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LA PAROISSE ET JURIDICTION DE LORIENT

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En 1690, quand la Marine Royale eut logé ses ouvriers dans les casernes de Lorient, elle ne jugea pas nécessaire de construire une nouvelle chapelle et conserva celle de la Compagnie des Indes-Orientales. L'aumônerie en fut confiée successivement à Messires Mosnier (1er septembre 1690), Chambon (1er juillet 1691), Guitton (1er janvier 1697) et Coalan (1er avril 1709-1720). Ces prêtres furent parfois secondés dans leur difficile ministère par des aumôniers adjoints, parmi lesquels figure l'abbé Périer, (1704 à 1714).

Quand, en 1700, la population fut chassée de l'Enclos par la Compagnie des Indes-Orientales, il se groupa bientôt dans la lande du Faouédic plus de 1.000 personnes qui ne pouvaient trouver place dans la chapelle de l'arsenal et devaient aller à Ploemeur. Comme elles n'avaient guère envie de faire une lieue et plus de mauvais chemins, elles n'entendaient jamais la messe, manquaient d'instruction religieuse et mouraient sans les sacrements. On décida donc de construire une église tréviale, où l'on célébrerait les baptêmes, les mariages et les enterrements, où un prêtre, choisi par le recteur de Plœmeur, aurait qualité de curé et prêcherait en français pour le peuple qui n'entendait rien aux prônes bretons.

Ce desservant devait être entretenu sur le revenu des droits curiaux et des dîmes de la paroisse à moins d'un refus de la part des décimateurs. Les principaux décimateurs étaient le Chapitre de Vannes et les Pères de l'Oratoire de Nantes. Ils firent la sourde oreille. Le Roi et la Compagnie durent alors promettre chacun 100 livres de rente annuelle pour le curé, « jusqu'à ce qu'il puisse tirer sa subsistance raisonnable par le casuel ».

Ce point réglé, il fallut songer à l'édifice du culte. Le 19 septembre 1700, Desgrassières, directeur-député, et Antoine de Mauclerc recherchèrent le lieu le plus convenable et le plus central. Pierre Dondel avait promis le terrain de la chapelle et du cimetière, mais il mit bientôt à son offre une condition sine qua non : celle d'être reconnu fondateur de la nouvelle église. La Compagnie des Indes-Orientales refusa net. Elle tenait à avoir part aux droits honorifiques immédiatement après le Roi. Dans ce but, elle offrit à son tour un terrain de 100 pieds S/36, situé dans l'Enclos, où il aurait suffi d'abattre cinq à six cabanes. On tergiversa. Alors, comme le lieu préalablement choisi hors de l'enceinte, paraissait mieux convenir, elle promit 500 livres pour acquérir le terrain. Pour la construction, elle proposa 800 livres. Le Roi ajoutait 1.000 livres et la Compagnie de Saint-Domingue, qui tentait de s'établir à Saint-Christophe, 200 livres. Enfin pour compléter la somme, les habitants de Lorient devaient donner 300 livres. Tout s'annonçait donc pour le mieux, mais les belles promesses ne furent pas tenues (Archives Min. Colonies, C2, Dossier Lorient ; Archives Nationales. Marine, B3 109, f° 144 v°. 164 v° . Bibliothèque Nationale, Nouvelles Acquisitions françaises, 9495, f° 26 (Copie Margry) ; Archives de l'Arsenal de Lorient, 1 E, 6, f° 148, 179). Dès novembre 1700, le recteur de Plœmeur fit des difficultés, le Roi fléchit dans ses résolutions et l'aumônier Guitton dut faire le voyage de Versailles pour plaider la cause de Lorient. L'évêque de Vannes, François d'Argouges, ne se décida à visiter les lieux que le 5 novembre 1701. Il compta 1.500 personnes en dehors de la chapelle du port pendant la première messe, et trouva donc très pressant d'ériger une église dans cette agglomération de plus de 3.000 âmes, éloignée d'environ deux lieues de la paroisse.

« Comme la chapelle est petite et que tout le monde presse pour y entrer, écrivait Mauclerc, il s'y fait un si grand bruit et un désordre si continuel que, non seulement on n'y peut avoir de dévotion, mais le prêtre même est obligé d'interrompre plusieurs fois les Saints Mystères pour demander le silence et le respect dû au Sacrifice, sans pouvoir l'obtenir ».

François d'Argouges prit la chose à cœur. Une discussion s'engagea entre Lorient et Vannes en mars 1702. L'évêque aurait voulu faire de la nouvelle église, une trêve où le recteur aurait fait résidence, mais l'ordonnateur voulait maintenant une paroisse en titre : la construction des édifices n'en coûterait pas plus cher et, pour faciliter la fondation du gros du recteur et la subsistance des prêtres, on unirait un prieuré à la paroisse. Ainsi pourrait-on prendre le prieuré de Lan-Nenec, en Plœmeur, ou celui de Saint-Guénaël, en Caudan, dont les titulaires, qui habitaient Rome et Paris, seraient indemnisés de leur vivant par le Roi et n'auraient pas de successeurs. A cette proposition l'évêque répondait que le consentement des titulaires ne suffisait pus et qu'il fallait encore celui des collateurs, les abbés de Rhuis et de Redon, sans oublier le Pape, qui avait la collation pendant huit mois de l'année (Archives Nationales. Marine, B3 113, f° 191 ; Archives Min. Colonies, C, Dossier Lorient).

Sur cette union d'un prieuré, Jérôme de Pontchartrain était de l'avis de François d'Argouges il fallait trouver de l'argent ailleurs. Les habitants de Lorient offrirent d'établir une rente sur leurs maisons et le directeur Toussaint Bazin proposa de prendre 15 livres par an sur chaque cabane de l'Enclos habitée par des employés qui n'y avaient pas droit. Cette nouvelle source de revenus était bien aléatoire Antoine de Mauclerc jugea prudent de commencer à bâtir, pensant que l'achèvement de l'église entraînerait la fondation de la paroisse.

