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LA FONDATION DE LORIENT

LE LIEU D'ORIENT

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Le Chantier du Lieu d'Orient (Lorient).

La compagnie des Indes-Orientales est enfin en possesion de la baie du Scorff et des terres adjacentes. Le sénéchal d'Hennebont, du Vergier de Ménéguen, a levé les dernières difficultés qui s'opposaient depuis deux mois à la liberté d'action du directeur-général, Denis Langlois, sur un terrain concédé à la Compagnie par le roi.

Plan général de l'enclos et parc de la Compagnie des Indes au port de l'Orient (1750).

Aussitôt débarrassé des prétentions des propriétaires riverains et des formalités de la procédure, le directeur, Denis Langlois, s'empressa de commencer les travaux. Pour lui, chargé des ordres de la Compagnie, il était urgent de construire des vaisseaux. Il fallait préparer une expédition de navires pour le printemps de l'année 1667, et la Compagnie ne possédait même pas la plus faible barque dans les ports de France ; dans le laps d'une année, elle avait en effet expédié dans l'Inde, en trois reprises et au prix de grands sacrifices, seize navires qu'elle s'était procurés à grand'peine dans les différents ports du royaume et même en Hollande. A l'appel du directeur, ouvriers et matériaux affluèrent dans la baie de Roshellec ; on y éleva des magasins, des ateliers, des logements d'ouvriers, d'employés et d'agents, on y disposa des cales, et enfin plusieurs navires furent à la fois mis sur les chantiers.

A partir de ce moment, c'est-à-dire à partir des premiers jours du mois de septembre 1666, le calme séculaire de l'embouchure du Scorff fut rompu pour toujours, et à la solitude de la lande du Faouëdic succédèrent l'affluence tumultueuse des ouvriers et la bruyante activité des chantiers et des ateliers.

Élevés à la hâte, habitations, magasins et ateliers, tous ces premiers édifices de la Compagnie furent construits en bois : murailles, cloisons et toitures. Ce fut là une conséquence naturelle de l'urgence, et, d'un autre côté, la Compagnie qui, depuis sa création n'avait fait que dépenser, se trouvait alors dans une situation financière qui l'obligeait à réserver toutes ses ressources pour les opérations de première nécessité, et dans ce moment, ce qui lui importait le plus, c'était de préparer l'expédition qu'elle se proposait d'envoyer dans l'Inde au commencement de 1667. Les édifices du Faouëdic bâtis sur les ordres du directeur Langlois, ou pour parler plus exactement les baraques affectées au service du chantier de la Compagnie, avaient donc le plus grossier aspect et ne pouvaient faire présager à ce nouvel établissement une durée plus longue que celle de ces primitives constructions elles-mêmes.

Quoiqu'il en soit, les travaux furent poussés avec la plus grande activité, et, dès le mois de février suivant, les directeurs de la Compagnie purent déclarer au Roi qu'ils avaient au Port-Louis, en état de prendre la mer, deux petites frégates d'environ cent cinquante tonneaux et une galiote de quatre-vingts tonneaux, outre un matériel considérable. « Nous avons aussi, ajoutèrent-ils, sur les chantiers au Port-Louis, un vaisseau de mille tonneaux et une grande quantité de bois acheté qu'on y transporte incessamment pour construire huit ou dix navires depuis cinq cents jusqu'à mille tonneaux… ».

Remarquons dès à présent que, dans la plupart des documents officiels et des recueils historiques du temps, on confond le plus souvent le Faouëdic ou l'Orient, avec le Port-Louis. C'est ce qui eut lieu dans cette déclaration faite au Roi par la Compagnie le 19 février 1667, dans laquelle il est question de chantiers de Port-Louis et des navires de cinq cents à mille tonneaux en construction ou à construire, tandis qu'il s'agissait certainement des opérations de l'établissement du Scorff. Celui-ci fut cependant l'objet d'une mention dans le même rapport : « L'établissement de la Compagnie au Port-Louis, au lieu appelé le Féandick (sic) enfermé dans le port, lui est aussi très-avantageux pour l'assemblée, le départ et le retour de ses flottes, en cas néanmoins que la Manche ne fût pas dorénavant libre pour venir aborder au Hâvre, ou pour d'autres raisons, que ceux qui auront la conduite des affaires pourront ci-après découvrir… ».

Le chantier du Faouëdic est donc fondé, organisé, en pleine activité : quel nom particulier reçut-il dès l'origine ? Eût-on même l'idée d'imposer un nom quelconque à un établissement dont la durée paraissait devoir être éphémère.

S'il s'agit d'un nom officiel, il paraît certain que l'on ne daigna pas désigner le berceau de Lorient sous un autre nom que celui du fief sur les dépendances duquel il était établi : Le Faouédic ou le Féandick par altération.

Mais dans le pays il en fut autrement. Aussitôt créé, le chantier de Denis Langlois fut baptisé d'un nom pittoresque rappelant avec assez de précision son origine ; un acte des registres de la paroisse de Plœmeur en contient la preuve :

« Le deuxiesme jour d'aoust 1667, fut, baptisé par moi soubsignant prêtre, Pierre Guissart, fils légitime de Germain Guissart et de Marie Charière ses père et mère ; charpentier travaillant à LORIENTAL, en la paroisse de Plœmeur, qui sont de Portnic. Parrain et Marraine furent Jean Ernault et Marguerite Madec. Signé : Jean Jégo, prêtre ; P. Gilles ; Davy ; J. Ernaud ».

Cet acte, du mois d'août 1667, contient peut-être le seul exemple du nom de Loriental appliqué au chantier du Faouëdic. Essayé probablement par des agents de la Compagnie, il fut aussitôt modifié en celui de l'Orient ou Lorient que l'on trouve dès cette époque invariablement écrit dans totus les actes d'église ou de notaires du voisinage. Au commencement de l'année 1669, c'est un naturel de l'île de Madagascar, arrivé à Lorient sur le vaisseau de la Compagnie, le Saint-Jean-Baptiste, qui reçoit à son baptême le nom de Charles de l'Orient ; — En 1670 on passe un marché avec un peintre d'Hennebont, pour la peinture du navire nommé l'Orient ; ce marché est souscrit au nom de la Compagnie des Indes par messire Arnaud Rouland, demeurant au LIEU D'ORIENT, paroisse de Plœmeur. L'Orient, le lieu d'Orient, c'est-à-dire, le chantier, ou le lieu de la Compagnie d'Orient ; ce nom vulgaire de la Compagnie des Indes-Orientales, à partir de l'année 1669, on le trouve si fréquemment et si invariablement répété, est permis de croire qu'il avait été adopté dans le pays dès l'origine de la création du chantier. Peut-être est-il dû au langage expressif et laconique des Bretons qui imposèrent dès le début à l'établissement de Denis Langlois le nom de an-orient (le Orient), qu'ils donnent encore aujourd'hui à la ville qui en est issue. Accepté par l'usage, le nom vulgaire de l'Orient ne fut cependant accueilli dans les documents officiels que longtemps après qu'il figurait dans les actes publics de la Bretagne.

