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ATTAQUE DES ANGLAIS CONTRE LA VILLE DE LORIENT EN OCTOBRE 1746.

RELATION DE DAVID HUME.

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Préambule.
Le souvenir de l'attaque infructueuse dirigée par les Anglais, en 1746, contre la ville de Lorient est encore très vivant en Bretagne. Il est consacré par une cérémonie religieuse qui se renouvelle tous les ans, et par un couplet d'allure et d'origine populaire qui se chante beaucoup plus souvent :

Les Anglais, remplis d'arrogance,
Sont venus attaquer Lorient,
Mais les Bas-Bretons,
A coups de bâtons,
Les ont renvoyés hors de ces cantons !

Plan de Lorient et Port-Louis (Bretagne).

Plusieurs relations de cet événement, émanant de contemporains présents à Lorient pendant le siège, ont déjà été publiées ou analysées, à savoir, à notre connaissance,
1° Une relation écrite par le sr Lemoué, dit Durand, lieutenant de la milice garde-côte, ancien lieutenant d'infanterie ; relation doit M. Mancel déclare avoir « fidèlement extrait » le récit du siège de Lorient inséré dans sa Chronique Lorientaise (Lorient, 1861, in-12), p. 102 à 115 et spécialement p. 112 ;
2° La relation de l'abbé de Pontvallon Hervouet, recteur de Pleucadeuc, publiée (par M. l'abbé Marot, curé de Rochefort-en-Terre) dans le Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, année 1860, p. 6 à 11 ;
3° Celle du sr Barbarin, lieutenant de maire à Lorient en 1746, publiée (par M. du Chalard) dans la Revue de Bretagne et de Vendée, année 1863, 2ème semestre, p. 171 à 178.

Toutes ces relations sont, on le voit, de source française, aucune d'origine anglaise, et ainsi ne font-elles voir qu'un côté de l'histoire de cette expédition. Il serait cependant d'autant plus utile d'en connaître toutes les faces que son singulier dénouement est resté un problème à éclaircir.

Après huit jours d'une attaque assez mollement menée par l'assaillant, les défenseurs de la ville, qui n'avaient eu à subir que des pertes insignifiantes, envoyèrent, le soir du 7 octobre, des parlementaires porter leur capitulation au camp anglais, — qu'ils trouvèrent abandonné. Pourquoi les envahisseurs, qui n'avaient pas dû eux-mêmes souffrir beaucoup de la défense de la place, avaient-ils subitement renoncé au but de leur invasion pour se rembarquer dare dare ? Voilà ce que les Lorientais ignoraient absolument, ce que leurs relations ne disent point, et ce que des relations anglaises, au contraire, ne pourraient manquer de nous faire connaître, ainsi que beaucoup d'autres détails intéressants sur la préparation de l'expédition, l'organisation du corps expéditionnaire et les incidents du camp anglais.

Par tous ces motifs, je m'étais mis à la recherche de quelque relation de l'affaire de Lorient publiée en Angleterre ; je n'avais rien trouvé de satisfaisant, lorsque, il y a quelques années (en 1882), un de mes amis, l'excellent et si regrettable M. Jules Carron, alors conseiller général d'Ille-et-Vilaine, ancien consul-général de France à Edimbourg, me fit connaître un livre contenant ce que je cherchais.

C'est une Vie de David Hume, composée par John Hill Burton, avocat, publiée à Edimbourg en 1866, chez le libraire William Tait, et formant deux volumes grand in-8°.

Mais pourquoi une relation de l'affaire de Lorient, dans la Vie de David Hume ? Parce que ce célèbre historien et philosophe, alors âgé de trente-cinq ans, pris part à cette expédition dans un poste où il pouvait tout voir, tout savoir, celui de secrétaire du général en chef et de juge avocat ou commissaire civil attaché au corps expéditionnaire.

Non seulement Hume a laissé une lettre tout intime, adressée à son frère, où il lui rend brièvement compte des péripéties de l'attaque contre Lorient ; mais ou a trouvé dans ses papiers un mémoire manuscrit contenant une relation détaillée de cette entreprise et qui semble destinée au ministère anglais. Ces deux pièces sont fort curieuses, fort importantes pour l'histoire de l'expédition de 1746 contre Lorient. M. Jules Carron voulut bien prendre la peine de les traduire lui-mène [Note : Il joignit même à sa traduction des notes fort utiles pour l’éclaircissement du texte et que nous imprimons en les signant de ces mots : Note du traducteur, ou en abrégé Trad.], et en les publiant aujourd'hui c'est un devoir pour moi de joindre à l'expression de ma reconnaissance celle des regrets vifs et profonds causés à tous ses amis, c'est-à-dire, à tous ceux qui l'ont connu, par la perte de cet homme de coeur, doué d'un esprit si fin et si élevé à la fois, si distingué et si littéraire. ARTHUR DE LA BORDERIE.

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EXTRAIT DE LA VIE DE DAVID HUME (Tome 1er de cet ouvrage, p. 208).
Au commencement de l’année 1746, Hume reçut une invitation [Note : Hume, né en 1711, avait alors 35 ans. Il n'avait encore publié que des traités philosophiques et pas d'ouvrages historiques. (Note du traducteur)] du général Saint-Clair, « de l'accompagner comme secrétaire pendant son expédition, qui devait d'abord être dirigée contre le Canada, mais se termina par une incursion sur la côte de France » [Note : Ce passage guillemeté est tiré de l'ouvrage de Hume, intitulé : Ma vie. (Trad.)]. Avant son départ et au moment où il s'attendait à traverser l'Atlantique, il écrivit la lettre suivante dressée à « M. Alexandre Hume, avocat, procureur de Sa Majesté pour l'Ecosse, à Edimbourg ».
« Porsmouth, 23 mai 1746. Mon cher Procureur général,
Vous devez certainement compter sur une lettre de moi avant mon départ pour l'Amérique, mais vous ne pouvez guère compter qu'elle sera longue si vous considérez que je n'ai eu avis de tout ceci que dimanche dernier au soir ; que nous allons nous embarquer dans deux ou trois jours et que je me trouve entièrement dépouillé, car j'avais expédié tout mon bagage pour l'Ecosse dimanche matin. Pareille aventure romanesque et pareille hâte sont choses nouvelles pour moi. L'emploi que je vais occuper est convenable. J'aurai dix shillings (12 fr. 50) par jour, je suis défrayé de tout, aucune dépense à faire à bord… Je suis, etc. »
.

Le personnage auquel Hume devait servir de secrétaire, était l'honorable James Saint-Clair, un de ces commandants dont la destinée est de passer leur vie dans le service actif, sans avoir une seule occasion de se distinguer par une action d'éclat ; car quoiqu'il eût alors le chemin du succès ouvert devant lui, ce succès lui fut refusé par la mauvaise direction qu'il reçut de ses supérieurs. C'était le second fils de Henry lord Saint-Clair. Son frère aîné, ayant pris part à la révolte de 1715, fut décrété par acte du Parlement. Le père laissa les biens de famille au général Saint-Clair, qui, par un généreux dévouement au principe d'hérédité, les rendit à son frère aîné quand celui-ci obtint son pardon et un vote du Parlement accordant main-levée du décret. Il obtint le rang de colonel le 26 juillet 1722, de major-général le 15 août 1741 et de lieutenant-général le 4 juin 1745. Pendant cette dernière année, il fut quartier-maître général des forces britanniques en Flandre. Il fut pendant bien des années membre du Parlement, ayant été élu pour les bourgs de Dysart en 1722, et ensuite pour les comtés de Sutherland et Fife. Il mourut à Dysart le 30 novembre 1762.

