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LE BOURG DE LORIENT SOUS LOUIS XIV

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Avant 1689, il n'y avait dans l'enclos de Lorient que quelques familles de gardiens et de « manœuvriers », et le nombre des naissances ne variait qu'entre 1 et 5. Si le curé de Plœmeur, le 17 novembre 1676, qualifiait du nom de « ville » les quelques maisons du chantier, nul ne songeait véritablement que ce comptoir précaire du commerce aléatoire des Indes pouvait faire naître une cité neuve. Une ville se développe dans la sécurité or rien n'était moins sûr que le sort de la Compagnie des Indes-Orientales, ou, du moins, si l'on pouvait parler de certitude à cet égard, c'était de la certitude d'un échec. Il en fut tout autrement quand le Roi eut fait de ce chantier sans avenir, un arsenal militaire et quand on eut le sentiment qu'il y avait sur le Scorff un personnage essentiellement durable. On vit s'accroître aussitôt la population de Lorient et le bourg s'agrandir si vite qu'à peine vingt ans plus tard il devenait paroisse.

En décembre 1689, quand Louis XIV décida d'armer à Lorient l'escadre du chevalier de Nesmond, il fit appel à de très nombreux ouvriers, et le problème fut angoissant, de découvrir où les loger. Le temps pressait et Seignelay, de Versailles, envoyait des ordres impératifs. Céberet fil pour le mieux, il établit des paillasses les magasins des bordures déjà surchargés d'apparaux de toutes sortes, et quand il n’y eut plus de place il s'adressa aux Port-Louisiens qui abritèrent les hommes, dans des conditions souvent si lamentables que la mortalité fut forte parmi eux. Le Port-Louis en outre était bien loin ; Céberet décompta les fermes des environs du chantier, et les villages du voisinage abritèrent bientôt la majorité des ouvriers. 

Lorient : projet de l'arsenal royal

Ces trois solutions étaient défectueuses : les charpentiers logés dans les campagnes ou au Port-Louis, habitant loin de leur travail, trouvaient dans cet éloignement une excuse facile à leurs retards. Quant aux travailleurs de Lorient, dans leurs greniers insalubres, ils devenaient malades. Céberet s'émut de leur sort et réclama des casernes pour y mettre 400 hommes. Le 12 mars 1691, le sieur de Bouridal, ordonnateur pour les fortifications de Bretagne, envoyé par Louvois, décida de construire des bâtiments de maçonnerie. Ils furent commencés sur le champ, mais en janvier 1692, ils n'avaient encore que leurs quatre murs. Ils furent finis huit mois plus tard, mais le toit ne valait rien et l'eau y coulait (Archives Nationales. Marine. B3 65, f° 94, 122 v° ; B3 69, f° 121, 496, etc.).

D'autre part, beaucoup d'ouvriers étaient chargés de famille et ne se souciaient pas de vivre en dortoir. Ils préféraient se construire des cabanes, volaient pour cela du bois dans le parc et bâtissaient à qui mieux mieux dans l'enclos, à la vue même de Céberet, qui fermait les yeux (1692). L'esprit d'imitation, la soif d'indépendance, vida bientôt complètement les dortoirs inconfortables de la Marine et toute la population vécut dans des huttes « peu différentes de celles du temps d'Abraham ».

Cette population fut très disparate. On y rencontrait surtout des Nantais, des Normands, des Basques et des Provençaux. Les Bas-Bretons étaient très rares. Le chevalier de Beaujeu les accusait d'être « ignorants du français, lents et malhabiles », et, par ailleurs le commissaire des classes, chargé de les recruter, ne parvenait pas à en « déterrer ». Ils se cachaient pleins de méfiance et observaient, quitte à revenir plus tard en foule pour tout dominer. Les Basques abandonnèrent Lorient à la première occasion. Ils partirent pour faire leurs Pâques dans leur pays et ne revinrent pas. Il ne reste donc à retenir, pour la première assise de la population que les Normands, les Nantais et les Provençaux (Archives Nationales. Marine, B3 60, f° 436 ; B3 65, f° 70 v°, 77, 114, 121, 369, etc.). Ceux-là, on les retint, bon gré, mal gré, en punissant les désertions d'un mois de prison à la première fois, du carcan à la récidive.