Mais reprenons notre sujet au temps où nous l'avons quitté, c’est-à- dire au 19 février 1667. A ce moment la Compagnie exposait avec un certain orgueil au grand Roi le tableau de ses flottes expédiées dans l'Inde celui dè nombreux vaisseaux qu'elle faisait construire et de l'immense matériel qu'elle dirigeait sur le Faouëdic. Pendant qu'elle tenait ce langage, la Compagnie devait cependant compter plus sur son crédit que sur ses propres ressources pour faire face aux énormes dépenses que la multiplicité des travaux et l'accumulation de matériel lui coûtaient. Toutefois ce crédit lui-même commençait à faiblir, il était si difficile de nourrir pendant plusieurs années l'esprit public de l'idée des fantastiques richesses de Madagascar et de l'Inde sans le moindre aliment sérieux ! Depuis le premier départ de navires, le 5 mars 1665, la Compagnie n'avait eu que des dépenses à enregistrer, elle n'avait encore rien reçu de l'Inde, ni or, ni marchandises, richesses chimériques tant de fois promises et annoncées aux malheureux actionnaires. Il faut dire aussi que jusqu'alors la fortune s'était montrée cruelle, le premier navire parti de Madagascar pour rentrer en France était sur le point d'atteindre le port du Hâvre, lorsqu'il fut surpris et enlevé par deux frégates anglaises en croisière dans la Manche. Dans l'intervalle du temps 1665, date du départ de France de ce navire nommé la Vierge de Bon Port, au mois de décembre 1666 date de son retour, Louis XIV avait déclaré la guerre à l'Angleterre. La nouvelle de cette capture fut douloureuse pour la Compagnie, la Vierge de Bon Port rapportait des marchandises, en petite quantité, il est vrai, mais cette quantité eût suffi pour ranimer l'esprit public et faire prendre patience aux actionnaires. Cependant les détails du combat soutenu par la Vierge de Bon Port vint les consoler ; on signala la bravoure de l'équipage de ce navire commandé par le malouin Truchot de la Chesnaye, qui résista héroïquement durant huit heures contre le feu des deux frégates anglaises avant de baisser pavillon ; et qui, après s'être rendu à l'ennemi, coula son navire à fond avec 60 anglais qui y étaient montés pour remplacer le valeureux équipage prisonnier de guerre sur les frégates ennemies. Ces détails, enflés peut-être à dessein, satisfirent l'amour-propre national des actionnaires, et ceux-ci attendirent encore des jours meilleurs.

Mais bientôt des bruits plus déconcertants circulèrent à Paris et dans les ports du royaume. La flotte de dix navires partie de La Rochelle le 14 mars 1666 n'était, disait-on, pas encore parvenue à sa destination à Madagascar, elle se trouvait au cap de Bonne-Espérance au mois de janvier 1667, après avoir perdu un temps précieux en mer et dans les ports du Brésil. Elle avait consommé dans cette longue traversée la plupart des approvisionnements destinés à ravitailler Madagascar ; de telle sorte qu'au lieu de la secourir, l'expédition du mois de mars allait épuiser les dernières ressources de cette colonie. Telles étaient les nouvelles navrantes qui s'ébruitaient en France vers la fin du mois de février 1667 ; elles eurent pour la Compagnie les plus fâcheuses conséquences. Depuis plusieurs mois, on le répète, elle ne subsistait guère que par son crédit, à partir de ce moment tout crédit lui fut fermé ; achats de vivres et de matériel, travaux d'armements, expédition de vaisseaux, tout fut suspendu à la fois à la nouvelle de cette navigation désastreuse de la flotte rochelaise.

Dans cette détresse extrême, la Compagnie recourut de nouveau vers le roi, ou plus exactement vers son ministre Colbert. « Monseigneur Colbert est très-humblement supplié de considérer que faute d'argent la Compagnie des Indes-Orientales ne se trouve pas non-seulement chaque heure à la veille de perdre sa réputation, par les protêts qu'on va indubitablement et incessamment faire des lettres par elle acceptées, et pour lesquelles satisfaire il ne lui reste plus aucun fonds en caisse ; mais encore qu'elle est obligée par là de faire surseoir tous les achats de provisions pour la fourniture de ses magasins en temps dû et nécessaire, des matériaux pour la construction de ses vaisseaux, et l'achat des présens, sans lesquels nul bon négoce ne se peut espérer ; et de plus, que le même défaut l'oblige de ne plus songer à l'armement de la flotte projetée … ».

Ce fut en ces termes que la Compagnie exposa sa situation à Colbert, dans un mémoire daté du premier mars 1667. Elle ajouta que toutes les dépenses qui avaient été faites jusqu'à ce moment deviendraient inutiles, que tout serait perdu, ruiné, si on ne lui procurait sur le champ une somme de onze cent quarante mille livres dont elle avait le plus pressant besoin.

Ces onze cent quarante mille livres, quoique indispensables, n'arrivèrent pas cependant ; les travaux chomèrent et l'activité qui avait régné au Faouëdic pendant quelques mois, se vit complètement arrêtée.

Malgré tous ses efforts [Note : Voici quelques extraits de documents qui contiennent la preuve de la position difficile dans laquelle la Compagnie se trouva en 1667. - 10 août 1667. — « La Compagnie assemblée extraordinairement, décide qu'elle consacrera toutes ses ressources pour l’équipement et l'expédition de deux navires, qui partiront l'un du Hâvre, l'autre du Port-Louis au mois d'octobre suivant, et qu'il sera donné des ordres en conséquence à M. Langlois au Port-Louis et au sieur Grenier au Hâvre. » - 25 octobre 1667. — Ordre de Colbert d'envoyer au Port-Louis tous les réaux qui sont à Nantes dans le magasin de la Compagnie, afin de les embarquer sur les deux vaisseaux qu'on arme au Port-Louis pour les Indes. - 13 décembre 1667. — La présence des flottes ennemies qui pillaient les côtes de Bretagne et ôtaient la commodité d'envoyer les approvisionnements nécessaires à l'équipement des deux navires du Port-Louis, en retardent le départ. La Compagnie vient de perdre un petit navire transportant de Nantes au Port-Louis des munitions pour ces deux navires. - 31 décembre 1667. — La Compagnie sollicite l'escorte de deux ou trois vaisseaux de guerre pour permettre aux deux navires du Port-Louis de prendre la mer. - 23 mars 1668. — Lettres adressées du Port-Louis aux directeurs de la Compagnie à Paris, par lesquelles Langlois directeur et Jamen teneur de livres, leur donnent avis du départ pour les Indes de deux navires : l'Aigle d'or et la Force. (Recueil de Dernis, t. Ier pag. 181 à 199)], la Compagnie ne parvint même pas à armer les deux petites frégates lorientaises l'Aigle d'or et la Force, de 150 tonneaux, qu'elle avait annoncé être prêtes à prendre la mer dès le 19 février 1667. Ce ne fut que l'année suivante, au mois de mars 1668, que ces deux navires purent enfin cingler vers Madagascar.

