Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

Les armateurs morlaisiens et la guerre de course

  Retour page d'accueil       Retour page "Ville de Morlaix"  

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

La vie économique de Morlaix a été extrêmement riche et variée, au cours des siècles. Marchands et fabricants de toiles, de draps, papetiers, libraires, orfèvres ; bâtisseurs de maisons et constructeurs de navires, sculpteurs, architectes, négociants, banquiers, tous les métiers, tous les négoces ont eu leurs représentants dans notre ville. Elle fut de bonne heure un centre commercial très important de la Bretagne, en raison de sa situation géographique privilégiée, à l'extrémité de la province, au fond d'un havre sûr, profond et sinueux, près d'une rivière que la mer rend navigable jusqu'à deux lieues de son embouchure. Aux époques où la circulation par routes était difficile, les ports furent les lieux de grande transaction, où la vie économique devint particulièrement intense.

Je ne peux avoir la prétention de vous donner une idée de toute cette activité économique. Il faut me borner à vous exposer le principal, ce qui, pour moi, a été la condition du reste : le commerce maritime, pratiqué par les armateurs morlaisiens, avec son complément la guerre de course, qui fut l'occasion de multiples transactions dans la région de Morlaix.

La ville avait été, dès le Moyen-Age, le plus important des ports de Basse-Bretagne. Au XVème siècle, un écrivain [Note : Fragment d'un éloge de la Bretagne à la fin du XVème siècle (Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, 1888)] la qualifiait « nominatissimum omnium terrarum, emporium » (marché le plus renommé de la terre) et vantait, non sans éloquence, les beaux bois qui entourent la ville, les méandres formés par la rivière, les rochers qui protègent l'entrée de la rade. A cette époque une partie des vaisseaux qui composaient les flottes ducales était armée à Morlaix.

La Bourgeoisie morlaisienne.

Sans doute, il ne se forma jamais, ni à Morlaix, pas plus qu'en aucune autre ville de Bretagne, une aristocratie vouée héréditairement au commerce, comme celle qui existait à Venise et en certaines villes des flandres ; un écrivain nantais remarquait au XVIIIème siècle qu'aucune des grandes maisons de commerce de Nantes ne s'était continuée jusqu'à la troisième génération, et un Malouin notait à la même époque que Saint-Malo était une escale qui permettait à quelques familles de s'enrichir, et que ces familles quittaient le ville, aussitôt fortune faite [Note : Mémoire Société Ac. de Nantes (1854. p 103)]. La situation était la même à Morlaix. Les familles nobles, de cette ville et des paroisses voisines ne « s'entremirent au faict de marchandises, » que lorqu'elles y furent contraintes par la nécessité, et dès qu'elles eurent réparé les brêches de leur fortune, elles s'empressèrent d'acheter des charges militaires ou judiciaires et de vivre noblement. La liste des juges du Consulat (ancien Tribunal de Commerce) permet de constater que nulle famille, sauf peut-être celle des Barazer, ne fournit plus de trois générations de marchands. A partir de la fin du XVIIème siècle, une très malheureuse recrudescence du sentiment nobiliaire fit considérer le fait même d'avoir compté parmi ses ascendants quelques négociants comme une présomption de roture : on contesta par exemple aux Le Blonsart de Kervézec, certaines prééminences dans l'église de Garlan, parce que plusieurs Le Blonsart avaient été marchands à Morlaix. En raison de cet éloignement de la noblesse et de la bourgeoisie riche pour le commerce, la place de Morlaix fut fréquemment accaparée par les étrangers, surtout au XVIIIème siècle.

La famille Boudin de Longpré, Tromelin, était venue de Valognes, en Normandie ; S. M. Couhitte était né à Sainte-Croix d'Oléron ; les Crainsboug étaient irlandais ainsi que les Bulter, les Crupennynck et les Walsh ; G. Daumesnil, né à Caen, appartenait à une famille noble du Bessin ; les Derm étaient d'origine italienne, ainsi que les Borgnis-Desbordes ; Dubernad, le premier président du Tribunal de Commerce, né à Bayonne. habita Séville. avant de venir se fixer à Morlaix. Les Gratien étaient bourguignons ; les Barrère, gascons ; les Janage, berrichons ; Pierre Legris du Val était fils d'un marchand du diocèse de Lisieux. Les Jogues venaient d'Espagne ; Lannux, de l'Angoumois, Michau de Montaran, de Paris ; Pitot. de Normandie ; Saulnier de Cugnon venait du Luxembourg.

Il ne faudrait cependant pas en conclure que les Bretons négligèrent complètement le trafic et le grand négoce. Il faut tenir compte des époques : au XVIème siècle, par exemple, l'empressement des gentilshommes de Bretagne à se livrer au commerce maritime paraît avoir été grand. Au cours de cette étude, j'aurai l'occasion de vous signaler bien des armateurs et corsaires originaires du pays. Dans la région morlaisienne, le goût du commerce fut toujours vif. Déjà au Moyen-Age, nous voyons les pouvoirs publics se préoccuper de la désertion des campagnes au profit des villes. Une ordonnance du duc Jean V (1425) tenta d'y porter remède, en réglementant le commerce et en fixant le prix de la main-d’œuvre. Plus tard, le même courant d'expansion se maintint vers la ville, Les jeunes gens des campagnes voisines continuent à y venir apprendre le négoce : en 1653, par exemple, Yves Marrec, de Plouigneau, plaçait son fils, chez Pierre Etemble, marchand de drap et soie, qui s'engageait par devant notaire à lui apprendre le commerce pendant deux ans. La même année, A. Le Quiniat, « escrivain et arithméticien », promettait d'instruire Kersaudy pour 40 livres, et Alexandre Bourdon pour 120. D'autre part, les jeunes Morlaisiens prenaient place à bord des navires de leurs parents et accomplissaient des croisières, pas toujours pacifiques.

La guerre de course.