Les forces maritimes de l'expédition projetée étaient sous les ordres de l'amiral Richard Lestock, un homme dont la destinée militaire a été à peu prés la même que celle de son collègue. L'objet prétendu de l'expédition était une attaque sur les possessions françaises du Canada, où un corps d'armée britannique devait aller seconder les efforts des troupes coloniales. Mais l'indolence ou là négligence des autorités de la métropole retarda le départ de la flotte, jusqu'à ce qu'il fût trop tard pour une telle entreprise, et alors, comme pour fournir un exemple frappant des projets vains et incertains du ministère, afin que tous ces préparatifs ne fussent pas perdus, les forces préparées en vue de l'Amérique, reçurent pour destination une descente sur les côtes de France.

La force navale consistant en seize vaisseaux de ligne, huit frégates et deux bombardes, portant 5.800 hommes de débarquement, y compris les artilleurs et bombardiers, mit à la voile de Plymouth le 14 septembre 1746. Le fameux Rodney, depuis amiral, commandait un des vaisseaux, l'Aigle [Note : Il est dit, dans la Relation autographe de David Hume publiée ci-dessous, que six transports, séparés de la flotte par la tempête, privèrent l'armée de 800 hommes : cela fait 135 hommes ou une compagnie par transport. A ce compte, il y aurait eu, pour 5.800 hommes, 43 transports ; et de plus 16 vaisseaux, 8 frégates, 2 bombardes : ensemble 69 bâtiments ; ce qui fait une flotte très imposante. (Trad.)]. Le but de l'expédition était la ville et le port de Lorient, alors florissant, siège de la Compagnie des Indes françaises, bien déchu comme port de commbrce depuis la décadence de cette Compagnie. L'histoire et le resultat de cette expédition ne peuvent être mieux exposés que par Hume lui-même. Elle ne fut, au point de vue militaire, glorieuse pour aucun des deux pays. Nos historiens la mentionnent à peine, et les historiens français la passent aussi à peu près sous silence.

Dans cette expédition, Hume ne figurait pas seulement comme secrétaire du général, il avait aussi été désigné par lui comme juge-avocat [Note : Commissaire civil, car la juridiction de la prévôté ne regarde que la discipline des troupes. (Trad.)] des forces réunies sous son commandement, en vertu d'une commission, donnée à bord du vaisseau de Sa Majesté, le Superbe, le 3 août 1746, par suite du pouvoir reconnu aux commandants d'armée de pourvoir à cet office. Les devoirs à la fois administratifs et judiciaires, d'un juge-avocat demandent une connaissance générale des grands principes des lois et de la justice, avec une liberté d'action dégagée de formalité et pouvant s'adapter à la rapidité des operations militaires, et il n'est pas douteux que ces délicates et importantes fonctions ne fussent confiées, en cette circonstance, à un homme parfaitement capable de les remplir.

Quelques amitiés durables paraissent avoir été formées par Hume pendant cette expédition. Le général Abercromby, avec lequel nous le verrons correspondre plus tard, était quartier-maître général ; Harry Erskine, lieutenant du quartier-maître général ; Edmondstoune, de Newton, capitaine dans Royal-Ecossais. Concernant les opérations de l'expédition et divers incidents très intéressants qui y ont rapport, Hume écrivit à son frère. John Home [Note : On appelait indifféremment cette famille Home ou Hume. Le philosophe signait David Hume et appelait son frère John Home, selon l'ancienne orthographe. Ils étaient gentilshommes et portaient dans leurs armes neufs puits ou sources, traduction du nom de leur petit fief, Nine wells. (Trad.)] ou Hume de Ninewells, dans les termes suivants :

Lettre de Hume à son frère.
Baie de Quiberon en Bretagne, 4 (14) octobre 1746.
« Notre première tentative guerrière n'a pas eu de succès, sans perte toutefois, ni déshonneur. La rumeur publique vous à certainement appris que, retenus dans la Manche trop tard pour passer en Amérique, le ministère, qui voulait tirer parti de forces si importantes de terre et de mer, nous a envoyés chercher aventure sur les côtes de France. Quoique le général et l'amiral ne connussent pas du tout ces côtes, qu'ils n'eussent ni pilotes, ni guides, ni relations d'aucune sorte, pas même des cartes ordinaires du pays, cependant ayant reçu l'assurance qu'il n'y avait dans ces parages aucune troupe régulière, ils pensèrent qu'il n'etait pas possible, dans ces conditions, de ne pas faire quelque heureux coup. Ils se dirigèrent donc vers Lorient, une belle ville de la côte de Bretagne, le siége de la Compagnie française des Indes, qui n'était, il y a vingt ans, qu'un misérable village. Ils n'avaient aucune notion de la force de la ville, du chiffre de la garnison, de la nature des côtes et du pays, sauf ce qu'ils pouvaient en avoir entendu dire à Plymouth. Cependant, nous fimes un heureux voyage de trois jours, nous débarquâmes en Présence d'environ 3.000 hommes de milice le 20 septembre [Note : C'est-à-dire, dans la manière actuelle de compter, le 30 septembre ; car l'Angleterre n'ayant pas encore à cette époque adopté la réforme grégorienne du calendrier, les dates de Hume sont de dix jours en retard sur les dates véritables en style grégorien, qui est le style actuel. (Trad.)], nous marchâmes le lendemain jusqu'aux portes de Lorient et prîmes connaissance de la ville.

Elle est située au fond d'une belle baie de deux lieues de long, dont l'entrée est commandée par la ville ou citadelle de Port-Louis ou Blavet, place très forte située sur une péninsule. La ville de Lorient elle-même n'est pas très forte, quoiqu'elle soit entourée d'un mur neuf d'environ trente pieds de haut, fortifié par des demi-lunes et garni de quelques canons. Les habitants furent prodigieusement effrayés d'une attaque aussi inattendue par des troupes dont leur crainte exagéra le nombre, et ils offrirent immédiatement de capituler, quoique avec des conditions qui auraient rendu cette conquête insignifiante pour nous. Ils firent, quelques heures après, de nouvelles avances pour rabattre de leurs premières demandes, mais le général refusa positivement d'admettre des termes de capitulation ; il voulait que la ville se rendît à discrétion. Il avait de très bonnes raisons pour user de ce semblant de rigueur hautaine. Les armées anglaises ont souvent été fort mal pourvues en ce qui est de l’arme du génie, et dans cette occasion en particulier ce service était confié à des officiers grossièrement ignorants et incapables. Ils affirmèrent d'abord qu'avec un obusier et deux pièces de douze ils viendraient facilement à bout, en dix heures, de réduire en cendre les magasins de la Compagnie des Indes et d'ouvrir une brèche suffisante pour l'entrée de nos troupes. Ceci ayant été dit devant le général et l'amiral, ils en conclurent qu'ils seraient facilement maîtres de la ville et qu'il n'y avait pas lieu de lui accorder des conditions. Ils craignaient de plus que, s'ils accordaient des conditions et stipulaient une forte rançon, le bon peuple d'Angleterre, qui aime la bataille [Note : Le duc de Wellington disait : Quand John Bull, pendant son déjeûner, apprend que j'ai livré une bataille, il ne cherche pas à se faire une idée de son importance ou de ses conséquences ; non, il va droit à la note du boucher, et s'il n'y a pas eu beaucoup d'hommes tués, il n'est pas content. (Trad.)], ne s'empressât de dire qu'on avait trafiqué de la gloire de nos armes moyennant finances. Enfin, aucun coup ne pouvait être plus fatal au commerce français que la destruction de cette ville ; aucun ne pouvait imprimer aux Français une plus salutaire terreur de la marine britannique, et par suite les obliger, pour garder leurs côtes, à retirer bon nombre de troupes de leurs frontières. Mais lorsque les ingénieurs en vinrent à l'exécution, ils ne purent tenir aucune de leurs promesses. Aucune de leurs fusées, aucun de leurs boulets rouges ne fit le moindre effet.