Cependant, malgré cette situation critique, le chantier du Faouëdic ne fut pas complètement déserté ; les employés et les maîtres-ouvriers logés par la Compagnie, y demeuraient avec leurs familles. Nous ne parlons pas de Denis Langlois, ni des employés supérieurs tels que Jamen, le teneur des livres général, qui habitaient le Port-Louis. Les registres de la paroisse de Plœmeur contiennent, en effet, la preuve qu'en 1667 et en 1668, pendant ces deux années de chômage des travaux de la Compagnie, le lieu d'Orient demeura habité ; on y relève pour 1667 trois actes de baptême d'enfants nés en ce lieu. François Guichard, le 22 mai, Pierre Guissart, le 2 août, et Jean-Baptiste Bernier, le 9 novembre. Pour 1668 ce sont également trois baptêmes François Le Siler, le 25 mars, Pierre Le Diagon, le 27 juin, et François le Bail, le 4 octobre. Ces six premiers enfants de Lorient avaient pour parents des ouvriers-charpentiers ou des maîtres-charpentiers de navires, conditions humbles, comme le lieu ou ils reçurent le jour, et en harmonie avec le berceau de notre grand port : ils naquirent sur une lande, dans les barraques en planches de la Compagnie des Indes, près d'une cale où se dressait la charpente d'un vaissseau de mille tonneaux, le Soleil d’Orient.

Pas de constructions, peu ou point d'armements, ce fut dans cette situation que le Port-Louis et le chantier du Scorff végétèrent pendant les deux années 1667 et 1668. C'en était fait certainement de ce dernier établissement comme de la Compagnie des Indes elle-même, si le contrôleur général des finances, Colbert, ne s'était enfin décidé à tendre à cette grande Société dont il était le père, une main secourable. Le quinze décembre 1668, dans une nouvelle séance des directeurs de la Compagnie, tenue dans le palais des Tuileries, en présence de Louis XIV entouré des grands dignitaires de sa couronne, séance dont l'éclat était calculé à dessein pour en rehausser l'importance et en grossir l'effet à l'extérieur, Colbert, dans un rapport adressé au roi son maître, exposa « que la première expédition (5 mars 1665) composée de quatre vaisseaux n'avait rien produit ; la troisième, beaucoup plus considérable, avait été obligée, par un malheur extraordinaire, de relâcher au Brésil où elle était demeurée trois mois, et enfin était arrivée en l'isle Dauphine (Madagascar) une année entière après son départ du Port-Louis, que la consommation des vivres, la mauvaise disposition des corps et le peu de rafraîchissements qu'ils avaient trouvés dans ladite isle à leur arrivée, avait causé beaucoup de mortalité et un désespoir presque universel dans tous les esprits dont cette flotte était composée … ».

Puis, après avoir épuisé les couleurs sombres, Colbert employa crescendo des teintes plus brillantes pour achever son tableau : Carou, ajouta-t-il, l'un des directeurs envoyés dans l’Inde, avait établi des comptoirs à Surate, il y avait chargé un vaisseau, le Saint-Jean, qui opérait en ce moment son retour en France avec une riche cargaison ; la Compagnie faisait équiper le Saint-Paul pour l’île Dauphine ; et enfin elle était en état d'expédier en février ou mars suivant deux autres navires pour l'Inde, chargés de marchandises et de cinq à six cent mille livres espèces. Tout faisait espérer que cette grande entreprise aurait le succès sur lequel Sa Majesté avait compté.

Ce discours habile de Colbert, plutôt adressé aux directeurs, aux actionnaires et au public qu'au roi, produisit l'effet que ce ministre en attendait, Il faut dire aussi que Louis XIV vint de sa personne en aide à son adroit ministre. Dans cette séance du 15 décembre, ce monarque eut en effet des paroles pour encourager les zélés, stimuler les tièdes et gourmander les déserteurs, « Je sais beaucoup de gré, dit le Roi, à tous ceux qui, nonobstant l'incertitude du succès d'une si grande entreprise, n'ont pas laissé que de payer le second tiers. Je ne doute pas que tous les intéressés ne suivent ce bon exemple après cette assemblée. J'ai vu le rôle de ceux qui ont abandonné et qui n'ont pas voulu hasarder quelque petite somme en une affaire qu'ils savent m'être agréable, et encore que je veuille bien, ne pas m'en souvenir, ma mémoire se trouve trop bonne pour les oublier.... ».

La Compagnie était tombée en un tel discrédit qu'il n'avait pas fallu moins d'efforts, le concours simultané et personnel du ministre et du roi pour remonter le moral des actionnaires, ramener chez eux l'espoir du succès et arrêter une désorganisation imminente. Avec la confiance l'argent timide revint dans les coffres de la Compagnie, et avec l'argent celle-ci put reprendre les armements et la construction des navires. Le Faouëdic allait sortir d'un sommeil de vingt mois. Cependant, dans le moment où il devait sembler à tout le monde que le chantier de Denis Langlois allait devenir d'une sérieuse utilité, son existence se trouva précisément mise en question. C'est là un fait singulier qui intéresse trop vivement notre histoire pour ne pas lui accorder quelques développements.

Dans la pensée de la plupart des administrateurs d'une compagnie dont le siège était à Paris, le port du Hâvre devait être préféré à tout autre pour l'armement et l'expédition des navires, de même que pour leur retour. A proximité de Paris, de Rouen, des principales manufactures, des principaux centres de production et de consommation des marchandises, c'était là qu'il fallait centraliser toutes les opérations maritimes. Il y avait, il est vrai, un revers à la médaille, c'est qu'en temps de guerre, le Hâvre n'était plus aussi favorable ; la capture du navire la Vierge de Bon Port était venue leur montrer le danger de la navigation dans une mer aussi resserrée que l'est la Manche, où les côtes de France sont pour ainsi dire surveillées, espionnées par un groupe d’îles Anglaises en vue des provinces de Bretagne et de Normandie.

Dans cet ordre d'idée, la création d'un second établissement au Port-Louis avait donc eu sa raison d'être. La position de ce port, en temps de guerre, était en effet extrêmement favorable. Au lieu d'être gardé à vue par des îles ennemies, comme le Hâvre et Saint-Malo, le Port-Louis possédait dans Belle-île et dans Groix deux sentinelles qui surveillent la haute mer et protégera l'accès de ses rades extérieure et intérieure. En temps de guerre, il fallait se servir du Port-Louis pour l'armement et le retour des vaisseaux mais délaisser ce port pendant la paix et reporter au Hâvre toutes les opérations maritimes de la Compagnie.

