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LA CHAPELLE SAINTE-ANNE et LES URSULINES

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A l'époque où nous sommes arrivés, la chapelle de Sainte-Anne était flanquée de bâtiments consacrés au logement des indigents malades, sous le nom pompeux d'Hôtel-Dieu

Mais chapelle et édifices étaient en pitoyable état. Celle-là tombait littéralement en ruine, les modiques ressources de l'établissement n'ayant permis de restaurer que la façade orientale. 

Quant aux bâtiments de la communauté, qui se composaient de deux salles au rez-de-chaussée, deux chambres au-dessus et plus haut un grenier, le tout situé derrière la chapelle, — ils n'étaient pas moins délabrés. 

Les murs en étaient partout déchirés par des lézardes, et les poutres des planchers étaient étançonnées par une rangée de piliers de bois qui se dressaient en guise de colonnettes au milieu des salles. Des lucarnes imperceptibles, qui faisaient l'office de fenêtres, laissaient à peine passer quelques rayons de soleil dans l'obscur, humide et infect réduit qu'on nommait alors l'Hôpital de Lannion. 

Le mobilier aussi était bien misérable ; il se composait en tout de quelques lits clos vermoulus ; les accessoires étaient à l'avenant. Des draps tombant en lambeaux, un peu de paille, des ballins grossiers : voilà la couche que trouvait, à la fin du dix-neuvième siècle, le malheureux Lannionnais qu'une infirmité subite ou un revers de fortune conduisait à l'hospice de sa ville natale. 

Si l'état temporel était aussi délabré, l'état moral ne l'était pas moins. Il y avait dans les salles, paraît-il, une sorte de promiscuité entre les deux sexes, et le cartulaire du couvent déclare qu'il s'y commettait des crimes (sic). 

Ce voyant, la communauté de ville, reconnaissant que des laïques intéressés ne pouvaient remplir une tâche qui, pour être accomplie dignement, exige tout le dévouement de la religieuse, ce voyant, disons-nous, la communauté de ville demanda à l'évêque de Quimper, pour desservir l'hôpital de Lannion, des Soeurs hospitalières. On était alors en 1664. Ni cette année, ni la suivante, l'évêque ne put satisfaire la communauté de ville. 

L'an 1666 se passa sans plus de résultat. Cette année, un Lannionnais, Kerbrat-Colloët, publiait à Paris cinq grands ouvrages (in-quarto ) dont trois sur l'agriculture et un sur l'économie politique. C'était : 1° Avis : on peut en France élever des chevaux aussi grands, aussi beaux, aussi bons que l'Allemagne et royaumes voisins ; 2°. Observations sur les chevaux, boeufs, chèvres, brebis, etc. ; 3° et 4°. Deux ouvrages sur les mêmes matières, publiés sans nom d'auteur, mais attribués au même ; 5°. Moyens pour augmenter le revenu d'un royaume de plusieurs millions, en faisant que le bestial (bétail ) produise deux fois plus qu'il ne fait

Ce ne fut qu'en 1667 que Lannion obtint ce qu'il avait demandé pour son hôpital qui avait alors une moyenne de vingt-cinq pauvres à nourrir. Cinq Soeurs hospitalières lui furent envoyées de Quimper. Elles voyagèrent dans des litières équipées aux frais de Mme de Trorozec, riche dame d'une grande piété, dont le manoir, qui porte toujours son nom, se voit encore près de Kergomar, avec sa tourelle et ses vastes fenêtres grillées.  Aussitôt après leur arrivée, elles furent mises en possession de l'hôpital « en la manière accoutumée » et Allain de Kergariou, déclare par acte authenthique « avoir fait sonner toutes les cloches de ladite chapelle »

M. de Guezbriand leur céda aussi tous ses privilèges sur l'autel de la Trinité, autrement dit le maître-autel de leur chapelle. 

Cependant les soeurs, habituées, sinon à de beaux appartements, du moins à un logement sain et solide, ne purent rester dans le couvent tant il était délabré ; et pendant que le sénéchal de Lannion faisait avec le procureur du roi une information sur les causes qui avaient rendu urgente la restauration des bâtiments de l'Hôpital, elles durent aller demeurer au manoir de la dame de Trorozec. 

C'est en 1672 que furent élevés avec les dots des professes ces bâtiments qu'on voit derrière l'église et qui bordent d'un côté une grande partie de la rue de Kerampont. 

L'année suivante (1673), l'établissement était légalement reconnu par l'archevêque de Dol (car Sainte-Anne dépendait de Loguivy qui était une enclave de l'archevêché de Dol dans l'évêché de Tréguier) ensuite par le Roi, enfin par le parlement. 

A peine les religieuses eurent-elles placé le nouveau monastère à l'abri, sous l'égide de l'Eglise et sous le patronage du Roi, qu'elles se mirent immédiatement à l'oeuvre pour construire des bâtiments pour elles et les pauvres. Elles entreprirent ensuite la restauration de leur chapelle (1674) ; à défaut d'autres ressources, elles eurent recours à la charité publique qui ne fait jamais défaut aux oeuvres pies dans notre bon pays. 

On remarque parmi les bienfaiteurs de Sainte-Anne les plus nobles familles lannionnaises : MM. de Carcaradec, de Trogoff, de Kergomar, quant à MM. de Kervenno, de Trémaria et de Kerisac, nous avons à en parler spécialement. 

En ce temps, vivait dans la contrée un saint homme, un Frère prêcheur, le père Maunoir. Il était connu, pour ainsi dire, de tout le monde, depuis l'homme de peine le plus misérable jusqu'au plus riche seigneur. Après ses prédications, dit Dom Lobineau dans ses Vies de Bretagne, le gentilhomme ne traitait plus si durement son vassal, acquittait ses dettes et payait régulièrement ses domestiques, le vassal ne haïssait plus son seigneur, le domestique ne volait plus son maître : cela dit assez quel était son mérite. 

A cet homme saint, s'étaient adjoints plusieurs gentilshommes saisis par la vérité et par la grandeur de la religion si noblement exposée. 

Ce fut d'abord M. Kervenno de Plivern qui, étant à Quimper dans une maison de Jésuites, où il faisait des exercices pour consulter Dieu sur le choix d'un état, s'était décidé, après avoir entendu la persuasive parole du Père Maunoir, à suivre l'exemple de l'évangéliste breton (1670). Trois ans après, le jeune apôtre donnait son patrimoine au couvent de Sainte-Anne, où deux de ses soeurs s'étaient déjà consacrées à Dieu (1673).

Outre cette donation, il ne cessait de combler de bienfaits la communauté, et les annales de ce temps ne sont remplies que de témoignages de sa grande charité. Il fit don au couvent de plusieurs objets d'argenterie parmi lesquels figure un calice à jour merveilleusement découpé, qui se voit encore à Sainte-Anne, ainsi que d'un grand nombre d'ornements sacerdotaux. 

Il donnait pour nourrir des pauvres ; il donnait pour doter des jeunes filles sans ressources ; il donnait pour acheter des livres de piété ; enfin il donnait pour tout et toujours. Il alla jusqu'à léguer une certaine somme pour payer ses frais de maladie ! 

Avant la construction de la chapelle actuelle de Sainte-Anne, dont nous parlerons en temps et lieu, une plaque d'airain recouvrait dans l'ancienne église les vénérables restes du bienfaiteur du monastère, et une brève épitaphe y articulait le nom de celui dont les munificences et la foi avaient arqué la voûte du cloître. Aujourd'hui, il ne reste plus aucun vestige de l'humble mausolée ; quelques écussons frustres, incrustés çà et là dans les murs, sont les seuls témoins du passage de M. de Kervenno dans cette solitude. M. de Trémaria était veuf lorsque l'éloquente parole du Père Maunoir vint le décider définitivement à entrer dans les Ordres ; ce qu'il avait en vue depuis longtemps. Sa vie, qu'il passa à faire du bien à tout le monde en général, au couvent de Sainte-Anne en particulier, fut extrêmement sainte ; mais sa mort encore plus. 

M. de Trémaria, comme presque tous les gens dont la pensée a beaucoup travaillé, était d'un estomac très-faible ; mais il comptait sans cela. Or, dans une mission à Guingamp, emporté par son zèle, il ne voulut pas cesser ses exercices, quoiqu'il sentit sa poitrine lésée. Qu'arriva-t-il ? Un abcès s'y forma, et le Père Maunoir dut l'obliger à aller prendre quelque repos dans une des maisons de l'Ordre ; mais une amélioration s'étant fait sentir, M. de Trémaria alla retrouver le Père Maunoir à  Saint-Pol-de-Léon ; là il retomba malade. ll n'était pas mieux quand le Père Maunoir dut le quitter pour satisfaire aux exigences de son saint ministère. Quand il revint, il trouva son ami à toute extrémité. Voulant finir par une bonne action, M. de Trémaria pria le Père Maunoir de faire à son intention une retraite à Pleumeur-Bodou, retraite dont il paya d'avance tous les frais. Ensuite il ne voulut plus entendre parler que de Dieu et demanda pardon à tous ceux qui l'assistaient des injures et des scandales dont il croyait pouvoir s'être rendu coupable. Enfin, voyant sa dernière heure approcher, il déclara au Père Maunoir, à son gendre M. de Kerisac et à sa fille la dame de Kerisac, qu'il voulait être enterré devant l'autel de Jésus-Crucifié à Sainte-Anne ; cet autel est celui-là même où l'on voit un tableau représentant le Christ expirant sur sa Croix. — Après avoir communié, il mourut vers onze heures du soir ; il avait commencé à pareil jour les fonctions de Missionnaire. 

Son gendre, M. de Kerisac, ayant perdu sa femme quelque temps après la mort de son père, se voua comme ce dernier à l'apostolat. Si sa mémoire doit être bénie comme bienfaiteur de Sainte-Anne, elle doit l'être encore davantage pour un autre acte religieux bien plus considérable. Là où sont aujourd'hui la gendarmerie, le collège et la prison, là fut autrefois un couvent d'Ursulines ; or, M. de Kerisac est le fondateur de cet établissement. Victime de son zèle comme son beau-père, il mourut à Pontrieux des fatigues qu'il éprouva dans un sermon où il avait déployé une chaleur et une éloquence remarquables. Quand il trépassa, ni la chapelle ni les bâtiments des Ursulines n'étaient encore terminés ; il voulut par les dispositions de son testament, comme on va le voir, en assurer l'achèvement. « Je veux et ordonne que mon corps soit enterré dans le choeur des Révérendes Mères Ursulines. En cas que leur église ne soit point achevée de bâtir avant ma mort, dans laquelle église je veux être enterré, dans la tombe qu'elles m'y ont accordée par mon acte de fondation de leur couvent et au regard de mon coeur qui sera mis avec celui de M. de Trémaria et de sa deffuncte fille, je veux et ai donné pour achever leur église 800 écus, lesquels seront mis entre les mains de M. Chevreil, prêtre, qui aura la bonté de payer ou faire payer les ouvriers pour l'achever, afin qu'on y puisse dire la Sainte Messe. De plus, je donne auxdittes Dames Ursulines de cette ville quatre de mes flambeaux d'argent pour mettre à l'autel quand le Saint-Sacrement y sera exposé. Je donne encore auxdittes Révérendes Mères Ursulines 500 écus une fois payés, parce qu'elles feront (pour qu'elles fassent) pour moi après ma mort trente communions générales sans celles qu'elles me doivent. De plus pour la messe à perpétuité que j'ai fondée en l'église des Ursulines de Lannion, laquelle sera dite tous les jours préférablement à toute autre par leur confesseur, je donne 800 écus de rente, laquelle somme sera donnée à icelles (à celles-ci) incontinent après mon décès, pour être ensuite payée à la Saint-Michel prochaine et au suivant et ainsi d'an en an à perpétuité, desquelles (messes) il y en aura trois par semaine et appliquées pour le repos des âmes dudit seigneur fondateur et de deffuncte Mme de Kerisac, de M. de Trémaria son deffunct beau-père, et autres de sa famille »

Le père Maunoir, M. de Plivern, M. de Kerisac, voilà les trois types de la sainteté pour notre pays ; ils apparaissent grands comme les premiers saints, quoiqu'ils appartiennent aux temps modernes et qu'ils n'aient pas pour eux le prestige de l'antique. Bientôt les Soeurs Hospitalières furent d'avis de reculer les limites de leur terrain ; pour cela, après en avoir obtenu l'autorisation, elles assainirent avec les buttes qui se trouvaient sur le quai, les terrains marécageux qui étaient au pied de leur muraille, afin de pouvoir les cultiver ; ces terrains servaient alors de sécherie commune aux Lannionnais. En 1676, il y avait encore à Lannion un descendant du valeureux et infortuné sire de Pontblanc. Nous allons le voir par l'extrait suivant des anciennes « délibérations de la communauté de ville » conservées à la Mairie, citation qui par elle-même a aussi son intérêt. « Noble homme Gilles Le Provost, sieur de Pontblanc, syndic en charge, obtient permission de faire lever et esgailler sur les habitants de Lannion, tant nobles que aultres, la somme de 600 livres pour laquelle être rendue au sieur de Kéridec, qui avait prêté lesdits deniers pour défendre un procès touchant l'exemption de vente et de rachapt de ceste ville, somme qui sera levée selon répartition délibérée, entre les ecclésiastiques, nobles et bourgeois de Lannion »

Cette même année 1691, quand, par suite de l'Ordonnance du roi, les confréries de la ville de Lannion durent présenter leurs comptes pour payer, s'il y avait lieu, des droits d'amortissements ou de nouvel acquêt, on y voit qu'il y avait dans cette ville assez grand nombre de ces associations. Au Baly : celles du Sacre ou du Saint-Sacrement, du Saint Rosaire, des Cinq-Plaies, de la Croix, de Notre-Dame des Agonisans, de Saint-Sébastien, de Saint-Michel, de Saint-Julien, de Saint-Crespin, de Saint-Yves, de Saint-Eloy ; A Saint-Nicolas hors ville, celle de Notre-Dame de Saint-Nicolas ; A l'Oratoire de la prison, celle de Notre-Dame de l'Oratoire de la prison. 

