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LE CHOIX D'UN PORT (LORIENT)

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La Compagnie des Indes-Orientales est amenée, après des hésitations et des difficultés, à fixer son établissement naval à l'embouchure du Blavet, vers le milieu de l'été 1665. Un an après, c'est-à-dire au mois de juin 1666, une ordonnance royale sanctionne ce choix et accorde à cette compagnie les droits et les privilèges les plus étendus pour fonder et développer son établissement, en l'investissant de tous les droits du roi sur ce qui pouvait lui appartenir, tant dans la ville de Port-Louis que sur les bords du Blavet et du Scorff, et particulièrement au Faouëdic.

L’histoire de Lorient commence en 1666 avec comme objectif de fournir une base à la Compagnie française des Indes Orientales. Ce rôle va être renforcé en 1675 lorsqu'il est décidé d'abandonner l'autre implantation de la compagnie, au Havre (ville et port fondés par le roi François Ier en 1517 et où la Compagnie de l'Orient s'y installe dès 1643), au seul profit de Lorient.

Les environs de l'Orient (Lorient) et du Port-Louis. Dédiés à Monseigneur le comte d'Argençon Ministre et Secretaire d'Etat de la Guerre (1750).

I.

A peine l'édit du mois d'août 1664, portant création de la Compagnie royale des Indes-Orientales, était-il signé que, sans attendre l'accomplissement des formalités ordinaires d'enregistrement au Parlement, à la Cour des aides et à la Chambre des comptes, les syndics provisoires, stimulés d'ailleurs par le contrôleur général des finances, Colbert, leur président, s'empressèrent de préparer une première expédition destinée à coloniser Madagascar et à ravitailler les établissements en détresse fondés dans cette île par les précédentes Compagnies des Indes. Ils envoyèrent donc des agents de tous côtés, jusqu'en Hollande, pour acheter des navires, les équiper, rassembler des officiers, des marins, des troupes et des colons.

Mais ce système d'armements disséminés, qu'expliquaient en ce moment l'ardent désir d'arriver à un prompt résultat et, peut-être aussi, le besoin de produire le bruit et l'éclat qui attirent l'actionnaire aussi sûrement que les feux du miroir fascinent l'alouette, ce système, disons-nous, n'était que provisoire. En effet, bout en achetant des navires à l'étranger et en les armant dans les ports de Dunkerque, Le Hâvre, Brest, La Rochelle et Bayonne, les administrateurs de la Compagnie formaient la résolution de construire à l'avenir, dans les différents ports du royaume, les bâtiments qui leur seraient nécessaires, et faisaient prendre des mesures en conséquence. Ce dessein était même sur le point de recevoir son exécution, lorsqu'un événement, aux proportions assez modestes en apparence, vint tout-à-coup changer le cours des projets de la Compagnie, et la décider à réunir, à concentrer, à centraliser, autant que possible, en un seul port, toutes ses opérations maritimes.

Les causes de cette nouvelle détermination, qui se lient très étroitement à l'origine de Lorient, demandent à être examinées avec quelques détails. Des agents avaient été envoyés à Bayonne, port de construction assez réputé, dont les marins avaient un grand renom d'intrépidité. Pour mettre la Compagnie des Indes à même de construire des vaisseaux en ce lieu, ces agents choisirent deux chantiers, l'un appartenant à l'église collégiale du Saint-Esprit, l'autre nommé le Commun de Sainte-Ursule, appartenant à la ville. Ils entrèrent en pourparlers avec les chanoines du Saint-Esprit d'une part, avec les échevins de Bayonne de l'autre, soit pour une occupation temporaire, soit pour une concession définitive de ses chantiers, peu importe. On était sur le point de s'entendre à ce sujet, lorsque, tout-à-coup, les négociations se rompirent par l'effet de bruits malveillants mis en circulation parmi le peuple, et de scrupules, de doutes, de soupçons semés dans l'esprit des membres de la communauté de ville. Voici ce qui était arrivé.

