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LA PRISE DE JERSEY EN 1406 par Hector de Pontbriand et Pero Nino.

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LA LUTTE SUR MER AU XIVÈME SIÈCLE ET LA PRISE DE JERSEY EN 1406

par Hector de PONTBRIAND et Pero NINO.

L'ouvrage El Victorial ou Chronique de Pero Nino (1436) de Gutierre Díaz de Games, est une des plus importantes chroniques de la fin du Moyen Âge en Espagne. Il relate la vie d'un magnat castillan, nommé don Pero Nuño (ou Nino), fils de Juan Nino et d'Inès Lasso (ou Lasa). Pero Nino (né près de Valladolid en 1378 – décédé à Cigales en 1453), seigneur de Cigales et de Valverde, comte de Buelna, fut un militaire, marin et corsaire castillan au service du roi Enrique III en 1406. Ayant préparé en octobre 1406 une expédition à la tête de ses trois galères castillanes Pero Nino s'allia à des troupes françaises dirigées par Hector de Pontbriand (ou Pontbriant), fils d'Olivier Pontbriand, et prépara une expédition contre Jersey.

Pero Nino (Jersey).

Pero NINO.

 

L'île de Jersey.

Les épisodes de la guerre de Cent ans favorables à la cause française sont beaucoup moins connus que les autres. Il ne faut pas en particulier demander grand chose à nos historiens sur les succès partiels qui eurent la mer ou nos côtes pour théâtre. La plupart d'entre eux n'y voient que des actes de piraterie sans portée et les traitent avec un dédain peu intelligent [Note : Voyez, par exemple, ce que dit Henri Martin de l'expédition de Galles (V. p. 475, note), et ce passage d'un historien local : « De 1403 à 1406 on remarque un mouvement très considérable sur la côte Malouine, mais ces pirateries n'ont aucune portée nationale » (Robidou, Hist. et Panor., in-4°, p. 129)]. Il est moins surprenant de ne rencontrer que peu de renseignements dans les historiens anglais. On ne peut vraiment exiger d'eux de se complaire dans le récit des incursions heureuses que nous avons faites sur leur territoire. Il n'en est pas moins vrai que, pendant la période qui s'ouvre avec le règne de Charles VI et surtout pendant les premières années du nouveau siècle, un véritable instinct national fait, sur les côtes et les frontières, de la guerre avec les Anglais un état permanent malgré les trêves et les armistices. Alors aussi, la politique française, toutes les fois qu'au milieu des affreuses discordes de la Cour elle reprend conscience d'elle-même, s'efforce de réaliser les projets de Charles V et de porter la guerre sur le sol ennemi. L'urgence d'une diversion, afin d'écarter le danger que l'on pressent du côté de l'Anglais, s'impose au gouvernement dès qu'il est un peu digne de ce nom, et engage les particuliers dans des expéditions aventureuses.

Chronique de Pero Nino.

El Victorial ou Chronique de Pero Nino (1436).

I.

La situation des Iles Normandes en faisait nécessairement le centre de la guerre maritime. C'était le lieu de ravitaillement, le repaire naturel des corsaires Anglais. Ce devait être l'objet des plus fréquentes incursions des corsaires Français. La proximité permettait d'y tenter à chaque instant des expéditions rapides, utiles pour enrayer l'attaque anglaise et toujours fructueuses. Les insulaires, pour différentes raisons, réparaient vite leurs pertes et s'enrichissaient rapidement. Les passes des îles, le Ruet en particulier, aux environs de Guernesey, offraient des stations navales incomparables. Les flottes de la France ou de ses alliés les occupèrent à différentes reprises et souvent pendant de longues périodes. De là ils fondaient sur les vaisseaux anglais traversant incessamment ces parages, s'abattaient sur les côtes anglaises et à tout propos sur les îles mêmes. Si l'on pouvait suivre avec une chronologie sûre les armements des habitants de Jersey et de Guernesey, les prises et reprises de ces îles et l'occupation de leurs abords, les succès et les défaites en mer des insulaires, le stationnement et les passages des flottes anglaises et françaises au voisinage, pendant la durée de la guerre de Cent ans, on aurait, à bien peu de chose près, le tableau complet de la guerre maritime entre la France et l'Angleterre, et un tableau plein d'aperçus nouveaux. Malheureusement les annales Jersiaises et Guernesiaises sont très incomplètes, pleines d'inexactitudes et de confusions. Froissart, le religieux de Saint-Denys, Juvénal des Ursins et les autres chroniqueurs contemporains ne peuvent parler avec précision de faits qui se sont passés aussi loin. Ils n'ont comme moyen d'information que les récits des bons chevaliers qui ont pu conduire des troupes de débarquement ou former la garnison des navires armés par le roi. A ceux-là le côté nautique proprement dit échappe forcément. A cette époque, comme dans toute autre d'ailleurs, les péripéties de la guerre maritime restent peu connues, malgré l'intensité des efforts de ceux qui y prennent part, « car bataille et assaus sur mer sont plus durs que de terre » (Froissart, ap. Kervyn de Lettenhove, III, 196). Ni l'acharnement des combattants, ni la destruction de grandes flottes, suivie de faits tels que la pendaison d'équipages entiers, ni le ravage de dix lieues de terre anglaise, ne font autant de bruit au XIVème siècle que la prise d'une bicoque par un parti de routiers. Il fallut la proximité de la côte et la participation directe de l'une ou de l'autre des Cours rivales pour donner leur retentissement aux deux faits maritimes qui se rattachent à ce malheureux nom de l'Ecluse. Dans le même ordre d'idées, on comprend la singulière obscurité des événements qui suivirent ces désastres et la méprise absolue des historiens au sujet de leurs conséquences sur mer.

Par exemple, la grande bataille navale du 24 juin 1340 est regardée universellement comme un Crécy maritime qui nous fit perdre la mer. Rien n'est moins exact. La France y éprouva évidemment d'immenses pertes, la destruction de ces armements, dont l'importance a été si remarquablement étudiée par M. Luce [Note : La Marine Normande à l'Ecluse, article inséré dans La France pendant la Guérre de Cent Ans (Hachette, 1890)], fut un malheur public et fit déchoir, dans l'opinion, la puissance de Philippe de Valois. Un grand nombre de navires confédérés sous pavillon français, armoyés aux armes de France, fut sans doute détruit, et la marine normande, qui en faisait la majeure partie, souffrit cruellement. Il n'en est pas moins vrai que nous voyons notre marine se reformer trop rapidement pour qu'elle ait été réellement anéantie. On la trouve immédiatement après occupant les mêmes positions ; on voit peu de changement dans l'état respectif des forces sur mer de 1340 à 1346. Les Anglais ne tirent aucun avantage dans la Manche de leur succès. On n'a aucune preuve qu'ils aient essayé de reprendre Jersey et Guernesey avant 1347. La continuation de la lutte, c'est ce qu'on démêle dans l'obscurité de l'histoire des Iles. Dès 1341, Louis d'Espagne, amiral de France, paraît absolument maître du canal. En 1342, une des plus belles flottes anglaises, celle qui porte en Bretagne la comtesse de Montfort et ses alliés, doit, pour passer, lui livrer en vue de Guernesey une bataille terrible. Les confédérés français tiennent en échec les quarante-six vaisseaux de l'ennemi, lui en prennent quatre sans rien perdre eux-mêmes. L'issue du combat demeure douteuse ; quand une tempête vient séparer les adversaires et même favoriser les Anglais en les portant à leur destination sur la côte bretonne. Cette escadre de Louis de la Cerda était revenue dans cet endroit de la Manche, prendre la place de celle que commandaient deux des combattants de l'Ecluse, l'amiral Quieret et son auxiliaire le Génois Barbavara (Barbevaire). Elle se maintint en ce poste les années suivantes. De quoi se composait-elle ? De navires normands et picards échappés au désastre, tels que ceux que commandait Marant d'Abbeville ; d'autres navires fournis et équipés de nouveau par le Clos des Galées de Rouen, ou empruntés aux divers ports de Normandie. L'organisation de Philippe de Valois subsistait toujours ; et ce prince, si préoccupé de la marine, avait redoublé les sacrifices pour rétablir ses forces navales pendant l'hiver de 1340 et le printemps de 1341. Il y avait de plus dans les flottes françaises un élément qui les rendait difficiles à détruire et devait assurer la continuation indéfinie des hostilités sur mer, moyennant finances, toutefois. Louis d'Espagne avait sous ses ordres des navires auxiliaires commandés par différents chefs, des Espagnols, des Génois sous Grimaldi (Grimaud), sous Doria (Dorn), peut-être l'escadre même de ce Barbavara qui avait su s'esquiver de l'Ecluse. Le rôle de ces mercenaires ressemble beaucoup à celui qu'auront bientôt les grandes compagnies. Il y avait alors sur mer une foule de vaisseaux armés, espagnols, castillans ou aragonais, portugais, génois, basques, bayonnais, provençaux, flamands, bretons, prêts à se mettre aux gages des compétiteurs français ou anglais. Quoiqu'ils fassent de la guerre un métier, ils ont une inclination naturelle, soutenue par les alliances de leurs gouvernements respectifs, mais non exclusive, à exercer ce métier sous le pavillon Français, pour ce qui concerne les Castillans, les Génois, les Ecossais, les Bretons ; sous pavillon Anglais, pour les Portugais, Bayonnais, Basques, Aragonais? Flamands. Philippe VI et ses successeurs entretiennent d'une façon presque permanente un nombre variable de ces navires étrangers, qui devient tantôt l'appoint, tantôt la partie principale de leur armée navale contre l'Anglais. Chil escumeurs sont pour le peu bienveillant Froissart toute la marine française [Note : « Finablement, li Anglais obtindrent la mer et furent chil esqumeurs Normands, Picards, Provençals desconfis ». Ap. Kerv. de L., III, 206]. Il ne craint pas de montrer les Français eux-mêmes se réjouissant de leur destruction. Mais si les écumeurs pouvaient être parfois gênants pour leurs alliés; s'ils entravaient la pèche ou interceptaient les transports de poisson en temps de carême [Note : Ibid., III, 212. Ed. Siméon Luce, II, 226], c'étaient de précieux auxiliaires, la terreur de l'ennemi commun. Il n'en est pas besoin d'autre preuve que la cruauté froide avec laquelle les Anglais se vengent sur l'amiral Bahucet ou Behuchet des exploits qu'il avait faits à leur tête les années 1337 et suivantes, et jugent à propos de s'en débarrasser, quoiqu'il fût prisonnier de guerre, pris dans un combat régulier [Note : « Li amiraus de la mer d'Angleterre le fist sachier amont à une polie et pendre à un mas ». Ibid., III, 206. Luce, II, 222. — Il n'est pas aussi sûr que Quieret eust la teste copée sur le bord d'une nef, quoique Froissart le dise]. C'est de nos ennemis que nos historiens ont naïvement accepté la qualification de pirates, infligée à nos marins de ce siècle. Elle n'est pas plus juste qu'elle ne le serait appliquée à nos glorieux corsaires de l'époque moderne. Les courses des XIVème et XVème siècles n'étaient d'ailleurs que la bien faible contre-partie de l'immense piraterie anglaise. Celle-ci multipliait prodigieusement l'action des grosses flottes officielles qui tenaient la mer des saisons entières. Des bandes de navires armés par des villes anglaises confédérées, une foule de corsaires frétés par de petits ports, par des seigneurs ou de simples particuliers, fondaient à tout moment, en dépit des trêves, sur les côtes de Bretagne, de Normandie et de Picardie, en tel nombre que le Religieux de Saint-Denys emploie à chaque instant pour eux les vieilles comparaisons de nuées d'insectes ou de bandes de loups affamés [Note : Velut inquieti scorpiones... inquieti vermes... Littora insilientes lupina rapacitate. III, 53, 156, 197, 364, etc].

Les écumeurs du parti français ont, pendant la guerre de Cent ans, dans les îles de la Manche, un nom générique resté dans la légende du pays, les Saragousains. Y a-t-il eu en réalité une descente dans les Iles effectuée par des sujets du roi d'Aragon, dont Saragosse était la capitale ? On n'en sait rien. Mais quel que soit le fait qui ait gravé le nom de Saragousain dans la mémoire populaire, ce mot a exprimé pour les insulaires de ce temps l'idée de flibustiers vainqueurs d'origine espagnole, italienne ou provençale, alliés de la France. Les historiens de Jersey ou de Guernesey ont cherché là dessus, avec un louable zèle, à préciser la date de l'invasion de ces Saragousains. L'histoire des Iles est malheureusement trop riche pendant un siècle en descentes de méridionaux, toutes semblables entre elles par les ruines, qu'elles causèrent [Note : « Espagnols, escumeurs de mer, n'ont nulle conscience de mal faire ». Froissart, ap. K. de L. IV, 172]. Le fait qui est l'objet de ce travail n'est pas plus que les autres, quoiqu'on l'ait dit récemment (Pégot-Ogier. Histoire des Iles de la Manche, p. 252), la descente des Saragousains ; mais une des plus mémorables invasions des Iles que la présence de l'élément espagnol permet avec bien d'autres de gratifier de ce nom.

L'attaque par Marant d'Abbeville entre Southampton et Guernesey d'une division de six vaisseaux, écartée par la tempête de la grosse flotte qui portait en France Edouard III ; le ravitaillement de Calais par ce même corsaire à la tête d'une flotille Abbevilloise pendant le siège de 1347, précèdent une période de dépression de la marine française. L'incurie du roi Jean, la pénurie du trésor, les discordes civiles font abandonner la mer. Les événements désastreux de ce règne ont trop occupé les chroniqueurs pour qu'ils aient songé à nous conserver la mémoire des incidents de la course contemporaine.

Le triomphe de Henri de Transtamare vint rétablir l'égalité des forces sur mer. Dès l'année qui le suivit, on voit les heureuses conséquences de l'alliance que la prévoyance de Charles V avait ménagée. Sur nos côtes paraissent bientôt les flottes castillanes, nombreuses, bien équipées, souvent mieux commandées que les flottes anglaises. Lorsque la paix est rompue, au commencement de 1369, le roi, montrant des qualités qu'on se plaît moins à lui reconnaître que la sagesse et la prudence, déploie, en ce qui concerne la marine, une activité prodigieuse. Il en comprend toute l'importance ; « elle avait toute son affection, » nous dit Froissart. En quelques mois, il se crée une flotte, l'équipe à Rouen, à Harfleur, vient lui-même à Rouen surveiller les préparatifs d'une descente très sérieuse en Angleterre, dont il poursuit le projet, malgré l'opposition de son conseil. Aimeri de Narbonne, son amiral, exécute rapidement, en brûlant Portsmouth, tout ce que la survenue des événements rend réalisable de ce plan hardi. La flotte normande est assez forte pour battre et détruire en partie les vaisseaux qui ont fait escorte au roi de Navarre revenant d'Angleterre. Charles V trouve alors dans Yvain ou Owen de Galles un chef capable de faire réussir ses projets. De 1370 à 1373, celui-ci est presque maître de la Manche et fait d'heureuses incursions sur la terre anglaise ; sa flotte franco-espagnole devient la terreur des ennemis. L'année 1372, en particulier, est signalée par une suite de victoires sur mer. L'expédition que Yvain de Galles, Morelet de Montmor et autres dirigent sur les Iles Normandes, eût réussi complètement, s'il n'eût fallu rappeler la flotte dont on avait besoin ailleurs. Le château Cornet de Guernesey était sur le point de succomber.

La grande victoire des alliés espagnols, commandés par Boccanera, devant la Rochelle (22 juin 1372), anéantit une des plus belles flottes anglaises, entraînant la capture du duc de Pembrock et de nombreux seigneurs anglais. Bientôt après l'escadre combinée d'Yvain et des Castillans cause aux Anglais de nouveaux échecs et procure le retour de La Rochelle aux mains du roi. La représaille de ces défaites amène les Anglais dans le port de Saint-Malo, où ils brillent, malgré la neutralité de la Bretagne, sept navires espagnols à l'ancre (avril 1373).

Pendant le siège de Brest, qui tint la majeure partie de l'été de cette année 1373, se place la descente de Du Guesclin à Jersey. On sait que le connétable appliquait avec prédilection un des procédés de la guerre du temps, afin de multiplier ses opérations. Quand il avait investi une place et fortement entamé la défense, il économisait son temps et ses forces en proposant aux assiégés un traité de capitulation éventuelle, subordonnée à la condition de la venue d'un secours dans un temps donné. Le traité accepté, les cautions reçues, le connétable partait pour d'autres expéditions, ne laissant devant la ville assiégée que de simples forces démonstratives, et le siège se continuait tout seul, presque fictivement, moralement, comme nous dirions. Aux environs de l'échéance, si l'arrivée du secours n'avait pas eu lieu, le grand capitaine revenait prendre livraison de la place. Suivant cette manière d'agir, qui fut certainement appliquée au siège de Brest, il est très admissible que Du Guesclin se soit embarqué, cet été de 1373, avec un certain nombre de ses soldats, soit sur les vaisseaux d'Yvain de Galles, qui croisaient devant Brest, ou même sur des vaisseaux bretons, le duc de Bretagne étant alors en fuite et presque dépouillé de son duché. Les Iles étaient ouvertes depuis l'expédition d'Yvain de l'année précédente. Du Guesclin a pu entreprendre la conquête du château du Gouray de Jersey, le Montorgueil actuel. La prise de cette forteresse eût privé les Anglais d'un précieux arsenal. En tout cas, Bertrand ne fut pas assez heureux pour le prendre et obtint seulement un traité de capitulation à l'échéance de la Saint-Michel. Mais Salisbury survint, ravitailla le Gouray et, exécutant les conventions, mit à la côte française les soldats laissés par le connétable. Tel est le récit. Accepté sans conteste par les historiens des Iles, très flattés évidemment d'une visite du grand Du Guesclin, particulièrement d'une visite malheureuse. Ils se sont plu à la raconter à leur avantage. La source unique de tout ceci, il faut le dire, est d'Argentré, qui abonde d'ailleurs en détails sur l'épisode (Ed. de 1588, p. 246-7). M. Gustave Dupont, dans sa bonne histoire du Cotentin et de ses Iles [Note : Caen, Le Blanc-Hardel, 1870-85, II, p. 436-43 — Lettre d'Edouard III à Ph. de Courtenay et Raoul de Ferrière, du 28 août 1373, ap. Duncan, history of Guernesey. p. 585], s'est livré à l'examen critique de la question et a produit deux ou trois textes qui tendent à confirmer le récit d'Argentré. Il n'en ressort pas cependant, nous semble-t-il, la certitude de la venue de Du Guesclin lui-même à Jersey, mais seulement celle d'une capitulation conditionnelle du Gouray à la fin d'août 1373.