On a aussi quelques détails sur l'intérieur du Baly à cette époque : les trois chapelles les plus remarquables, après celles des confréries de St-Nicolas, du Saint-Rosaire et de Saint-Sébastien, étaient celles de monsieur Saint-Fiacre, de monsieur Saint-Vincent et de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle ; les autels les plus riches après celui de Saint-Jean étaient ceux de Sainte Marguerite et des « Très-passés »

La portion congrue du vicaire général de l'église paroissiale de Lannion et celle de son curé ou adjoint consistait : 1° dans un droit, appelé viande de caresme, consistant en une levée de trois sols sur chaque ménage de la paroisse ; 2° dans le droit de remplir un pot d'airain de vin, cidre ou boisson qui débarquerait au quai de Lannion ; 3° dans le droit de lever un demi-boisseau de sel sur chaque barque qui en était chargée. 

Que devenait pendant tous ces temps la famille de Lannion ? Claude II de Lannion avait épousé dame Huteau de Cadillac, dont il avait eu trois garçons et six filles. Pierre II, l'aîné de ses fils, avait succédé à tous les titres de son père, et était en train de se faire une grande réputation dans les armes. Après avoir fait sa première campagne en Hongrie sous le comte de Coligny, il passait pour l'un des meilleurs officiers du royaume ; il fut fait brigadier des armées du roy en 1688, et maréchal-de-camp en 1693. Le deuxième fils de Claude était le chevalier de Lannion, dont nous aurons à reparler. Le troisième était Briant, abbé de Lannion, de la maison des Capucins de Lannion. En 1692, il publia, à Morlaix, un in-12 intitulé : Ar Conferençou Santel war ar materiou a gleer da explica er retrejou, ou Les Saintes Conférences sur les matières qu'on doit expliquer dans les retraites. Quand Claude de Lannion mourut, Pierre, son aîné, dut rendre aveu pour les biens dont il héritait à titre d'aîné. Cette fois c'est au seigneur du Faou qu'il présente son minu. « Par devant nous, notaires royaux en Tréguier au siège de Lannion, a comparu haut et puissant messire Pierre, comte de Lannion, chevalier baron du pais de Bretagne, mareschal-de-camp de l'armée du Roy, gouverneur des villes de Vannes et d'Auray, capitaine du ban et arrière-ban de l'évesché de Vannes, seigneur du Cruguil et Beauvoir, etc., héritier principal de deffunct haut et puissant messire Claude de Lannion, son père, demeurant ordinairement en la ville de Paris, rue St-Chauvin, paroisse de Saint-Eustage (Eustache) lequel advoue et déclare à luy appartenir les terres et héritages cy-après désignés soubs et au proche fieff de la terre et seigneurie du Faou appartenant à Jean-Baptiste Hingant, chevalier et seigneur de Keruzec, du Faou, etc., à devoir foy, vente et rachapt, selon la coustume du pays ». Le manoir de Kerougant était chargé d'une redevance de « six bouëssaux de froment, deux moutons, deux chepvreaux, et de dix-huit livres d'argent. Laditte terre était encore chargée d'un mouton de cheffrante envers laditte seigneurie du Faou ». L'église de Servel devait, « au terme de la Chandeleur, deux sols dix deniers ou amende de quinze sols en cas de défauts ». « Le devoir de dixième ayant nom » appartenait sur plusieurs terres « audit seigneur advouant, consistant en la douzième gerbe ». Le meunier qui tenait le moulin de Kerbouric « avec estang et bied » avait à payer « une redevance de dix sommes de gros bled, douze poules et un saulmon ».  

A la fin du XVIIème siècle, les principales rues de Lannion étaient, outre celles dont les dénominations n'ont pas changé : la rue des Jongleurs, c'est-à-dire le haut de la rue des Capucins ; la rue an Fil, aujourd'hui dite de Keriavily, nommée ainsi à cette époque parce qu'il s'y tenait un marché de fil très-bien fourni, marché assez important encore aujourd'hui ; la rue Croas-Cam ou de la Croix-Penchée, aujourd'hui la rue de Tréguier, alors appelée de ce nom en souvenir du monument commémoratif de la vaillante défense du sieur de Pontblanc, monument qui en effet était penché pour plus de solidité ; la rue aux Fèves, aujourd'hui le haut de la rue de Kerampont, qu'on désignait ainsi parce qu'il s'y tenait un marché aux Fèves, très-connu ; un certain pardon des Fèves y a encore lieu chaque année au mois d'août ; la rue de la Cohue, dont nous ignorons la position ; la rue du Gruau, aujourd'hui la rue du Four ; les rues de la Poterie et des Boyaux, situées auprès de l'Eglise ; la rue de la Ripve, aujourd'hui connue sous le nom de la rue des Augustins. 

Dans le même temps il y avait aux Buttes un jeu de boules, où venaient exercer leur adresse les confrères de Saint-Crespin, qui, eux aussi, avaient fondé une congrégation. Il existe encore aux archives de la ville un « rôle des sommes qui ont été imposées en 1700 sur les habitants pour subvenir à la subsistance des pauvres de cette ville, conformément à la déclaration du roi ». Le produit de ce droit qui ressemblait assez au fameux « impôt des pauvres » de l'Angleterre, montait à 85 livres, somme qui fut levée « d'après répartition délibérée, entre les ecclésiastiques, nobles et bourgeois de Lannion ». Cinq ans plus tard il y eut une même imposition qui monta à 62 livres. Si puissant alors était le seigneur de Lannion qu'il ne craignait pas de soutenir un procès contre ce fameux duc de Rohan, dont la devise était : Roi ne puis, prince ne daigne, Rohan suis. La curieuse note qu'on va lire le montrera ; elle est textuellement extraite de l'inventaire général des biens de la famille de Lannion. « Sur une petite montagne, au nord et près la rivière du Blavet et le pont Saint-Nicolas, paroisse de Beuzi, canton de Baud, il y avait une statue antique grossièrement taillée qui représentait une grosse femme d'environ sept pieds de hauteur ; le vulgaire l'appelait Groac'h-Warn, qui veut dire en français la Vieille-de-fer ; il y avait près de cette statue une fort belle pierre en bassin qui peut contenir treize barriques et demie, ce qui fait croire que les anciens ont fait des sacrifices et célébré des fêtes en ce lieu à quelqu'une de leurs divinités, représentée par cette statue ; le peuple grossier des environs avait la plus grande vénération pour cette statue ; il y avait recours dans les nécessités. Les hommes qui avaient la catarrhe, la goutte ou des rhumatismes allaient faire toucher leurs parties infirmes à cette statue ; les femmes relevant de couches allaient prendre un bain dans le bassin pour être rétablies ; les filles qui avaient envie de se marier faisaient leurs offrandes à cette statue d'une manière fort indécente pour leurs souhaits. En 1671, il y eut une mission à Baud, les missionnaires qui apprirent les abus qui se commettaient près de cette statue, prièrent Claude de Lannion de les faire cesser, en la faisant renverser dans la rivière du Blavet. Claude de Lannion alla sur les lieux et fit renverser par ses domestiques cette statue dans la rivière. Des pluies abondantes étant survenues, le peuple attribua ce fléau à la chute de sa déesse, s'assembla, releva la statue de la rivière et la remit en place. M. de Rosmadec, évêque de Vannes, instruit de ce rétablissement de la Groac'h-Warn, pria M. le comte de Lannion de la mettre en pièces pour faire cesser entièrement ces désordres. Pierre, comte de Lannion, y renvoya ses domestiques et des maçons : mais ces derniers, intimidés par le peuple du voisinage, se contentèrent d'en entamer les bras et de la renverser dans la rivière du Blavet. Pierre, comte de Lannion, fit ensuite tirer de l'eau cette statue mutilée et la fit retailler pour lui ôter les attitudes indécentes dont les sculpteurs l'avait ornée, et la fit porter à son château de Quinipily (nota : La terre de Quinipily revenait à cette famille, d'un Hitari gouverneur d'Hennebont, dont la fille unique s'unit à un seigneur d'Aradon, dont un seigneur de Lannion épousa la fille unique). M. le duc de Rohan prétendit que cette statue avait été prise dans l'enclave de sa seigneurie et en demanda le rétablissement. Pierre de Lannion acheta le 5 juin 1698, de Charles Cariou, notaire et procureur de l'abbaye de Lanveaux, au prix de 28 livres, la statue de la Groac'h-Warn qui avait été jetée dans la rivière du Blavet, et le grand bassin qui se voit encore sur son champ dépendant de la métairie noble de la Groac'h-Warn qui n'est point sur la mouvance de M. le duc de Rohan ; M. le duc de Rohan s'opposa à l'enlèvement du bassin et ce ne fut qu'après un jugement du palais des requêtes à Rennes, le 21 janvier 1701, que M. le comte de Lannion fut paisible possesseur de la statue et du bassin ; il la fit élever sur un piédestal à quatre faces, et le bassin au-dessous, à droite, dans la cour du château de Quinipily. On employa quarante paires de boeufs pour traîner sur de grands rouleaux le bassin depuis le domaine de la Groac'h-Warn jusqu'à Quinipily, ce qui forme une distance de deux lieues à peu près. C'est alors que Pierre de Lannion fit rétablir les anciennes inscriptions encore lisibles qu'on voyait sur cette statue et qui étaient ainsi conçues :

Veneri Victrici

Vota C. J. C.

Venus Armoricorum

Oraculum

Duce J. C. Claudio

Marcello et L. Cornelio

Lentulo cons. ab. V. C. D. C. C. V.

C. Caesar Gallia
Tota subacta

Dictatoris nomine

Indè capito ad Britanniam

Transgressus non se

Ipsum tantum sed  

Patriam victore

Coronavit.

P. Comes de Lannion paganorum hoc numen populis huc usque venerabile superstitium eripuit, idemque hoc in loco jussit collocari. Anno 1696 (nota : Ces inscriptions peuvent se traduire en français : Voeu Vénus victorieuse ; Jules César, consul. — Vénus, oracle des Armoricains ; Jules César, général ; Claudius, Marcellus et L. Cornelius Lentulus, consuls, l'an 705 de la fondation de Rome. — Caïus César, après avoir soumis toute la Gaule sous le nom de dictateur, se passa opiniâtrement en Bretagne où il ne se couvrit lu-même pas moins de gloire que sa patrie par ses victoires. — Pierre, comte de Lannion, arracha au peuple cette vénérable idole des païens, la traîna jusqu'ici, et ordonna de la placer dans ce lieu, l'an 1696). 

Ce Pierre de Lannion avait un goût marqué, il paraît, pour les inscriptions tant païennes que chrétiennes ; on lit la note suivante dans le même ouvrage. « Au château de Quinipily on voit encore des marches en pierre de taille près d'un rocher où Pierre de Lannion se rendait chaque jour pour prier la sainte Vierge ; il entoura le rocher d'inscriptions pieuses et fit mettre une image de la sainte Vierge, que l'on voit encore, et pour laquelle le peuple avait grande vénération ». C'est de 1704 que date le choeur conventuel des religieuses de Sainte-Anne, c'est-à-dire ce grand bâtiment qui regarde la rivière et les quais de Lannion. 