C'est ici qu'il nous faut entrer dans une particularité de la vie de nos ancêtres.

Lorsqu'une guerre éclatait avec une nation rivale, on armait pour la guerre de course, en vertu de ce principe qu'en temps de guerre, la propriété privée des sujets de la nation ennemie était confiscable au profit du souverain, lequel déléguait ce droit par un acte appelé « commission » à un armateur ou à un capitaine, qui pouvait ainsi saisir les navires appartenant à l'Etat ennemi.

Mieux encore : même en temps de paix, des « lettres de marque » étaient délivrée aux Français qui ayant subi des dommages de la part d'étrangers, n'obtenaient réparation, ni par la voie judiciaire, ni par la voie diplomatique. Le navire muni de lettres de marque saisissait les navires et les biens de l'ennemi, jusqu'à ce qu'il fût en possession de marchandises représentant la valeur de sa créance.

Morlaix fut, de tout temps, un nid de corsaires. Pendant les guerres que le duché soutint au Moyen-Age, soit avec la France, soit avec l'Angleterre la ville fournit son contingent d'intrépides capitaines, qui firent de fructueuses courses, dans la Manche, particulièrement sur l'Anglais.

Les premiers Corsaires : les Coëtanlem.

Les rares documents de l'époque ne permettent pas, malheureusement, d'avoir une vue d'ensemble suffisamment complète.

Il nous faut arriver à la fin du XVème siècle, au grand armateur et corsaire morlaisien, Jean Coëtanlem, pour trouver une figure vraiment représentative de la guerre de course.

Il appartenait à la roblesse du pays d'ancienne extraction. Ses exploits furent nombreux. En 1484, il vendit tous ses biens, équipa une petite escadre, montée par des marins du pays, avec lesquels il se mit à courir la Manche et l'Océan. Sans s'effrayer du nombre et de la force des ennemis, il attaquait les navires commerçants de toutes les nations qu'il rencontrait, mais de préférence les Anglais, sur lesquels il fit des prises nombreuses et importantes. Les Espagnols et les Flamands lui payèrent aussi tribut. Il fut surnommé « le roi de la mer » par ses contemporains, parce qu'il n avait « trouvé oncques en la mer son plus puissant, ni son supérieur ».

Un de ses navires portait le nom significatif de la « Cuiller » qui rappelle l'expression « écumeur de mer ».

C'est vers cette époque, en 1484, que les Anglais, lassés d'être battus et pillés par Jean Coëtanlem, préparèrent une expédition contre lui. Ayant armé trois grands navires, dont l'un, La Trinité jaugeait 500 tonneaux, ils firent ensuite procession à Bristol, après avoir entendu la messe à l'autel St-Georges, pour demander à Dieu la grâce de rencontrer Coëtanlem. Cette grâce ils l'obtinrent, en effet, mais pour leur perdition ; car, bien que les Anglais fussent cinq contre un, le marin breton prit leurs vaisseaux à l'abordage, entra dans le port de Bristol, mit le feu à la ville et amena les principaux habitants.

Ce coup de main un peu rude eut des répercussions fâcheuses pour Coëtanlem. Le duc François II ayant en ce moment des raisons de ménager l'Angleterre et l'Espagne, qui le pressaient de sévir contre les coupables, favorisa le départ de Coëlanlem qui se retira au Portugal avec ses navires et ses marins. Là, une nouvelle fortune l'attendait. Le roi du Portugal lui fit le meilleur accueil et lui confia le commandement de sa flotte avec le titre de grand amiral du Portugal. Il lui donna aussi un beau palais, où notre corsaire mourut à une époque inconnue, entourée de ses fidèles marins bretons. Revenus plus tard dans leur pays, nos compatriotes racontèrent les prouesses de leur capitaine et les merveilles de son palais de Lisbonne, en composèrent des histoires et aussi des contes qui défrayèrent longtemps les conversations et les récits du coin du feu, dans les longues veillées d'hiver.

Jean Coëtanlem avait un neveu : Nicolas, qui fut son associé et qui devint son successeur dans la fructueuse guerre de course qui l'enrichit, au point de le rendre un des hommes les plus opulents de son temps.

Ce n'était pas seulement un homme de guerre : très cultivé. il écrivait aussi bien en anglais qu'en latin. Ses relations commerciales étaient d'ailleurs extrêmement étendues : avec Bordeaux, d'où il tirait du vin ; avec l'Espagne, où il expédiait des toiles de Bretagne, et avec l'Angleterre qu'il approvisionnait de vins et de sel et d'où il rapportait du charbon. Il fut l'un des organisateurs de l'expédition dirigée contre l'île de Mitylène.

Mais son nom est surtout associé à la construction du vaisseau La Cordelière, dont la fin tragique a été célébrée par un chant de Botrel.

C'esit en 1500 que le roi Louis XII et la reine Anne de Bretagne confièrent à Nicolas Coëtanlem le soin de construire, dans l'anse du Dourduff, d'armer et d'approvisionner la caraque La Cordelière, destinée à faire partie d'une flotte qui fut, plus tard, dirigée contre les Turcs.

La conduite, l'armement et l’approxivisonnement de La Cordelière coûtèrent à Nicolas Coëtanlem 10 000 livres d'or, suivant les uns, 15 000 écus d'or, suivant les autres, somme énorme pour le temps, et qui ne lui fut jamais remboursée. Cette perte ne le ruina pas, comme en témoigne son testament.

La Cordelière périt, en 1512, au large de St-Mathieu, dans un combat livré contre la flotte anglaise. La Cordelière ayant pris feu, son capitaine, Hervé Porsmogucr ou Primauguet, plutôt que de couler seul, s'accrocha au vaisseau anglais La Régente. Et tous deux s'ensevelirent dans les flots.