Mal logés, les ouvriers étaient également mal ravitaillés. « N'y ayant point de cabarets connue dans les autres ports », ils devaient aller souper dans les villages voisins et cela les obligeait, à de continuels déplacements. Céberet, pour y remédier, chargea le commis du munitionnaire de leur verser des rations de cinq sous chacune. Une cantine pour la boisson fut établie par le fermier des devoirs, Farcy de Kerlo, qui profitant de son monopole vendit son vin hors de prix : il donnait pour 10 sous un pot de 5 sous. Les ouvriers buvaient quand même. Il faut bien boire. Mais n'ayant plus d'argent pour se payer des « hardes », tombaient, malades et désertaient.

La cantine était fort petite et pondant les heures d'ouverture 800 à 900 hommes se pressaient pour y pénétrer. C'était une bousculade sans nom. Pour diminuer l'encombrement, Farcy créa de nouvelles buvettes aux environs des chantiers, mais il y vendit sa boisson si cher (à 16 sous le pot de vin ordinaire) que les clients s'en indignèrent. Les gens paisibles parlèrent de prendre leur vin à la cantine et de le garder dans les caves des paysans qui les logeaient, mais Farcy le leur interdit. Il y eut alors un « gros bruit à l'Orient » les ouvriers, qui « haïssaient » le pays où on les brimait de la sorte, se révoltèrent avec fracas le 16 décembre 1691 et prouvèrent bien à Farcy que « pour estre étrangers et travailler dans les atteliers du roy », ils n'étaient pas « de pire condition que les païsans de Bretagne aux quels il est permis d'avoir du vin en cave ». Céberet dut procéder à des emprisonnements. Ce fut la première sédition, bien légitime, des malheureux habitants de Lorient. Ce ne fut pas la dernière (Archives Nationales. Marine, B3 60, f° 566 ; B3 65 f° 42, 45, 65, 465, etc.).

Si l'ordonnateur avait montré de la fermeté contre la violence, il montra par ailleurs de la compréhension et laissa peu à peules paysans de Plœmeur improviser des buvettes dans le « dedans de l'Enclos ». Ce furent les premiers Bas-Bretons à s'installer à Lorient. Ils construisirent leurs cabanes à côté des autres, aussi misérables. Aux cabaretiers s'adjoignirent des boulangers. En 1694, même refrain toujours, ils faisaient le pain si cher que Céberet dut leur donner un concurrent dépendant de la Marine et vendant à prix réduit (Archives Nationales. Marine, B3 83, f° 363). D'autres commerçants s'établirent aussi. Ils furent bientôt si nombreux que la Compagnie des Indes Orientales finit par s'en émouvoir. En 1700, les directeurs décidèrent de chasser de l'Enclos tous les « gaigne deniers, journaliers, gargottiers » et paysans, qui étaient « des dix à douze personnes dans une même caserne » et qui volaient de tous les côtés, dérobant du bois pour bâtir, du bois pour se chauffer et « les volailles de M. de la Brosse » pour se régaler (Archives Min. Colonies, Dossier sur Lorient). 

L'expulsion des indésirables fut aussitôt commencée. En 1701, le directeur Toussaint Bazin s'adressa aux juges d'Hennebont pour être absolument délivré de tous les particuliers venus dans l'Enclos « comme cabaretiers, hostelliers, marchands de draps, merciers, tailleurs, cordonniers, tisserants, pâtissiers et autres gens de métiers et femmes veuves » qui avaient abandonné la campagne « pour s'exempter de payer les fouages de leurs paroisses et autres contributions ». Bazin ne voulait conserver que les personnes ayant des titres de propriété c'est dire qu'il renvoyait tout le monde. Antoine de Mauclerc intervint alors en faveur des ouvriers de la Marine qu'il craignait devoir partir complètement et qui avaient en quelque sorte été autorisés par Céberet.

En 1701, il y avait dans le « dedans de l'Enclos » quatre ruelles de 35, 19, 17 et 54 cabanes, auxquelles il faut ajouter 12 autres « casernes non alignées ». Elles étaient généralement habitées par des ouvriers, mais il y avait encore un barbier, un tisserand, un tailleur, un blanchisseur, un boulanger, un cordonnier, un maître d'hôtel, deux traiteurs, deux « marchands » et cinq veuves (Archives Nationales. Marine, B3 113, f° 64, 67, 70). La ruelle la plus importante s'appelait en 1719 « rue de Fayette ». A la même époque, il y avait dans l'Enclos 204 cabanes numérotées et louées pour 3 ou 5 livres par an au profit de la Compagnie. Elles étaient situées sur l'emplacement de la Préfecture maritime et de la place d'Armes.