La trêve de juillet 1375 n'empêcha nullement les Anglais de continuer leurs prises sur mer. Une flotte espagnole très considérable, 80 vaisseaux, évolue toujours sur nos côtes et fait en représailles une immense capture de navires anglais allant au sel. Charles V employa les premiers mois de 1377 à de grands armements, qu'il mit en mer au jour de l'expiration officielle de la trêve (24 juin), sous le commandement de son amiral Jean de Vienne. La flotte royale fut rejointe par celle de l'amiral de Castille Sanche de Tovar ; et l'une et l'autre se dirigèrent vers les îles de Wigth, Jersey, Guernesey et les côtes anglaises. Cette expédition se trouvant coïncider avec la mort d'Edouard III et une certaine désorganisation du gouvernement anglais, eut le plus heureux résultat. Les alliés revinrent à Harfleur chargés des dépouilles des Iles et d'une foule de villes de la grande terre brûlées et saccagées. On ne sait rien de la descente qu'ils avaient faite à Jersey. Les détails qui en sont donnés par quelques auteurs sont empruntés à une expédition qui eut lieu plus tard, celle précisément qui est le sujet de ce travail [Note : Dupont, II, 451. — M. Buchon ayant confondu Pero Nino avec un certain Pero Fernandez de Velasco, a été cause de cette transposition]. La même année, Jean de Vienne sortit prendre de nouveau Wight, mais il trouva cette fois la côte anglaise bien défendue ; l'hiver l'obligea à regagner Harfleur, et ce fut la fin des succès maritimes du règne. Les Anglais reprennent bientôt l'offensive, brûlent dans le port de Boulogne vingt-six vaisseaux, surprennent un convoi de vingt-deux autres. Les corsaires de la ville anglaise de Rye font même, au commencement de 1378, une descente à l'embouchure de la Seine et ravagent les villages environnants. On sait que cette année 1378 marque un certain recul des armes françaises. Du Guesclin échoue devant Cherbourg. Les forces anglaises, maîtresses de la mer, ravitaillent la place à leur gré. « Le duc de Lancastre, dit Froissart, avoit nettiet tous les havenes de Normandie des François, et nuls n'en y avoit sur la mer ». Ce nouvel état d'infériorité de nos forces maritimes avait pour cause l'absence de la majeure partie des navires espagnols ; alors retenus au blocus de Bayonne. Jean de Vienne, venu à Saint-Malo à la fin de mai 1378, ne peut réunir un assez grand nombre de Castillans pour former avec ses navires une flotte capable de s'opposer aux desseins des Anglais (D. Morice, Preuves, II, 392). Aussi Lancastre aborde-t-il librement à Saint-Malo, et peut y débarquer tranquillement un matériel de guerre des plus considérables. Sa flotte mouille en Rance et sous la ville. Aucun incident maritime ne paraît avoir signalé les péripéties de ce siège fameux. Les Iles contribuent au ravitaillement de l'armée de débarquement et leurs convois ne trouvent aucun obstacle. Où étaient alors les corsairs malouins ? La marine ne joua pas un rôle plus important l'année suivante, quand le duc de Bretagne revient dans sa duché. Hugues de Caverley et Thomas de Percy dissipent facilement la croisière franco-espagnole et font entrer en Rance les vaisseaux qui portaient le duc et sa fortune. La dernière année de Charles V, le commencement du nouveau régne, voient la continuation de notre infériorité dans les régions maritimes voisines de la Bretagne. Les Iles Normandes retombent pleinement aux mains de l'Angleterre.

Le duc de Bretagne triomphe des Malouins en 1384. Aux efforts de la seigneurie et de la bourgeoisie malouine, pour demeurer indépendantes, se mêlait une adhésion secrète à la politique royale. La soumission de Saint-Malo fut un échec pour la cause française. Les régents de France continuaient cependant avec une certaine énergie l'exécution des plans de Charles V. Sous leur impulsion, la marine normande a de nombreux succès en 1382. Une année de trêve permet de préparer une utile campagne au secours de l'Ecosse et de reprendre le grand projet d'invasion en Angleterre. Une heureuse alliance assure la neutralité du duc de Bretagne et permet à Clisson d'employer une partie des forces bretonnes à la réussite de ce dessein. On connaît les détails de cette gigantesque entreprise, qui occupa les années 1385 et 1386. On sait quelle flotte prodigieuse se réunit à l'Ecluse, et comment la déplorable mésintelligence des chefs, la trahison, et aussi les suprêmes efforts de l'Angleterre, eurent raison de cet immense armement dont le succès eût sauvé la France. A cette réunion de navires, inouïe pour l'époque et colossale pour tous les temps, la Bretagne avait largement contribué. On avait vu les commissaires du roi, Jean de Blaisy et Jacques de Montmor, la parcourir en tous sens pour presser l'envoi des vaisseaux [Note : Mandement du 7 sept. 1386, faisant partie de notre collection de pièces concernant Saint-Malo]. Le comté de Penthièvre, sous l'impulsion de Clisson, fournit en grande partie cette étonnante ville de bois démontable que l'on construisit à Tréguier, que 72 navires bretons devaient transporter, et dont le Connétable s'obstina si maladroitement à parachever l'exécution. La destruction de tant de forces ne découragea pas Clisson. On le voit encore en 1387 préparant un débarquement qu'il devait conduire lui-même en Angleterre, moins considérable, mais peut-être plus sagement conçu. On sait trop comment la perfidie de Jean IV vint à point enrayer les desseins du Connétable, pour un temps, car Clisson eut la persévérance de les reprendre en 1389. Mais quoiqu'un nouveau traité eût assuré le concours de la Castille, rien ne put réussir.

Pendant ces années, le comte d'Arondel, maître de la mer, manoeuvre librement devant les côtes normandes et bretonnes, stationne aux environs des îles du Canal ou de Bréhat ; et trouvant fort heureusement Saint-Malo et les ports de la côte du nord de la Bretagne déjà saisis par les Français, laisse cette croisière pour fondre sur la Saintonge, y détruit un immense convoi marchand ; puis revient bientôt sur la Normandie. Durant les dix dernières années du siècle, il n'y a plus pour nous que la guerre de course. Elle continue malgré les trêves comme toujours. On en trouverait le témoignage dans Rymer et ailleurs ; mais nous ne pouvons faire ici le relevé de ces faits intéressants.

Avec le XVème siècle commence une nouvelle phase de la guerre maritime. Le duc Jean IV a disparu. Son inimitié constante pour la France, ses alliances momentanées, toujours peu sincères, sont remplacées par une minorité aux mains du duc de Bourgogne. La prépondérance française s'établit dans le conseil du duché, l'alliance bretonne va devenir un point d’appui dans les nouvelles péripéties de la lutte. Le premier effet de cette alliance est d'amener corsaires et flottes anglaises sur les côtes de Bretagne ; les pillages et les captures exaspèrent les Bretons qui bientôt s'associent avec ardeur aux entreprises des Français. Ceux-ci possèdent alors sur nos côtes, dans Saint-Malo, un second Harfleur. Il est très douteux que, depuis la surprise de Saint-Malo par Robert de Guité en 1387, cette ville fût retombée aux mains du Duc. En tout cas, en 1394 il s'était produit de la part des habitants et de celle du gouvernement de Charles VI une série d'actes tendant à faire de Saint-Malo une dépendance de la Couronne. La ville se donne officiellement au Pape ; le Pape la cède par bulle au roi de France. Le Roi accepte et prend possession suivant toutes les formes de la légalité. Saint-Malo reste alors française jusqu'en 1415 et peut ainsi contribuer directement aux événements.

En 1403, à la fin de juin, la croisière anglaise ayant mis le comble à l'exaspération par la prise de onze vaisseaux aux approches de Brest (Rel. de S. Denys, III, 105), il sortit presque immédiatement de ce port trente navires commandés par l'amiral de Penhouet, Jean, son fils, et Guillaume du Chastel. Les Bretons défirent complètement la flotte anglaise au Raz de Saint-Mathieu, après un combat des plus mémorables (8 juillet) et d'un acharnement inouï. Un grand nombre des vaincus fut jeté à l'eau avec une férocité dont le détail donné par le religieux de Saint-Denys (Religieux de S. Denys, III, 109) ne laisse aucun doute sur les sentiments des Bretons à l'égard des Anglais. Enhardis par ce succès, plus que par les encouragements du duc de Bourgogne assez hésitant dans cette circonstance, Penhouet et Guillaume du Chastel ne craignirent pas, après avoir quelque peu augmenté leurs forces, de faire voile pour l'Angleterre. Ils pillent au passage Jersey et Guernesey (Cf. le Victorial, note de M. de Circourt, p. 389) ; entrent sans coup férir dans le port de Plymouth, dévastent les environs, rançonnent les habitants, brûlent une partie de la ville. Ils reviennent à Brest chargés de butin, avec le même bonheur, sans aucune rencontre des forces anglaises [Note : Rel. S. Den. III, 107 ; Monstrelet, p. 275 ; Walsingham, p. 369. — Plaintes du roi d'angl., ap. D, Morice, II, 731.]. Mais au commencement de novembre les Anglais viennent descendre à Penmarck, poursuivent leurs représailles à Saint-Mathieu [Note : Et non Saint-Malo, comme le dit D. Taillandier, I, 433. — Indemnité « à l'abbé de S. Mahé pour ce qu'il a esté grandement endommagé par les Anglais ». (Janvier 1404, N. S.) Actes de Bretagne, II, 740] dont ils incendient l'abbaye, détruisent ce qu'ils trouvent de navires bretons ancrés au voisinage. Puis ils s'en vont cueillir sur les côtes de Saintonge la flotte de vendange de l'année.

Alors s'arma dans le port de Saint-Malo une flotte de grande importance ; de trois cents voiles, s'il faut en croire le religieux de Saint-Denys [Note : Rel. S. Den. III, 173, 169. — Il faut dire que les chroniques de Capgrave, de Walsingham, de Pero Nino, et le rapprochement de différents actes insérés dans Rymer, modifient les données de nos chroniqueurs sur les circonstances de cette tentative, point de départ, lieu d'arrivée, etc]. Elle devait opérer simultanément avec celle qui partit vers le même moment, de Normandie sous la conduite de Guillaume Martel, des seigneurs de Bacquevillé et de La Roche Guyon, à destination de l'île de Portland.

L'expédition bretonne est celle de Guillaume du Chastel, du sire de La Jaille et du seigneur de Châteaubriant. Elle débuta mal, on rencontra une flotte de vins espagnole qui fut pillée malgré les traités avec l'Espagne. Ce fait déplorable commença entre les chefs la mésintelligence, qui s'accusa dès qu'on fut parvenu en vue de la côte où l'on devait atterrir, celle de Darmouth [Note : L'Histoire de Bretagne, dit Yarmouth, elle fait partir la flotte de Brest. D. Taillandier a suivi uniquement le Religieux de Saint-Denys et Juvénal. — C'est une pure erreur de Moréri et de différents généalogistes d'avoir placé à Jersey tous les faits de l'expédition de G. du Chastel]. On aborda à Blackpole, à cieux milles de Darmouth (Cf. Le Victorial, notes de M. de Circourt, p. 286, 562), le 15 avril 1404. On y trouva les Anglais prêts à se défendre ; plus de six mille hommes des milices assemblées et habilement retranchées. L'avant-garde de deux cents Bretons descendue à terre se vit dans une position critique. La sagesse indiquait d'attendre, pour attaquer l'ennemi, la survenue du gros de l'expédition. C'était bien l'avis de Guillaume du Chastel. Il n'en engagea pas moins l'action sur un mot piquant du sieur de La Jaille. Il y périt après avoir émerveillé les Anglais par les coups prodigieux de sa grande hache qu'il maniait en vrai du Chastel. Du petit corps de troupes qui l'accompagnait, il ne survécut que vingt-quatre hommes d'armes ou chevaliers, tous prisonniers. L'expédition reprit la mer et regagna la Bretagne. La perte d'un tel champion de la chevalerie, le héros du fameux combat des Sept, donna à cette aventure un immense retentissement et provoqua la naissance d'une légende qu'on pourrait appeler la rescousse de Tanneguy.

Cette légende, qui eût pu devenir un poème, a été recueillie par le Religieux de Saint-Denys (Rel. S. Den.  III, 179. — Histoire de Bretagne, D. Lobineau, I, 506 ; D. Morice, I, 436). Tanneguy du Chastel accourant venger son frère aurait débarqué à Darmouth, mis la ville en cendres, massacré les habitants, ravagé une contrée étendue, puis serait revenu triomphant malgré tous les efforts du roi d'Angleterre.

M. de Circourt, dans les notes savantes de son édition du Victorial (Victorial, notes, p. 562-67. — Histoire de Bretagne, Pr. II, 741, 770), ne laisse rien subsister de ce récit. Il résulte en effet de plusieurs documents, que Tanneguy du Chastel et un autre de ses nombreux frères, nommé Henry, auraient été faits prisonniers dans le combat même où périt Guillaume, et seraient restés en Angleterre toute l'année qui suivit. On y voit un certain John Hauley acquérir de deux hommes d'armes leurs droits sur Tange Castel frère du Seigneur de Castel, lequel ils avaient fait prisonnier à la journée de Blackpole. Puis ledit Tanneguy devient un objet de commerce entre seigneurs anglais jusqu'au 1er juin 1406, où Jean de Lancastre accepta sa rançon. D'autre part, l'auteur du Victorial passant, en 1405, à Darmouth, s'apitoie sur le triste sort de Guillaume du Chastel. Il n'eût certes pas manqué, dans son antipathie pour les Anglais, de célébrer la vengeance de Tanneguy, si elle eût eu lieu. C'est une légende qui s'est appropriée les souvenirs de l'expédition heureuse de l'année précédente [Note : A Olivier du Chastel et non à Tanneguy appartient la défaite des Anglais en Bretagne, en 1404, et la mort du comte de Beaumont. Les historiens ont suppléé à tort le prénom de Tanneguy dans le récit de cet événement. Le Religieux de Saint-Denys dit seulement le seigneur du Chastel. Cf. d'Argentré, 1588, p. 557 ; D. Morice, Histoire de Bretagne, I, 436 ; Rel. S. Den., III, 198].

Dès le commencement de 1404, la France avait promis son aide au prétendant de Galles, Owen. Bientôt se réunit à Brest un nombreux armement de vaisseaux de tout rang destiné à transporter les forces promises. Les Anglais essayèrent inutilement, par une descente hardie aux environs de Brest, de détruire ces préparatifs; mais les retards inqualifiables du comte de la Marche, nommé chef du débarquement, empêchèrent de partir avant novembre 1404. La saison ne permit plus qu'une course hâtive à Falmouth et à Darmouth, qui ne servit en rien la cause du pays de Galles ( Rel. S. Den., III, 197, 224).

Les circonstances étaient si favorables pour la France qu'elles imposèrent une nouvelle tentative en faveur d'Owen. Le roi de Castille promit de nouveau de bonne grâce l'exécution du pacte de secours mutuel, et se prépara à envoyer dans les eaux de Bretagne une flotte considérable. Brest vit partir à la fin de juin cette mémorable expédition. Elle se composait de trente-deux navires seulement. Le maréchal de Rieux, messire Jean de Hangest seigneur de Huqueville, messire Le Borgne de la Heuse [Note : Le Borgne de la Heuse, un des chefs, est mentionné comme étant déjà parti pour le pays de Galles dès le 5 juin 1405, dans une pièce que nous insérerons par ailleurs. Il n'est donc pas possible de reculer le départ à la fin de juillet, comme l'ont fait les historiens], commandaient les troupes qui avaient été levées en Normandie et en Bretagne, du consentement des barons. On n'a pas remarqué que la présence des deux derniers chefs indique le concours de Harfleur, où était le dépôt des galères du grand maître des arbalétriers, charge que possédait alors de Hangest ; et celui de Saint-Malo, dont de la Heuse était momentanément capitaine. Ils abordèrent à Milfort, dans le comté de Pembrock. On verra plus loin pour quels motifs la grande flotte espagnole de Martin Ruiz de Avendano, qui comptait quarante vaisseaux de haut bord et devait à ce moment arriver sur nos côtes, ne s'y joignit pas, au grand préjudice du résultat. Une légère flottille, commandée par le capitan espagnol Pero Nino, que nous allons retrouver, vint seule évoluer quelques jours sur la côte de Galles, y fit quelques razzias et s'éloigna. La flotte bretonne ne s'attarda pas après avoir effectué le débarquement du corps expéditionnaire que nous n'avons pas à suivre dans ses glorieuses aventures. Elle fut fort éprouvée au retour, étant tombée dans la croisière que faisaient le capitaine des Cinq Ports Harry Paye, le lord Berkeley et Thomas de Swinburne.

L'île de Jersey.

II.

Il y eut un redoublement des hostilités anglaises sur mer au printemps de 1406. La Cour de France fut même avertie que l'ennemi préparait une descente en règle. On crut savoir qu'il se dirigerait vers la Bretagne, et en particulier sur Saint-Malo, alors ville française. C'est ce qui ressort de deux mandements de Jean V, des 23 et 30 juin 1406, dont M. R. Blanchart a heureusement rectifié la date [Note : Mentions dans les Lettres et Mandements de Jean V, publ. par les Bibliophiles Bretons, I, p. 99, n°s 306, 307] ; et pour ce qui concerne Saint-Malo, d'un document inédit de notre collection. Nous voulons parler de Lettres de surséance de procès accordées par le roi, le 3 juin 1406, à Philippe de Villiers, seigneur de Macy, « lequel est parti pour aller en nostre ville de Saint-Malo pour la garde et seureté d'icelle soubz le gouvernement de nostre amé et féal chambellan Robert de la Heuse, pour résister aux entreprises de nos ennemis ». Nous croyons qu'il faut aussi attribuer à ces appréhensions la présence dans les environs de la même ville d'un seigneur du pays, Hector de Pontbriand (Bibl. Nat. Pièces originales, Gén. de Pontbriand), que ses fonctions retenaient d'ordinaire près du duc d'Orléans.