Le principal vaisseau de la Compagnie des Indes, nommé La Trinité, se trouvait en réparation et en armement dans le port de Bayonne. On persuada au peuple basque que ce navire était destiné à protéger, à assurer la création de nouveaux impôts dont il était question depuis quelque temps. On s'émut à cette nouvelle : des rassemblements tumultueux se formèrent sous les fenêtres du capitaine Grenier, qui commandait La Trinité ; on se porta également vers les habitations des correspondants de la Compagnie, avec menaces d'incendier vaisseaux et maisons. Cependant on réussit à démontrer aux principaux meneurs de ce soulèvement que les craintes du peuple étaient purement imaginaires : l'émeute s'apaisa bientôt et l'ordre se rétablit. Mais, si du côté de la populace on était parvenu à triompher de la malveillance, l'on ne fut pas aussi heureux près des conseillers de la ville. En leur faisant remarquer que les chantiers communaux étaient les seuls où l’on pût construire des navires de fort tonnage, on avait insinué la crainte que la Compagnie, une fois en possession de ces terrains, ne consentit un jour que très difficilement à s'en dessaisir. Bref, les échevins refusèrent tout traité, et les chantiers de la collégiale étant insuffisants, il fallut renoncer à construire à Bayonne, délaisser ce port pour éviter de nouvelles difficultés, et cela malgré un arrêt du Conseil du Roi, du 14 décembre 1664, rendu quelques semaines après les scènes tumultueuses dont il vient d'être parlé et à leur occasion ; arrêt qui accordait à la Compagnie des Indes-Orientales l'autorisation de bâtir ses vaisseaux où elle le voudrait, et faisait défense à boute personne de l'en empêcher, à peine de dix mille livres d'amende [Note : Voici un extrait de ce document peu connu, dans lequel sont consignés les faits que l'on vient de lire. — « Sur la requeste présentée au Roi, estant en son Conseil, par les syndics de la Compagnie des Indes-Orientales, contenant que, pour faire le commerce, ils ont besoin de nombre de vaisseaux de grand port qu'ils désirent faire faire exprès en France.... Pour l'exécution de leur dessein, ils ont fait sonder tous les havres et lieux du royaume où l'on pût bâtir de grands vaisseaux, et dans la proximité desquels il se pût recontrer des bois propres, et n'en ont point trouvé de plus commodes qu'aux lieux de Brest, Saint-Malo, La Rochelle, Le Hâvre-de-Grâce, Dieppe, Nantes, Bayonne et Saint-Jean-de-Luz, auxquels lieux ils ont donné tous les ordres pour la construction desdits vaisseaux.... Néanmoins, aucuns malintentionnés font courir des bruits supposés... pour diminuer le grand crédit dans lequel la Compagnie se trouve.... même aucuns habitans de la ville de Bayonne ayant scû que les supplians avaient obtenu des doyen, chanoines et chapître de l'église collégiale du Saint-Esprit une permission de bâtir ses vaisseaux dans une place qu'avait occupé le nommé Hontabac, et un autre qui est au droit du commun de Sainte-Ursule de ladite ville, n'y ayant point d'autre lieu commode pour bâtir les vaisseaux de grand port, et que les correspondans des supplians se disposoient à demander l'attache des échevins, jurats et autres officiers de ladite ville sur ladite permission, avec la liberté de mettre dans le bassin de ladite ville un vaisseau du port de cinq à six cents tonneaux, nommé La Trinité, pour le doubler et radouber.... lesdits malintentionnés auraient malicieusement gagné aucuns des échevins dudit lieu de Bayonne... qui auraient refusé la permission de bâtir sur les places qui avaient été ci-devant occupées, comme si la construction d'un vaisseau donnait la propriété d'une place publique à celui qui a une fois bâti... Et de plus lesdits malintentionnés ont méchamment insinué dans les esprits de quelque menu peuple dudit lieu de Bayonne que ledit vaisseau La Trinité avoit esté mis dans ledit bassin.... pour s'en servir pour l'établissement de la gabelle dans ledit païs, ce qui leur a donné lieu de s'émouvoir et d'aller ès maisons dudit sieur Grenier et des.... correspondans des supplians et les ont menacé de mettre le feu dans leurs maisons et de brûler ledit vaisseau. Et parce que si ces entreprises avoient lieu, cela feroit un grand préjudice à ladite Compagnie, les suppliants requeroient à ces causes qu’il plût à Sa Majesté sur ce leur pourvoir.... Le Roi estant en son conseil.... ordonne qu'il sera informé des faits contenus en ladite requeste.... Et cependant permet Sadite Majesté aux supplians de faire bâtir les vaisseaux dont ils auront besoin dans tous les ports du royaume, sur toutes les places qu'ils trouveront commodes.... sans pour ce payer aucuns droits.... Faisant défense.... de troubler lesdits supplians.... à peine de dix mille livres d'amende....  Fait à Paris.... le 14ème jour de décembre 1664. — Signé : PHELYPEAUX ». (Dufrêne de Francheville. — Histoire de la Compagnie des Indes, p. 193. — Paris 1746)].

Dans ces circonstances (novembre et décembre 1664), Colbert chargea une commission d'explorer les côtes de l'Océan pour rechercher, dans l'intérêt de l'État, et vraisemblablement aussi dans celui de la Compagnie qu'il venait d'organiser et dont il était le président, les points les plus favorables pour y fonder des établissements maritimes. Ce fut là une mission célèbre, puisqu'elle a eu pour conséquence la création des deux grands arsenaux de Rochefort et de Lorient, résultat provenu cependant de combinaisons différentes. En effet, à la suite du rapport présenté, le 1er mai 1665, au Roi, ce monarque ordonna la création, à l'embouchure de la Charente, d'un arsenal qui porte le nom de Rochefort, et, au mois de juin 1666, il permit à la Compagnie des Indes-Orientales de s'établir au Port-Louis, et lui concéda des terres vaines et vagues situées à l'embouchure des rivières du Blavet Scorff « pour y établir des ports, quais, chantiers, magasins et autres édifices nécessaires à la construction de ses vaisseaux et  armements de ses flottes ».

Cette ordonnance fameuse constitue l'origine de Lorient.

« ...... Nous aurions fait visiter (dit cette ordonnance, reproduite in extenso dans une précédente notice (Le Faouëdic-Lisivy, p. 133. — Lorient, 1863. — Corfmat, éditeur), le long de nos côtes de la mer Océane et rivières y affluentes, tous nos ports et hâvres, et, par le rapport qui nous a été fait par les personnes que nous y avons employées, il se trouve que le lieu le plus propre et commode pour l'établissement de ladite Compagnie est le Port-Louis pour les magasins, et Le Féandik (sic) et quelques autres lieux des environs le long des rivières de Hennebont et de Pontscorff, pour les chantiers et autres places nécessaires pour le bâtiment des vaisseaux. — A ces causes, voulant donner des marques, à ladite Compagnie de notre bonté paternelle pour nos sujets intéressés en icelle, et que nous voulons par tous moyens procurer l'avantage et l'utilité de son commerce, nous avons par ces présentes, signées de notre main, permis et permettons à ladite Compagnie de faire son établissement » auxdits lieux de Port-Louis, de Féandik et autres des environs, le long des rivières de Hennebont et de Pontscorff, et pour cet effet d'y construire des ports, quays, chantiers, magasins et autres édifice nécessaires à la construction de ses vaisseaux et armements de ses flottes ; et avons à ladite Compagnie concédé et octroyé, concédonnons et octroyons les places vaines et vagues et inutiles qui se trouveront nous appartenir, tant dans ladite ville de Port-Louis et hors des murs d'icelle qu'audit lieu du Féandik et autres lieux où seront faits lesdits quays ports, chantiers, magasins et autres édifices et places nécessaires pour ledit établissement, desquels nous lui avons fait et faisons don par ces présentes, pour en jouir à perpétuité par ladite Compagnie en toute propriété et seigneurie, ne nous réservant aucun droit ni devoir que la seule foy et hommage lige que ladite Compagnie sera tenue de nous rendre, et à nos successeurs roys, à chaque mutation, sans aucune redevance que celle portée par notre déclaration du mois d'août 1664… » [Note : Cette redevance, consistant en une couronne et un sceptre d'or du poids de cent marcs, n'a jamais été acquittée. Elle avait été imposée à la Compagnie des Indes-Orientales en faveur de la concession de Madagascar et de tous droits de souveraineté sur cette île, faits par l'article 29 de l'édit de 1664. Mais Madagascar n'ayant pas tardé à être délaissée par la Compagnie, celle-ci fut expressément déchargée de la redevance dont il s'agit, par arrêt du Conseil du Roi, du 4 juin 1686].

