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Landerneau : organisation du culte constitutionnel.

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Organisation du culte constitutionnel ; difficultés créées par le binage. Renouvellement partiel de la municipalité ; discours de Pillet. M. Goury démissionne pour ne pas coopérer à l'inventaire d'une église.

La loi qui fixe les limites de la nouvelle paroisse conserve comme oratoires les églises de Saint-Julien et de Saint-Thomas. L'église de Saint-Thomas est donc rouverte au culte, mais seuls les prêtres constitutionnels pourront y officier. De peur que les prêtres fidèles n'essaient d'y pénétrer, le Conseil ordonne au bedeau de coucher dans la sacristie ; il invite le corps politique ou fabrique de Saint-Thomas à se réunir pour la reddition des comptes, et fait savoir à M. Bodénez qu'il ait à rendre clefs et registres. Le recteur de Saint-Thomas répond que, si l'on veut ces clefs et ces registres, on vienne les prendre à son domicile ; le Conseil y députe deux municipaux qui remettent à Pillet ce que M. Bodénez a bien voulu leur donner. Quant aux fabriciens, l'épicier Crespy, trésorier de la fabrique et officier municipal, ne réussit pas à les réunir ; on a supprimé leur paroisse, disent-ils, ils ne veulent rien entendre. De plus voici qu'un beau jour le Conseil est convoqué d'urgence pour une affaire grave concernant Saint-Thomas. Que se passe-t-il donc encore dans ce quartier réfractaire ? Depuis quelque temps, dit le procureur, on voit dès l'aurore une affluence extraordinaire de peuple se rendre à l'église Saint-Thomas ; c'est un prêtre non conformiste qui y célèbre chaque jour la messe ; ce prêtre est M. Le Bris, ex-recteur de Ploudiry, le recteur de Pillet, puisque Saint-Julien était une trêve de Ploudiry. Le bedeau de Saint-Thomas interrogé dit que ce prêtre a l'autorisation expresse du Département de célébrer la messe dans une église de son choix à Landerneau. Mandé à la mairie, M. Le Bris, en effet, exhibe un arrêté du Directoire du Département l'autorisant à résider à Landerneau et à y célébrer la messe. Le papier est en règle ; mais le Département n'a-t-il pas porté lui-même un décret défendant à tout prêtre remplacé d'exercer son culte à moins de quatre lieues de son ancienne paroisse ? Or il n'y a pas quatre lieues de Saint-Thomas à SaintJulien ! Cette dérogation du Département à ses propres décrets met le Conseil en fureur. Pillet surtout s'anime : « Quelque décret que fasse le département, dit-il, je suis chez moi et même autorisé par lui, nul prêtre ne doit célébrer dans une de mes églises sans m'en avertir ! ». Mais, se souvenant de l'affaire de Saint-Luc, le Conseil n'ose contrecarrer l'arrêté du Département ; il fait écrire à cette Administration pour la prier de rapporter son arrêté et, en attendant, M. Le Bris peut célébrer à Saint-Thomas, à l'heure, il est vrai, fixée par Pillet et toutes portes closes.

Revenu de cette chaude alerte, Pillet se met à organiser le culte à Landerneau. Les difficultés vont être nombreuses, mais l'intrus, si dur pour ses confrères non conformistes, est pour les paroissiens d'une merveilleuse condescendance, d'une affabilité extraordinaire. Curé de Landerneau, Pillet tient seul désormais les registres de l'état-civil ; pour les naissances, les mariages et les décès, il faut bon gré mal gré passer par lui. Le registre des naissances est aussi celui des baptêmes ; plusieurs parents ne veulent pas pour leurs enfants du baptême donné par un prêtre constitutionnel ; dès lors, ou bien ils ont recours à un prêtre fidèle, et il y en aura jusqu'en décembre, ou bien l'enfant est baptisé à la maison. On viendra donc déclarer la naissance en disant que l'enfant a été ondoyé à la maison ; Pillet ne s'en offense pas comme le font tant d'autres constitutionnels et inscrit sur son registre : « X..., fils d'un tel et d'une telle, né tel jour, a été ondoyé à la maison. — Pillet ».