Pierre de Pontbriand, surnommé Hector, est un personnage très négligé par les généalogistes, et sur lequel les mentions n'abondent point. Fils d'un Olivier de Pontbriand, employé sous Du Guesclin dans la guerre de Normandie (D. Morice, Pr. II, 264, 528 ; Montres du 1er mars 1381. (N. st.), du 12 octobre 1386), on le trouve d'abord faisant partie de la garde de Dol, dans la lance d'Olivier de Mauny le jeune. Il suit le même capitaine à l'Ost de Flandres. Puis on le perd de vue pendant plusieurs années. Un mandement de Louis d'Orléans, du 21 mai 1400, nous apprend qu'il faisait partie de sa maison comme escuyer d'escurie. Il reçut 200 livres en considération de ses agréables services et « pour l'indempniser de la perte de ses chevaux, lesquelz ont esté nagaires ars en l'abbaye de Chaalis ». La possession de cette charge de Cour, que Pontbriand conserva près de Charles d'Orléans [Note : Un Mandement du 9 août 1411 ordonne au trésorier du duc de payer à messire Baudran de la Heuse, chev., son chambellan, 40 l. pour prix d'un haubergeon d'acier, que ce prince lui avait acheté pour en faire don à Hector de Pontbriand, en considération de ses services. Bibl. Nat. Pièces originales], ne nous dit rien, mais un autre document nous fait voir ce qu'était, aux yeux des contemporains de 1406, l'homme qui portait ce surnom chevaleresque de Hector. Il est désigné, avec Charles de Savoisy, le brillant seigneur que nous retrouverons, comme un des tenants de la France dans une série de joûtes qui doivent avoir lieu sur le sol anglais, une de ces montres de prouesse auxquelles conviendrait assez le nouveau terme barbare de championnat. Les deux coryphées de la chevalerie française, munis d'un sauf-conduit de Henri IV, « ad certa facta armorum infra regnum nostrum facienda », partent avec leur suite à la fin de Mai et reviennent au commencement de Juillet 1400, escortés du héraut Lancastre, chargé par le roi d'Angleterre de les accompagner [Note : Cf. Rymer, Fœdera, Conventiones, etc., à la date du 27 avril 1400 (ap. Pq.) et du 6 juillet 1400. (III, p. 182, 187)].

Une telle mission permet de ranger Hector de Pontbriand parmi les meilleurs de ces glorieux chevaliers qui firent de ce siècle, le siècle des Bretons. Sa biographie n'est malheureusement pas longue. On le voit retourner en Angleterre, en 1412, comme député du duc d'Orléans ; puis l'histoire le laisse, en 1414, dans le corps d'armée du connétable de Richemont (Cf. D. Morice, Pr. II, 905, 909). Il put prolonger loin sa carrière ; il n'est pas absolument impossible que le beau tombeau de Saint-Lunaire ne soit le sien [Note : Ce tombeau serait de la fin du XVème siècle, d'après M. de la Borderie (Galerie bretonne, 1881, p. 128, Saint-Lunaire) ; mais Hector, né vers 1365, a pu ne mourir que vers le milieu du siècle suivant].

Les faits mentionnés dans le document suivant, qui n'a pas encore été signalé, donneront un nouveau relief au personnage de Hector de Pontbriand [Note : Ce qui suit est une traduction, plutôt destinée à l'intelligence du texte que littérale. Nous donnons la pièce elle-même à la suite de ce travail].

Pledant en notre Parlement, notre féal chambellan Robert de la Heuse dit Le Borgne, capitaine de notre ville de Saint-Malo, demandeur ; et notre cher Pierre de Pontbriand surnommé Hector, écuyer, Raoul du Boul, Guillaume Le Boucher, Robin des Camps, Jean Morard de Harfleur, défendeurs ; sur ce que le demandeur disait que le 9 octobre dernier 1406, un certain Anglais de Jersey, appelé Jacques Devinter, étant venu de cette île aborder au port de Saint-Malo, plusieurs soldats du dit Le Borgne, à savoir, Guillaume de Foville, Thomas Perier, Jean du Bois Richard, à la vue de son navire, descendirent au port pour s'informer, selon l'usage, de la nationalité du survenant et savoir dans quelles conditions il naviguait ; s'il avait les lettres de sauf-conduit qui lui étaient nécessaires pour entrer à Saint-Malo, cette ville étant au roi de France alors en guerre avec les Anglais.

Devinter n'ayant pu exhiber aucun sauf-conduit, les soldats le saisirent et au nom du Borgne de la Heuse, leur capitaine, le déclarèrent prisonnier et firent promettre à l'Anglais, sous la foi de son serment, de rester en leur pouvoir.

A ce moment survinrent Raoul du Boul, Guillaume Le Boucher, Robin des Camps qui enlevèrent de force Devinter des mains des soldats et l'emmenèrent. Il fut alors conduit à Hector de Pontbriand. Ce dernier ayant refusé absolument de le rendre malgré toutes les réclamations du Borgne de la Heuse, celui-ci se pourvut en Parlement. Il en obtint des lettres l'autorisant à contraindre par tous les moyens ses adversaires à la restitution du prisonnier. Opposition du sieur de Pontbriand et des siens ; en fait désobéissance absolue aux Arrêts. Nouvel ajournement ; finalement condamnation de Hector de Pontbriand à dix mille livres. Tels sont les faits exposés par le capitaine de Saint-Malo dans sa requête.

La réponse faite au nom des défendeurs est tout l'intérêt de cette longue pièce. De Pontbriand, y est-il dit, est un bon et vaillant écuyer qui s'est comporté dans les armées de la façon la plus brillante et a servi le Roi dans toutes ses guerres. L'an passé, un très grand nombre de riches marchands de sel et d'autres denrées se trouvant en mer dans les environs de Saint-Malo n'osaient entrer dans le port parce qu'ils n'étaient pas équipés en guerre et que plusieurs pirates de l'île de Jersey et des autres îles occupaient les abords de la ville. Dans ce danger, Hector de Pontbriand vint audacieusement au secours des sauniers avec ses vaisseaux et ses soldats, à grands frais il les convoya et fit si bien qu'ils purent gagner le port de Harfleur en Normandie. Ce fut alors, ajoutent les défendeurs, que de Pontbriand, voyant qu'il y avait dans ce lieu un très grand nombre de navires bien équipés et bien armés, s'étant assuré le concours d'un Espagnol appelé Perronio et de beaucoup d'autres qu'il enrôla, fit voile vers Jersey, après avoir obtenu le congé du Roi. Il y avait dans cette île par l'incurie du capitaine de Saint-Malo, chargé de la garde des côtes voisines, un très grand nombre de Français retenus prisonniers par les insulaires, car ceux-ci étaient dévoués au parti des Anglais. De Pontbriand et ceux qu'il commandait se jetèrent sur l'île de Jersey, y entrèrent courageusement de vive force, en assiégèrent la ville, et soumirent de telle sorte les habitants de l'île que ceux-ci les supplièrent de les recevoir à composition, offrant pour leur rançon le payement de huit mille livres et la reddition pure et simple de tous les sujets du roi de France qu'ils retenaient prisonniers. Ces conditions ayant été acceptées, les Jersiais avaient payé une partie de la somme fixée, délivré trente prisonniers Français, et s'étaient engagés à fournir des otages et des garants de la complète exécution du traité. C'était pour le règlement de cette affaire d'otages que les insulaires avaient envoyé, à la date fixée par la convention passée avec leurs vainqueurs, et conduit à Saint-Malo Jacques Devinter et plusieurs autres des leurs, sans armes, et avec une faible escorte de navires, munis du sauf-conduit du sieur de Pontbriand. Mais au moment où ils approchaient de la ville, Robert de la Heuse et les siens coururent sus aux Jersiais délégués, Devinter réussit alors à passer à Harfleur grâce à l'aide de marins de cette ville, mais les gens du capitaine de Saint-Malo se saisirent des mariniers insulaires et de leurs navires, jetèrent leurs prisonnier au fond des cachots et mirent tout en oeuvre pour leur extorquer de grosses sommes à titre de rançon. Une telle conduite avait indigné les habitants de Jersey qui répétaient hautement que les sujets du roi de France n'avaient ni foi ni loyauté, puisque Jacques Devinter et ses compagnons avaient été ainsi traités, alors qu'ils se rendaient pour l'exécution d'un traité, pourvus d'une sûreté du seigneur de Pontbriand, lequel en sa qualité de chef de corps d'armée avait tout pouvoir légal pour leur délivrer un sauf-conduit. N'était-il pas à craindre, ajoutaient les défendeurs, qu'une telle manière d'agir ne causât le massacre de ce qui restait de Français prisonniers dans l'île. Et ils concluaient au rejet de la demande et à la condamnation de leur adversaire aux dépens.

La réplique du capitaine de Saint-Malo est significative. Elle établit la certitude absolue du beau fait de guerre qui rend le nom de Hector de Pontbriand très digne de passer à la postérité.

L'adversaire commence en effet par confesser que de Pontbriand s'était courageusement comporté dans cette circonstance et avait fait une louable entreprise. Mais, ajoute-t-il pour les besoins de la cause, il n'a cependant point agi avec autant de circonspection qu'il l'eût dû. Il n'appartenait qu'au roi seul de délivrer des sauf-conduits entre des belligérants ainsi que d'organiser des expéditions contre les ennemis de la couronne. Il n'était permis à aucun de ses sujets de faire la guerre sans licence royale ou mandement spécial délivré en forme par le grand Conseil du roi. De tout quoi de Pontbriand ne fournissait aucune preuve. Et quand bien même il eût obtenu le congé du roi pour faire quelque armement ou quelque course ; y eût-il fait des prisonniers ; ceux-ci ne pouvaient entrer dans le royaume qu'ils n'eussent reçu un sauf-conduit soit du roi, soit de quelque autre ayant le pouvoir d'en accorder ; ce qui n'était point le cas du sieur de Pontbriand. Si Devinter avait eu quelque lettre de sûreté de ce dernier, ce titre ne pouvait engager que le seul de Pontbriand et ceux qui dépendaient de lui.

Les défendeurs répondent à leur tour qu'ils n'avaient pas besoin de Lettres en forme pour justifier d'un congé obtenu, en un cas d'urgence, du Roi, vu qu'ils le pouvaient prouver par le témoignage de personnages dignes de foi. Quant au droit de délivrer des sauf-conduits et des lettres d'assurance, il appartenait en effet en entier au Roi, mais seulement en ce sens que lui seul pouvait accorder des licences de circuler par tout le royaume.

Le parlement de Paris trancha ce long débat de la manière suivante : Il fit en premier lieu donner par Hector de Pontbriand caution de 500 livres tournois, enjoignit à de la Heuse de mettre en liberté les cinq prisonniers qu'il retenait, et de se dessaisir de leurs biens ; ordonnant en outre que, selon la demande des parties au cours du procès, des témoins seraient entendus, et ce, par conseillers du Parlement départis à les ouïr ; apres quoi, il serait fait droit.

Tels sont les faits sur lesquels intervient le présent arrêt, rendu ou relaté au registre des appels jugés le 9 mars 1407 (N. St.), qui, après l'audition des témoins sus-mentionnés, tout vu et tout considéré, décharge Hector de Pontbriand et ses adhérents de toute poursuite, condamne Robert de la Heuse aux dépens de la cause, qui seront taxés en Parlement, et par un même, ordonne la mise en liberté pure et simple des prisonniers du capitaine de Saint-Malo, et la main-levée de leurs biens.

Le capitaine de Saint-Malo, assez maltraité dans le narré de Hector de Pontbriand, est le fameux Borgne de la Heuse, dominus Strabo de Heusa. Les de la Heuse sont de très importants seigneurs de cette partie de la Normandie qui avoisine la Picardie. Celui-ci est le petit-fils de l'amiral de France, Baudran de la Heuse [Note : P. Anselme, Gén. des Amiraux, VII, 755. — La Heuse, Bellencombre dont Robert était châtelain, Cressy, Saint-Elier et autres fiefs qui lui appartenaient sont entre Arques et Neuchâtel. Il acquit aussi dans la basse Normandie, plusieurs terres des Paynel. (Bibl. Nat. Pièces originales, de la Heuse)] ; c'est un très notable capitaine, bien en cour, à en juger par diverses faveurs plus explicites que la qualification un peu banale de chambellan du roi [Note : Le 12 août 1389, il est gratifié, par le Roi, de mille livres à partager avec le futur grand maître des arbalétriers, Jean de Hangest et Jacques de la Heuse, frère de Robert, dit le petit Baudran. « Pour les bons et agréables services qu'ils nous ont faits au fait de nos guerres, comme aussi pour eux aider à tenir plus honnestement leur estat ». — En 1393, il reçoit le château de la Motte ayant appartenu à Bertrand du Guesclin. — Le 7 janvier 1405 (N. ST) il assiste pro parte regis à l'hommage de Jean V (ibid) ; — Ap. Kerwyn de Lettenhove, table de Froissart, v°. — D. Morice, Pr. II, 735. Bibl. Nat.]. Il figure dans la plupart des belles campagnes du règne, Flandre, Gueldre, etc. Il a même à son actif, comme nous l'avons vu, sa participation à l'un des plus-beaux faits d'armes du temps, l'expédition de Galles. C'était vraisemblablement en vue de cette entreprise qu'il avait été implanté dans la capitainerie de Saint-Malo le 27 mai 1405, malgré les droits du préoccupant. Le vieil amiral de Trie, qui en avait été longtemps gouverneur, et occupait ses dernières années à se défaire avantageusement de ses charges, avait fait à Olivier de Mauny une première cession dés le 9 septembre 1404. La complexité des intrigues de la cour ne permet pas de savoir quelle influence obtint du même de Trie une seconde résignation en faveur de la Heuse. Le parti d'Orléans était au pouvoir, et de la Heuse, bourguignon notoire, l'emporte sur de Mauny, zélé armagnac. Mais à peine de la Heuse eut-il quitté Saint-Malo pour le pays de Galles, que de Mauny profita de son absence pour entamer contre lui un grand procès dans le but de se faire restituer la capitainerie.

D'après les documents inédits auxquels nous empruntons ces détails [Note : Ils sont en partie relatés dans le Journal de Nicolas de Baye, greffier du Parlement de Paris, pub. par M. Al. Tuetey. I, 153, 188], les Malouins soutenaient dans ce débat le Borgne de la Heuse afin de se soustraire à l'autorité de de Mauny, qu'ils haïssaient. La cour de France après avoir tergiversé finit par abandonner ce dernier. Un mandement royal, du 1er décembre 1405, maintint de la Heuse. On doit probablement voir dans ce fait la défiance de l'élément breton représenté par de Mauny. Saint-Malo, dont la restitution était déjà promise au duc de Bretagne, ne restait aux mains du roi que grâce à des atermoiements qui ne devaient prendre fin qu'en 1415. Toujours est-il que jusqu'au 2 juillet 1407, Robert de la Heuse trouva moyen de se maintenir dans la possession de Saint-Malo [Note : Nicolas de Baye nous a conservé l'opinion intime du Parlement dans ce débat : « A esté conclud que l'en attendrait la santé du Roy, lequel si voloit ou welt croire le conseil de la court ne mettra à Seint Maalo en Breteigne pour capitain ne ledit Olivier ne ledit Borgne ». 17 février 1406. (N. st.) Ibid., p. 153]. Alors succombant en justice, aussi malheureusement que dans son procès avec Hector de Pontbriand, il se vit forcé de transiger avec son compétiteur. Quelque temps après, il reçut, peut-être comme compensation, la capitainerie de Pontorson [Note : « Au lieu de feu nostre tres cher et tres amé frere le duc d'Orléans » (Bibl. Nat. loc. cit.)].

On écrirait une biographie intéressante du Borgne de la Heuse, dont le nom se rencontre très souvent chez les historiens des discordes civiles [Note : Rel. S. Den. V, 33, 69, 235, etc. — Juvénal, ap. Michaud, 473, 475, 477 484. — Bourgeois de Paris, ibid, 640, 644. — D. Morice, Pr., II, 902].

Depuis 1408, il fait partie du grand conseil du roi. Il souscrit en cette qualité la pièce officielle où Charles VI demande le secours du duc de Bretagne [Note : Reçus du Cabinet des Titres, V° de la Heuse ; D. Morice, Pr. II, 860 ; Bibl. Nat. X 1A 4789, f° 371.]. Peu après il commande des troupes bourguignonnes au siège de Saint-Remy du Plain et à celui de Dreux. A la fin de mai 1413, il est choisi par le bizarre gouvernement du duc de Bourgogne uni aux Cabochiens comme Prévôt de Paris, au lieu de ce Pierre des Essarts qui allait être victime des événements. Il est nommé, avec l'assentiment des meneurs Cabochiens, un des douze seigneurs non suspects chargés de juger leurs prisonniers. Puis on crut bon de le distraire de ces fonctions et de l'exercice de sa Prévôté, en l'envoyant, en juillet, combattre les Anglais qui descendaient à Dieppe, entreprise « où il fut lourdement débouté », mais qui lui évita d'assister au supplice de son prédécesseur. A son retour de Normandie, le duc de Guienne, usant de l'influence qu'il venait de reprendre, le destitua de la prévôté de Paris et le remplaça par Tanneguy du Chastel. La Heuse resta toutefois quelque temps encore employé à la garde de Paris et attaché au service du roi ; mais après le départ du duc de Bourgogne, se sentant devenir suspect, il quitta Paris (janvier 1414). Depuis ce temps, il paraît s'être consacré à la défense de la Haute-Normandie. C'était un seigneur fort processif ; il eut entre autres un interminable débat avec Colart d'Estouteville, au sujet des guets de la châtellenie de Bellencombre (Arch. Nat., X 1A 56, f° 583, 23 août 1409, etc.), et encore d'autres litiges. Les de la Heuse de la guerre de Cent ans méritent un souvenir, l'un périt à Poitiers, l'autre à Nicopolis, un troisième à la défense de Harfleur, en 1415. C'est une race d'élite.

