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LE CHANTIER DE LA COMPAGNIE DES INDES-ORIENTALES

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La Compagnie des Indes-Orientales, fondée officiellement en août 1664, avait songé, dès le mois d'avril précédent, à s'établir au Port-Louis, mais avait ensuite abandonné cette idée, préférant Le Havre, aux portes de Rouen et de Paris. La guerre survenue sur ces entrefaites, la menace anglaise et l'insécurité de la Manche firent revenir les directeurs à leur première décision et, sans d'ailleurs abandonner la Seine, ils se fixèrent sur le Blavet, en 1666 (Archives du Min. des Colonies, C2 2, f° 100. Déclaration royale de mai 1666). L’écrivain Jégou a cru voir dans cet établissement le terme des démarches et des machinations du duc de Mazarin, dont le père avait armé au Port-Louis plusieurs navires de la Compagnie de Madagascar (Archives de Monaco, S 24, et Bibliothèque Nationale, Mélanges Colbert, 121 Bis, f° 671, etc.). C'est vraiment faire grand honneur à ce demi-fou que de le croire capable d'influencer les décisions de Colbert et sa correspondance, au surplus, ne garde aucune trace d'intrigues en faveur du Port-Louis. Mazarin était un homme insupportable et l'on se défiait de lui. Cette défiance fut sans doute la seule cause de la fondation de Lorient. La preuve en est dans un mémoire, daté d'avril 1664 et conservé dans les archives de la Compagnie des Indes, mémoire qui signale comme une très forte « incommodité » du Port-Louis, le fait que « le propriétaire, étant gouverneur du fort, est toujours le maître de ce collège, principalement dans une minorité » (Archives Min. Colonies, C2 2, f° 84, Mémoire de Gentilot).

J'ai déjà rapporté d'autre part les remarques de Massiac de Sainte-Colombe assurant, en avril 1678, que « l'authorité absolue des grands seigneurs qui avaient fait du Port-Louis comme une place d'armes pour leurs fins particulières », l'avait « rendu odieux et suspect aux marchands » et que ces derniers n'avaient pas trouvé « de seüreté à s'y establir » (Archives Nationales, K1152, n° 29 bis). C'est ce qu'affirmait encore, cent ans plus tard, l'ingénieur Rallier, dans une lettre où il précisait que « la Compagnie des Indes eût préféré s'établir au Port-Louis plutôt qu'à Lorient, si des principes d'indépendance ne l'eussent éloignée d'une place où elle craignait de voir son autorité compromise avec celle des commandants militaires » (Annuaire du Morbihan, 1877. p. 49, article de Rosenzweig). 

Colbert, l'ennemi de Fouquet, se méfiait à juste titre des La Meilleraye-Mazarin qui déployèrent une trop grande activité contre le surintendant, et donnèrent ainsi à penser, que sa défaite était pour eux une victoire et que, lui parti, ils seraient les maîtres (Lair (J.), Nicolas Foucquet, Paris, 1890, in-8°, t. II, p. 7). La conduite du maréchal de la Meilleraye pendant les guerres de la Fronde, quoi qu'en apparence loyale, n'avait pas été très claire : Vauban laissa entendre, en 1683, qu'il fortifia le Port-Louis dans un dessein tout semblable à celui de Fouquet fortifiant Belle-Isle, c'est-à-dire qu'il y travailla pour ses « fins particulières » (Archives du Comité technique du Génie, carton du Port-Louis). 

Ainsi l'on conçoit clairement que la Compagnie des Indes-Orientales, décidée à se fixer sur le Blavet, ait cherché à s'établir dans la seigneurie des princes de Guémené moins redoutables et plus éloignés que les ducs de Mazarin. Il ne faudrait donc pas croire, comme on l'a dit quelquefois, qu'elle ait quitté le Port-Louis par besoin de sécurité et par besoin d'eau. Le Port-Louis en effet était une place-forte et n'a jamais manqué de sources, tandis que Lorient sous Louis XIV resta toujours sans fortifications et sans aiguades (Archives Nationales Marine, B3 60, f° 577 ; B3 117, f° 458 ; B3 129, f° 366, etc.). Si l'on veut une cause seconde, elle est dans le prix des terrains, plus chers et plus morcelés aux environs du Port-Louis qu'ailleurs. Une corde de terre en juin 1669. se payait une livre à Lorient et, au Port-Louis, 12 livres en mars 1670 (Archives notariales du Port-Louis. Fonds Hamonic).