A la fin de ses jours, en 1518 Nicolas Coëtanlem. habitant alors le manoir de Penanru, en Ploujean (plus tard illustre par le premier de nos grands coloniaux : Dupleix), « considérant son vieil âge, la faiblesse de son corps et qu'il n'y a chose plus certaine que la mort, ni plus incertaine que l'heure d'icelle ». écrivit ses dernières volontés en un testament d'une longueur inusitée, puisque l'une des copies, conservée aux Archives de Quimper, écrite sur un beau rouleau de parchemin, mesure 5 m. 1/2 de long sur 35 cm. de large. L'Hôpital de Morlaix, qui bénéficia de ses legs, conserve également une copie sur parchemin. Le Bulletin de notre Société d'Etudes l'a reproduite en 1885.

Ce testament est curieux par la multiplicité des dons, qui dénote une très grande fortune, et par leur variété, qui donne une idée de l'étendue des relations et du commerce de Nicolas Coëtanlem.

Nicolas Coëtanlem mourut en 1519 et fut enterré à l'église des Jacobins, l'actuel Musée de Morlaix.

C'est peu après son décès que se place l'épisode du sac de Morlaix par les Anglais, en 1522. Au début de juillet de cette année, une flotte anglaise, forte de 60 navires, croisait sur les côtes de Bretagne. Ayant appris par leurs espions que les marchands morlaisiens se trouvaient à la foire de Noyal, prés de Pontivy, et que les gentilshommes du pays participaient à une montre, à Guingamp, les Anglais débarquèrent en rade de Morlaix, le 3 juillet, vers 10 heures du matin, et s'avancèrent vers la ville, précédés d'éclaireurs déguisés en marchands, et connus des bourgeois de Morlaix. La ville fut prise et pillée, malgré la résistance de quelques-uns, tel le recteur de Ploujean qui leva le pont-levis de la porte Notre-Dame, et trouva la mort dans l’echauffourée. Une femme de chambre leva une trappe dans une maison de la Grand-Rue, où se précipitèrent 80 Anglais, dont la plupart se tuèrent. Les gentilshommes, prévenus, revinrent de Guingamp et surprirent 600 pillards au bois du Styvel, au lieu dénommé depuis « Fontaine-aux-Anglais ».

Sous la garde du « Taureau ».

Les Morlaisiens, qui, en ce temps-là, s'entendaient fort bien, s'entremirent pour fortifier leur rade, afin d'être désormais à l'abri d'une surprise aussi désastreuse. Pendant plusieurs années, ils s'astreignirent à monter la garde au lieu dit La Lande, en Carantec et à Barnénez, en Plouézoc'h, puis ils firent édifier (1543 à 1552), à leurs frais, une forteresse sur le rocher dit « Le Taureau ». La ville acquit ainsi une grande sécurité pour le commerce d'exportation auquel se livraient ses principaux habitants.

Il en résulta une grande prospérité économique. La plupart des habitants de Morlaix étaient marchands et engageaient toute leur fortune dans le commerce. Leur dédain pour les procédés qu'employaient ailleurs la petite bourgeoisie pour faire fructifier ses capitaux se reflète dans l'inscription en beaux caractères gothiques que vous pouvez lire, en banderole, à la base de la tour de St-Mathieu. commencée en 1545, et où l'on peut trouver une condamnation du prêt à intérêt :

« Proprio qui servit juste petit, œqua labori
Et simul e proprio mutuat et repent »
.

C'est à cette époque que furent construites toutes les charmantes églises et chapelles qui font la gloire du Léon, les églises et les nombreux couvents de Morlaix et les curieuses maisons « à lanterne », d'une construction si originale, qui donnèrent longtemps à la ville un aspect si pittoresque.

Nouveaux riches du XVIème siècle.

L'or et l'argent apportés du Nouveau-Monde jouèrent aussi leur rôle. Le XVIème siècle connut une inflation monétaire qui produisit les mêmes phénomènes que de nos jours. J'ai pu en suivre l'influence dans les comptes de notre établissement hospitalier qui remontent d'une façon presque ininterrompue jusque 1559. Le coût de la main-d'œuvre, particulièrement facile à constater, était encore, dans la première moitié du XVIème siècle, au taux fixé cent ans auparavant par le duc Jean V : 20 deniers la journée d'un charpentier. Quelques années plus tard, il fallait multiplier ce chiffre par 5 et 6. Tous les prix subirent une progression analogue. Et, comme il arrive toujours, en temps de crise économique, beaucoup s'enrichirent très rapidement. Le XVIème siècle eut aussi ses « nouveaux riches ». Mais ceux-ci, à la différence de bien d'autres, surent employer intelligemment leur fortune. Nous leur devons en grande partie tous ces petits manoirs, parure de notre Montroulésis, qui furent leurs « maisons des champs ».

Dans la paroisse de Ploujean. sur les bords pittoresques de la riviere de Morlaix et du Dourduff, se trouvaient : Penanru aux Coetanlem, puis aux Bonnemetz ; Coatserho, aux Boudin ; Kerochiou, aux Orien de Runjou, puis aux Le Levyer ; Kermoal aux Allouin ; Penlan aux Villart ; Suciniou, aux Bellin de la Furtays, d'Alençon et Chrétien de la Mare ; Kérédern et Cosquérou, aux Denis ; Kerozach, aux Quintin et Guilloutou ; Coatcongar, aux Nouël et aux Calloët ; Launay, aux Blanchard, aux Boudin et aux Marzin ; Coatamour, aux Quintin et aux Oriot.

Un peu plus loin, dans la paroisse de Plouézoc'h : les Bernard de Basseville furent seigneurs de Kerfénéfas ; les de Leau, libraires, châtelains de Kersaec'h ; les Allain de la Mare, du Rest ; les Ferrière de Bussé, de Kernoter ; les Nouël, de Kervern, en Guimaëc ; les Tournemouche et les Jégou, du Bodou ; les Le Maigre, de Kernec'h-Hueder ; les Nouël et les Le Chaussec, de Kerrest, en Lanmeur.