Dans la rédaction des actes de décès, on mentionnait jusqu'alors que le défunt avait ou non reçu les sacrements de Pénitence, d'Eucharistie et d'Extrême-Onction. Pillet inaugure une formule d'acte de décès qui permettra à ses paroissiens de recourir ou non à des prêtres non conformistes pour l'administration des derniers sacrements : « Un tel, âgé de tant, a été tel jour enterré en présence de ses parents et de ses amis. — Pillet ». C'est la formule que le prêtre donnait jusqu'alors en tant qu'officier de l'état-civil, aux actes de décès des suicidés ; c'est ainsi qu'était rédigé l'acte de décès d'un habitant de la rue de Daoulas trouvé pendu. « X... trouvé pendu lundi, a été enterré ce jour en présence de sa veuve et de ses enfants ».

Le baptême est valide quel qu'en soit le ministre ; l'enterrement n'est pas un sacrement ; mais le mariage est un sacrement dont la validité exige la présence d'un prêtre ayant juridiction. Et l'élection constitutionnelle naturellement ne donne à Pillet aucune juridiction. Aussi tant que Pillet conservera l'état-civil, il y aura peu de mariages ; quand l'état-civil lui sera enlevé, il y aura plusieurs mariages purement civils qu'un prêtre fidèle en cachette validera. Et les mariages célébrés par Pillet seront pour la plupart validés en 1800 et 1801, tel le mariage du maire, M. Jacolot, le 15 février 1792 :

« Ce jour, 15 février 1792, après publication de bans faite sans opposition ni révélation d'aucun empêchement civil ou canonique en l'église de Saint-Houardon, le dimanche du présent mois, même publication faite en la paroisse de la Roche-Derrien, évêché des Côtes-du-Nord, dispenses de deux bans obtenues de Messieurs les deux évêques du Finistère et des Côtes-du-Nord, dispenses l'une datée du février et signée Expilly, évêque du Finistère, et l'autre du 8, signée Jacob, évêque des Côtes-du-Nord, ouïe la promesse du futur mariage entre Pierre-Louis Jacolot, maire actuel de Landerneau, veuf majeur de Marie-Françoise Favier, domicilié en cette paroisse d'une part, et de Marie-Jeanne Le Saux, fille de Joseph Le Saux et d'Elisabeth Le Déréat, originaire de Lézardieux, domiciliée de droit à la Roche-Derrien et habituée en cette paroisse, je soussigné, curé de Landerneau, certifie avoir fiancé les deux susnommés, avoir pris leur consentement mutuel par parole de présent, les avoir conjoints en mariage et leur avoir donné la bénédiction nuptiale, conformement aux canons de Notre Mère la Sainte Eglise, en présence des parents et amis soussignants. — PILLET ».

Les difficultés ne viennent donc pas de la question des sacrements, puisque par sa condescendance Pillet les aplanit ; elles viennent de la question des messes. Tout d'abord, les messes dominicales des constitutionnels vont être extraordinairement longues. Aux fonctions ecclésiastiques qu'il doit remplir désormais sans casuel, pour un traitement bien fixé, 2.400 francs, le curé doit ajouter la fonction de héraut des administrations civiles. Le samedi soir, le procureur de la Commune fait remettre au curé le texte des lois, des décrets et des proclamations qu'il devra lire avant de commencer son prône, à toutes les messes du dimanche. Et Dieu sait tout ce que la fantaisie de la Municipalité, du District, du Département et de l'Assemblée impose de lecture à ces pauvres curés constitutionnels ! Edits de proscription, proclamations haineuses, listes d'imposition fiscales, etc... Comme tout cela contraste singulièrement avec les vêtements sacrés du lecteur et la sainteté de la chaire ! Et comme tout cela est long ! Parfois un membre de la Société des Amis de la Constitution donne le signal des applaudissements et pour un instant l'église offre la physionomie d'un Club. A la grand'messe, la Phalange des Jeunes Citoyens fait entendre ses cuivres plus révolutionnaires que religieux. Après la Communion du prêtre, il faut chanter d'abord : Domine, salvam fac gentem et exaudi... puis : Domine, salvam fac Legem et exaudi..., et enfin : Domine, salvum fac regem et exaudi... Après lite missa est, il faut, presque chaque dimanche, chanter un Te Deum ordonné par Expilly, par la Municipalité ou par l'Assemblée ! Et l'homélie dominicale est de rigueur à chaque messe du dimanche dans chaque église ou oratoire, la loi l'ordonne et la Municipalité l'exige !