On avait quelques craintes de l'Anglais à Lannion en 1707 : d'après délibération de la communauté de la ville « controllée par M. l'Intendant » les canons qui défendaient la rade de Penros (c'est le nom de Perros à cette époque), furent enlevés pour être transportés à Lannion. Faisons remarquer comme simple mention qu'il existait à cette époque dans notre pays un droit de passage qui consistait en six deniers par chaque tonneau de blé turc déchargé sur le quai de cette ville, et de trois sols pour chaque barrique de bière qui sortirait de cette ville « excepté pour celles qui seront pour les messieurs gentils hommes et les prêtres ». Voici une quittance qui donne d'assez curieux détails : « Nous soubsignante, supérieure des religieuses Ursulines de Lannion, connaissons avoir reçu trois cent trente livres tournois de M. Thomé pour les vingt sacs de froment que notre comté de Lannion a fourni pour aider à la contribution des trois cents sacs auxquels la ville aurait été taxée. Fait en notre monastère de Lannion 13 mai 1740 - Thérèse Chrétien »

Cependant le couvent de Sainte-Anne prospérait évidemment ; mais il lui manquait une source, et le transport de l'eau potable de la fontaine au monastère occupait beaucoup de bras précieux. Sur la demande des religieuses, le Gouverneur général du domaine de la couronne concéda (1712) au monastère de Sainte-Anne, la propriété d'une fontaine nommée en breton Feunteun-an-Nec'h (la fontaine de la montée), située au haut de la lande de Justice (Land-an-Justico), entre les Patibulaires  et la croix appelée la Croix de la Haye (ar Groas-a-C'hlun). Immédiatement après la concession, pour faire venir l'eau dans l'enceinte même du convent, les religieuses firent pratiquer des canaux sous la butte des patibulaires et sous le pavé de Kerampont. A l'intérieur du couvent, les canaux étaient en bois ; à l'extérieur, ils étaient en granit. Après son entrée dans l'enceinte conventuelle, le grand canal se ramifiait pour aller par des branches diverses laver les cloîtres, alimenter le lavoir et la fontaine et distribuer dans les cuisines du monastère et de l'hospice l'eau nécessaire pour le service de cet établissement. 

En 1717, Pierre II, comte de Lannion, finit sa glorieuse carrière, âgé de 75 ans, et précédant de neuf ans sa femme dans la tombe. Depuis que nous avons perdu de vue ce personnage, il avait marché à grands pas dans les sentiers de la gloire, et s'était acquis et réputation et cordons. Créé en 1702 lieutenant général, il fut ensuite décoré du commandement de l'arrière-garde de l'armée que le roi envoya au secours du duc de Bavière. Il se distingua beaucoup à la bataille d'Hochstedt et fut en récompense gratifié du gouvernement de Saint-Malo, en 1710. Son frère, le chevalier de Lannion, capitaine de vaisseau, avait été tué en 1704 au combat de Malaga du même coup de canon que son demi-frère François Armel de Lannion, marquis de Crenan. Des six soeurs de Pierre II, comte de Lannion, cinq s'étaient faites religieuses. Pierre II laissait cinq enfants : 1° Anne-Bretagne de Lannion, colonel du régiment de Saintonge, brigadier des armées du roi ; 2° Jean-Baptiste-Pierre-Joseph de Lannion, plus tard époux de dame Marthe de Kersulguen, dame de la Bouecière, seigneur d'Aradon et autres lieux, maréchal des camps et armées du roi, chevalier de Malte et colonel du régiment de Lannion ; 3° François, vicomte de Malestroit, colonel d'un des régiments de Bretagne ; Julie-Françoise, plus tard épouse du marquis du Châtel, colonel du régiment de son nom ; 5° Eléonore, chanoinesse-comtesse de Munshebilshem. L'aîné, Anne-Bretagne, comte de Lannion, épousa Françoise de Mornay, fille unique du comte de Chevreuil, lieutenant général des armées du roi et gouverneur des ville et château d'Arras. Il en eut plusieurs enfants. En 1718, une année après la mort de son père, il rendait, en qualité d'héritier principal, l'aveu suivant : « C'est le mynu que fournit messire Anne-Bretagne comte de Lannion, baron de Malestroit, Camor et Vieux-Chastel, vicomte de Rennes, marquis d'Espinay, seigneur de Quinipily, Aradon, le Cruguil, Cadillac, la Houssaye-en-Brie et autres lieux, brigadier des armées du roi, colonel du régiment de Saintonge et gouverneur des villes de Vannes et d'Auray, héritier principal et noble de haut et puissant seigneur messire Pierre comte de Lannion, des terres et héritages escheues (échues) et advenues audit seigneur comte de Lannion, son père, pour être fourny et présenté à haut et puissant seigneur messire Maladic-Nevet, chevalier seigneur, marquis dudit lieu, seigneur chastelain de Boybois, Kerligonon, Troongle, etc. ; propriétaire de la terre seigneuriale de Launay, en Brélévenez, colonel du ban et arrière-ban de l'évesché de Cornouaille, pour le paiement du rachapt lui acquis par la mort dudit seigneur comte de Lannion ». Après l'énumération habituelle des biens, l'acte se termine ainsi : « Lequel présent mynu et déclaration, le soussignant notaire, faisant pour le seigneur comte de Lannion, demeurant au château de Kerguau, paroisse de Saint-Hervé, évesché de Quimper, et présent en la ville de Lannion, logé chez N. Louis Guyon, paroisse de Saint-Jean du Baly, évesché de Tréguier, affirme véritable à sa science et connaissance, sauf à y adjouter (ajouter) ou diminuer par après quand ledit seigneur aura eu plus ample connaissance des terres, fieffs et revenus, n'ayant pu jusqu'à présent avoir d'autres éclaircissements que ceux déclarés ci-dessus ».

Lannion n'avait pas assez de l'hospice de Sainte-Anne, il lui fallait encore un hôpital général, bien grand mot pour une bien petite chose. L'ancien hôpital général est ce bâtiment de si triste aspect qui sert aujourd'hui de salle d'asile. Aux formes plus que civiles, aux accolades qui surmontent la porte principale de la chapelle, le moindre élève architecte reconnaît un monument du commencement du XVIIIème siècle, période de la décadence absolue de l'architecture dite la Renaissance. A son origine, l'hospice fut tenu par des femmes à gages. Mais l'administration comprit bientôt qu'elle ne pourrait obtenir de mercenaires le même résultat que de Religieuses guidées par la seule charité ; elle s'adressa donc à une congrégation, celle de Saint-Thomas de Villeneuve (1724), « attendu, dit la demande, que l'hôpital général de Lannion a grand besoin d'une personne intelligente et charitable pour avoir soin des pauvres qui y sont ou seront ». En 1725, les administrateurs obtinrent de cette congrégation une Religieuse à laquelle ils confièrent aussitôt le soin de l'établissement. La demoiselle de Saint-Thomas de Villeneuve, dit la transaction, « sera entretenue et nourrie sans vin ny cydre, aux frais de la Communauté (de ville) ainsi que sa servante ; elle aura soin d'instruire, gouverner et soigner les hommes, garçons, femmes et filles renfermés audit hôpital, les élever dans la crainte de Dieu et de la Sainte Vierge sa mère, dans la retenue et modestie si nécessaires aux chrétiens et particulièrement au sexe, afin que chacun en tire de l'édiffication »

En 1732, toutes les voies publiques de Lannion, tant rues que ponts, étaient délabrées. Les ponts de Sainte-Anne, de Kermaria tombaient en ruines ; on n'y fit cependant que les réparations les plus urgentes. Quant aux rues, on les répara toutes, mais en opérant d'une singulière façon. Chaque propriétaire dut payer la façon de la partie du pavé qui se trouvait devant sa maison ; on fixa le prix de la toise à 4 livres 8 sols. Les jetées qui servaient de quai croulaient aussi de toutes parts ; on les répara entièrement. 

La province garde toujours plus longtemps que la capitale les modes et manières qu'elle lui a empruntées. Ainsi, en 1732, alors qu'il y avait plus d'un siècle que les farces de Scarron et les comédies de Molière avaient détrôné à Paris les représentations des confrères de la Passion ; ainsi, en 1732, disons-nous, on jouait encore à Lannion et dans les faubourgs, ces scènes mimiques qu'on appelait mystères, parce que primitivement elles avaient eu pour but de représenter les mystères du christianisme. On n'ignore pas sans doute que ces mystères qui avaient été d'abord imaginés au XIVème siècle par les  pèlerins de retour du pèlerinage en Terre-Sainte, afin de subsister du produit de leurs quêtes, furent ensuite représentées par des bateleurs qui n'agissant que dans un but mercantile, dénaturèrent bientôt ces scènes religieuses qu'ils ne comprenaient pas, par l'addition d'abord de farces déplacées, ensuite de gestes et d'expressions ignobles. 

Aussi le parlement de Bretagne crut-il devoir s'opposer à ces représentations sacrilèges et scandaleuses ; entre autres ordonnances à ce sujet, il en rendit une (1732) « portant deffence de jouer à Lannion ny dans aucun des faubours d'ycelle la Conversion de saint Guillaume », pièce dans laquelle les acteurs, avec un sans gêne incroyable, se costumaient en prêtres, évêques, cardinaux, voire pape et portaient chappes, dalmatiques, étoles et surplis. Le si regrettable Emile Souvestre, dans ses Derniers Bretons, ouvrage dans lequel on admire tout, si ce n'est le titre qui, Dieu merci ! n'est pas encore vrai, consacre quelques lignes à examiner la tragédie dont il est ici question. « Ce fut sans doute, dit-il, dans quelques bourgades éloignées, pendant une de ces longues veillées d'hiver qui se prolongent devant les feux de bruyère, qu'un kloarek (séminariste), revenu au foyer natal et tourmentant sa pensée dans le calme d'une méditation fiévreuse, conçut ce drame de saint Guillaume, comte de Poitou. Enlevé subitement aux études arides, démailloté de son Despautére, il sentit peut-être tout-à-coup son imagination prendre des ailes, et tout en écoutant le grésillement de la flamme, le rouet de sa mère, ou la voix monotone d'une sœur idiote, il lui sembla peut-être ouir des révélations étranges ; il crut voir au milieu de la fumée de l'âtre, les étincelles prendre l'apparence de visions brillantes, ses rêveries revêtir soudainement un corps et se mouvoir. Alors, ravie en extase, son âme jeune et aspirante, se rêva dans le corps de quelque jeune seigneur, ayant à lui l'or, les femmes, et modelant la vie à ses désirs, comme le potier sa terre ; alors il se figura le monde entier avec toutes ses joies, toutes ses gloires, abattit à ses pieds comme un ennemi à sa merci ; et ivre de sa puissance et de sa richesse imaginaires, il se roula en idée dans les jouissances terrestres ; il savoura la tyrannie, goûta avec rage au péché, se satura des bonheurs qui damnent, jusqu'à ce qu'au milieu de cette frénétique ivresse, née de désirs si longtemps comprimés, un triste tintement de la cloche du village ou un saint verset psalmodié plus distinctement par sa soeur, ne vint l'arracher aux hallucinations mondaines, lui parler de pénitence, et le jeter à deux genoux sur l'âtre, frappant sa poitrine et confessant ses mauvaises pensées »

Mais si les habitants de Lannion aimaient les mystères, ils n'en étaient pas moins superstitieux. Ainsi, un audacieux imposteur, à cette époque, affublé d'une peau de loup et traînant après lui quantité de chaînes retentissantes, sortait chaque soir du bois alors plus épais de la Ville-Neuve-Corbin, longeait le mur de clôture de Sainte-Anne, et venait hurler dans tous les quartiers de Lannion. Tous les soirs, une foule de curieux venaient s'attrouper au coin des rues du Port et de l'Eglise, pour voir si les avant-coureurs du loup-garou — car c'est ce pour quoi l'on prenait l'homme à la peau de loup — ne se montrait pas ; on appelait avant-coureurs des espèces de fantômes blancs qui n'étaient rien moins que les compères du loup-garou affublés de longs draps. Le loup-garou finit d'une manière tout-à-fait tragique. Un voyageur descendu à l'auberge de la Tête-Noire, située près de l'Auditoire, informé de l'étrange apparition de chaque nuit, se promit bien de voir si le loup-garou était invulnérable ; il ne demandait qu'une chose : que le loup-garou visitât ce soir-là son quartier. C'est ce qui arriva ; le loup-garou reçut du plomb nous ne savons trop où, et tomba mortellement blessé. Une enquête eut lieu plus tard et l'on apprit, au grand étonnement des badauds, que c'était pour protéger des fraudes sur le quai qu'avait été imaginé tout ce tapage très-peu diabolique. 

Nous avons à parler maintenant de Sainte-Anne. En 1733, la fontaine de la Haye, dont nous avons parlé, ne jouait plus qu'à grande peine dans ce dernier couvent, tant la dissolution des canaux en bois occasionnait d'obstruction. Sur les remontrances faites alors par les bourgeois de Lannion « que les fontaines voisines estantes si mauvaises qu'elles produiraient et causeraient des maladies incurables comme écrouelles et autres maux dangereux, il serait très-avantageux pour le bien des habitants de se servir de la source de la Fontaine de la Haye, située au bas de la Lande-de-Justice, comme estante la meilleure et la plus proche ; que les tuyaux d'icelle seraient très-étroits et circulaires, de telle sorte qu'en passant sous les pavés des rues avec beaucoup de plis et de coudes, les eaux poussées par la rapidité de la source, fausseraient quantes fois lesdits tuyaux et causeraient des réparations continuelles qui finiraient par interrompre le commerce desdites rues », — L'intendant de la couronne ordonna la démolition des tuyaux qui conduisaient l'eau de la source à Sainte-Anne, et déclara « publicque » la fontaine de la Haye. 