Comme la ville ne pouvait être investie ni par terre ni par mer, on y rassembla facilement une garnison de troupes régulières et irrégulières en nombre double des nôtres, et on commença à tirer sur nous avec 35 pièces de canon, auxquelles nous n'en pouvions opposer que quatre. Des pluies abondantes survinrent, causant des maladies parmi nos hommes qui avaient été entassés tout l'été sur des transports. Nous étions à dix milles de la flotte, avec des chemins complètement rompus, tout devant être tramé par nos hommes, les chevaux du pays ayant été emmenés dans l'intérieur. Tant de fatigues épuisèrent rapidement notre petite armée. Le mouillage de la flotte dans la baie de Quimperlé [Note : C'est-à-dire dans la baie du Pouldu, où s'embouche la rivière de Quimperlé. (Trad.)] n'était pas du tout sûr. Pour ces motifs et d'autres encore, il fut unanimement résolu de lever le siége le 27 septembre (7 octobre), et sur ce point il n'y eut pas une seule voix discordante dans l'armée ou la marine.

Nous n'avons pas perdu plus de dix hommes par le feu de l'ennemi pendant l'expédition, et nous ne fûmes en rien molestés, soit pendant notre retraite, soit pendant le réembarquement. Nous essuyâmes une violente tempête le 1er octobre (11 octobre), pendant que nous étions encore près de la côte. Nous sommes maintenant dans la baie de Quiberon, au sud de Belle-Isle, où nous attendons d'Angleterre un renfort de trois bataillons. Cinq on six transports sont disparus pour le moment. Quand notre équipée en France aura pris fin, ce que ne peut tarder à cause de la mauvaise saison, nous nous dirigerons sur Cork ou Kingsale.

Pendant que nous étions à Ploemeur, village situé à environ une lieue de Lorient, il est arrivé dans notre famille un accident des plus tragiques, qui m’a beaucoup accablé. Je ne sais si vous avez jamais entendu parler du major Forbes, frère de sir Arthur Forbes. Il passait pour être et il était un homme des plus estimables, plein de sens, d'honneur, de modestie, de douceur, de la plus grande égalité de caractère. Son savoir était grand pour un homme de n'importe quelle profession, prodigieux pour un militaire. Comme bravoure, il avait fait ses preuves. Il s'était exténue de fatigue et de faim pendant deux jours, de sorte qu'il avait été obligé de quitter le camp et de venir à notre quartier, où je pris le plus grand soin de lui, car nous étions très bons amis. Il était très tourmenté de l'idée qu'il avait quitté son poste et que son honneur pourrait en souffrir ; je m'efforçai de le rassurer et je crus l'avoir laissé, le soir, calmé sur ce sujet. Mais en retournant à sa chambre, le lendemain matin, je le trouvai n'ayant plus qu'un souffle de vie, baigné dans son sang, les artères du bras coupées. J'envoyai de suite chercher un chirurgien, je fis bander sa plaie, il revint promptement à lui-même et recouvra toute sa raison, toute son intelligence. Il vécut encore vingt-quatre heures, et j'eus plusieurs conversations avec lui. Je n'ai jamais vu un mépris de la vie plus arrêté, des raisonnements plus suivis, plus fermes, que ceux qu'il fit au sujet de sa fin. Il me pria de défaire son bandage et de hâter sa mort, comme dernier signe d'amitié. Mais hélas ! nous ne sommes plus au temps des Grecs et des Romains. Il me répéta qu'il savait bien qu'il pouvait survivre à peine quelques jours, mais que s'il en réchappait, il saurait bien exécuter son projet d'une manière plus sûre et que personne ne pourrait empêcher.

« Je meurs, dit-il, victime d'un point d'honneur peut-être excessif ; mais croyez-vous que, s'il m'était possible de survivre, j'y consentisse pour devenir la risée d'un monde de sots ? Je suis trop avancé pour reculer, et si la vie m'était odieuse auparavant, elle me l'est deux fois plus à présent ».

Il fut pris du délire quelques heures avant sa mort. Dix heures environ avant de se couper les artères, il avait écrit à son frère une courte lettre que nous trouvâmes sur la table.

P. S. Le général n'envoie ses dépêches qu'aujourd'hui, de sorte que je puis ajouter un mot. Notre armée a débarqué de nouveau le 4 octobre (14 octobre) et pris possession sans résistance de la péninsule de Quiberon. Nous sommes restés là, sans être molestés, huit jours, quoique l'ennemi eût formé sur la terre ferme une puissante ou au moins une nombreuse armée. La dispersion de nos transports et la non-arrivée des renforts nous ont décidés à nous rembarquer et retourner chez nous, en nous flattant d'avoir atteint le but de notre démonstration, que était, paraît-il, de forcer des Français à rappeler des troupes de Flandre. Les Français prétendent avoir remporté une grande victoire, mais nous ne savons ce qu'il en est. L'amiral a débarqué quelques marins et a pris possession des deux îles d'Houat et d'Hédic, ou se trouvent de petits forts. Le gouverneur d'un de ces petits forts, quand il se rendit, confia sa bourse à l'officier de marine qui commandait le détachement, en le priant d'en avoir soin et de la sauver du pillage. Cette bourse contenait dix sous [Note : Sans compter, peut-être, ce qu'on y avait pris. (Trad.)], six pence de notre monnaie. ? Ce 17 octobre ».

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RELATION AUTOGRAPHE DE DAVID HUME [Note : Vie de David Hume, par John Hill Burton, t. I, Appendix A, placé après la p. 437 du volume. (Trad.)].

Les forces sous les ordres du lieutenant-général Saint-Clair consistaient en cinq bataillons, à savoir : 1er bataillon du régiment Royal, 5ème bataillon du régiment des Highlanders, 3ème de Brag, 4ème de Richhell, 2ème de Harrison, une partie de celui de Frampton, et quelques compagnies d'infanterie de marine, en tout environ 4.500 hommes. La flotte consistait en… [Note : En blanc dans l'original ; on a donné la composition de la flotte ci-dessus (Trad.)]. Quoique cette armée et cette flotte eussent été équipées pour entrer en campagne pendant l'été de 1746 et s'emparer du Canada, il se trouva, après d'inutiles efforts pour sortir de la Manche, d'abord sous les ordres du commodore Cotes, puis sous l'amiral Listock, qu'on avait perdu tellement de temps, soit par les vents, soit par les ordres contraires, qu'il devenait impossible à une flotte aussi nombreuse d'appareiller pour cette destination. Le milieu de mai avait été d'abord assigné comme dernier rendez-vous à Spithead, et à la fin d'août la flotte n'avait pas dépassé Saint-Helen, à une lieue de cette rade. Les marins savent qu’à la fin de l'automne ou au commencement de l'hiver, les vents de nord-ouest soufflent furieusement sur la côte de l'Amérique du Nord, de manière à rendre difficile et même impossible d'aborder dans ces parages aussi tard. Il y a des exemples de bâtiments qui ont été obligés d'aller chercher un abri contre ces tempêtes jusqu'aux Iles sous le Vent.