Mais la grosse difficulté vient de la question du binage. Quand le nombre des prêtres est insuffisant, l'Evêque permet au prêtre de dire deux messes le dimanche. Cette pratique, appelée binage en langage ecclésiastique, était inconnue à Landerneau, qui comptait, nous l'avons vu, dix-sept prêtres séculiers au moment de la Révolution. Or les prêtres jureurs peuvent seuls désormais dire la messe en public et la loi fixant les circonscriptions paroissiales déclare que dans Saint-Julien et Saint-Thomas il faudra dire la messe le dimanche. De plus, la Municipalité veut à Saint-Houardon une basse messe et une grand'messe. Cela fait donc au moins quatre messes à desservir le dimanche ; sans compter que l'hospice et la prison réclament la messe également. Et Pillet n'a qu'un vicaire. Il va falloir biner, et cette innovation du binage soulève à Landerneau une véritable tempête de sarcasmes et de quolibets. On raille vivement ces intrus plus prêtres que les autres, on les appelle « archiprêtres » ; on les accuse de violer le jeûne eucharistique, de faire ripaille entre deux messes, de dire quatre ou cinq messes par jour, par lucre ou par hypocrisie ; des affiches sont placardées sur les portes des églises annonçant des messes de jureurs aux heures les plus invraisemblables du jour et de la nuit. Cette campagne persista longtemps et dut être générale dans le Finistère, car, le 7 août 1792, Expilly envoya à ses curés la circulaire suivante :

« Je crois, Messieurs, devoir vous engager non à persuader vos peuples de la nécessité où vous êtes de dire deux Messes les dimanches et fêtes dans vos paroisses et succursales, ils en sentent assez la nécessité, mais il est important de détruire les mauvaises impressions que les malveillants leur ont données sur cette pratique.

Vous êtes trop éclairés, Messieurs, pour ne pas trouver en vous-mêmes des raisons propres à désiller les yeux de vos paroissiens sur un point aussi essentiel en ce moment. Aussi me bornerai-je à vous indiquer les motifs que je crois, en mon particulier, être les plus déterminants.

1°) Il y avait, même avant la Révolution, plusieurs Diocèses du Royaume où les Prêtres disaient deux Messes les dimanches et fêtes ;

2°) La rareté des prêtres dans ces Diocèses était extraordinaire ; d'où il résulte que tous les Diocèses qui éprouvent la même disette doivent avoir recours au même moyen ;

3°) La permission limitée de l'Evêque prouve que c'est la nécessité seule qui l'a dirigé, puisque les Prêtres ne peuvent dire deux Messes que les dimanches et fêtes, et non aux jours ouvrables ; qu'ils ne peuvent user de cette permission que dans les Paroisses ou Succursales où le nombre des prêtres n'est pas suffisant pour que tout le monde puisse entendre la Messe, et qu'enfin cette permission cessera avec la nécessité d'y recourir ; 

4°) On ne peut soupçonner d'autres vues à l'Evêque qui accorde cette permission et qui presse d'en user que la commodité des peuples et surtout leur intérêt spirituel ;

5°) Enfin cette double Messe dans un même jour n'a rien de contraire à l'esprit de l'Eglise, puisque le jour de Noël chaque prêtre peu en dire trois, et que le prêtre ne viole pas le jeûne naturel que l'Eglise exige pour la Communion...