Lorsque Toussaint Bazin expulsa en 1700 la majeure partie de la population, il la jeta sans réflexion sur la lande du Fuouédic, abandonnant au hasard le soin de régler son malheureux sort. La Compagnies s'en désintéressait. La Marine, au contraire, en la personne de l'ordonnateur, pensait depuis un an déjà à créer hors de l'Enclos une véritable ville. Antoine de Mauclerc avait chargé l'ingénieur Traverse de dresser au plan de lotissement du terrain, et avait écrit lui-même à Versailles pour que le Roi en fit l'acquisition, disant qu'avec le bénéfice à faire sur les parcelles on gagnerait de quoi bâtir une petite église (Archives Min. Colonies, Dossier Lorient ; Archives Nationales. Marine, B3 109, f° 60 ; Archives de l'Arsenal de Lorient, 1 E5, f° 48 v° ; Archives du Comité technique du Génie, Carton Lorient). Louis XIV avait refusé. Le fondateur de Rochefort voulait ignorer Lorient qui était né sans son ordre et qu'il traita jusqu'à sa mort connus un faubourg éloigné du Port-Louis. On sait qu'à la même époque, Jérôme de Pontchartrain recommandait à Mauclerc de bâtir « le peu de magasins » nécessaires à l'arsenal « de la manière que l’on n'en puisse point faire d'autres, quand mesme on le voudroit : Sa Majesté ayant trop d'autres arcenaux commencés à achever, pour songer à en entreprendre de nouveaux … » (Archives de l'Arsenal de Lorient, 1 E6, f° 89 et 90).

Ainsi donc quand la ville de Lorient, « née d'un chantier de constructions navales », commença de se former elle rencontra l'indifférence du directeur et l'impuissance de l'ordonnateur qui se partageaient, le chantier. 

Port et bourg de Lorient

Dans la lande, par contre, un homme veillait. C'était Pierre Dondel, « président et sénéchal au siège présidial de Vannes », second fils de Thomas Dondel, sieur de Brangolo, marchant d'Hennebont. Il se conduisit comme un marchand de biens, c'était son droit, et pas du tout comme un fondateur, ce qui aurait pu être son honneur. 

Il y a eu toute une polémique au sujet des Dondel et leur petit neveu par alliance. M. Lecoq-Kerneven les a défendus avec passion (Lecoq-Kerneven, Généalogies de la Maison Dondel, et Nouvelles études sur les origines de Lorient, Dinan, 1876, in-8°). On a dit, et j'ai moi-même pensé un moment, que Thomas Dondel, ayant eu des démêlés au Port-Louis avec le lieutenant du Roi, Jacques de Mallenoë, au sujet des devoirs de la ville, en aurait conservé une violente rancune contre le gouverneur Armand-Charles de Mazarin, et, par vengeance aurait attiré la Compagnie des Indes-Orientales au Faouédic, dont il acheta la seigneurie le 15 juillet 1667. Je ne crois plus à cette haine, car dans le procès qu'il intenta à Léonore du Bellay, veuve de Mallenoë, Dondel se montra toujours très respectueux du gouverneur, écrivant, en 1674 encore : « Quant à Monsieur le duc de Masarin. il permettra qu'on luy dise qu’on ne l'a mins en cause que par une dernière nécessité » (Archives départementales du Morbihan, B 2823. Req. de Th. Dondel, 28 déc. 1674). 

Je ne crois pas davantage que le marchand d'Hennebont ait acheté la seigneurie dans le but de spéculer. Qui pouvait croire en 1667 qu'une ville allait naître auprès des chantiers ? Ce que le père n'avait pu soupçonner le fils, au dire de Mauclerc, ne le soupçonna pas non plus, puisqu'il ne prit au début aucun intérêt à son terrain du Faouédic et chercha même à le vendre « pour cent escus » (Archives Nationales. Marine. B3 117, f° 442).