Il fallait donc renoncer à aller en Amérique à l'automne : mais comme les transports avaient été réunis et la flotte équipée à grands frais, on pensa à l'utiliser en Europe pour cette fin d'été. La détresse où se trouvaient les alliés en Flandre, appelait spécialement l'attention de la nation et du ministère, et demandait un prompt remède. Il était trop tard pour envoyer six bataillons, sous les ordres du général Saint-Clair, renforcer le prince Charles de Lorraine qui commandait les armées des alliés, et ces troupes étaient trop peu nombreuses pour être d'un grand secours. On comptait plutôt, en tombant à l'improviste sur une région de la France dénuée de troupes, faire une diversion et obliger l'ennemi à dégarnir la Flandre de quelques régiments. Mais comme il ne restait guère de temps pour concerter et mûrir ce plan, le duc de Newcastle, secrétaire d'Etat, s'imagina que le général Saint-Clair pourrait bien avoir déjà formé quelque projet de cette nature. Cette idée lui était venue à la suite d'une conversation qu'il avait eue avec le général, et dans laquelle ce dernier avait mis en avant, sans y insister, l'idée d'une entreprise de ce genre. Au printemps, quand les obstacles et les difficultés de l'expédition en Amérique commencèrent à se faire sentir, le secrétaire d'Etat, déplorant la grande dépense, probablement inutile, qu'allait causer cette entreprise à la nation, donna au général l'occasion de produire une idée qui se présentait naturellement dans cette circonstance. Il dit :

« Mais ne pourriez-vous envoyer l'armée et l'escadre sur les côtes de France pour y porter l'alarme, comme les Français l'ont fait vis-à-vis de nous ? et leurs troupes étant en Flandre ou sur la frontière d'Allemagne, n’est-il pas probable qu'ils en rappelleraient une partie pour nous faire face ? ».

L'entretien n'alla pas plus loin sur ce sujet ; mais le roi (d'Angleterre), ayant été informé de cette ouverture, demanda au général s'il avait médité à ce sujet quelque plan qu'on pût mettre à exécution. Le général répondit qu'il n'y avait jamais arrêté sérieusement sa pensée, mais que si cela pouvait plaire à Sa Majesté, il en conférerait avec sir John Ligonier ou toute autre personne en ce moment à Londres, qui pourrait donner quelques informations exactes sur les côtes de France. A quoi le roi répliqua : « Non, non, ne prenez pas cette peine ». Et le général ne pensa plus à ce projet, sauf qu'il rendit compte au duc de Newcastle de sa conversation avec le roi. Cependant le duc, pensant que si l'on revenait à ce dessein, il valait mieux qu'il fût étudié par ceux qui auraient à l'exécuter, pour leur en laisser l'entière responsabilité, pria le général et l'amiral de formuler un plan en vue de cette entreprise et s'adressa plus particulièrement au général qui, ayant eu l'idée, disait-il, de cette diversion, en avait peut- être déjà combiné les détails. Ils répondirent tous les deux, dans une même lettre, que leur complète ignorance du sujet les rendait incapables de donner une opinion en matière si délicate, et le général rappela ensuite au duc, dans une lettre particulière, les circonstances fortuites dans lesquelles cette suggestion s'était produite.

Quoiqu'ils refusassent tous deux de dresser un projet, ils s'empressèrent d'assurer Sa Majesté que, si elle leur faisait l'honneur de leur communiquer un plan de descente, ils feraient de leur mieux pour l'exécuter. Ils ajoutaient que le secrétaire d'Etat, par sa situation en rapport avec tout le monde, et qui vivait à Londres où se trouvent les ressources et les nouvelles, était mieux placé qu'eux, séquestrés sur leurs vaisseaux, dans un port de mer écarté, pour rédiger un plan. Ils n'avaient pas de connaissance spéciale des côtes de France, ni de moyens d'en acquérir. Ils espéraient qu'on ne leur demanderait pas leur opinion sans les avoir mis à même de se décider en connaissance de cause, et qu'on ne leur imposerait pas la tâche difficile de rechercher des moyens d'information en leur prescrivant en même temps un secret inviolable. Il est remarquable que le duc de Newcastle, parmi les avantages de cette expédition, mentionne l'appui à donner aux protestants, qui sont déjà en armes ou seraient disposés à se lever à l'arrivée des Anglais, — comme si l'on était encore au temps de la Ligue ou de la période anarchique de la minorité de François II.

Pleins de ces réflexions, ils revinrent de Saint-Helen le 23 août et arrivèrent à Plymouth le 29, pour obéir aux ordres qu'ils avaient reçus de rallier ce port afin d'y recevoir de nouvelles instructions. Là, ils trouvèrent des ordres formels de mettre à la voile immédiatement, au premier vent favorable, pour la côte de France, et de faire une tentative sur Lorient, Rochefort ou La Rochelle, ou de remonter la rivière de Bordeaux, ou, s'ils jugeaient ces entreprises impraticables, d'opérer leur débarquement sur la côte occidentale là où ils jugeraient à propos. Un pouvoir discrétionnaire aussi illimité n'était pas de nature à plaire aux commandants, quand même il eût été accompagné de plus d'informations ou même d'une information quelconque. Comme le vent en ce moment était contraire, ils eurent tout le loisir de répondre par leurs lettres du 29 et du 30 août. Ils représentèrent ensemble qu'il était impossible de songer à attaquer Lorient, Rochefort ou La Rochelle, places fortifiées, et cela sans préparation, sans guides, sans pilotes, absolument nécessaires en de pareilles opérations.

Le général, dans une lettre particulière, appuya sur ces arguments et y ajouta beaucoup de réflexions importantes. Il dit que, de toutes les places mentionnées dans les ordres, Bordeaux lui paraissait la plus facile à attaquer, que c'était une ville extrêmement riche et importante, située à la plus grande distance possible de Flandre et par conséquent bien placée pour y faire une diversion. Il ajoutait qu'il connaissait la ville comme étant sans défenses, sauf le château Trompette, qui, comme la plupart des citadelles, était plutôt dirigé contre les habitants pour les retenir dans le devoir que contre l'ennemi. Mais quoique ces circonstances parussent favorables, il voyait s'élever de tous côtés beaucoup de difficultés. D'abord, il doutait qu'il y eût une seule personne sur la flotte, sauf lui, qui eût jamais vu Bordeaux, et encore, quant à lui, il n'avait aucune idée du pays à traverser entre la mer et cette ville ; il n'avait à bord aucune carte de France et il ne pouvait guère compter sur les renseignements à tirer des gens du pays, qui avaient intérêt à le tromper. Que s'il lui fallait de l'argent pour se procurer des nouvelles, faire un établissement, payer les officiers, il n'en avait pas d'autre que quelques caisses de piastres qui avaient une autre destination ; que s'il fallait avancer un peu dans l'intérieur, il n'avait pas de chevaux pour son artillerie ; qu'évidemment les habitants feraient disparaître les chevaux du pays, et qu'il n'avait ni hussards ni dragons pour les poursuivre. Quant à conserver les conquêtes qu'il pourrait faire (le duc faisait allusion à cette éventualité), il faisait observer (en supposant qu'avec sa petite troupe il pût prendre une place) qu'il lui serait impossible de la conserver. Après tout, il ne s'engageait qu'à une chose : l'obéissance ; il ne promettait pas le succès, il professait l'ignorance la plus absolue des circonstances de l'entreprise et ne pouvait même indiquer à laquelle il s'arrêterait ; que cependant il avait ordre de faire voile, au premier vent favorable, pour aborder une côte inconnue, marcher dans un pays inconnu, et attaquer les villes, à lui inconnues, de la plus puissante nation de l'univers...