Le plan de l'édifice, en forme de croix latine, était très simple. Il n'y avait pas de clocher. Six chapelles donnant sur la nef devaient être bâties par les corps d'ouvriers. Des charretiers, des charpentiers, des menuisiers, des sculpteurs, des doreurs s'offrirent pour travailler gratuitement. Le 26 août 1702, l'évêque de Vannes arriva, du Port-Louis pour délimiter le terrain de la nouvelle église, du cimetière et du presbytère. Le lendemain, Pierre Dondel fit don de ce terrain aux habitants, leur permit d'exploiter ses carrières, et reçut en retour les droits honorifiques, immédiatement après le Roi, dans le sanctuaire qu'on allait enfin commencer à bâtir (Archives de l'Arsenal de Lorient, 1 E,8, f° 89, 140 ; Archives Min. Colonies, C2, Dossier Lorient ; Archives Nationales. Marine, B3 117, 437, 463 ; Archives municipales de Lorient, GG 26, Acte du 27 août1702. Reg. des délibérations, p. 12).

La Compagnie des Indes-Orientales renonça sur-le-champ à toutes prérogatives. Malheureusement elle renonça aussi à tenir ses promesses et les 1.300 livres qu'elle devait donner ne sortirent jamais de sa caisse, laquelle d'ailleurs était vide. La Compagnie de Saint-Domingue, dont l'établissement sur le Scorff avait été abandonné, ne se crut plus obligée d'avancer rien pour l'église. Les libéralités de Pierre Dondel restèrent limitées au don du terrain et, si le prince de Guémené, dès l'été 1702,lui disputa les droits honorifiques, ce ne fut pas en vertu d'une plus grande munificence, mais en raison de son fief de Tréfaven qui le faisait fondateur de l'église de Lorient comme de celle de Plœmeur (Archives Nationales. Marine, B3 117, f° 474, 475).

La Marine restait donc seule en face de la dépense à faire, car, pour la population, il n'y fallait guère songer. Antoine de Mauclerc se mit donc résolument à l'ouvrage. L'évêque de Vannes et les habitants de Lorient avaient désiré qu'il fût seul à ordonner la dépense. Il eut trois sources de revenus : les aumônes, les amendes et les dotations du Roi.

Louis XIV, qui avait promis 1.000 livres pour la construction de l'édifice, doubla la somme en mai 1703, mais en juillet 1704 le versement n'était pas encore fait. On était entré dans la période des économies et des compressions le Trésor royal était vide (Archives de l'Arsenal de Lorient, 1 E, 8, f° 199 ; 1 E, 9, f° 95 ; 1 E, 10, f° 170 v°). En juin 1702, un matelot obtint d'éviter le conseil de guerre, à condition d'offrir 600 livres pour l'église. En octobre 1703, un autre matelot fit don de sa paye et les fondations du monument furent jetées sans plus attendre. En novembre 1703, l'Emmanuelle-Marguerite déchargea de l'ardoise qu'elle avait été quérir à Redon « pour l'église qu'on a commencé à l'Orient » [Note : Une grande partie des pierres fut fournie par la Compagnie de Saint-Domingue qui renonçait à son établissement de Saint-Christophe ; Archives Colonies, C]. Malheureusement l'ardoise fut inutilisée. En octobre 1705, l'église n'était pas couverte. L'ordonnateur réclamait à Jérôme de Pontchartrain une partie d'une aubaine : cette aubaine devait être prélevée sur la fortune de flibustiers morts à bord d'un vaisseau des Indes. « S'il vous plaist, écrivait Clairambault, de nous accorder cette grâce, nous ferons dans peu de jours couvrir le chœur de cette église pour qu'on y puisse dire la messe de Noël et nous mettre en estat d'y commencer une chapelle que je vous suplie de nous permettre de dédier à saint Hiérome. La protection que vous donnés à cette église mérite que tous les habitants de l'Orient fassent continuellement des vœux à ce bon saint pour que Dieu vous comble de ses plus prétieuses bénédictions ». Ainsi l'on tentait d'intéresser Pontchartrain, comme on avait voulu se concilier le Roi en dédiant l'église à Saint Louis.

En décembre 1705, on n'avait encore couvert que la sacristie, où l'on faisait le catéchisme aux enfants. Pour achever le choeur et les chapelles des croisillons, il fallait 8.700 livres. On mendia des aumônes aux armateurs qui déchargeaient leurs navires au Port-Louis. Ils ne donnèrent pas toujours. Des Malouins revenus au Morbihan abandonnèrent 1.000 livres ; le Roi en promit, 2.000 sur la fortune des flibustiers morts et les Etats de Bretagne accordèrent encore 2.000 livres. Grâce à ces sommes insuffisantes, la charpente du chœur fut en place en avril 1707. En juin, elle avait reçu sa couverture. En août, on travaillait aux croisillons et la nef restait à faire. En octobre, on manquait de ressources pour « couvrir les deux ailes de cette églize, ce qui donneroit beaucoup de place au peuple qui n'en a presque point et qui, les festes et dimanches, est obligé d'entendre la messe à genouil dans la boue et la teste nue pendant qu'il pleut sur lui averse ». Nous voyons par là qu'aussitôt l'autel abrité, on avait ouvert l'édifice au culte. Pendant que Clairambault tâchait d'achever la nef, les « fondateurs » étaient en grand conflit, touchant la position des bancs. Après d'interminables tergiversations, un arrêt du Conseil, rendu à Fontainebleau le 19 septembre 1707, ordonna que les armes du Roi seraient gravées sur les pignons, sur les vitraux, sur les portes de l'église et sur le presbytère, un peu au-dessus de celles des Rohan-Guémené à droite et de celles des Dondel à gauche que le banc royal serait établi au milieu du choeur sur la même ligne que celui des Rohan-Guémené (côté de l'épître) et que celui des Dondel (côté de l'évangile). Les honneurs devaient être déférés, d'abord au prince de Guémené, ensuite au commandant et à l'ordonnateur représentant le Roi, enfin à Dondel. Cet ordre devait être respecté au cours des processions. Le prince avait droit de litre au dehors de l'église et Dondel au dedans. Ils avaient tous deux sépultures prohibitives dans le chœur, du côté où chacun avait son banc. L'arrêt du conseil de 1707 mit ainsi fin à la longue querelle des prérogatives. On décida de mettre un quatrième banc derrière les trois autres pour la Compagnie des Indes-Orientales et de placer les officiers de marine dans une des chapelles du transept, qui étaient dédiées, au nord à saint Jérôme, au sud à la sainte Vierge (Archives Min. Colonies, C2, Dossier Lorient ; Archives Nationales. Marine, B3 129, f° 455, 623 ; B3 137, f° 10, 204 ; B3 147, f° 181, 262 ; B3 148, f° 9, 158, 234, 320 ; Archives de l'Arsenal de Lorient, 1 E, 8, f° 144 ; 1 E, 9, f° 217 ; 1 E, 11, f° 229 :1 E, 13, f° 184 et 309, etc.).