Le choix pouvait se porter sur plusieurs emplacements commodes. Le Kernevel, en face de la ville, semblait devoir attirer l'attention grâce à la forte déclivité de sa plage qui facilitait les réparations de navires. Une carte, antérieure à 1666, porte ces mots significatifs « Kernevel propre à la construction des vaisseaux » (Bibliothèque Nationales d'Estampes, Va 119).

Colbert de Terron, en septembre 1665, nota les mérites de l'île Saint-Michel, « avantageusement située pour l'establissement d'un grand astelier à construire et radouber des navires… ». Il parla aussi de Saint-Christophe, « où il reste de basse mer trois brasses d'eau pour tenir des vaisseaux et les caranner fort a l'abry de tous temps » (Bibliothèque Nationales Cinq-cents de Colbert, 291, f° 171).

Ce ne fut pas Saint-Christophe qui fut choisi par la Compagnie des Indes-Orientales, mais une petite baie voisine protégée par la pointe rocheuse du Bec-er-Rohellec et située dans la dépendance du manoir en ruine du Faouédic. 

Une déclaration royale de mai 1666 permit à la Compagnie de construire au Port-Louis et au Faouédic « des ports, quais, chantiers, magasins et autres édifices nécessaires à la construction de ses vaisseaux et à l'armement de ses flottes ». En outre, Louis XIV concéda « à la dite Compagnie... les places vaines et vagues et inutiles » qui se trouvaient lui appartenir « tant dans la dite ville du Port-Louis et hors des murs d'icelle qu'au dit lieu du Faouédic »

Il serait faux de prétendre que, par cette déclaration, le Roi n'offrait rien, n'ayant rien. Le port, les quais et la partie basse tout au moins des cales de construction allaient se trouver forcément sur terrain maritime. Ce terrain dépendait du Roi.

Le Parlement de Bretagne, avant d'enregistrer les lettres de mai 1666, en ordonna la publication aux prônes et aux marchés d'alentour, et décida qu'il serait fait « procès-verbal, plan et figure » des lieux, par François Le Febvre de l'Aubrière, conseiller rapporteur, en présence du procureur général du Roi (Archives d'Ille-et-Vilaine, B, reg. 227, f° 6).

Le terrain fut acquis par la Compagnie le 31 août 1666. Les bornes furent posées devant Paul du Vergier, sénéchal d'Hennebont, et Jean Le Gouvello, procureur du roi, assistés du greffier, Claude Le Milloc'h, et de l'huissier, Jean de la Grée. La Compagnie était représentée par Denis Langlois, directeur général, Jean Bréart de Boisanger, caissier, et par son procureur Gilles Marquer. Le lieutenant-de-roi Beauregard de Chabris et le syndic d'Hennebont étaient présents, ainsi que Thomas Dondel, fermier du domaine.

Les paysans et les petits seigneurs expropriés ne firent aucune réclamation. Seuls, les procureurs du prince de Guémené réclamèrent la vérification des lettres patentes par le Parlement de Bretagne. Malgré cette opposition le débornement eut lieu, « tant de l'étendue de ce que peut couvrir la mer … que des terres joignantes la baye …. »

Le 31 août, le 1er et le 2 septembre, furent mesurés les différents terrains achetés à des particuliers. Le tout couvrait une superficie de quinze journaux et sept cordes (7 ha. 336) (Archives Nationales, K 907, n°3, et Archives du château de Brangolo (Inzinzac)). 

Denis Langlois, directeur général, avait acquis la lande du Faouédic, tant pour y « poser les chantiers » que pour y bâtir des logements et des magasins. Il se mit à l'œuvre aussitôt. Ce ne fut pas chose facile. Il eut beaucoup de peine à former ses ateliers et à réunir les charpentiers nécessaires pour la construction des navires. Le lieutenant-de-roi du Port-Louis dut employer la force et envoyer des soldats pour surveiller le travail (Bibliothèque Nationales, Mélanges Colbert, 141, f° 371.). Grâce à cette protection, l'entreprise fut menée à bien.

En novembre 1666, la Compagnie avait déjà employé 36.000 livres aux frais et constructions du Port-Louis et du Faouédic, où elle avait en magasins pour 21.671 livres 19 sols 1 denier. Son personnel se composait d'un caissier, le marchand port-louisien Jean-Bréart de Boisanger, d'un écrivain, d'un garde-magasin, d'un capitaine d'équipage, d'un maître-charpentier, Antoine Looman et d'un maître-tonnelier assistés de quatre compagnons (Archives Min. Colonies. C2 2, f°230).