Les Le Blonsart habitèrent le Bois de la Roche et Kertanguy ; les Costes et les Le Minihy, Rascoët ; les Rolland, les Guillotou et les Balavesne, Kervézec, en Garlan ; les Noblet, Penanguer, en Plougonven ; les Pinart, le Val ; les Le Manant, Pénanvern ; les Kermerchou, Guillouzou et les Nouël, Kerguz, dans la paroisse de Plourin.

Morlaix, ville ligueuse.

Les guerres de religion allaient bouleverser cette prospérité générale.

Sans doute on reprit la guerre de courses, pour donner la chasse à l'Anglais hérétique. Chrétien Le Pape, riche marchand de Roscoff, fit pendant plusieurs années la guerre aux Anglais protestants et, plus tard, aux Espagnols catholiques. Finalement, son attachement supposé au roi de Navarre le força à s'expatrier (Pascal Keranveyer, Histoire de Roscoff). Troïlus de Mesgouez, que la faveur de Catherine de Médicis fit gouverneur de Morlaix et vice-roi de Terre-Neuve, choisit, en 1597, deux gentilshommes bretons, les sieurs de Kermoal et de Kerdement, pour commander les gens d'armes chargés de protéger la colonie qu'il fondait en Acadie.

Ces expéditions ne rapportèrent guère. En réalité, ainsi que s'exprime le continuateur de La Borderie, dans son Histoire de Bretagne, « les guerres de la Ligue vinrent fondre comme une trombe sur une opulence séculaire » (Histoire de Bretagne, Ch. XX, p. 317).

Les documents locaux qui en témoignent abondent. Ce sont les archives de notre hôpital qui relatent les dépôts de vêtements et de mobilier, provoqués par l'insécurité des campagnes voisines ; ce sont les prix des denrées qui atteignent des chiffres prohibitifs pour les pauvres gens vivant de leur travail ; ce sont les transactions de la vie courante qui le mentionnent, comme cet accord conclu le 14 décembre 1598 — quatre ans cependant après la prise de Morlaix par les armées royales du maréchal d'Aumont — entre Yves de Goesbriand et Pierre Potard, seigneur de la Villeneuve, en Plouézoc'h, où il est ainsi fait allusion aux calamités de la Ligue, au sujet d'une redevance en litige qui ne peut être payée tout entière. « esgard aux ruynes, dégats et ravages adveneuz aux laboureurs depuis ledit temps (1594) que par les malheurs des guerres et maladies, ils n'avaient pu faire cultiver la terre, ni moissonner et amasser ce qu'ils pourraient avoir cultivé ».

C'est qu'en effet, notre région fut particulièrement tourmentée en cette époque. A Morlaix, les passions bouillonnèrent de bonne heure. Elle fut la ville ligueuse, par excellence. La première à adhérer au pacte de la Ligue proclamée en 1585, à Péronne, « pour la seule tuition, défense et conservation de la religion catholique, apostolique et romaine », elle fut la dernière à l'abandonner en 1594, cinq ans après l'avènement de Henri IV, lorsque le maréchal d'Aumont reprit la ville, et le château sur Mercœur et les Espagnols de don Juan d'Aquila.

Il faut avoir tenu entre les mains le cahier jauni, où les bourgeois de l'époque consignaient leurs délibérations pour la défense de la cité, pour comprendre la vie superbe, pleine de sève, de force et même de grandeur qu'avaient, au témoignage de notre historien national, La Borderie, les cités bretonnes de cette époque héroïque. On ne s'étonne plus de l'expression de « République » appliquée au gouvernement ligueur de Morlaix par l'un de ses capitaines, Alexandre de Kergariou, dans son testament daté de 1592 (J. Marzin. Quelques testaments des XVème et XVIème siecles, p 40).

L'organisation de la Course.

Un gouvernement réparateur allait heureusement survenir, pour faire dériver vers des buts plus nationaux l'activité de nos ancêtres. Il était temps. Les Anglais avaient, comme de coutume, si bien profité de nos dissentions qu'ils agissaient en maîtres sur l'océan. Nous nous trouvions si démunis, qu'après la mort d'Élisabeth, lorsque Sully fut envoyé en Angleterre pour négocier une alliance avec le nouveau roi, il dut emprunter un vaisseau anglais. Les corsaires barbaresques s'aventuraient jusque dans la Manche. En 1604, un vaisseau turc fut pris sur les côtes du Léon.

Henri IV, puis Richelieu s'employèrent à remédier à cette situation. Un demi-siècle plus tard, en 1692, Louis XIV possédait 110 vaisseaux de ligne et un grand nombre de frégates, de corvettes et de brûlots.

L'essence même de la guerre de course allait être modifiée, par suite de la création de cette puissante marine de guerre.

Les progrès de la construction navale, ceux de l'artillerie et de l'armement rendirent de plus en plus grande la différence entre les vaisseaux de guerre et ceux des particuliers armés pour la guerre de course, après délivrance des « lettres de marques ».

Les registres de l'Amirauté de Tréguier, établie en 1691, qui siégait à Morlaix, et dont la juridiction s'étendait depuis le Trieux jusque Morlaix, fournissent de nombreux et importants renseignements sur cette période de notre histoire maritime.

Car Morlaix, bien que port d'armement secondaire, était, en raison de sa position à l'entrée de la Manche, un lieu de relâche très fréquenté. Les capitaines corsaires établissaient souvent leur croisière entre Ouessant et les Sorlingues, pour attendre les bateaux ennemis qui « emmanchaient » ; les bâtiments capturés étaient ordinairement envoyés dans les ports les plus proches c'est-à-dire à Brest, Roscoff ou Morlaix. Les corsaires eux-mêmes, lorsqu'ils étaient poursuivis par un ennemi plus fort, ou bien lorsqu'ils avaient besoin de se ravitailler, gagnaient, s'ils ne pouvaient atteindre Brest, le mouillage de l'île de Batz ou, mieux encore, la rade de Morlaix, protégée par le château du Taureau. Dès leur arrivée dans le port, les capitaines des prises étaient tenus de faire à l'Amirauté un rapport détaillé sur tous les incidents de leur croisière. Les prises étaient ensuite vendues aux enchères.

