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Abrégé d'histoire de Lorient de la fondation (1666) à nos jours (1939)

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Lorient a parcouru en moins de trois siècles une carrière brillante dans les principales branches de l'activité maritime : la construction navale, le grand commerce, la pêche industrialisée.

Plan général de l'enclos et parc de la Compagnie des Indes au port de l'Orient (1750).

Le Site.

Il y a trois siècles, des landes et des vases couvraient l'emplacement de Lorient et de ses quais.

Cependant, une rade bien abritée et bien placée — depuis que l'Atlantique conduisait aux Indes Orientales et Occidentales — s'étendait devant la presqu'île déserte où Lorient allait naître et grandir. Facile à défendre et facile à découvrir en raison des hautes terres de Belle-Ile et de Groix qui l'annoncent, cette rade servit d'abord de refuge aux navigateurs français et étrangers qui y relâchaient par mauvais temps. Puis, vers 1642, le grand commerce s'y fixa au Port-Louis qui devint la base d'armement et de désarmement de la Compagnie Ricault ou de Madagascar. Vers 1650, une rade nouvelle s'ouvrait donc, entre Nantes et Brest, aux grands courants de circulation maritime.

 

La Fondation.

[Note : Partie de l'histoire de Lorient la mieux connue. De 1863 à 1874, ardentes controverses entre F. Jégou et Lecoq-Kerneven ; bibliographie dans R. MAURICE, Un compatriote oublié : François Jégou, historien lorientais, Lorient, 1938. F. Jégou. — Histoire de la fondation de Lorient, Lorient, 1870, 1 vol. in-8°. Sur le nom de Lorient. - L. Chaumeil. — A propos du nom de Lorient, Lorient, 1936].

En 1666, la Compagnie des Indes Orientales, fondée deux ans plus tôt, décida de s'y établir quand elle eut reçu, par ordonnance de juin 1666, « les places vaines et vagues et inutiles » appartenant au Roi « tant dans la ville du Port-Louis qu'au lieu de Féandick ».

« Le lieu de Féandick » — altération de Faouédic — c'est le nom breton de l'emplacement de Lorient. En août 1666, Denis Langlois, un des Directeurs de la Compagnie, y achetait 15 journaux 7 cordes de terre « sous lande rase et brière », en bordure de la baie de Roshellec, sur la rive droite du Scorff, à son confluent avec le Blavet et, tout de suite, y bâtissait des cales : la ville de Lorient venait de naître.

Le programme mercantile de Colbert et « un trait de plume » de Louis XIV, voilà donc ce qui est à l'origine de Lorient, ville artificielle et création humaine s'il en fut. Les circonstances allaient en faire, en moins d'un siècle, la grande ville de la rade, l'entrepôt et la porte de l'Orient, pour la France, aux XVIIème et XVIIIème siècles.

 

Lorient au XVIIe siècle.

[Note : F. JÉGOU. - Histoire de Lorient, port de guerre (1600-1720). Vannes 1887, 1 vol. in-8°. (Ouvrage de base) ; H.-F. BUFFET. - Lorient sous Louis XIV. Rennes, 1937, 1 vol. in-8° ; L. CHAUMEIL. - Histoire de Lorient au XVIIème siècle. Lorient, 1934 ; A. DUPOUY. - Brest et Lorient. Paris. 1922, 1 vol. in-8°. Sur la première Compagnie des Indes. T. SOTTAS. - Histoire de la Compagnie Royale des Indes Orientales (1664-1719). Paris, 1905, 1 vol. in-8° ; P. KAEPPELIN. - La Compagnie des Indes Orientales et François Martin. Paris, 1908, 1 vol. in-8° (thèse de doctorat-ès-lettres)].

LE CHANTIER PRIMITIF.

Ce ne fut tout d'abord qu'un chétif chantier de constructions navales, deux ou trois cales découvertes et quelques baraques en bois, — une simple annexe du Port-Louis où se trouvaient les bureaux et magasins de la Compagnie.

Ce chantier s'appela Lorient — qu'on écrivait indifféremment Lorient ou l'Orient — du nom de la Compagnie qui l'avait fondé et des pays prestigieux qui allaient faire sa fortune. Il mena une vie longtemps précaire. Menacé plusieurs fois d'abandon, il reçut une impulsion décisive en 1675, quand la Compagnie des Indes décida de supprimer sa base du Havre, trop difficile d'accès en temps de guerre. Alors, une chapelle, des ateliers, des forges, des magasins, des bureaux s'élevèrent face aux cales et formèrent le Parc ; — un mur de clôture, — auquel s'appuya une corderie — ferma du côté des terres le domaine de la Compagnie qui reçut le nom d'Enclos. Charpentiers et manoeuvres, commis et boutiquiers s'y établirent, et, jusqu'en 1700, la ville de Lorient fut tout entière dans l'Enclos, l'arsenal actuel. Aux portes, il y avait seulement quelques maisons — les faux-bourgs de Lorient — premières cellules de Lorient intra-muros.

Cette rapide croissance avait fait du chantier primitif, un organisme autonome qui devint « le poste du Commandant ». Tous les services de la Compagnie quittèrent le Port-Louis et vinrent se fixer dans le Parc ; les navires furent armés et désarmés à Lorient ; les marchandises des Indes furent stockées dans les nouveaux magasins qui reçurent la visite de Madame de Sévigné en 1689.

LORIENT EN 1689.

Ainsi, Lorient, chantier de constructions navales de la Compagnie des Indes était devenu, en outre, sa seule base d'armement et de désarmement, son entrepôt. Chaque année, les marchandises étaient acheminées à l'origine sur Rouen, plus tard sur Nantes où se faisaient les ventes.