En février 1667, Looman construisait deux frégates de 150 tx et un vaisseau de 1.000 tx qui devait être le premier d'une dizaine de navires que la Compagnie projetait de construire. Ce vaisseau est pour moi d'une importance primordiale dans l'histoire de Lorient, car, si la construction des frégates ne pouvait produire aucun effet sur les populations voisines habituées à en voir de semblables sur les chantiers du Port-Louis, par contre le bâtiment de mille tonneaux devait faire naître une admiration profonde chez les marins de la région. Seul, il retint l'attention. Il avait un nom officiel, celui de Soleil-d'Orient, mais la plupart, des documents le désignent plus simplement sous le vocable de l'Orient (Dernis, Recueil concernant la Compagnie des Indes Orientales, Paris, 1755, 4 vol. in-4°. pp. 277, 288, 290, 384 du tome I, etc.).

Allez demander à un pêcheur port-louisien le nom d'un manoir en ruine dans la de Plœmeur ! Personne ne connaissait le mot de « Faouédic » ; tout le monde savait au contraire qu'il se construisait sur le Scorff un navire extraordinaire qu'on appelait l'Orient et tout le monde donnait un nom aux chantiers de ce navire c'étaient les chantiers de l'Orient !

On remarquera, d'autre part, que, le 2 août 1667, le recteur de Plœmeur baptisa le fils d'un « charpentier travaillant à l'Oriental ». Ce terme s'applique encore très bien au vaisseau le Soleil-d'Orient puisqu'on disait le Bayonnais pour le Saint-Jean-de-Bayonne. Plus tard, selon l'habitude, on oublia l'origine du nom et, s'attachant à l'idée, on dit aussi bien « le lieu d'Orient ou de l'Orient »

L'établissement du Faouédic en 1666 fut certainement des plus simples. Pour faire les cales de construction, on se contenta d'aplanir le terrain, de l'empierrer et de lui donner l'inclinaison suffisante (Archives Nationales. Marine, B3 117, f° 457). On construisit à côté de ces cales des « hatelliers » pour abriter le travail des ouvriers et le logement du maître-charpentier qui se trouva par la suite fâcheusement placé au milieu du parc. L'armement des deux frégates, l'Aigle-d'or et la Force, qui eut lieu d'octobre 1667 à mars 1668 (Bibliothèque Nationales. Mélanges Colbert, 62, f°1), dut amener des perfectionnements dans l'outillage du chantier, mais peut-être est-ce au Port-Louis que cet armement, eut lieu. La Compagnie possédait en effet un magasin dans cette ville. Le directeur et le caissier y demeuraient. On y trouvait toutes les ressources nécessaires qui manquaient encore au Faouédic voileries, tonnelleries, corderies, magasins à vivres et à vin, fours, moulin, etc. 

En janvier 1669, au retour du Saint-Jean-Baptiste, deux directeurs, Etienne Chanlatte et Claude Gueston, furent dépêchés an Port-Louis pour visiter la cargaison et « pourvoir à tout ce qui seroit, nécessaire au dit lieu pour le bien et avantage de la Compagnie ». Ils devaient examiner surtout s'il était nécessaire d'édifier des magasins au Faouédic, en lever les plans, et dresser un état de la dépense qu'il convenait d'y faire. Cette dépense ne devait pas être trop importante, quoique les navires aient, à cette même date, été invités à faire leur retour au Port-Louis pour éviter les dangers de la Manche. Il s'agissait donc d'aménager Lorient, mais d'y apporter beaucoup d'économie, la somme octroyée ne devant pas dépasser 30.000 livres, d'après une décision du 30 mars (Dernis, op. cit., p. 237).

Claude Gueston, le 20 avril passa marché pour la charpente et les combles des logements du chantier, qui, le 5 août, n'étaient pas terminés.

Le 25 juin, il acheta pour 1.346 livres à. divers propriétaires, 16journaux et 50 cordes de, « landes rases et brières ». Ce terrain était limité à l'ouest par une ligne droite allant du Scorff au ruisseau du Faouédic, ligne qui sépare aujourd'hui l'arsenal de la ville. Les possessions primitives de la Compagnie, que l'on appela dans la suite le Parc, n'étaient entourées jusque-là que d'un « gourglé » ou mauvais fossé. Gueston se proposa d'enfermer dans une muraille l'ancien et le nouveau terrain qui formaient un ensemble d'une trentaine de journaux (15 ha. 456).