Une autre difficulté surgit quand Clairambault se résolut, de nouveau, à réclamer la fondation d'une paroisse. Elle vint du recteur de Plœmeur,Thomas Morphy, qui sa jugeait lésé. Le 31 août 1705, l'ordonnateur signalait déjà que le curé de Lorient avait si peur de ce recteur qu'il préférait voir un mort « mangé des chiens » que de l'enterrer dans le cimetière de Saint Louis aux dépens du cimetière paroissial. Le Roi, afin de ne pas trop blesser les intérêts de Morphy, promit 400 livres pour la portion congrue du nouveau recteur et 200 livres pour la subsistance de son curé, à prendre sur les fonds de dépenses du port de Lorient, (arrêt du conseil du 7 février 1708) (Archives Nationales, E 1943, f° 47).

Le 6 mars suivant, les habitants adressèrent à l'évêque de Vannes un placet pour l'érection de leur église en paroisse. Ils rappelèrent les raisons qu'ils avaient et soulignèrent qu'une trêve ne suffirait pas, car, aux grandes fêtes ils seraient encore obligés de se rendre à Plœmeur où ils se disputeraient avec les paysans, comme il était arrivé « dans la dernière feste du Saint-Sacrement où les dits habitants se batirent et commirent beaucoup de désordre, tant par jurement, y vrognerie qu'autrement ». Ce placet fut contrôlé par un notaire apostolique le 7 mars et, le 9, il fut communiqué à François d'Argouges par le promoteur de l'officialité. Cette requête portait trente-cinq signatures, presque toutes émanant d'officiers de marine. Le 10, l'évêque promulgua une ordonnance portant qu'il descendrait sur les lieux pour y faire les procès-verbaux et les informations de commodo et incommodo. Le 17, il débarqua de « son carosse d'eau » à Lorient, où Charles de Clairambault lui avait préparé « une soupe ».

Le 18 était un dimanche. Le recteur de Plœmeur célébra la messe. A l'issue de l'office, l'évêque parla aux fidèles et se retira pour les laisser délibérer. Il pria Morphy d'en faire autant, mais ce dernier, « homme très rustique ». refusa net d'obéir. Conseillé par le cabaretier Kermoisan, il s'était fait des alliés parmi les paysans de Plœmeur fixés depuis peu à Lorient. Pendant toute la semaine il avait bu avec eux et leur avait prétendu que la fondation de la paroisse les accablerait de taxes et d'impôts. Sa cabale l'entourait à l'église, où il interrompit plusieurs fois le notaire apostolique qui lisait l'arrêt du conseil et le placet des habitants. Il provoqua « un grand bruit par des femmes qui estoient en la dite église », « un si grand bruit qu'il ressemblait fort à une sédition ». On dut cesser la procédure. 

Après vêpres Thomas Morphy, toujours flanqué de la « populace parmy laquelle il y avoit beaucoup de femmes », renouvela ses intrigues. Il ne réussit à rien et quatre députés furent désignés par plus de 90 voix pour accepter au nom des habitants la dotation royale des 600 livres. Ces députés étaient le garde-magasin Bernard Marchand, l'écrivain Henri Boullay, les deux commerçants Nicolas Léger et Vincent Pérodo. Les électeurs étaient tous fonctionnaires. 

Le contrat avec le Roi, représenté par Clairambault, fut passé le mardi 20 mars, jour où l'évêque visita l'église et délimita le terrain de la paroisse. Le 21 et le 22, de huit heures du matin à sept heures du soir, François d'Argouges se consacra à l'enquête de commodo et incommodo, et, le 23, regagna sa cathédrale, avec son promoteur et Alain Allano, greffier de l'officialité (Archives Nationales. Marine, B3 159, f° 245, 252 ; Archives Min. Colonies, C2, Dossier Lorient, etc.).

Tout semblait enfin terminé, mais il fallut tout reprendre. L'avocat Nouet, procureur-général du conseil des prises, chargé d'éclairer Pontchartrain et Clairambault dans une affaire aussi délicate, avait décidé que la délibération du 18 mars n'était pas valable et qu'il en fallait une nouvelle. Morphy ne fit pas d'esclandre à la seconde délibération des habitants. Celle-ci fut faite dans les formes légales. Elle fut annoncée le dimanche 17 juin, au prône. Les fidèles furent assignés à se trouver la semaine suivante, après la grand messe, à la sacristie, et, le 24, près de soixante-dix hommes confirmèrent la procuration donnée le 18 mars. Le 25 juin quelques autres habitants donnèrent aussi leur adhésion. Il n'y avait encore qu'une centaine de signatures, mais les formes avaient été respectées. Il n'y avait eu « ny soldats, ny archers, ni gents armés ». Les femmes avaient été exclues. « Il faut les laisser crier » avait écrit Jarno du Breil, notaire apostolique. Elles ne crièrent pas et Thomas Morphy non plus. Le 19 février 1709, fut rendu le décret d'érection de Saint-Louis de Lorient en paroisse. Lettres patentes en furent données à Versailles au mois de mars et enregistrées en avril au Parlement et à la Chambre des comptes de Bretagne (Archives de l'Arsenal de Lorient, 1 E, 14, pp. 373, 451, 455, 475 ; 1 E, 15, p. 707, etc.). 