Dans la lande des Dondel m'existait tout d'abord qu'un hameau, le village de Kerverot situé sur remplacement des rues Fénelon et Victor-Massé. Le manoir seigneurial était en ruine, la métairie ne valait guère mieux. Seul le moulin fonctionnait sur l'étang du Faouédic et le sieur de Brangolo tentait d'y attirer non sans peine les employés de la Compagnie des Indes. En 1683, il n'y avait « aux issues et hor l'anclos des murailles de Lorient » qu'une maison « avec son jardain derrière ». En 1692, cet immeuble était dit la « maison de la Bouille » (?) En 1694 et 1698 c'est une dizaine de bâtisses que l'on compte aux deux portes de l'arsenal. En 1700 grand changement ! La lande se remplit d'un seul coup et le Sénéchal de Vannes comprit, qu'il allait faire fortune. En 1702 il avait déjà retiré de sa vilaine terre plus de 20.000 livres, sans compter les rentes qu'il en recevait tous les ans.

Une ville se dessina très vite et se développa sans ordre le long des deux chemins primitifs qui, de la grande porte de l'Enclos allaient à Ploemeur et à Pont-Scorff, c'est-à-dire à la paroisse et à la sénéchaussée [Note : Antoine de Mauclerc est un des fondateurs de Lorient sous Louis XIV. Commissaire Général et ordonnateur de la marine, il a eut pour soucis constant de bâtir une ville hors de l'enclos de la Compagnie de Indes. Le premier, il y construisit son habitation avec le soucis de loger décemment tout le personnel de la marine. Il posa la première pierre de l'église St Louis mais malheureusement il mourut en 1703. Son successeur dés 1704 est Charles de Clairambault. L'initiative du premier fit ériger Lorient en trêve de Plœmeur en 1702. C'est alors que commence la vie municipale lorientaise]. Deux voies se formèrent, rapidement ce furent la Grand-Rue (rue du port) et la rue du Faouédic (rue de l'hôpital). Elles étaient très nettement marquées en 1703, ainsi que l'actuelle rue du Lycée qui partait de la petite porte de l'Enclos et où se trouvaient les plus anciennes maisons construites hors de la muraille [Note : Plans conservés à la Bibliothèque et aux Archives de l'Arsenal de Lorient, aux Archives du Comité technique du Génie, à la Bibliothèque du Service hydrographique, à la Bibliothèque Nationale, Estampes, Va. 119, et à la Bibliothèque de l'Arsenal, à Paris (Ms. 3874)].

Il n'y eut pas de plan suivi, car le Roi avait refusé d'agréer celui de Traverse. Il n'y eut pas d'alignements. En juin 1705. le désordre était partout. Charles de Clairambault s'en plaignait à Pontchartrain « Les ingénieurs n'ont jamais marqué icy les alignemens des rues et il est vray, Monseigneur, que chaque habitant y bâtit presque toujours sa maison ou chaumière au gré de son caprice, se souciant peu de régularité. Il y a icy seulement deux rues qui seront assez passables quand on y aura corrigé quelques biais. Je feray faire un plan … »

Le soin de dresser ce plan fut confié à l'ingénieur Langlade qui y joignit un projet où il ne se privait pas d'abattre plusieurs cabanes. Pontchartrain en fut mécontent, Langlade refit, un nouveau projet et commença en juillet 1707, à tracer quelques alignements d'accord avec les particuliers qui se proposaient de bâtir en pierre (Archives Nationales. Marine. B3 148 f° 124 ; Archives Min. Colonies. Dossier Lorient ; Bibliothèque Nationale. Estampes, Va 119 ; Archives Arsenal de Lorient, 1E 11, f° 143, 291 ; 1 E 13, f° 245, etc.). Des difficultés survinrent, de la part du sénéchal de Vannes qui refusait comme je l'ai dit, d'abandonner au Roi « sa mauvaise terre en friche dont personne n'aurait voulu donné cent pistoles » avant l'installation de la Marine et dont il avait déjà reçu 20.000 livres (sans parler des 2.000 livres de rentes perçues sur les aféagements faits aux particuliers). Une ordonnance néanmoins parut à Versailles le 20 février 1709, portant que les héritages encore invendus seraient rachetés à Dondel par le Roi, sur le pied des contrats d'acquêts passés avant le 16 février 1707, ou même pour un prix augmenté du quart. Pontchartrain spécifia que les différents lots seraient payés par la Marine, au fur et à mesure de leur vente.