Pendant ce temps, l'amiral Anson, qui était aussi retenu à Plymouth par les vents contraires, eut avec le général et l'amiral une conversation au sujet de leur entreprise. Il leur dit qu'il se rappelait avoir entendu dire à W. Hume, membre du Parlement pour Southwark [Note : Quartier sud de Londres. (Trad.)], qu'il avait vu depuis peu la ville de Lorient, qui lui avait paru très forte du côté de la mer, mais pas du côté de la terre. Quoique ce W. Hume [Note : Le nom de Hume est assez commun en Angleterre. Je ne crois pas que celui-ci fût parent de David Hume. (Trad.)] fût un commerçant et non un militaire, que les renseignements émanés de lui n'arrivassent que de seconde main, cependant le général et l'amiral furent heureux de percevoir un rayon de lumière dans l'ignorance et l'obscurité où ils étaient, et cette circonstance les détermina à fixer leurs idées sur Lorient. Ils écrivirent au duc de Newcastle, le 3 septembre, que c'était sur Lorient qu'ils avaient résolu de se diriger aussitôt que le vent serait favorable. Pour remédier à l'ignorance où il était des abords de la côte et au manque de pilotes, l'amiral dépêcha le commodore Cotes sur le Rubis et le capitaine Stewart sur le Hastings, avec un sloop et un chaland, pour prendre connaissance de Lorient et des environs, sonder les approches et les lieux d'ancrage pour la flotte. Le général, lui, ne trouvait pas de remède au défaut d'informations et à l'absence de guides. Mais comme le vent continuait à être contraire pour naviguer en flotte et de conserve, quoique des navires isolés pussent faire leur chemin, le général eut le temps de voir encore ses projets changés par le ministère.

Le duc de Newcastle, qui avait d'abord dit au général que, s'il parvenait à s'établir sur quelque point de la côte de France, on lui expédierait deux bataillons de la garde et le régiment [Note : Hume paraît user indifféremment et avec la même signification des mots : régiment et bataillon. (Trad).] du général Huske, lui écrivit alors (3 septembre) que ces trois bataillons le suivraient immédiatement. Il ajoutait que, si le général ne trouvait pas moyen de débarquer, soit à Lorient, soit plus au sud vers la baie de Biscaye, on lui enverrait, avec des renforts, l'ordre de se porter à son retour sur les côtes de Normandie. Dès le jour suivant, le duc change en effet d'avis, il envoie au général un plan conçu par le major Mac Donald pour une descente en Normandie, et dans sa lettre d'envoi il donne la préférence à ce nouveau plan sur celui arrêté depuis quelque temps, avec le général et l'amiral, de faire une démonstratiôn sur la côte ouest.

Les deux commandants examinèrent ce nouveau projet et en conférèrent avec le major Mac Donald, qui vint exprès à Plymouth quelques jours après. Ils découvrirent que ce plan, déposé au ministère de la Guerre depuis quelques années, n'était pas du tout calculé pour l'emploi de leurs troupes, car il supposait un corps de cavalerie, qu'ils n'avaient pas, comme pivot essentiel d'exécution. Ils virent facilement que le major Mac Donald était assez novice en art militaire, et qu'il serait dangereux de suivre, sans autre conseil, son tracé d'opérations. lls observèrent qu'il prétendait seulement connaître la force des villes de Normandie et la nature du pays, mais qu'il ne désignait aucun point de débarquement. Ils ajoutèrent qu'il y avait déjà commencement d'exécution du côté de la Bretagne, puisqu'on avait envoyé le commodore Cotes explorer la côte, et que si on changeait d'avis, il faudrait faire des côtes de Normandie un pareil examen préalable, pour lequel il était bien tard. Ils répétèrent enfin que, si on désirait faire une diversion pour attirer les troupes qui étaient en Flandre, ce but serait mieux atteint par une démonstration sur les côtes de Bretagne, plus éloignées de la Flandre et, par suite de l'absence de garnisons, plus faciles à effrayer. Ils firent toutes ces représentations au secrétaire d'Etat, tout en exprimant leur intention d'attendre à Plymouth, avant de lever l'ancre, les derniers ordres de Sa Majesté.

Le duc dépêcha immédiatement un messager leur apportant pleins pouvoirs d'aller où il leur plairait. Pendant cet intervalle, le general fut, à son grand regret, obligé de demeurer à peu près inactif. Plymouth est une ville écartée, où il ne pouvait recueillir aucune information utile. Il était par ses instructions obligé d'observer un profond secret, de sorte qu'il ne pouvait ni rechercher ostensiblement des renseignements, ni provoquer indirectement des communications. Le secrétaire d'Etat lui avait envoyé le major Mac Donald et un certain Cooke, capitaine de corsaire, mais ils ne purent lui rendre aucun service pour la préparation de son entreprise. C'était là, avait dit le secrétaire d'Etat, les deux seules personnes qu'il eût pu trouver à Londres connaissant les côtes de France, — comme s'il eût été question de la côte du Japon ou de celle de la Californie. Le général désirait avoir des cartes de France, principalement de la Bretagne et de la Gascogne. Il reçut une carte de la Gascogne et une de Normandie, mais pas de carte de Bretagne, pas de carte de France. Il fut obligé de partir pour cette importante expédition sans renseignements, sans pilotes, sans guides, sans carte du pays, sauf une petite carte du royaume de France, que son aide de camp avait pu acheter dans une boutique à Plymouth. Le général représenta toutes ces difficultés au ministère, et l'avertit de n'attendre aucun succès d'un chef qui avait de tels obstacles à surmonter et qui devait forcément se fier plus à l'aventure qu'à la prudence. On lui répondit qu'on n'attendait rien de lui que de débarquer où il lui plairait en France, pour y produire une panique, et revenir ensuite en Angleterre avec la flotte et les troupes saines et sauves. Quoiqu'il sût très bien que le peuple exigerait davantage, il était résolu à dédaigner les critiques pour ne penser qu'à obéir à ses ordres et à remplir son devoir.

La flotte mit à la voile de Plymouth le 15 septembre (25 septembre), et après une courte traversée de trois jours, arriva dans la soirée du 18 (28) devant l'île de Groie, ou on trouva le commodore Cotes et le capitaine Stuart, qui rendirent compte du résultat de leur exploration de la côte près de Lorient. L'endroit où ils avaient fixé le point de débarquement était situé à environ dix milles de la ville [Note : Le mille anglais a 1.610 mètres de longueur. (Trad.)], à l'embouchure de la petite rivière de Quimperlé. Ils assurèrent que le rivage était plat et ouvert de tous côtés, avec un tirant d'eau suffisant aux approches, et que par cela même, quoique favorable à un débarquement, ce point serait un très mauvais mouillage, à cause des nombreux rochers qui en obstruent l'accès et de la forte houle qui s'y brise, quand les vents d'ouest ou de sud-ouest y chassent le flot de la baie de Biscaye.

Il était alors huit heures du soir, pleine lune, ciel clair, avec une faible brise poussant à la côte. On se demanda si on devait débarquer de suite ou attendre au matin. Les deux officiers de marine qui avaient examiné les lieux furent d'un avis différent ; l'un voulait agir de suite, l'autre représentait que sans pilote, au milieu de tous ces rochers, les manoeuvres de nuit étaient dangereuses. L'amiral fut d'avis d'attendre jusqu'au matin. Cette question parut alors peu importante, parce qu'il ne s'agissait que de quelques heures, mais elle était en réalité d’une importance majeure, car c'est de cette décision que dépendit l'échec de l'expédition.

Le grand âge de l'amiral Listock [Note : Il l'appelle autre part Lestock. (Trad.)] et son expérience consommée doivent rendre prudents ceux qui ont à juger sa conduite ; mais on peut cependant soupçonner qu'étant an déclin de la vie, il inclinait plutôt vers la prudence, convenable dans les entreprises mûrement combinées, que vers la témérité, nécessaire dans les coups de main du genre de celui-ci. Les fâcheuses conséquences de cette hésitation apparurent immédiatement. L'amiral avait pensé que quatre ou cinq heures de délai procureraient aux troupes un débarquement sûr et expéditif ; mais le vent changea le matin, venant de terre assez fort pendant toute la journée et une partie de la nuit suivante. Cela retarda beaucoup le d’ebarquement, et quelques navires ne purent même arriver à la côte que deux jours après.