Prise de corsaires.

Quelle animation sur nos quais et dans nos rues lorsque débarquaient les matelots corsaires, le visage brûlé par le soleil, l'air fier et hardi, encore tout enfiévrés du tumulte des abordages, transportant leurs blessés, que recevait notre hôpital, et conduisant leurs prisonniers, qu'ils abandonnaient moyennant rançon ! Quel trafic, lorsque les marchandises, le plus souvent exotiques, enlevées à quelque navire marchand anglais ou hollandais, venu des Indes ou de l'Amérique, étaient vendues aux enchères par les Juges de l'Amirauté : draps et étoffes de laine, d'or et d'argent, soieries, mousselines, mobiliers somptueux, dentelles, poudre d'or, épices, métaux précieux faisaient affluer une foule d'acheteurs prévenus par la voie des affiches et des gazettes. En 1747, il y eut même un petit nègre. Je dois dire qu'on ne le vendit pas à Morlaix. Il fut retourné sur une colonie française. Lorsque la prise comportait des objets du culte, bien souvent on en faisait cadeau aux églises : les deux anges adorateurs. en marbre, qui ornent l'autel de St-Martin furent donnés au recteur de l'époque, le célèbre Expilly, par un armateur morlaisien, Homon de Kerdaniel„ qui les captura sur un navire espagnol. Le grand Christ de l'église St-Mathieu proviendrait d'une prise faite sur un corsaire anglais.

E. Dupont, dans son intéressant ouvrage " Les Corsaires chez eux. Le vieux St-Malo ", note, avec malice, qu'à bord d'une goëlette anglaise, prise par un corsaire malouin, on saisit des ouvrages d'érudition, qui ne trouvèrent pas amateur à St-Malo. On les offrit, pour s'en débarasser, sans doute, à la Chambre Littéraire de Morlaix. St-Malo, la ville où devaient naître Châteaubriand et La Mennais, ayant préféré garder l'huile et le poivre.

Nous devons donc en conclure que les Morlaisiens avaient la réputation d'être plus lettrés que les Malouins.

Dans ces vente publiques, les transactions allaient leur train, enrichissant armateurs et négociants, sans oublier ces messieurs de l'Amirauté. En 1742, il était stipulé dans le contrat d'affermage du greffe de l'Amirauté, à Guilbaud de Kertanguy, qu'en temps de paix, il devait payer sa charge, 900 livres l'an ; en temps de guerre avec la Hollande, 976 livres ; avec l'Angleterre, 1.090 livres ; avec les deux nations, 1.554 livres. C'est qu'alors les croisières devenaient extrêmement fructueuses, lorsque les deux principales nations maritimes du temps étaient dans le camp ennemi.

Pendant la guerre de la Ligue d'Ausbourg, de 1690 à 1697, 130 corsaires amenèrent des prises à Morlaix, Dans le nombre, 70 corsaires avaient été armés à St-Malo et 14 seulement à Morlaix.

Un de nos, plus célébres corsaires malouins, Duguay-Trouin, qui commandait à cette époque, dans la Manche, après son évasion d'Angleterre, des vaisseaux de la Marine royale, amena en 1694, à Morlaix, deux prises : le Dom Charles, de Bristol, et le Jeffray, de Londres.

De la Manche aux mers du Sud.

L'Amirauté délivra, pendant cette guerre, entre autres commissions :

1692 : pour la frégate le St-Julien de 100 t. et 14 hommes, capitaine G. Thomas ; pour la frégate le St-Nicolas de 200 t. 14 canons. 34 hommes, capitaine Y. Pandeau ; pour le roi exilé d'Angleterre. Jacques II, pour une autre frégate, le St-Nicolas, commandée par le capitaine John Jordan, armée de deux canons et 25 hommes.

1695 : pour la N. D. du Mur de 21 t., à Barazer de Villeserhou.

1697 : commission à Pierre Gris, pour armer en guerre le vaisseau La Paix, de St-Malo, à présent au port de Morlaix, de 400 tonneaux, monté de 34 canons et de 2 pierriers. « pour aller trafiquer à Cadix, Italie, Espagne et autres ports du détroit, et, en ce faisant, faire la guerre de course ».

1712 : Passeport à Jean Sané, capitaine du vaisseau La Marie de Morlaix pour aller « dans nos isles de l'Amérique, même en celle de Cayenne, La Tortue et coste de St-Domingue, à condition qu'il sera embarqué sur ledit vaisseau 6 engagés et 6 fusils boucaniers de bonne qualité, faits par des maîtres arque busiers, lesquels seront vendus aux habitants desdites isles à raison de 30 livres chacun ».

Lors de la guerre de la succession d'Espagne (1702-1713). le mouvement des prises fut à peu près le même : 132 corsaires relâchèrent dans notre port, mais la part de Morlaix fut plus forte : 39 appartenaient à des armateurs morlaisiens.

Quelques-uns de leurs navires étalent assez importants : 5 portaient de 200 à 300 tonneaux, et 4 de 100 à 180 tonneaux.

Les capitaines s’appelaient : Claude Renard, Guilloton, Bernard de Basseville (aïeul de Moreau), Corre de Villesou, Siocham. etc.... Ce dernier, avec sa frégate Marie du Mur, de 120 T., fut pillé. en 1706. près de St-Domingue, par des confrères de Nantes, peu scrupuleux.

Jacques Picard, capitaine de la Marquise de Maintenon, ramena cinq prises à Morlaix.