Tel était le raisonnement de la plupart des administrateurs et des actionnaires de la Compagnie, et il faut ajouter qu'il ralliait la majorité des esprits. Ce sentiment était cependant tout-à-fait contraire à celui que l'on avait prêté aux administrateurs dans l'ordonnance du mois de juin 1666, puisque c'était en quelque sorte sur leur sollicitation que le Port-Louis et le Faouëdic leur avaient été assignés et concédés pour l’armement des flottes de la Compagnie et le rendez-vous général de ses vaisseaux ; mais il n'est pas bien certain que des considérations politiques ne dominèrent pas les questions purement commerciales dans cette occasion, et que le langage tenu par les directeurs de 1666 ne leur fût pas dicté par leur président, le contrôleur général Colbert, qui voulut reprendre l'œuvre du cardinal de Richelieu, abandonnée par le cardinal Mazarin, en faisant jeter les fondements d'un arsenal maritime, au Port-Louis, par la grande Société commerciale à laquelle était dévolue la noble tâche de créer une marine française.

Pour le ministre, les avantages présentés par le Port-Louis sur tout autre port, au double point de vue politique et commercial étaient évidents, et, dans l'intérêt de la Compagnie, il n'était pas possible de lui conserver deux sièges maritines, l'un pour la paix, l'autre pour la guerre. Mais dans un moment ou il avait fallu employer tous les moyens pour empêcher la dissolution d'une Société aux abois, il était imprudent de découvrir les desseins du pouvoir, de dévoiler le secret de sa politique. On se trouvait en temps de paix : faire soupçonner une guerre maritime prochaine à des commerçants, à des spéculateurs, à des actionnaires, en un mot, c'eut été dissiper très promptement les excellents effets produits par la séance royale du 15 décembre 1668.

Ainsi donc, au moment de la reprise des travaux, la question de savoir si l'établissement du Port-Louis serait conservé concurremment avec le Hâvre se trouva indécise, et il était fortement à craindre que la solution fût défavorable au port Breton si on en laissait le soin aux directeurs, lorsque très heureusement une occasion se présenta où le ministre Colbert put se servir de sa haute influence pour faire résoudre cette question sans trop montrer le bout de l'oreille de la politique du gouvernement.

Le navire de la compagnie, le Saint-Jean-Baptiste, l'un de ceux de la flotte expédiée le 14 mars 1666, venait d'arriver au Port-Louis ; c'était le premier qui avait le bonheur de parvenir en France chargé de marchandises. Après de longues années d'attente après les cruelles déceptions des dernières operations, ce fut avec un extrême bonheur que l'on accueillit l'heureuse nouvelle de l'arrivée du Saint-Jean-Baptiste ; l'allégresse fut générale ; ce fut presque un événement. A cette joie, il se mêla cependant un regret, celui d'apprendre que le Saint-Jean-Baptiste était mouillé au Port-Louis ; le Hâvre eût été plus convenable, surtout pour la vente des marchandises. La question de rivalité entre le Port-Louis et le Hâvre se trouva naturellement ravivée plus que jamais dans cette circonstance. Ce fut alors que Colbert, s'effaçant toujours derrière la Majesté royale, et mettant directement en jeu son influence irrésistible, fit nommer par le roi, en séance tenue aux Tuileries, deux commissaires extraordinaires, pris parmi les directeurs généraux, avec mission de se transporter immédiatement au Port-Louis, « tant pour l'expédition des navires destinés pour les Indes que pour voir et visiter les marchandises rapportées par le vaisseau le Saint-Jean ..., examiner les commodités ou incommodités dudit lieu de Port-Louis, s'il est nécessaire de faire des magasins au Feandik ; en faire lever les plans et devis, dresser un état de la dépense qu'il y conviendra faire ; lesquels ils enverront incessamment à la Compagnie, avec leurs avis et de très-amples mémoires pour résoudre à quoi on se pourra déterminer… ».

Puis, immédiatement et en présence du roi, s'ouvrit une discussion des plus importantes pour notre histoire locale, puisque la conservation ou l'abandon de l'établissement du Port-Louis et conséquemment du chantier du Faouédic y fut mise ouvertement en question ; To be or not to be.

Voici ce qui est rapporté à ce sujet dans l'espèce de procès-verbal de la séance royale des Tuileries du 11 février 1669, inséré au recueil de Dernis, a qui nous avons déjà fait de larges emprunts : « … Ayant été aussi proposé quel avantage est le plus considérable à la Compagnie,  ou de faire son établissement au Port-Louis préférablement à tout autre endroit ;

Ou de conserver seulement ce poste sans y faire beaucoup de dépenses pour s'en servir au besoin, en cas que quelque guerre arrivât avec nos voisins ;

Ou bien de quitter le Port-Louis et faire venir tous les vaisseaux qui retourneront des Indes directement au Hâvre pour y faire leur décharge, auxquels il serait donné ordre, à leur départ de France, de toucher à leur retour, soit en Madère ou en quelque autre endroit afin d'informer de l'état des affaires de France avant que d'entrer et s'engager dans la Manche.

Toutes les commodités et incommodités qui peuvent se rencontrer soit au Port-Louis, soit au Hâvre, ayant été puissamment discutées et la chose mise en délibération, il a été arrêté que la Compagnie conservera l'établissement qu'elle a commencé au Port-Louis, sans y faire beaucoup de dépenses, et qu'il sera donné ordre à tous les vaisseaux qui iront aux Indes, de faire leur retour au Port-Louis pour une plus grande sûreté ; mais qu'ils ayent à toucher revenant des Indes à Madère, de s'adresser en ce lieu là au consul françois pour apprendre de lui l'état des affaires avec nos voisins, entre les mains duquel ils trouveront les ordres de la Compagnie, ou pour venir décharger en droiture au Hâvre comme le lieu jugé le plus avantageux pour la commodité de toutes choses, ou pour entrer dans le Port-Louis, suivant les premiers ordres, crainte d'entrer dans la Manche en cas que nous fussions en guerre ».

Dans cette même séance on décida également : « Que la vente des marchandises des Indes, tant celles apportées sur le navire le Saint-Jean que celles qui arriveraient ci-après, soit au Port-Louis, soit au Hâvre ou en quelque autre port, se feraient à Paris sur les échantillons, et que les marchandises seraient délivrées au port d'arrivée, aux acheteurs d'icelles ou aux commissionnaires qui auraient ordre de leur part ».

Des trois systèmes proposés pour le Port-Louis, ce fut le second que l'on adopta, c'est-à-dire, celui qui avait pour effet de conserver ce poste sans faire beaucoup de dépenses.