LORIENT, ARSENAL ROYAL, 1690.

Toute l'activité de Lorient dépendait donc du commerce de l'Inde, et par suite de la paix. Or, la guerre s'installait en Europe, à la fin du XVIIème siècle. Ruinant la Compagnie, elle menaçait Lorient dans son existence même, lorsque le fils de Colbert — Seignelay — décida d'utiliser sa rade et son chantier de constructions navales pour la marine royale qui y jeta l'ancre en 1690, bientôt suivie des corsaires malouins.

Le port de Lorient, créé de toutes pièces en moins de vingt-cinq ans, servait à la fois d'arsenal et de port de guerre, de port de commerce et d'entrepôt de l'Orient. Il avait toute chance de durer.

LE BOURG DE LORIENT.

Une population assez nombreuse et très mêlée y avait été attirée. Entassée dans les cabanes et « cazernes de l'Enclos », à proximité des magasins et de la corderie, elle créait un danger permanent d'incendie. Aussi, un arrêt de 1700 lui ordonna-t-il de vider les lieux et de se fixer aux portes de l'arsenal, sur la grande lande du Faouédic. A la suite de cet exode, « les faux-bourgs de Lorient » devinrent très vite « le Bourg de Lorient ».

Vers 1702, on estime à environ 6.000 le nombre des habitants de « l'Enclos et Bourg de Lorient » qui dépendait de la paroisse de Ploemeur. En 1709, après les démarches répétées de Charles de Clairambault, Commissaire-Ordonnateur pour le Roi, et des notables, des lettres patentes l'érigèrent en paroisse distincte de Ploemeur. En 1710, la jeune cité avait son église, son général de paroisse, sa police, son tribunal, ses marchés.

Ainsi la dernière moitié du XVIIème siècle a vu se bâtir sur les vases du Scorff et les landes du Faouédic un port et une ville neuve déjà réputés et complètement indépendants du Port-Louis et de Ploemeur. Mais, à cette date de 1710, la Compagnie des Indes est moribonde, la marine de guerre est en pleine décadence. Lorient qui a vécu de leur double activité s'inquiète de l'avenir.

 

Lorient au XVIIIème siècle.

[Note : Sur la deuxième Compagnie des Indes : H. WEBER. - La Compagnie française des Indes Orientales (1604-1875). Paris, 1904, 1 vol. in-8° ; Al. LEGRAND. - Inventaire des archives de la Compagnie des Indes. Paris, 1913].
De fait, jusqu'en 1719, à Lorient les magasins sont vides, les quais déserts, les cales inoccupées, et bien des familles quittent cette ville sans travail.

LA COMPAGNIE DES INDES DE LAW A LORIENT.

Mais, en 1719, événement considérable, la nouvelle Compagnie des Indes fondée par Law choisit Lorient pour base de ses opérations ; elle s'y installe dès l'automne, et, brusquement, la vie trépidante succède à la vie ralentie ; fiévreusement on construit et on arme des navires, on rétablit le courant France-les Indes-France, et les marchandises s'entassent dans les magasins. Activité factice ? On put le craindre quand on apprit l'effondrement du Système en 1720. Mais l'élan était donné et la Compagnie des Indes fut sauvée.

En 1719, commence pour Lorient un demi-siècle d'opulence et de grandeur.

Jusqu'en 1732, son port est redevenu, mais sur une plus grande échelle, ce qu'il était vers 1685 : l'arsenal, l'entrepôt, la base d'armement et de désarmement de la Compagnie des Indes.

La paix nécessaire au grand commerce en favorisant la régularité des voyages assurait la prospérité de la Compagnie et celle de Lorient.

LORIENT, SIÈGE DES VENTES DE LA COMPAGNIE.

En 1732, décision capitale : Lorient devient, à la place de Nantes, le siège des ventes de la Compagnie des Indes. Alors commence l'ère des grands travaux et de la pierre de taille. Réputée richissime, la Compagnie voulut avoir dans l'Enclos des édifices dignes d'elles.

Elle s'adressa au maître architecte « Messire Jacques-Charles Gabriel » pour dessiner le plan d'embellissement de l'Enclos, et confia la direction des travaux aux « ingénieurs » de Saint-Pierre et Guillois. Tout de suite, on mit en chantier le quai sur le Scorff (dit « quai du Péristyle »), les magasins des ventes voûtés d'arêtes au rez-de-chaussée et à l'étage, docks immenses et clairs, formant autour d'une grande cour carrée un magnifique ensemble de style classique sévère (aujourd'hui, Dépôt des Equipages de la Flotte) ; puis la Compagnie fit construire la conduite d'eau dite « de la marine » pour approvisionner le port en eau potable, la première Tour de la Découverte ou des Signaux (reconstruite comme elle est aujourd'hui en 1787) le bel ensemble de la Voilerie (aujourd'hui Cour des Huiles), et, vers 1752, le magnifique décor urbain des jardins et pavillons (dits de l'Amirauté) de la Place d'Armes et du Bois d'Amour (aujourd'hui « les Quinconces »).

Rien ne fut négligé ; le chantier naval fut abondamment approvisionné et disposa d'un outillage moderne et d'un personnel compétent.

La Compagnie eut également le souci d'améliorer les relations de Lorient avec l'arrière-pays et les villages de la rade. Devenue propriétaire des bacs de Saint-Christophe et de Sainte-Catherine, de l'île Saint-Michel, elle rendit plus régulières et plus sûres les communications vers Hennebont et le Port-Louis.