Guillaume Barazer, sieur de Lannurien, bourgeois et armateur. équipa tout un groupe de navires : la Diligente, de 60 T. ; la Ste-Famille, de 200 T., ayant 20 canons et 40 fusils ; le Français, de 12 T. ; la Françoise-Ursule, de 120 T., avec 10 canons et qui confiée en 1712 à Nicolas Nanchevé, sieur des Corbière « pour armer en guerre et marchandises, pour trafiquer en Terre-Neuve ».

Les conditions de ces expéditions étaient rudes.

Il faut lire dans les mémoires du Duguay-Trouin, par exemple. les circonstances tragiques de ces luttes, dans lesquelles nos marins emportaient de vive force les navires ennemis qu'ils rencontraient, pour se rendre compte du courage, et souvent de l'hëroïsme qu'ils devaient déployer.

Sans doute, la plupart de nos navires morlaisiens, trop faibles, ne pouvaient s'attaquer aux vaisseaux de guerre anglais ou hollandais. Ils devaient se borner à se saisir des navires de commerce qu’ils rencontraient isolément, ou encore, payant d'audace, de pénétrer dans un convoi ennemi pour s'emparer de quelque vaisseau marchand. C'est ainsi qu'en 1706. le 20 novembre, 4 vaisseaux anglais furent pris le même jour, au milieu d'une compagnie de 260 vaisseaux marchands, escortés de quatre grands vaisseaux de guerre anglais, par le sieur Lair. commandant la frégate Le Marquis de Thianges, et conduits ensuite à Morlaix.

Cette même année 1706. l'Edouard-Endeule, de Londres. faisant route sous pavillon et passeport anglais pour aller aux Indes, fut pris par un corsaire français après un combat de 5 heures ; repris par un corsaire de Flessingue, qui le conduisant en Hollande. fut rencontré par cinq frégates françaises qui s’en emparèrent et le conduisirent à Morlaix.

Lorsque la guerre éclata de nouveau avec l'Angleterre sous Louis XV, en 1744. la place de Morlaix prit encore une place effective dans la lutte, par l'armement d'une douzaine de bâtiments corsaires.

L'un deux se signala particulièrement : la Comtesse de la Marck, petit corsaire de 20 T., muni de 2 canons et de 30 hommes d'équipage, armé par Mathurin Cornic et commandé par Nicolas Anthon. En deux ans, il amena à Morlaix une douzaine de prises, beaucoup plus fortes que lui, dont le vaisseau Le Canard, de Londres, de 200 T. Le Truro fut capturé le 10 mai 1749 dans la baie de Plymouth, en vue de plusieurs vaisseaux de guerre anglais.

Charles Cornic-Duchesne.

L'équipage comprenait les fils de l'armateur, Cornic Duchesne, dont l'un allait fournir une carrière exceptionnellement brillante.

Vous connaissez les grandes lignes de sa vie. Son père, Mathurin Cornic, originaire de Bréhat, était venu à Morlaix avec l'ambition qu'on y avait jadis : celle de faire rapidement fortune. Il fut tour à tour capitaine, négociant et armateur. La destinée de ses enfants était toute tracée. A huit ans, Ch. Cornic embarqua comme mousse. Mais, grâce à ses relations de famille ses débuts dans la marine marchande et dans la marine de course furent faciles, quoi qu'on en ait dit. En 1746, âgé de 15 ans, il était second capitaine ; en 1747, à 16 ans, lieutenant. Le ministre lui confia, en 1756, la frégate l'Agathe, avec laquelle il fit dans une seule année, entrer à Brest 26 convois et prit une corvette et trois bâtiments ennemis.

Nommé, comme enseigne de vaisseau, au commandement de la Félicité, armé de 12 canons, il soutint un combat heureux, le 24 juin 1758. contre trois vaisseaux anglais, prés de l'île Molène. Avec le Prothée, de 64 canons et 500 hommes d'équipage, Cornic prit, au mois de Mars 1761, l'Ajax, de la Cie des Indes, de 800 T. et dont la cargaison valait 3 millions.

Capitaine de brûlot en 1761. il fut envoyé à Bordeaux comme Inspecteur des Constructions navales. Il y épousa. le 19 août 1764. la fille d'un riche négrier d'Amsterdam, Mademoiselle de Karter. qu'il perdit 12 jours après son mariage.

Après diverses, missions à Cayenne, en Terre-Neuve, Cornic revint à Morlaix, où sa préoccupation resta le développement de la marine. C'est à lui qu’on doit le balisage de la baie de Morlaix et divers travaux non moins utiles pour la défense de nos côtes. Il rêvait d'un port en eau profonde au Dourduff afin de faire de Morlaix une base maritime de premier ordre en face de Plymouth. Il mourut le 12 septembre 1809, dans la maison de sa sœur, Quai de Léon à Morlaix, âgé de 78 ans.

Armateurs et Corsaires.

Indépendamment des Cornic, les principaux armateurs morlaisiens du XVIIIème siècle furent les Mazurié. les Rozec, les Walhs, les Pitot, les Lannux.

Les Mazurié étaient originaires de Tinchebray, diocèse de Bayeux. Le premier Mazurié, embarqué comme enseigne, en 1705, à bord du Falmouth, dut se réfugier à Buesnos-Ayres (Buenos-Aires) après la perte de son navire. Il passa par terre dans le Pérou. où il resta 11 années, dont trois commandant des vaisseaux espagnols, et environ huit autre années à Lima dans le commerce. Revenu en France, après fortune faite, il se fixa à Morlaix, où il mourut le 3 janvier 1773. Son fils, Pierre-Louis Mazurié de Pennanech, fut député de Morlaix aux Etats-Généraux et à l'Assemblée Nationale. On lui doit la construction du château de Porzantrez, habité encore par ses descendants.