Il fallait encore trouver un recteur. On pensa prendre l'abbé Périer, chapelain des Ursulines de Pontivy, qui avait été à Lorient aumônier de la Compagnie des Indes-Orientales et était encore en principe aumônier adjoint de la Marine, mais ce prêtre était « trop usé ». On pensa encore à l'abbé Coalan, précepteur dans une famille port-louisienne, mais il ne savait pas le breton et la connaissance de cette langue était devenue nécessaire. Il reçut donc seulement l'aumônerie du port. On refusa la candidature inattendue de Thomas Morphy qui, poussé pur le châtelain du Ter, voulait, quitter sa vieille cure du campagne. On choisit l'abbé Le Livec, directeur de la congrégation d'Auray.

« C'est un homme d'environ trente ans, écrivait François d'Argouges, de famille honneste et de considération, qui jouit de huit cents ou de mille livres de rente de patrimoine qu'il donne tout aux pauvres. Il est plein de mérite et de capacité, prêche bien, est d'une vie et de mœurs irréprochables : cela va, à ce qu'on m'a assuré, jusqu'à la sainteté. Il y a quelque délicatesse dans sa santé et dans son tempérament mais son zèley suppléra toujours » (Archives de l'Arsenal de Lorient. 1 E, 15, pp. 527, 535, 545, 547, etc.). 

La population lorientaise avait grand besoin de ce nouveau saint Vincent de Paul. Il prit possession de sa cure, le 17 avril 1709, sans opposition. L'église Saint-Louis était loin d'être achevée. Elle était encore dans l'état où François d'Argouges l'avait trouvée le 20 mars 1708, c'est-à-dire qu'elle avait le chœur couvert jusqu'au transept et orné d'un retable avec un grand tableau. Les murs des croisillons et de la nef étaient en partie élevés jusqu'à la corniche et, naturellement, restaient sans toitures. Le 31 mars 1711, le recteur demanda 6.000 livres pour couvrir les deux bras du transept mais il ne les reçut, pas. En 1715, un coup de vent « ayant éforcé la cloison qui [fermait] l'église parroissiale de Lorient depuis le rez de chaussée jusqu'au faite, lorsque tous les habitans y assistoient à l'office divin, cela troubla beaucoup leur dévotion dans la crainte qu'ils eurent d'être tous écrasés pur cette closon si elle eût tombée ». Pontchartrain ému promit de demander 3.000 livres aux Etats de Bretagne, mais la mort de Louis XIV l'empêcha de tenir parole.

A la fin du règne, dans la ville en torchis, il n'y avait qu'une église sans toiture, ouverte à tous les vents. Le monument que l'on avait conçu « le plus simple possible » n'avait pas pu être achevé. Là encore ce fut la grande Compagnie des Indes, celle de Law, qui fit œuvre durable. La charpente de la nef fut posée en août 1719 et, le 3 janvier 1720, le directeur de Rigby s'engagea à fournir tout ce qui était nécessaire pour terminer l'édifice qui subsista jusqu'en 1786 (Archives Min. Colonies, C2, Dossier Lorient ; Archives Municipales Lorient, GG 26, Reg. des délibérations, pp. 14. 30, 31 ; Archives Nationales. Marine, B3 230, f° 131, 373, etc.).

L'abbé Le Livec donna sa démission en 1712, après s'être ruiné complètement au service des pauvres et avoir fait près de mille écus de dettes. La paroisse resta plus d'un an sans pasteur et fut dirigée provisoirement par un prêtre nommé Badezet. En septembre 1713, l'abbé Vincent, recteur en titre depuis le mois de juin, commença son ministère. Plus heureux que son prédécesseur, il vit son sort assuré en 1714 par l'union à sa cure de l'abbaye de Saint-Pierre de Rillé, située près de Fougères et dont la mense abbatiale était de 2.000 livres. Il reçut les bulles du Pape le 22 avril, et Charles de Clairambault s'en félicita, jugeant Vincent comme « un homme très désintéressé et fort résolu de se contenter de la vie et l'habit » (Archives Nationales. Marine, B3 148, f° 179 ; B3 207, f° 269, 338 ; B3 213, f° 245, 428 ; B3 222, f° 142, 206 ; Archives de l'Arsenal de Lorient, 1 E. 17, f° 548 ; 1 E, 19, pp. 315, 500, 668 ; 1 E. 20, p. 205).

Il ne semble pas que les recteurs aient trouvé beaucoup de paroissiens prêts à se dévouer pour les autres. Il est bien difficile de juger, après si longtemps, du degré de charité que l'on constatait à Lorient sous le règne de Louis XIV ; du moins peut-on dire avec certitude que l'hôpital des pauvres n'était qu'une « chétive cabane apartenant à la Compagnie des Indes », dont le loyer, de 30 livres par an, absorbait « le produit de deux ou trois mois de queste ». Un chirurgien était entretenu par la Marine pour panser et « médicamenter » les ouvriers, mais il manquait à Lorient, où il y avait beaucoup de femmes de toutes sortes, des femmes de vertu et de cœur pour se mettre au service du peuple. En 1705, Clairambault fit nommer à la lieutenance du port le capitaine de brûlot Mosnier, il ne donna qu'une raison de son choix : c'était la suivante : «Sa femme mène une vie si sainte et si exemplaire qu'elle feroit icy beaucoup de bien par son bon exemple, y ayant eu jusqu'à présent très peu de religion dans ces quartiers ». Mademoiselle Mosnier réussit à merveille et tous les pauvres de Lorient la considérèrent « bientôt comme leur mère » (Archives Nationales. Marine, B3 129, f° 644 ; B3 137, f° 22).

Malgré tout le bon exemple ne pouvait suffire à lui seul pour maintenir dans un minimum d'ordre un peuple aussi turbulent. Il fallait une police et une justice promptes et fortes. Tant que les habitants ne résidèrent que dans l'Enclos, c'est-à-dire dans un lieu relevant uniquement du Roi, leur juridiction était légalement la sénéchaussée royale d'Hennebont, cependant l'ordonnateur de la Marine trouva bon, dès 1691, de participer aux procédures. Il eut, à ce sujet, des altercations assez violentes avec le procureur du roi. Ces discussions se renouvelèrent tout le long du règne de Louis XIV, notamment lorsqu'il s'agissait d'apposer les scellés sur les effets des officiers de marine décédés.