On a vu la Compagnie des Indes, à la fin de 1664, c'est-à-dire dés ses premiers pas, aux prises avec les difficultés nées à l'occasion de ses projets de construction de vaisseaux ; on sait le résultat de la visite des côtes de l'Océan, ordonnée par Colbert et faite par une commission composée de l'intendant de la marine Colbert de Terron, Clerville, Chastillon, Giraudière, René Jousse et Blondel. Mais, dans l'intervalle du mois de décembre 1664 au mois de juin 1666, pendant dix-huit mois, que s'était-il passé ? Qu'était devenue la Compagnie des Indes avec ses vaisseaux en armement et ceux qu'elle se proposait de mettre sur les chantiers ?

Ce que l'on connaît à cet égard se réduit jusqu'à présent à fort peu de chose. On n'ignore pas que, le 7 mars 1665, partit de Brest pour Madagascar une première flottille composée de quatre vaisseaux, le Saint-Paul, le Taureau, la Vierge-de-bon-Port et l'Angle-Blanc, équipés moitié en guerre, moitié en marchandises, et montés par cinq cent vingt hommes. On sait, en outre, qu'une deuxième expédition, composée cette fois de deux vaisseaux seulement, sortit, l'année suivante, du port de La Rochelle, sous les ordres du hollandais François Caron, ancien président du commerce de sa nation au Japon. Mais, pour ce qui concerne les travaux maritimes de la Compagnie des Indes en France ou ses projets, on manque de documents précis et on se trouve en quelque sorte réduit aux conjectures, aux probabilités.

Néanmoins, tout porte à penser que, dès l'été de l'année 1665, c'est-à-dire aussitôt qu'elle connut le choix que le Roi avait fait de l'embouchure de la Charente, la Compagnie des Indes, de son côté, fixa le sien sur le Port-Louis. Voici du moins quelques détails historiques et quelques faits qui peuvent servir de base à cette opinion.

A cette époque, la Bretagne avait pour lieutenant-général du Roi, et le Port-Louis pour gouverneur, un même personnage, très haut et très puissant Messire Armand-Charles de La Porte, duc de Mazarin, La Meilleraie et Mayenne, pair de France, etc., etc. Ce grand seigneur venait de succéder à son père, Charles de La Porte, duc de La Meilleraie, mort le 8 février 1663. Au moment de son décès, le duc de La Meilleraie se trouvait à la tête d'une compagnie des Indes-Orientales, qui avait été organisée en 1656 avec un privilége de dix années et la concession de l'île de Madagascar. Le privilége de cette compagnie n'expirait donc qu'en 1666. On a vu cependant que, malgré cette circonstance, la compagnie créée en 1664 avait été pourvue des mêmes priviléges que celle de 1656. Mais les opérations de la société de La Meilleraie n'ayant pas été heureuses, le duc de Mazarin se montra médiocrement disposé à continuer l'entreprise, contrairement aux vœux des actionnaires qui voyaient une ruine certaine dans le délaissement de leurs comptoirs et de leur matériel. Dès-lors il devint facile à Colbert d'obtenir du duc de Mazarin et des actionnaires l'abandon de leurs droits et de leurs priviléges en faveur de la nouvelle société commerciale. Le 3 septembre 1664 les actionnaires acceptèrent une indemnité de vingt mille livres pour prix de cette cession ; quant au duc de Mazarin, beaucoup plus exigeant, il ne céda ses droits que le 20 du même mois, mais moyennant une indemnité de cent mille livres ; en paiement de laquelle il fut admis en qualité d'actionnaire de la nouvelle compagnie [Note : Lorsque la Compagnie de Colbert prit possession de Madagascar au mois de juillet 1665, les objets qu'elle y trouva, appartenant au duc de Mazarin et cédés par lui, consistaient en 14 pièces de canon de fer, sans affûts ; 500 boulets, 1000 livres de chaînes, 100 grenades vides, 50 balles ramées, quelque peu de plomb et un baril de poudre. La colonie se composait de cent Français. (Dufresne de Francheville)].

Ainsi donc, la première autorité de la province, le chef supérieur de Port-Louis, Hennebont et Quimperlé (le duc de Mazarin avait également ces deux anciennes places sous son commandement) était devenu, au mois de septembre 1664, l'un des principaux intéressés de la compagnie qui était venu supplanter la société commerciale maritime créée, ou pour parler plus exactement, protégée par son père et son prédécesseur dans le gouvernement de la Bretagne et le commandement du Port-Louis. Aussi, lors de la visite des côtes de l'Océan et de la recherche d'un port où se fixerait la Compagnie des Indes-0rientales, nul doute que le duc de Mazarin n'ait employé sa haute influence pour engager les administrateurs à choisir le Port-Louis, et fait ressortir à leurs yeux les avantages incontestables de sa situation. Il put, en effet, leur offrir un mouillage de premier ordre, une position géographique heureuse et incomparable, forteresse, ville close pour la protection des flottes et la sûreté des magasins : avantages relevés encore par la faveur du duc de Mazarin lui-même, gouverneur de cette place maritime, et par l'absence de toute rivalité de commerce local assez considérable pour créer des inimitiés redoutables, comme celles que l'on venait de voir éclater à Bayonne.