Nous donnons ci-après une curieuse délibération de la communauté de ville (1734). « Considérant que les armes de la ville sont déchirées en entier et que le cadre qui les soutient est entièrement pourri, Messieurs de la Communauté de ville jugent à propos de supplier Monseigneur l'Intendant de permettre qu'on fasse faire un écusson et un cadre nouveaux ». On ignore absolument dans quel endroit était cet écusson. 

La même année, Lannion était imposé de trois mille livres pour sa part de la Capitation de la province. 

En 1735, on recommença la restauration de l'ancienne chapelle de Sainte-Anne avec les produits des dots des nouvelles professes. 

Revenons maintenant à la famille de Lannion. Hyacinthe Gaëtan, sire et comte de Lannion, baron de Malestroit, pair de France, vicomte de Rennes, Marquis d'Espinay, seigneur de Quinipily, du Cruguil, de Plounévez-Quintin et autres lieux, né en 1718, épousa en 1737 Marie-Charlotte de Clermont-Tonnerre, née en 1721. Celui qui écrit ces lignes a pu voir à l'ancien manoir du Cruguil, habitation traditionnelle de la famille de Lannion, dans l'appartement qu'on nomme encore la Chambre du Baron, le portrait de ces deux personnages. Hyacinthe Gaëtan qui porte « à 3 merlettes, 2 et 1 au champ de gueule » et dont la devise est « Prementem pungo, je presse qui me pique », parait assez âgé. Il a de beaux grands yeux bleus que surmontent des sourcils bien arqués. Son nez fort et sa bouche mince annoncent, s'il en faut croire les fameux principes de Lavater, que ce gentilhomme devait allier beaucoup de finesse à une grande loyauté. Il a dans son portrait la perruque poudrée de son époque et l'uniforme bleu à grands galons d'or avec jabots et manchettes, appelé habit de cour ; il porte en bandoulière le cordon bleu ; la décoration dite du Saint-Esprit brille sur sa poitrine. Son épouse, née Marie-Charlotte de Clermont-Tonnerre, a une expression jeune et attrayante. Ses yeux sont bruns et vifs ; sont nez régulier et gracieux, sa bouche admirablement découpée : le tout est encadré dans un ovale d'une rectitude et d'une grâce parfaites. 

Le quai de Lannion, ou plutôt ce qui servait de quai à cette époque, avait été réparé en 1732, avons-nous dit plus haut. Sept ans plus tard (1739) messieurs de la Communauté de ville trouvant qu'il « conviendrait pour la plus grande commodité du nouveau quay d'y faire une calle pour le bien et l'avantage du commerce », soumirent à l'intendant de la province un projet en ce sens, projet qui ne fut mis à exécution que bien plus tard. Nous avons déjà parlé du papegault ou joyau. Ce jeu était encore en vigueur à Lannion en l'an 1740, et il existe aux archives une pièce intitulée « Rolle des noms des nobles, bourgeois et habitants de la ville de Lannion qui ont droit de tirer au joyau le premier may 1740 ». Les premiers qui devaient tirer étaient les magistrats : Monsieur le Gouverneur. Monsieur le Syndic. Le Roy (du papegault). Le vieux Roy (du papegault). Le Connétable. Messieurs les Miseurs. Messieurs les anciens Syndics. Monsieur le Greffier. Qu'était ce connétable?. Quant aux miseurs, on sait que c'étaient les receveurs municipaux de l'époque ; ils recevaient une remise proportionnelle à leurs recettes. Il est bon de remarquer le respect qu'on avait alors pour les anciens magistrats que quelque échec avait probablement écartés de l'administration ; ainsi on voit ici que les anciens syndics tiraient avant M. le Greffier en charge, et avant  le « publicq ». Parmi les tireurs dont le tour ne venait qu'après, on remarque ces noms encore très-communs à Lannion après plus d'un siècle : « Tadier, Leflem, Pollard, Lesidaner, Cam, Simon, Noël, Le Guern, L'helicon, Bahic, Le Borgne, Perrin, Pezron, Geoffroy, Hamon, Le Gall, Le Bris, Le Ménou, Prigent, Huon, Le Bellec,  etc., etc. ». On tira encore au joyau pendant les années 1742, 1743, comme le prouvent les listes des tireurs de ces années qui existent encore. Chaque année un nouveau rôle était fait ; certains tireurs, éliminés ; d'autres, reçus. 

A cette époque le quai avait une tout autre apparence qu'aujourd'hui, il était orné d'une « demi-lune, avec allées beschées et honnestement sablées ». Le quai planté d'aujourd'hui n'avait alors que cinquante plants et une barrière en bon bois de chêne franc, sec et bien conditionné et passée d'une couche de peinture à l'huile. (1746). Il y avait aussi à cette époque une barrière à l'entrée du pont de Kermaria, qu'on fermait à clef tous les soirs, afin d'empêcher les voleurs ou gens de cette espèce de pénétrer de nuit dans la ville ; cela rappelle les chaînes qu'à la même date on tendait à l'entrée des rues dans la capitale. 

Plusieurs auteurs ont pris plaisir à dire que les communautés religieuses étaient de petits états despotiques dont l'abbé ou l'abbesse était le tyran, et les frères ou soeurs les victimes. Les pièces que nous allons transcrire ici, vont montrer que pour la simple pagination d'un registre d'une communauté de femmes, la supérieure était obligée d'être autorisée par ses sœurs. Or, de deux choses l'une, ou ces critiques ne connaissaient pas l'organisation intérieure de ces communautés et alors il était tout à fait mal à eux de prononcer sur ce qu'ils ne connaissaient, pas ; ou ils la connaissaient, et alors ils ont trompé sciemment leurs lecteurs et commis ce qu'on appelle vulgairement un mensonge. Mais venons-en à notre citation. « Nous, Soeur Claude-Renée de Cresolles de Saint-Yacinthe, Supérieure, et nous, Soeurs Françoise Héliès de Saint-Xavier, préfette, Madeleine de la Porte de Saint-Alexis, Marguerite de Trogoff de l'Incarnation, Françoise du Larscoët de Saint-Bernard, Anne-Louise de Cresolles de l'Assomption et Marie-Marguerite de Cuguon de Sainte-Reine, toutes Conseillères et discrettes étant capitulairement assemblées en la manière accoutumée, sommes d'avis qu'il convient pour la déclaration du Roy du sixiéme Avril 1736, registré au parlement de Bretagne, le vingt-deuxiéme Septembre de la même année, qu'il y ait deux registres en papier commun en notre communauté pour inscrire les actes de Vêture (prise d'habit), Noviciat, Profession. Nous dites Religieuses et Conseillères avons prié et prions notre Révérende Mère. Supérieure de chiffrer et millésimer chaque feuillet, conformément à ladite déclaration. Fait en notre monastère des Ursulines ». La réception au noviciat et la profession, étaient suivant les mêmes détracteurs, secrètes et forcées ; les mêmes docteurs en histoire (genre haute fantaisie) ont été jusqu'à affirmer qu'on passait quelquefois de force à la future novice « la cornette blanche » et le « cotillon noir ». L'acte suivant va leur apprendre que la réception au noviciat ne se faisait qu'en présence de la famille de la future novice et seulement après qu'elle avait attentivement examiné les règles et constitutions de l'ordre. — Ces constitutions, si l'on en juge par les résultats, en valaient bien d'antres. « Le sept octobre mil sept cent quarante cinq, été reçu au noviciat des religieuses ursulines de Lannion, demoiselle Aline-Charlotte Mérer, fille de noble homme Henry Le Mérer et Marguerite Le Mérer, ses père et mère ; ladite demoiselle avait volontairement désiré et demandé l'entrée au noviciat, sans suasion de personne. Nous, Claude-Renée de Cresolles de Sainte-Hyacinthe, supérieure, le lui avons accordé de l'avis de notre communauté et donné pour nom de religion soeur Thèrèse de Jésus, laquelle ayant veu et considéré les régles, constitutions et exercices de la Communauté, a volontairement demandé l'habit et d'être reçue au nombre des Soeurs de choeur de cet institut ; il lui a été donné ce jour par messire François Herpe, notre très-digne confesseur, en présence de messieurs les prestres assistants, de mademoiselle sa mère, de monsieur son frère, de mademoiselle sa soeur et autres, lesquels avec ladite novice ont signé le présent acte dans le Parloir de notre Monastère »

La profession, qui était l'acte suprême où l'on se vouait, où l'on prononçait ses voeux, n'exigeait pas moins de formalités. — Dans l'acte suivant il va même être parlé de la pluralité des voix : décidément ces gens-là, avec leurs constitutions et leur pluralité des voix, n'étaient pas tout à fait despotiques ; ils étaient même quelque peu constitutionnels. « Soeur Marie-Thérèse Mérer de Sainte-Angelle, âgée d'environ vingt ans et batisée en la paroisse de Saint-Mathieu en la ville de Morlaix, évesché de Tréguier, a été proposée à notre communauté par soeur Claude-Renée de Cresolles de Saint-Yacinthe, supérieure, et receüe à la pluralité des voix, depuis examinée par messire Yves Salaün, recteur de Ploulec'h, par ordre de M. l'abbé Calloet de Lanidy, vicaire-général de Tréguier, et, ne, s'étant rien trouvé qui pût rendre ces voeux nuls, elle a ce jour cinq juillet mil sept cent quarante cinq, volontairement fait profession en la manière accoutumée en qualité de soeur de choeur, entre les mains de messire François Herpe, notre très-digne confesseur, laquelle profession a été faite selon les règles et constitutions des Ursulines à la Congrégation de Bordeaux, approuvée par le pape Paul V, d'heureuse mémoire, en présence de Mademoiselle sa mère et autres personnes de sa famille, lesquelles avec la dite novice ont signé ce présent acte en notre monastère des Ursulines de Lannion »

Sur le registre des actes de sépulture du même établissement nous voyons que presque toutes les soeurs mouraient dans leur quarantième ou cinquantième année ; plusieurs allaient même jusqu'à la quatre-vingtième. C'est donc ici le lieu de répéter ce que nous disions des moines de Bégard : à savoir que la paix du coeur laissant le corps se consumer lui-même en écartant de lui toute cause de corruption accidentelle, lui permet d'exister très-longtemps. 

Mais quittons maintenant la Communauté des Ursulines et venons en à l'Hôpital-général. Cet établissement, qui n'avait pas de grandes ressources, résolut en 1751 de solliciter du Parlement de Bretagne la jouissance de certains privilèges, accordés depuis longtemps (1686) à l'hôpital de Morlaix. Nous donnons ici cet acte intéressant. « La cour, faisant droit à laditte requête et conclusions du procureur du roi : 1° A authorisé ledit hôpital de Lannion, dans le droit de fournir seul les châsses et bières dans laditte ville et fauxbourgs d'icelle ; fait deffence à  toutes les personnes de l'y troubler à peine de vingt livres d'amende ; 2° Maintient ledit hôpital dans le droit de faire seul le débit de viandes pendant le caresme, si mieux n'aime en céder le privilège à quelque boucher, parce que le prix en sera fixé par les juges des lieux ; 3° A pareillement authorisé ledit hôpital dans le droit de faire des bannies et criées de biens à affermer et à vendre ; des choses égarées et choses semblables ; même de crier aux ventes soit forcées soit volontaires des meubles, qui se feraient dans la ville et les fauxbourgs de Lannion par le ministère des greffiers, huissiers et ailleurs où on le requerra ; 4° A permis audit hôpital de faire, par des personnes qui seront à cette fin nommées, toutes, questes par troncs, de placer troncs et boëttes dans toutes les églises et chapelles de laditte ville, fauxbourgs et place publique, magasins et boutiques des marchands, foires, halles, ponts et passages, même aux occasions de baptesmes, repas, enterrements et tous autres ; 5° Ordonne qu'à chaque réception d'officiers de justice, greffiers et autres personnes sujettes et obligées à prêter serment en justice, il sera payé une somme de trois livres, audict hôpital. Fait en Parlement de Rennes »

La même année (1751) les soeurs hospitalières de Sainte-Anne projetèrent de refaire de leur monastère tout ce qui ne l'avait pas été récemment. Alors deux prétentions rivales s'élevèrent sur la prééminence dans la chapelle en projet ; le Roi, d'un côté, avait son écusson marqué dans la clef de voûte d'une fenêtre ; M. Kerguesay de Kergomar, de l'autre, avait ses armes encadrées dans la rose de la grande verrière ; ainsi chaque partie voulait exclure l'autre de la nouvelle église, alléguant de meilleurs droits. Le sénéchal de Lannion dut faire une enquête ; les commissaires de cette enquête, sans donner raison ni tort à aucune des parties, ordonnèrent de rétablir dans le nouveau monument les marques des deux parties telles qu'elles étaient originairement ; l'édifice commencé l'année suivante, fut achevé en 1753 ; c'est la chapelle actuelle. A peine était-il terminé, qu'il se produisit un incident assez curieux. Nous avons vu précédemment qu'un seigneur de Guesbriand avait cédé aux sœurs hospitalières, dès leur établissement à Lannion, tous ses privilèges sur l'autel de la Trinité. Un seigneur de cette maison, voulant reprendre ce qu'un de ses prédécesseurs avait donné, fit furtivement remettre ses armes dans le pignon de l'autel de N.-S. Jésus-Christ ; mais, dès le lendemain, quelques manoeuvres, aux gages des religieuses, firent promptement justice de cette usurpation. Comprenant que recommencer serait inutile, le turbulent seigneur en resta là.