Le rôle prépondérant donné à Hector de Pontbriand dans l'arrêt analysé ci-dessus, laisse bien effacé ce certain Espagnol appelé Perronnio, qui n'y est cité qu'une seule fois. Il est facile de deviner que ce Perronnio, associé par le seigneur Breton à son projet, n'est autre que le fameux Pero Nino. Notre document vient fort à point fournir pour la première fois la confirmation d'un texte en ce qui concerne la prise de Jersey, à la chronique de ce personnage, rédigée par Gutierre Diaz de Gamez. La pièce de procédure contribuera à attestersur les points essentiels la véracité de ce livre, un des plus délicieux du moyen-âge, mais quelquefois classé parmi les romans de chevalerie [Note : Dans le catalogue de Don Pascual de Gayangos, ap. Rivadeneyra, XL, p. 41, Discurso preliminar] et, s'il faut le dire, atteint par la suspicion naturelle de l'historien sérieux contre tout récit qui n'est pas ennuyeux. Cette chronique, déjà trop romanesque, trop Espagnole, a eu de plus le malheur d'être tournée en roman maritime par l'ingénieux Southey, écrivain qui avait le don des trouvailles historiques, et par malheur celui de tout rendre romantique, et même troubadour. Walter Scott, a-t-on dit, met de l'histoire dans ses romans, et Southey fait de l'histoire un roman. On ne s'est guère douté, pendant longtemps, que l'auteur de la Naval history of England, dans les pages piquantes où se mêlent les campagnes maritimes ou galantes de Pero Nino, ne faisait que traduire un texte [Note : Ce passage de Southey a été inséré dans la Revue Britannique, septembre 1835, p. 35-59. — M. de Courson a donné un feuilleton historique intitulé : Aventures et prouesses d'un capitaine castillan et d'un chevalier français sur les côtes de Bretagne, Normandie et Angleterre, en l'an 1405 (Moniteur universel, 25 août 1853), reproduit dans l'Annuaire historique du Morbihan de 1854. M. de Courson, après quelque préambule sur la marine, n'a fait que rééditer la traduction de la Revue Britannique, dont il était sans doute l'auteur]. Quelques détails sur le livre et sur le héros du livre feront mieux comprendre le caractère de l'intervention de Pero Nino dans la prise de Jersey, et suivre avec plus d'intérêt sa version du même fait.

Le Victorial [Note : Le Victorial, Chronique de Don Pedro Nino, comte de Buelna, Paris, Palmé, 1867, in-8°. Bibliographie du texte espagnol dans Potthast V° Gomez, Ulysse Chevalier, Bio-bibliog. du M. A. V° Gourez] est le récit des exploits de Don Pero Nino, comte de Buelna, par un enseigne qui l'a accompagné dans les mers du Levant et du Ponant. A une narration claire, détaillée et pleine d'intérêt, se joignent quelques hors-d'oeuvre historiques et littéraires à la façon du temps, une longue théorie du parfait chevalier et aussi une espèce de morale en action tirée des faits et gestes de Nino à l'usage des jeunes damoiseaux. Car, de tous les chevaliers, dans l'esprit du bon Alferez, le plus parfait est l'impeccable Nino. Tout est à imiter dans ses pensées, ses dires, ses actions, que la Fortune récompense avec une constance imperturbable. Peu d'hommes résisteraient à un pareil livre, si surtout ils étaient convaincus de l'avoir suggéré. Pero Nino n'y perd point. On se dit en somme, après l'avoir lu, que si le comte de Buelna a trop complaisamment savouré pendant ses années de retraite la gloire de sa belle carrière, ce noble Castillan, favori des princes et des rois, si bien vu des grandes dames de France et d'Espagne, était l'homme le plus digne de ses succès.

Nous ne pouvons le suivre dans la première période de sa vie. C'est dans la Chronique qu'il faut lire ses enfances et ses premières armes. Elles rappellent celles d'un autre champion de prouesse, seigneur de même allure, le bon Boucicaut, élevé près du Dauphin de France, comme Nino près de l'Infant de Castille. Il obtient pour récompense de ces débuts la main de Dona Costanza de Guevara, d'une famille de Ricos Hombres, plus illustre que la sienne. La mort prématurée de celle-ci lui rouvre bientôt une nouvelle carrière dans cet ordre de conquêtes, où il devait un jour, pour couronnement, obtenir la main de l'Infante Dona Béatrice de Portugal.

Pero Nino n'a guère que vingt-cinq ans en 1403, quand il est envoyé par son souverain contre de redoutables corsaires, naturels de Castille, qui infestaient les mers du Levant. Il sillonne la Méditerranée à leur poursuite. Rompu aux manœuvres navales par ces courses, il utilise ses vaisseaux dans la guerre qui vient d'être déclarée aux Barbaresques. On le voit dans la rivière de Tunis sauter tout seul sur un navire more et s'y défendre jusqu'au moment où les siens, triomphant d'un ressac, réussissent à le rejoindre. Dans une autre campagne, il débarque en Barbarie, ravage la côte, pille des smalas arabes. Après un séjour à Cadix où, il laisse son nom (La calle do Pero Nino), il franchit le détroit et s'en va désarmer à Séville. Puis il se rend à Ségovie où était alors la cour d'Espagne et y jouit un instant de sa gloire au milieu des fêtes du baptême de l'Infant.

Ce fut alors que Pero Nino sollicita du roi Enrique le commandement particulier de trois petites galères que l'on armait dans le port de Santander et qui devaient rejoindre l'élément principal des forces navales envoyées par le roi de Castille au roi de France, la grande Armada de Séville, commandée par Martin Ruiz de Avendano. Cette belle flotte, malgré une longue croisière de deux ans, ne devait pas avoir d'histoire. Peu soucieuse dès le début d'apporter un concours efficace à la guerre maritime, elle se chargea de trafiquants espagnols, de marchandises diverses, et se réduisit à servir de convoi à des navires de vins et de denrées. Ainsi s'expliquent ses retards continuels et ses longues stations. C'est du reste l'accusation directe que porte, contre l'amiral, Pero Nino devenu chef de la petite division (Victorial, p. 273). Le roi avait, en effet, volontiers consenti à lui ménager cette occasion de s'enrichir par la course. Il lui fit délivrer une commission régulière qui avait pour condition la subordination au capitaine général de l'expédition. Nino s'affranchit immédiatement de cette entrave en partant seul à l'aventure sans s'occuper d'Avendano.

Nous en venons à une des plus brillantes courses maritimes que l'on puisse raconter. Elle rappelle une de ces belles chevauchées dont Froissart aime à faire et à refaire le récit. Le bon enseigne, Diaz de Gamez, a le charme imprévu d'un Froissart, homme de mer. Unique en son genre, son ouvrage vient nous donner à souhait le tableau le plus complet de la vie maritime à cette époque. L'expédition se place en août et septembre 1405, c'est-à-dire pendant la campagne de Galles.

Pero Nino était devenu un marin consommé, un manoeuvrier plein d'audace et d'expérience. Sa chronique est si complète au point de vue technique, qu'elle a pu servir de répertoire à M. Jal pour tout ce qui concerne la marine du temps. Au début de sa longue campagne navale, il parcourt les mers de Guyenne et de Saintonge, courant les navires des Anglais et de leurs sujets méridionaux. Il ne craint pas d'entrer dans la Gironde, pleine de navires ennemis ; il remonte jusqu'à Bordeaux, brûle ou dévaste une partie des faubourgs, des maisons de plaisance, sous les yeux des riverains. Il échappe, avec un bonheur inouï, aux centaines de navires et de barques mis à, sa poursuite. Après ce coup de main qui montre le personnage, il rentre avec son butin à La Rochelle.

Il y séjourne quelque temps, retenu sans doute par la supériorité des forces anglaises qui le guettaient.

Mais bientôt survient à La Rochelle un certain gentilhomme banni de la cour, tout à fait de la trempe de Nino, que la chronique espagnole appelle Mosen Charles de Sabasil. Southey l'a identifié avec bonheur. C'était le fameux Charles de Savoisy, seigneur de Seignelay, fils de Philippe de Savoisy, le conseiller de Charles V. On trouvera partout les curieux incidents de ses querelles avec le Parlement et l'Université. Banni, spolié, excommunié, ayant vu raser son hôtel, émerveillement des parisiens, il expiait durement l'avanie faite par ses gens à quelques écoliers. Il n'était pas cependant à bout de ressources. Peut-être le duc d'Orléans et la cour, qui l'avaient secrètement soutenu contre ses adversaires, lui avaient-ils fourni des subsides (Rel. de S. Den. III, 316 ; Juvénal ap. Michaud, p. 436). Quoi qu'il en soit, Savoisy avait conçu un dessein que les contemporains louent à l'envi et très justement, celui de rétablir ses affaires aux dépens des ennemis de l'Etat en faisant la course ; et il amenait de Marseille à la Rochelle deux belles galères qui portaient tout un corps d'arbalétriers bien équipés. Pero Nino et Savoisy se connaissaient de réputation ; ils s'entendirent immédiatement. Nino haïssait particulièrement ce peuple anglais « qui n'a d'affection pour aucun autre » (Victorial, p. 264). Il avait d'ailleurs souffert personnellement des ravages du corsaire Harry Paye à Gijon et à Sainte-Marie de Finistère. Savoisy concéda gracieusement à son allié le droit de faire allumer le fanal de poupe sur sa galère capitane, ce qui le faisait maître des signaux et chef de l'escadre (A costumbre de capitan de mar). Est-ce à dire que Savoisy ne fut qu'un auxiliaire d'aventure du capitaine espagnol ? Non. L'importance donnée à son rôle par le Religieux de Saint-Denys, chroniqueur en titre, par Juvénal des Ursins [Note : Voyez le chapitre du Rel. de laudabili expeditione Karoli de Savoseyo (Liv. XXVI, chap. XVII, ap. Bellaeuet 316). — Juvénal, p. 430], qui ignorent Pero Nino et ne font des galères castillanes qu'un appoint, montre qu'il était le chef avoué de l'élément français dans une expédition reconnue presque officiellement. Le concours de Nino n'y a donc pas eu le caractère absolument dominateur qu'il s'attribue, et ceci est à noter pour comprendre la nature de son rôle dans l'entreprise qui fait l'objet de ce travail.

Nous renvoyons pour les premières escales de la flotille corsaire à l'itinéraire si bien étudié par M. de Circourt et nous la prendrons après qu'elle a franchi les périlleuses passes de Saint-Mathieu. Les associés firent d'abord, probablement, une courte croisière dans les eaux de l'archipel normand, s'avancèrent dans la Manche jusqu'à la pointe de Blanchart, peut-être même jusqu'à Harfleur où ils durent s'adjoindre deux baleiniers normands. Ils reviennent alors sur Saint-Malo (Samalo de Villa, Chr., p. 274) et en partent de concert pour la côte anglaise. Mais une furieuse tempête les disperse. Ils se rallient à grand peine dans le port de l'Abervrac'h. Le détail des savantes manoeuvres de Pero Nino les jours de tempête est aussi intéressant que celui de ses combats et plus original. C'est vraiment une véritable bonne fortune de posséder cette chronique qui nous donne au commencement du XVème siècle les mémoires d'un véritable marin. Pour les apprécier, il faut relire, dans Froissart, ce qui se rapporte à la marine, ces transports de lances de chevaliers embarqués malgré leur prédilection pour un autre plancher, de corps d'armée inertes et passifs que conduisent des marins gagés à peine entrevus. A cette époque, on le sait, les amiraux eux-mêmes ne sont que des chefs d'amirauté, qui, la plupart, comme Clignet de Brabant, n'ont point vu la mer avant leur entrée en charge. Un vrai corsaire pouvait seul réussir ces aventures de flibustier, et l'on ne saurait trop lui savoir gré de nous les avoir contées.

Le 23 août 1405 (Rel. S. Den., III, 317), ils partent de l'Abervrac'h, reconnaissent bientôt la côte de la Cornouaille anglaise, coulent un premier groupe de dix-neuf barques, arrivent le 27 près d'un port appelé suivant les récits Tache ou Chita, noms difficiles à concilier [Note : M. de Circourt y voit Saint-Erth â l'embouchure de l'Heilmouth. — Ce lieu a contre lui d'être un peu loin de Darmouth]. Ils y capturent 4 vaisseaux, 26 navires marchands, débarquent audacieusement en présence de nombreuses milices, les défont, prennent la ville, la pillent, la brûlent, chargent leur butin sur les deux meilleurs vaisseaux de leur prise qu'ils expédient à Harfleur.

Le lendemain ils sont à Darmouth… Il serait beau d'y descendre venger Guillaume du Chastel ; mais les rivages sont garnis de troupes régulières, nombreuses ; on voit s'approcher des vaisseaux ennemis. Nino, s'il faut l'en croire, fait d'inutiles efforts pour entraîner Savoisy à entamer l'action. Après un léger conflit entre les deux chefs, la prudence l'emporte et on reprend la mer. Ils passent sous Plymouth, mais à leur vue les navires anglais rentrent précipitamment en rivière afin d'être protégés par les feux de la ville. Les corsaires les suivent hardiment, essuient de formidables décharges de bombardes et de canons tirées des remparts. L'artillerie du temps ne portait heureusement pas juste, quoiqu'elle parvînt déjà assez loin [Note : Il est dit qu'un boulet de pierre alla tomber à plus d'une demi-lieue après avoir passé au-dessus des galères à la hauteur de deux tours superposées. Chr. p. 295]. Ils échappent sans avaries. Ils cinglent alors vers l'île de Portland où ils touchent le 29 août. Les deux chefs, chacun de son côté, la font piller consciencieusement, n'épargnant que l'abbaye qui s'y trouvait.

Au retour de cette besogne fructueuse, les ravageurs qui forment le gros de l'expédition, doivent livrer sur la grève un combat acharné aux communes qui s'y sont rassemblées. La marée survient à propos pour les empêcher de succomber sous le nombre et ils quittent ce lieu, y ayant vengé, à leur possible, la défaite subie l'année précédente par G. Martel et les marins normands.

Les jours suivants s'employèrent à ranger la côte anglaise en y faisant de nombreuses descentes accompagnées de razzias. Dans une courte envahie, qui paraît le fait personnel de Savoisy, car Nino n'en parle pas (Rel. S. Denys., III, 318 ; Juvénal, p. 436), cinq villes ou gros bourgs sont brûlés. Cette flotille si légère, toujours prête à reprendre la mer à la première alerte, ne craint pas de s'enfoncer dans la baie de Pool. Les Espagnols assaillent seuls Pool même, et, vainqueurs, lui font subir le traitement ordinaire de l’incendie. Mais ils ne peuvent rejoindre leurs navires qu'après un terrible combat et évitent à grand peine l'injure suprême d'être secourus par leurs alliés. Savoisy sut, en faisant de ses aventures le récit qui parvint à nos chroniqueurs, se donner à la cour le beau rôle de vengeur du nom français. Il descend à l'île de Wight pour y laver l'affront que vient d'essuyer le comte de Saint-Pol. Il est certain que lui et ses alliés y triomphèrent encore des Anglais et incendièrent la ville. lls ne s'attardent pas dans leur succès ; c'était sage. Bientôt ils nagent sans crainte vers le port de Hantonne (Southampton), si fameux au mayen-âge. Les galères allaient exclusivement à la rame, toute l'expédition est un prodige de l'art du rameur. Bientôt débarqués, ils mettent en fuite par une grêle de traits le corps de troupe qui se présente pour protéger les abords de la cité. Les forces de l'aventureuse association n'étaient pas suffisantes pour rien tenter sur la ville elle-même ; ils n'en emportent pas moins de haute lutte une estacade et de redoutables défenses dont l'escalade leur permet d'incendier quelque faubourg ou village dépendant du port [Note : Auquel s'applique sans doute le nom d'Annot. Car il faut corriger le religieux de Saint-Denys qui parle de deux descentes, l'une à Hantonne, l'autre dans un port du nom d'Annot dont Games ne parle pas et que ni Southey, ni M. de Circourt n'ont pu retrouver]. Aux lueurs de l'embrasement, ils s'éloignent, et se rabattant sur l'estuaire, y cueillent un navire à la vue des Anglais. Il se trouve que cette capture précipitamment remorquée est un Génois, sujet de la France, précédemment conquis par l'ennemi et que l'on doit relâcher. Ceci se passe le 1er septembre. Alors la flotille victorieuse pointe sur Harfleur, se ravitaille en passant à Aurigny et à Chausey, et entre bientôt en Seine. L'entreprise exécutée avec la rapidité nécessaire à de pareils coups de main était terminée dès les premiers jours de septembre. Le temps contraria une nouvelle tentative qu'ils essayèrent à la fin du mois suivant et pour laquelle ils s'étaient renforcés de trois baleiniers de Harfleur. Nino remonta alors à Rouen avec ses galères pour y prendre ses quartiers d'hiver.

Nous n'avons pas à suivre Pero Nino parmi les incidents si pittoresques de son séjour en Normandie. On les a racontés plusieurs fois en traduisant les pages charmantes de Gutierre de Gamez. Le seigneur espagnol et son secrétaire sont plus cultivés, plus raffinés peut-être que leurs contemporains français. L'un sait trouver près de la dame de Sérifontaine, nom que l'histoire littéraire devrait retenir, un vrai roman sentimental ; l'autre sait écrire ce roman avec finesse et y ajouter l'intérêt des descriptions de lieux et des peintures de moeurs. Nous devons aussi négliger le passage de Nino à la trop brillante cour de France pendant cet hiver de 1405. Il y va multiplier les prouesses de chevalerie, jouir de sa gloire bien acquise, et aussi réclamer avec persévérance la solde arriérée de ses galères. Laissons aussi de côté la seconde campagne navale qu'il ouvrit vers la fin de juillet 1406, toujours avec Savoisy. Elle eut pour théâtre les côtes plus éloignées de la mer du Nord et les alentours de Calais. Nous noterons seulement, pour l'éclaircissement de ce qui suit, qu'ils partirent de Harfleur où il était descendu de Rouen rejoindre Savoisy. Le capitan espagnol s'assura du concours des trois baleiniers normands bien armés déjà mentionnés (Victorial, p. 366). Ce printemps là, les Anglais en représailles des entreprises françaises de 1405 avaient mis sur mer plus de forces que d'habitude. Leurs corsaires s'efforçaient de dépasser la moyenne ordinaire de leurs ravages. Les côtes anglaises et particulièrement celles qui avaient été l'objet des attaques étaient bien mieux défendues. Aussi la flotte alliée dut-elle s'en aller vers le Nord, où elle espérait trouver un ennemi moins sur ses gardes. De tous les incidents de cette croisière, nous n'en relèverons qu'un seul à cause de sa date.