Les administrateurs livrés à eux-mêmes, discutant librement, hors la présence du roi, auraient probablement adopté la troisième proposition, celle de quitter le Port-Louis et de faire venir tous leurs vaisseaux au Hâvre, lieu jugé le plus avantageux pour la commodité de toutes choses !

Mais enfin, telle qu'elle était, la décision de l'assemblée sauvait pour le moment l'établissement des bords du Scorff ; celui-ci remporta même dans cette séance orageuse du château des Tuileries un avantage fort important comme on le verra bientôt, celui d'être assigné pour le retour des Indes des navires de la Compagnie.

Au lieu de la ruine qu'il redoutait, le lieu d'Orient allait au contraire, éprouver bientôt un notable accroissement.

Les commissaires nommés par Louis XIV, pour visiter le Port-Louis et le Faouëdic, étaient deux créatures du contrôleur général Colbert, nommés Claude Gueston et Chunlatte, deux directeurs élus par la Compagnie sur la présentation de Colbert lui-même. Le premier était en outre trésorier général de Normandie, c'est-à-dire qu'il occupait une charge pour laquelle il dépendait directement du contrôleur général des finances. Le ministre devait donc être sans inquiétude sur l'esprit des « rapports et très amples mémoires » sur le Port-Louis et le Faouëdic qui allaient être adressés à la Compagnie par ces deux commissaires.

Et en effet, bien que nous n'ayons en notre possession ni la correspondance, ni les mémoires adressés à Paris par les deux directeurs généraux Chunlatte et Gueston, on ne peut douter, d'après les résultats connus de leur mission, que le Port-Louis et spécialement Lorient ne leur soient redevables du revirement qui se fit à leur égard dans l'opinion de la Compagnie, et du développement d'un établissement que Denis Langlois n'avait pu qu'ébaucher.

Dès le 8 mars 1669, les deux commissaires écrivirent aux administrateurs à Paris qu'il était urgent de créer au Faouëdic des magasins pour le service de la Compagnie. Jusqu'à ce moment il n'avait été construit que des ateliers et des habitations d'ouvriers et de quelques agents subalternes ; mais la décision du 11 février, relative à la vente des marchandises dans le port d'arrivage du navire, nécessitait la construction de magasins pour la conservation de ces marchandises en attendant qu'elles fussent livrées aux acheteurs. Aussitôt la réception de cette première lettre de Chunlatte et Gueston, la Compagnie décida la création des magasins qu'elle reconnut nécessaires, et elle en fixa la dépense à trente mille livres dont quinze ou seize mille seulement devaient être dépensées dans le cours de cette même année 1669.

Une chose en amène une autre. Jusqu'alors le directeur Langlois, le caissier Jamen, le teneur de livres, etc., tous les employés supérieurs avaient résidé au Port-Louis. L'Orient n'avait eu d'autres habitants que des employés inférieurs, des chefs ouvriers et des ouvriers étrangers au pays, eux et leurs familles. Les commissaires virent un abus dans cette dispersion du personnel de la Compagnie, abus dont l'inconvénient ne pouvait tarder à devenir plus marqué dès le moment que l'Orient posséderait des magasins. Mais pour y remédier, il fallait créer de nouvelles habitations ; Claude Gueston y avisa immédiatement; Le 20 avril 1669, il passa un marché avec un sieur Noël Paillard, maître charpentier, demeurant au château de Coëtanfao, en la paroisse de Séglien, « pour la main d'œuvre de cent quarante fermes nécessaires pour la charpente des combles sur les logements de l'Orient, à raison de huit livres pour chacune ferme ». — Ce nombre considérable de fermes prouve qu'il ne s'agissait pas seulement de logements ou d'habitations d'employés, mais encore d'une augmentation de logements d'ouvriers et peut-être de casernes pour les équipages de navires en armement.

Dans le même moment, on armait au Port-Louis ou peut-être à l'Orient le navire le Saint-Paul destiné pour Madagascar, et une grande activité devait régner sur les chantiers du Scorff, puisqu'on y constate la présence simultanée de cinq maîtres charpentiers de navires, ayant à leur tête Jean-Louis Hubac, de la célèbre famille des Hubac qui se distingua pendant la seconde moitié du XVIIIème siècle dans l'art difficile de construire les vaissEaux. Jean-Louis Hubac avait le titre de directeur des charpentiers ; les maîtres charpentiers sous ses ordres se nommaient Pierre et François Guichard, Pierre Le Diagon et Jean Grasset. Ce dernier était du pays, il avait été à la tête d'un chantier à Saint-Truchau, dans le haut de la rivière du Scorff, où il avait construit et armé plusieurs navires pour la course.

La reprise des travaux, la création des magasins, la résidence des employés principaux, transférée du Port-Louis à l'Orient, l'exécution de nouveaux projets relatifs à ce dernier établissement, projets qui devaient être de réunir à l'Orient tous les services de la Compagnie alors dispersés en trois endroits différents, et de construire les casernes nécessaires pour le logement des marins et des soldats destinés à armer les flottes et à protéger les colonies ; toutes ces causes démontrèrent bientôt aux deux directeurs généraux Gueston et Chunlatte que le territoire du chantier du Faouëdic était insuffisant, et qu'il était indispensable et même urgent d'en doubler l'étendue. Sans perdre de temps, ils remplirent les mêmes formalités judiciaires que leur prédécesseur Denis Langlois. Le 25 juin 1669, le même sénéchal d'Hennebont, Paul du Vergier, seigneur du Ménéguen, descendit une seconde fais sur la presqu'île du Faouëdic pour mettre la compagnie des Indes-Orientales, représentée par Claude Gueston, en possession de seize journaux et demi de lande, quantité de terrain ajoutée au premier établissement, dont l'estimation fut, comme la première fois, fixée au prix de 80 livres le journal de 80 cordes.

Le procès-verbal dressé à cette occasion par le sénéchal est, comme celui du 31 août 1665, l'un des titres de la fondation de Lorient ; l'intérêt de notre histoire locale exige donc qu'il soit comme le premier reproduit in extenso. En voici le texte, pris sur l'original.

