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Landerneau : un fléau de plus, la guerre.

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Un fléau de plus : la guerre. Patriotisme de la jeunesse de Landerneau. — Mandement d'Expilly. Malheurs des prêtres jureurs. Souffrances des prêtres fidèles. Déportation de l'abbé Leissègues et de l'aumônier des Ursulines. Transfert à Audierne des recteurs de Saint-Houardon et de Saint-Thomas.

La Constituante avait eu l'initiative de la lutte religieuse, la Législative a la responsabilité de la guerre. Jaurès lui-même l'avoue dans son Histoire socialiste. « Il faut la guerre à la France pour rétablir ses finances et son crédit, disait à la tribune de la Législative, le 20 octobre 1791, Brissot, l'un des chefs du parti girondin ». — « Jadis les rois étaient fiers du titre de ctioyens romains, il faut qu'aujourd'hui les tyrans implorent le titre de citoyens français », clamait un autre. Et les sociétés des Amis de la Constitution, peuplées de girondins, excitaient à la guerre. Par ses décrets du 21 juin et du 23 juillet 1791, la Constituante avait ordonné la levée de 97.000 gardes nationaux ; le contingent à fournir par le Finistère était de 1.732 hommes. A Landerneau, le Club se chargea de chauffer l'enthousiasme dans le sens voulu par la Gironde, et quand, le 16 décembre 1791, les membres du District, délégués par le Département, vinrent à la Maison commune, revêtus de l'écharpe aux trois couleurs, pour recevoir les engagements, 139 jeunes gens signèrent leur enrôlement et prièrent les commissaires de vouloir bien transmettre à Louis XVI l'adresse suivante, signée de leurs noms : « Roi des Français, la patrie est en danger ; des enfants rebelles veulent la mettre en lambeaux, proposez la guerre, elle sera décidée et nous y volerons, tous pour vaincre ou pour mourir ! ». Non, généreuse jeunesse, la patrie n'est pas encore en danger, mais la Gironde, pour déconsidérer le roi dont elle jalouse le sceptre branlant, va créer ce danger. Le 12 mars 1792, cédant à ce parti, le roi confie le ministère de l'Intérieur au mari de Madame Rolland, la grande Girondine, « celle qui fut le seul homme de la Gironde ». Le 10 avril, la Législative déclarait la guerre à l'Autriche. Le 4 mai, à 9 heures du matin, trois officiers municipaux, MM. Cruzel, Kérébel et Le Gall, escortés de gardes nationaux et précédés de tambours, sortaient de la mairie et parcouraient les rues de Landerneau, s'arrêtant à chaque carrefour pour lire, au milieu des applaudissements des clubistes, le texte officiel de la déclaration de guerre contre le roi de de Hongrie et de Bohême.

Hélas ! au début, ce ne fut que défaites ; la Prusse se joignit à l'Autriche, Prussiens et Autrichiens envahirent la France. La Législative jeta alors le fameux cri d'alarme : « La Patrie est en danger ! ». L'écho en arrive à Landerneau le 17 juillet, et la Municipalité arrête : 1° que le Conseil siégera en permanence jusqu'à nouvel ordre ; 2° que tous les citoyens devront se munir de la cocarde nationale dans le délai de 8 jours, que cette invitation sera adressée par affiche et par son de caisse ; 3° que les biens des émigrés seront mis sous séquestre, MM. Cornec et Radiguet étant invités à se joindre aux membres du District pour cette opération.

De son côté, Expilly publie une lettres pastorale prescrivant des prières pour la paix. Nous reproduisons cette lettre portant les armes de l'évêque intrus : le cordon du chapeau surmontant le blason a quatre rangs de glands, c'est l'insigne des archevêques, car les évêques n'ent ont que 3 ; le blason surmonté dela mitre et de la crosse, entouré d'une guirlande d'oliviers, porte simplement les initiales L. A. E. F. Louis-Alexandre, évêque du Finistère.

