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LE PROCONSUL CARRIER A NANTES.

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Vous connaissez tous, n'est-il pas vrai ? l'île Feydeau, autrefois la Grève de la Saulzaye, et sur cette île, qui a pris son nom de celui d'un intendant de Bretagne, la maison Villetreux. C'est dans cette maison, aux cariatides superbes, qui porte le n° 3 de la place de la Petite-Hollande et est située en face du marché, qui domine notre port maritime et que l'on voit reproduit souvent dans les vues de Nantes, qu'habita, en 1794, le représentant du peuple en mission, Carrier ; les autres maisons qu'il fréquentait, entre autres celle fermant autrefois l'extrémité du boulevard Delorme, prés de la rue du Boccage, et rebâtie depuis rue de Gigant, n° 30, n'étant pour lui que de simples résidences où il se livrait plus à l'aise au plaisir et à la débauche.

Lorsque mes parents vinrent habiter, vers le milieu de ce siècle, dans cette magnifique maison Villetreux, l'appartement de Carrier, cet appartement passait pour étre hanté. Il est de fait, qu'il se passait, là, mes parents me l'ont souvent raconté, des choses effrayantes. Soudain, au milieu de la nuit, ils entendaient des coups violents à la porte de leur chambre, puis de formidables soupirs et des bruits de chaînes. Or, vous le savez, cette ancienne maison Villetreux, une des deux seules construites sur l'île Feydeau, de 1732 à 1760, est bâtie sur un fond mouvant, comme ses voisines d'ailleurs qui se penchent et s'appuient les unes sur les atutres, à la façon de gens ivres. A l'époque dont je vous parle, il y avait à son rez-de-chaussée une boulangerie, que existe encore, et une écurie. Lorsque le boulanger éveillait ses garçons, il frappait plusieurs coups à leur porte et, sans doute, par une lézarde de la muraille qui avait dû travailler par suite de la mobilité du sol, les coups se répercutaient avec une incroyable netteté, dans le silence de la nuit, à la porte de la chambre dans laquelle je suis né. Les garçons se mettaient alors à pétrir la pâte et à geindre, et les chevaux de l'écurie voisine, effrayés par le bruit, tiraient les chaînes de fer qui les attachaient ; et on avait, dans l'appartement de Carrier, l'audition que donne aux vivants tout revenant que se respecte des coups frappés, des gémissements et des bruits de chaînes.

La lézarde a été bouchée depuis probablement et tous bruits se sont tus.

Jean-Baptiste Carrier

Mais, si l'âme de Carrier n'est jamais très vraisemblablement revenue visiter les lieux, témoins de ses crimes, il n'en est pas moins certain que le souvenir de Carrier hante encore nos esprits ; car, il n'y a peut-être pas une ancienne famille de notre cité qui n'ait eu à se plaindre des barbaries du féroce représentant du peuple en mission, dont je veux sans m'appesantir sur ses fameuses guillotinades, fusillades et noyades, également objet d'horreur pour les honnêtes gens de tous les partis, essayer de vous esquisser la physionomie à l'aide de la tradition, des archives du temps et des récits des hommes ayant vécu sous la première Révolution.

Voici, tout d'abord, quelques détails sur son enfance mentionnés dans une petite brochure de 60 pages in-8°, publiée en l'an III, chez Prévost, à Paris, et, intitulée : La vie sans pareille, politique et scandaleuse du sanguinaire Carrier, etc., etc.

« Jean-Baptiste Carrier naquit en 1757, à Yolay, en Auvergne. Plus occupé de ses plaisirs que de ses études, il négligea son instruction et répondit, mal aux soins de ses maîtres. Dès l'âge le plus tendre, il manifesta un caractère dur et féroce. Il prenait plaisir à tourmenter les animaux qu'il avait, sous la main....

Plus tard, il aima passionnément la chasse, et un jour qu'on lui refusa la permission de se livrer à cet exercice, il se mit à chasser le chat de la maison qu'il finit par assommer dans la cave. Une autre fois, le chien était sa victime.

On nous le représente toujours à la poursuite des oiseaux, des moutons, etc., et immolant ces animaux, autant qu'il était en son pouvoir. Il offrait volontiers son ministère lorsqu'il s'agissait de tuer quelques-uns des habitants de la basse-cour dont on avait besoin pour la table ».