Robelin, directeur des fortifications de Bretagne, fut chargé de tracer un nouveau plan de la future ville et fit approuver ce plan par Vauban lui-même et par Le Pelletier de Sousy, directeur général des fortifications (3 septembre 1708). Langlade planta des piquets pour les nouveaux alignements. En octobre 1709, il s'appliquait si bien à rectifier le tracé des rues laissées un peu « tortues » et « en zig-zag » par Robelin, qu'il déchaîna la colère de nombreux propriétaires. Les habitants de la rue du Faouédic, dont les maisons étaient « touttes les plus belles du bourg » se plaignirent, de ce que l'ingénieur faisait passer la nouvelle artère « tout au travers leurs jardins ». Un peu plus tard Langlade rencontra des résistances analogues en rectifiant la direction de la rue, actuelle du Maréchal-Foch. En même temps que cette voie, il créa « les deux places contiguës au cimetière » et à l'église (place Bisson et place Saint-Louis) (Archives Nationales. Marine, B3 159, f° 322, 364, 379 ; B3 170, f° 192, 622, 652, 689 : B3 183, f° 241 ; Archives de l'Arsenal de Lorient, 1 E 14, f° 354, 410 ; 1 E 15, p. 189 et 1069 ; Archives Comité technique du Génie, Carton de Lorient, etc.).

L'idée de mettre de l'ordre dans le plan du nouveau bourg commençait donc à aboutir, elle en resta cependant là. Pierre Dondel maintenait ses droits. Pour se débarrasser de lui, il aurait fallu lui payer non pas seulement le terrain, mais le capital des rentes qu'il en retirait chaque année. En 1711, malgré tout, Robelin qui tenait encore à son projet, proposa de bâtir un quai sur le ruisseau du Faouédic dont les rivages marécageux appartenaient au domaine royal : « Ce quay qui aurait plus de 300 toises de long en ligne droite, seroit bordé de magazins marchands comme celuy de Toulon et ainsy ce seroit le plus beau quay du Royaume ». Le plus beau quai du Royaume ! Robelin oubliait-il que Louis XIV avait fondé Rochefort et non point Lorient, et que Jérôme de Pontchartrain n'avait plus un sou dans ses caisses. De plus Clairambault, désabusé, comprenait bien qu'à la moindre tentative, Dondel « nourry dans la chicane, se serait fait un plaisir de former de nouveaux incidens » (Archives Nationales. Marine, B3 198, f° 40). La population d'ailleurs, en 1711, diminuait de jours en jours. La décroissance s'accélérait depuis l'année 1707 où les armements s'étaient raréfiés. 

Il est difficile de savoir exactement quel fut le nombre des habitants de Lorient au début du XVIIIème siècle. Dès novembre 1700, Mauclerc comptait, tant en dehors qu'en dedans de l'Enclos près de 3.000 personnes, et Desgrassières à la même époque en évaluait plus de 1.000 dans la lande du Faouédic. En octobre 1704, Clairambault donne le chiffre de 4.000. En 1707, il affirme qu'il se trouve à Lorient « près de quatre à cinq mil communians », et pour cette même année un rôle de taxe indique de 800 à 900 familles, ce qui aurait fait environ 6.000 habitants (Archives Nationales. Marine, B3 109, f° 144 v° ; B3 124, f° 106 et 423 ; B3 148, f° 66 v° et B3 170, f° 463 ; Archives Min. Colonies, Dossier Lorient). En 1709, la population était déjà beaucoup moindre. L'ordonnateur en faisait part au ministre « Les ouvriers souffrent d'une si grande misère que la plus part d'iceux ont été obligés d'abandonner l'Orient ». En août 1711, il récrivait encore que ses employés étaient obligés « d'aller chercher leur vie dans les autres ports ainsy que la plus part des habitans de ce lieu qui faute de travail sont contraints d'en sortir avec leurs familles, en sorte que, s'il ne se fait pas bientôt icy quelque construction ou armement, l'Orient redeviendra desert comme il estoit cy devant. ».