A la même époque, furent édifiés les magasins, groupés plus tard sous le titre de magasin-général et destinés à « serrer les agrès, victuailles et autres choses dépendantes des débarquemens ». Ils remplacèrent peu à peules entrepôts du Port-Louis.

A côté des logements ouvriers, achevés en 1670, on construisit une petite chapelle, où fut célébré un mariage en 1671.

En novembre 1673, la Compagnie pria David Grenier de Cauville de quitter l'établissement du Havre qu'il dirigeait et dont on ne voulait plus se servir, pour se transporter au Port-Louis « et ordonner au dit lieu de toutes choses ». Il demeura quatre ans dans le pays et mit vraiment Lorient au point. C'est lui, semble-t-il, qui groupa autour des chantiers les différents ateliers pour ouvrages légers dont on se fournissait auparavant, en ville. 

Seules, des forges avaient été bâties sur le Scorff dès 1671. En 1674, le magasin des fûtailles était encore au Port-Louis, mais le 10 février 1675 des tonneliers furent embauchés pour travailler à Lorient [Note : Pour toute cette partie mes sources sont Dernis, op. cit., et Archives notariales du Port-Louis, fonds Hamonic. L'ouvrage capital sur la Compagnie est Kaeppelin (Paul), Origines de l'Inde française. La Compagnie des Indes Orientales et François Martin, Paris, 1908, in-8°]. 

Dans l'établissement ainsi constitué, au centre et à côté du logement principal, Grenier de Cauville fit édifier une chapelle solide et définitive. Elle fut construite en 1675 par le maître-architecte Louis Trouillard, auteur de Notre-Dame et de Saint-François du Port-Louis. Son plan était rectangulaire et mesurait 20 pieds sur 44. Les murs étaient percés de deux baies latérales et d'une petite fenêtre de façade au-dessus du porche. Jean Le Prado, maître-charpentier port-louisien, la couvrit, d'un « lambris fait en berceau » et la surmonta. d'un petit dôme.

En 1676 fut exécuté le projet de Claude Gueston. Pierre Périot, dit la Poussière, maître-maçon de la rue Haute-Saint-François au Port-Louis, construisit la muraille qui devait jusqu'en 1698 contenir tout Lorient et séparer plus tard l'agglomération en deux groupes « le dedans et le dehors de l'enclos ». Les charrois de pierre furent effectués par les paysans des environs.

L'année suivante, Grenier de Cauville fit construire le long du nouveau mur la corderie, qui depuis lors n'a jamais changé de place : (marchés de janvier et d'avril 1677). En même temps (février-juin) fut bâtie la boulangerie. Il me parait justifié d'attribuer à cette même période la construction du moulin à vent sur « la montagne de Lorient », lieu où l'on a depuis dressé la tour du port.

Le successeur de Cauville fut Siméon des Jonchères, commissaire principal de 1677 à 1687. C'est lui qui, le premier, fixa son domicile à Lorient, vers 1680. Il réédifia pour son usage personnel et celui des directeurs-députés, le logement principal de 1670. Il en fit une demeure « fort spacieuse, estant composée de plus de huit chambres de plain-pied en-bas et autant au-dessus » (Archives Min. Colonies, C2 6, f° 258). C'est du moins ainsi que se présentait cette demeure à l'époque de Céberet et de la visite à Lorient de Mme de Sévigné (11 août 1689). 

En octobre 1681, Pierre Périot reconstruisit en matériaux solides les logements d'ouvriers situés entre la corderie et la chapelle. Ils avaient été construits « à pique », sur pilotis et leurs bois pourrissaient (Archives Nationales. Marine, B3 113, f° 160).

Le 13 septembre 1683, lors de la réformation du domaine royal, la princesse de Guémené déclara, parmi les terres qui relevaient d'elle à foi et hommage à cause de sa seigneurie de Tréfaven, « le lieu nommé Lorient clos et ansaint de muraille pour le service de la compagnie des Indes-Orientalles. Dans laquelle ansainte il y a chapelle, maisons, gardains des directeurs, officiers et maneuvriers, magasins cordiers, poudrerie et four à biscuit, moulin à vant, forges, bois de haute fûtaye …» (Archives départementales du Morbihan, E. Fonds Guémené, 35). Voilà, tel que nous le retrouvons dans un inventaire de 1698 et dans le plan que nous publions, « l'establissement » de Lorient dans la première période de son histoire (1666-1689). 