L'escadre franco-espagnole tomba, presque en vue de Calais, au milieu d'une grande flotte anglaise, composée de vaisseaux de guerre et de nombreux transports, immobilisée par le calme. Elle parut à Pero Nino bonne à attaquer, quoique l'abordage ne fût pas possible à cause du trop grand nombre des ennemis. Il lance ses vaisseaux hardiment au travers des Anglais, et poussant devant sa galère capitane une chaloupe chargée d'un brûlot, il s'efforce d'enflammer tout un groupe de transports rassemblés bord à bord. Un baleinier normand évolue avec une surprenante légèreté, frappant à droite et à gauche, s'engageant et se retirant habilement. Mais au milieu des plus savantes manoeuvres et après de premiers succès, chèrement disputés, le vent se lève et force les assaillants à renoncer à leur entreprise. Or, cette flotte anglaise était, d'après des témoignages qui concordent entre eux, celle qui portait en Danemark la fiancée du roi Eric, Philippe, fille du roi d'Angleterre. Elle était partie du port de Lynn un ou deux jours après le 3 septembre 1406 (Cf… Rymer, à cette date — de Circourt, chr, p. 385 et note 18), et avait été obligée par des causes inconnues de descendre du côté de Calais, où Nino dut la rencontrer dès le 6 ou 7 de ce mois. Le regret d'avoir manqué une telle occasion persiste chez le comte de Buelna, vieux, et devenu puissant seigneur. Il s'exhale, dans la chronique de son enseigne, en lamentations curieuses sur l'inconstance des vents et de la fortune.

Bien peu de jours après, Charles de Savoisy dut interrompre sa campagne. La séparation des seigneurs associés pour la course eut lieu dans le port du Crotoy, où la mauvaise saison les retint assez de temps pour que les ressources dont Savoisy disposait pour la solde de ses mariniers et arbalétriers se trouvassent épuisées [Note : Gamez indique un mois de séjour au Crotoy (Chr., p. 386). La concordance des faits qui suivent ne permet guère d'admettre plus d'une quinzaine]. Il jugea bon de retourner à la cour s'en ménager de nouvelles (Rel. S. Den., III, 389. — De Circourt, p. 362). Il était d'ailleurs à la veille de se réconcilier avec ses ennemis du Parlement et de l'Université. Ils se séparèrent fort à regret. Pero Nino reprit la mer, suivi des trois baleiniers normands qu'il avait conduits en Flandre, et se dirigea vers Harfleur à la fin de septembre 1406.

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En analysant les circonstances qui accompagnent la prise de Jersey dans le Victorial, nous n'insisterons que sur les passages qui prêtent au rapprochement des deux versions. Nous renverrons pour le surplus à la Chronique elle-même et à l'excellent travail de MM. de Circourt et de Puymaigre déjà cité.

Pero Nino, parvenu aux environs du cap qui termine le pays de Caux, rencontra six autres baleiniers de course qui sortaient de Harfleur cherchant aventure. Il les prit un moment pour des Anglais, mais ils se firent reconnaître et les deux flotilles se rassemblèrent bord à bord. Le commandant Castillan reconnut avec joie que ces corsaires étaient tous de ses amis ou connaissances. Les survenants lui dirent qu'ils allaient en quête de navires ennemis, et que s'il lui plaisait ils le suivraient de bon coeur. On décida en commun de se porter sur la côte de Bretagne où l'on pouvait espérer bonne rencontre. Un jour (sans doute le surlendemain), à l'aube, on vit sur les côtes bretonnes une caravane de 120 voiles environ qui s'éloignaient très lentement à cause du calme. Les galères nagèrent aussitôt vers elles et les atteignirent aisément. Ce n'était point un convoi anglais, mais des navires français (ou plutôt bretons) qui allaient chercher du sel au port de Batz.

Alors Pero Nino tint conseil avec les patrons et maîtres des baleiniers normands, parmi lesquels il cite Guillaume et Jacques Li Buxieres [Note : Il faut préférer cette forme aux autres variantes de ce nom dans les ms. espagnols comme rappelant mieux celui de Le Boucher qui figure dans l'Arrêt de Parlement], et leur proposa de passer en Angleterre. Mais les Normands lui dirent : « Il y a près d'ici une île anglaise fort riche qu'on nomme Jersey la grande. Si vous pouviez avoir assez de monde pour y vaincre quatre ou cinq mille hommes qui l'habitent ; vous acquerriez beaucoup d'honneur et vous y gagneriez de bonnes rançons. Vous possédez un grand renom ; la Bretagne est tout près, abordez-y, envoyez vos lettres aux seigneurs des environs ; ils accourront et vous vous entendrez avec eux pour l'exécution de ce dessein. Commencez toujours par arrêter ces navires qui vont au sel ».

Nino suivant cet avis pria les transports de sel « de demeurer pour choses qui importaient au service du roi, leur seigneur », et de l'accompagner à l'île de Jersey où ils auraient part à l'honneur et au gain. « Nous ferons pour vous, répondirent les maîtres et patrons des sauniers, ce que nous ne ferions pour aucun chevalier de France qui le nous commandât ». Et tous mouillèrent rapidement.

Bientôt arrivèrent, à l'endroit de la côte où le capitaine avait abordé, une quantité de bons chevaliers, d'hommes d'armes et d'archers. L'alferez Gamez met ici une belle harangue dans la bouche de son chef. Après une allusion bien naturelle à ses exploits de l'année précédente, Nino constate l'impossibilité pour le présent de s'attaquer avec des forces restreintes à la terre anglaise, les ennemis étant de tous côtés sur leurs gardes. Il déplore le rôle passif de la grande flotte espagnole d'Avendano : « Je n'ai, dit-il, que ces trois galées et ces braves Normands qui me suivent de leur bon gré » et il incite par des paroles énergiques les chevaliers bretons à se joindre à lui afin que passant à Jersey ils puissent y avoir une bonne journée.

Or, il y avait parmi les Bretons Ector de Pronprianes è et senor de Tornamira [Note : Ce Tournemine, si l'on s'en réfère à la meilleure généalogie des Tournemine, celle donnée par M. A. de Barthélémy, dans la Revue historique et Nobiliaire (année 1872, p. 5), est probablement Pierre, seigneur de Plancoët, qui avait épousé Tiphaine Du Guesclin, et mourut en 1414]. L'un d'eux répondit par un discours fort courtois et tout à l'honneur de Pero Nino, où il exprimait l'adhésion entière des Bretons et leur enthousiasme pour l'entreprise qu'il préparait. On y remarque ces mots : « Vous nous commanderez, nous vous obéirons en cette affaire et en toutes autres que vous voudrez entreprendre ». Dans la réplique du capitaine, également empreinte de la politesse castillane la plus parfaite, celui-ci dit entre autres : « J'aurais voulu passer en Angleterre, mais il est trop tard parce que voici déjà l'hiver. Eussions-nous assez de forces, le temps nous manquerait ; mais la grande île de Jersey que vous connaissez bien n'est vous le savez qu'à sept lieues de mer d'ici, nous y pouvons être promptement et réussir dans nos desseins ».

En deux jours, ils se mettent tous en mer, bien équipés (Victorial, p. 391). Ils partent alors à la voile et à la rame par beau temps, et parviennent dans une des baies de l'Ile. Les insulaires, à la vue de cette flotte, se rassemblent en hâte et accourent en grand nombre au rivage.

Nous laisserons de côté une escarmouche où faillirent rester le soir de l'arrivée une cinquantaine d'imprudents débarqués pour le singulier motif de ramasser des coquillages pour leur souper. Cet incident montra la nécessité d'une rigoureuse discipline.

Jersey : bataille de 1406.

Vers le milieu de la nuit, à marée haute, Nino fit descendre toutes les forces de débarquement sur un îlot dont le reflux devait faire une presqu'île, et qu'il était facile de fortifier [Note : On ne peut désigner ce lieu avec certitude. Peut-était était-ce l’ilot où l'on a bâti depuis le Fort Elizabeth, dans la baie de Saint-Hélier. Il était déjà relié à la côte de l'île par une espèce de Sillon, suivant la description de Jersey, par M. Falle]. Puis il fit pousser au large toutes les embarcations pour enlever à sa petite armée toute possibilité de fuite. Deux heures avant le jour, tout le monde commença à s'armer. Pero Nino, malgré sa résistance et après un combat de courtoisie digne d'un Castillan et d'un chevalier de marque, avait dû accepter le commandement général. Il régla la place respective des batailles, des porteurs de pavois, des archers et arbalétriers qui devaient combattre sous leur abri, et donna des ordres pour la Marche après le combat. Au point du jour, il fit passer tout son monde sur le sol de Jersey. Le théâtre de l'engagement était une grande grève, longue d'une demi-lieue. Le capitaine donna encore la dernière main à l'ordre de bataille. C'est bien le mot ; car, dit le chroniqueur, « il n'y en eut pas un qu'il ne toucha de sa main pour le ranger ». Nous laisserons le noble discours de Nino remettant sa banière au corps principal. Autour de cette bannière, il y avait bien mille hommes d'armes, Castillans, Bretons, Normands. Elle était flanquée de gens de trait groupés en deux masses sous leurs enseignes, précédés de deux pavesades, chacune de soixante hommes. Nino sut utiliser une troupe irrégulière qui faisait partie de l'expédition et qui semble assez nombreuse. Il la désigne sous le nom de Los pillartes. Peut-être étaient-ce simplement des valets d'armée, des rameurs, des sauniers ; peut-être aussi des volontaires, pêcheurs et mariniers des côtes voisines, amenés par l'espoir du pillage et de la représaille à l'égard des Jersiais.

Enfin les Anglais s'avancent en bel ordre au nombre de trois mille à pied et deux cents à cheval. Les cavaliers essayent un mouvement tournant qui ne réussit pas, et l'action s'engage de toutes parts. Après différentes péripéties dans lesquelles la Chronique ne s'occupe que des Castillans, l'issue demeurait douteuse, quand Pero Nino, considérant au milieu de l'ennemi un pennon blanc à la croix de saint Georges, appela le bon chevalier Hector de Pontbriand et ceux de ses hommes d'armes qu'il put reconnaître dans la mêlée, et s'adressant à eux et aux Normands qui l'entouraient, il leur dit : « Tant que ce pennon sera debout, jamais les Anglais ne se laisseront vaincre, faisons tous nos efforts pour l'abattre ». Alors Nino et Hector, suivis d'une cinquantaine d'hommes, sortent du fort de l'action, et prenant rapidement à revers les batailles des Anglais, parviennent au pennon et l'abattent après un rude combat avec les meilleurs chevaliers insulaires. Ils eurent le bonheur de tuer de prime abord le chef de tous les Anglais que l'on appelait le Receveur. C'était en effet le receveur des taxes du roi d'Angleterre dans les Iles. Sa mort entraîna la défaite totale des Anglais qui s'enfuirent dans toutes les directions.

Après la victoire, arbalétriers, pillartes, rameurs, se répandent par le pays, volant et pillant sans crainte. Le capitaine Nino rétablit non sans peine l'ordre parmi les siens et s'efforça de rassembler les coureurs. Car une des préoccupations de la Chronique est de donner à l'expédition le caractère d'une opération régulière tant au point de vue de la stratégie qu'à celui du droit de la guerre.

Nous ne saurions suivre l'alferez Gamez dans le détail des faits qui succédèrent à cette bataille. Les renseignements uniques que renferme le Victorial pour la description de l'île au XIVème siècle, et l'étude de sou état politique si intéressant ont d'ailleurs été plusieurs fois mis en lumière par les historiens anglais ou par ceux du Bailliage [Note : A remarquer cette phrase dans les colloques de Nino avec les insulaires : « Ces îles sont de l'appartenance de la Bretagne, vous étiez autrefois Bretons et par la mauveseté de ceux dont vous descendez vous vous êtes rebellés et faicts Anglais », Victorial, p. 403]. Nos documents ne fournissent pas sur cette partie de l'expédition de données complémentaires. Ils sont au contraire à rapprocher des circonstances de la capitulation de la ville de Jersey et de la fin de l'expédition racontées par l'enseigne de Pero Nino.

La Chronique semble témoigner d'un certain désaccord entre les éléments de l'expédition sur l'usage à faire de la victoire. Nino émet au conseil l'idée, peu pratique, d'achever la conquête de l'île et de l'occuper comme maîtres et seigneurs sous la suzeraineté du roi de Castille. Les, Bretons, suivis en cela sans doute par les Normands, mieux au courant des dangers d'une pareille occupation dans un lieu si rapproché de l'Angleterre et incessamment visité par les flottes anglaises, ont hâte de se tirer de là avec leur butin. Si Pero Nino forma le beau dessein qu'il se fait prêter par son chroniqueur en titre, il est bien difficile d'admettre que tous ces Français qui avaient joint leur énorme armement aux trois modestes galères de l'Espagnol se fussent prêtés à assurer une conquête au roi Don Enrique. Quoiqu'il en soit, les pourparlers qui eurent lieu entre les chefs de l'expédition et les cinq honorables hommes, délégués de la ville principale, prouvèrent bientôt aux premiers que la conquête était loin d'être achevée. Certains indices aussi commencèrent à montrer les dangers d'un séjour prolongé. Enfin beaucoup de raisons, parmi lesquelles il ne faut peut-être pas mettre au premier rang la considération d'humanité complaisamment développée par Gamez, déterminèrent Pero Nino et ses associés à écouter les propositions des députés jersiais.

Ils offraient pour le rachat de leur ville et le départ des vainqueurs, la belle rançon de dix mille couronnes d'or. On accepta.
« Il ne faut pas, dit le bon Alferez, philosophant à ce propos, pousser les hommes avec tant d'opiniâtreté, parce que la fin réserve aucunes fois des dommages à celui qui s'y hasarde ». C'est pourquoi Nino préféra en cette circonstance suivre l'exemple du roi Don Alfonso, vainqueur du more Alboacen, quoiqu'il eût pu s'autoriser de la conduite de Pompée dans sa lutte contre Jules César, pour faire absolument le contraire. Ces grands souvenirs enflent le style de Gamez et l'amènent à une véritable rodomontade espagnole. Car on ne peut voir autre chose dans ce trait :

« Pero Nino ne voulut rien conclure sans que les insulaires lui accordassent en mémoire de leur soumission le paiement pendant dix ans de 12 lances, 12 haches, 12 arcs et 12 trompes ». Un élément de plus « XII pucelles » et nous aurions le trehu classique des chansons de Geste.

Quant à la partie sérieuse du traité, le versement de la somme, la Chronique nous apprend qu'une partie des couronnes fut remise au moment de la conclusion du traité. Pour garantie du surplus, les Jersiais livrèrent quatre des plus riches du pays, et Pero Nino les emmena avec lui.

L'armée repartit alors en bon ordre pour le lieu du débarquement, déployant ses bannières, faisant entendre ses sonneries, et rejoignit les vaisseaux.

Ici un dernier épisode. Pendant les négociations, les équipages des barques de sel avaient couru l’île en tous sens. Ils ramenaient à ce moment une immense razzia de chevaux, de vaches et de bétail de toute espèce qu'ils faisaient entrer dans leurs navires. Encombrés de leur butin, ils se mirent à céder aux bons chevaliers de nombreuses montures. Les chevaux n'étaient pas chers ce jour-là ; on donnait un cheval pour cinq ou six blancs de France, qui font dix maravédis d'Espagne.

Pero Nino congédia le convoi guérandais qui cingla de son côté. « Puis le capitaine pria les chevaliers bretons et normands de venir tous avec lui au port de Brest. Tous y vinrent comme le capitaine l'avait demandé. Ils y furent bien reçus et l'on fit grandes réjouissances de leur arrivée, parce qu'ils avaient remporté la victoire. Le capitaine les festoya tout le temps qu'ils y restèrent. Des marchands de Bretagne vinrent le trouver, et il leur donna les otages de l'île ; et ils remirent à Pero Nino ce qui restait à payer des dix mille couronnes qui faisaient le prix du rachat. Le capitaine répartit très bien cet argent entre les Bretons, les Normands, et ses hommes d'armes, à chacun selon son état. Ensuite on se sépara, et chacun s'en fut à ses voyages » (Victorial, trad. de M. de Circourt, p. 408).

Pero Nino fit ensuite une courte croisière sur les côtes de Bretagne, reparut à Saint-Malo, au Mont-Saint-Michel, puis en Saintonge, et retourna en Castille où il était rappelé depuis quelque temps déjà. Il y trouva de nouveaux succès qui firent de lui le comte de Buelna, et ne mourut que très longtemps après, vers 1450. On peut, en le quittant, souscrire pleinement, à propos de son rôle sur nos côtes, à l'éloge qu'il se fait donner ailleurs par son enseigne et chroniqueur : « Parce que le capitaine Pero Nino n'avait pas beaucoup de monde de sa nation, il faut le louer davantage et lui tenir plus compte de toutes les bonnes choses qu'il a accomplies..... S'il avait eu vingt galères comme d'autres les eurent avant et depuis lui, il est à croire qu'il eût fait des choses admirables » (Ibid., p. 309).

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Résumons les renseignements qui résultent du rapprochement des deux sources.

La pièce de procédure apporte la date qui manque à la Chronique dont la chronologie est souvent approximative. C'est le 9 octobre 1406, d'après l'Arrêt de Parlement, que les navires portant les otages fournis par les Jersiais arrivent à Saint-Malo, et ce doit être le jour même où les vainqueurs quittent Jersey. L'expédition, d'après la Chronique, ayant duré trois jours, y compris le jour de l'arrivée, eut donc lieu les 7, 8 et 9 octobre. On peut alors placer, en suivant les données de Gamez, la rencontre de Nino et des galères de Harfleur vers le 30 septembre, l'arrêt des navires sauniers le 2 ou 3 octobre, et mettre dans l'intervalle le séjour à la côte bretonne et les deux journées de préparatifs mentionnées.