Pendant ce temps, la flotte était pleinement en vue de la côte, et on se préparait à Port-Louis, à Lorient, dans tout le pays, à recevoir l'ennemi qui menaçait le littoral d'une invasion.

Les forces de la France, soit pour l'attaque, soit pour la défense, consistent en trois sortes de troupes. D'abord, une nombreuse armée de ligne, qui était alors entièrement employée en Italie ou sur les autres frontières, sauf quelques régiments disséminés dans l'intérieur et réduits à leurs dépôts pour opérer le recrutement, au nombre desquels étaient deux régiments de dragons alors en Bretagne. En second lieu, une milice régulière et bien disciplinée, répartie dans les places fortes, le long de la côte et aux frontières, partout où on pouvait craindre une attaque immédiate. Quelques-uns de ces corps de milice avaient fait campagne avec les troupes régulières et s'étaient acquis quelque honneur, ce qui inspirait aux autres du courage et de la confiance en eux-mêmes. Troisièmement, un nombreux corps de milice côtière ou gardes-côtes, montant à 200.000 hommes, mal armés, mal disciplinés, formidables seulement par leur nombre, en Bretagne surtout, province connue par la sauvagerie de ses habitants, regardés autrefois et aujourd'hui comme les plus guerriers et les moins civilisés de tous les paysans français. Ces forces furent convoquées par des signaux concertés d'avance, canons d'alarme, drapeaux, feux sur les hauteurs, et le matin du 20 septembre (30 septembre), au point du jour, un corps considérable de différentes troupes, mais surtout des dernières (les gardes-côtes), montant à environ 3.000 hommes, était réuni sur le rivage pour s'opposer à notre débarquement. On dut prendre des dispositions pour rendre cette opération possible, et comme le vent était alors très fort et venant de terre, cela ne put être effectué que dans l'après-midi.

Il y avait en vue de la flotte trois endroits qui semblaient propices à un débarquement, et qui étaient séparés l'un de l'autre soit par un mouvement de terrain soit par une petite anse. Les miliciens français s'étaient postés dans les deux endroits les plus rapprochés de Lorient, et ne se trouvant pas assez nombreux pour tout occuper, ils avaient laissé le troisième point, qui était sous le vent, tout à fait libre. Le général ordonna de prendre ce troisième point pour rendez-vous, mais il vit alors les troupes françaises quitter le second point et venir prendre position vis-à-vis de lui. Elles se placèrent dans des replies sablonneux, de manière à se mettre entièrement à l'abri du feu des navires anglais chargés de protéger le débarquement, et à pouvoir se jeter sur les troupes qui aborderaient les premières au moment ou l'arrivée des nôtres sur la grève obligerait nos navires à cesser le feu. Le général comprit bien leur plan de défense et se mit en mesure de le déjouer. Il observa que la seconde crique était dégarnie et que les troupes postées d'abord devant la première, quoiqu'en marche autour de la petite baie pour venir remplacer celles qui s'étaient portées à la troisième, n'étaient pas encore arrivées : il saisit de suite l'occasion. Il ordonna à ses bateaux de ramer droit devant eux, comme pour débarquer de force juste en face, puis, à un signal donné, de tourner subitement et de se porter vivement vers la crique inoccupée. Afin de mieux protéger le débarquement, il avait fait placer deux chalands garnis d'artillerie, de façon à gêner les feux d'une batterie que les Français avaient placée à droite sur une élévation, d'où elle donnait en plein sur nos bateaux qui s'approchaient. Ces chalands parvinrent à déloger les Français de leur position, et les bateaux purent prendre terre avant qu'aucune troupe française fût sur les lieux pour s'y opposer. Les soldats débarquèrent au nombre de six cents [Note : Les Anglais débarquérent à l'anse du Loch, entre celle du Pouldu et la pointe du Talut, vers deux heures après-midi, le 30 septembre 1746. (Trad.)] et se formèrent de suite ; alors toute la milice se dispersa et se mit à fuir dans le pays. Les Anglais les suivirent, marchant régulièrement et en bon ordre, tirant de cet heureux début d'heureux pronostics pour la suite de leur expédition.

Il y avait une crique ou petit bras de mer, asséchant à marée basse, à droite du lieu de débarquement, et au travers de laquelle passait la route la plus rapprochée allant à Lorient, la seule par laquelle on pût faire passer des troupes, du canon et de lourdes voitures. Comme en ce moment la marée était haute, les fuyards français furent obligés de faire le tour de cette crique, détour de plusieurs milles, et par là ils induisirent en erreur le général qui, pensant avec raison qu'ils allaient chercher un refuge dans la ville de Lorient, en conclut qu'en les suivant il prendrait le chemin le plus court pour arriver à cette ville. Il détacha donc à la poursuite de cette milice en fuite environ mille hommes sous les ordres du brigadier O'Farrel, qui après avoir été harcelés par quelques tirailleurs embusqués derrière les haies (le lieutenant-colonel Erskine, vice-quartier-maître général, fut en cette occasion gravement blessé) arrivèrent le soir [Note : Le soir du 30 septembre 1746. (Trad.)] à Guidel, village situé à environ une lieue du point où l'on avait abordé. Le général était resté sur la grève pour surveiller le débarquement du reste des forces. Au point du jour, il les conduisit à Guidel pour rejoindre le détachement O'Farrel. Là, il apprit de quelques paysans fait prisonniers qui parlaient français (ce qui est assez rare dans le peuple de cette partie de la Bretagne) que la route qu'il avait par la raison mentionnée ci-dessus, était de 4 ou 5 milles plus longue que l'autre pour gagner Lorient. Il apprit aussi (ce qu'il avait pu voir) que cette route était dangereuse et difficile, passant par des défilés étroits, entre des haies très hautes, souvent revêtues de pierres et couronnées de bois et de broussailles, où quelques hommes braves et disciplinés pourraient facilement arrêter toute une armée, où même quelques hommes sans discipline ni bravoure pourraient aisément, par quelques coups de feu, jeter parmi leurs ennemis une grande confusion.

Afin de prendre mieux connaissance de la topographie du pays, que lui et son armée ignoraient absolument, il divisa ses troupes en deux corps égaux qui devaient marcher ensemble sur Lorient par deux routes différentes qu'on lui indiqua. Le premier corps, sous ses ordres, marcha sans être molesté ; l'autre, sous les ordres du brigadier O'Farrel, n'eut pas autant de chance. Deux hataillons de ce détachement, ceux de Richbell et de Frampton, soit par défaut d'expérience, soit par suite de la terreur qu'inspirait aux soldats un pays inconnu à eux et à leurs officiers, soit peut-être par un de ces accidents auxquels le courage des hommes est exposé, se mirent en désordre pour avoir essuyé le feu d'une poignée de paysans postés derrière les haies. Malgré tous les efforts du brigadier, beaucoup jetèrent leurs armes et s'enfuirent, d'autres tirèrent au hasard et se blessèrent les uns les autres, et s'il y avait eu là quelques troupes régulières pour tirer parti de cette confusion, les conséquences auraient pu en être fatales. Et quoiqu'ils se fussent ensuite ralliés et fussent venus rejoindre le général sous Lorient, la panique continua dans ces deux bataillons et se communiqua aux autres. L'armée était ainsi dans une anxiété continuelle, même en l'absence de tout danger, et cette impression fâcheuse diminua singulièrement l'espoir du succès final de l'expédition. Lorient, assez récemment encore simple village, est maintenant une ville considérable sur la côte de Bretagne, au fond d'une grande baie, dont l'entrée étroite est gardée par la forte citadelle de Port-Louis. Cette ville est devenue le centre du commerce avec les Indes, le siège de la Compagnie fondée pour exploiter ce commerce, et le magasin d'où sont distribuées les marchandises venant de l'extrême Orient. Les prises considérables faites par les Anglais pendant le cours de la guerre avaient un peu arrêté ce commerce ; la ville cependant était considérée comme valant bien la peine d'une conquête, n'eût-ce été que pour, les richesses qu'elle contenait, les dépôts de marchandises de la Compagnie et les beaux et vastes bâtiments publics ou privés qui s'y trouvent. Cette ville est loin d'être forte. Les deux côtés non-protégés par la mer ne sont entourés que d'un mur d'une trentaine de pieds de haut, pas très épais, sans fossés ou parapets ; mais l'eau qui baigne les deux autres côtés en rend l'investissement impossible et offrit à la nombreuse population des environs toute facilité pour s'y jeter, et quoique ces foules sans discipline ne pussent être d'aucun secours en rase campagne, cependant, à l'abri des fortifications, elles pouvaient travailler à des retranchements, dresser des batteries, faire des terrassements pour mettre la ville à l'abri du coup de main tenté par une armée peu nombreuse. La Compagnie des Indes avait des canons dans ses magasins, quelques ingénieurs à son service pour sa marine et ses établissements d'outre mer. On pouvait encore emprunter des canons aux navires ancrés dans le port, ainsi que les marins accoutumés à en faire usage, et tout ce qui eût pu manquer en artillerie ou en munitions pouvait être facilement tiré par eau de Port-Louis, qui est en communication constante avec Lorient.

