-1789). 2 volumes, Paris Champion, 1925.
Bernard FAY, professeur au Collège de France. — « La Franc-Maçonnerie et la Révolution intellectuelle du XVIIIème siècle ». Paris 1935.
A REBILLON. — « Les Etats de Bretagne de 1661 à 1789 ». Rennes, 1932.

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