Les juges hennebontais étaient évidemment trop éloignés de Lorient, agglomération de gens « ramasséz de touttes les provinces du royaume », qui avait fortement besoin d'une police et d'une justice toujours prêtes à l'action et qui ne craignait guère celles de la lointaine sénéchaussée où, d'après Céberet, l'on ne finissait point les procès criminels, s'il n'y avait point d'argent à recevoir (Archives Nationales. Marine. B3 65, f° 79 ; B3 69, f° 345 ; B3 77, f° 129 ; B ; 113, f° 191, 234, etc.).

Le 4 juillet 1692, un menuisier donna « 3 coups de couteau à sa belle-sœure dans le Parc ». L'ordonnateur l'arrêta aussitôt, et commit un écrivain, Jean Le Vasseur de Merville, pour faire les fonctions de prévôt. Ce dernier reçut confirmation de son titre le 1er janvier 1693, et sa solde, qui était de 600 livres, fut portée à 900. Il eut la surveillance de cinq archers de marine. Par édit d'avril 1704, sa commission fut transformée en office. Il acheta alors sa charge et, fut assisté d'un lieutenant, d'un exempt, d'un procureur du roi et de sept archers. Son rôle fut en 1705 nettement établi. Il fut rapporteur dans le conseil de guerre, première juridiction du corps maritime. Il fut subdélégué de l'ordonnateur dans la juridiction que possédait ce dernier et qui s'étendait aux désordres et malversations commis par les officiers, matelots, soldats et ouvriers, ainsi qu'à l'apposition des scellés sur leurs biens s'ils mouraient.. Il eut enfin sa juridiction propre, faisant exécuter les ordres du Roi, jugeant les coupables « dans les cas prévotaux », empêchant les désordres des « gens de mer » et prenant connaissance de leurs affaires, tant au civil qu'au criminel.

Le Vasseur de Merville eut, dans de nombreux cas, des démêlés avec l'Amirauté de Vannes, qui prétendit à plusieurs reprises qu'il empiétait sur ses attributions. De même, en avril 1701, ayant voulu dresser une potence dans l'enceinte de Lorient pour pendre en effigie un matelot condamné prévôtalement, il se heurta au non-vouloir de la Compagnie des Indes-Orientales qui assurait que la Marine n'avait « aucun droit de justice dans ce qui est leur maison et leur cour ». Cet incident nous prouve que les condamnations de ce genre n'étaient pas habituelles. Il est d'ailleurs probable que le prévôt n'exerçait pas souvent la juridiction dont il avait la jouissance. Cette justice était très dispendieuse. En 1713, il fallu donner 108 livres à six avocats qui avaient servi d'assesseurs à Le Vasseur de Merville pour le jugement qu'il avait rendu contre trois petits mendiants voleurs de brai et une femme receleuse. Les coupables furent condamnés au fouet, mais on demanda au Roi d'adoucir la peine, car on n'avait pas de quoi payer l'exécuteur. On comprend que, dans ces conditions, le prévôt se soit le plus souvent contenté de faire les procédures et de les porter aux membres du Conseil de guerre ou aux juges des Tribunaux civils (Archives Nationales. Marine, B3 69, f° 345, 452 ; B3 83, f° 221, 231, 349 ; B3 90, f° 96 ; B3 113, f° 64, 344, 488 ; B3 129, f° 133 ; Archives de l'Arsenal de Lorient, 1 E, 10, f° 98 ; 1 E. 13, f° 229).

Les tribunaux civils, quand il s'agissait d'un délit commis dans l'Enclos, étaient ceux d'Hennebont, selon l'opinion la plus commune et la Sénéchaussée royale, pendant tout le XVIIIème siècle, porta le titre officiel de « Sénéchaussée d'Hennebont, le Port-Louis et le port de l'Orient ». Mais, en 1703, le prince de Guémené prétendit également avoir « haute, moyenne et basse justice » sur l'Enclos, n'ayant jamais été indemnisé par Louis XIV depuis 1666, époque où la Compagnie des Indes-Orientales avait reçu le privilège de n'être vassale que du Roi.

Les juges de Pont-Scorff, où se trouvait la juridiction de la Roche-Moisan-Tréfaven, ne consentirent que difficilement à ne pas pénétrer dans l'Enclos. En avril 1704, l'ordonnateur intérimaire de Lusançay écrivait à leur propos : « Il y a en vérité un malin et odieux procédé en leur fait. Ils cherchent de tous costéz à faire du chagrin à la Marine et à la Compagnie, à cause qu'ils croyent que nous aymons mieux que le Parc resortisse des juges d'Hennebond et qu'on appaise tous les jours mille querelles dont il leur reviendrait de l'argent »

Quoi qu'il en soit de l'Enclos, il est incontestable que le prince de Guémené avait des droits de justice sur l'agglomération située hors de l'enceinte. Le malheur vint de ce que Pont-Scorff était trop éloigné de Lorient et que les juges, qui prétendaient ne perdre aucun de leurs pouvoirs, ne voulurent pas quitter leur village pour s'installer dans la nouvelle ville où leur présence était si nécessaire. Le 12 janvier 1705, Charles de Clairambault exposait clairement la situation à Pontchartrain : « Comme il n'y a pas icy, disait-il, de gouverneur pour contenir le public dans son devoir, ceux quise croient lézés s'adressent ordinairement au commandant ou à l'ordonnateur et, comme souvent le commandant réside au Port-Louis, il ne se passe guère de jours que je ne sois, malgré moy, érigé en juge par les pauvres gens et souvent pour des bagatelles dont le principal interest ne vaut pas deux escus, quelquefois mesme pour des injures, des coups de poing, quelquefois des libertinages qui troublent les familles. Quand les plaintes me sont faites un jour de poste, que je n'ay pas le loysir d'écouter, je renvoye l'affaire au prévost ou à quelque archer pour la terminer, ce qui se fait aussytost et gratis. Il n'en seroit pas ainsi si ces pauvres gens estoient obligéz de s'adresser aux juges de Ponscorf, et, comme il en coûte beaucoup après pour plaider, il y a bien de l'aparence que les différens se termineroient par des batteries qui causeroient de grands désordres. Je ne sçay, Monseigneur, si c'est cela que les juges de Ponscorf apellent anticiper sur leurs droits, mais comme ces petits procèz ne me donnent que de la peine et que je n'ai point d'autres veües dans ces discutions que la charité et de faire un usage le plus chrétien qu'il m'est possible de l'authorité dont il vous a plu de m'honnorer. Retranchez en, s'il vous plaist, tout ce qui vous paroistra n'estre point conforme vos intentions ! ».