Mais comme ces ressources, quoique très grandes, demandent quelque temps pour être mises en oeuvre contre un ennemi, il n'est pas improbable que, si l'amiral avait eu des pilotes et le général des guides qui eussent conduit les Anglais plus promptement à la côte et devant la ville, la terreur occasionnée par une irruption aussi soudaine eût paralysé la force de résistance des habitants, qui se seraient rendus à discrétion. Le manque de plan avait fait perdre deux jours, et il devait s'écouler encore plus de temps avant que l'on commençât quoique ce soit ayant l'apparence d'une attaque. On n'avait pas de canon, et la route qu'avaient suivie les troupes était impraticable aux voitures. Le général dut donc se borner à expédier une escouade avec un officier pour trouver une meilleure route, le 22 septembre (2 octobre), et retourna en personne au bord de la mer dans le même but de découvrir une meilleure route et aussi pour s'entendre avec l'amiral sur la plus sûre manière d'amener l'artillerie, puisque tous les chevaux du pays, d'ailleurs faibles et chétifs, avaient été emmenés par les paysans dans l'intérieur des terres. Enfin on trouva une route plus courte, quoiqu'elle eût encore dix milles de long, et beaucoup meilleure, quoique facile à dégrader par la pluie, comme la suite le prouva.

Un conseil de guerre fut tenu à bord de la Princesse, auquel assistèrent le général, l'amiral, le brigadier O'Farrel et le commodore Cotes. Les ingénieurs Armstrong, directeur-général du service du génie dans le corps expéditionnaire, et le capitaine Watson qui avait levé à vue d'oeil le plan de la ville de Lorient, furent appelés, et on leur demanda leur opinion sur la question de savoir si une attaque était praticable, combien de temps, de canons, de munitions seraient nécessaires ? Leur réponse fut qu'avec deux pièces de douze et un mortier de dix pouces, établis sur l'emplacement qu'ils avaient indiqué pour une batterie, ils s'engageaient, soit à faire une brèche dans les murs, soit, avec des fusées, des bombes et des boulets rouges, à mettre la ville en cendres dans les vingt-quatre heures. Le capitaine d'artillerie Chalmers, que n'avait pas vu la ville, fut du même avis, pourvu, ajouta-t-il, que l'artillerie soit à bonne portée. Quand même les ordres du roi, prescrivant une démonstration vigoureuse, n'eussent pas été aussi positifs, le succès facile ainsi promis par des hommes du métier était fait pour tenter le général et l'amiral, et pour les déterminer à risquer l'attaque. Il fut donc décidé, pour rendre encore plus certain le succès promis par les ingénieurs, qu'on ferait traîner par les marins jusqu'à Lorient quatre pièces de douze, un mortier de dix pouces et trois pièces de campagne. Ces pièces d'artillerie, avec leurs munitions, malgré toutes les difficultés, furent traînées au camp en deux jours [Note : Les 3 et 4 octobre. (Trad.)], excepté deux pièces de douze qui ne purent arriver que le lendemain [Note : Le 5 octobre. (Trad.)]. Le tiers des marins de la flotte et toute l'infanterie de marine furent débarqués pour cette corvée. L'amiral donna toute l'assistance possible au général, et le public put voir en cette circonstance qu'il n'est pas impossible aux officiers de terre et de mer de vivre en bonne harmonie et de concourir au succès d'une même entreprise.

Le général, à son retour au camp, trouva revenu de sa mision l'officier qu'il avait envoyé faire les sommations à la ville de Lorient. Il rapportait que les habitants étaient si effrayés de cette invasión soudaine [Note : La flotte anglaise composée de 16 vaisseaux de ligne, 8 frégates, 2 bombardes et de nombreux transports, devait avoir un aspect fort imposant et faire supposer des forces de débarquement beaucoup plus considérables. Elle était mouillée, il est vrai, à cinq lieues de Lorient par mer, et tout à fait hors d'état, non-seulement de forcer, mais même de menacer l'entrée de la rade. (Trad.)] qu'ils étaient prêts à capituler, mais à des conditions qui rendaient la possession de la ville inutile à leurs ennemis. Les habitants exigeaient le respect absolu de leurs personnes, de leurs maisons et de leurs biens, et la Compagnie des Indes stipulait les mêmes conditions pour ses magasins et marchandises. La garnison, composée d'environ 700 hommes de ligne ou de milice, sans compter tous les irréguliers, demandait à sortir de la place avec tous les honneurs de la guerre. Une ville sans défense, ouvrant ses portes à de telles conditions, ne valait pas la peine d'être prise, car il aurait fallu l'abandonner de suite et recueillir pour tout profit le reproche d'avoir sottement accordé de telles conditions, et peut-être même l'accusation de trahison. C'est pourquoi le général, fort des promesses de nos ingénieurs et du désir de tirer quelque fruit des risques qu'il avait déjà courus, — quand les députés de la ville revinrent le lendemain 23 septembre (3 octobre) de la part du gouverneur et de la Compagnie des Indes, — refusa de discuter les articles de capitulation avec d'autres personnes que celui qui commandait la place au nom de sa Majesté très chrétienne et même d'accorder la sortie de la garnison, attendu que la ville n'étant pas investie, elle pouvait sortir quand elle voudrait.