Au milieu du XVIIIème siècle apparaît dans l'histoire de Lannion un nouveau personnage, grand à sa façon, mais non plus de la même manière que le chevaleresque seigneur du Pontblanc, que les pieux et généreux abbés de Kerisac et de Trémaria : Sa grandeur était entachée de boue comme celle de Louis XV, dont il était le courtisan et dont il voulait être l'imitateur. « Emmanuel-Armand du Plessis de Richelieu, duc d'Aiguillon (c'est sous ce dernier nom qu'il était connu), pair de France, chevalier des Ordres du roi, comte d'Agenois, de Condomois et de Plélo, baron d'Arvet, de Sarsonnet et de Pordic, marchand de Montromel, prévost de Hascoy, maréchal des camps et armées du roi, noble Génois, gouverneur pour Sa Majesté des ville et citadelle de la Fère, etc., etc. », descendait en outre de la famille ducale de Bretagne de Blois. C'était un courtisan licencieux et il ne devait ses faveurs qu'à l'amitié de madame de Châteauroux et à ses liaisons avec la trop fameuse du Barry ; cela seul fait connaître le personnage. Nommé « lieutenant-général du roi en Bretagne et commandant en chef de ladite province », en remplacement du duc de Penthièvre auquel on avait interdit l'entrée de son gouvernement, il s'y fit personnellement détester par sa morgue et son caractère hautain ; mais par son gouvernement intelligent et libéral, il sut conquérir la faveur sinon l'estime de plusieurs villes bretonnes, entre autres de Lannion. En 1775, il y fit son entrée solennelle, avec autant de faste, proportions gardées, que Louis XV en mettait dans ces circonstances. Il est de tradition à Lannion qu'il entra en ville par la rue des Augustins, que fermait encore une porte en bois à cette époque. La communauté de ville autorisa à cette occasion une dépense de quatorze livres, dans laquelle figure une somme de « 4 livres 4 sols pour sept douzaines de crêpes offertes à Monseigneur ». Plus tard elle autorisa une autre dépense de 16 livres (nous verrons plus loin que c'était donner un oeuf pour avoir un boeuf), somme destinée à l'entretien des chevaux dont se servait le duc dans ses fréquentes courses à Perros où l'attirait « la belle Fanchon », jeune et jolie meunière qui demeurait au bourg, mais qui recevait le duc, non dans son moulin, mais dans cette vieille gentilhommière crénelée, à grandes pierres sombres, à toit oblong, qui se trouve à l'entrée de Perros pour le voyageur qui y arrive de Lannion. La chronique va même jusqu'à assurer que ce fut dans le seul but de visiter le plus souvent possible sa bien-aimée maîtresse, que le duc d'Aiguillon fit percer cette route qui conduit de Lannion à Perros : ce qui prouve que si l'amour fait commettre des crimes, il est aussi le motif de bien des grandes choses. Pendant cette année et les deux qui suivirent, il sut se faire aimer presque autant des Lannionnais que de la belle Perrosienne, en promettant à l'une nous ne savons trop quoi, et aux autres des embellissements qu'en effet il réalisa plus tard. Aussi nos volontaires ne furent-ils pas les derniers à se rendre à son appel, trois ans plus tard (1758), quand les Anglais menacèrent nos côtes. Réunis aux troupes du comte d'Aubigné, commandant de la maréchaussée de Tréguier, les volontaires lannionnais contribuèrent puissamment au gain de la bataille de Saint-Cast, après laquelle le duc leur laissa comme trophée un certain nombre de fusils que notre garde nationale portait encore en 1815. L'amoureux de Perros le fut encore devant l'ennemi et l'on prétend qu'à Saint-Cast, pendant le combat, le duc, entré dans un moulin du voisinage, mettait en pratique les leçons de la cour et contait fleurettes à une jeune et jolie meunière ; incident qui fit dire au spirituel procureur général du Parlement de Bretagne, M. de la Chalottais, que le duc d'Aiguillon s'était couvert à Saint-Cast « non de gloire, mais de farine ». Plus tard le duc lui fit cruellement expier ce jeu de mots imprudent. Laissons là pour quelque temps le duc d'Aiguillon et revenons aux communautés religieuses de Lannion. On trouve au greffe du tribunal de Lannion un registre des délibérations capitulaires des soeurs hospitalières de la Miséricorde-de-Jésus de l'Hôtel-Dieu de Lannion.

Nous en extrayons le texte de la profession d'une religieuse, ainsi que la relation du même acte, signée des témoins. On remarquera que c'était la professe elle-même qui devait écrire la profession de sa propre main. « Au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, en l'honneur de sa très-sainte Mère, de son glorieux époux saint Joseph, de notre bienheureux père saint Augustin et de toute la Cour Céleste. Je, sœur Anne-Louise Bernard, ditte de Sainte-Agnès, voue et promest à Dieu, pauvreté et obéissance en perpétuelle clôture, et de m'employer au service des pauvres tous les jours de ma vie ; le tout selon la règle de cet Institut de la Miséricorde-de-Jésus, approuvé par notre Saint-Père le Pape Alexandre VII et sous l'autorité de monseigneur l'Illustrissime et Révérendissime Jean-François Dondel, évêque et comte de Dol, en présence de messire Julien Luévé, prêtre confesseur et directeur de la communauté des Carmélites de Morlaix, fondé en pouvoir par messire Gabriel de Kerousy, prêtre, ancien prieur de la Sorbonne, chanoine, grand archidiacre, vicaire général de Dol et de Tréguier, notre très-digne supérieur, en présence aussi de la révérende mère Marie Lissillour de Sainte-Thérèse, supérieure de ce monastère ; en foy de quoy je signe le présent, écrit de ma propre main ; à Lannion, ce jour quinzième septembre, l'an de notre salut, mit sept cent soixante. (Signé d'une main ferme) : Soeur Anne-Louise, ditte de Sainte-Agnès ». Suit l'acte de relation dont nous venons de parler plus haut. « Ce même jour, soeur Anne-Louise Bernard, ditte de Sainte-Agnès, fille légitime de noble homme Pierre Bernard et de demoiselle Victoire Marzin, sieur et dame de Basse-Ville, demeurant en la ville de Morlaix, paroisse de Saint-Melaine, évêché de Tréguier, ses père et mère, a fait profession en ce monastère comme religieuse de choeur, âgée de vingt et trois ans quinze jours, en présence de messire Julien Luévé, prêtre, confesseur et directeur de la communauté des religieuses Carmélites de Morlaix, lequel a aussi prêché, fondé en pouvoir par messire François Gabriel de Kerousy, prêtre, ancien prieur de la Sorbonne, chanoine, grand archidiacre, vicaire général de Dol et de Tréguier, notre très-digne supérieur ; le tout reconnu et attesté par les soussignants ».

Revenons maintenant au duc d'Aiguillon. Cette même année 1760, il présida à Nantes les Etats de Bretagne et y fit voter une somme de 1500 livres à madame la duchesse d'Aiguillon, ainsi qu'à madame la duchesse de Rohan. Les deux gentilshommes nommés dans cette session pour faire l'examen de leur ordre dans l'évêché de Tréguier, furent MM. de Kergariou et de Kergomar, tous deux Lannionnais. Après la session de cette année, le duc d'Aiguillon vint à Lannion revoir sa belle Perrosienne et se reposer des plaisirs débilitants dont il avait probablement abusé à Nantes comme à Paris, plaisirs qui avaient gravement compromis sa santé. Son premier acte à Lannion fut de conseiller à la municipalité de faire abattre le clocher du Baly qui menaçait ruine, conseil que s'empressèrent de suivre MM. de Lannion. Comme sa maladie empirait, il lui fut conseillé sans aucun doute par quelques médecins lannionnais, d'essayer des eaux minérales de Lannion, ce dont il se trouva fort bien, au grand étonnement de son médecin (nota : ces eaux, situées sur le quai, rendirent encore la santé à un grand homme, Duguay-Trouin). On rapporte que dans une de ses crises, il fit intimer l'ordre à la municipalité d'avoir à faire raser sur-le-champ les arbres du quai planté qui, disait-il, l'empêchaient de respirer à l'aise : il demeurait alors sur le quai, afin d'être à proximité des eaux minérales dont il faisait usage. La municipalité obéit. On peut et l'on doit même pardonner au duc cet acte qui est plutôt celui d'un malade que d'un despote, en raison des améliorations qu'il fit à Lannion. 

C'est pendant sa convalescence qu'il apprit à connaître les besoins de la localité, qu'il conçut le plan de ces utiles travaux qui firent de l'ancienne ville fortifiée une ville dans le goût nouveau, et qu'il en exécuta même une partie. Un homme d'un certain mérite en architecture civile, mais d'une parfaite nullité en architecture religieuse, M. Auffray, dirigeait tout sous ses ordres, redressait une rue, en pavait une autre, en repavait une troisième, réédifiait les murs d'enceinte du cimetière du Baly, murs dont on voyait encore la totalité, il y a à peine une dizaine d'années, enfin comblait le Pavé-Neuf, qui n'était rien autre chose alors qu'une immense douve, triste reste des fortifications de la ville, et y plantait, sur la terre charriée, les arbres que l'on y voit aujourd'hui et qui ont fait surnommer une partie de cette promenade l'Allée-Verte. Mais sa création la plus importante fut le quai de Lannion. Le quai d'Aiguillon, comme on devrait l'appeler, est ce que les Lannionnais appellent le quai non planté. Nous ne pouvons mieux faire, pour donner au lecteur une idée juste de ce qu'on projetait alors, que de citer les délibérations de la communauté de ville qui y sont relatives. « Délibération du 9 février 1762. La communauté de ville assemblée au son de la campane (du beffroy) et délibérant en la manière accoutumée est d'avis de suivre les devis et arrangements du quay dressés par M. Magin ; que M. Couppé, le maire, fasse sous peu les approvisionnements de matériaux nécessaires ; de s'entendre avec le sieur Frotter, entrepreneur, pour le prix qu'il conviendra lui donner pour veiller à l'exécution des travaux du quay ; et ont les susdits délibérants statué de faire élever au milieu du nouveau quay un obélisque qui servira de fontaine, lorsqu'on aura par la suite les moyens d'en faire la dépense ; et que cet obélisque portera les armes du duc d'Aiguillon, et qu'avec sa permission on donnera son nom au quay ». « Délibérations du 19 juillet 1762. A l'endroit nous a été représenté par M. Couppé, l'inscription ci-après, que la communauté est d'avis d'être mise sur la pierre destinée à recevoir ladicte inscription dans les fondements du quai d'Aiguillon : « Aiguillone duce favente Comitiis Armoricis largientibus, portus hic, augendis ditandisque comerciis, structitur, anno M.DCC. LXII. Et sont de plus d'avis de réitérer leurs prières à M. le duc d'Aiguillon de mettre la première pierre ». L'inscription latine précédente peut se traduire : « Sous les auspices du duc d'Aiguillon et avec les dons des Etats de Bretagne, ce port fut construit l'an 1762 pour agrandir et enrichir le commerce de cette ville ». Cette inscription a été trouvée en 1851, lorsqu'on répara le quai ; elle était gravée en lettres creuses sur une plaque de cuivre soudée à une pierre rectangulaire ; cette plaque tombait en pièces au moindre froissement, tant elle était oxydée. Quant à l'obélisque, peut-être n'a-t-il jamais été érigé, car aucun des anciens, ni de leurs fils ne se souvient de l'avoir vu ni même d'en avoir entendu parler. 