Après 1689, l'influence de la Compagnie fut négligeable sur le Scorff. Sans doute dans sa dernière période de prospérité relative (1698-1704) consacra-t-elle quelque argent à embellir la chapelle et la maison des directeurs, à aménager d'autre part une souille en terrain d'échouage, mais ce sont là de bien petites dépenses.

L'estimation de Lorient était de 77.803 livres 9 sols 1 denier en 1684. Ce chiffre exagéré fut ramené en 1687 à 60.000 livres. En 1697, je trouve 86.854 livres 7 sols 7 deniers ; en 1698, 121.236 livres 2 sols 4 deniers ; en 1702, 127.760 livres 12 sols 4 deniers (Archives Min. Colonies, C2 5, f° 78 ; C2 6, f° 62 ; C2 7, f° 217 ; C2, registre sur Lorient, 1698 ; Archives Nationales Marine, B3 117, f° 451). L'accroissement continuel de ces chiffres n'est dû, de toute évidence, qu'au besoin de la Compagnie d'équilibrer son bilan et de cacher, par des estimations toujours plus fausses, l'énorme somme de ses dettes.

Après avoir étudié l'établissement de Lorient en lui-même, arrêtons-nous maintenant sur le personnel qui en assurait le fonctionnement. La haute main des affaires au moment des armements et des retours importants appartenait à des directeurs députés par leurs collègues.

Ces directeurs, qui, avant la réforme de la Compagnie en 1685, pouvaient faire partie de la chambre générale de Paris ou d'une chambre particulière de province, furent très nombreux. Je ne puis ici que donner leurs noms. Ce furent Denis Langlois, directeur général (1666, 1667, 1668) ; Pierre Gellée, commissaire général des armements (1666) ; Etienne Chanlatte, directeur général, trésorier de France à Caen (1669, 1670, 1671) ; Claude Gueston, directeur général (1669, 1670, 1671) ; Barthélemy Blot, directeur général (1670, 1671) ; François Valleton (1671) ; Chappellier (1671) ; Antoine Laisné de la Briendière (1673) ; David Grenier de Cauville, directeur en la chambre de Normandie (1674, 1675, 1676, 1677) ; Claude Céberet du Boullay (1685, 1686, 1687, 1689, 1690, 1691, 1692) ; Gouault (1687, 1691, 1692, 1697) ; Bar, marchand (1688) ; Le Febvre, trésorier de la marine (1688) ; Toussaint Bazin, conseiller à l'hôtel de ville de Paris (1691, 1698, 1699, 1700, 1701) ; Rousseau, ancien échevin de Paris (1697) ; Charles Bréart, de Boisanger (1702, 1703) ; de Foucherolles (1706) ; Hébert (1706) (Dernis, op. cit. ; Archives Min. Colonies ; Archives notariales du Port-Louis ; Archives Nationales Marine, B3 ; Archives de l'Arsenal de Lorient et de l'Arsenal de Brest). 

Ceux d'entre eux qui revinrent à Lorient plusieurs années de suite eurent une certaine influence sur les destinées de l'établissement ; les autres sont passés trop vite. Certains de ces directeurs trouvaient la vie morose dans ce chantier. En 1697, Gouault écrivait lettre sur lettre pour se faire rapatrier (Archives Min. Colonies, C2 7). D'autres au contraire s'en arrangeaient fort bien. Tel était Céberet du Boullay, l'hôte de Mme de Sévigné. On connaît la description de Lorient datée du 13 août 1689 : « C'est là qu'on reçoit les marchands et les marchandises qui viennent de l'Orient. Un M. Cebret qui arrive de Siam et qui a soin de ce commerce, et sa femme qui arrive de Paris et qui est plus magnifique qu'à Versailles, nous y donnèrent à diner. Nous fîmes bien conter au mari son voyage qui est fort divertissant. Nous vimes bien des marchandises, des porcelaines et des étoffes ; cela plaît assez …. »

Les frais de voyages « d'un de Messieurs » à Lorient étaient, en 1699 de 8.000 livres, chiffre élevé si l'on songe que le commis-entretenu ne touchait que 2.000 livres pour un travail de toute l'année (Archives Min. Colonies, C2 8, f° 90). Ce commis-entretenu faisait la besogne pendant l'absence des directeurs. D'abord contrôleur et, caissier, il abandonna bientôt la caisse et le contrôle à un subalterne et se fit appeler aussi « directeur ». Les commis qui eurent le plus d'influence furent Arnaud Roullaud, marchand du Port-Louis, qui géra les affaires de la Compagnie de 1669 à 1674 ; Siméon des Jonchères, dont l'intendant de Brest eut beaucoup à se plaindre et qui fut destitué en décembre 1687 après dix années de service ; Jean Le Mayer, enseigne de port à Brest et capitaine de port à Lorient qui fut commis de 1688 à 1704, avec plusieurs interruptions dues à des voyages aux Indes ; Adrien Le Chevalier, contrôleur et, caissier de 1689 à 1701 Verdier, qui de 1704 à la ruine de la Compagnie, géra seul les affaires bien diminuées qu'elle avait encore à Lorient.