Lettre pastorale (Landerneau, Bretagne).

LETTRE PASTORALE

de M. l'Evêque du Finistère, qui prescrit des Prières publiques pour la Paix.

MES TRÈS CHERS FRÈRES, Dieu n'a pas permis qu'une Constitution destinée à assurer le bonheur des Français s'établit sans des efforts et des épreuves proportionnées à l'importance et aux avantages du nouvel ordre politique. Les tyrans se sont coalisés pour détruire ce bel ouvrage de la sagesse humaine. De toutes parts leurs satellites s'avancent sur nos possessions et les menacent du fer et de la flamme ; de toutes parts nos frères se préparent à une défense aussi terrible que juste et déjà leur sang, mêlé à celui de leurs ennemis, a rougi le sol de la liberté, un sol dont les habitants ont juré de ne jamais l'étendre au préjudice du repos et des droits de leurs voisins.

Le Dieu des armées a vu les longs efforts d'un peuple généreux pour repousser le fléau de la guerre et les insultes réitérées qui l'ont réduit : ne pouvoir plus chercher sa conservation que dans la destruction de ses ennemis. La justice suprême peut nous préparer des traverses et des dangers ; mais ne nous permet-elle pas aussi de compter sur des succès ? Nous ne pouvons sonder, mes très chers Frères, les décrets de l'éternelle Providence, mais nous devons nous hâter d'invoquer sa clémence et détourner par nos ardentes prières, la main qui s'appesantit sur une nombreuse portion de l'humanité. Jamais les succès des armes n'auront été plus légitimes ; jamais l'emploi de la force n'aura été plus nécessaire, il doit assurer la conquête de la Liberté et le règne des Lois. Mais que cette nécessité est cruelle pour les enfants d'une Religion dont le premier précepte est l'amour de ses semblables, dont l'éternelle base est la charité universelle (Diliges proximum tuum) ! Qu'elle est cruelle pour des citoyens unis par des liens nombreux et que les succès même leur paraissent coûteux lorsqu'ils sont achetés par le sang des plus courageux de leurs frères !

Que les enfants, les femmes, les vieillards, tous ceux qui ne prennent point les armes viennent aux pieds des autels joindre leurs prières à celles des Ministres de Dieu ; qu'ils viennent soutenir leurs mains élevées au Ciel pendant que les Armées s'entrechoquent et que la justice est aux prises avec l'iniquité, la liberté avec le despotisme. Que nos voix réunies portent au Très-Haut les seuls voeux qu'il approuve. Demandons le triomphe de la justice et le rétablissement de la paix et de l'harmonie sociale, et demandons-lui surtout la grâce de nous rendre dignes de ces bienfaits par la patience, le courage et une union inaltérable.

Nous ne l'invoquerons pas en vain si nous recourons à lui avec un esprit d'humilité et avec confiance, et si nous fondons l'espérance de vaincre et de triompher moins sur nos prévoyances et nos précautions que sur la protection du Dieu des armées qui s'est déjà déclaré si ouvertement pour nous et qui dans ce moment même nous donne une marque spéciale de sa protection en nous accordant une récolte abondante.

En conséquence nous mandons à tous les Curés, Vicaires et autres Prêtres de notre diocèse, pour tout le temps de la guerre de dire la collecte pour la paix, à toutes les messes, même solennelles, et de faire tous les dimanches et fêtes, dans les Eglises paroissiales et succursales et celles des Communautés religieuses, un Salut à l'issue des Vêpres, où après l'antienne du Saint-Sacrement, on chantera le verset Parce, Domine, parce populo tuo ; l'antienne Sub tuum praesidium ; Da pacem, Domine ; Domine salvam fac Gentem et exaudi... Domine, salvam exaudi..., avec les Oraisons Deus qui nobis sub Sacramento ; Deus qui culpa offenderis ; Concede fragilitati nostrae et les Oraisons Pro pace et Pro tempore belli.