Les armateurs s'associaient parfois pour construire leurs navires. Souvent, l'affaire était montée par actions, ou parts d'intérêts, qui se plaçaient surtout dans les milieux maritimes parmi les correspondants ordinaires de l'armateur. Même des personnes fort étrangères au commerce se laissaient tenter par les chances d'énorme gain qu'offraient les corsaires. C'est ainsi que Mme de Montespan fut intéressée à plusieurs armements du port de Brest. Parmi les 29 souscripteurs du Comte de Guichen, on trouve en grande majorité des commerçants et des marins, mais aussi trois gentilshommes, deux magistrats et un médecin.

C'est dans la police d'armement de ce vaisseau : le Comte de Guichen (1781). monté par 70 marins et commandé par Authon, que l'on trouve les conventions suivantes fixant les parts de l'équipage, indépendamment du tiers ordinairement attribué sur la prise : les deux autres tiers appartenant, en principe, à l'armateur et aux intéressés.

« Quiconque apercevra le premier le navire qui sera plus tard capturé : 3 louis ; le marin qui abordera le premier : 5 guinées ; celui qui perdra dans le combat, ou dans le service, une jambe, un bras ou un oeil : 20 louis ».

Un malouin, célèbre surtout par son fils, j'ai nommé Châteaubriand, prit à cette époque ses lettres de maîtrise à Morlaix. On y voit que ce petit cadet de Bretagne, qui n'avait eu pour tout héritage qu'une rente de 416 livres, sût prendre de bonne heure la route habituelle de la fortune pratiquée par ses compatriotes malouins. Dès l'âge de 21 ans, il partait comme enseigne, pour une croisière de 11 mois sur le St-Charles, de St-Malo. Il continua ainsi d'une façon ininterrompue pendant 7 ans, jusqu'à ce qu'il obtint à Morlaix, en 1747, son brevet de capitaine de navire. Plusieurs des prises qu'il captura par la suite, passèrent à Morlaix. Ce fut précisément en 1761, au moment où l'on vendait à Morlaix les prises de son navire la Villegénie, commandée par son frère qu'il acheta le comté de Combour qui joua un si grand rôle dans la jeunesse de son fils. Le père de Châteaubriand n'abandonna cependant les affaires qu'en 1775, après avoir augmenté sa fortune par le commerce des fourrures et la traite des nègres. « Cet homme grand et sec, aux yeux enfoncés, dont la prunelle étincelante semblait, aux dires de son fils, se détacher et venir vous frapper comme une balle » (Mémoires d’outre-tombe, Châteaubriand, p. 6) avait un caractère sombre, où notre grand romantique découvre les épreuves de sa première position. Il ne faut cependant rien exagérer. La carrière du père de Châteaubriand n'eut rien que de très normal pour l'époque et le milieu. Elle fut même celle d’un corsaire et d'un armateur heureux. Lui, comme ses confrères malouins, et morlaisiens, firent mentir la définition du marin, donnée plus tard par E. Renan, calquée, celle-là, sur la vie malheureuse des siens : « Né pour naviguer et se battre, avec une complète inaptitude aux affaires » (Souvenirs d’Enfance, Renan, p, 182). Nos corsaires surent naviguer et se battre, et en même temps, ils ne négligèrent pas leurs affaires.

Les encouragements officiels vinrent aider nos corsaires particulièrement pendant la guerre de Sept Ans. De véritables primes furent accordées aux armateurs qui armaient pour « la chasse à l'Anglais ». La guerre, en se prolongeant, diminua les ressources. Et l'on ne trouve mention, pendant cette guerre, malgré l'appui de l'Etat, que de sept corsaires armés à Morlaix entre les années 1755 à 1763.

C'est un peu avant cette époque, le 24 décembre 1747, que se place le naufrage, dans la baie de Morlaix, du corsaire l'Alcide, de St-Malo, dont vous pouvez voir l'un des canons dans la première salle de notre musée. Après un combat infructueux contre un navire anglais, le capitaine, Etienne Ribard, voulut entrer dans la rade de Morlaix, mais le navire échoua sur le rocher le Malouin, 29 hommes purent gagner à la nage le château du Taureau, 47 hommes restés sur le navire furent sauvés par une gabarre, dont l'aumônier, le P. Janeau, cordelier, ex-aumônier du prétendant Charles-Edouard, qui mourut peu après à Carantec. Le reste soit 117 hommes, périt.

Il n'y a pas lieu de s'étonner que nos marins, exposés fréquemment à de si graves dangers, ne fissent, pour en réchapper, des vœux, qu'ils accomplissaient ensuite scrupuleusement à leur retour à terre. En 1750, Nicolas Authon, capitaine du Comte de St-Pern, dont l'armateur était Barazer Lannurien, ayant subi une forte tempête les 13 et 14 fevrier, lui et ses marins firent un vœu à N. D. du Mur de Morlaix, qu'ils promirent de réaliser, nu-pieds et en linge seulement, et d'y faire chanter une grand-messe. Le mème vœu est fait par Nicolas La Cour, capitaine de la Betsy Pucelle, après une tempête analogue. Ils allèrent à l'église du Mur, têtes et pieds nus, et en chemise, avec tableau figuratif du péril évité.

Au secours des « Insurgents » d'Amérique.