Il y a également concordance en ce qui concerne la composition de l'expédition. Elle a pour éléments : Pero Nino et ses trois galères, les trois baleiniers revenant avec lui du Nord, les six autres baleiniers venant de Harfleur rencontrés au cap de Caux [Note : Cette compagnie de corsaire est visée dans l'Arrêt par les mots : magna navigiorum comitiva, etc.], les bateaux sauniers de Batz ou Guérande, Hector de Pontbriand et les siens, d'autres gentilshommes ou hommes d'armes bretons ; Gamez ajoute des gentilshommes normands (Victorial, p. 406) dont nous expliquerons plus loin la présence.

L'Arrêt fournit une information nouvelle que rien ne contredit dans la Chronique, le fait de l'escorte donnée par le seigneur de Pontbriand avec ses gens et ses navires à un grand convoi de sel qu'il réussit à faire entrer dans le port de Harfleur.

Que Pero Nino trouve en mer ce même convoi s'en allant à vide ; c'est un fait qui complète le premier. Rien n'empêche d'admettre qu'à ce moment il fût déjà accompagné des baleiniers normands, qu'il les eût rencontrés par hasard, et qu'il ne fût pas entré à Harfleur, puisqu’il n'en parle point. Mais que devient alors l'assertion du plaidoyer mettant à Harfleur même la rencontre de Pontbriand, de Pero Nino et des autres, faisant de cette ville le lieu où le projet a été conçu et celui d'où l'expédition est partie. Il n'en faut retenir que ceci, La conduite des navires de sel à Harfleur a été l'occasion de l'entreprise qui en ce sens seulement est partie de là. Mais c'est bien en mer, comme le dit la Chronique, que la réunion fortuite de tant de corsaires et de bateaux de transport a suggéré l'heureuse idée de l'expédition. De Pontbriand revenait chez lui et naviguait encore de conserve avec les sauniers.

On approchait sans doute du point de la côte bretonne où il devait atterrir avec ses baleiniers particuliers.

En écartant Harfleur que son éloignement de Jersey suffirait à rendre inadmissible, il reste à trouver le point de départ éloigné de l'Ile de sept lieues de mer, selon Gamez, et forcément situé en Bretagne. A cause de cette distance, il ne peut pas être cherché beaucoup plus loin que le cap Fréhel. Le rôle du capitaine de La Heuse dans la pièce doit faire mettre de côté Saint-Malo et son voisinage immédiat. On ne comprendrait pas que le Borgne eût fait un si mauvais accueil à des navires revenant d'une expédition victorieuse partie de cette ville ou des environs. Comment un capitaine aussi entreprenant n'eût-il pas fait partie lui-même d'une expédition dont le premier effet était d'assurer la conservation de Saint-Malo en allant chercher dans leur repaire les pirates jersiais qui incommodaient le port ! La présence simultanée des deux seigneurs du Pontbriand et de Plancoët (Tournemine) indique un lieu de la côte voisin de ces deux seigneuries, et rend probable la rivière du Guildo ou l'anse de Saint-Cast.

L'entente incontestable si rapidement établie entre Pero Nino et de Pontbriand s'explique aisément. Il suffit de se rappeler les moeurs chevaleresques et la liaison de l'un et de l'autre avec Charles de Savoisy. Le séjour de Nino à la cour pendant l'hiver précédent permet même de supposer qu'ils s'étaient déjà rencontrés.

A qui appartient le mérite de l'initiative ? Nous croyons très difficilement au rôle absolument dominateur que Nino se donne dans sa chronique. Comme elle est faite pour la plus grande gloire du comte de Buelna, les événements sont toujours tournés à l'avantage de son personnage qui a toujours le premier rôle qu'il remplit toujours le mieux possible. Le courage de Hector de Pontbriand peut bien arracher une mention, mais il ne sera jamais aux yeux de Gamez qu'un comparse dans la mise en scène de cette belle aventure de Pero Nino. L'enseigne amoindrit d'instinct les émules de son chef et fausse la proportion de son intervention dans les événements. Cela dans tout le livre et non seulement dans l'épisode de Jersey. L'intitulé du chapitre « Comment le roi d'Espagne envoie Pero Nino avec trois galères en aide au roi de France » ferait-il jamais soupçonner que Nino ne commandait en réalité que trois modestes galères détachées irrégulièrement de la grande Armada d'Avendano ? Il relègue au second plan Charles de Savoisy et les forces françaises sous les ordres de celui-ci. De même diminue-t-il Hector de Pontbriand qui au bout du compte, muni qu'il paraît être d'une licence royale ou ducale [Note :  Le duc de Bretagne était alors armagnac zélé et ennemi des Anglais], pourrait bien être le Savoisy de la nouvelle expédition, chargé presque officiellement de conduire le contingent breton.

Comme Savoisy d'ailleurs, de Pontbriand est un grand marin. Il est hors de doute qu'avant et après les faits dont nous nous occupons, il employait l'intervalle de ses séjours près du duc d'Orléans à des campagnes navales multipliées. D'autres seigneurs bretons et français couraient les mers de la même façon ; c'est un trait de l'époque. Quant à Hector de Pontbriand, des documents positifs nous le montrent les années suivantes faisant la course au sud de la Bretagne avec des équipages de Guérandais, et capturant des navires anglais dans ces aventures à la fois patriotiques et lucratives [Note : Papier des Requêtes en Chancellerie, mai 1407. Requête d'Hector de Pontbriant, autres requêtes du même des années suivantes (Arch. Loire-Inf. — Cf. La Nicollière Teijero, La Marine Bretonne au XVème et XVIème siècle, p. 25)].

Il est à noter que Gamez, qui doit être cru lorsqu'il lui échappe un témoignage un peu moins favorable à la personnalité envahissante de Nino, ne lui attribue nullement la première idée de la descente à Jersey. Il en fait honneur aux Normands et nomme à ce propos Guillaume et Jacques Le Boucher. Si l'idée vint en effet de ces braves coureurs de mer, elle répondait au désir que devait avoir de Pontbriand de débarrasser la mer des pirates jersiais qui gênaient les abords de la côte malouine et venaient de l'entraîner à une pénible campagne de convoyeur. Il était aussi invité à cette entreprise par un mobile absolument étranger au capitaine espagnol et aux marins de Harfleur, et que l'arrêt du Parlement nous fait seul connaître, celui d'obtenir la liberté des prisonniers de nos côtes bretonnes détenus dans l’ile. Leur délivrance fut en effet une des clauses du traité avec les Jersiais, quoiqu'elle n'ait point été relatée par Gamez.

L'influence qui a décidé les marchands de sel à concourir à l'expédition ne peut guère être douteuse. Malgré la réponse flatteuse des sauniers enregistrée par Gamez, qui pouvait avoir plus d'autorité sur eux que celui qui venait de les conduire si heureusement à Harfleur en supportant non modica freda ? Qui pouvait mieux leur faire valoir l'utilité de purger des parages où ils passaient et repassaient plusieurs fois l'an ? Ne venons-nous pas de voir Hector de Pontbriand en relations constantes avec les marins du pays du sel.

Quant à ce qui concerne la réunion des gentilshommes et hommes d'armes bretons, la formation si rapide de la petite armée de débarquement, il faut les attribuer au seul ascendant de Hector de Pontbriand. Seul, il pouvait connaître les ressources de cette région qui était la sienne, et avait assez d'autorité pour les rassembler au premier appel. On ne se figure pas un capitaine espagnol débarqué à l'improviste sur une plage bretonne, et réussissant, montrât-il même des Lettres de commission, à réunir en trois ou quatre jours, un véritable corps de troupe. Malgré les vanteries de Nino, le concours des Bretons est exclusivement dû à de Pontbriand. On ne peut pas non plus douter qu'il ne fût le chef de ses compatriotes, car on le voit seul, par la suite, supporter les responsabilités provenant de la prise de Jersey.

C'est donc justice de mettre son nom en tête de ce travail. En le mettant seul, nous imitons sans scrupule le Religieux de Saint-Denis et Juvénal parlant des courses de Savoisy en Angleterre, sans prononcer le nom du trop avantageux Pero Nino. Ne restera-t-il pas toujours à ce dernier l'énorme volume de Diaz de Gamez, qui suffit d'autant mieux à la gloire du toujours victorieux comte de Buelna, qu'il est plein d'intérêt et d'originalité. Hector de Pontbriand n'a pas même eu l'honneur d'être cité par l'auteur de la nouvelle et intéressante histoire de la maison du Breil, qui n'eût pas dû l'omettre, même sans connaître la prise de Jersey [Note : La mission qu'il remplit en Angleterre du 11 Janvier au 13 Mai 1412, comme chargé des intérêts du duc d'Orléans, devait suffire à appeler sur lui l'attention du généalogiste. On en trouve le témoignage officiel dans Rymer (Tome IV, p. II, 3, 5, 8, 14 ; p. III, 84)]. Hector de Pontbriand doit être un collatéral maternel des du Breil. C'est surtout un ancêtre historique de ce capitaine Breil, qui s'empara glorieusement d'une autre des Iles Normandes au XVIème siècle, et dont la biographie a été écrite récemment avec tant de science et de charme par M. le comte de Palys (Le capitaine Breil de Bretagne, Rennes, Plihon, 1887, in-8°).

La question de la rançon des Jersiais demande quelques éclaircissements. La différence des chiffres donnés par les deux versions n'a pas d'importance. Les deux mille couronnes qui figurent en plus dans le récit de Nino représentent sans doute la part de celui-ci. Il n'y avait aucune raison pour qu'elle figurât dans les débats judiciaires qui s'élevèrent entre les associés français. Les détails du mode de paiement semblent au premier abord contradictoires. Leur examen complète l'étude de l'organisation de l'expédition.

Gamez, on l'a vu, se borne à dire que Pero Nino reçut la somme convenue à Brest, qu'alors il délivra les garants Jersiais à des marchands qui les emmenèrent. D'après de Pontbriand, au contraire, les otages sont tout d'abord emmenés à Saint-Malo. La conciliation est facile.

Les prisonniers sont conduits à Saint-Malo. Ils y viennent soit emprunter aux Malouins le supplément de deniers dont leurs personnes répondaient, soit plutôt afin d'être expédiés par cette voie au Pontbriand, en Saint-Briac. Hector s'était chargé de leur garde du consentement commun, et à cause de l'intérêt particulier qu'il y avait, comme nous allons voir. Deventeret ses compagnons abordent au port de Saint-Malo, cum pauco navigio, c'est-à-dire escortés de deux ou trois barques jersiaises sans défense et détenus sur un vaisseau commandé par Guillaume Le Boucher et Jean Morard, son second et associé, lequel était détaché du groupe des six baleiniers de Harfleur et était sans doute le navire désigné plus loin sous les noms de grant galiote, granit galere, la Sirène.

Raoul du Boul que nous retrouvons dans nos listes de Malouins du temps [Note : Notamment dans la charte de cession de Saint-Malo au roi de France du 23 janvier 1305. (N. St.)], et sans doute aussi Robin des Camps, les accompagnaient comme agents du seigneur de Pontbriand qu'ils devaient servir sur ses navires particuliers. Ceux qui amènent les otages sont contraints de reprendre de vive force Deventer, le seul des prisonniers qui fut encore descendu à terre. Et pendant que les garnisaires de La lieuse se vengent en saisissant les inoffensifs mariniers des bateaux jersiais, les baleiniers de Harfleur reprennent la mer. Ils rejoignent immédiatement de Pontbriand, soit à Jersey même, soit à Brest, lieu du rendez-vous général. Ainsi purent-ils être relâchés à Brest, comme le dit l'enseigne de Nino.

Quant à la répartition de la rançon des Jersiais entre les corsaires associés bretons et normands, nous avons heureusement trouvé un supplément d'information dans une autre pièce du même fonds.

C'est un arrêt de Parlement rendu en 1409 entre le même Hector de Pontbriand et les six baleiniers de Harfleur, homologuant un accord survenu entre eux au sujet de cette rançon. Dans cette pièce, Pontbriand est seul mis en cause par les Normands, ce qui confirme sa qualité de chef de l'élément français de l'entreprise. Nous y apprenons :
1° Que de Pontbriand s'était subrogé aux droits de ses associés pour la prise de Jersey.
2° Qu'il resta seul chargé de la garde des garants Jersiais et créancier des insulaires.
3° Que la part des corsaires de Harfleur s'élevait à deux mille livres.
4° Que le seigneur breton leur avait d'abord soldé cette somme au moyen d'une obligation de pareil chiffre.
5° Qu'à la date du 11 avril 1409 (N. St.) il n'avait encore payé en espèces qu'une certaine partie de cette créance en divers acomptes ; mais qu'il lui était dû par les gens de Harfleur les frais du procès soutenu dans l'intérêt commun à l'encontre du Borgne de la Heuse.

Enfin nous y saisissons l'individualité de ces braves corsaires de Harfleur. Les patrons et maîtres de ces baleiniers sont Robin Loti, Guillaume Le Boucher, Jean Morard, Geoffroy Boulart, Samson Bart dit pinte, Perrotin de Bayonne embarqué sur la Sirène.

Ce ne sont pas seulement des noms, car nous avons pu réunir une série de documents sur cette intéressante volée de navires corsaires. Nous n'en donnerons que la substance.

Ils formaient une association de course qui dura longtemps.

Robin Loti, le premier cité, avait pour armateur principal Jean de Lesmes, riche bourgeois de Rouen [Note : On retrouve plus tard Jean de Lesmes, en 1414, pourvu de la charge de Lieutenant de l'Admiral. (Matinées du Parlement de Paris, Arch. Nat. X IA 4790, f° 120 ; ap. Tuetey II, p. 189)], pour associés Jean de Valle, Jean Conille dit Capitaine. Il venait de se distinguer par la capture d'un vaisseau portugais tout récemment ramené à Harfleur. Comme ce navire était affrété par des marchands de la ville neutre de Bruges, il offrait en ce moment même aux jurisconsultes du Parlement l'occasion de juger une question de droit des gens (Arch. Nat. X IA 53, p. 277. Arrêt du 14 sept. 1406). Un autre procès va nous fournir plus de renseignements.

Un peu avant le commencement du Carême de 1407 un grand crayer chargé de harengs d'Ecosse par des commerçants de Lubeck et de Rostock, après avoir été longtemps retenu au port de l'Ecluse par la mauvaise saison, faisait voile à grande hâte vers l'Angleterre. Il s'agissait d'arriver à temps pour vendre sa cargaison, ce qu'il n'avait pu effectuer malgré son long séjour ; parce qu'il avait trouvé « le royaume de France suffisamment muni de harengs ». Malheureusement pour les marchands de La Hanse, six navires normands bien armés donnèrent la chasse au grand navire, s'en emparèrent en un tour de main, et après une inspection sommaire de son contenu, fractis coffris, pour s'assurer de la bonté du hareng, ils s'approchèrent avec leur prise du petit port de Barfleur, près de Cherbourg, et déposant dans un léger canot appelé baquet l'équipage et les marchands, cinglèrent, sans plus se soucier d'eux, vers Harfleur, comme on le devine. Là ils procédèrent au sujet des harengs à une foule d'opérations incompatibles avec la qualité de poisson neutre ; et cela malgré les réclamations des correspondants des marchands de Lubeck, des marchands eux-mêmes bientôt accourus pour assister à une vente désastreuse. Les protestations judiciaires finirent par amener en Parlement les Allemands et les armateurs, affréteurs, maîtres et patrons des six baleiniers. Car le procès entamé d'abord devant le lieutenant d'amirauté contre Guillaume et Jacques Le Boucher, Alain Linée, Jean de Lesmes, prit des proportions considérables. L'Amiral de France, défenseur naturel des corsaires à cause de ses droits dans les prises, se joignit à l'instance. L'Amirauté était alors représentée par le favori du duc d'Orléans, Clignet de Brabant, peu marin, mais plein de zèle pour la perception de ses émoluments.

Au cours de l'instance nous apprenons avec précision la composition de tout cet armement de Harfleur.

Il y avait quatre baleiniers et deux barges. Le baleinier l'Ours, maître Colin Colinet, armateur Jean de Lesmes, associés Richard Aure, Jacques ou Jacquelin Le Boucher.

Le Singe, à Jean de Lesmes et Chrétien du Four, ce dernier aussi maître.

Le baleinier Qui qu'en groigne, autrement dit le Qu'en groint, patron Jacques Le Boucher, armateur Guillemot Guillaz, intéressés Guillaume Bouvet, Collin Langlois, Tassin Mouillart.

La grande galiote ou grant galère appelée aussi La Sirène, patron et armateur Guillaume Le Boucher, maître Pierre ou Perrinot Le Mercier, sans doute le même que Perrotin de Bayonne : ce baleinier assez grand pour passer pour une barge.

La barge Quinquesale, à Jean Graute et Alain Linée, maître Samson Baart ou Bart, dit Pinte.

Enfin, la barge la Grue, à Robinet de Braquemont, chevalier, qui avait avec lui comme maître Guillaume Poitevin, et pour armateur Pierre de Crozilles. On a aisément reconnu dans le patron de la dernière barge Robert de Braquemont. D'autres documents nous le montrent faisant la course, dans ces parages, ces années là, avec son frère Lionel de Braquemont, qui fut capitaine de Harfleur, et un autre damoiseau appelé Jean de Coute, dit Mainguet [Note : Cité lors de la défense de Harfleur en 1415, sous le nom de Maingot de Coustes, par le Rel. de Saint-Denis, V, 539. — Voyez l'Arrêt du 18 nov. 1406 concernant des prisonniers anglais (Arch. Nat. X IA 54, f. 1), etc.]. On sait quel grand marin fut de Braquemont. Amiral de Castille vers 1395, il reçut en récompense de ses services maritimes dans la guerre contre le Portugal, en 1401, une commission de Henri III pour aller conquérir les Canaries. Il céda l'année suivante ce titre à son parent, Jean de Bethencourt, moyennant une forte somme garantie par les biens de celui-ci en Normandie. En France, il représente l'alliance avec la Castille et coopère à la plupart des efforts tentés en commun par les deux marines. Robert de Braquemont fut plus tard un instant amiral de France en 1417, et battit les Anglais à la tête d'une flotte espagnole en février 1420. Sa présence constatée dans l'armement de Harfleur, et celle des gentilshommes qui l'accompagnaient, explique la mention que nous avons relevée dans la chronique de Nino, de gentilshommes normands parmi ceux qui prirent part à la prise de Jersey.

Le document qui contient cette liste intéressante spécifie les parts d'armement et atteste que les parts dans les prises leur étaient proportionnelles. Il est évident que l'entrecroisement de ces parts et de ces intérêts accuse un armement fait de concert et dans un but donné.