Dans le même temps, tout concourait à faire avorter l'entreprise des Anglais. Quelques déserteurs entrés en ville firent connaître à la garnison la véritable force des assiégeants qu'on avait beaucoup exagérée à cause de l'importance de la flotte. La petite armée diminuait chaque jour, par suite des fatigues et des pluies qui avaient commencé à tomber. Il n'y avait guère plus que 3.000 hommes valides, ce qui augmentait le poids du service pour ceux qui restaient ; les alarmes étaient fréquentes, d'autant plus fréquentes que les hommes étaient restés sous l'empire de la panique des premiers jours. Les pluies avaient tellement dégradé les routes qu'il ne fallait plus songer à faire traîner d'autres canons par les marins. Mais ce qui surtout faisait désespérer de l'entreprise, c'est qu'on commença à s'apercevoir de l'ignorance des ingénieurs, surtout du directeur-général, qui n'avait montré ni habileté, ni méthode, ni diligence. Son manque de capacité et d'expérience l'empèchait de former des plans utiles, son obstination le privait du secours qu'il eût trouvé dans les lumières d'autrui. Quoique le général lui eût offert de faire établir et de soutenir une batterie partout où il jugerait à propos de la placer, il la posta à 600 yards [Note : L'yard anglais répond à 0m 914 millimètres. (Trad.)] du mur, distance où des canons de si faible calibre ne pouvaient produire aucun effet. De plus il faisait tirer à un angle tellement oblique que les boulets des plus gros canons, dans de pareilles conditions, eussent ricoché sans faire aucun dégât. Il avait mis grande confiance dans les boulets rouges, qui, disait-il, devaient réduire la ville en cendres en vingt-quatre heures ; mais, par sa négligence ou celle des autres, le fourneau dans lequel on devait chauffer ces boulets n'avait pas été débarqué. Quand le fourneau fut amené, on s'aperçut qu'on avait oublié le soufflet, les pinces et autres accessoires. On amenait les munitions de la côte dans des tombereaux avec une peine infinie, et ce ne fut que plus tard qu'on sut qu'il y avait, à bord, des caissons qui auraient rendu ce travail beaucoup plus facile. Les ordres aux officiers du train étaient si confus ou si mal obéis, que les munitions n'arrivaient pas régulièrement au camp pour servir le petit nombre de canons et le mortier qui tiraient sur la ville. Non seulement on donna à l'ingénieur des fascines, des piquets et tout ce qui était nécessaire pour dresser la batterie, mais, aussi des hommes de corvée tant qu'il en demandait pour les terrassements, malgré les grandes fatigues supportées par les soldats : on laissait sans ordre ces hommes de bonne volonté, faute de savoir à quoi les occuper.

Pendant ce temps-là, la garnison française, si mollement attaquée, avait le loisir de préparer sa défense et de faire usage des nombreux ouvriers à sa portée, à défaut de soldats, et des approvisionnements de son arsenal. Les Français avaient entassé de la terre derrière leur mur et y avaient établi six batteries pour répondre à la seule que nous avions. Quelques-uns de leurs canons étaient de plus fort calibre que les nôtres ; mais la distance où se trouvait notre batterie la mettait à peu près à l'abri de leurs coups, de même qu'elle rendait notre attaque absolument vaine. Si l'on avait rapproché la batterie à cent pas du mur, par exemple, il aurait fallu la faire communiquer avec le camp par des tranchées et un chemin couvert, ce qui eût été un travail de plusieurs jours pour une si petite armée. Pendant ce temps-là, les assiégés, voyant la direction qu'auraient prise les ouvrages d'attaque, eussent aisément fortifié leurs retranchements en dedans des murs et, opposant dix canons à un, auraient fait taire en peu d'heures notre petite batterie. On ne pouvait même pas faire brèche dans le mur si faible que nous avions devant nous ; d'ailleurs si l'on avait fait une brèche, elle n'eût servi de rien, car environ 15.000 hommes, armés par la compagnie des Indes, enhardis par leurs remparts et leurs canons, pouvaient aisément tenir tête à 3.000 hommes découragés par les fatigues et les maladies et démoralisés par une lutte si inégale.

Les ingénieurs, voyant que leurs bombes et boulets rouges n'obtenaient aucun effet et qu'il n'y avait moyen ni de faire brèche, à cause du grand éloignement de la batterie, ni de rapprocher les canons d'attaque, à cause de la grande supériorité du feu des Français, déclarèrent unanimement au général qu'ils n'avaient plus aucun espoir de succès et que même toutes les munitions, apportées avec tant de peine, étaient épuisées. On ne pouvait songer à les renouveler, à cause de l'état des routes. Le conseil de guerre réuni pour délibérer sur cette déclaration balança les raisons pour et contre, si cela peut s'appeler balancer que d'avoir d'un côté extrême désir de servir son roi et de l'autre toutes raisons de prudence et de nécessité pour ne pas agir contre ses intérêts. Tous les membres du conseil furent d'accord pour abandonner l'attaque et rembarquer les troupes, ce qui s'opéra le 28 septembre (8 octobre), avec une perte d'environ vingt hommes tués et blessés pendant tout le cours de l'entreprise.

Certain écrivain étranger [Note : D'après une lettre de Hume à sir Harry Erskine, du 20 janvier 1756, publiée par extrait dans la Vie de Hume, il paraît qu'il fait ici allusion à Voltaire. Toutefois M. Hill Burton déclare n'avoir pu trouver dans les oeuvres de Voltaire le passage visé ici par Hume, et il pense qu'il s'agissait de quelqu'un de ces pamphlets anonymes, que Voltaire désavouait si aisément. (Trad.)], plus désireux de rendre ses récits piquants que d'y mettre de la vérité, s'est efforcé de tourner cette expédition en ridicule ; mais comme il n'y a pas une seule circonstance de sa narration qui soit vraie ou même seulement vraisemblable, inutile de perdre son temps à le réfuter. Vis-à-vis des préventions du public quelques questions pourront suffire.

L'entreprise a-t-elle été, dès son origine, impraticable ? — Le général ne l’a ni projetée, ni proposée, ni approuvée, et n'a point répondu de son succès.

L'échec est-il venu d'un défaut de diligence ? — Le général n'avait ni pilote, ni guide, ni informations, et ne pouvait se procurer ces ressources indispensables à une opération militaire de ce genre.

Les ingénieurs sont-ils à blâmer ? — Ce service a toujours été considéré comme une branche spéciale de l'art militaire, dirigée, mais non immédiatement, par le commandant en chef et confiée à ceux qui en font leur profession.

Grâce à l'énergie du général pour calmer les vaines terreurs qui s'étaient répandues parmi les troupes, grâce à la prudence qu'il a montrée en se désistant à temps d'une entreprise sans issue, ce mauvais succès s'est réduit à un désappointement, sans perte et sans déshonneur pour les armes britanniques. D'autres chefs, plus favorisés par les circonstances, ont pu acquérir plus de gloire ; aucun n'a été aussi exempt de reproches.

Le 1er octobre (10 octobre), la flotte quitta la rade de Quimperlé, mouillage des plus dangereux pour un aussi grand nombre de bâtiments à une époque si avancée de la saison et dans les parages si orageux de la baie de Biscaye. La crainte de ces dangers maritimes fut une des principales causes qui hâtèrent le rembarquement, d'autant plus que le secrétaire d'Etat avait expressément recommandé de ne pas exposer la flotte. La prudence de cotte décision fut prouvée par l'événement, car le jour même où on leva l'ancre, éclata une très violente tempête du sud-ouest, qui aurait certainement jeté à la côte et brisé contre les rochers les navires qu'elle eût trouvés sur cette rade. La flotte fut dispersée, et six transports, séparés du reste du convoi, arrivèrent de leur côté en Angleterre, ayant à bord 800 hommes [Note : Huit cents hommes sur six transports, cela fait environ 133 hommes ou une compagnie par transport, et pour 5.800 hommes plus de 40 transports. Devant aller au Canada, on les avait mis un peu au large. — En définitive, le général, au lieu de recevoir trois bataillons de renfort, se trouva privé de 800 hommes. (Trad.).]. Le reste se réfugia dans la baie de Quiberon, et le général débarqua son petit corps de troupes sur la péninsule de ce nom. En établissant une batterie sur l'isthme étroit qui relie cette presqu'ile au continent, il rendit sa situation à peu près inexpugnable, tandis que la flotte était en parfaite sûreté dans la baie qui est bien fermée.

L'industrie et le courage du général l'ont soutenu, ainsi que l'armée, dans ces circonstances fâcheuses tant qu'il y a eu quelque espoir de succès. Mais sa prudence l'a déterminé à abandonner l'entreprise quand il l’a jugée désespérée.

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