Pontchartrain répondit à Clairambault par de bonnes paroles à son adresse, mais il blâma la conduite de Le Vasseur de Merville qu'il ne jugeait pas « assez modéré ». Ce prévôt, ayant emprisonné un cabaretier de Lorient qui avait arraché « une coëffe » à une femme, avait été condamné par le tribunal de Pont-Scorff à payer 300 livres d'indemnités à son prisonnier. Pour mettre fin à de tels scandales, un arrêt du Conseil d'Etat fut rendu le 14 juillet 1705 pour délimiter plus nettement les pouvoirs judiciaires de l'ordonnateur et du prévôt. Il se terminait par ces mots « A l'égard des instances civiles et criminelles qui peuvent survenir entre les habitans tant du dedans que du dehors du port de Lorient et de celles qui naistront entre l'habitant et le soldat, des vols, meurtres et autres crimes, de la police dans le marché, du prix et taux des denrées, S. M. a maintenu et garde les juges ordinaires dans le pouvoir d'en connoistre ».

Cet arrêt supprima en fait toute justice et toute police à Lorient. Les juges de Pont-Scorff n'en exercèrent aucune : « attendu, disait Clairambault, que plus il y a de désordres et de testes cassées…, plus cela leur procure de procèz qui donnent des épices et vacations, dont ils sont bien plus friands que de toute autre chose…. ». « Le public, ajoutait l'ordonnateur en 1709, est très scandalisé de voir que des officiers du roy, dont il y a icy plusieurs, soient journellement spectateurs de cent crimes qui s'y commettent, dont la plus part sont énormes, et qu'ils ne puissent pas y remédier parce que cette police appartient à ces juges de villages, qui se contentent de regarder du faiste de leur tribunal tous les desordres de Lorient comme autant de bénédictions qui leur donnent bien des procès à décider, qui leur grossisse leur revenu et celuy de M. le prince de Guémemé leur seigneur… » (Archives Nationales. Marine, B3 124, f° 198 ; B3 120, f° 13 ; B3 170, f° 517 v° ; Archives de l'Arsenal de Lorient, 1 E, 11, f° 3, 13, 188, etc.). 

On comprend la fureur de Clairambault exposé plus que tout autre aux réactions de la foule lorientaise, aigrie, misérable et prompte à la révolte. On comprend que le gouvernement, surtout sous l'ancien régime, ait refusé de donner à la Marine, dans le seul port de Lorient, une juridiction qu'elle n'avait nulle part ailleurs. Le moyen terme était de décider les juges de Pont-Scorff à s'établir, au moins en partie, dans la nouvelle agglomération. En février 1710, Charles de Rohan-Guémené demanda lui-même des lettres-patentes pour faire, le samedi de chaque semaine, une audience à Lorient. Les habitants, au début de mars, joignirent leur requête à celle de leur seigneur et reçurent satisfaction au mois de novembre suivant. Lorient fut détaché de l'ancienne cour de la Roche-Moisan et les nouvelles charges furent confiées aux magistrats de Pont-Scorff.

L'établissement de la justice ne se fit que très lentement. Le 22 juillet 1711, Pontchartrain dut écrire à la princesse de Guémené de ne plus temporiser comme elle le faisait, lui répétant que, si elle tardait trop, le Roi agirait à sa place « ayant cet établissement fort à cœur par la nécessité qu'il y a de punir les crimes » qui se commettent à Lorient journellement. Il mettait à la disposition des nouveaux juges le bureau de la prévôté maritime. Ce fut seulement le 22 mai 1713 que ces juges vinrent aménager leur auditoire et la première audience n'eut lieu que le 10 juin. On pensa alors que les habitants, « naturellement portés au mal », allaient être enfin surveillés. Il n'en fut rien. Les magistrats seigneuriaux regagnèrent leur campagne et, malgré leurs promesses, restèrent quelquefois trois semaines sans bouger. Leurs règlements de police ne furent d'aucune utilité. Les désordres continuèrent et, quand ils étaient par trop grands, l'ordonnateur recommença à faire agir son prévôt (Archives Nationales. Marine, B3 213, f° 281, 315 ; B3 222, f° 121 v° ; B3 230, f° 390, etc. Archives de l'Arsenal de Lorient, 1 E, 16, f° 130, 133, 194 ; 1 E. 17, f° 169, 301).

Les lettres-patentes de novembre 1710 permettaient, comme nous l'avons vu, au prince de Guémené d'établir un nouveau siège de juridiction dont le ressort devait s'étendre à toute la paroisse de Lorient. Le prince tenta d'utiliser ces lettres pour empêcher les juges d'Hennebont de pénétrer dans l'arsenal, mais il n'y réussit pas. Il s'en servit encore dans le long procès qu'il eut avec Pierre Dondel au sujet du four banal.