A partir de 1734, les ventes se firent à Lorient. On y venait en octobre, de Hollande, d'Angleterre, de Suisse, d'Espagne et des quatre coins de la France. Au dire d'un contemporain, « la foire de Lorient était la plus considérable de l'Europe ». Il s'y traita, en trois semaines, jusqu'à 25 millions de livres tournois d'affaires.

LA COMMUNAUTÉ DE LORIENT.

Toute cette activité attira dans la ville de Lorient des marchands, des hôteliers, des commis, des charpentiers, des marins, des manoeuvres, des soldats ; on y comptait 14.000 habitants en 1738, soit près de 20.000 avec le faubourgs de Kerentrech, Merville, La Perrière, Calvin, Keryado.

La Compagnie voulut que le grand village formé à la diable au XVIIème siècle devînt une ville moderne. En 1735, l'ingénieur Dumains en dressa le plan d'embellissement et dessina l'intramuros actuel aux places géométriques et aux rues tirées au cordeau.

En 1738, Lorient fut érigé en Communauté de ville qui disposa d'un budget alimenté par les avances de la Compagnie et le produit des deniers d'octroy et patrimoniaux. Alors s'ouvrit l'ère des grands travaux en ville : pavage des rues, construction de quais et cales en bordure du ruisseau du Faouédic. Les chaumières démolies furent remplacées par de belles maisons copiées sur les modèles de l'Enclos (par exemple rue de l'Hôpital, rue du Port, rue du Lycée).

LE SIÈGE DE LORIENT, 1746 [Note : Sur le siège, abondante littérature. Travaux essentiels : P. DIVERRES. — L'attaque de Lorient par les Anglais (1746). Rennes, 1931, 1 vol. in-8° ; L. LE CAM. - Le siège de Lorient par les Anglais, 1746. Lorient, 1931, 1 vol, in-16 ; Lieutenant de vaisseau TANGUY. - Lorient pendant les guerres du XVIIIème siècle et particulièrement en 1746. Ecole de guerre navale, 1927].

Mais la paix fut subitement menacée à la mort de Fleury et à la chute de Walpole. « L'alarme de 1740 » montra le danger que courait Lorient, ville ouverte et entrepôt des Indes rival de Londres. En 1744 de médiocres remparts appuyés aux vases du Faouédic et du Scorff fermèrent la ville du côté des terres, juste à temps pour en imposer au général Sinclair dont les troupes débarquées à la fin de septembre 1746 dans la baie du Pouldu vinrent assiéger Lorient. Siège extraordinaire où « tout est hors du vraisemblable ». Avant de donner l'ordre de l'assaut, le haut commandement anglais voulut bombarder la ville et l'incendier. Cette canonnade sans grande efficacité fit perdre la tête au commandement français qui décida de capituler. Malgré les autorités civiles, il se rendit donc vers le camp anglais pour porter les clés de la ville, mais ne trouva personne pour les recevoir. La menace d'une tempête en mer avait obligé l'ennemi à lever le siège. On estima que la Providence avait sauvé la Ville, et, pour lui rendre grâce, on institua la Fête de la Victoire (sic) qui est encore célébrée chaque année en octobre.

En dehors de ces menaces directes, la guerre, en paralysant le trafic de la Compagnie, provoquait à Lorient l'arrêt des affaires, le chômage et la misère. La paix, même après la désastreuse guerre de Sept Ans, y ramenait la prospérité.

SUPPRESSION DE LA COMPAGNIE DES INDES DE LAW.

Mais un ennemi plus redoutable que l'Anglais guettait la Compagnie des Indes et son monopole : les physiocrates. En 1769, ils obtenaient la suppression de l'une et de l'autre. A Lorient, on craignit que la « culebutte de la Compagnie n'entraînât la destruction de la Ville ».

LA VILLE EN 1769.

A ce tournant de l'histoire lorientaise, il faut faire le point.

Un siècle a suffi pour faire de Lorient, parti de zéro, une agglomération de 20.000 âmes, la porte française de l'Orient, un centre européen de redistribution des produits asiatiques, un arsenal aussi important que Brest, une ville moderne et complètement autonome qui reçut même des armoiries en 1744.

Cette fortune vertigineuse fait songer aux créations urbaines de l'Amérique contemporaine et aux villes nées de la révolution industrielle. En ce coin de Bretagne, avec 150 ans d'avance, Lorient a pleinement réalisé le type de la mushroom-city ou ville-champignon.

Ascension surprenante que l'effort et, par instants, la réussite de deux Compagnies de navigation exploitant successivement le même monopole ne suffisent pas à expliquer. Si ces Compagnies ont préféré ce « port perdu », ce « cul-de-sac », à Bayonne, puis à Nantes, c'est qu'à Lorient elles n'avaient à composer avec aucun organisme préexistant et que, dans cette ville fondée par elles de toutes pièces, elles étaient « chez elles et maîtresses ». « Exemptes de droits d'octroi », elles étaient libres d'y établir « la police et le bon ordre selon leurs désirs », d'y faire exécuter « leurs volontés sans avoir besoin de recourir à aucune autorité ou juridiction suprême ou étrangère ».

LORIENT ET LA LIBERTÉ DU COMMERCE.

Les lendemains de cette date néfaste ne furent pas aussi sombres qu'on l'avait craint. Le Roi acheta toutes les installations de la Compagnie des Indes moyennant 17.500.000 livres tournois ; Lorient redevint port de guerre et arsenal royal. Si le grand commerce était libre « au-delà du Cap de Bonne-Espérance », des nécessités douanières avaient imposé Lorient comme base unique de retour des Indes et comme siège des ventes. Mais l'armement et le désarmement des vaisseaux avec les allées et venues des équipages, avec tout le mouvement que nécessitaient des approvisionnements considérables se faisaient ailleurs. Lorient « changea de face » et perdit 1/7ème de sa population.