Et sera notre présente Lettre pastorale lue au prône de la Grand'messe du dimanche qui suivra sa réception. A Quimper, le 7 août 1792. L'Evêque du Finistère, t EXPILLY.

Pour exciter l'enthousiasme, la Société des Amis de la Constitution organise avec la permission de la municipalité, la première plantation de l'arbre de la liberté. Cet arbre sera surmonté du bonnet rouge, de ce bonnet que la Gironde a imposé à Louis XVI lors de la journée du 20 juin ; le club veut aussi mettre sur les branches de l'arbre une banderolle portant l'inscription : « Guerre aux châteaux, paix aux chaumières », mais les bourgeois du Conseil s'y refusent. Et le dimanche 1er juillet, le Conseil municipal au grand complet, avec les autorités du District, se réunissent aux Capucins. Là, le cortège se forme, précédé de la musique et fermé par les gendarmes. On se rend sur le quai de Léon, face à l'autel de la patrie. Sur cet autel est un chêne vigoureux arraché du sol en pleine végétation ; M. Robert, le président du club fait un discours, Pillet bénit l'arbre ; dans le trou, creusé d'avance, l'arbre est dressé, cependant que le canon tonne, que la musique joue. Puis quand le cortège est parti, des danses civiques sont organisées ; étant donné le peu de ressources du budget communal, il n'y eut pas d'illuminations le soir. — Quant à la fête du 14 juillet, arrivant un samedi, jour de marché, le Conseil eût voulu la transférer ou la supprimer, la plantation de l'arbre de la liberté l'ayant d'ailleurs par avance remplacée. Mais le Club veille à ce que le rite sacro-saint soit observé. La fête anniversaire de la Fédération se célèbre donc le 14 juillet, mais les archives n'en disent mot.

On eût pu croire que la guerre aurait apaisé la persécution religieuse ; mais non, si la guerre servait à la Gironde pour détacher le peuple du roi qu'on rendait responsable de cette calamité, la persécution religieuse va lui servir pour détacher l'Assemblée de la même autorité royale. Sous son influence, la Législative a voté contre les prêtres fidèles des lois de proscription. Louis XVI, éclairé par les décisions de Rome, a vu son devoir de chrétien. A ces lois il oppose son veto, usant du privilège que lui donne la Constitution et dont l'exercice lui aliénera l'Assemblée. Par son ministre, M. Cahier de Gerville, il ordonne de mettre en liberté les prêtres détenus au Château de Brest. Les Girondins bretons lui résistent : « Vous nous demandez de mettre les détenus en liberté, nous le ferons, disent-ils, mais la Pâque finie, pour éviter des troubles ; le lundi de Quasimodo, nous leur ouvrirons la porte. ». Dans l'intervalle, voici que le roi, le 12 mars 1792, constitue un ministère girondin. La Gironde est au pouvoir, la Gironde bretonne n'a pas à se gêner, le Château de Brest reste fermé ; les lois d'exception votées par la Législative et qui ne peuvent entrer en vigueur à cause du veto royal, le Département du Finistère les fait siennes et décrète, le 29 juin, que tous les prêtres non assermentés seront arrêtés et auront à choisir entre la réclusion et la déportation. Qu'on ose donc accuser les Girondins de tyrannie ! Ces honnêtes gens laissent à leurs adversaires la liberté de choisir entre deux supplices !