En présence d'une réunion de conditions aussi heureuses, une fois le choix du Roi fixé sur Rochefort, c'est-à-dire dès le mois de mai 1665, la Compagnie, libre de choisir à son tour, n’hésita pas, et, sans attendre à cet égard une décision ou une sanction royale, elle vint s'établir au Port-Louis dans le courant de l'été de la même aimée. On trouve la preuve de ce fait dans une délibération des États de Bretagne assemblés à Vitré au mois d'octobre 1665 (Le Faouëdic-Lisivy, p. 113).

L'assemblée des États, dans l'un de ces moments de généreuse prodigalité, qui se répétèrent si fréquemment, et que Mme de Sévigné dépeint avec une vérité si saisissante dans une lettre du 5 août 1671, précisément à l'occasion d'une nouvelle tenue des États dans cette même ville de Vitré ; les États, disons-nous, voulant donner au duc de Mazarin, gouverneur de la province, des marques de reconnaissance, lui accordèrent à perpétuité la jouissance des impôts établis ou à établir au Port-Louis, par le motif que ses grandes dépenses et celles de son père avaient fait de cette localité une ville si considérable « qu'elle avait mérité, à l'exclusion de toutes les autres du royaume qui recherchaient avec empressement un pareil avantage d'être choisie pour le principal établissement de la Compagnie des Indes-Orientales qui attire l'abondance et la richesse dans le pays..... ».

Cette délibération étant du mois d'octobre 1665, c'est-donc avec raison que l'on peut avancer que la Compagnie n'attendit pas l’ordonnance du mois de juin 1666 pour se fixer au Port-Louis. Ce fait était antérieur au mois d'octobre ; un règlement de compte, passé entre le duc de Mazarin et Bréart de Boisanger, négociant au Port-Louis, le 19 septembre précédent, semble le constater par cet article de dépense :

« Audit Boisanger pour despence par lui faite à la construction de la corderie du Port-Louis, la somme de unze cent cinquante livres... » (Le Faouëdic-Lisivy, p. 112).

 Il s'agissait de dépenses faites dans le courant des années 1664 et 1665 pour le compte du duc de Mazarin : dans quel intérêt ce seigneur aurait-il fait construire à cette époque, au Port-Louis, un atelier de cordiers, si ce n'était en faveur de la Compagnie des Indes ?

D'ailleurs, outre sa qualité d'actionnaire, le duc de Mazarin avait encore un motif d'intérêt très sérieux pour attirer sur le Port-Louis l'attention des commissaires. On a vu, au mois d'octobre 1665, les États de Bretagne lui accorder à perpétuité le produit des impôts levés dans cette ville. Mais il y avait alors plusieurs sortes d'impôts, ceux des villes, ceux de la province et ceux du roi ; il ne s'était agi, dans la libéralité des États, que des impôts appartenant à la province. Quant à ceux prélevés, pour le compte du gouvernement royal, sur le sel, les boissons, les vaisseaux et les marchandises, ils appartenaient déjà au duc de Mazarin, par suite de concession à perpétuité faite par Louis XIII au duc de Brissac, son aïeul maternel. Le produit de ces impôts royaux était fort important au Port-Louis ; le compte du 19 septembre 1665, déjà cité, en est la preuve, puisqu'il s'élevait pour deux années à vingt mille livres, non compris la part ou le bénéfice du fermier de ces impôts, Bréart de Boisanger. Du mouvement commercial que créeraient au Port-Louis les opérations de la Compagnie des Indes, devait évidemment résulter un accroissement des impôts. Et si, comme actionnaire, le duc de Mazarin pouvait espérer trouver avantage à choisir le Port-Louis plutôt que tel autre port, sa qualité de propriétaire des impôts sur les marchandises, les vaisseaux, les boissons et le sel rendait plus certain cet avantage personnel.

Ainsi donc, ce serait vers le milieu de l'année 1665 que la Compagnie des Indes-Orientales fonda son établissement maritime du Port-Louis, et le principal instigateur de cette détermination dût être Très haut et très puissant messire, Armand-Charles de La Porte, duc de Mazarin, La Meilleraie et Mayenne, pair de France, conseiller du Roi en ses conseils, gouverneur de la haute et basse Alsace, lieutenant-général en Bretagne, gouverneur de La Fère, du château de Vincennes, de Brissac, de Philipsbourg, de Bedfort, des villes et forteresses du Port-Louis, Hennebont et Quimperlé.

II.

Il ne faudrait cependant s'exagérer ni l'influence du duc de Mazarin, ni les conséquences de la visite des côtes de l'Océan par les commissaires du Roi, afin d'expliquer la préférence accordée à Port-Louis pour y fonder l'établissement maritime de la Compagnie des Indes- Orientales.

En effet, de temps immémorial, le hâvre de Blavet, devenu le Port-Louis sous la minorité de Louis XIII, était réputé parmi les navigateurs de toutes les nations. La Compagnie de La Meilleraye, nommée aussi Compagnie française de l'Orient, et Compagnie d'Orient, y avait armé des navires pour ses expéditions de l'Inde. Dufresne de Francheville, dans son histoire des Compagnies des Indes, ne cite il est vrai qu'un seul armement au Port-Louis, en 1657, d'un vaisseau de trois cents tonneaux sur lequel on fit passer cent hommes à Madagascar ; mais cet auteur ne donne pas toujours tous les renseignements relatifs au départ et à l'arrivée des navires dont il fait mention. Ainsi, le dernier navire armé par la Compagnie de La Meilleraye, à destination de Madagascar, en 1663, effectua son retour au Port-Louis dans le cours de l'été 1665, ce que ne dit pas notre historien. Ce navire était commandé par un gentilhomme breton nommé de Kergadiou de Saint-Gilly ; il en est question dans un acte de baptême de la paroisse de Plœmeur, du 22 août 1665 : « Baptême de un Maure natif de Madagascar, venu au Port-Louis, et y débarqué, dans un vaisseau commandé par le sieur Kergadiou de Saint-Gilly... ».