LORIENT TÊTE DE LIGNES DES PREMIERS TRANSATLANTIQUES.

La guerre de l'Indépendance américaine procura du travail à l'arsenal et ramena les corsaires. Puis, en septembre 1783, la paix signée, Lorient fut choisi comme tête de ligne des premiers paquebots transatlantiques — le Courier de New-York, le Courier de l'Europe, le Courier de l'Amérique, le Courier de l'Orient (la ville), le Courier du Port-Louis, à destination des jeunes Etats-Unis. En même temps, Lorient devint port franc et entrepôt des produits de l'Amérique. [Note : Sur les voyages aux Indes et en Amérique, cf : L. CHAUMEIL. - Navigations d'autrefois. Croisières d'aujourd'hui. (Discours de distribution des prix). Lorient, 1935].

LA COMPAGNIE DE CALONNE A LORIENT.

Puis, une réaction se produisit en politique commerciale. Le commerce libre avec l'Inde avait bien alimenté des ventes aussi importantes qu'aux plus belles années de la Compagnie de Law (27 millions de livres tournois en 1777). mais le gouvernement lui reprochait de n'acheter que ce qui était lucratif et de laisser la France tributaire de l'étranger pour certains produits de première nécessité (le salpêtre par exemple) peu rémunérateurs. En 1785, le Roi rétablit le commerce prévilégié des Indes et en confia le monopole à la Compagnie dite de Calonne qui s'installait le 1er mai 1786 à Lorient à côté de la marine royale.

A la veille de la Révolution, Lorient, arsenal royal et port de guerre, base unique d'armement et de désarmement de la Compagnie des Indes, siège des ventes de la Compagnie, tête de ligne des paquebots transatlantiques, entrepôt franc des Etats-Unis, a retrouvé sa prospérité du milieu du siècle.

Pas pour longtemps.

LA FIN DU GRAND COMMERCE.

Les cahiers de doléances avaient réclamé la suppression du monopole du commerce des Indes et de la franchise du port. La Constituante les supprima en 1790.

Cependant, en 1790-1791, les ventes ont toujours lieu à Lorient et le commerce de l'Inde forme le fond de l'activité de son port. Mais, « l'idée séduisante d'une liberté indéfinie » mine ce privilège exclusif que convoitent les autres villes de l'Océan. Contre cette dépossession qui risque d'être fatale à une « Congrégation de 25.000 citoyens », les négociants et la municipalité protestent.

En 1793, l'Anglais met tout le monde d'accord. Au début de l'année, sa déclaration de guerre contre la France révolutionnaire est l'arrêt de mort du grand commerce. A Lorient, le blocus britannique ferme l'horizon marin pour vingt ans, assez longtemps pour briser net une tradition déjà séculaire. L'air du large qui l'avait vivifiée ne souffla plus sur la Ville qui se lança à fond dans le mouvement révolutionnaire : la vie politique et nationale remplaça dès lors la vie commerciale et cosmopolite.

Ainsi, 1793 clôt la première période de l'histoire de Lorient. La coupure est nette. Il faut ici tourner la page. Le XVIIIème siècle est fini. Jamais la ville de Lorient ne recouvrera cette large activité qui en fit, vers 1750, la rivale de Londres et d'Amsterdam.

De ce passé révolu, le nom de la ville (l'Orient), ses armes, sa devise (ab oriente refulget — c'est de l'Orient que lui vient son éclat), — la Tour de la Découverte, les beaux édifices de l'Arsenal restent les vivants symboles.

 

Lorient sous la Révolution et sous l'Empire.

La Révolution de 89 fut accueillie avec enthousiasme à Lorient, comme en témoigne « La Feuille Hebdomadaire de l'Orient ».

Mais, passé 1791, l'histoire de cette période est mal connue et tout entière à écrire. [Note : Quelques études de détail cependant : L. CHAUMEIL. - L'esprit public à Lorient en 1789-90. Lorient, 1936 ; R. KERVILER a publié différents travaux : L'assassinat du citoyen Gérard. Les Jacobins de Lorient ou la Gigantojacobinomachie. Clubs et clubistes de Bretagne de 1790 à 1795, etc.. on en trouvera la liste complète dans : R. KERVILER. — Bibliographie Kervilérienne. Lorient, 1903].

On sait qu'entraînée dans le mouvement fédéraliste, la ville eut son administration épurée, qu'elle fut érigée en Commune montagnarde par les Conventionnels Jean Bon Saint André, Jullien et Guermeur, représentants en mission et qu'elle resta par la suite un ardent foyer révolutionnaire, base solide contre la chouannerie et ses alliés : l'émigré et l'Anglais.

LORIENT, CENTRE ADMINISTRATIF.

Ce zèle révolutionnaire et l'importance acquise par ce centre urbain lui valurent alors une promotion dans la hiérarchie des villes du Morbihan : chef-lieu de canton en 1790, chef-lieu d'arrondissement et chef-lieu d'arrondissement maritime en l'an VIII, siège d'un Tribunal de première instance, Lorient prépare ainsi sa vie administrative et ratatinée du XIXème siècle.

En 1804, sa population atteignait encore 19.922 habitants dont 14.800 dans l'intra-muros, qui vécurent sous la Révolution et l'Empire de l'activité réduite de l'arsenal et du port de guerre.

 

Lorient sous la Restauration et la Monarchie de Juillet.