A côté du commis-principal et du caissier-contrôleur, un écrivain, un garde-magasin et, plus tard, un aumônier, constituaient tout le personnel entretenu.

Au début, Lorient ne fut qu'un chantier de construction. Antoine Looman y entreprit deux frégates de 150 tonneaux et l'Orient ou le Soleil-d'Orient, vaisseau de 1.000 tonneaux. Sa coque et son jardin furent peints en « verdelet » en avril 1670. Il sortit du Port-Louis le 6 mars 1671.

Il fallut, attendre quinze ans et la refonte totale de la Compagnie en 1685 pour voir renaître à la vie les cales de construction abandonnées.

En juillet 1687, Desclouzeaux, intendant de Brest, fit recruter des charpentiers de Douarnenez à Quimperlé et mettre en chantier le Florissant qui devait avoir 600 tonneaux. Commencé par un constructeur malouin, achevé par le célèbre Hubac, il quitta le Port-Louis pour Surate, le 19 avril 1688. Cette même année, le Saint-Nicolas, houcre de 120 tonneaux, fut construit pour partir aux Indes [Note : Archives Arsenal Brest, 1 E,16, p. 57, et 1 E, 19, pp. 24, 118, 127, 195, 306, etc.].

Plus tard, quand le roi eut réquisitionné Lorient, Pierre Coulomb « charpentier » royal, offrit par trois fois ses services à la Compagnie. De ses mains sortirent le Pontchartrain (500 tx ; mise en chantier, juin 1694 ; sortie du Port-Louis, 1er avril 1695) ; le Maurepas (500 tx ; mise à l'eau, octobre 1698 ; sortie du Port-Louis, 19 février 1699) ; la Perle-d'Orient (200 tx ; mise en chantier, mai 1699 ; sortie du Port-Louis, 2 mars 1700). Le 1er mars 1700, Coulomb commença le Héros mais il fut arrêté dans son travail par Jérôme de Pontchartrain qui acheta ce vaisseau pour le roi (Archives Nationales Marine, B3, et Archives Arsenal Lorient, 1E). 

Plus encore que chantier de construction, Lorient fut pour la Compagnie un port d'armement. Sur 176 bâtiments qui furent envoyés aux Indes par les Directeurs ou leurs concessionnaires. 83 furent armés sur le Scorff. Dans la première période (1668-1684), qui ne fut pas brillante, il y eut en moyenne un armement par an. Ensuite, après la réorganisation de la société par Seignelay, il y eut des envois plus nombreux. Trois navires sortirent en 1685, 1687, 1690 ; quatre en 1688, 1699 et 1700 ; cinq en 1692, 1698, 1701 et 1704 ; six en 1695 ; mais, par contre, les années 1689 et 1703 n'enregistrèrent que deux départs ; 1691, 1693, 1694 et 1697, un seul, et 1696, aucun. Après 1705, le commerce des Indes étant passé presque tout entier entre les mains des Malouins, le port de Lorient n'arma plus (sauf en 1707 et 1711) (Archives Nationales Marine, B3, et Archives Arsenal Lorient, 1E, et Archives Min. Colonies).

Les navires équipés par la Compagnie nécessitaient plus de travail que les autres. Une fois radoubés, ils devaient encore être doublés pour pouvoir résister à l'action corrosive des mers chaudes. Le doublage en planches était fixé à l'aide d'une infinité de clous dont la pose, écrivait Desclouzeaux, intendant de Brest, « est avec l'achat des dits clouds, la despence la plus considérable ». Le doublage du Coche (500 tx), en 1684 fut estimé 8.228 livres. Aussitôt après cette opération délicate, le navire était armé. Les matelots destinés à faire le voyage, mettaient, avant de partir, la dernière main à l'armement.