Il faudrait expliquer cet article en apprenant aux peuples que le prêtre ne prend d'ablution qu'à sa dernière messe, qu'ainsi il est à jeun quand il commence la seconde ou la troisième, parce que la Communion ne rompt pas le jeûne.

Je vous invite, Messieurs, à faire part de ces observations à vos Paroissiens au prône de vos grand'messes, à les développer et à les mettre à la portée de tout le monde. Si, comme je n'en doute pas, vous trouvez de meilleures raisons, plus analogues au génie de vos Paroissiens et plus propres à vaincre la répugnance qu'on leur a suggérée, vous ferez très bien de les ajouter à mes observations.

Je crois, Messieurs, devoir saisir cette occasion pour vous engager à enregistrer sur vos cahiers de baptême les enfants que les pères et mères refuseraient de faire baptiser. Il est évident que ces enfants sont baptisés à la maison et que c'est l'esprit de parti, l'ignorance et la séduction qui empêchent les parents de recourir à votre ministère. Ils se prévalent du Décret de l'Assemblée constituante sur la liberté des cultes et de l'arrêté du Département, du 2 juin ,dernier. Je pense donc, Messieurs, que l'amour de la paix et la soumission aux autorités constituées doivent vous porter à céder dans les circonstances difficiles et que vous ne pouvez refuser de donner l'état civil à ces enfants, tant que vous serez dépositaires des registres publics.

Je vous engage encore, par les mêmes motifs, à ne pas refuser d'inhumer les enfants que vous n'auriez pas baptisés ; il suffira que préalablement deux personnes vous attestent que l'enfant a été baptisé ». A Quimper, le 7 août 1792. EXPILLY, Evêque du Finistère.

Pillet, soucieux de la dignité de son ministère, met tous ses efforts à supprimer ce binage, source de tant de railleries ; il écrit de tous côtés pour se procurer des prêtres constitutionnels. Comme son maître Expilly, qui, pour recruter son clergé est obligé d'ordonner des jeunes gens sans science ou sans vertu, et qui s'excuse en disant : « Quand on ne peut travailler la terre avec des chevaux, on la travaille avec des ânes ! », Pillet ne se montrera pas difficile sur la qualité de ses vicaires ; il lui faut des aides à tout prix, ne fût-ce que pour ne pas biner ; et il lui en viendra de tous les points de la France et surtout de toutes congrégations. Dès le 3 décembre 1791, un ex-récollet le P. Rannou, signe vicaire de Landerneau ; après lui vient un ex-bernardin, puis un ex-augustin. Pillet supprime souvent la messe à Saint-Thomas, et le 7 août 1792, le Conseil le somme de se soumettre à la délibération du corps politique au fabrique du 13 mai précédent, demandant qu'à l'avenir le culte public fût alternativement desservi à Saint-Thomas et à Saint-Julien. Enfin, ces prêtres qu'il a réunis, Pillet réussit à les faire rétribuer (1.150 fr.) comme vicaires, le 14 octobre 1792, à savoir Rannou, Torret, Raby, Pouplard et Thomas, « le Conseil applaudissant au zèle et à l'activité du Curé de Landerneau ».