Sous la Restauration et la Monarchie de Juillet., vie végétative sans intérêt et sans grandeur. Lorient se contente de l'activité diminuée d'un arsenal qui se modernise lentement (construction de la forme de radoub no 1 et de la première cale couverte 1825). Son port de guerre arme encore quelques vaisseaux pour l'expédition de Grèce où s'illustrera Bisson et pour l'expédition d'Alger.

Mais, sur les quais, aucune animation. Stendhal, de passage en 1837, est frappé par « la profonde solitude de cette espèce de port marchand » que le Lorientais A. Dufilhol estime « un peu moins connu qu'un des ports de l'Australie ou des îles Marquises ».

Et voici le pis : ce rendez-vous de l'Europe au siècle dernier tombe au rang de dépotoir ; il s'y trouvait déjà un bagne (1795-1830), on y ajoute un lazaret dans l'île Saint-Michel (1823-1850) [Note : L. LE CAM. - Lorient. L'île Saint-Michel et le prieuré Saint-Michel des Montagnes. Lorient, Librairie Le Goaziou, sans date ; F. JEGOU. — L'île Saint-Michel. Son prieuré. Son lazaret. Lorient, 1939. Nombreuses publications : E. MANCEL. - Chronique lorientaise. Lorient, 1861 ; E. — Paquebots transatlantiques. Mémoire présenté à la Chambre de Commerce de Lorient. Lorient, 1852]. La masse de la population qui vit « des miettes de la marine » se réjouit à bon compte lorsque ce centre administratif se complète et reçoit sa caserne en 1839, son cours secondaire en 1822 qui sera le Collège d'Aumale en 1842 avant d'être le Lycée actuel.

Triste période de transition que cette époque Louis-Philippe ! Il semble qu'à Lorient on ait perdu le sens des affaires, que tout esprit d'entreprise, de risque, d'aventure ait disparu, et que la médiocrité d'une vie bourgeoise, satisfaite et bornée, suffise aux Lorientais devenus « les gens les plus rangés du monde » (Stendhal).

Cependant, une élite qui ne se résigne pas à cette déchéance a entendu l'appel de la pleine mer qui brise toujours sur la côte sauvage de Groix, et, l'historien, vers 1850, découvre les symptômes d'une activité maritime nouvelle qui s'épanouit aujourd'hui.

 

Le réveil de l'activité lorientaise (1850 à 1890).

Le réveil de l'activité lorientaise, dans la deuxième moitié du XIXème siècle, se fait sous le signe de la machine à vapeur.

LE GRAND DESSEIN [Note : A. DUFILHOL. — Mémoire présenté à la Chambre de Commerce. Du Rhin à l'Océan. Lorient, librairie Gousset, sans date ; J. JULIEN. — Chemin de Fer de Lorient. Paquebots transatlantiques. Dock franc, imp. à Rennes chez de Folligné, sans date].

Cependant, cette volonté de résurrection connut d'abord un grave échec. Vers 1850, Lorient eut son Grand Dessein qui mérite une mention. La Chambre de Commerce et la Municipalité songèrent à faire de son port la base de départ des émigrants pour les deux Amériques. Elles lancèrent l'idée d'une « ligne de railway » qu'elles appelèrent « la ligne horizontale Strasbourg-Lorient ». Par ce « Rhin-Océan », l'Europe Centrale fût devenue l'hinterland lorientais. Les Mancel, Jullien, Dufilhol voyaient trop grand. Si l'avenir devait prouver que le « fleuve de vapeur » dont ils parlent était capable de créer de nouveaux courants commerciaux, en 1850 leur projet relevait de l'utopie. Nantes et Le Havre se mettant en travers n'eurent pas de peine à le faire écarter comme « excentrique, chimérique, romanesque ». Après cette leçon de modestie, les dirigeants lorientais s'attelèrent à un programme d'améliorations immédiates, avec un sens plus juste des réalités.

L'ARSENAL en 1865 [Note : M.-J. HEBERT. — Les ports militaires de la France. Lorient. Imp. à Paris, chez Challamel et Bertrand, sans date (mais vers 1865)].

L'impulsion principale vint cependant de l'arsenal qui s'adapta très vite aux techniques modernes. Son atelier des bâtiments en fer aux trois nefs juxtaposées, de chacune 160 mètres de long sur 15 de large, lança en 1861 la frégate La Couronne, premier navire cuirassé, construit par l'ingénieur Dupuy-de-Lôme ; en 1876 et en 1879, les deux premiers bâtiments en acier sortirent de ses chantiers, le Redoutable et la Dévastation. Ses forges — 112 feux — consommèrent en 1865 900 tonnes de charbon pour ouvrer 350 tonnes de fer.

En 1861, il fallut allonger la forme de radoub n° 1, creuser et bâtir la forme n° 2. On jeta de la rive droite du Scorff aux Chantiers de Caudan une passerelle « système Howe » de 177 mètres de long.

Avec ses 4.500 ouvriers civils et ses 155 ouvriers militaires (en 1865), avec son équipement moderne et sa production navale à la pointe du progrès, l'arsenal sortit Lorient du marasme et initia la Ville à l'activité industrielle.

LE TRAFIC CHARBONNIER.