Mais remontons dans le passé ; nous trouverons des preuves que de tout temps l'on avait su apprécier l'heureuse situation du Port-Louis et les avantages de sa rade et de ses plages.

Sous le ministère de l'illustre cardinal de Richelieu, le véritable fondateur de Port-Louis, ville close et citadelle, des navires de guerre avaient été armés dans ce port. Au mois de janvier 1625, lors du coup de main pratiqué sur cette place par le prince de Soubise, l'un des chefs des calvinistes, le plus gros vaisseau du temps était en armement à Port-Louis avec plusieurs autres navires de moindre force ; c'était le vaisseau la Vierge, portant quatre vingts canons de bronze (fonte verte) [Note : On connaît les différentes versions relatives au sac de Port-Louis au mois de janvier 1625, niais le sort du vaisseau la Vierge est moins connu. Voici ce qui est consigné à ce sujet dans les mémoires du duc de Rohan, frère du prince de Soubise : Réfugié dans l’Ile-de-Ré, Soubise n'ayant pu repousser une descente des troupes royales « retira ses troupes à Saint-Martin de Ré où il faisoit estat de les rembarquer dans ses vaisseaux et donner la bataille par mer. Mais il trouva que l'espouvante avait saisi Guiton (amiral de la flotte calviniste), lequel, contre le commandement de Soubize, avoit fait sortir les cent Soldats de la Vierge, et que Fozan (vice-amiral calviniste) pour espouvanter les autres, avec quelques capitaines de son intelligence, eschouèrent les plus grands vaisseaux de Soubize, et les autres se voyans ainsi trahis et abandonnez se sauvèrent chacun où ils purent, resté (excepté) la Vierge, où il n'y avoit que cinq hommes dedans, mais gens de bien (d'honneur, qui voyant venir quatre vaisseaux de l'armée royale se résolurent à tout : quand ils l'eurent abordé et accroché et qu'ils furent montez dessus le patron nommé Durant saute dans la pouldre avec une mêche allumée et fait périr les cinq vaisseaux et tous ce que estoit dedans, au nombre de sept cent trente-six hommes... ». Durant mourut en héros et cependant son nom est tombé dans l'oubli... Pourquoi faut-il aussi que son action héroïque se soit produite dans une guerre fratricide !].

Auparavant, en 1616 et 1617, le gouvernement de Louis XIII nomma des commissaires pour examiner la situation de Blavet, port qui avait été pendant la Ligue d'une importance considérable et qui venait plus récemment d'être le point de mire des desseins des princes soulevés contre l'autorité de la reine régente. Sur le rapport des commissaires, le roi rendit, le 17 juillet 1618, un édit portant création à Blavet, sous le nom de Port-Louis, d’une ville fortifiée. L'exposé des motifs de ce document forme en quelque sorte le résumé historique de cette place, de même que le point de départ d'une existence nouvelle ; à ce double titre il mérite d'être reproduit.

« Louis par la grâce de Dieu Roy de France et de Navarre à tous présents et à venir, Salut : — Considérant les entreprinses et fortifications qui ont esté faites en divers temps au lieu de Blavet, pour l'importance et opportunité de l'assiepte, nous commandammes durant les derniers troubles à nostre cousin le Maréchal de Brissac nostre lieutenant général au gouvernement de nostre pais de Bretaigne et en son absence au comte de Brissac son fils pourveu de ladite charge à sa survivance de s'y jouer, loger et fortiffier pour éviter les inconvénians qui en pouvoient arriver au dommaige de nostre service et du pays si ceste place fust demeurée en l’estat qu’elle estoit alors ; et comme nous avons eu pour principal but en cela, le repos et la seureté de la province, aussi avons-nous voullu (la guerre estant finie) estre informés par personnes capables et affectionnez à nostre service et au bien d'icelle des moyens plus convenables et utiles pour la délivrer à l'advenir du péril auquel elle sembloit toujours estre exposée à cause de ladite place, et à cet effect aurions dès le huitiesme jour de juillet mil six cens saize, commis nostredit cousin le Maréchal de Brissac, et en son absence ledit Comte de Brissac, et nos amez et feaulx Mes... l'Oysel sieur de Brie, conseiller en nostre conseil d'Estat et président en nostre cour de parlement de Rennes ; Pierre Cornullier conseiller en nostredit conseil d'Estat et abbé de Saint-Méen, et Claude Cornullier, trésorier de France et général de nos finances dudit pays, pour se transporter audit Blavet ; et depuis, en l'année mil six cens dix-sept, envoyé sur les lieux à mesme fin le sieur de Bailleul aussi conseiller en nostredit conseil d'Estat, et maistre des requetses ordinaires de nostre hostel, et avecq luy sieur Alleaume l'un de nos ingénieurs. Tous lespuels ayant dressé et à nous raporté procès-verbaux de l'exécution de leurs commissions et de tout ce qu'ils ont remarqué d'important et considérable audit lieu de Blavet, nous avons veu par iceux et entendu par le raport qu'ils nous en ont plus particulièrement fait en nostre conseil, que la situation de cette place est l'une des plus belles, plus commodes et plus fartes qui se puissent trouver en toute l'Europe, tant pour la bonté et fertilité du pays que pour la grandeur, seureté et facilité du hâvre qui est la retraite asseurée el ordinaire des vaisseaux qui naviguent du nort au sud, tellement qu'elle n'est moins bien estimée des estrangers que de nos subjects, et que si nous ne nous en prévalons à l'utilité des ungs, il est à craindre que les autres fassent desseing dessus et que si jamais ils en trouvoient l'opportunité, ils tournent au dommaige du pays tous les advantaiges que la nature y a mis qui sont tels qu'il semble qu'ils se soient pleue à l'orner et accommoder de tout ce qui s'y pouvoit désirer soit pour la construction des bastiments ou pour la commodité de la vie ; et que une si rare et parfaite assiette accuse de négligence ceux qui jusqu'à present l'ont laissée inutille. Aussi est-il certain que les ducs de Bretaignne estans entrez en cette considération ont quelques fois pensé de s'en servir comme il apert par un procès-verbal qui nous a esté raporté et fut faict l'an 1486 par Jehan prince d'Orange et Jehan sire de Rieux que le duc de Bretaigne commist et députa dans ce temps là pour ouïr la noblesse voysine dudit lieu, et les marchands fréquentans la mer, sur la commoditté et importance d'icelluy. Lesquels suivant l'advis desdits nobles et marchands déclarent qu'il est necessaire pour le service dudit duc et pour son utilité, profit et advantaige de ses subjects, et aussi pour la beauté du hâvre et seureté des marchands d'édiffier promptement une tour audit lieu à la pointe du dit hâvre et y tenir du canon.