« Paul du Vergier, seigneur du Ménéguen, conseiller du roy, sénéchal et premier magistrat de la Cour et siége royal de Hennebont, sçavoir faisons que ce jour, vingt-cinquiesme juin mil six cent soixante neuf, à nostre logis au dit Hennebont, nous seroit venu trouver Me Gilles Marquer, procureur de Messieurs de la Compagnie des Indes Orientales, représentés par noble homme Claude Gueston, directeur général de la dite Compagnie lequel, aux fins de l'ordonnance du vingt-un de ce mois, nous a requis vouloir descendre au lieu où l'establissement des dites Indes s'est fait en la paroisse de Plœumeur, proche le Port-Louis, dans la lande nommée Bec er Rohellec, cotoyant la rivière qui conduit à Trifaven, à Pontscorff, pour faire estat et procès-verbal d'un certain canton de terre sous lande adjacent à l'establissement des dites Indes que le dit sieur Gueston audit nom prétend joindre et annexer aux dites Indes pour l'utilité et commodité de la dite Compagnie, contenant environ de dix journaux, plus ou moins, déclarant qu'à cette fin il auroit mis requeste en ceste cour, répondue le trente may dernier, afin d'avoir permission de faire assigner pour les prétendants droits et intérêts audit canton de lande à ban et à cry public à jour de dimanche au bourg de Plœumeur, à l'issue de la grande messe, par les premiers sergents requis, ce qui lui auroit esté permis par l'expédition de la dite requeste, aux fin de quoi il auroit fait assigner en ceste cour, à ban publié par Me Maurice Le Nerve, sergent royal, le dimanche dixiesme jour du present mois, tous les dits présendants droits et intérêts au dit canton de lande ; et le jeudy ensuivant sixiesme du dit mois, au marché du dit Hennebont, pour desduire leurs moyens de préjudicier et voir dire que, pour l'utillité de la ditte Compagnie et l'establissement du commerce des dites Indes, il seroit permis au dit sieur Gueston au dit nom de prendre les dits dix journaux de terre sous lande et brière, plus ou moins pour ajouter avec ce qui a cy devant été pris pour le dit commerce par le sieur Langlois, precedent directeur, et à cette fin convenu de leur part d'un arpenteur pour mesurer et arpenter ce que le dit sieur Gueston au dit nom pretend prétendre en la ditte lande pour l'augmentation du dit établissement, par offre qu'il a fait et fait de convenir aussi de sa part d'un priseur et arpenteur de leur payer ce qu'il prendra en la ditte lande, à raison de quatre-vingt livres le journal, conformément à ce que le dit Langlois en a déjà payé. Lesquelles bannies auraient été certifiées en jugement le treiziesme du dit présent mois, lors desquelles certification se serait opposé Me Guillaume Rondel se portant procureur de messire Guillaume du Bahuno, chevalier seigneur de la Demye-Ville ; de noble homme Guillaume Eudo, sieur de Keroman, et de dame Renée L'honoré, dame douairière de Kerivily, tutrice de ses enfants ; Me Allain Laigneau, se portant procureur de dame Princesse de Guémené ; Me Jean Pittouays, procureur de damoiselle Jacquette Juzel, dame du Pou ; Me Gilles Rondel, se portant procureur des Pères de l'Oratoire de Nantes, et des sieurs Thomas Dondel et François de la Pierre ; Me Cadic, procureur de noble homme Jean Couttin, sieur de Botmeu, auxquels il auroit esté ordonné de fournir leurs moyens d'opposition au dit Marquer au dit nom et le tout communiquer au substitut de monsieur le procureur général du roy, pour icelui ouy d'estre ordonné ce que de raison, etc.

Et en l'endroit a comparu Me Allain Laigneau, se portant procureur de dame Anne de Rohan, dame Princesse de Guémené et de la Rochemoisan, pour elle présent Me Claude Le Milloch, sieur de Keroret, procureur fiscal de la dite juridiction de la Rochemoisan, lequel a déclaré que, lors du premier procès-verbal fait à requeste du dit sieur Langlois, datté du 31 aoust 1666, le dit Laigneau nous auroit demandé communication des lettres patentes de sa Majesté touchant l’establissement de la ditte Compagnie, et un délay compétant pour lui en donner avis, ce qui ne lui fut octroyé, et attendu qu’il n’a eu temps compétant de prendre l'ordonnance qui ordonne la présente descente pour en donner avis à la dite dame Princesse, il déclare s'opposer pour la conservation de ses droits de fief, le tout sans déroger à ses autres moyens qu'elle pourra ci-après desduire, et de se pourvoir contre ce qui se fera à son préjudice. (Signé) Le Milloch ; A. Laigneau procureur.

Desquels dires et déclarations et protestations avons décerné acte aux parties à valloir et servir comme appartiendra et sans y préjudicier. Ouy le substitut de monsieur le procureur général du roi en ses conclusions a été défaut jugé vers les non comparants aux fins de la sentence rendue en l'audience le vingt et uniesme du présent mois portant la présente assignation aparuë par le dit Marquer au dit nom pour record du présent défaut, par le profit duquel faisant droit entre les parties comparantes a été ordonné que conformément à la santance de l'exécution de laquelle est cas, il sera présentement procédé au procès-verbal de bornement et mesurage de l'étendue de terre prétendue par le dit sieur Gueston au dit nom pour l'augmentation et service de l'establissement de la dite Compagnie dans l'estendue de la montagne nommée Bec-er-Rohellec, par les dits Perrier, Cadic et Audouin, priseurs et arpenteurs convenus et donnés d'office, auxquels fait lever la main et leur serment pris de se porter fidellement au fait du dit mesurage, ce qu'ils ont promis et juré faire, a été procédé au desbornement de l'estendue de terre nous montrée par le dit sieur Gueston, assisté du dit Marquer son procureur, laquelle terre est sous lande raze et brière qu'il nous a desclaré être nécessaire pour l'augmentation et establissement au dit lieu, et qu'il désire d'enfermer et clore de murailles et fossés pour le bien et seureté du dit lieu ; et pour cet effet, il nous auroit conduit jusqu'à un petit creu de fossé et gourgled étant au-dessus des premières bornes et fossés qui auraient été faits suivant la désignation portée par notre procès-verbal du trente et uniesme aoust mil six cent soixante six. Lequel fossé est sittué vers le couchant despuis lequel, et le long d'iceluy en descendant jusqu'au chemin qui est sur le bord de certaines vases que la mer couvre au-delà de la pointe de rocher et montagne du costé du Faouédic, avons fait aposer des picquets de bois, depuis lesquels et remontant le dit fossé en traversant à droite ligne la dite lande, avons en pareille fait planter d'autres picquets jusqu'au bord de la mer située du costé du midy. Laquelle estendue de terre fait mesurer par les dits Perrier, Cadic et Audouin, priseurs, depuis l'ancien mesurage en fonds de terre le nombre de seize journaux et demi et un cinquiesme, chaque journal composé de quatre-vingts cordes suivant le mesurage de la province. Et ont les dits priseurs déclaré estimer le journal la somme de quatre-vingts livres, conformément au précédent prisage, sans comprendre les mottes et litières desquels les particuliers pourront jouir. Et faisant sur les réquisitions du dit Laigneau au dit nom et ouy le dit substitut en ses conclusions, avons ordonné aux dits priseurs de vacquer au mesurage par canton de ce qui peut appartenir aux dits opposants, à servir comme apartiendra. A quoy ils ont vacqué sous la montrée et vuë qui leur a été faite par ledit Laigneau au dit nom, et nous ont rapporté que dans l'estendue de terre qu'ils ont mesurés et trouvés enclos dans les bornes et piquetz qu'ils ont plantés, il s'est trouvé qu'il revient, savoir : au dit Couttin, demi-journal sept cordes ; au dit Venedy, domanier du sieur de Kermadio, un journal un quart, et le surplus aux dits Dondel et de la Pierre, comme acquéreurs de la terre du Faouëdic. De tout quoi nous avons décerné acte, fait et rédigé le présent procès-verbal à valloir et servir comme appartiendra, fait sous notre signe, du dit substitut, du dit Gueston, des dits Marquer et Laigneau, des dits priseurs et de notre adjoint, le dit jour et an. (Signé) Paul du Vergier, Gueston, J. Marquer procureur ; Jacques Eudo, substitut ; J. Perrier, Ja. Audouin ; A. Laigneau, procureur, J. Cadic et Dramard ».