Enfin le grand jour, le jour de la pose de la première pierre arriva : c'était le 25 février 1762. Dès la plus fine aurore, on tira du canon ; toute la ville était déjà sur pied. Vers neuf heures, un incident fâcheux faillit troubler la cérémonie. Les Ordres et les Corps étaient réunis à l'Hôtel de ville. Une question de préséance qui se renouvelait sans cesse ne pouvait manquer de surgir de nouveau dans une si grave circonstance. MM. les juges de la cour de Tréguier, au siégé royal de Lannion, réclamèrent le pas sur MM. de la Ville « Vous aurez la droite, disaient ceux-ci, mais nous prendrons la gauche. — Nous marcherons seuls », dit le sénéchal Trémel, jaloux des droits de son Ordre. Et sur ce, la magistrature sortit la première. L'échevinage furieux broche alors une protestation dont l'écriture et les signatures à peine lisibles attestent les passions qui l'agitent. La milice bourgeoise attendait. Le maire, qui la commande, donne avec une grande présence d'esprit quelques ordres aussitôt exécutés. La première compagnie, dont M. Riou est le capitaine, ouvre les rangs à MM. de la Cour, et prenant par la Rue-Neuve, aujourd'hui le Pavé-Neuf, se dirige vers le Porchou pour y prendre Mgr le duc d'Aiguillon. La deuxième, commandée par M. de Vistorte, va servir d'escorte au clergé et descend par le Baly et la Rampe de l'Eglise. La troisième que commande M. de Miniac, doit accompagner la communauté de ville et sortir par la rue de la Ripve. De cette manière tous vont se trouver sur la grève, et venus par des chemins différents, nul n'aura eu le pas. 

Le coup d'œil, à cette époque, n'était plus le même qu'aujourd'hui. Une grève aride et vaseuse longeait les maisons où plutôt les murailles dans lesquelles s'ouvrait une porte dite de la Ripve ; à droite on voyait les ruines du château, à gauche le couvent du Porchou, à la tête du pont de Sainte-Anne un vieux moulin et un four de l'autre côté de l'eau, et enfin Sainte-Anne au milieu de ces marais. Tel était l'amphithéâtre où se groupait ce jour-là un peuple nombreux, venu de la ville et des campagnes avoisinantes. Les trois compagnies, se groupant devant les Augustins, reçoivent le duc et le cortège. Le demi-cercle se forme. M. Noël, recteur de Lannion, après les prières et bénédictions d'usage, remet la truelle d'honneur au héros de la journée qui en touche légèrement la pierre blasonnée, où brille sur la lame de cuivre poli, l'inscription votée que couronnent des lis avec des hermines ; puis il prend des mains d'un jeune enfant (nota : cette enfant s'appelait Pierre Le Bras ; il est mort octogénaire, et nos concitoyens le connaissaient sous le surnom de Dupré), vêtu en blanc ad hoc, un marteau d'argent enrubanné, avec lequel il frappe doucement la pierre travaillée. — On voit que le courtisan de Versailles savait quelque peu imiter son maître. M. Couppé de Lestimber, maire depuis le 9 janvier de cette année, s'avança ensuite et s'exprima en ces termes : « On sçait les services mémorables que les grands hommes de votre maison ont rendus à l'Etat, mais on ressent encore mieux ceux que vous lui rendez vous-même. Ce n'est pas assez pour vous, Monseigneur, d'exposer votre santé et votre personne pour la sûreté de la province, vous travaillez encore à la rendre heureuse dans les temps même les plus critiques. Parmi les arts que vous protégez dans cette vue vous avez distingué le commerce comme le plus intéressant, et si tous les temps ne sont pas favorables pour son rétablissement, les obstacles qui s'opposent au bien sont faits pour exercer une âme ferme qui met principalement sa gloire dans les services rendus à l'humanité. Qu'il est doux aux habitants de Lannion d'avoir tant de part aux bienfaits que vous donnez à publier à la renommée ! Oui, Monseigneur, la ville de Lannion vous devra l'activité de son commerce ; elle vous devra d'être un jour de quelque considération dans la province, et ces ouvrages, qu'on va commencer sous vos auspices, redoublent la confiance que nous avons fondée sur votre puissante protection. Que le ciel exauce nos voeux, qu'une vie longue, une santé parfaite vous affermissent, Monseigneur, dans ce rang éminent où vous continuez de rendre à la province des services si dignes de sa reconnaissance et du souvenir de la postérité ! Qu'enfin les jours de votre commandement ayent aussi peu de bornes qu'en ont notre amour, notre soumission et notre respect ! Pour comble de grâces, nous vous supplions de mettre la première pierre à notre port ; il sera votre ouvrage et votre main seule peut lui donner de la solidité ». Nous n'avons pas la réponse faite à ce discours, mais nous pouvons affirmer qu'elle fut flatteuse et bienveillante ; dans ses relations épistolaires avec nos magistrats municipaux, voici la formule qu'affectionnait le duc d'Aiguillon : « Personne ne vous honore, Messieurs, plus véritablement et plus parfaitement que moi ». Cependant le canon tonnait toujours sur la levée et sur le haut de l'antique tour du Baly. Le cortège se mit en marche, ramenant le duc au couvent du Porchou, devenu son hôtel. Le quai de Lannion venait de sortir de l'onde ! Le soir on dansa, on banqueta, il y eut des illuminations. Le duc demeura encore quelques jours à Lannion. 

Comme nous l'avons dit plus haut s'est au couvent des Augustins que ce petit Louis XV tenait son Louvre. Pendant les repas, les portes étaient ouvertes, les dames et les notabilités circulaient autour du couvert, — précisément comme au dîner du roi. Quels sont ces jolis enfants ! demanda-t-il un jour en apercevant parmi la société un charmant trio nain. — Ce sont les enfants du maire, M. Couppé, lui répondit-on. Aussitôt de les faire approcher et de les combler de caresses et de bonbons. De ces trois enfants, l'un M. Gabriel Couppé, longtemps mêlé aux évènements politiques de notre pays, a laissé le souvenir d'une vie pleine de droiture et d'honneur. L'autre, connu sous le nom de l'abbé Couppé, s'est acquis par son esprit et ses distractions remplies d'originalité, une réputation qui n'est pas encore éteinte. Leur soeur, morte en 1849, presque centenaire, regrettée des pauvres qu'elle aimait, joignait à beaucoup d'esprit une vive bienfaisance et pratiquait la plus généreuse hospitalité.

Continuons maintenant l'historique de Lannion. Maintenant que nous avons parlé de l'administration civile de Lannion, étudions son administration religieuse. Dans la seconde moitié du XVIIIème siècle, la situation financière de l'église paroissiale de Lannion était florissante ; cela n'est pas étonnant, on était près de la Révolution, et l'on n'est jamais plus riche qu'avant d'être ruiné. Ses biens, comme ceux de tout établissement religieux, étaient de deux natures : les fondations et le Casuel. On sait qu'on appelle fondations des messes fondées et par extension la rente sur un bien quelconque qui sert à alimenter cette messe. Le Baly avait alors une grande quantité de ces sortes de rentes ; et il n'y avait guère de rue à Lannion qui n'eût une maison chargée d'une de ces dîmes ; en Trégastel et ailleurs, il y avait plusieurs champs donnés à « la Fabrice » par testament. Ces revenus étaient administrés par trois procureurs, gérant, chacun pendant un tiers de l'année, ce qu'ils appelaient assez improprement leur quartier. Un trésorier leur était adjoint ; il jouissait de certains privilèges, assez importants, entre autres l'exemption de certains droits. Le casuel, on produit des quêtes et des troncs était administré par trois fabrices (fabriciens) délégués par leurs confrères, auxquels ils rendaient compte chaque année de leur administration. La manière dont ils justifiaient de leur encaisse était absolument la même, comme on va le voir, que celle dont font usage aujourd'hui les percepteurs vis-à-vis des communes ; car la comptabilité dans son principe ne change pas. Par le compte en charge ils exposaient ce qu'ils avaient reçu ; par le compte en décharge ils justifiaient de ce qu'ils avaient payé. Le compte de cette nature que nous allons transcrire ici, donne sur les objets religieux du Baly les détails les plus intéressants. Compte en charge et en décharge que fournissent à l'église de Saint-Jean du Baly, paroissiale de Lannion, messieurs de Fontaine-Gué, Le Tensorer et Jannou, de leur gestion pendant l'année 1762, en qualité de fabrices (fabriciens) de laditte église.  

Charges

Produit du casuel des cierges pendant les six premiers mois de l'année .......  

 

Pareil produit du casuel des cierges pendant les six derniers mois.........

Anciens restaux (restes) du casuel du dernier mois.....

Produit des troncs ouverts le 25 juillet et le 31 octobre ...

Produit de deux quêtes de l'Enfant Jésus et du dimanche de Pâques.....

Du tronc de la Bonne-Nouvelle ouvert le 14 avril ....

                                                           Total de la charge...       

296 livres 2 sols

211 livres 10 sols

15 livres 4 sols

522 livres 78 sols

23 livres 7 sols

85 livres 8 sols

1157 livres 09 sols  

Décharges

Payé au sacriste (sacristain) du Baly pour son année .......  

 

Au porte-croix.........

Au distributeur de pain bény.....

Au sieur Le Bris, marchand, pour coton, huile, charbon, chandelles et ...

A la femme du sacriste pour avoir blanchi le linge de l'église pendant l'année.......

Pour le bois du feu de St-Jean ; pour le faire construire ; pour faire relier des processionnels et des missels....  

Au sieur Forestier, cirier, pour ses six derniers mois ...

En timbre et papier pour les quatre cahiers de l'église .....

Pour les deux breffs de la sacristie ...

A Marguerite Le Coz, à l'occasion de l'oratoire ...

A Jean Boubinet pour quatre journées aussi à l'oratoire ....

A M. Morvan, prêtre de Brélévenez, pour avoir été prendre les saintes Huiles à Tréguier ...

Pour les grandes subventions de la grande fabrique ....

Au sieur Cadillon pour l'huile de la lampe pendant l'année....

                                                           Total de la décharge...       

50 livres

6 livres

4 livres

6 livres 7 sols

54 livres 8 sols

23 livres

197 livres 3 sols

4 livres 7 sols

16 livres

1 livre 10 sols

4 livres 2 sols

364 livres 13 sols

16 livres 

60 livres

807 livres 10 sols  

Nous avons vu dans le compte en décharge qu'il avait été payé 54 livres 8 sols « à la femme du sacriste pour avoir blanchi le linge de l'église pendant l'année ». La quittance détaillant ce compte donne une idée exacte du linge que possédait alors le Baly ; c'est pourquoi nous la transcrivons ici. Liste des linges que la femme du sacriste a lavés pendant l'année 1762.

20 aubes à 12 sols chacune .......  

 

3 rochets aux enfants de choeur, à 7 sols chaque.........

18 nappes d'autel à 10 sols chaque.....

34 douzaines de corporaux à 1 sol chaque ...

10 douz. de purificatoires à 6 sols la douzaine.....

15 arnits à 1 sol chaque ....  

21 cordons à 15 sols chaque .....

5 essuie-mains à 1 sol chaque ....

2 nappes pour les credences, à 4 sols chaque

                                                           Total ....       

12 livres

              21 sols

9 livres

1 livre     14 sols

3 livres

               15 sols

15 livres  15 sols

                5 sols

                8 sols

43 livres 18 sols  

 

MM. les fabriciens n'ignoraient pas les devoirs de la reconnaissance. En effet, nous les voyons prier, par l'organe de M. le maire Saint-Hugueon Le Bourva, « Sa Grandeur le duc d'Aiguillon de vouloir bien nommer la grosse cloche du Baly, avec madame la duchesse d'Aiguillon (1763) »

 

Ces détails sur le Baly nous conduisent à parler des autres établissements religieux de Lannion. Nous avons dit plus haut que la chapelle de Sainte-Anne avait été reconstruite. Bientôt les religieuses trouvèrent avec raison que les anciens bâtiments du couvent faisaient bien triste figure auprès de la nouvelle chapelle. Aussi résolurent-elles de restaurer le monastère ; mais pour décider qui paierait les frais, ou de la communauté de ville ou du roi, il fallut entrer en litige (1767). L'affaire traîna en longueur pendant plusieurs années ; enfin, après bien des débats, le différend se partagea par la moitié et il fut décidé que les dépenses de la bâtisse seraient à la charge des deux parties. Les plans et devis des réparations à faire furent présentés par l'architecte Auffray, cet homme de l'art qui n'eut jamais dû bâtir que des magasins, et qui élevait des granges après avoir promis des églises. Un autre établissement religieux, l'Hôpital-Général obtint vers ce temps un grand privilège ; en effet, le papegault ayant été aboli dans toute la France (Saint-Malo excepté et par conséquent à Lannion, les privilèges attachés à cette institution à Lannion, furent transférés à cet hospice. 