Nous ne voudrions pas laisser ces braves gens de Harfleur sous les imputations qui résultent du procès en question. Il ne faut pas trop se fier à ces bons Allemands marchands de harengs. S'ils font valoir leur qualité de neutres et d'amis de la France, la nature de leur commerce qui ne sent pas la contrebande de guerre, ils n'en finissent pas moins par avouer qu'ils avaient à leur bord, par un hasard malheureux, un certain Anglais appelé Vatreton. Ceci nous dispose à écouter les dires des corsaires de Harfleur. Leur défense élargit singulièrement le débat. Ils disent, et ce doit être vrai, que grâce à eux, à leur flottille, au grand péril de leurs vies et de leurs fortunes, le port de Harfleur a été protégé tous ces temps-là, qu'ils ont armé leurs navires pour faire la course et résister aux ennemis de l'Etat, et qu'ils se sont dirigés vers la côte anglaise. Nous savons, connaissant leurs habitudes, qu'ils devaient dire la vérité. Là, ils ont trouvé non pas seulement le crayer, qui d'ailleurs était armé et portait du fer à armures aux Anglais, mais aussi une flotte de cinq navires anglais qui l'accompagnait, et dont le chef était Henri Paie.

Si l'on prend n'importe quelle histoire de la marine anglaise on verra que Harry Paye était le commandant des cinq ports, et l'une des gloires de la course adverse au commencement du XVème siècle. Une rencontre heureuse avec lui de la part de la flotte de Harfleur n'est pas faite pour nous étonner. Mais elle aurait bien dû faire gagner à ces vaillants marins leur procès. Malheureusement. la cour de France était loin, pas trop soucieuse en ce moment des intérêts nationaux. Le Parlement ne pouvait voir que la légalité. Ils furent condamnés, assez modérément cependant, eu égard à la valeur de la cargaison [Note : Ce procès dura jusqu'en 1411. Dans sa première phase, le Parlement eut à écarter la juridiction de l'amiral, qui eût été juge et partie. Les parties furent ensuite contraintes à produire, à cause de contradiction dans les faits (14 mai 1407, Arch. Nat., XIa, 51, f° 190). Quand l'arrêt eut été rendu, l'exécution contre les perdants ne souffrit pas moins de difficulté. Cette dernière phase est assez curieuse. Clignet de Brabant, qui avait perdu sa charge d'amiral, fut poursuivi, en restitution des deniers qu'il avait touchés, par les marchands de Lubeck et Rostock. L'un d'eux, Henrich Ghesliescede, s'était établi à Paris pour agir en leur nom. A sa requête furent faites « les criées de l'ostel de messire P. de Brebant dit. Clignet, etc., avec les cours, caves, maisons, jardins, aisances, louaiges et autres apartenances assises en la rue Sainct-Marry à Paris, et aussi de la terre et seigneurie de Matonges... ». Un certain Frémin Le Vasseur, chapelain d'une chapelle Saint-Michel, en l'église Saint-Merry, s'opposa à la saisie comme ayant droit à 4 livres de rente sur led. hostel, dont quatorze années lui étaient dues. Il donna sa main-levée en parlement à Glieliescede, moyennant l'inscription de sa créance au cahier des charges de l'adjudication (XIa, .59; f° 38)].

Il y avait, si nous ne nous trompons, dans la réunion répétée de ces corsaires protecteurs de Harfleur et des côtes normandes une véritable institution de défense nationale. L'initiative de cette ville qui fit tant d'efforts de toutes sortes contre l'ennemi héréditaire, avait suscité cet armement, comme elle sut de ses propres ressources s'élever des tours et une enceinte fortifiée [Note : Hablum grossis turribus et muris bene munitum sumptibus et expensis eorum edificatum habebant propter quod maxime gardia et securitate indigebant (XIa, 59, f° 418, au Procès entre Harfleur et Montivilliers. Arrêt du 22 décembre 1414)]. Cette escadre d'avant-garde, dont nous avons vu le noyau bien formé dans la prise de Jersey de 1406, aurait facilement une histoire, rien qu'en réunissant les mentions éparses dans nos chroniqueurs de faits attribués à quelques vaisseaux de Harfleur, et qui appartiennent presque toujours à ce qu'on doit appeler la flottille de Harfleur [Note : Capture de la flotte portant le sénéchal de Bordeaux, après Pâques 1411. Rel. St-Denis, IV, 325]. On trouvera dans toutes les histoires par quelle fatalité la force de résistance d'une telle place ne fut pas secondée, quoique l'on répétât partout en France que la perte de Harfleur était celle de la Normandie. Parmi ses défenseurs, les noms de Robert de Braquemont, de de Coustes, montrent que nos corsaires ne s'envolèrent pas de leur port d'attache sans l'avoir défendu (Rel. St-Den., V, 534, 539 ; VI, 12). Ils durent, quand Harfleur eut succombé, continuer à armer pour de nouvelles courses, dans les ports restés français. On les devine à la suite des grandes flottes qui vinrent tenter, en 1416, d'assurer la reprise de cette ville en la bloquant par mer. Tout ce que l'on pourra apprendre d'eux sera intéressant. Ils ont leur place dans nos annales à côté des marins malouins et normands qui vont tenir les Anglais en échec les années suivantes (Cf. M. Siméon Luce, Chronique du Mont-Saint-Michel, table analytique), et, en 1425, délivreront le Mont Saint-Michel.

(F. JOÜON DES LONGEAIS).

Bataille navale de Pero Nino.

xxxx

1407 (N. ST.), 9 mars. — Arrêt du Parlement de Paris rendu entre Robert de la Heuse dit le Borgne, capitaine de Saint Malo, Pierre de Pontbriand, dit Hector, et autres.
(Arch. Nat., X IA 54, f° 166).

Cum constitutis et litigantibus in nostra parlamenti curia dilecto et fideli cambellano nostro Roberto de la Heuze, dicto Le Borgne milite, custode et capitaneo ville nostre et castri de Sancto Maclovio in Insula, se dicente actore ex ana parte ; et dilecto nostro Petro de Ponte Bryandi dicto Hector scutifero, Radulpho du Boul, Guillermo Le Bouchier, Robino Descamps et Johanne Morardi de Harifluvio, defensoribus ex altera ; super eo quod dictus actor dicebat quod, die nona octobris ultimo preteriti vel circa, quidam Anglicus de Insula de Jersey et Jacobus Vinteres nuncupatus, a dicta insula ante villam predictam Sancti Maclovii mare transfretando cum suo navigio applicuerat ad portum ; quo percepto nonnulli soldarii seu stipendiarii ipsius actoris, videlicet Guilhermus de Fovillé, Thomas Perier et Johannes de Bosco Richardi ad portum dicte ville se traxerant de statu dicti Anglici ac sue sortis notitiam habituri, qui dictum Jacobum de Vinteres interrogaverant et petierant ab ipso suas salvi conductus litteras quas à nobis habere debebat videre ; sed nullas eisdem dictus Jacobus exhibuerat. Propter quod dictum Jacobum tanquam predicti actoris prisionarium dicti stipendiarii ceperant et arrestaverant, dictique actoris bonus et legalis prisionarius esse et remanere supradictus Jacobus, suis fide et juramento mediis et prout in talibus fieri consuetum, promiserat. Hiis tamen non obstantibus, prenominati Radulphus du Boul, Guillermus Le Bouchier, Robinus Descamps et Johannes Morardi de facto dictum Jacobum ceperant, ipsum a dictis stipendiariis prefati actoris violenter et contra ejus voluntatem aufferendo et ipsum Jacobum erga dictum de Ponte Briandi transduxerant. Qui quidem de Ponte Briandi eumdem Jacobum dicto actori vel ejus gentibus postmodum reddere et restituere prorsus denegaverat, super hoc tamen pluries et debite requisitus et summatus, in ipsius actoris maximum prejudicium et jacturam ; et ob hoc certas a nobis litteras idem actor obtinuerat, per quas primo dicti parlamenti nostri hostiario vel servienti nostris qui super hoc foret requisitus mandabamus quatinus dictos defensores per captionem et detentionem bonorum suorum ac aliis viis et modis debitis ad reddendum et restituendum dicto actori eiusve gentibus et officiariis dictum de Vinteres compelleret et arctaret ; contra quarum litterarum executionem dicti defensores se opposuerant aut preceptis earum virtute sibi factis minime paruerant ; quapropter fuerant in dicta nostra curia, prout per easdem litteras fieri mandabatur, ad certam diem nuper elapsam adiornati ; quare concludebat dictus actor ad finem quod dicti defensores ad reddendum et restituendum eidem aut eius gentibus et officiariis prefatum Jacobum de Vinteres, alioquin summam decem millium librarum pro redemptione ipsius Jacobi, ad quam ipsum dictus actor taxasset, ac in eius dampnis interesse expendere, condempnarentur et compellerentur.

Prefatis defensoribus ex adverso proponentibus et dicentibus, quod dictus de Ponte Briendi bonus et notabilis scutifer existebat, et in armis strenue et laudabiliter se gesserat, nobisque fideliter in cunctis guerrarum actibus quibus interfuerat et alias servierat ; quodque anno ultimate elapso quamplures salis mercatores per mare transfretantes cum eorum navigio seu navibus aut vasibus sale et aliis mercium generibus onustis prope dictam villam Sancti Maclovii appropinquaverant, ubi eo quod inhermes existebant portum aggredi formidantes metu gencium dicte insule de Jersey ac aliarum insularum, audacia et juvamine prospero mediante dicti de Ponte Briendi qui cum suis arma paraverat atque vasa, et ipsos mercatores associaverat et conduxerat, apud Harifluvium applicuerant ad portum, in quo non modica freda dictus de Ponte Briendi sustulerat ; dicentibus insuper quod dictus de Ponte Briendi magnam et notabilem navigiorum comitivam decenter munitam et ornatam in dicto loto de Harifluvio prospiciens, quodam Yspannico Perronnio muncupato et quampluribus aliis secum associatis et coadunatis, dictam insulam de Jersey, in qua defectu et culpa dicti actoris plerique subditi nostri prisionarii, per habitantes in eadem parti inimicorum nostrorum annuentes et faventes, miserabiliter detinebantur, licentia nostra preeunte, insilierant et obsederant et viriliter agentes eandem cum armis intraverant et dictos insulenses subingaverant, adeo quod ad redemptionem admitti requisierant et pro dicta redemptione summam octo millium francorum solvere necnon omnes nostros subditos eorum prisionarios reddere et liberare impune promiserant ; de dictaque summa iidem insulenses certam porcionem solverant, ac triginta eorum prisioniariorum subditorum nostrorum liberaverant, pro residuo obsides seu ostagia prestando et assignando, pro quibusquidem ostagiis dicti insulenses infra certum diem assignatum dictum Jacobum salvo conductu ac securitate dicti de Ponte Briendi premunitum et nonnullos alios inhermes cum pauco navigio ad dictum locum de Sancto Maclovio destinaverant et miserant : et cum appropinquasset idem Jacobus cum eius consorcio villam predictam, dictus actor et nonnulli alii ex parte ipsius in ipsos habitantes dicte insule missos ut prefertur cucur, rerunt et, dicto Jacobo apud Harifluvium per nonnullos ipsius loci transvecto seu transfretato, reliquos marinarios cum eorum navibus ceperant ac ipsos in duris carceribus intruxerant et detinuerant magnas pecuniarum summas pro eorum redemptione extorquendo et extorquere satagiendo ; quibus de causis prefati habitantes dicte insule dicebant in nostris subditis nullam fidem aut fidelitatem remanere, dictusque Jacobus cum eius consorcio sub tuitione et securitate quam dictus de Ponte Briendi, pro ut sibi et omnibus aliis acierum capitaneis licuerat, prebuerat eidem [quando] in dicto regno nostro causa hostagii predicti misses fuerat, propter quod ipsos capere seu capi facere non debuerat actor supradictus, qui in hoc faciendo subditis nostris in dicta insula prisionnariis pocius morlem et interitum quam redemptionem vel liberationem paraverat et parabat ; ex quibus et pluribus aliis rationibus concludebant defensores predicti ad finem quod dictus actor ad sua proposita non admitteretur ; et casu quo admitteretur ipsum causam seu actionem suas conclusiones et demandas faciendi non habere diceretur, et si causam vel actionem haberet quod ab eisdem absolverentur et in eorum expensis dictus actor condempnaretur.

Replicante dicto actore et dicente quod, quamquam dictus de Ponte Briendi in facto predicto strenue se gessisset et laudabilem fecisset interprisiam, minus tamen caute egerat quoniam nobis in solidum et nulli alii salvos conductus aut securitates in facto guerre prestare, aut contra quem[cumque] potissime contra inimicos nostros arma parare, seu guerram facere, nisi de nostra licencia vel mandato et per litteras in nostro magno consilio concessas, licebat, de quibus nullam fidem faciebat dictus de Ponte Briendi ; et esto quod de licencia nostra aliqua fuisset facta armata seu guerra, in qua nonnulli fuissent capturati ; ipsi tamen in regnum nostrum nisi prius salvo conductu a nobis vel alio in hac parte habente potestatem, quam dictus de Ponte Briendi non habebat, obtento intrare non debebant ; et si aliquam dictus Jacobus a dicto de Ponte Briendi habuerat vel habebat securitatem, hoc de se et suis duntaxat fuerat ; ex iis et aliis quod ipse ad sua proposita, conclusionesque et demandas, admitteretur, et ut supra concludente.

Supra dictis defensoribus duplicando dicentibus ; quod ad probandum congedium per ipsos a nobis obtentum de necessitate litteris non indigebant cum ex fide dignorum virorum testimonio illud possent probare, et si ad nos in solidum salvos conductus dut assecurancias prestare pertinebat, hoc erat intelligendum respectu illius qui generaliter in diversis regni nostri finibus volebat proficisci ; ex hiis et aliis concludentibus prout supra.

Tandem, partibus antedictis in omnibus que circa premissa tam replicando quam duplicando dicere et proponere voluerunt ad plenum auditis, et cognitione huius modi cause, sine preiudicio jurium dilecti et fidelis nostri Admiraldi Francie qui eandem causam coram ipso remitti petierat, retenta, prefata nostra curia, mediante cautione quingentarum librarum Turonensium per dictum de Ponte Briandi prestita, impedinientum corporibus et bonis quinque prisonnariorum per actorem predictum detentorum appositum amovisset, et ulterius ordonasset quod super propositum hinc inde per partes predictas nonnulli testes per certos ex consiliariis nostris, quos ad hoc eadem curia nostra commisisset et deputasset, audirentur et examinarentur ; quo facto fieri jus partibus antedictis.

Auditis igitur dictis testibus, ac visis ipsorum attestationibus, consideratis insuper et attentis diligenter omnibus circa premissa considerandis et attendendis, et que dictarn curiam nostram in hac parte movere poterant, prefata curia nostra per suum arrestum dictos defensores ab impetitionibus et demandis dicti actoris absolvit, eundem actorem in expensis huius cause condempnando, predictarum expensarum taxatione dicte curie nostre reservata ; et per idem arrestum dicta nostra curia prisionarios per dictum actorem detentos et eorum bona libere et ad plenum deliberavit et deliberat.

Prononciatum die nona Marcii, CCCCVI°.
MARLE.

 

1409, 11 avril (ap. Pq.) — Arrêt homologuant un accord entre les corsaires de Harfleur et Hector de Pontbriand au sujet du paiement de la rançon de Jersey.
(Arch. Nat., X IA 56, f° 80. Lettres).

Karolus, etc., universis, etc.
Notum facimus quod de et super certa controversia seu debato in nostra parlamenti curia ex causis inferius insertis mota inter Robinum Lotiz, Guillelmum Le Bouchier, Johannem Morart, Gaufridum Boulart, Sançonem Baart dictum pinte et alios consortes actores nominibus quibus procedant ex una parte ; et dilectum nostrum Hectorem de Ponte Briandi, scutiferum, defensorem ex altera ; de consensu partium predictarum ac relacione nonnullorum consiliariorum nostrorum commissorum dictis partibus deputatorum audita per dictam nostram curiam die date presencium appunctatum existit et ordinatum prout continetur in quadam cedula cuius tenor sequitur sub hiis verbis : Sur le debat meu et pendant en la court de parlement entre Robin Lotiz, Guillaume Le Bouchier, Jehan Morart, Geufroy Boulart, Sançon Baart dit pinte et aultres consors en ceste partie, demandeurs es noms qu'ils procedent d'une part ; et Hector de Pontbriand, escuier defendeur, d'autre ; pour raison de la somme de deux mil francs en quoy led. escuier est obligé envers lesd. demandeurs par lettres faictes soubz son scel et laquelle il a confessé en parlement, sauf ses defenses, et aussi des despens que iceulx demandeurs disoient avoir fait en alant querir et pourchacier led. argent par devers led. escuier par defaut de paiement non fait dedans temps deu et autrement, que iceulx demandeurs estimoient à la somme de cinq cens livres tournois ou ce que raison donroit, deduit aud. escuier ce qu'il apparoit avoir paié sur lad. somme de deux mils frans, ou à leur rendre leur part et portion des hostages que il avoit de l'isle de Jarsey dont naissoit ladicte obligacion ou cas que dedens deux mois après la date de la dicte obligacion ledit escuier ne auroit fait ledit paiement, finallement après que led. escuier a fait prompte foy de certaines quittances montans à 957 francs 12 sols 6 deniers tournois des paiemens par lui fait sur la dicte somme aux personnes qui s'ensuivent :

C'est assavoir, à Robin Lotiz par quictance faite de sa main et scellée de son scel le 6ème jour du mois d'aoust l'an MCCCC et VII, 59 nobles 200 demi-nobles et 10 quars.

A Jehan Morart, comme procureur de Perrotin de Bayennois maistre de la barge nommée la Seraine et ses compagnons, par quictance faicte soubz le scel des obligations en la Vicomté d'Avrenches le 17ème jour de septembre oudit an MCCCC et VII, 83 demis nobles et 7 vingts et 4 quars de nobles.