Jusqu'en juillet 1792, le Département avait en général fait arrêter les seuls prêtres insermentés qu'on avait pu remplacer dans leurs postes de curé ou de vicaire. A cause de l'hostilité des populations pour la religion constitutionnelle, beaucoup d'élections n'avaient pu avoir lieu et dans nombre de paroisses de campagne, le ministère était encore exercé par des prêtres fidèles. Mais le décret du 29 juin est radical : tout ecclésiastique qui n'a pas prêté le serment à la Constitution civile du clergé doit être arrêté. Pouvait-on trouver assez de constitutionnels pour remplir les vides causés par l'application du décret ? Hélas oui ? car si la défection fut le fait d'une infinie minorité dans le clergé en fonctions, elle fut plus grande parmi ces prêtres sans place fixe, sans poste bien défini, qu'on appelle prêtres habitués, parmi les nombreux aumôniers de marine, et surtout parmi les membres des Congrégations d'hommes que la Révolution venait de disperser. Ces jureurs s'étaient rassemblés dans les villes ; à Landerneau, ils étaient huit, formant une sorte de collégiale dont Pillet était le chef ; à Brest, on en comptait une trentaine. La Constitution civile donnait au curé le choix de ses vicaires, et l'évêque ne pouvait refuser les pouvoirs à un sujet présenté par le curé, que pour des motifs d'indignité ou d'insuffisance notoires. Ces prêtres desservaient une chapelle, et recevaient le titre de vicaire ; la vanité des curés était satisfaite de se trouver à la tête d'un nombreux clergé, et, s'ils n'étaient pas en droit d'exiger pour leurs subordonnés le traitement officiel des vicaires, ils obtenaient pour eux une allocation qui, jointe à la pension d'Etat, formait à ces ecclésiastiques un revenu convenable leur permettant la vie douce et tranquille derrière les baïonnettes de la garde nationale. Pour remédier aux conséquences du nouveau décret, il va falloir qu'Expilly arrache ces vicaires « aux délices de Capoue », et les engage à exercer leur ministère « constitutionnel » dans les campagnes. Au lendemain même de l'arrêté, l'évêque du Finistère écrit une circulaire qu'il adresse à tous et à chacun des vicaires, pour les prier et les supplier d'accepter le rectorat. La voici textuellement :

« Vous savez sans doute, Monsieur, que le Conseil général du Département, par son arrêt du 29 du mois dernier, a prononcé l'arrestation générale de tous les ecclésiastiques qui refuseraient de prêter le serment. Cette mesure sévère va laisser un grand nombre de Paroisses et de Succursales vacantes. Les Districts s'empresseront sans doute de nommer à ces places, pour ne pas laisser les Peuples sans secours spirituels. Il est probable, Monsieur, que vous serez du nombre de ces élus et, dans le cas, je crois devoir vous conjurer de souscrire à votre élection. Il est possible que vous vous trouviez bien où vous êtes, et que, sans ambition, vous soyez content de votre sort actuel ; mais je pense que, dans ce moment de crise, un bon prêtre, qui aime sa religion et sa patrie, doit voler à leur secours en sacrifiant son goût particulier au bien général. Votre modestie vous portera peut-être à alléguer votre peu d'expérience, mais vous ne devez pas être votre juge ; vous avez promis obéissance dans votre ordination, la voix du Peuple qui vous élira, réunie à celle de votre Evêque qui vous instituera doivent être pour vous la voix de Dieu qui, ayant égard à votre soumission, vous soutiendra dans ce Ministère redoutable. Je pense donc, Monsieur, que votre acceptation est un devoir impérieux. Si vous vous refusez au bien public, on soupçonnerait votre religion et votre patriotisme. Vous savez que l'on a toujours accusé le clergé d'égoïsme, vous perpétuerez cette accusation. Vous n'ignorez pas que toutes les paroisses contribuent à l'impôt établi pour le traitement du Clergé, chaque paroisse qui se trouve sans prêtre a donc droit d'en exiger un, tant qu'il se trouve deux prêtres dans une même paroisse. Vous ne devez donc pas douter que votre refus occasionnerait du trouble ; et quels reproches n'auriez-vous pas à vous faire, s'il arrivait quelques accidents fâcheux lorsqu'il est en votre pouvoir de les prévenir tous ! Oui, Monsieur, je ne crains pas de vous le dire, l'affermissement de la religion et la tranquillité du Finistère dépendent de vous et de vos confrères. Si Messieurs les Vicaires acceptent les places auxquelles la Providence les appellera, nous aurons bientôt la paix ; nous sommes en nombre suffisant pour donner partout le secours indispensable ; le peuple sera content, et, n'étant plus séduit par nos adversaires, il se réunira facilement à nous. Quelle satisfaction pour une âme douce et religieuse d'avoir travaillé au bonheur de sa Patrie, d'avoir peut-être empêché l'effusion du sang, d'avoir contribué à ramener des âmes égarées à la pratique de leur ancienne religion, de n'avoir refusé son ministère à qui que ce soit ! L'idée seule d'un moribond qui réclamerait votre secours et qui périrait sans sacrements, ne troublerait-elle pas votre repos ?... Mais je craindrais de vous insulter, Monsieur, en insistant davantage et je me flatte que vous vous empresserez de justifier l'idée que le Peuple s'est faite du Clergé actuel, en croyant qu'il n'a d'autre ambition et d'autre intérêt que le bonheur et le salut de ses semblables. Je sais, Monsieur, qu'en quittant votre Curé, il se trouvera quelque temps dans l'embarras, mais je lui écris par la même occasion pour concerter avec lui un moyen sûr de l'en tirer incessamment. Si vous êtes dans une succursale et que vous soyez appelé à une Cure, les mêmes motifs doivent vous engager à accepter, parce que j'ai de jeunes prêtres pour vous remplacer et qu'il est juste que les plus expérimentés soient portés de préférence aux places inamovibles. J'ai l'honneur d'être avec un sincère attachement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur ». Quimper, le 4 juillet 1792.  t EXPILLY, Evêque du Finistère.