Ce qu'ayant considéré, nous avons jugé à propos, non seulement de conserver le fort jà commencé audit lieu [Note : Ce passage fait allusion à l'article 9 des remontrances des États de Bretagne, assemblés à Nantes, présentées au roi le 25 juillet 1614 : — « Demande. Pour empescher qu'à l'advenir l'on ne puisse retomber en pareil inconvénient (il s'agissait des derniers troubles en Bretagne) que ceux èsquels l'on s'est veu plongé depuis les six derniers mois, les Estats supplient très humblement Leurs Majestés ordonner que Blavet sera promptement raczé en sorte que l'on ne s'y puisse pas cy–après fortifier. — Responce. Sa Majesté y a desia pourveu et veut et entend que ledit razement soit faict sans aucune remise » — On voit que le roi ne persista pas longtemps dans sa première résolution] par nostre commandement durant lesdits derniers mouvements, mais aussi pour une plus grande asseurance et pour le bien, profit et augmentation de nostredit pays d'y faire bastir et construire une ville, qui pour les raisons susdites et pour la facilité du traficq et commerce, se pourra rendre en peu de temps abondante en peuple et en richesses.

Pour ces causes et autres considérations à ce nous mouvans, après avoir fait voir en nostre conseil tous lesdits procès-verbaux et le plan et desseing avec l'arpentaige et mesuraige du contenu, grandeur et estandue de ladite place faicts par les experts, de l'advis d'icelluy et de Nostre plaine puissance et autorité royalle, avons dit, statué et ordonné, disons, statuons et ordonnons que, suivant et conformément auxdits procès-verbaux et au plan et desseing susdits, ledit lieu de Blavet soit retranché, fossoyé, fermé de murailles, bastions et rampars avecq tours, portes, portaux, pont-levis, barrières et autres fortiffications qui seront jugées nécessaires pour la deffense et seureté d'icelle.

Et pour d'autant plus faire connaistre l'affection que Nous avons à cest ouvraige et laisser à la postérité une marque signallée de nostre nom comme ont fait en pareil cas les plus grands monarques de la terre, nous avons voullu en décorer et honorer ledit lieu de Blavet, et à cest effect déclarons notre voulloir et intention estre que doresnavant perpetuellement et à toujours il soit dit, nommé et appelé Port-Louys.

Comme aussi affin de donner à nos subjects plus grande occasion de s'habituer en ladite ville, avons tous et chacuns les habitats qui demeureront dans l'enclos d'icelle, affranchis, quittez et exemptez durant dix années prochaines ensuivantes et consécutives à commencer du premier jour de janvier prochain, des paiement et contribution aux fouaiges, imposts et billots et de toutes autres levées qui se font audit païs fors et excepté du taillon.

Voulions semblablement et entendons que tous ceux qui voudront construire maisons dans ladite ville de Port-Louys selon l'ordre et les allignemens qui leur seront baillez soient exempts, et tous les autres habitans d'icelle des droits de lotz et vantes qui nous pourroient estre deubz pour les acquisitions de maisons et autres héritaiges qu'ils feront dans l'enclos et estendue de ladite ville sans qu'ils soient tenus de nous payer aucune chose desdits droits pour la première et seconde mutation seulement dont nous les avons deschargez et deschargeons ; que ceux qui ont héritaiges ou vieux emplacementz au dedans de l'enclos et retranchement susdits et ne voudront bastir dans deux ans après ledit retranchement commencé seront tenus de les vendre à d'autres à pris raisonnable pour y bastir suivant lesdits alignemens.

Que sur tous les vaisseaux et marchandises qui entreront par mer audit port et havre de Port-Louys et en sortiront, soit qu'elles y soient deschargées pour y estre vendues et debitées ou non, il ne sera pris aucun droit le brieux ni autres.... que les anciens de ports et havres et ceux de l'ancienne traite et domanialle du Duc ainsy qu'ils ont accoustumé de se lever aux autres ports et havres de Bretaigne ; et jouiront les marchands de l'exemption de tous autres droits comme en jouissent ceux de nostre ville de Nantes et autres de ladite province sans qu'il y puisse estre mis ou estably aucun nouveau subside durant dix années prochaines.