Vous le voyez, Carrier, dès son enfance, en attendant de pouvoir exercer ses instincts sanguinaires sur les hommes, les exerçait sur les animaux ; c'était une mauvaise nature, une sorte de fou sanguinaire, qui aurait pu, comme tant, d'autres, rester caché dans l'ombre, mais que les évènements mirent malheureusement en évidence, car Lamennais l'a dit : « Les circonstances ne forment pas les hommes, elles les montrent ».

Il grandit el devint d'abord procureur à Aurillac, puis député à la Convention nationale, et enfin représentant du peuple en mission à Nantes.

Dès son arrivée dans notre ville, il érigea en système le lâche procédé de la dénonciation. Au dire de Monneron, témoin plus lard dans son procès, il avait l'air d'un charlatan et d'un tigre altéré de sang, et c'est le sabre à la main qu'il apparaissait à la Société populaire ou il tenait des discours tel que celui-ci : « Il faut frapper ces coquins, ces accapareurs, ces aristocrates, ces modérés, dénoncez, dénoncez-les moi. Il ne faut point de preuves matérielles, la dénonciation de deux bons sans-culottes suffit ».

M. Ferdinand Petitpierre, chef d'une des principales fabriques de Nantes, s'en aperçut. Il fut amené devant Carrier sur la dénonciation de ne pas payer ses ouvriers les jours où ceux-ci montaient la garde. Or, en agir ainsi, c'était les engager à ne pas faire de service. M. Ferdinand Petitpierre soutint que le fait était faux et demanda à être confronté avec son dénonciateur. Il parut, et quelle fut la surprise de M. Petitpierre, en voyant un de ses ouvriers, le nommé Couriau, qui, ayant excité sa commisération, alors qu'il s'était fait une légère blessure à la main, avait été autorisé par lui à recevoir sa paie jusqu'à sa parfaite guérison. Couriau, s'habituant à ce régime, continuait à se présenter chaque samedi à la paie, comme s'il eût travaillé. Il y avait longtemps qu'il était rétabli quand on le pria de ne plus se présenter s'il ne voulait pas travailler. Cette observation contraria l'homme paresseux, et en s'en allant, il dit à ses camarades en murmurant : « Dieu me damne si je ne le dénonce pas ». En présence de M. Petitpierre, il resta confondu ; il balbutia quelques mots et ne put articuler un fait quelconque. Carrier le fit retirer et alors s'adressant au négociant calomnié : « Je te préviens, citoyen, de faire bien attention à la conduite envers ce digne républicain : pas la moindre vengeance ; son action est louable et il a bien mérité de la patrie ». Verger, qui raconte le fait, ajoute en guise de conclusion : « Quelques semaines plus tard, M. Ferdinand Petitpierre eût été envoyé à la guillotine sans preuves, sans confrontation, sur la dénonciation du premier venu ».

Carrier, en effet, ne tarda guère à s'entourer d'une soixantaine de gredins qui terrorisèrent Nantes. Ces hommes avaient le droit d'incarcérer eux-mêmes, et ils le faisaient, sans ordre, sans écrou. Parfois même, Carrier leur déléguait le droit de vie et de mort qu'il s'était arrogé, et Lambertye et Fouquet en abusèrent pour faire des noyades. Cette bande était connue sous le nom tout à fait significatif de Compagnie de Marat. Lorsqu'on la forma, Goullin s'écriait à chaque nomination : « Y en a-t-il un plus scélérat ? ». La scélératesse était un titre de gloire chez, ces hommes qui profitèrent de leur situation pour assassiner et voler. L'un d'eux, nommé Chaux, lit-on dans l'acte d'accusation contre les membres du Comité national de Nantes, disait en parlant d'un local qui lui convenait : « Je connais un moyen de me le procurer ; je ferais arrêter le propriétaire, et pour sortir de prison, il sera trop heureux de m'abandonner son terrain ». La veuve Mallet avait été jetée en prison pour avoir eu l'imprudence de réclamer 60 ou 70 livres de tabac que le Comité lui avait fait enlever ; elle sollicitait sa liberté de Perrochaux et lui disait qu'elle éprouvait un violent, mal de gorge : « Bon, répondit celui-ci, ce n'est rien, la guillotine guérira tout cela ». Le sieur Goullin fut plus radical : il fit périr en prison son bienfaiteur auquel il devait de fortes sommes. C'était lui qui, en digne disciple de Carrier, disait un jour à Phelippes, président des Tribunaux criminels et révolutionnaires de Nantes : « Ah ! Président, avec votre air sévère lorsque vous êtes sur le siège, vous avez l'âme trop timorée ; est-ce qu'il faut des preuves pour faire passer certaines personnes au rasoir national ? On leur fait mettre la tête à la fenêtre sur l'étiquette du sac ».