La misère était partout dans le bourg, dans ce chaos indescriptible d'habitations croulantes bâties dans la boue. Çà et là émergeaient bien des toits de tuiles ou d'ardoises, mais ils restaient l'exception. En1706, Charles de Clairambault n'en comptait que dix ou douze. Tout le reste était un ramassis de pauvres cabanes « composées de quatre pieux couverts de pailles et garnies de terrasse » où l'on couchait sur l'herbe sèche et qui formaient un « camp volant ».

L'ordonnateur insista souvent sur la pauvreté de ces demeures « dont les murs sont de torchis, qui ne sont qu'une espèce de boue meslée avec de la paille, et si fort exposées aux incendies qu'il n'en faut qu'une pour réduire en cendre en une heure ou deux de temps tous ces pauvres édifices ». Ils s'en iraient « en fumée au premier caprice qui pourroit prendre à quelque yvrogne de jetter, en passant dans la rue, sa pipe allumée sur la couverture de quelque cabane » (Archives Nationales. Marine, B3 137, f° 253 v° ; B3 170, f° 463 ; B3 197, f° 46 ; B3 198, f° 40, etc.). 

Les incendies en effet furent assez fréquents. En janvier 1709, vingt chaumières brûlèrent. En mars 1710, il y eut un nouveau sinistre. Le 24 février 1714, vingt-six maisons furent détruites en deux heures. Au mois d'août suivant, le feu se déclara encore. Le Roi approuva cette année-là la demande que lui faisait Langlade, de n'autoriser à Lorient que les bâtiments de pierre, ardoise et tuile, mais personne n'était assez riche pour se soumettre à ce règlement et le bourg ne resta jusqu'en 1720 qu' « embelly de méchantes cabanes terrassées et non muraillées, couvertes de paille, faites de pieux en terre » (Archives Nationales. Marine, B3 148, f° 179 ; B3 170, f° 27 ; Archives de l'Arsenal de Lorient, 1 E, 20, p. 123 et 440, etc.).

Il ne faut pas douter cependant quand on lit les lettres si poignantes de Clairambault que ce dernier n'ait été porté à exagérer la misère de ses Lorientais dont il se sentait le seul protecteur. Il n'hésitait pas, semble-t-il, pour émouvoir Jérôme de Pontchartrain à emprunter des formules toutes faites aux sermons de charité : « Il en meurt tant, disait-il, de ses protégés en 1707, qu'il n'y a presque plus de place dans le cimetierre où on les puisse enterrer ». En 1709 il écrivait encore « Comme les pauvres n'ont pas assez d'argent pour acheter ce bled vendu si cher, la plus part d'iceux se voyent réduits à manger de l'herbe dans les hayes et dans les champs comme les animaux ». En 1711, sa plume se faisait réaliste « Ces pauvres gens … ne sont plus que des espèces de squelettes ressemblant à des portraicts de la mort …. »

A ces lettres que répondait le Ministre ? Rien ou presque rien. Il temporisait. De Brest et de Rochefort, de tous les ports de la côte, du Port-Louis où les officiers n'avaient plus d'argent pour vivre ni pour mourir décemment, Jérôme de Pontchartrain recevait sans cesse des appels angoissés ou violents. Pour attirer l'attention lassée de Louis XIV, Clairambault utilisait la moindre anecdote : « Il y a quatre jours, Monseigneur, disait-il par exemple, qu'on trouva icy sur la croix du cimetierre de la parroisse un insecte dont j'ay l'honneur de vous envoyer le dessein. C'est une espèce de grosse mouche que je crois qu'on peut appeler locuste. Comme elle a sur la teste une figure qui ressemble beaucoup à une teste de mort, cela est regardé en ces quartiers comme chose rare et qui a épouvanté beaucoup de bonnes femmes, qui, voyant que cet insecte a ainsy esté trouvé dans ce cimetière dans un temps auquel ils sont accablés de misère, ils regardent cela comme présage d'une grande mortalité.

Si vous pouviez, Monseigneur, faire payer aux pauvres ouvriers de ce port quelques mois de 1710, ce soulagement sauverait la vie à plusieurs de ces pauvres gens dont la plus part ne meurent que d'inanition.

Cet insecte mourut le même jour qu'on le trouva, ayant esté fort tourmenté par les curieux et les curieuses qui se divertissaient à le faire crier en le touchant. On le conserve icy dans une boîte » (Archives Nationales. Marine, B3 148, f° 286 ; B3 197, f° 323 ; B3 198, f° 245). 