On saisit ici justement sur le vif un des graves défauts de la Constitution civile du clergé. Voilà un évêque chargé d'administrer un diocèse, et il ne peut nommer lui-même aux rectorats ni aux cures. Sans doute, c'est lui qui donne l'investiture, mais il ne peut la donner qu'à des sujets élus au préalable à ces postes.

Or, pour être élu, il faut être candidat ou au moins accepter son élection. Et pour être candidat ou accepter l'élection à la plupart de ces postes que le décret du 29 juin va laisser vacants, il ne faut rien moins qu'avoir une âme d'apôtre.

Le chanoine Peyron a raconté, dans le tome Ier de ses Documents pour servir..., les infortunes de bien des recteurs constitutionnels. C'est ainsi que nous avons vu Corre, l'ami de Pillet, accepter le rectorat de Plougonvelin : tôt après il inonde le District de Brest des récits de ses malheures.

Sa paroisse a deux églises, celle de Plougonvelin et celle de Lochrist ; il a choisi l'église de Lochrist ; hélas ! elle reste vide, pendant que l'église de Plougonvelin où est demeuré le pasteur légitime, M. Le Querré, « est devenue le réceptacle de tous les aristocrates, comme il l'écrit au District, le 11 juillet 1792 ». Quelques jours après, il se rend à Plougonvelin même, quand il aperçoit un cortège funèbre se diriger vers cette église, il s'impose à la tête du cortège, et, ajoute-t-il,

« Je me proposais de chanter la messe, mais le bedeau a fait le malade, et, sans un citoyen de Brest qui a eu la charité de me répondre la messe à basse voix, j'étais dans l'impossibilité de la dire ».

Personne ne veut recevoir de lui les sacrements.

« L'autre jour, écrit-il encore au District, un homme est venu me faire sommation d'enregistrer la naissance d'un enfant me déclarant qu'il ne voulait pas le faire baptiser parce que, disait-il, cet enfant pourrait un jour être païen ! ».

Thomas, un autre des quatre jureurs de Landerneau, élu à Landunvez, a accepté ce poste.