A l'actif de l'initiative privée, il faut mettre d'abord l'ouverture du trafic charbonnier. L'arsenal et l'usine à gaz (1845) furent les premiers consommateurs de houille britannique. Leur approvisionnement, les besoins de l'industrie lorientaise naissante suffirent à alimenter un trafic régulier entre Lorient et les centres houillers de Grande-Bretagne. Vers 1870, ces importations se faisaient par voiliers affrétés par les firmes Besné et Méry (charbon de Newcastle) et, plus tard, par la firme Le Brise (charbon de Cardiff) qui arma en 1893 le Coat-Coal, premier vapeur charbonnier spécialement établi pour accoster au quai du bassin à flot. Le nom de ce navire — un hybride anglo-breton — explique ce que fut longtemps le trafic Lorient-Cardiff : à l'aller, bois de Bretagne (coat) sous la forme de poteaux de mines ; au retour, houille de Grande-Bretagne (coal). Si l'exportation de poteaux de mine qui a été importante est nulle aujourd'hui, par contre, le charbon anglais est resté l'importation de base du port de commerce.

LA PÊCHE.

Pour Lorient, l'Océan n'avait pas épuisé toutes ses générosités ; il tenait encore en réserve, sur les sables vasards de la plateforme continentale, à portée de la main, des bancs de poissons que la rapidité des moyens de communication allait permettre d'exploiter à fond. En 1889, Lorient inaugurait sa fonction actuelle de grand port de pêche, en fondant sa criée municipale.

Parallèlement à cette industrie de la pêche et à la culture des primeurs, l'industrie des conserves alimentaires, acclimatée de longue date sur la côte, perfectionnée par Blanchard qui fonda à Lorient en 1825, la première usine de conserves de sardines préparées à l'huile d'après la méthode Appert constitua une nouvelle source d'activité et de richesses pour la ville.

QUAIS ET VOIES DE COMMUNICATION.

Ce développement économique nécessita un équipement moderne du port et une amélioration des relations par route et voie de fer. Un pont en bois (1823), puis un pont suspendu (1848) remplacèrent le bac du « trépas de Kerentrech » ; la première locomotive franchit le Scorff en 1865 sur le viaduc métallique « pont américain » ; les quais avant-port et bassin à flot — amorcés au XVIIIème siècle et sous la Monarchie de Juillet furent à peu près achevés en 1865.

POPULATION.

Toute cette activité réclamait beaucoup de main-d'oeuvre que fournirent abondamment les campagnes voisines. Comme dans les autres villes industrielles, à Lorient la population s'accrut avec rapidité. Elle passa de 15.310 habitants en 1831, à 34.660 en 1872, à 42.116 en 1891, à 44.640 en 1901. Ne pouvant s'entasser dans l'intra-muros qui étouffait dans sa ceinture de remparts, elle forma la Nouvelle-Ville et grossit les faubourgs.

LA RADE, LIMITE AU DÉVELOPPEMENT.

Mais voici l'envers de la médaille et comme la rançon de ces progrès.

La marine de guerre rapidement accroissait les tonnages et le tirant d'eau de ses unités. En 1881, le cuirassé La Dévastation s'échouait dans la passe Est de la rade et la Marine mettait immédiatement le port militaire en quarantaine. Lorient, port de guerre de deuxième ordre resta un chantier de constructions navales destiné à « faire du neuf ».

L'ESSOR DE L'INDUSTRIE PRIVÉE.

Cette déception ne découragea pas les milieux dirigeants de la cité. En 1896, M. Broni, maire de la ville, estimant qu'il ne fallait pas « rattacher l'existence de la cité uniquement à l'arsenal », demandait aux Lorientais de ne pas « compter sur l'Etat pour vivre » et « de mettre en oeuvre tous les intérêts privés pour que Lorient retrouve sa prospérité d'autrefois ».

En fait, quand s'ouvre le XXème siècle, en marge de l'activité toujours fondamentale de l'arsenal, les initiatives privées ont jeté les bases d'une activité secondaire dont le chalutage à vapeur représente l'aspect le plus intéressant.

 

Lorient au XXème siècle.

LE CHALUTAGE A VAPEUR.

En effet, au début du XXème siècle, l'événement de premier plan dans l'histoire lorientaise, c'est le développement de la pêche. Cette très vieille industrie du littoral devait prospérer ici sous sa forme moderne du chalutage à vapeur. MM. Dufilhol père et fils montrèrent le chemin en achetant à Newcastle, en 1900, l'Eclaireur, au nom symbolique. Dès 1901, ce petit chalutier de 91 tonneaux eut pour compagnon Le Lorientais ; puis, il se constitua une flottille qui compta 8 unités en 1904, 17 en 1908 et se maintint à ce chiffre jusqu'à la guerre.

Naturellement, le développement du chalutage provoqua un accroissement rapide du tonnage du poisson pêché ; en dix ans, le poisson débarqué à l'avant-port passait de 1.200.000 kg (1903) à 10.000.000 (1913), et, dès 1909, le trafic lorientais égalait celui des trois vieux ports de Douarnenez, Pont-l'Abbé et Concarneau réunis.

Ainsi, en dix ans, le chalutage avait fait de Lorient le grand port de pêche de la côte Sud de Bretagne. Cette carrière rapide attira l'attention et lorsqu'on décida, après-guerre, de construire un Port de Pêche National sur l'Océan, « Lorient admirablement situé pour commander cette région » (R. Musset) fut choisi.

Autre profit pour la ville : le chalutier, gros consommateur de charbon, accrut le trafic charbonnier Lorient-Cardiff ; ainsi, le développement du Port de Pêche entraîna le développement parallèle du Port de Commerce.

LA GUERRE 1914-1918.

La maîtrise des mers appartenant aux Alliés, la ville et le port de Lorient ne furent pas inquiétés par l'ennemi. La vie matérielle y fut assurée par l'arsenal qui procura du travail et par la pêche qui resta importante malgré la réquisition de la plupart des chalutiers. La ville tournait ses regards vers le front où combattaient ses enfants. A cette frontière maritime, le drame de la guerre ne fut pas différent de celui qui étreignait les populations de la France continentale non envahie, il tient tout entier dans la longue liste des morts et des blessés de la cité. Donc, de 1914 à 1918, la ville se recueille et attend le dénouement. A l'Ouest, rien de nouveau.