Rohan-Guémené, en 1704, établit, à l'aide de plusieurs documents, qu'il avait droit de banalité de four dans toute sa seigneurie de la Roche-Moisan-Tréfaven et retint à cet usage la boulangerie du sieur Lecomte. A cette date, Pierre Dondel fit opposition au projet du prince et, sans prétendre encore à la banalité pour lui-même, se posa simplement en défenseur « de la liberté publique ». Rohan-Guémené, sans se soucier de cette opposition, accorda, le 27 septembre 1706, aux associés Lecomte et Pérodo et à leurs femmes, son four banal situé en la rue du Faouédic (rue de l'hôpital), dont ils prirent possession le lendemain. Les autres boulangers, Texier et Planchay, furent sommés, le 9 juillet 1707, par sentence des juges de Pont-Scorff, de démolir au plus tôt leurs fours. La Compagnie des Indes Orientales prit fait et cause contre Pérodo, Lecomte et Rohan-Guémené qu'elle assigna aux Requêtes de l'Hôtel. De son côté, Pierre Dondel les assigna à la sénéchaussée d'Hennebont, se disant maintenant « seigneur foncier du dit bourg de l'Orient, comme dépendant de son bien noble du Faouédic et prétendant en cette qualité avoir droit d'y establir des fours banaux ».

Rohan-Guémené fut condamné par la juridiction d'Hennebont, le 4 septembre 1708, mais il demanda révocation du jugement pour cause d'incompétence des juges, qui étaient, comme on l'a vu, eux-mêmes en procès avec lui. L'affaire rebondit donc et, en mars 1709, les boulangers de Lorient se mirent en grève pour protester. En avril suivant, le prince de Guémené publia une sentence des Requêtes de l'Hôtel défendant aux habitants de cuire ailleurs que dans son four banal, sous peine de payer 500 livres d'amende. Le procès pourtant n'était pas fini. Des arbitres, consultés à Paris, en septembre 1713, émirent un avis favorable à Dondel, mais Rohan-Guémené ne se tint pas pour battu, et, en 1720, il plaidait encore. Il finit par avoir gain de cause puisqu'en 1788 le four banal de Lorient était affermé par son fils pour 2.050 livres par an (Archives départementales du Morbihan, E, Fonds Guémené, 106 et 35 ; Archives National. Marine, B3 170, f° 160 ; Archives de l'Arsenal de Lorient, 1 E, 15, p. 304 ; Bibliothèque Nationales, Fonds français 23.351, f° 55).

Un autre établissement que le prince de Guémené voulut faire également, fut celui des foires et marchés. En mai 1709, les Lorientais demandèrent un marché par semaine ; on le leur promit pour le lundi. Leur seigneur, après un moment d'opposition, donna son assentiment et proposa même de bâtir une halle. En conséquence, les habitants firent une nouvelle requête au chancelier, en octobre, réclamant un marché, non plus le lundi, mais le samedi, et quatre foires par an Lundi-Saint, Saint-Louis, Saint-Marcel et les 25, 26 et 29 octobre. Satisfaction leur fut donnée par lettres patentes en novembre 1710. Le samedi était le jour où les paysans de Lorient avaient coutume d'y apporter leurs denrées. Ils installèrent leurs étaux d'abord aux portes de l'Enclos, ensuite près du cimetière, c'est-à-dire sur la place Bisson actuelle où se tient encore le marché aujourd'hui. La fabrique de l'église louait des cabanes aux marchands et leur revenu servait à l'entretien de la lampe du sanctuaire (Archives Nationales. Marine, B3 176, f° 234, 461, 588, 595 ; B3 183, f° 212 ; Archives de l'Arsenal de Lorient, 1 E., 15, pp. 668, 749, 950 ; 1 E, 16,f° 173, 194).

Ainsi peu à peu, malgré tant d'obstacles et grâce à l'activité de ses ordonnateurs, Lorient prenait tournure de ville, ayant foires et marchés. Il lui manquait encore d'être bâtie et d'être entourée de remparts. Longtemps il devait rester sans défense. Dès le 10 août 1692 le marquis de Coëtlogon avait proposé de fortifier Sainte-Catherine et la chapelle de Saint-Michel-en-l'Ile, de construire une redoute Kergroise et de préserver l'arsenal grâce aux feux croisés de ces trois batteries. Il avait aussi projeté du côté de la terre « une enceinte de fossés bien palissades » qui devait englober l'Enclos. Ce dernier projet avait été agréé et l'ingénieur du Port-Louis, du Gazel, était venu, le 15 novembre 1692, dresser plans, devis et estimation pour un « retranchement de terre frézé de palissade avec un fossé, au dehors du port de Lorient », mais l'affaire n'avait pas eu de suite (Archives Nationales. Marine, B3 69, f° 67, 99, 479 ; B3 83, f° 395 ; B3 90, f° 85 et Archives Comité technique du Génie, Carton de Lorient).

Deux ans plus tard, de très mauvaises nouvelles étant arrivées de Brest au mois de juin, Céberet n'avait pas eu le temps de prévenir Le Pelletier de Sousy, directeur des fortifications, et avait fait porter des canons à la pointe de Rohellec, où il avait disposé de grosses fûtailles remplies de terre pour servir d'épaulement. Ce petit fort improvisé avait été conservé dans la suite.

Quand la Guerre de Succession d'Espagne éclata, le nouveau bourg s'était formé. Il ne s'agissait plus seulement de couvrir un arsenal, il y avait trois mille personnes à défendre. Le 18 octobre 1705, l'ingénieur Langlade envoya à Versailles un mémoire fort détaillé. Il projetait de creuser un fossé autour de l'agglomération et d'en tirer des moellons pour le revêtement de l'escarpe et de la contrescarpe. Il proposait d'élever un retranchement de pierres sèches et par-dessus d'établir un parapet de gazon. La Marine aurait prêté les outils ; on aurait tiré le bois de vieux vaisseaux hors d'usage et les milices paroissiales de Ploemeur et de Quéven auraient fait la construction.

Le 30 novembre 1706, le directeur des fortifications de Bretagne, Robelin fils, adressa à Pontchartrain un nouveau mémoire sur « la nécessité de fermer la tête du port de l'Orient ». Il suffisait, disait-il, de « faire un retranchement bien flanqué, conduit le long des diverses pentes qui sont du côté de la terre, pour avoir partout du commandement et que rien n'y puisse arriver sans être bien découvert ». Selon lui le revêtement de l'escarpe devait être jointoyé, mesurer dix pieds de hauteur, être protégé entièrement par la contre-escarpe d'un pied plus élevé. Les milices auraient en un an achevé ce travail, dont la dépense n'aurait pas dépassé 13.881 livres.