Plus heureux que Corre, il a au moins un chantre qui lui est fidèle. « Cet homme, écrit-il au District en demandant pour lui un traitement, partage toutes mes peines et brave à cette occasion tous les genres d'outrages ». Il a donc lui aussi ses peines, le pauvre Thomas ! En effet, en septembre 1791, il n'a pu célébrer sa fête patronale qu'à l'abri de 75 baïonnettes envoyées sur sa demande par le District de Brest. Il a réussi à faire fermer l'église de Kersaint, et se félicite déjà d'être le maître de la religion à Landunvez, quand le lendemain le vent lui apporte le son de la cloche de Kersaint : l'église a été réouverte par les paysans, les fidèles y accourent entendre la messe de prêtres réfractaires, pendant que sa propre église est vide. Pourtant elle se remplit parfois, mais c'est quand le vicaire qui ra pas prêté serment et qu'Expilly a prié le recteur de conserver, y célèbre l'office ; quant à lui-même, tout le monde le fuit. Les paroisses voisines de Porspoder et de Ploudalmézeau ont conservé leurs anciens prêtres et, ô horreur, voici, écrit-il au District, que le maire, M. Sébastien Salaün, « sur le refus que je lui ai fait de faire baptiser un enfant à lui né ou à naître, par M. Le Hir, ex-chanoine de Kersaint, ennemi déclaré de la Révolution, a eu la témérité d'engager son épouse à faire ses couches sur la paroisse de Porspoder ».

Il a beau faire toutes les avances, on y répond en menaçant de l'enfermer au château de Trémazan et d'assommer son chantre. Le 30 juillet 1792, Thomas croit toucher à sa dernière heure, car il ,écrit ce jour-là au District :

« Mes jours et ceux de mon chantre sont exposés, le projet infâme est conçu par les ennemis de la Constitution de nous faire périr... ». Oyez plutôt : « J'ai, m'a dit quelqu'un, un taureau furieux qui se jette sur tous ceux qu'il rencontre et qu'il ne connaît pas ; quand il il y aura des témoins je le lâcherai sur vous ». — « Mais des témoins ne peuvent que vous nuire », répliquai-je. —  « Non, répondit le scélérat, on verrait que le curé tombe victime de la fureur de mon animal et que je ne suis donc pas assassin ! ».

Devant tant de menaces, et aussi parce que le traitement demandé ne vient pas, le chantre quitte Landunvez en septembre ; désormais seul, le pauvre Thomas essaiera encore de tenir ; mais à la fin de 1793, il plantera là sa paroisse et même son sacerdoce, et viendra demander à la mairie de Landerneau un poste de secrétaire.

De tout temps, le bruit des mésaventures ecclésiastiques a circulé parmi le clergé avec une rapidité étonnante. Aussi les vicaires, instruits par l'expérience d'autrui, estiment, à l'inverse de Jules César, qu'il vaut mieux être le second à Rome que le premier dans un village, et ils restent sourds à toutes les sollicitations d'Expilly.

« Je sais, écrit ce dernier, par ma correspondance avec Messieurs les Vicaires, que presque tous ne veulent point accepter des paroisses. Je me jette donc à leurs genoux pour les conjurer de s'oublier eux-mêmes... ».

Peine perdue ! L'évêque intrus a aussi écrit aux curés pour leur demander de lui céder quelques-uns de leurs vicaires. Pillet courtoisement lui rappelle les droits du curé et oppose son « égoïsme sacré » à tous les besoins de son chef.

Que va faire alors Expilly ? En appeler au bras séculier, comme nous le montre le chanoine Pilven dans sa plaquette sur Expilly : « Messieurs, écrit l'intrus aux membres du District de Pont-Croix, vous savez que les moyens coercitifs ne m'appartiennent pas et que vous seuls pouvez les employer ». Mais lesquels, lui demandent les Districts ?