Et d'autant que, pour éviter la tempeste de la mer et fuir le naufraige, les vaisseaux passans en cette coste sont contraints pour se mettre à couvert se servir de la commodité du port et baye dudit Port-Louys, nous voullons et entendons que ceux qui se retireront en ladite baye, et ne deschargeront leurs marchandises audit Port-Louis ou à Hennebont soient tenus payer quatre livres pour chacun vaisseau excédant cinquante tonneaux, et quarante sols pour ceux qui seront au dessoubz desdits cinquante tonneaux, pour estre les sommes qui en proviendront employez à la despense qu'il convient faire pour le retranchement et closture susdit de ladite ville de Port-Louys.

Et pour rendre le marché-ja estably et que Nous voulons estre continué audit Port-Louys, le sabmedy de chacque semaine d'autant plus célèbre et fréquenté des marchands et autres nos subjects, Nous avons icelluy marché affranchi et affranchissons par ces présentes durant dix ans aussi prochains et consécutifs sans que pendant ledit temps il puisse estre prins et levé aucuns droits et autres impositions sur toutes les marchandises et danrées qui y seront aportées en ladite ville, pour y estre vandues et distribuées ledit jour de marché, auquel jour nous voulons et entendons que le juge du siége royal de Henbont de l'estendue, ressort et juridiction duquel despand ladite ville de Port-Louys, soit tenu de se rendre audit Port-Louys pour y tenir l'audience et rendre la justice à nos subjects dudit lieu.

Et affin que les affaires communes de ladite ville soient conduites et administrées avecq ordre et par personnes capables qui en puissent répondre, sur le soing et vigillance desquels le surplus des habitans se puissent reposer, nous avons auxdits habitans de Port-Louys accorde, donné et attribué par ces présentes, accordons, donnons et attribuons droit et privilége de communauté, en l'assemblée de laquelle communauté nous voullons et entendons qu'ils puissent eslire par chacun an, à tels jours aviseront par la pluralité de voix suffraiges un d'entr'eux pour estre leur procureur syndicq et autre chargé des affaires communes de ladite ville, et l'année suivante, à pareil jour, le déposer et en eslire un autre en sa place, sinon le continuer s'ils voient que bon soit pour pareil temps et en ceste qualité se trouver et assister de leur part avecq tels autres desdits habitans qu'ils nommeront aux Estats ordinaires de ladite province, auxquels ils auront entrée, voix, séance ainsi que ceux des autres villes royalles de ladite province, aux uz et coustumes desquelles pour le surplus ils seront tenus de se conformer.

Sy donnons en mandemant à nos amés et feaux conseillers les gens tenant nostre cour de Parlement de Bretaigne séant à Rennes, Chambre de nos comptes, trésoriers de France et généraux de nos finances audit pays establis à Nantes, sénéchal de.... ou son lieutenant et tous autres nos justiciers et officiers qu'il appartiendra que ces présentes ils aient à entériner, faire lire, publier et enregistrer et du contenu en icelles ils facent, usent, souffrent et laissent chacun en droit soy jouir et user les habitans de nostre ville de Port-Louys présens et advenir plainement, paisiblement et perpétuellement, cessons et faisons cesser tous troubles et empeschemens à ce contraires ; car tel est nostre plaisir, sauf en autres choses nostre droit. Et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous avons fait mettre nostre scel à ces dites présentes. — Donné à Saint-Germain en Laye, le dix-septiesme de juillet l'an de grace mil six cens dix-huit et de nostre règne le neufviesme, signé Louys. Et plus bas, par le Roy, signé Potier. — Scellés du grand sceau de cire verte et lacs de soie rouge et verte.

Lues, publiées et registrées ouy et le requérant l’advocat general du Roy, sans que les debvoirs et subsides des quatre livres et quarante sous mentionnés auxdites Lettres puissent estre levés sur les subjects du Roy. Fait en Parlement à Rennes le vingtiesme aoust mil six cens dix-huit. Signé L. C. Picquet ». — (Sur une copie des archives municipales de Port-Louis).

Jusqu'à 1618, les ducs de Bretagne et les rois de France, leurs successeurs, avaient donc négligé de tirer parti des avantages naturels du port de Blavet et de son havre ; mais on vient de voir que depuis longtemps ils étaient connus et appréciés. Ainsi, Henri IV ne négligea pas les sacrificés pour obliger les Espagnols à quitter cette place qu'ils avaient fortifiée et occupée en maîtres pendant tout le temps de la Ligue, de 1590 à 1598. Henri III, son infortuné, prédécesseur, accorda aux habitants de Locpéran, autrement dit Blavet, le privilége, du papegaut, en 1515, « parce que ledit lieu est l'un des plus beaux et fréquens havres du pays et duché de Bretagne, peuplé et abitué de grand nombre de gens.... ». Non-seulement ce monarque apprécia la situation de Blavet, mais encore il ne négligea aucun moyen de s'attacher les habitans de ce petit port ; ceux-ci, de leur côté, donnèrent des preuves éclatantes de dévouement à ce prince. En 1573, ils équipèrent à leurs frais une flottille avec laquelle ils allèrent au siége de La Rochelle secourir l'armée royale. Ce fait patriotique est consigné dans des lettres-patentes du 26 mai 1577, par lesquelles Henri III confirmait les Blavétins dans le privilège da papegaut accordé deux ans auparavant :

« .... Désirant bien favorablement traiter lesdits suppliants et leur donner occasion de continuer au debvoir de fidélité qu'ils ont tousiours eus à cette couronne ainsi qu'ils nous firent cognoistre durant le siège de La Rochelle où la plupart d'entre eux nous vindrent trouver avec plusieurs navires de guerre dudit havre de Blavet qu'ils avaient esquipés à leurs despans, sans en avoir eu aucun remboursement ni récompense .... ».