Mais tout cela manquait encore d'envergure, et si tout d'abord on agit timidement, hypocritement, si après la première noyade de quatre-vingts prêtres, Carrier écrivit à la Convention : « Quatre-vingts prêtres se sont noyés ! Quelle catastrophe ! Quel torrent révolutionnaire que la Loire ! ». L'impunité encouragea le proconsul et ses acolytes à agir avec plus de cynisme et de cruauté. Ils allèrent même jusqu'à souper sur les navires qui venaient de servir aux exécutions, comme le raconte le président Phelippes dans sa déposition contre Carrier. Mais écoutez plutôt ce passage des Girondins de Lamartine, duquel j'ai cru devoir supprimer quelques détails atroces dont il ne serait peut-être pas convenable de parler ici, mais qui montrent bien jusqu'où pouvait aller la folie lubrique et antireligieuse de Carrier et de sa bande :

« Les ordres (de noyades), dit Lamartine, s'exécutèrent d'abord secrètement sous la couverture d'accidents de navigation. Mais bientôt ces executions navales, dont les flots de la Loire portaient le témoignage jusqu'à son embouchure, devinrent un spectacle pour Carrier et pour ses complaisants. Il acheta un navire de luxe, dont il fit présent à Lambertye, sous prétexte de surveiller les rives du fleuve. Ce navire, orné de toutes les délicatesses de meubles, pourvu de tous les vins et de tous les mets nécessaires aux festins, devint le spectacle habituel de ces exécutions. Carrier s'y embarquait quelquefois lui- même avec ses exécuteurs et des courtisanes pour faire des promenades sur l'eau. Tandis qu'il se livrait sur le pont aux joies du vin et de l'amour, des victimes enfouies dans la cale voyaient, à un signal donné, s'ouvrir les soupapes et les flots de la Loire les ensevelir. Un gémissement étouffé annonçait à l'équipage que des centaines de vies venaient de s'exhaler sous ses pieds. Ils continuaient leurs orgies sur ce sépulcre mouvant.

Quelquefois Carrier, Lambertye et leurs complices se donnaient les cruelles voluptés du spectacle de l'agonie. Ils faisaient monter sur le pont des victimes de sexe différent. ..... On attachait, face à face, l'un à l'autre ..., un jeune homme avec une jeune fille ; on les suspendait ..... par une corde passée sous l'aisselle, à la poulie du bâtiment. On jouissait avec d'horribles sarcasmes de cette parodie de l'hymen dans la mort ; on les précipitait enfin dans le fleuve. On appelait ce jeu de cannibales les mariages républicains ».

Pendant, ce temps- là, sans doute, le sentimental proconsul Carrier jouait, en bon auvergnat, de la vielle qui a été volée il y a deux ou trois ans chez son petit neveu, charbonnier à Paris, vol qui inspira une jolie pièce de vers au poète brille Grimaud.

Mais dans ces noyades, où toutes les classes de la société étaient confondues, malheur à celui qui essayait de s'enfuir, on lui coupait les jambes ; malheur à celui qui élevait des mains suppliantes, Moreau, dit Grandmaison, s'amusait à lui abattre les doigts ; malheur à celui qui avait trop d'embonpoint, Foucault s'amusait a lui ouvrir le ventre à coups de sabre. Et si, devant ces affreux spectacles, des hommes de la garde de Carrier venaient à s'attendrir, celui-ci les apostrophait : « Vous êtes des lâches qui méritez la mort ».

Le calcul des victimes mises à mort sans jugement quelconque, sans parler de celles massacrées après un simulacre de jugement rendu sous la pression du féroce proconsul, se monte, hommes, femmes, enfants, vieillards de tout âge et de tout sexe, à dix à douze mille, comme l'attestèrent les officiers de santé et les administrateurs du département.

Mais Carrier et ses séides ne se contentaient pas d'être de grands assassins, ils étaient encore de grands voleurs :

« Les séides de Carrier, en effet, lit-on dans la brochure dont je vous parlais en commençant, dépouillaient ceux qu'ils allaient faire périr, leur enlevaient cravates, habits. On rassemblait toutes ces dépouilles, on les vendait et le produit était partagé entre les noyeurs et les ordonnateurs des fêtes sanglantes. Lorsque les bateaux à soupape avaient englouti les victimes, les complices de Carrier se réunissaient chez le représentant et attendaient, avec un profond respect, que celui-ci voulût bien faire les parts ».