« S'il se trouve des vicaires assez lâches et assez indifférents pour ne pas donner leurs soins à des paroisses abandonnées, répond-il, je crois que voue devez les priver du traitement des vicaires ; cette opinion paraitra forte, mais le danger est extrême. Il faut éviter des insurrections dans les campagnes... Je ne devrais pas soupçonner mes coopérateurs de lâcheté, mais les refus que j'ai éprouvés m'arrachent cette mesure que je vous propose ».

La sanction n'eut pas plus d'effet que la lettre, et le 23 juillet 1792, Expilly écrivait :

« J'ai l'honneur de vous adresser la dispense du 3ème ban pour les deux mariages qui devaient se faire à Mahalon... je délègue en blanc tel prêtre que vous jugerez à propos d'indiquer... ».

Et à qui écrit-il ainsi ? Aux administrateurs du District de Pont-Croix ! C'est avouer qu'il est obligé d'abandonner toute administration entre les mains des laïques. « Je donne d'avance tous les pouvoirs de curés d'office à tous ceux que vous enverrez dans les paroisses, ajoute-t-il dans la même lettre ». Voilà bien la Constitution civile du clergé !

Pendant que l'évêque intrus essaie de parer aux suites prévues du décret du 29 juin, le Département en poursuit l'application. Deux de ses administrateurs, MM. Daniel et Le Prédour, viennent au Château de Brest. Devant eux ils font comparaître un à un les prêtres détenus ; par promesses, par menaces, ils essaient d'abord de leur arracher le serment ; deux fois cet assaut est livré, aucun prêtre des diocèses de Quimper et de Léon ne cède.

« Nous avons fait auprès de ces fanatiques coalisés, écrivent les commissaires le 5 août 1792, tout ce que le patriotisme et l'humanité peuvent suggérer pour les engager à prêter serment et à rentrer dans le sein de la patrie qui voit avec douleur ses enfants s'en écarter. Sourds à toutes espèces d'observation, ils ont constamment refusé... ».

Ils offrent alors à ces infortunés d'opter entre la réclusion et l'exil ; la grande majorité choisit la détention. Furieux de voir ses victimes s'obstiner à vouloir rester au pays, le Département prend un autre décret permettant aux prêtres septuagénaires et infirmes seuls de rester, et condamnant tous les autres à l'exil. Mais où les déporter ? Le décret laisse aux condamnés le choix entre l'Espagne et l'Italie ; ceux-ci choisissent tous l'Espagne, malgré les sollicitations des administrateurs en faveur de l'Italie.

« Il nous aurait paru plus convenable de faire passer ces Messieurs en Italie, écrivent ces derniers, et de les adresser au très saint chef de leur milice dont nous craignons beaucoup moins les armes que celles de l'Espagne. Il serait dangereux de fournir à ce dernier gouvernement un prétexte qu'il attend peut-être pour entrer dans la coalition formée contre notre liberté. C'est pour éviter cet inconvénient que, ne pouvant nous dispenser, à cause de votre arrêté, de déporter nos prêtres conjurés en Espagne, nous prenons la précaution de les y envoyer non par un vaisseau de la nation mais par un bâtiment de commerce... ».

Le samedi 11 août, seize prêtres destinés à la réclusion, dont M. de la Rüe avec son fidèle domestique, Jean Omnès, et M. Bodénez, sont embarqués sur le navire Alexandrine, capitaine Piriou, à destination d'Audierne.

« L'avant-garde de notre flottille noire, écrivent ce jour-là les administrateurs, vient de partir sans avoir essuyé d'autres inconvénients que quelques huées bien méritées ; elle sera rendue demain soir à Audierne. Les effets de ceux qui sont destinés pour l'Espagne sont déjà embarqués avec les vivres nécessaires ; demain à 6 heures du matin ils passeront dans le navire qui les attend. Ce navire est le Jean-Jacques et voilà une espèce d'amende honorable que nous leur faisons faire au grand homme qui a porté ce nom. Il leur rend après sa mort une partie des peines dont ils ont accablé sa vie... ». (Chanoine Peyron, Documents pour servir..., t. 2).