Le recrutement des équipages était toujours difficile, surtout à l'époque des guerres où la Marine, qui passait la première, n'arrivait même pas à compléter ses effectifs. Les levées étaient effectuées par les commissaires des classes de Nantes, de Vannes et du Port-Louis. Les nouvelles recrues recevaient une partie de leur solde et quelquefois disparaissaient avec cette somme. Les Indes ne terrifiaient pas, mais les îles d'Amérique où l'on faisait escale, avaient une fâcheuse réputation. La Compagnie réagissait de son mieux. Elle était plus attentive à la santé de ses hommes que la Marine royale. Elle leur donnait plus de linge à changer et les nourrissait mieux. Les directeurs entendaient faire faire eux-mêmes leur biscuit et leurs salaisons, disant que lorsqu'on les forçait à prendre les vivres du munitionnaire du roi, ils ne ramenaient pas en France la moitié des équipages.

L'approvisionnement ou «avictuaillement » se fit par l'intermédiaire des marchands port-louisiens. Le pain était fourni par les maîtres boulangers Jean Salmon et Jean Testeau, les viandes salées par Thomas Le Diorc'h et Pierre Craver. Ils furent remplacés vers 1685 par l'entreprenante Jacquette Pérénès, commerçante de premier plan (Archives notariales. Port-Louis, Hamonic).

Le vin et l'eau-de-vie arrivaient en barques, de Nantes, de Bordeaux et de La Rochelle. On les chargeait à la dernière minute quand les navires étaient mouillés sous le Port-Louis. C'est là aussi qu'ils prenaient leur eau, recevaient la poudre, les vivres et les marchandises d'exportation.

Les cargaisons embarquées pour les Indes étaient composées généralement de tissus (toiles de Bretagne, draps du Languedoc), de vêtements, de quincaillerie, de mercerie, de corail, et de tous les « effets » inutilisés par la Compagnie (canons de fer, boulets, saumons de plomb, ancres, cordages, goudron).

En temps de guerre, quand les soldats nécessaires aux batteries occupaient trop de place, on restreignait les cargaisons et l'on embarquait surtout de l'argent. Piastres et barres arrivaient au Port-Louis par voitures escortées de cavaliers en arme. Le métal précieux échangé à Cadix contre des marchandises françaises, était dirigé sur Gênes. De Gênes il venait à Marseille et gagnait souvent la Bretagne avec un certain retard. On ne partait jamais sans lui. Au besoin on en empruntait pour hâter un peu le départ.

L'argent une fois embarqué, les passagers montaient à bord, si le vent était favorable. Ils attendaient parfois longtemps. Les hôtelleries du Port-Louis étaient nombreuses. Les principales enseignes étaient celles de Saint-Yves, près de la Grande-Porte, de la Grande-Maison, place Notre-Dame, et, dans le quartier de la Pointe, celles de la Rose, du Pavillon-Royal, du Croissant, du Petit-Louvre, de Versailles, de la Ville de Saint-Malo et du Fort-Dauphin (Archives notariales. Port-Louis, Hamonic).

Les voiles mises, les vaisseaux sortaient solennellement de la rade en saluant la forteresse de sept coups de canon. Elle leur en rendait trois. Les départs au mois de mars étaient considérés comme trop tardifs « les voyages des navires qui ne partent pas en janvier ne sont pas heureux ». Cependant janvier ne compte que deux envois, alors que février en compte huit ; mars douze et avril quatorze. Les causes de retard étaient nombreuses difficulté des emprunts, des achats de cargaison, de l'armement, de l'approvisionnement, du recrutement des équipages. Il faut ajouter les vents En 1700, le Phelypeaux et la Perle-d'Orient attendirent cinquante-trois jours avant de sortir du Port-Louis.

Pendant les hostilités, les navires de la Compagnie étaient escortés par des vaisseaux de guerre, au moins jusqu'au cap Finisterre. Ils étaient eux-mêmes armés. Au temps de la Ligue d'Augsbourg, on les réunit en escadres avec des bâtiments royaux qui faisaient la course aux Indes. Successivement Duquesne-Guiton (24 février 1690), Dandennes (26 mars1692), Serquigny (1er avril 1695) sortirent à la tête de ces flottes mixtes. Le 12 avril 1703, M. de Fontenay et, le 23 avril, Des Pallières reprirent les errements de la guerre précédente.

La raison de sécurité fit conserver le Port-Louis comme port de retour, quoiqu'il eut été moins coûteux de revenir directement au Havre et de n'affréter les barques de transport que pour la remontée de la Seine jusqu'à Rouen où les ventes eurent lieu d'abord.