La guerre de l'indépendance américaine devait donner un nouvel essor à la guerre de course. Le premier coup de canon fut tiré près de nos côtes. Vous savez que le combat livré le 17 juin 1778, prés de Plouescat, à la frégate française La Belle Poule par la frégate anglaise L'Arbétuse détermina le gouvernement de Louis XVI à secourir ouvertement les « insurgents » et à déclarer la guerre à l'Angleterre. La marine française était, à ce moment, en excellente forme. Partout, sur toute la côte, les armements furent poussés très activement, aidés par la présence de nombreux américains qui avaient passé en France et aussi les Acadiens, expulsés, par les Anglais de Terre-Neuve, leur patrie d'adoption, dans des conditions inhumaines, après le traite de Paris de 1763, qui nous enleva le Canada. Dans notre région, où s'étaient déjà installés près de 20.000 Irlandais ou Jacobites, à la suite de l'échec des Stuart, au XVIIème siecle, ces Acadiens entretinrent, si besoin était, en Bretagne la rancune séculaire contre l'Anglais. Ils firent partie des équipages des navires corsaires morlaisiens. Certains même les commandèrent et furent d'excellents capitaines. Le Blanc, Trahan, Blanchard, Jouanet servirent sur le Comte de Guichen, commandé par N. Authon, époux d'une Acadienne. Le plus célébre de l'époque fut Jean-Baptiste Hébert, commandant l’Epervier : il s’empara de plusieurs prises valant plus de 200.000 livres, dont quelques unes parmi un convoi de 83 voiles anglaises. Plus tard, il reçut les félicitations du Roi, pour sa victoire sur le corsaire le Britania. Hébert commanda ensuite le Canadien et la Marquise de Castries. Ce dernier navire reçut la visite du tsar Paul Ier, lors de son passage à Morlaix, le 29 juin 1782.

Les neufs corsaires armés à Morlaix, lors de la guerre américaine n'eurent pas un sort bien glorieux. Seul, le Vainqueur, bien nommé, petit navire de 40 tonneaux et de 50 marins, commandé par Guillaume Plassart, fit 6 prises et imposa 10 rançons.

Parmi les capitaines qui se distinguèrent alors, l'un d'eux, Jean Dalbarade, originaire de Biarritz, commandant de la Duchesse de Chartres (1779) pour le compte de Mathurin Cornic et Fabre de Vernay, devait achever sa carrière comme amiral après avoir été ministre de la Marine, sous la Convention.

C'est en 1786 que se place l'épisode de la prise d'un corsaire anglais, le Fox, en pleine rade de Plymouth, par 10 américains de Boston qu'on y détenait prisonniers. Le navire fut ramené à Morlaix. On devine la réception qui leur fut faite. En une autre circonstance, ce furent 5 prisonniers français « pressés de faim et de pauvreté » qui purent s'emparer d'un sloop anglais, dans lequel ils gagnèrent Morlaix. Ces cas n'étaient pas rares.

Mais les plus brillantes évasions étaient celles qui se produisaient avant l'arrivée en Angleterre, lorsque les matelots prisonniers réussissaient à surprendre, à désarmer ou à massacrer l'équipage anglais. L'équipage franco-américain du célèbre corsaire La Princesse Noire, capturé par la frégate anglaise Médée, s’empara du navire et l'amena triomphalement à Morlaix (1771).

Au temps de Surcouf.

Les hostilités, closes avec l'Angleterre par le traité de Versailles en 1783, devaient recommencer dix ans plus tard, lorsque la Révolution triomphante envahit la Belgique. Un axiome de la politique extérieure anglaise — que l'Allemagne apprit à son tour, à son détriment, lors de la dernière guerre — est qu’en effet, elle ne doit laissez aucune puissance continentale maîtresse de l'estuaire de l’Escaut et d'Anvers.

Favorisée par la période de prospérité économique qui avait suivi la guerre d'Amérique, Morlaix était alors une ville florissante. Le mouvement de son port était en progression. Alors que le nombre des navires ayant reçu passeports à leur sortie était de 127 à 134, au début du XVIIIème siècle, à la veille de la Révolution, on comptait 343 en 1784, 425 en 1785 (non compris les barques de pêche). Le port avait, dans la vie économique de la ville et de la région, une importance qu'il n'a plus de nos jours. Les derniers mouvements de 1926 et 1927 n'accusent que 234 et 298 entrées de navires.

Malheureusement, découragés par les lois révolutionnaires qui prohibaient ou gênaient la guerre de course et, plus tard, par l'interdiction de vendre en France les marchandises de fabrication anglaise, les armateurs ne mirent plus à la mer que des corsaires très faibles et mal armés, parfois de simples barques, comme les Trois Amis, de 3 tonneaux, muni seulement de 4 espingoles, 6 fusils, 12 pistolets et 18 sabres.

Quatre corsaires de Morlaix firent des prises plus importantes que leur faible tonnage et leur médiocre armement ne permettaient de l'espérer. Le Sans-Culotte, 30 tonneaux, 40 marins, commandé par Painchant, prit, en 1793 un navire de Londres de 318 tonneaux. Le Républicain, armé par Dessaux et Couhitte, commandé par Mériadec, prit, le 15 mai 1793, un petit corsaires de Jersey. Le Mascarade, de 6 canons, 43 marins, armé par Bulard et Mazurié-Pennanech, commandé par Raymond, captura un certain nombre de petits navires. En 1793, un corsaire morlaisien ramenait au port le vaisseau de la Cie des Indes Pallas, dont le produit fut évalué 2.600.000 francs (N. Gallois. Les Corsaires français sous la République et l’Empire, Paris, Ledoyen édit, p 388). Enfin, le Prince Jérôme, armé par Lannux, Barrère et Alexandre, et commandé par Le Moullec, ainsi que les Trois Amis, armé par Dubernad et commandé par Breton, ne donnèrent que de médiocres résultats. Quelques prises faites par des vaisseaux de Surcouf furent amenées et vendues à Morlaix.

La liquidation du Trois Amis ne fut achevée qu'en 1820. Ce fut le dernier corsaire armé à Morlaix.

En 1856, le traité de Paris y mit le point final par son article premier : la course est et demeure abolie.

J'ai terminé. Vous m'excuserez de n'avoir pu vous donner qu'une esquisse assez faible du puissant mouvement maritime qui se déploya à Morlaix pendant plusieurs siècles. Puisse-t-elle seulement vous donner le désir d'approfondir davantage ce côté passionnant de notre histoire locale. Tant de choses restent encore à connaître parmi les archives conservées dans les anciennes familles du pays.

(Jean Marzin).

© Copyright - Tous droits réservés.