Le dimanche 12 août, en effet, à 3 heures du matin, M. de. Silguy, un des vicaires capitulaires de Quimper, choisi pour chef par ces prêtres de différents diocèses, célèbre seul la messe et distribue la communion à ses compagnons d'infortune. Le sacrifice achevé, un chant mélancolique se fait entendre, c'est le chant du Benedictus de l'Itinéraire des clercs, chanté par les 72 prêtres qui, pour être restés fidèles au devoir de leur sacerdoce, vont prendre le chemin de l'exil. A cinq heures, encadrés de soldats et portant à la main leurs petits bagages, ils traversent les cours du Château, et arrivent sur l'esplanade de la Batterie neuve qui garde l'entrée du port. Le Jean-Jacques est là qui les attend, cependant qu'en face, du côté de Recouvrance, une plèbe avertie s'est amassée. Un à un, à l'appel de leurs noms, les proscrits passent sur le navire, le coeur navré de quitter la patrie, mais le front ennobli de l'auréole de confesseur de la foi ; parmi eux se trouvent M. Guillou, l'aumônier des Ursulines de Landerneau, et M. Leissègues de Légerville, dont le père s'est mêlé à la populace pour voir partir son enfant. A 7 heures, l'ancre est levée ; pas un cri ne s'est élevé contre eux, pas une insulte n'a été proférée à voix haute, tellement le dévouement de ces vaillants confesseurs en a imposé à tous !

La prison du Château de Brest est ainsi évacuée, il y a de la place pour de nouvelles victimes, mais la justice immanente la réserve aux persécuteurs eux-mêmes. Deux nouvelles prisons s'ouvrent pour les prêtres, l'une à Audierne, l'autre au Château du Taureau, elles sont destinées aux prêtres non assermentés restés libres jusque-là. Pour appliquer le décret du 29 juin, nos Girondins organisent de véritables battues contre le clergé, comme les lieutenants de louveterie contre les fauves. On mobilise des détachements de six cents hommes, on roule des canons pour arrêter de pauvres prêtres en train de célébrer la messe ou de chanter des psaumes. Comme la force armée ne suffit pas, à cause du dévouement des fidèles, ces dignes disciples de Rousseau qui, d'après Mignet, répugnent à toute violence, vont faire appel aux bas instincts du lucre. Le 18 août, le Département promettait une prime de 72 livres à quiconque arrêterait un prêtre insermenté et le conduirait au District le plus proche. Les édits royaux accordaient 50 livres par tête de loup, les Girondins bretons, plus généreux, octroient 22 livres de plus par tête de prêtre ; le 6 janvier 1793, ils porteront même la prime à 100 livres. Et Lamartine, comme Louis Blanc et Michelet, pourra dire des Girondins : « Ils adorèrent la liberté ! ».

Pendant que la chasse à l'homme se poursuit, pendant que les prêtres fidèles gravissent la seconde station de leur calvaire, pendant qu'Expilly est forcé d'abdiquer son pouvoir ecclésiastique entre les mains des Districts, de graves événements ont lieu à Paris. La Gironde bretonne a formé un bataillon de volontaires, qui au lieu de courir à la frontière, devient à Paris la garde prétorienne du parti. Ses preux se joignent le 10 août à la canaille parisienne qui massacre les Suisses, rangés autour de la Famille royale. Louis XVI, par suite de son éducation à la Fénelon et à la Rousseau, n'a pu se résoudre à employer la force contre la populace ; aussi est-il débordé. Il doit chercher un refuge à l'Assemblée ; celle-ci prononce sa déchéance. Après l'autel, le trône est renversé ; la Révolution est virtuellement accomplie le 10 août 1792. (L. Saluden).

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