De 1668 à 1715, il y eut quinze années sans désarmements pour la Compagnie à Lorient. Douze années ne virent qu'un désarmement, neuf années en virent deux, cinq années en virent trois. En 1684, 1701 et 1712, quatre navires revinrent au Port-Louis. Par exception en 1702, il y eut cinq retours.

Au début, les vaisseaux ne faisaient que reconnaître le Port-Louis. Ils y déposaient malades et passagers, y chargeaient des « rafraîchissements » pour « régaler » l'équipage épuisé, recevaient la visite du lieutenant-de-roi, des officiers et des dames de la ville, qui ne pouvaient « acheter aucune chose » et remettaient à la voile.

Après 1673, les retours tendirent à se faire de moins en moins au Havre, mais en 1679 on considérait encore que c'était là un pis-aller. Les bâtiments revenaient généralement en juillet-août. A peine avaient-ils mouillé dans la rade que déjà leurs cargaisons étaient transbordées dans des barques qui les emportaient à Rouen ou à Nantes. Une décision de 1669 voulait que les marchandises fussent vendues sur échantillon à Paris et délivrées au Port-Louis et c'est sans doute en vue de construire un magasin de déchargement que Gueston et Blot achetèrent en mars 1670 le terrain de la place Dauphine (place du Tertre), voisin de la Porte de la Pointe, mais le magasin ne fut jamais bâti. Les ventes au début se firent le plus souvent au Havre, puis à partir de 1680 à Rouen, en septembre-octobre. A dater de 1691, à cause de la guerre et de l'insécurité de la Manche, elles eurent lieu à Nantes (Archives Min. Colonies, C).

Ces cargaisons exotiques, qui ne faisaient, le plus souvent, que passer d'un bateau dans l'autre étaient composées principalement de toiles de coton blanches ou peintes, dont le débit fut contrecarré en France à la suite des réclamations des industriels métropolitains. Elles devaient être soumises à la marque qu'appliquait l'intendant ou son subdélégué. La vente des toiles peintes fut plus sévèrement interdite que l'autre. Le poivre et le salpêtre furent aussi parmi les principales marchandises d'importations. Outre ces denrées, il faut noter les étoffes de soie, les cravates brodées, les étoffes d'écorce, le cuir de buffle, les «drogueries », le thé, les épices, l'indigo, la cire à cacheter, les porcelaines, laques et vernis de Chine et du Japon, le bois de Sapan, etc.

Il serait difficile de déterminer exactement le prix des cargaisons qui passèrent au Port-Louis, car nous nous trouvons en présence de trois chiffres : le prix d'achat, le prix de vente à l'estimation et le prix de vente réel.

Si les denrées officielles étaient vendues à coups de placards et d'affiches à Rouen et à Nantes, d'autres marchandises, plus ou moins clandestines, se débitaient au Port-Louis, malgré les efforts des directeurs généraux et contre la loi. On permettait aux officiers de commercer pour leur compte personnel jusqu'à concurrence d'un certain prix, et les étoffes que Mme de Sévigné admira tant à Lorient, avaient été ramenées du Siam par Céberet ; mais beaucoup de capitaines dépassaient sans vergogne les limites autorisées. Ils n'étaient guère gênés au Port-Louis, car les juges de l'Amirauté chargés d'inspecter les navires habitaient, d'abord à Hennebont, ensuite à Vannes, c'est-à-dire fort loin. Souvent d'ailleurs le surcroît de pacotilles était débarqué à la Martinique et rapatrié par d'autres marchands. Parfois, comme en 1706, on vit des négociants port-louisiens, de connivence avec les officiers, faire un commerce illicite aux dépens de la Compagnie.

Mais qu'étaient ce petit trafic clandestin et ces ventes secrètes dans l'ombre des souterrains de la rue de la Pointe au Port-Louis ? Qu'était-ce en comparaison des grandes ventes de Rouen et de Nantes ? A vrai dire, les Etats de Bretagne se sont durement trompés quand ils ont cru que la Compagnie des Indes-Orientales attirerait « l'abondance et la richesse dans le pays ». En effet, à bien réfléchir, le Port-Louis ne fut qu'un port de départ, un embarcadère et rien de plus ; Lorient, un port d'armement et de désarmement où entraient et d'où sortaient, en, moyenne, deux navires par an. Une seule chose sauva la Compagnie d'une faillite définitive et totale, ce fut l'intervention de Seignelay, en 1689.

Une seule chose sauva Lorient d'une ruine complète et absolue, ce fut l'intervention de Seignelay, en 1689, qui réquisitionna les chantiers pour la Marine royale. (H. F. Buffet).

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