Le procès-verbal du 25 juin 1669 reproduit comme on le voit, les mêmes formalités que celles du procès-verbal 1666 ; ce sont également les mêmes réserves de la part des propriétaires, et la même opposition au nom du seigneur de fief, le prince de Guémené, opposition qui n'arrêta pas davantage le sénéchal d'Hennebont.

Mais dans le nombre des personnes au nom desquelles des réserves furent formalisées, certains noms apparaissent pour la première fois ; on remarque notamment les Oratoriens de Nantes. Ceux-ci n'avaient en réalité aucun droit à la propriété d'une partie quelconque du sol de la lande du Faouëdic, mais leur prieuré de Saint-Michel des Montagnes possédait le droit de dîmes sur la prairie de Locunolé, dans l'enclave de laquelle la presqu'île du Faouëdic était située. Ce fut en cette qualité de décimateurs que les Pères de l'Oratoire eurent le droit d'intervenir à cette solennité judiciaire de la prise de possession du 25 juin 1669, intervention qu'ils avaient négligée en 1666, parce qu'à cette époque le prieuré de Saint-Michel était en la possession d'un fermier, ou mieux d'un afféagiste, Nicolas Riou, sieur de Roz, avec lequel ils étaient en procès.

Parmi les propriétaires du sol, on voit figurer pour la première rois les noms de Dondel et de de la Pierre comme acquéreurs de la terre du Faouëdic. En effet, Thomas Dondel, sieur de Brangolo, et François de la Pierre, sieur des Salles, beaux-frères et négociants associés, de la ville d'Hennebont, s'étaient rendus adjudicataires à l'audience des requêtes de Palais à Rennes, le 15 juillet 1667, de la terre du Faouëdic-Lisivy, qui dépendait, on ne l'a pas oublié, de la succession bénéficiaire de Jan de Jégado, et dont la vente fut poursuivie contre son héritier, messire Pierre Poulain, sieur de Pontloë, par Sébastien de Rosmadec, l'un des créanciers de cette succession.

Adjudicataires dès le 15 juillet 1667, ce ne fut cependant que le 20 juillet et jours suivants de l'année 1668, que Dondel et de la Pierre purent entrer en possession de leur nouveau domaine, en remplissant les formalités usitées, formalités suivies de celles de l’appropriement, sorte de purge hypothécaire, qui ne furent terminées qu'au mois de janvier 1669. Les lenteurs de la procédure étaient dans les habitudes du temps ; mais peut-être les nouveaux acquéreurs, voyant l'état d'abandon dans lequel se trouvait alors le chantier de Lorient, et craignant de voir la Compagnie des Indes renoncer à son établissement de Port-Louis, crainte qui paraissait très fondée, peut-être Dondel et de la Pierre, qui n'avaient fait l'acquisition de la terre du Faouëdic que par spéculation, retardèrent-ils autant qu'ils le purent l'accomplissement des formalités judiciaires qui devaient les mettre définitivement en possession et en jouissance de leur domaine. Ce ne fut donc qu'au mois de janvier 1669 que les dernières formalités furent remplies, c'est-à-dire au moment même où les affaires de la Compagnie changeaient de face, et où le roi chargeait deux commissaires de se transporter au Port-Louis avec l'importante mission d'examiner les commodités et incommodités de ce port, et s'il était nécessaire de faire des magasins au Faouëdic.....

Parfaitement au courant (il est permis de le supposer) de ce qui se passait dans les conseils supérieurs de la Compagnie par leur position de principaux commerçants du pays, Dondel et son beau-frère François de la Pierre, sieur des Salles, avisèrent aussitôt de tirer un parti avantageux de leur domaine du Faouëdic qu'ils trouvèrent dans l'état le plus délabré.

Le manoir, nous l'avons dit ailleurs, avait cessé depuis des années d'être habité par ses seigneurs, et depuis longtemps il n'offrait plus que des ruines : maison, cour close, jardin, colombier, tout était renversé. Les bois, les rabines étaient dévastés ; le moulin se trouvait dans un piteux état ; c'est toujours ainsi qu'il arrive des propriétés longtemps abandonnées par leur maître, et surtout celles qui comme celle-ci demeurent longtemps sous la main de justice, la saisie. En présence de cette triste situation, quelle décision allaient prendre Dondel et de la Pierre ? Relèveraient-ils le manoir de ses ruines, ainsi que la cour close, les murailles du jardin et le colombier ? Les bois, les avenues seraient-ils l'objet de leurs soins ? Non, les deux beaux-frères étaient commerçants, c'était par spéculation qu'ils avaient acheté le Faouëdic, ce fut vers le moulin qu'il dirigèrent leur attention. Alors un moulin était fréquemment la source de revenus importants, par l'obligation imposée par tout seigneur à ses vassaux de faire moudre leurs grains au moulin de la seigneurie. Le fief du Faouëdic comptait, il est vrai, peu de vassaux assujettis à son moulin mais l’éblissement de l'Orient, en créant dans l'enclave du Faouëdic et à proximité du moulin un groupe de population qui tendait à s'augmenter, devait faire espérer au propriétaire de ce moulin une clientèle plus considérable. C'est pourquoi, dès le mois de février 1669, les deux adjudicataires entrèrent en marché avec un sieur Julien Olichon, maître charpentier de Lochrist, paroisse d'Inzinzac, « pour mettre le moulin du Faouëdic en deub estat de renable et cherpante et commencer au travail d'iceluy dans demain prochain et continuer avec six ouvriers sans comprendre les companons… ».