 

Hyacinthe Gaëtan, comte de Lannion, mourut en 1762. Jetons à la hâte un coup d'oeil rétrospectif sur la vie de ce grand homme. Nommé colonel au régiment de Médoc, en 1740, maréchal de camp en 1748, il présida, en 1752, l'Ordre de la noblesse aux Etats de Bretagne, où, dit un anonyme, il eut besoin « de toute sa flexibilité et son adresse », pour remettre dans l'obéissance du roi son ordre turbulent. En 1757, il fut appelé à la charge de lieutenant-général et, peu après, du gouvernement de Minorque qu'il quitta bientôt pour aller prendre part à la campagne d'Allemagne (1758). Il retourna ensuite à Minorque où il mourut, en 1762, laissant une veuve et deux filles. Sa veuve était « très-haute et très-illustre Madame Marie-Charlotte de Clermont-Tonnerre, dame du marquisat de Crevecoeur, du comté de Manivelette et de la terre et ville de Faucon, en Picardie, vicomtesse de Meaux, comtesse de Clermont, première baronne du Dauphiné, dame de Tullins et autres lieux ». L'aîné de ses filles était Félicité-Sophie de Lannion, Elle avait épousé, en 1764, « très-haut et très-illustre Monseigneur François-Alexandre-Frédéric de la Bochefoucaud, duc de Liancourt, grand maître de la garde-robe du roy, en survivance seigneur de Crevecoeur et autres lieux, colonel d'un régiment de dragons de son nom et par son mariage, seigneur de Baud, Camors, Quinipily et autres lieux ». Il devint plus tard pair de France. Sa seconde fille, Pulchérie-Eléonore de Lannion, avait épousé, en 1766, « très-haut et très-puissant seigneur monseigneur  Charles-Armand Pons, vicomte de Pons, brigadier des armées du roy et mestre de camp, capitaine d'un régiment de cavalerie de son nom, fils de très-haut et très-illustre seigneur monseigneur Constant Pons, comte de Pons ». Armand de Pons devint par son mariage « comte de Clermont et à ce titre duc et pair, marquis de Soubran et de Cleon, baron de Champleaux, seigneur du Poisrier et de Saint-Pompaien, et autres lieux » ; et fut nommé dans la suite « menin de monseigneur le Dauphin, premier baron connétable, grand maître du Dauphiné et premier commis de ladite province ». Il avait fait en 1744 la guerre sur le Danube sous le commandement de « son Altesse électorale monseigneur le duc de Bavière ». C'est en parlant de cette dernière famille que Henri IV disait : « Si je n'étais sire de Bourbon je voudrais être sire de Pons ». Ce nom de Pons se trouve également dans le catalogue que fit faire Philippe-Auguste des bannerets de la province de Saintonge. 

 

On voit que le nom de Lannion, dès le milieu du XVIIIème siècle, n'était plus porté que par des filles ; il devait donc s'éteindre : c'est ce qui est arrivé. — Nous rattacherons plus tard en ceci le passé au présent. A la mort de Gaëtan, sa femme et ses filles rendirent l'aveu suivant : « Mynu et déclaration que fournit noble maitre Gilles-Marie de la Guittière, avocat au parlement de Rennes, demeurant en ladite ville, paroisse de Saint-Aubin, et à présent à Lannion, chez le sieur Kerprigent-Riou, paroisse de Saint-Jean du Baly, faisant, agissant, stimulant et garantissant pour très-haute et très-puissante demoiselle mademoiselle Sophie-Félicité de Lannion et très-puissante demoiselle mademoiselle Pulchérie-Eléonore de Lannion, émancipées de justice, filles autorisées de très-haute et très-puissante madame Marie-Charlotte-Félicité de Clermont-Tonnerre de Lannion, leur mère et curatrice honoraire, et noble sieur Joseph Roussel, avocat au parlement de Paris, leur curateur onéraire, des terres, héritages, rentes féodales et convenancières, relevant noblement de la seigneurie, fiefs et juridiction de Launez-Nevet,  eschues et advenues à mesdemoiselles de Lannion par le décès, arrivé le 2 octobre 1769, à l'Isle de Minorque, de très-haut et très-puissant seigneur Hyacinthe Gaëtan, comte de Lannion, en son vivant chevalier des ordres du Roi, lieutenant-général de ses armées, gouverneur de la province de Minorque et des villes de Vannes et d'Auray, et leur père, dont le rachapt est dû à très-haute et très-puissante dame Marie-Thérèse-Joseph-Corenthine d'Evreux, veuve de très-haut et très-puissant seigneur Jean-Antoine-François de Franquelot, chevalier seigneur, comte de Coigny, chevalier des ordres du Roy, lieutenant-général de ses armées, colonel-général des dragons de France, gouverneur de la Maison royale de Choisy, capitaine des chasses de Sa Majesté pour la vesnerie du Louvre, gouverneur et grand baillif des ville et château de Caen, laquelle unique héritière principale de noble et très-puissant seigneur Malodu, chef de nom et d'armes du Launez-Nevet, chevalier, marquis audit lieu Pouldouroud et autres terres, résidant ordinairement en son hôtel à Paris ». Après la fastidieuse énumération de trente-neuf convenants, dans laquelle nous ne voyons rien à signaler, l'acte se termine ainsi : « Lequel mynu et déclaration, ledit sieur de La Guittière, auxdites qualités, fait et fournit pour mettre le receveur de ladite seigneurie de Launez-Nevet, en état de jouir des deux tiers d'une levée des choses ci-dessus déclarées, si mieux n'aime rembourser le tiers demeurant et faire la levée lui-même. En outre pour le douaire de madame la comtesse de Lannion, grand'mère de mesdites demoiselles de Lannion, et pour le douaire de madame Clermont-Tonnerre, comtesse de Lannion, mère desdites demoiselles de Lannion., il faut faire déduction d'un tiers sur les deux tiers dont le rachapt est dû pour le décès dudit seigneur comte de Lannion ». Cette pièce est signée : Gautier de la Guittière, notaire royal ; Deminiac, notaire royal apostolique ; Le Bihan, procureur fiscal de Launez-Nevet. Cela nous apprend qu'il y avait dans chaque juridiction trois hommes de lois ; un notaire civil, un notaire apostolique, un procureur fiscal, et nous ne comptons ici ni le receveur proprement dit, ni les juges. On comprend que ces hommes instruits étaient, pour ainsi dire, un foyer de lumière pour le pays ; et comme ces foyers étaient assez rapprochés puisque les juridictions étaient peu vastes, il s'ensuit qu'avant la révolution, les campagnes étaient loin d'être aussi ignorantes qu'on a bien voulu le dire ; il s'ensuit, oserons-nous même dire, qu'elles l'étaient presqu'autant qu'aujourd'hui, où le personnage le plus instruit de la commune est, après le curé, l'instituteur (quand il y en a). 

 

Que si nous poussons plus loin nos investigations, nous trouverons aussi véridiques les auteurs qui ont raconté le peu d'indépendance que l'on laissait alors aux municipalités. C'est ainsi qu'on voit le maire de Lannion, M. Le Bricquir du Meshir, signifier à M. de Kergariou, chevalier de Coatilliau et gouverneur de Lannion, personnage qui avait entrée et voix délibérative dans la communauté, « d'avoir désormais à ne plus s'immiscer aux affaires de la communauté comme gouverneur de Lannion ». Il paraît même que ces municipalités antérieures à la révolution étaient assez zélées pour le bien de la ville ; aussi nous voyons que des maisons et baraques, couvertes de lande et de genêt, ayant été construites près du quai de Viarmes, l'ingénieur en chef, sur la demande du maire, ordonna de les démolir, « à cause de leur indécence », dit l'arrêt (1773). Nous voyons encore que la même année, M. Le Bricquir du Meshir, député à Morlaix par la communauté de Lannion pour prendre part aux délibérations des Etats de Bretagne sur la capitation de la province, y demanda et obtint sans trop de peine la permission de percevoir certains octrois à Lannion (ce qui en privait le trésor), pour le produit en être affecté aux réparations urgentes du pont de Sainte-Anne.

 

Outre les registres dont nous avons parlé, il existe encore au greffe du Tribunal de Lannion un registre de la communauté des Capucins de la même ville, commençant à l'an 1775. La première page de ce registre que nous transcrivons ici, prouvera une fois de plus que le chef d'une communauté ne peut même paginer un registre sans l'autorisation du chapitre. « L'an mil sept cent soixante et quinze, le vingt-deuxième jour du mois de décembre, a comparu devant nous révérend frère Antonin de Tréguier, gardien du couvent des Capucins de Lannion, et devant la communauté assemblée, le très-révérend père François-Marie de Morlaix, maître des novices, lequel nous a présenté un registre in-folio, couvert de parchemin, contenant seize feuillets, pour insérer les actes de vêture et de noviciat, suivant déclaration du Roy du neuvième avril mil sept cent trente et six, afin nous plût le cotter et paraphier comme il est porté par ladite déclaration ; sur quoi ayant requis les religieux de la communauté, afin qu'ils eussent à nous autoriser à le faire, ils ont déclaré qu'il nous autorisent ; en conséquence, nous avons cotté et parafé tous les feuillets du présent registre le même jour et an que dessus et avons fait signer avec nous le présent acte par deux anciens de la communauté ».

 

Nous allons faire passer successivement sous les yeux du lecteur la relation de la prise d'habit d'un capucin, la relation de la profession du même, enfin sa profession elle-même. Et d'abord la relation de la prise d'habit : on remarquera qu'elle est rédigée par le maître des novices capucins et signée des témoins. « L'an 1775, le vingt-troisième de décembre, à quatre heures et demie du soir, nous frère François-Marie de Morlaix, vicaire et maître des novices capucins, ayant reçu les ordres du révérend père Jean-François de Morlaix, provincial des capucins de la province de Bretagne, pour donner notre saint habit au nommé Bonaventure Mahon, de la paroisse de Saint-Gildas des Bois, au diocèse de Nantes, qui a été reçu par les pères de la communauté, du Croisic, nous le lui avons conféré avec les cérémonies accoutumées sous le nom de frère Emmanuel de Guérande, en qualité de clerc, le même jour et an que dessus, en présence des témoins soussignés ; en fois de quoy il a signé et les témoins le présent acte et verbal. Frère François-Marie de Morlaix, capucin, vicaire et maître des novices. Frère Antonin de Tréguier, capucin, gardien. Frère Emmanuel de Guérande. Kergariou de Kergrist (et autres) ». Passons ensuite à la profession ; elle se faisait, on ne l'ignore pas, après un an de noviciat. Il faut remarquer qu'elle devait être faite « sans restriction même mentale », et que le novice répondait aux interrogations du maître des novices capucins, les mains étendues sur les saints Evangiles. « Le vingt-cinquième mai 1777, en ce couvent des Capucins de Lannion, frère Fidèle de Morlaix, novice clerc, capucin, constitué devant nous frère François-Marie de Morlaix, vicaire et maître des capucins, en présence des témoins soussignés appelés à cet effet dans notre chambre, ayant accompli l'an entier de probation avant de faire sa profession régulière et solennelle dans notre religion des Capucins, fut interrogé par moi s'il prétendait la faire volontairement, librement, de plein gré, avec une vraie intention de s'obliger devant Dieu et les hommes par les vœux de chasteté, pauvreté et obéissance à ladite religion des Capucins, et s'il n'a pas été induit à la faire par quelque contrainte que ce soit, violence ou menace qui lui aurait été faite par ses père, mère, parents ou autre personne que ce soit, séculière ou régulière, et s'il n'a pas empêchement canonique ou régulier ou infirmité contagieuse et incurable, ou autre quelconque qui puisse empêcher la validité de la profession qu'il doit faire, et s'il prétend la faire avec un libre et plein consentement, total, sans aucune fraude, fiction ou condition même mentale, lui protestant qu'à l'avenir il ne pourra objecter aucune excuse ni prétendre cause d'ignorance, ayant été averti et avisé de ce que dessus, et lui enjoignant qu'il en ay à répondre et à confirmer sa réponse par serment, jurant sur les saints Evangiles à lui présentés à cet effet comme il jura en effet et répondit comme il est ci-dessous écrit de sa propre main. Ce jour, vingt-sixième de mai 1777, au couvent des Capucins, frère Fidèle de Morlaix, clerc novice capucin, répondit comme il s'ensuit : Moi frère Fidèle de Morlaix, clerc novice capucin , entend, déclare, proteste par serment devant vous, mon père, en présence des témoins soussignés, que comme finit aujourd'hui le temps de ma probation et que je dois faire ma profession solennelle dans cette religion, j'entend, je dis et proteste la faire volontairement, librement, de plein gré, avec une vraie intention de m'obliger devant Dieu et devant les hommes par les voeux de pauvreté, chasteté et obéissance dans ladite religion des Capucins, je déclare pareillement n'être induit, ni persuadé, ni forcé à la faire par aucune contrainte ou révérentielle ou cadentem in constantem virum, ni par force, violence ou menaces qui m'aient été faites par mes père, mère, parents ou quelque autre personnes séculière ou régulière que ce soit ; je déclare encore et proteste n'avoir aucun empêchement canonique ou régulier, ni maladie contagieuse ou incurable, ni autre qui empêche la validité de la profession solennelle que je dois faire et que j'entends faire sans aucune fiction ou condition même mentale, ainsi Dieu me soit en aide et les saints Evangiles que je touche ; en foi de quoi j'ai écrit les présentes de ma propre main, fait ce jour et an que dessus au couvent des Capucins de Lannion. Frère Fidèle de Lannion. Frère Yves de Guingamp, capucin. Frère Jean-Baptiste l'Evangéliste de Guingamp, capucin, prêtre. Frère François-Marie de Morlaix, capucin, vicaire et maitre des novices ». Nous donnons ensuite la profession elle-même qui, connue nous l'avons dit plus haut, devait être prononcée à haute voix par le novice, écrite de sa propre main sur le registre de la communauté. « Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ et de la bienheureuse Vierge-Marie et de notre séraphique père Saint-François, moi frère Fidèle de Morlaix, clerc profès capucin, nommé au monde Fiacre Guernegou, âgé de vingt-huit ans sept mois dix-sept jours, né en légitime mariage d'Yves Guernegou et de Marie Le Gac, mes père et mère, après avoir fait treize mois trois jours de probation et ayant pris l'habit le vingt-trois de mai mil sept cent soixante-seize, de ma libre et franche volonté et sans aucune contrainte, j'ai fait voeu à Dieu tout-puissant, à la bienheureuse Vierge Marie et au père séraphique Saint-François, et à tous les saints, aujourd'hui le vingt-six de mai, l'an mil sept cent soixante-dix-sept, de garder tout le temps de ma vie la règle des frères mineurs de Saint-François, entre les mains du très-vénérable père François-Marie de Morlaix, vicaire et père, maître des novices capucins du couvent de Lannion, en présence des révérends, très-vénérables pères et frères de cette famille et d'autres personnes séculières et soussignées à ma requeste ; en foy de quoi j'ai écrit et signé de ma propre main ce présent texte au couvent des Capucins de Lannion, ce vingt-six de mai, mil sept cent soixante-dix-sept. Frère Fidèle de Lannion, capucin, clerc profès. Maximien de Rennes, capucin laïc. Frère François-Joseph de Lannion. Frère Paul de Hennebont, capucin ». Par ce registre on voit qu'il se présentait en moyenne trois novices chaque année, dont un presque toujours sortait avant de faire profession. Dans ce dernier cas, une note était ajoutée en marge de l'acte de prise d'habit du novice sortant : c'est par exemple ceci : « sorti parce qu'il était trop indocile et trop sensible » ; ou encore : « sorti par pure inconstance et légèreté »