Le maréchal de Châteaurenault, consulté sur ce dessein, assura qu'il y aurait beaucoup de difficulté à faire appel aux paysans et multiplia les objections au projet. En décembre 1707, Langlade revint sur son plan primitif et essaya de prouver qu'en achetant le terrain de Lorient à Pierre Dondel et en le revendant par parcelles, on gagnerait suffisamment pour élever le retranchement et même davantage. Un an plus tard, Robelin améliora le projet de Langlade et le fit apostiller par Le Pelletier de Sousy et Vauban. Louis XIV témoigna dans une ordonnance du 20 février 1709 de son désir de mettre hors d'insulte l'arsenal et le bourg, mais en 1746, lors du fameux siège de Lorient, l'enceinte n'était pas encore faite … (Archives Min. Colonies, C2. Dossier Lorient, Archives Comité technique du Génie. Carton Lorient ; Archives Nationales. Marine, B3 137, f° 131, 194 ; E3 148, f° 353, 378 ; B3 159, f° 379 ; B3 170, f° 192 ; Bibliothèque Nationale, Est.. Va 119).

Clairambault voyait dans cette impossibilité d'aboutir l'oeuvre du lieutenant-de-roi du Port-Louis, Maximilien Desgraviers. Ce dernier, disait-il, « appréhendait toujours que quand Lorient serait fermé, il ne devînt plus considérable que le Port-Louis » (Archives Nationales. Marine, B3 137, f° 194, 603). Ainsi les deux hommes les plus importants du pays défendaient-ils jalousement le coin de rade qui leur était confié. Au début du XVIIIème siècle la lutte fut parfois violente entre les deux villes rivales. Les Port-Louisiens, soutenus fermement par l'Amirauté de Vannes, parvinrent à maintenir dans leur port les retours si avantageux des corsaires, auxquels ils offraient des charpentiers pour réparer leurs navires, un hôpital pour mettre leurs blessés, des magasins particuliers, bien conditionnés, pourent reposer leurs marchandises en attendant les ventes. Les commissionnaires des armateurs et les commis des fermes royales habitaient au Port-Louis, où les officiers de l'Amirauté trouvaient des auberges avenantes qui n'existaient pas à Lorient. Presque jamais les ordonnateurs et les contrôleurs de la Marine ne purent décider ces bons juges à risquer le mal de mer pour venir jusqu'à l'Arsenal. Il est évident que les bâtiments marchands, comme le reconnut Jérôme de Pontchartrain en 1703 et 1711, n'avaient aucune raison de remonter jusqu'à Pen-Mané. Ils en avaient même de fortes pour n'y point aller et pour fuir l'ordonnateur et le contrôleur de la Marine. On sait que le Port-Louis fut, au début du XVIIIème siècle, le pays rêvé de la contrebande.

La fin de la Guerre de Succession d'Espagne rendit aux Malouins la possibilité de revenir à Saint-Malo directement. Ils abandonnèrent la rade du Blavet et, en 1714, les deux villes s'unirent dans leur commune détresse pour implorer Jérôme de Pantchartrain, mais le secrétaire d'Etat qui recevait en même temps les doléances des Brestois et de multiples populations, ne pouvait pas les secourir : « Il ne convient point, répondit-il à Clairambault, de donner des ordres aux armateurs particuliers d'armer et de désarmer leurs vaisseaux à Lorient et au Port-Louis, et c'est à vous et aux habitans de chercher les moyens pour les y engager » (23 mai 1714). Des moyens ? Il n'y en avait guère. Aussi la double ruine du Port-Louis et de Lorient était-elle à peu près consommée, en 1715, à la mort de Louis XIV [Note : Seul, Hennebont, qui continuait son commerce de céréales, passait pour une ville riche par comparaison].

Nul ne pouvait savoir alors quelle ville triompherait sur le Bas-Blavet. Serait-ce la ville ancienne, riche de trois églises mais simple trève, ou la nouvelle paroisse qui n'avait pas de quoi se donner un sanctuaire ? Serait-ce la place forte, la ville bâtie, mais qui venait de perdre une partie de ses habitants, ou la bourgade en paille, auprès de l'arsenal en bois, qu'animait un peuple nombreux ?

La rade pouvait alors recouvrer son activité de trois façons différentes. Ou bien la Marine militaire reprenait ses armements ; le Roi conservait l'arsenal et Lorient se ressaisissait. Ou bien le commerce libre renaissait dans la rade et retrouvait les magasins abandonnés du Port-Louis. Ou bien une nouvelle compagnie à monopole reconstruisait les chantiers de la société anéantie et les sauvait de la ruine rapide où leur caractère précaire semblait les avoir condamnés. Cette dernière destinée, après les avatars de la Compagnie des Indes Orientales, paraissait la moins certaine, ce fut pourtant celle qui se produisit.

Le 28 juin 1719, Louis XV, ayant réuni à la Compagnie d'Occident celles des Indes et de la Chine, par édit du mois de mai, résolut de remettre à la nouvelle société « les établissements qui appartenaient à l'ancienne à l'Orient » et même ceux que Louis XIV avait fait faire pour son service. Au cours de l'année 1719, la Marine quitta l'arsenal pour se fixer au Port-Louis, où elle demeura jusqu'en 1770 avec un effectif réduit. Le 10 février 1720 eut lieu la remise générale des magasins et des chantiers de Lorient au directeur de Rigby. Bientôt, on construisit l'immense hôtel des ventes, car cette fois les ventes eurent lieu sur le Scorff, d'où chaque année quinze navires partirent pour les Indes et la Chine …. La grande Compagnie des Indes fit en peu de temps de Lorient un des premiers ports de France et transforma le bourg misérable du règne de Louis XIV en une ville « fort jolie, bien percée, bien peuplée et proprement bâtie » (H. F. Buffet).

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