J'ai cité cette lettre un peu longue pour montrer comment Clairambault savait glisser dans quelque fait divers les réclamations impérieuses qu'il avait à formuler. Une fois de plus en 1711, il demandait le règlement des payes de l'année 1710. Ce retard malheureusement prouve davantage, à mon avis, que les plus terribles peintures. Non seulement le chômage sévissait, mais, quand il y avait du travail, il n'était pas rétribué aussitôt. Dès le début de la guerre de Succession d'Espagne, on mit de la lenteur à payer les ouvriers. En 1704, les commissaires durent leur prêter « le peu d'argent » qu'ils avaient. On ne trouvait pas, à cette date, « deux pistolles comptant dans tout l'Orient ». Le 12 avril 1707, on devait encore aux charpentiers « rebutéz par la misère » six mois de salaire pour 1704. En 1708, on leur devait onze mois de l'année précédente (Archives Nationales. Marine, B3 117, f° 402 ; B3 124, f° 157 ; B3 147, f° 272 ; B 3148, f° 386, v°, etc.).

Quand, après une longue attente, le jour de la paye arrivait, on retenait une partie de la somme pour l'impôt de la capitation. Il en résultait de sourdes révoltes, qui provoquaient des grèves continuelles. En mai 1707, les cordiers, dont les familles mouraient de faim, abandonnèrent le travail. En novembre 1708, les apprentis-canonniers, qui n'avaient plus de pain, se croisèrent les bras. Il y eut des troubles plus graves, mais si compréhensibles On braconna chez les seigneurs voisins, et Clairambault ferma les yeux. On pilla le seigle des paysans et Clairambault pardonna encore. Des femmes s'attroupèrent, en 1709, et réclamèrent à Verdier, caissier de la Compagnie des Indes Orientales, les sommes dues à leurs maris depuis cinq années passées. Le caissier n'y pouvait rien. Lasses de crier, elles menacèrent l'ordonnateur de lui « casser la teste » et ce dernier, sans se troubler, s'apitoya de plus belle : « Les femmes des matelots, écrivit-il au ministre, sont nus-pieds et nus-jambes, n'ayant pas de quoi s'acheter des sabots ».

En mai 1711, les matelots que la Compagnie voulait obliger à venir eux-mêmes à Paris toucher ce qu'on leur devait, promirent pour toute réponse de mettre le feu à l'arsenal …. Clairambault, moitié par menaces et moitié par persuasion, réussit de justesse à éviter l'incendie de Lorient (Archives Nationales. Marine. B3 147, f° 373 ; B3 148, f° 232 ; B 3 159, f° 41 ; B3 170, f° 339 ; B3 197, f° 258). Il avait l'affection de ses administrés, pour lesquels il se dévouait de toute son âme. S'il ne put le plus souvent faire remettre aux ouvriers les salaires qui leur étaient dus, du moins réussit-il à adoucir les impôts qu'on prétendait réclamer d'eux. En 1706, 1709 et 1712, il s'opposa fermement à la perception du droit de pied fourché dans les boucheries de Lorient, disant que les bouchers étaient gens « très brutaux » et fort capables dans leur colère de mettre le feu partout. Ce n'est qu'en 1714 qu'il se résolut, de guerre lasse, à laisser établir le pénible impôt. Clairambault surveillait également les agissements des égailleurs de Ploemeur qui répartissaient les tailles et les fouages. Il découvrit ainsi, en 1713, que, depuis 1709, les Lorientais avaient été taxés pour 8.000 livres de trop (Archives Nationales. Marine, B3 137, f° 253, 257, 393, 398 ; B3 170, f° 150 ; B3 207, f° 30 ; B3 213, f° 192 ; B3 222, f° 43, 78, 378, 409, 415, etc.).

En face de la multitude bien souvent déchaînée, l'ordonnateur était seul. En face de cette agglomération de misérables, il était le seul riche, non pas riche par lui-même, mais par le Roi. Quand le Roi n'eut plus d'argent à lui donner, toute la population d'un seul coup fut ruinée. Lorient n'était peuplé que d'une seule catégorie de personnes. Il n'y avait ni paysans, ni pêcheurs, ni commerçants en gros, ni bourgeois, ni nobles. Tous étaient fonctionnaires. (H. F. Buffet).

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