A Jehan de Lesmes par quictance faicte soubz le scel du Chastellet de Paris le second jour d'avril avant Pasques MCCCC et sept, 200 frans ; qui-valent la dicte somme de 957 frans 12 sols 6 den. T. Et aussi 26 escus que led. Hector à prestez aux personnes qui s'eu-suivent :

C'est assavoir aud. Perrotin le Bayonnois 10 escus, et à Guillaume Le Bouchier 16 escus, si comme ledict Hector a prouvé, qui valent 29 livres 5 sols tournois.

Ainsi monte en somme toute les paiemens faits par led. Hector 986 libvres 17 sols 6 den. T.

Du consentement des parties la court a ordonné que dedans 6 sepmaines, à compter du jour de la date de ces presentes, led. escuier apportera à Caen à ses despens la somme de mil quatorze libvres 2 sols 6 den. T., pour le parpaiement de lad. somme de deux mil frans ; lesquels 1014 libvres 2 sols 6 den. T., led. escuier paiera ausdiz demandeurs jusques à la reste de 100 escuz que led. escuier offre à prouver par devant le bailli ou vicomte de Caen ou leurs lieuxtenans par lettres ou tesmoings avoir paié ; laquelle somme de 100 escuz demourra au Change au dict lieu de Caen en depost jusques il ait apparu dud paiement ou autrement en soit ordonné ; et au cas que led. Hector aura prouvé paiement ou prouvera desd. cent escuz devant led. bailli ou vicomte de Caen ou leurs lieuxtenans, ils seront rabattus sur lad. somme de 1014 libvres 2 sols 6 den. T. ; et quant aux despens dont lesd. demandeurs font demande audit escuier, dont il dit qu'il est prest de monstrer qu'il n'y est en riens tenu, et aussi à ce que icellui escuier dit avoir paié pour lesdiz demandeurs ou procès qui fut fait ja pieça de leur consentement oud. Parlement par lesd. parties consors à l'encontre de Messire Robert de la Heuse dit le Borgne, chevalier, conseiller et chambellan du roy nostre sire, icelles parties traictcront ensemble si elles pevent dedens led. temps, et ou cas qu'elles n'en pourroient estre d'accord, elles retourneront par devant nos sieurs maistres Gaillart Petitsayne et Nicole de Biencourt, conseillers du roy nostre sire, commissaires donnez en ceste partie, à la quinzaine d'après les six sepmaines passées pour proceder les uns contre les autres sur la dicte somme de cent escuz, despens et autres choses dont ils ne pourroient estre d'accord ainsi qu'il appartiendra par raison ; et en paiant par led. escuier ausd. consors lad. somme de 1014 libvres 2 sols 6 den. T., par la manière que dit est, iceulx consors lui seront tenuz rendre lad. obligation comme solute et payée quant au principal seulement ; et pour faire leur poursuite desd. despens contre led. escuier il demeurera à iceulx consors la copie de lad. obligacion qui est signée par la court, et laquelle copie vauldra original au regard de lad. poursuite desd. despens et de leurs dommages et interestz seulement, et à ce faire l'auctorise la court en la présence dud. escuier et de son consentement.

Quo circa dilectis et fidelibus consiliariis nostris magistris Gaillardo Parvi Saxonis et Nicola de Biencuria commissis superius in preinserta cedula nominatis, baillivo et vice comiti Cadomensi aut eorum loca tenentibus, necnon primo parlamenti nostri hostiario vel servienti nostro, et corum cuilibet super hoc requirendo et prout ad eum pertinuerit, committimus et mandamus quatinus presentem curie nostre ordinationem aut appunctamentum juxta sui tenorem et formam in hiis que executionem exigant executioni debite demandent, quibus et eorum cuilibet ab omnibus justiciariis et subditis nostris in hac parte pareri volumus et jubemus. Datum Parisius in Parlamento nostro, die XIe Aprilis, anno Domini MCCCC° nono.

 

1409, 24 mai. — Procès entre des marchands de Lubeck et de Rostock et l'ex-amiral Clignet de Brabant, joint aux mariniers de Harfleur et affréteurs y dénommés.
(Arch. Nat., X 1A 56, fo 363)
[Note : D'autres pièces de procédure entre les mêmes parties sont contenues dans X 1ª 54, 58, 59, etc.].

Lite mota in nostra parlamenti curia inter Johannem Busvelt, Henricum Bredevelt, Henricum Gheliescede,Thredelie Tonneghes, Hermandon Van den Velde, Hermandon Wigher, mercatores ville de Lubekia et Johannem Scorsorp [Note : Ailleurs Henrich, Thidele, Thidelie Connenghe, Herman, Scarscorp, Scartup] ville de Rosteka pro se et suis sociis et prout quemlibet eorum tangebat et tangere poterat, actores ex una parte ; et Petrum de Brabancia, dictum Clignet, militem, nuper admiraldum Francie, Colinum Colineti, Johannem de Lesmes, Colinetum Anglici, Guillemotum Guillas, Sansonem Baart dictum pinte, Petrum Mercerii, Cristianum de Furno, Raoulinum Perone, Laurentium Jumelli, Robinum Martini, Thomassinum Lainsné, Alanum Linée, Guillelmum Anglici, Guillelmum Boucherii, et Rogerum Berangarii, defensores ex parte altera ; super eo quod dicebant dicti actores quod ipsi manentes et habitantes dictarum villarum de Lubeka et de Rosteka in partibus Alamannie, in quibus villis suas uxores et domicilia habuerant et habebant, boni mercatores neutrique guerrarum inter nos et adversarium nostrum de Anglia et nostri ac regni nostri benivoli fuerant et erant, ac plures mercaturas et victualia in regno nostro et potissime mercaturas alecis de Scona per mare anno quolibet adduxerant et de die in diem adducebant ; quodque anno Domini M° CCCC° sexto prefati mercatores quoddam vas marinum sive navem dictum crayer de septuaginta quatuor latis et tribus cadis seu barillis alecibus cum quinque caccis ferro plenis oneratum portui de Selusa ante festum Natalis Domini per octo dies applicuerant, in quoquidem portu causante vento sibi ad navigandum minime propicio steterant seu remanserant, quodque per tres septimanas ante carniprenium tunc sequens, vento sibi propicio, de dicto portu recesserunt, quibus in plena mari existentibus sex vasa armorum de partibus Normanie quatuor videlicet balenariorum et duarum bargiarum eos insilierant seu invaserant, quorum vasorum cuiusdam videlicet l'Ours nuncupati dicti de Lesmes et ipsius magister Colinus Colineti et extoratores dictus de Lesmes pro tribus partibus, Ricardus Aure et Jacquelinus Carnificis pro quarta parte fuerant ; secundi vero balenarii sive vasis magna galiota nuncupati dicti Guillelmi Carnificis, qui ipsius extorator (Estoramentum — Gréement, armement) et Perrinotus Mercerii magister fuerant ; tercii vero balenarii sive vasis Quengroint (Quiquengroigne, dans l'Arrêt du 13 mai 1407) nominati, Jacobi Carnificis pro media, Guillelmi Guillais, Guillelmi Bouvet, Colini Anglici et Tassini Mouillart pro alia media, et ipsius Guillemotus Guillais magister, et extoratores dicti Jaquelinus Carnificis, Guillelmus Anglici, Guillemotus Guillais, Guillelmus Bouveti, Colinetus Anglici et Tassinus Mouillart fuerant ; quarti vero balenarii sive vasis Le Cinge [Note : Alias, balinerii de Dieppe, nuncup. Le Cinge] nuncupati, dicti de Lesmes pro media, Xpianus du Four et Matheus Gousse et magister dictus Xpianus et ipsius extoratores prefati de Lesmes pro media et Xpianus de Furno et Mahietus Gousse pro alia media fuerant ; quodque dictarum bargiarum una La Grue nuncupata Robini de Braquemont, militis, fuerat et ipsius magister Guillelmus Poitevini et extoratores Petrus de Crozilles [Note : M. Creusilles, Creusilles — sont encore cités comme mariniers de ce navire. Raulin Peronne, Laurent de Jumel] pro media, Johannes Biennans et Jaquelinus Pilate pro alia media fuerant ; et altera bargia Quinquensale nuncupata Johannis Graute et Alani Linee pro media fuerat et ipsius magister dicti Sanson Baart et extoratores Jaquelinus Carnificis, Alanus Lignee, Johannes Halot et Johannes Graute fuerant, qui extoratores de his qui in mare capiebantur pro ea parte pro qua extoratores fuerant partem habuerant et habebant ; dicebant insuper quod ipsis in mari existentibus dicti defensores in balenariis et bargis predictis existentibus eisdem actoribus ut nobis [Note : Au roi de France] se redderent, clamaverant ; qui actores ut benivoli nostri absque aliquali contradictione seu defensione, in securitate esse sperantes, se nobis reddiderant eisdem dicendo quod nostri benivoli et regni nostri, neutrales guerrarum Francie et Anglie existebant ; quibus non obstantibus dicti defensores et alii quamplures in dictis balenariis et bargis existentes in dicta navi sive crayer in qua dicti actores fuerant de facto intraverant et coffros ibidem existentes ruperant, bonaque ibi existencia et maxime balistas [Note : Les arbalètes et autres armes] et alia quamplura bona mobilia ad dictos actores pertinentia ceperant, et dictos Busnuelt a dicta navi sive crayer extraxerant, et ipsos in quodam parvo vasi baquet nuncupato, in quo in magno subversionis periculo fuerant, posuerant et quinque ex suis sociis in dicto crayer intrare fecerant, dictaque septuaginta quator lata [Note : Le last ou charge de harengs contenait dix milliers ; la caque, cinq cents. Mais l'usage de ce commerce voulait que le mille fut de 1.200, et le cent de 120 poissons] et tres cadas alecis qui ad dictos actores et suos consocios pertinuerant et spectabant, et que suis marchis sive signis signata fuerant, ad portum de Harfleu adduxerant ; que bona et aleca protunc summam trium mille scutorum, cum protunc latam alecis quadraginta quatuor francos et amplius venderetur, valuerant et valebant ; dicebant preterea quod dictis crayer et alecibus in dicto portu existentibus, plures mercatores de partibus Alamanie qui dictos actores cognoscebant eisdem defensoribus pluries quod dicti actores benivoli nostri ac regni nostri fuerant dixerant, et ob hoc magnus rumor in dicta villa de Harfleu fuerat, occasione cuius certa portio dictorum alecium in duobus celariis ville de Harfleu in quibus quatuor claves facte fuerant positorum extiterant ; in qua villa de Harfleu dicti Busvelt et Bradevelt a dicto Rogero Berangarii pro tunc dicti Clignet locum tenenti, et aliis defensoribus supradictis, restitutionem dictorum suorum petierant, qui eisdem hoc facere denegaverat ; et ob hoc dicti Busvelt et Bradevelt decima die februarii tunc sequenti a nabis tam suo nomine quam nominibus aliorum actorum supradictorum certas litteras obtinuerant per quas primo dicti parlamenti nostri hostiario mandabatur quatinus informatione precedente eisdem actoribus bona sua predicta cum suis dampnis et interesse restitui faceret et in casu oppositionis, ipsis bonis ad conservationem juris illorum quorum intererant ad manum nostram positis, certam diem in nostra parlamenti curia opponentibus assignaret. Quarum litterarum virtute Galterius de Blandecque, dicte curie nostre hostiarius, informationem precedentem, reperto quod pars dictorum bonorum eisdem defensoribus tradita fuerat, eisdem superius nominatis ut residuum dictorum suorum bonorum unacum dampnis et interesse restituerent, preceperat ; quorum aliqui videlicet Johannes Grante obediverunt et alii defensores superius nominati se opposuerant ; et ob hoc eisdem certa dies in dicta nostra parlamenti curia assignata fuerat ; quodque post modum dictus hostiarius secundum tenorem litterarum predictarum dicta aleca ad conservationem illorum ad quos spectaret vendere voluerat ; à quo Clignet, Robinet de Braquemont, Alanus Lignee, Robertus Martini, ut procurator Guillelmi Carnificis, appellaverant ; dictique appellantes, dicto Clignet excepto, sue appellationi renunciaverant et se opposuerant ; et postmodum per dictam nostram curiam dictum Clignet male appellasse, et quod dicta bona venderentur et per modum provisionis, cautione mediante, eisdem actoribus pecunia ex dictis bonis proveniens deliberaretur ac traderetur, pronunciatum extiterat. Que bona et maxime dicta aleca non omnia reperta et vili precio post Pascha vendita fuerant, et ob hoc quatuor ex ipsis actoribus a tempore predicto in ville nostra Parisius pro prosecutione predicta continue steterant, qui mercatores de summa quatuor [millial] librarum paris. et amplius dampnificati fuerant ; quodque, si defensores predicti alias ab inimicis nostris capti et detenti aut ab ipsis inimicis assiliti fuerant, hoc actoribus predictis, qui neutri in guerra et qui presentes non fuerant, minime prejudicare poterat aut debebat ; in dictoque crayer nulla bona ad Anglicos spectantia fuerant ; et si quidem Anglicus, Vatrelon nominatus, aliquos ex dictis actoribus a dictis defensoribus redimere nisus fuerat, hoc eisdem actoribus prejudicare non poterat aut debebat ; nec bona predicta per actores predictos in Anglia ducebantur ; quod si ducerentur ipsi actores qui neutri, ut premissum est, fuerant, facere potuerant de consuetudine, usu et observantia in talibus notorie observatis ; quare petebant dicti actores dictos defensores et eorum quemlibet ad reddendum et restituendum eisdem actoribus dicta bona si in rerum natura extarent eut si non extarent pro eis summam duarum mille librarum parisiensium predictam condempnari et compelli de quantitate et valore dictorum bonorum dictis actoribus suo juramento credi, caucionemque per dictos actores de receptione per eos per modem provisionis datam adnullari, dictosque defensores ad malam et injustam causam se opposuisse declarari, ipsosque defensores et eorum quemlibet in solidum in emendis honorabilibus et utilibus erga nos et dictos actores talibus quibus dicte nostre curie videretur expedire, et ad tenendum prisionem usque ad satisfactionem premissorum ac in dampnis expensis et interesse dictorum actorum eisdem actoribus de sibi adjudicando priusquam nabis satisfacto condempnari.

Dictis defensoribus in contrarium proponentibus et dicentibus quod ipsi homines [boni] status, bone fame et conversationis honeste erant et fuerant, nobisque in facto guerrarum nostrarum et maxime in mari cum magnis periculis suorum corporum et bonorum servierant et de die in diem serviebant, et pro dictis guerris nostris pluries capti per inimicos nostros et ad magnas summas compositi fuerant, et adeo quod Anglici sive inimici regni nostri in portu de Harfleu his temporibus nulla inconvenientia fecerant, quodque, circa festum Nativitatis Domini anno Domini nostri MCCCC sexti, Robertus de Braquemont miles, Johannes de Lesmes, Guillelmus Anglici et Guillelmus Carnificis quinque tam bargias quam balenarios pro facto guerre et ad resistendum inimicis nostris armaverant et eas in costa Anglie transfretaverant ; in qua costa quinque haves regni Anglie et dictum crayer alecibus et calibe [Note : Fer ou acier] oneratum, quarum navium et crayer Henricus Paie, Anglicus, gubernator fuerat; sociique in dicto crayer existentes armati fuerant et ferrum ad faciendum armaturas in Anglia deportabant, dictique socii in dicto crayer existentes dictis bargis et balenariis insultum fecerant, et ob hoc dicti defensores qui fortiores fuerant dictum crayer et socios in ipso existentes de facto bone guerre ceperant ; quodque Anglici ex dicta captione indignati quandam navem que dicti Robineti de Braquemont fuerat La Grue nuncupatam et sex viginti homines armorum in ipsa existentes ceperant ; dictique socii in dicto crayer existentes post eorum captionem eisdem defensoribus et suis sociis pro sua redempcione medietatem mercimoniarum et bonorum in dicto crayer existencium eisdem tradere voluerant, dicteque mercature cuiusdam Anglici Vouatreton nuncupati fuerant, qui Vouatreton dictos socios in dicto crayer captas ut Anglicos redimere nisus fuerat ; in quo crayer plures mercature Anglicorum fuerant, et si dicte mercature Alamanorum et non Anglicorum existebant per eos ad inimicos nostros et maxime ea que ad factum armorum spectabant portari non debuerant ; quod si contrarium fieret, de usu et consuetudine armorum, per subditos nostros licite capi poterant, et ita pluries in dicta curia et alibi judicatum extiterat et super hoc pluries ordinaciones per predecessores nostros facte fuerant ; quodque si defensores predicti ad restitutionem mercaturarum predictarum tenebantur, hoc in quantum ad eos pervenerant et non alias fuerat. Quare petebant dicti defensores dictos actores ad suas predictas requestas, conclusiones et demandas faciendas causam seu actionem non habere et si causam seu actionem haberent ab eis absolvi, et ipsos actores in eorum expensis condempnari.

Super quibus et aliis pluribus hinc inde propositis, inquesta tam pro parte dictorum actorum quam pro parte dictorum defensorum, dictis Clignet et Rogero Berengarii exceptis facta, et adjudicando juncta litis contestatione dictorum Clignet et Rogeri, salvis reprobationibus testium per utramque partem, contradictionibus litterarum per dictos defensores et salvationibus earumdem per dictos actores traditis, recepta, ea visa et diligenter examinata, reperto quod sine reprobationibus [Note : Preuves nouvelles] judicari poterat, dicta Curia nostra per suum judicium eisdem actoribus summas per modum provisionis traditas ad plenum deliberavit et deliberat, cautiones super hoc per eos traditas absolvendo, et per idem judicium dicta Curia nostra dictos defensores erga dictos actores ultra summas predictas, videlicet Clignetum in 447 librarum 15s, Colinum Colineti in 18 l. 11 s. 6 d., Johannem de Lesmes pro se et Thoma Lainsné in 20 l., Guillelmum Anglici in 24 l. 6 s. 8 d., Xpianum de Furno in 13 l. 10 s., Guillelmum Carnificis et Robertum Martini in 26 l. et Alanum Lignee en 32 l. ; et eosdem ac omnes alios defensores supranominatos in 25 librarum ac pro omnibus dampnis et interesse processus in ducentum librarum Turonensium summis et in expensis dictorum actorum condempnavit et condempnat, dictarum expensarum taxatione dicte Curie nostre reservata.

Pronunciatum die XXIIII Maii, anno Domini M° CCCC° IX°. MARLE,
En marge à droite et à gauche. SAINT-VERAIN, E. CLERICI
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