L'APRÈS-GUERRE ET LA SITUATION ACTUELLE.

Après-guerre, nous sortons de l'histoire pour entrer dans l'actualité, domaine du géographe qui ne saurait rendre compte de ce qu'il observe sans interroger le passé.

Notre époque voit, en effet, l'épanouissement des diverses activités du début du siècle qui assurent à Lorient, en pleine crise mondiale, une belle vitalité.

L'ARSENAL.

Aujourd'hui plus que jamais, la vie de Lorient repose sur l'activité multiple de son arsenal.

Le port de guerre, en raison de la faible profondeur des passes de la rade et de la proximité de Brest, ne joue plus qu'un rôle secondaire. Le décret du 10 septembre 1926 en avait fait un chef-lieu d'arrondissement maritime, sous la dépendance de Brest. Le décret du 20 mai 1939 lui a rendu son rang de Préfecture maritime, chef-lieu de la Vème région. Brest, souvent congestionné se sert de Lorient comme annexe et y base de petites unités, généralement des torpilleurs.

Les anciens magasins des ventes de la Compagnie des Indes, transformés en casernes abritent une nombreuse garnison qui compte environ 3.500 officiers, matelots et apprentis-mécaniciens, et qui s'élève, avec les équipages des navires basés au chiffre moyen de 5.600 hommes.

Mais, c'est l'arsenal-usine qui constitue la pièce maîtresse du port militaire. L'active politique de constructions navales suivie depuis une quinzaine d'années lui a donné une importance inconnue jusque-là. Il construit, arme et répare les moyennes et petites unités de surface (croiseurs de 2ème classe, contre-torpilleurs, torpilleurs, avisos, sous-marins). Il emploie un personnel permanent d'à peu près 5.000 ouvriers, agents techniques et ingénieurs, auquel s'ajoutent les nombreuses équipes de monteurs de l'industrie privée qui y séjournent des mois entiers.

Ainsi, la Marine de guerre entretient à Lorient environ 10.000 officiers, ingénieurs, ouvriers, matelots, apprentis qui reçoivent annuellement comme soldes et salaires, près de 110 millions de francs. Les dépenses pour la construction d'édifices neufs (par exemple, l'Hôpital Maritime), pour l'entretien des immeubles, pour l'équipement de l'arsenal (par exemple la construction du parc à mazout de Priatec) sont considérables. Les sommes ordonnancées par l'Intendance maritime de Lorient s'accroissent chaque année. Elles s'élevaient à 400 millions en 1935 ; elles sont passées à 497 millions en 1936 et à 638 millions en 1937 ; elles viennent d'atteindre 881 millions de francs en 1938.

A cela, il faudrait ajouter le montant des retraites payées aux officiers, marins et ouvriers de l'arsenal retirés à Lorient. Et l'on arrive à cette conclusion que Lorient vit principalement du budget de la Marine. Il ne s'agit plus « des miettes de la marine », comme on disait voilà cinquante ans, mais d'un vrai pactole qui circule dans presque toutes les branches de l'activité lorientaise et les vivifie.

LE PORT DE PÊCHE [Note : VERRIERE. — Port de pêche de Lorient-Keroman. Lorient, 1919 ; C. ROBERT-MULLER. — Le nouveau port de pêche de Lorient : chalutage el charbon. Annales de Géographie, XXXVIème année, n° du 14 mai 1927 ; C. ROBERT-MULLER. — Lorient port charbonnier et la vie économique de la Bretagne atlantique. Paris, 1926].

L'arsenal supprimé, il ne resterait guère à Lorient comme source de richesses que l'industrie de la pêche. Ici du moins l'initiative privée a pleinement réussi. Il est juste de dire que l'Etat l'a puissamment secondée, en créant le Port de Pêche de Keroman, ouvert au trafic en 1927. Lorient doit ce port à l'initiative et à la collaboration de « quelques personnalités représentant les trois formes d'action nécessaires, la politique, le commerce, la technique : Nail, Marcesche, Verrière ». (C. Robert Muller).

Il s'y trouve réunies toutes les commodités désirables : des profondeurs suffisantes pour permettre l'entrée des chalutiers à toute heure de la marée ; — de vastes halls de ventes s'ouvrant sur le quai et devant les magasins des mareyeurs ; — la voie ferrée à la porte des expéditeurs ; — un slipway pour tirer au sec les chalutiers à caréner et à réparer ; un frigorifique produisant la glace vendue en neige et en morceaux ; — des silos pour charbon de soute ; — des appontements à huile lourde ; — une manutention rapide assurée par les soins de la Société du Port de Pêche, chargée de l'exploitation générale.

On comprend que de tels avantages ajoutés à ceux de la proximité des fonds à draguer aient provoqué la montée en flèche du trafic. Le tonnage du poisson pêché est passé de 15.600 tonnes en 1927 à 22.590 tonnes en 1934 et à 33.066 tonnes en 1938 représentant pour cette dernière année une valeur de 98 millions de francs. La flottille de pêche qui comprenait 44 unités en 1927 (40 chalutiers à vapeur, 4 dundees à moteur) en compte 174 en 1939 dont 45 chalutiers à vapeur et 129 chalutiers ou dundees à moteur armés pour la drague et montés au total par 1.900 marins-pêcheurs. Le commerce de gros au port de Keroman fait vivre 60 maisons de mareyage et une centaine de mareyeurs ambulants.