Pendant que l'Eglise constitutionnelle essaie de s'organiser, les évènements politiques se succèdent avec une rapidité vertigineuse. La Constituante, avant de se séparer, avait codifié une Constitution ; pour la faire accepter de Louis XVI, elle en avait écarté la Constitution civile du clergé ; c'est la charte que, le 14 septembre 1791, le roi acceptait solennellement à l'Assemblée, aux applaudissements de tous ; le soir, Paris était en fête. Une copie de la Constitution fut expédiée aux Communes. Le 7 octobre, à 2 heures de l'après-imidi, le maire de Landerneau, escorté des officiers municipaux, du Conseil général de la Commune et du Directoire du District, sort de la mairie, entre deux haies de gardes nationaux ; devant lui, sur un coussin, est portée une copie de la Constitution. L'autel de la Patrie, resté debout depuis le 14 juillet, a sa parure de fête ; sur les marches se tiennent Pillet et quelques prêtres. Arrivé près de l'autel, le maire, se découvrant, en gravit les degrés, puis, tourné vers le peuple, se met à lire « la Constitution définitive acceptée par le Roi ». La lecture finie, le canon tonne, les cloches sonnent à toute volée et le maire avec son cortège se rend à Saint-Houardon où Pillet chante un Te Deum. On a fait venir des musiciens champêtres, dit le procès-verbal, et des danses et rondes civiques s'organisent. A 8 heures du soir, toutes les maisons sont illuminées, sur ordre de la Municipalité ; le maire se rend sur le quai de Léon pour allumer un immense feu de joie, puis rondes et danses reprennent jusqu'au couvre-feu sonné à 10 heures.

A la fin du mois d'octobre, le député Roujoux écrit au Conseil pour lui demander de l'aider à confectionner un rapport proposant de transférer le chef-lieu du Département à Landerneau. Le Conseil choisit deux commissaires pour établir les éléments de ce rapport dont la rédaction est confiée à Pillet.

Au début de novembre, c'est l'hôpital qui clame misère ; jadis il vivait des droit dits féodaux, la Constitution nouvelle a supprimé ces droits, de quoi vivra-t-il désormais ? Les ressources de la Commune elle-même ont souffert de la suppression de ces droits. Pour sauver l'établissement, il ne reste d'espoir qu'en l'Etat, et le Conseil charge Pillet de faire un mémoire que la ville adressera à l'Assemblée nationale « pour l'apitoyer sur le sort des pauvres de l'hôpital de Landerneau ».

Novembre amène aussi un renouvellement partiel de la Municipalité ; le sort a désigné les membres soumis à la réélection. Pillet est maintenu par le sort, mais que vont donner ces nouvelles élections ? Les limites de la commune étant celles de la paroisse, la paroisse en s'accroissant a vu augmenter le nombre des électeurs de la Commune ; la suppression des paroisses de Saint-Thomas et de Beuzit a mécontenté beaucoup de gens ; la fureur persécutrice de la Société des Amis de la Constitution a révolté bien des âmes, un vent de réaction semble souffler, et Pillet et ses partisans ont peur. Le 17 novembre, le scrutin s'ouvre sous la présidence de M. Cruzel, premier officier municipal, assisté de MM. Kérébel, Goury fils aîné, Pillet, curé, Leyer, vicaire, et Mazurié. Sont élus : Le Gall, marchand ; Dumaige, chirurgien ; Cornec, marchand de vins ; Radiguet, marchand ; Thomas père, marchand ; Y. Le Gall, aubergiste ; Le Guen, avoué ; Anton, cultivateur ; Duboy, juge ; Taneau, savetier ; Le Borgne, juge ; David, bijoutier ; Adam, huissier ; Bervas, aubergiste ; Béon, tanneur. Ce scrutin terminé, on procède à l'élection du maire et du procureur ; M. Jacolot est réélu, et Leissègues fils aîné est nommé procureur. Avant la prestation de serment, Pillet, tout heureux des résultats, prononce un discours qui fait tant plaisir, qu'à l'unanimité on en vote l'inscription au procès-verbal de la séance. Le voici textuellement :

« Messieurs, que ce jour a de charmes pour nous, qu'il diffère bien de ceux qui naguère l'ont précédé. Nous flottions incertain entre la crainte et l'espérance ; ces deux sentiments, qui se disputaient nos coeurs, nous mettaient dans une alternative plus facile à sentir qu'à exprimer ; notre sort était entre les mains de la multitude. Ah ! qui ignore que le grand nombre n'est pas toujours celui de la Reconnaissance ? Je vous l'avoue : moi-même je n'étais pas sans inquiétude, je partageais ce sentiment avec les bons citoyens, avec les vrais amis de la Chose publique, de la paix, de la liberté, de la Constitution. Tout semblait nous présager quelque chose de sinistre, l'espoir peu fondé de ravoir le même chef, d'obtenir son adhésion au voeu de ses concitoyens, l'embarras dans le choix des sujets qui devraient remplacer ceux qui avaient fourni la carrière que la loi leur traçait et dont le grand nombre mérite nos regrets, les dispositions peu civiques de beaucoup de citoyens.