 

On ignore quels furent les administrateurs de Lannion depuis l'an 1776 jusqu'en 1787, les registres de délibérations de la communauté de ville de ces années ayant été ou égarés ou anéantis pendant la Révolution. Nous avons dit plus haut que Pulchérie-Eléonore de Lannion avait épousé, en 1764, le sire de Pons. En 1785, les deux époux rendaient à la juridiction de Barac'h l'aveu suivant : « Devant nous, notaires royaux, héréditaires et apostoliques de Tréguier, au siège de Lannion, a comparu noble homme Riou, sieur de Kerprigent, demeurant en son hôtel à la ville de Lannion, paroisse de Saint-Jean du Baly ; lequel en qualité de procurateur de noble maître Gilles-Marie Gauttier de la Guittière, avocat an parlement de Bretagne, demeurant en son hôtel en la ville de Rennes, paroisse de Saint-Aubin, fondé en pouvoir de monsieur le vicomte de Pons et de madame la vicomtesse de Pons, en vertu de la procuration dudit sieur Gauttier de la Guittière, reconnaît, déclare et avoue, audit nom, qu'il appartient à très-haut et très-puissant seigneur, messire Charles-Armand-Augustin Pons, vicomte de Pons, comte de Clermont, premier baron connétable du Dauphiné, grand-maître héréditaire des Dauphin et Dauphine, marquis de Chou et de Tullins, vicomte de Meaux et de Champleaux, seigneur de Poisrier, Saint-Pompaien, Vaucharsis, Lannion, le Cruguil, Boscheluner, Vieux-Chastel, Plounévez-Quintin, Trefleac'h, le Bot et autres lieux, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, cy-devant menin (gouverneur) de monseigneur le Dauphin, à présent roi (Louis XVI), mestre de-camp, commandant du régiment du Dauphiné, infanterie, et à très-puissante dame vicomtesse de Pons, son épouse, demeurant ordinairement en leur hôtel à Paris, sous et au proche fief de la seigneurie du Launez-Nevet, appartenant à très-haut et très-puissant seigneur messire Marie-François-Henri Franquelot, duc de Coigny, premier écuyer de Sa Majesté, colonel général de dragons et capitaine des chasses pour la vesnerie du Louvre, demeurant en son hôtel, rue Saint-Nicaise, paroisse de Saint-Germain l'Auxerrois, à Paris, seigneur propriétaire des terres, fieffs et seigneuries scavoir est, les terres, héritages, rentes féodales et convenancières, fieffs et juridiction cy-après, tenus noblement sous laditte seigneurie de Launez-Nevet. La première terre mentionnée c'est, comme dans les aveux précédents, le manoir de Kerougant, lequel est tenu à domaine congéable sous lesdits seigneur et dame de Pons, par René Le Jean, pour payer annuellement auxdits seigneur et dame de Pons, à chaque Saint-Michel en septembre, vingt-trois boisseaux de froment, bon, loyal et marchand, mesure de Lannion, rendible en grenier, suivant la coutume du pays ; acquitter neuf livres douze sous pour les corvées ordinaires et extraordinaires, si mieux n'aiment lesdits seigneur et dame de Pons les faire faire en espèces ; le tout de rente foncière et convenancière ; laisser lever la dîme ecclésiastique à raison de la trente-sixième gerbe lors des gaigeries de bled blanc, excepté dans les trois courtils qui en sont exempts et chargés d'un demi-boisseau de froment de prémices, payable au sieur recteur de Trégastel, à chaque Saint-Michel en septembre, et acquitter toutes autres rentes s'il en est sur le lieu, sans diminution de la rente foncière et convenancière susdite ». Ce minu mentionne cinquante convenants : vingt-quatre en Brélévenez, vingt-six en Trégastel. 

 

On y remarque ensuite un chapitre intitulé : Prééminences. « Lesdits seigneurs et dame de Pons en qualité de propriétaires de laditte seigneurie de Kerougant sont seigneurs fondateurs de l'église de Trégastel, et ont en cette qualité les prières nominales, deux bancs en laditte église ; droits de bancs d'enfeu et l'écusson de leurs armes à la principale vitre, avec droit de lizière en dedans et en dehors de laditte église, à plusieurs autres droits honorifiques et prééminences appartenant au seigneur fondateur, le tout conformément à la transition passée entre haut et puissant messire René de Nevet, marquis du Nevet, et haut et puissant Claude de Lannion. Lesdits domaine et seigneurie de Kerougant cy-devant désignés sont à laditte dame Pulchérie-Eléonore de Lannion, dame et vicomtesse de Pons, de la succession de haut et puissant seigneur messsire Hyacinthe Gaëtan, comte de Lannion, en son vivant chevalier des ordres du Roy, lieutenant-général de ses armées, gouverneur de la province de Minorque et des villes de Vannes et d'Auray, pair de Bretagne, baron de Malestroit, son père, mort à l'isle de Minorque l'an 1762, dont le rachapt  est payé à laditte seigneurie du Launay suivant mynu authentique »

 

La même année, les mêmes seigneur et dame de Pons « avouaient tenir sous et au proche fieff de la seigneurie et chatellainie de Barac'h-Keruzec et annexes appartenant à haut et puissant seigneur messire Louis Le Pelletier, chevalier seigneur marquis de Rosambo, conseiller du Roy en tous ses conseils, son président à mortier au parlement de Paris, seigneur propriétaire de la terre, fieff, seigneurie, et chatellainie de Barac'h-Keruzec, Cabatous, Kerimel, la Prévosté, du Pré et annexes, de la baronnie de Coatfrec et leurs annexes et autres terres, fieffs et seigneuries, demeurant en son hôtel à Paris, rue de Bondy, paroisse de Saint-Laurent, les terres, héritages, rentes féodales et convenancières, fieffs, juridictions cy-après désignés, tenus noblement sous laditte seigneurie de Barac'h, sujets au devoir, foy, hommage, obéissance, lods-ventes et rachapts, et tous autres droits et devoirs seigneuriaux et féodaux que personne de condition noble doit et est tenue de faire à son seigneur ». Suit la description de sept convenants en Saint-Quay, trois en Perros et six en Servel. 

 

Voyons maintenant quel était l'état de Lannion avant 1789. Cette ville était alors le chef-lieu du comté de Goëlo dans lequel s'étaient fondus les petits comtés de Lannion et de Tréguier ; cela n'empêchait pas qu'il y eût encore un comte de Lannion. Cette ville portait pour armes, d'azur, à l'agneau couché d'argent, tenant avec l'un de ses pieds de devant une croix de triomphe ou banderole de gueules à deux pointes, sur laquelle est écrite en lettres d'or : LAUS DEO. Il est plus que probable que ce mouton et cette devise de Laus Deo font allusion à la fondation ou plutôt à l'agrandissement de Lannion par les pasteurs de l'abbaye de Kermaria. Lannion était alors gouvernement de place et siége d'une des six justices royales qui ressortissaient présidial de la sénéchaussée de Rennes ; les juges royaux de Tréguier y avaient leur siége ordinaire. Quelques années auparavant, Lannion avait lui-même une cour royale, qui lui a été enlevée probablement pour quelque acte d'opposition. Nommons maintenant les fiefs dont la juridiction s'exerçait à Lannion. C'étaient 1° les deux fiefs royaux, savoir : la sénéchaussée de Tréguier et la prévôté de Lannion ; 2° les dix fiefs qui avaient haute, basse et moyenne justice dont six étaient seigneuriaux, savoir : les fiefs de Barac'h et de Coatfrec, à M. le président Le Pelletier de Rosambo ; les fiefs de Kerduel et de Kerisac, à M. de Kerisac ; le fief de Launez-Nevet, à madame la comtesse de Coigny ; le fief de Tonquédec, à M. de Tonquédec ; et dont les quatre autres étaient ecclésiastiques, savoir : le fief de Kermaria-an-Draon, aux moines de l'abbaye de Saint-Jacut ; le fief de Penlan, aux moines de Bégard ; le fief dit des Réguaires, aux Réguaires de Tréguier ; 3° les fiefs qui n'avaient que moyenne et basse justice, savoir : le fief de Bois-Guézennec, à M. de Trogoff du Bois-Guézennec ; les fiefs de Traoudon, Kergomar et Kerian, à M. de la Châtre ; 4° enfin le seul fief de notre pays qui ne possédait que basse justice, savoir : Trévenan, à M. de Carcaradec. La communauté de ville dont les séances se tenaient à l'Auditoire était composée du maire, du syndic et des notables de la ville ; elle avait droit de députer aux Etats de la Province. La cure qui dépendait autrefois, comme on l'a dit, de l'abbaye de Saint-Jacut, était passée, par suite de diverses circonstances, à l'évêché de Tréguier duquel elle dépendait avant la révolution, époque à laquelle l'abbaye de Saint-Jacut possédait encore certains droits sur l'autel de Saint-Jean du Baly, comme on le voit par les archives de la fabrique. Lannion possédait une subdélégation et une brigade de maréchaussée ; il comptait trois mille âmes, et ses habitants faisaient le commerce des vins de Bordeaux et de la Rochelle, du lin et du chanvre, et de toutes sortes de grains, par la rivière du Guer. Dans ses marchés qui étaient très-fréquentés et se tenaient le jeudi, comme aujourd'hui encore, se vendaient de grandes quantités d'un beurre presque aussi estimé que celui de la Prévalaye de Rennes. 

 

Quant à l'aspect physique, Lannion était en train de se transformer complètement. Nous avons vu qu'il avait acquis un quai ; outre cela ses ruelles avaient diminué de nombre, et des rues plus spacieuses les avaient remplacées. L'Auditoire était le seul monument civil qu'elle possédait ; quant aux monuments religieux, ils étaient la plupart florissants ; le Baly, les chapelles de Sainte-Anne, des Augustins et des Capucins étaient plus riches que jamais. La chapelle de Saint-Nicolas avait encore sa congrégation et un prêtre particulier. L'église du prieuré de Kermaria, qui dès 1776 était qualifié de fief amorty, n'existait plus qu'a l'état de ruines. 

 

Nous nous arrêtons ici, au seuil de notre époque, à la veille d'une révolution qui changea complètement les institutions et par suite les moeurs de notre pays. En limitant notre travail à cette date de 1789, nous obéissons à un sentiment de convenance que chacun appréciera. Les souvenirs que rappelle cette grande révolution et les évènements qui se sont écoulés depuis cette époque fameuse, sont pour ainsi dire de l'histoire contemporaine ; il ne saurait nous convenir de raconter et de juger, à cette même place, des faits trop récents sur lesquels les passions, les intérêts ou les préjugés n'ont pas cessé de s'agiter. Nous voulons d'ailleurs que notre oeuvre conserve le caractère d'une étude purement archéologique ; c'est pour cela que notre récit doit finir au moment où commence une nouvelle période historique très-intéressante sans doute, mais non plus au même titre, et où la curiosité qui s'attache naturellement à l'antiquité nous ferait absolument défaut. - FIN - (Ad. Le Nepvou de Carfort - 1874).

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