Par malheur, Dondel et de la Pierre ne furent pas seuls à supputer in petto les bénéfices que pourrait rapporter l'exploitation du moulin le plus voisin de l'établissement de l'Orient ; Guillaume Eudo, sieur de Keroman, propriété voisine du Faouëdic ; avait fait, paraît-il, un semblable calcul ; car, dans le même temps ; il faisait élever sur son domine, à la pointe placée à l'entrée de la rivière du Ter, le moulin à vent qui y existe encore actuellement. C'était une concurrence de moulins qui menaçait de s'établir aux portes de l'Orient ; pour l'éviter, chacun des propriétaires rivaux s'adressa méchamment auxagents du prince de Guémené l'un, Guillaume Eudo, pour dénoncer l'augmentation d'outillage du moulin à mer du Faouëdic ; Dondel et de la Pierre, pour signaler une construction nouvelle faite par Eudo, sans autorisation, sans droit, au mépris des droits féodaux du seigneur de fief, le prince de Guémené.

Il existe au sujet de ces mesquines tracasseries, dans les archives de la préfecture de Vannes, une note fort intéressante bien que sans date ni signature.

Parmi les doléances, ou plus exactement les dénonciations de Guillaume Eudo contre Dondel et de la Pierre, cette note contient quelques appréciations qui font connaître l'opinion exitant alors dans le pays sur l'avenir de l'établissement du Faouëdic.

« Messieurs les intendants de son Altesse de Guémené sçauront que les sieurs Dondel et de la Pierre, comme acquéreurs judiciels de la maison du Faouëdic-Lisivy, situé en Plœmeur, proche l'establissement de messieurs de la Compagnie des Indes-Orientales de France, premièrement ils ont fait bastir un moulin à meil quoy qu'il n'en ayt jamais eu et qui est au préjudice de celui de la seigneurye. Secondement, que le droit et concession de moulin à seigle sur les subjects de leur maison ne leur a été donné qu'à la charge de vingt sols monnoye de cheffrente quy ne se paye pas quy est sur chaque tournant, dont il y en a à present deux à bled et celuy à meil basty depuis trois moys. Il n'y a pour leurs subjects au dit moulin estagers que six, et néanmoigns leur moulin est affermé près une moitié plus que celuy de la seigneurye [Note : Le moulin à mer de Tréfaven, connu sous le nom de moulin du Gallo ; il n'existe plus depuis quelques années. — L'étang de ce moulin a été converti en prairies et en terres arables] qui a plus de 300 subjectz.

Pour attirer à leur moulin les subjectz de la seigneurie, ils leur promettent composition de moulte, font à leur moulnier aller chez eux quérir leurs bledz et porter leur farine, leur promettant de leur donner des vins au carnaval sans debvoir [Note : Dondel et de la Pierre étaient alors receveurs des impôts nommés Devoirs, perçus sur les boissons, dans les deux évêchés de Vannes et de Quimper]. pour les attirer à leur moulin, estants les dits Dondel et de la Pierre fermiers de tous les debvoirs.

A cause de la proximité de leurs moullins, ils attirent à eux tous les habitants de l’establissement de L'oriant quy, par l'enclos encommancé pourra en peu de temps entre l'habitation de deux à trois cens mesnages et ouvriers, et comme le fond de cent établissement est dans le fief de la seigneurye de la Rochemoisan qui a ses moulins à Treisfaven, tout proche, ils doibvent suivre le distrait dudit moulin et non autre.

L'oposition que recherchent MM. Dondel et de la Pierre de son Altesse de Guémené au moulin a vent, fait bastir par le sieur de Keroman Eudo sur le bord de la mer et de leur intérêt pour avoir le dit sieur de Keroman empaiché ses métaiers et subjects et aultres d'aller au moulin du Faouëdic ».

Dans cette guerre de moulins, chaque rival appelle la princesse de Guémené, Anne de Rohan, dans la lice, mais ce fut vainement. Cette princesse, veuve de Louis de Rohan, son cousin germain, qui mourut fou, et mère de deux fils qui vivaient dans une telle dissipation, que dans l'intérêt de son illustre maison elle se vit obligée de faire nommer à l'aîné un conseil judiciaire, Anne de Rohan ne s'émut pas de ces suggestions intéressées. Les deux moulins continuèrent donc à exploiter concurremment les habitants du voisinage, y compris les Lorientais, en attendant la venue d'un nouveau rival, le moulin à vent de Bec-er-Groix que les pères de l'Oratoire rétablirent bientôt dans l'endroit où il avait existé de temps immémorial jusque vers l'an 1650, là où il se trouve encore aujourd'hui, non loin de l'emplacement d'une ancienne chapelle dédiée à saint Gabriel, ruinée pendant la ligue.

Pour ne négliger aucun détail concernant le changement de propriétaire de la terre du Faouëdic, nous ajouterons que Dondel et de la Pierre eurent à recevoir le prix, non-seulement de la portion de l'établissement de la Compagnie annexée le 25 juin 1669, mais encore l'indemnité due pour les parcelles de landes appartenant au Faouëdic, expropriées le 31 août 1666, et cela, parce que la saisie remontait à une date antérieure à 1666. Comme le Faouëdic n'était point encore adjugé au moment du règlement de l'indemnité due par Denis Langlois, le prix appartenant à cette terre demeura entre les mains de ce directeur général. Après l'adjudication de 1667, Langlois fit proposer vainement cette indemnité aux acquéreurs, il recourut alors à une consignation dont on retrouve dans les archives de la sénéchaussée d'Hennebont le procès-verbal dressé par le sénéchal du Vergier de Ménéguen, avec les motifs du refus opposé par les adjudicataires.

« — En l'endroit est comparu Me Jean Lozennay, procureur desdits Dondel et de la Pierre. Lequel a déclaré ne vouloir quant à présent recevoir la dite somme de cinq cent quatre vingt neuf livres dix sols, par n'estre en possession de la dite terre et seigneurye du Faouëdic-Lizivy, à cause de l'appel interjeté par le sieur de Kerhollain (Pierre Poullain, seigneur de Pontloë) de l'adjudication d'icelle... » (20 avril 1668).

On a vu en effet que Dondel et de la Pierre ne remplirent les formalités de la prise de possession de la seigneurie du Faouëdic qu'au 20 juillet 1668 et au mois de janvier suivant, celles de l’appropriement. Aussitôt toutes les formalités terminées, il s'empressèrent de retirer du greffe d'Hennebont la somme consignée par Denis Langlois, ainsi que le constate le récépissé suivant, textuellement copié sur l'original écrit au pied du procès-verbal du 20 avril 1668 :

« Jay receu de Monsieur de Keroret Le Milloch la somme de cinq cents quatre vingt neuf livres dix soubz consignée entre ses mains par le présent procès-verbal, et ce comme acquereur et propriétaire de la terre du Fafouëdic (sic) et promettons le faire quitte de la dicte somme vers touts ayant cause. — Ce neufième feubvrier mil six cens soixante et neuf. (signé) Delapierre ».

(M. Jégou).

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