Mais, ô prodige, heureusement presque tous ont senti que la reconnaissance était un besoin pour eux ; il nous ont rendu celui qui depuis six mois présidait à nos séances, celui qui, dans ce court espace de temps qu'il occupe la place de maire, s'est montré digne d'une réélection, celui qui a toujours mis au nombre de ses devoirs de livrer à une prompte exécution les délibérations et de la Commune et du Conseil, qui sacrifiait au bien public ses plus chers intérêts et dont l'unique occupation était de nous rendre heureux. Que ce jour soit donc compté au nombre de ceux que le Ciel dans sa faveur se plaît à accorder aux humbles mortels. Je n'entreprendrai pas ici, Messieurs, de faire l'éloge du premier citoyen de cette ville ; ses vertus morales et civiques parlent hautement en sa faveur. Je craindrai de blesser sa modestie. Soyons ses imitateurs ; il ne demande de nous que de le seconder dans ses travaux, que de l'aider dans le bien qu'il veut faire. Laissons à ceux auxquels il a été contraint de faire sentir la sévérité des Lois à faire l'éloge de son impartialité, de sa modération, de sa fermeté ; ils sauront bien nous dire que son coeur était affligé, angoissé lorsqu'il était forcé de leur faire éprouver que la loi qui protège le citoyen soumis punit le citoyen coupable. Rendons grâces à ceux dont le choix reconnaissant nous a donné pour maire celui que nous désirions, mais n'oublions pas que nous devons un tribut de reconnaissance à ces mêmes citoyens qui, éclairés dans leur choix lorsqu'ils n'agissent que d'après leur coeur, nous ont donné pour procureur de la Commune un citoyen en qui nous pouvons mettre notre confiance ; il a bien voulu descendre de la charge d'officier municipal à la fonction de procureur de la Commune. Juste appréciateur des voeux de ses concitoyens, il a préféré la peine de plaider leur cause à l'honneur de la juger. Oui, mes chers concitoyens, il se chargera avec plaisir de vos intérêts, il sera votre médiateur auprès de la Commune et du Conseil général. Il nous éclairait précédemment de ses sentiments ; souvent ses avis étaient la base de nos décisions ; il les présentera d'une manière si claire, si précise, si méthodique que les moins clairvoyants saisiront bien facilement le point de décision.

Vous, Messieurs, que le libre choix du peuple place au dessus de lui en vous élevant au rang d'officiers municipaux, en vous mettant à la tête de ses plus pressants intérêts, vous qui dans les affaires importantes serez appelés à concourir avec la Commune, vous tous dont le civisme, sans équivoque et généralement reconnu, reçoit aujourd'hui une récompense, vous confirmerez le choix de vos égaux, vous ne vous regarderez au-dessus d'eux que parce que vous êtes à même de concourir plus que jamais à leur bonheur, c'est, nous n'en doutons pas, votre plus pressant désir, vous en ferez vos délices. Aussi nous applaudissons-nous d'avance d'avoir d'aussi dignes coopérateurs. Votre zèle pour la chose publique ne nous est pas inconnu ; déjà vous en avez donné des preuves ; déjà votre mérite vous a placés dans notre estime.