La S. N. C. F. améliore sans cesse la distribution de la marée de Lorient sur tout le marché national et contribue largement à l'augmentation du trafic. A Limoges, par exemple, le poisson de Lorient qui arrivait vers midi en 1935 arrive à 6 heures du matin depuis 1938, aussi les expéditions ont-elles bondi de 30 tonnes en 1935 à 744 en 1938. D'une façon générale, la marée de Lorient, très soignée à bord des chalutiers qui restent en mer 4 à 5 jours seulement, et, très bien emballée, se distingue sur les étaux des halles par sa fraîcheur et sa variété qui lui valent la préférence des acheteurs. Il n'est guère de région de France qui ne reçoive de poisson lorientais ; l'extrême Sud-Est même (Marseille et la Côte d'Azur) est un excellent client du port de Keroman, mais Paris s'inscrit en tête avec 12.500 tonnes en 1938 contre 6.226 en 1935. Dans le domaine de la pêche, les quinze dernières années ont été décisives. Elles ont fait de Lorient le deuxième port de pêche de France et l'avenir ne peut qu'améliorer cette position.

LE PORT DE COMMERCE.

L'activité du Port de Commerce est fonction de l'activité de l'Arsenal et de celle du Port de Pêche, puisque son rôle est d'approvisionner la ville et ses industries. Aussi enregistre-t-on, après-guerre, un accroissement sensible du tonnage qui passe de 158.000 tonnes en 1901 à 440.000 tonnes en 1929 et se maintient autour de 380.000 tonnes de 1933 à 1937 inclus. En 1938, le tonnage total s'est abaissé à 307.000 tonnes ; le déficit vient de l'arrêt, puis d'une faible reprise de l'activité des forges d'Hennebont, et du stockage de houille et de bois du Nord réalisé en 1937, en prévision de la dévaluation. Comme pour la majorité des ports français, les importations dépassent considérablement les exportations (259.000 tonnes contre 48.000 en 1938). A l'entrée, la houille occupe le premier rang (214.000 tonnes sur 345.000 en 1935 ; 158.000 tonnes sur 307.000 en 1938) ; mais elle recule devant la concurrence du mazout (en 1938 45 chalutier marchant au charbon contre 78 en 1933). Tous les combustibles liquides destinés au commerce arrivant par le rail et par la route, le trafic du port de commerce est diminué d'autant. Le charbon de Cardiff reste le plus apprécié, mais la hausse du sterling a favorisé les charbons belges et polonais qui figurent respectivement pour 21.100 tonnes et 21.500 tonnes dans les importations de 1938. Puis, viennent les sables et graviers, les chaux et ciments, les vins et eaux-de-vie, les fontes et fers, les bois du Nord et exotiques ; — à la sortie, plus de poteaux de mines, naguère l'essentiel des exportations, mais du kaolin, et, à destination des îles de Groix et Belle-Ile, réexpédition de matériaux de construction, vins, céréales, charbon, rogue...

Le trafic se déplace du bassin à flot et de l'avant-port vers le quai en eau profonde, à Kergroise. En somme, une activité secondaire mais non négligeable.

LA VILLE ET LA POPULATION.

Tous ces organismes en plein essor utilisent beaucoup de main-d'oeuvre. Le chiffre total de la population de l'agglomération lorientaise (Lanveur, Lanester, Locmiquélic, Keryado, Lorient intra et extra-muros) est assez constant et atteint 60.000 habitants environ.

La ville elle-même est plutôt en régression avec 45.817 habitants en 1936 contre 49.039 en 1911. A cela deux raisons : l'une d'ordre général, l'ouvrier se répand dans la banlieue pour participer aux avantages de la ville sans en subir les charges, l'autre particulière à Lorient, la diminution d'effectif des troupes casernées. Un souci d'hygiène et de bien-être contribue à vider l'intra-muros (17.966 habitants en 1936 contre 23.889 en 1876) au profit de l'extra-muros (27.795 habitants en 1936 contre 11.276 en 1876). Mais, le déclassement de Lorient en tant que place de guerre a permis de démolir les remparts, et, sur les terrains frappés naguère de servitude non aedificandi, des quartiers neufs s'élèvent par lesquels les faubourgs se soudent avec l'intra-muros.

 

Conclusion générale.

Ainsi, Lorient a parcouru en moins de trois siècles une carrière brillante dans les principales branches de l'activité maritime : la construction navale, le grand commerce, la pêche industrialisée. C'est cette triple activité que signalent dans le ciel lorientais la Grue Titan de 120 tonnes, la Tour de la Découverte et les quatre étages du Frigorifique.

Soit comme frontière, comme route ou comme vivier, l'Atlantique a été et reste la grande, l'unique source de vie et de richesse.

La nature a cependant mis des bornes au développement de cette cité. Deux tares congénitales brident son essor : la médiocrité des fonds de sa rade et l'absence d'arrière-pays. « Aucun arbre, écrit un penseur japonais, ne saurait dépasser la force contenue dans sa graine ». Ici, de même, Lorient ne saurait prétendre à rivaliser avec Brest non plus qu'avec Nantes.

Mais que trois siècles aient suffi à lui donner un passé brillant, qu'ils aient suffi à en faire un Arsenal important, le deuxième Port de Pêche de France et la quatrième ville de Bretagne, voilà qui dit assez l'excellence de l'emplacement et le dynamisme des générations qui ont bâti sa fortune.

Et cette sève n'est pas éteinte. Si « le présent accouche de l'avenir », selon le mot de Voltaire, l'avenir de Lorient est largement assuré.

(Louis Chaumeil).

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