Les armements de navires de guerre de 1625 et de 1573 ne furent pas les premiers qui se firent à Blavet. Dans les Actes de Bretagne, dom Morice mentionne, à la date du 25 août 1487, un navire de guerre, nommé Sainte-Elisabeth-de-Blavet, nom qui permet de supposer que ce bâtiment aurait été construit ou armé dans ce port. Enfin, selon un autre historien breton, Bertrand d'Argentré, « en l'an mil trois cent cinquante et un passèrent en Angleterre le sire de Beaumanoir, Martin de Frehieres, Yvon Cherruel, le chevalier Penhouet, Bertrand du Guesclin, Berdrand de S-Père, capitaine du pays, et s'embarquèrent au port de Blavet menant à Charles de Bloys ses deux enfans pour tenir en ostage comme il estoit accordé en sa place, pendant que le père s'en reviendroit pour trouver les deniers de sa rançon ... ».

N'est-elle pas significative cette expression s'embarquèrent au port de Blavet ?... — Les commissaires du duc François II, en 1486, pas plus que ceux de Louis XIV, en 1664, ne peuvent donc être considérés comme les premiers appréciateurs de l'importante situation d'un port qui était connu et fréquenté de temps immémorial.

Nous désirerions ne pas insister davantage sur ce sujet, cependant il nous est difficile de le quitter sans y ajouter quelques nouvelles remarques.

Dans un acte de partage du 2 septembre 1671, Hamonic, notaire à Port-Louis, on relève certains noms de parcelles de terre qui éveillent l'attention : « Un parcq de lande appelé Parcg-tresse-en-Normandez ; — une petite parcelle de lande appelée Perch-hiern-en-Normandez — Parcq-Névé-en-Normandez ; — Pemp-ervue-en-Normandez ; — Parcq-en-Normandez-ar-er-houach.... ». Ces pièces de terre sont situées aux issues du village de Lezenel, au fond d'une petite baie, rive gauche de la rade de Lorient, entre Penmané et Lonniquellic. Comment expliquer ces singuliers noms de parcelles de terre qui réproduisent si fréquemment l'expression en Normandez, les Normands ? Et cette expression : Parcq-tresse-en-Normandez, Champ des traces ou des vestiges des Normands ? A une époque quelconque, des Normands auront sans doute séjourné au fond de cette baie de Lezenel, malgré le silence de l'histoire à cet égard ; mais de quels Normands s'agit-il ?

A notre avis, il ne faut pas voir ici un souvenir des anciennes hordes de Normands qui se répandirent en pirates sur nos côtes, du VIIIème au XIème siècle, bien qu'il soit reconnu qu'ils s'établirent à l'embouchure de presque toutes nos rivières. Les Bretons désignèrent ces Normands sous le nom de Sauzon, Saxons. Il s'agirait donc des habitants de la Normandie, province française, et il serait possible ici d'appliquer certain passage de l'histoire de d'Argentré.

Cet historien rapporte qu'au commencement du XVème siècle, sous le règne heureux du duc Jean V, la Bretagne étant devenue riche « par la paix mère d'abondance », tandis que la Normandie, sa voisine, se voyait constamment pillée et ravagée par les Anglais et les Français, qui se disputaient la possession de cette province, un grand nombre de familles normandes se réfugièrent en Bretagne et s'y fixèrent :

« Et en vint en ce temps, écrit-il, par une fois jusques au nombre de vingt-cinq mille mesnages d'hommes, qui se retirèrent avec leurs enfans et leurs biens en Bretagne, deliberez (résolus) d'y faire leur résidence, et furent liberalement recueillis ès villes pour faire comme nouvelles colonies.... et delà en Bretagne vinrent les drappiers, qui premièrement aprinrent au peuple à faire les bons draps, car auparavant l'usage n'y estoit.... ».

Mais cet établissement de Normands à Lezenel fut sans doute éphémère, puisque, à part ces noms de champs dont quelques-uns ont été conservés par le cadastre, nous nous en sommes assuré, c'est vainement que l'on parcourt le terrain pour en découvrir quelques vestiges.

L'antiquaire est plus heureux dans ses recherches sur le littoral de la rade, s'il se livre à l'étude des temps de l'occupation romaine. A partir de Lomiquélic jusqu'à Gâvre, il peut encore découvrir des pans de mur, des fragments de marbre et des débris de poterie ou de briques d'origine gallo-romaine. Assez fréquemment encore, on y trouve des monnaies de ces conquérants des Gaules, et le musée archéologique de Vannes en possède de nombreux échantillons. Ne voit-on pas dans ces traces du passé une preuve nouvelle de l’importance reconnue, dès les temps les plus reculés, aux bouches du Blavet et du Scorff ? Comment s'expliquer alors cette assertion d'un antiquaire du siècle dernier, M. Potier de La Sauvagère, qui, malgré un long séjour à Port-Louis et à Lorient, combattait en ces termes l'opinion des savants qui fixaient à Port-Louis la station romaine Blabia : « Il est à remarquer qu'il ne fut jamais question dans le territoire de Port-Louis d'aucunes ruines (romaines) quelconques ... » ?

Que la station Blabia ait été fixée à Blavet, ou à Blaye à l'embouchure de la Gironde, c'est assez difficile à déterminer au milieu de l'obscurité et du vague des renseignements géographiques que nous ont laissés les anciens. Mais là ne se bornent pas les patentions de ceux qui attribuent au port de Blavet une existence contemporaine au moins de l'occupation romaine.

Le Brivates portus, du géographe Ptolémée, peut encore lui être applicable. Certains noms de lieux que l'on relève actuellement sur les bords de la rivière de Blavet, tels que Ker-Brévet, Sé—Brévet (commune de Lanvaudan), sont autant d'indices qui corroborent l'opinion que nous croyons devoir émettre dés-à-présent.

Mais terminons ce chapitre.

L'instinct des générations nous paraît avoir préludé, pour ainsi dire, à cette ordonnance célèbre qui a donné au port de Lorient sa constitution définitive.

(M. Jégou).

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