Citoyens, vivez maintenant en paix, avec sécurité. Eloignez de vous les noirs soupçons, les sombres inquiétudes, les craintes décevantes qui jusqu'à ce jour ont troublé votre repos ; vos intérêts ne peuvent être en de meilleures mains. Vous ne vous êtes pas trompés dans votre choix. Des citoyens recommandables par leur patriotisme, des notables que nous nous honorions de posséder dans le Conseil général forment aujourd'hui votre municipalité. Votre garde nationale voit avec admiration plusieurs de ses officiers et sous-officiers parmi les notables. Nous voyons avec admiration un vieillard vénérable, un cultivateur zélé, un père nourricier de la Patrie, siéger au milieu de nous. Mais quand j'aperçois ces dépositaires des organes de la Loi, ces arbitres du sort des peuples descendre complaisamment du tribunal de justice, se mêler à nous, et, pour se distraire, se délasser de leurs pénibles fonctions venir au milieu de nous, nous éclairer de leurs lumières, nous guider de leur, conseils, mon admiration est à son comble et je ne puis assez applaudir au choix du peuple qui connaît bien ci placer sa confiance.

Mais, Messieurs, il vous reste une tâche, un devoir religieux à remplir avant de vous occuper de notre bonheur. Les Décrets exigent de vous le serment et ce serment, nous le lisons gravé dans vos coeurs. Nous, sommes assurés que celui que votre bouche va prononcer n'est que l'expression de vos sentiments les plus chers. Hâtez-vous donc, Messieurs, de prêter ce serment, ce lien sacré qui unit si intimement le citoyen au citoyen, qui nous attache inviolablement à la Constitution. Hâtez-vous de prendre la place que le peuple vous a destinée, il lui tarde de vous voir remplir vos fonctions ; il voit dans le zèle qui vous anime le sûr garant de sa félicité ».

M. Jacolot répond brièvement au discours de Pillet, tous les nouveaux élus prêtent serment, et le Conseil aborde la discussion des affaires courantes. La paroisse de Beuzit ayant été supprimée par la loi parue le 28 octobre, la Municipalité doit procéder à l'élection de quatre commissaires qui devront faire l'inventaire des biens et des objets du culte de cette église. Un scrutin nomme à cet effet MM. Goury fils aîné, Arzur, Radiguet et Le Gall ; Pillet est invité à se joindre à eux pour diriger leurs travaux. Mais aussitôt M. Goury demande au Conseil s'il est libre d'accepter ou de refuser sa commission. Cette question provoque une stupeur dans l'assemblée. M. Jacolot consulte Pillet, celui-ci déclare sentencieusement : « Un élu ne peut sans raison grave se dispenser d'un acte à lui imposé par la loi ». — « M. Goury, dit alors le maire, donnez-nous les motifs que vous auriez de refuser, et si nous les jugeons graves, sous procéderons à l'élection d'un autre commissaire ». — « Ce n'est pas à nous de juger de la gravité de ces raisons, dit Pillet ; du moment que M. Goury est élu, il doit remplir ses fonctions jusqu'à ce qu'une autorité supérieure à la nôtre le dégage de ce devoir ». — « Mais si je donne ma démission de notable, pourrai-je être dispensé de ma commission, demande M. Goury ? ». — « Certes oui, répond le maire, puisque pour être commissaire il faut être notable ; mais de grâce ne parlez pas de démissionner en ce jour ». — « Je donne ma démission, dit alors d'une voix forte M. Goury ». « Pourquoi, clame-t-on de tous côtés ». — « Je donne ma démission », répète M. Goury qui, joignant l'acte à la parole, quitte immédiatement la salle. L'Assemblée est scandalisée, dit textuellement le cahier des délibérations, elle regrette que la loi ne puisse permettre une élection pour un notable, elle nomme M. Adam pour remplacer le défaillant à l'inventaire de Beuzit, et déclare regretter que M. Goury n'ait allégué aucune causse de son refus. L'avenir montrera pourtant que la cause de ce refus est bien connue, la délicatesse de conscience qui ne permet pas à un catholique de se prêter au pillage, si légal soit-il, des biens de l'Eglise ; à partir de ce jour, M. Goury devint suspect à la bande de Girondins sans scrupules qui gouverne Landerneau. (L. Saluden).

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