Ces scélérats pourtant se laissaient quelquefois attendrir, c'est ainsi que Perrochaux consentit à sauver le sieur Bretonville, sur la demande de sa fille ; mais, pour ce service, il demanda à celle-ci le sacrifice de son honneur.

Carrier procédait de même, ainsi que le prouve ce passage de l'Adresse des citoyens de la commune de Nantes et de la Société populaire à la Convention :

« Le sieur Michel Brevet, marchand de boeufs — celui-là n'était pas un aristocrate — était détenu arbitrairement ; sa sœur se présenta devant Carrier. Celui-ci ne répondit à ses gémissements que par d'abominables imprécations que son frère serait bientôt f.... à l'eau, qu'il en périrait bien d'autres avec lui, que les trois quarts de la ville de Nantes y passeraient... Elle voulut insister ; il la jeta à la porte en la maltraitant. Elle était à peine au bas de l'escalier qu'il la rappela et lui promit la liberté de son frère si elle voulait se laisser aller à sa passion ; elle refusa avec indignation, et Carrier envoya le frère boire à la grande tasse, comme il disait ».

Voilà comment Carrier entendait la justice, et encore cette jeune fille eut-elle moins de malchance que ces infortunées que l'austère Carrier se fit amener après un de ces bons repas qu'il aimait à faire pendant que le peuple mourait de faim et était réduit à une demi-livre de pain par jour et alors qu'il était défendu, sous peine d'être incarcéré par Grandmaison, d'apporter de la nourriture à des femmes et à des enfants emprisonnés et destinés à la noyade. Donc, à la fin d'un dîner avec un ami, grand noyeur, grand exécuteur, on lui amena des femmes qu'on avait tirées des prisons. Le monstre commença par les observer toutes les unes après les autres, pour voir si quelques-unes d'entre elles pouvaient amuser ses moments, mais il n'en trouva pas à sa convenance et il dit au gardien en jurant de les jeter toutes à l'eau. Aucune n'avait eu l'heur de plaire au citoyen Carrier, qui n'était pourtant ni un Adonis, ni un Apollon, à en juger par ce portrait que nous en a tracé un de ses contemporains :

« Ce Monstre était, dit-il textuellement, d'une taille avantageuse, presque tout en jambes et en bras ; il avait le dos un peu voûté, la tête petite, le visage long, d'un caractère très prononcé. Les yeux petits, anguleux, renfoncés, d'une couleur mêlée de sang et de bile, le nez long et aquilin, le regard affreux ; son teint était d'un brun cuivré ; il était maigre et nerveux et la protubérance de ses hanches, jointe au défaut de ventre, le faisait paraître coupé en deux, comme une guêpe. L'aigreur de sa voix était rendue plus sensible par l'accent méridional ; quand il était à la tribune un peu animé, il semblait tirer son discours de ses entrailles déchirées, prononçant les r comme un tigre qui gronde ».

Voilà au physique le portrait de ce Carrier qui se montrait si dégoûté des femmes, ses prisonnières, au point de les envoyer jeter a l'eau.

Mais Carrier, qui menait une vie de débauche, comme la femme de César, ne devait pas être soupçonne. Voulant faire croire à l'austérité de ses moeurs et à celle de ses amis, il fit prendre une centaine de filles de mauvaise vie et les fit noyer.

Carrier déployait une certaine audace quand on ne lui résistait pas et lorsqu'il n'y avait nul péril à redouter, et le ton qu'il prenait en imposait à ceux qui l'entouraient, mais la lâcheté reprenait vite le dessus lorsqu'il se croyait menacé. Brillaud de Laujardière lui ayant demandé la grâce d'un de ses parents, il refusa et traita même Brillaud de Laujardière d'aristocrate ; mais celui-ci ayant tiré, à la façon du Mardoche d'Alfred de Musset pour convaincre son oncle le bedeau, un pistolet de sa poche, devant cet argument détonnant Carrier n'eut plus rien à lui refuser.

Il était, en effet, poltron jusqu'à table. En voici un amusant exemple :

Un jour Carrier donnait un succullent dîner civique à vingt-cinq de ses amis. Les quatre gendarmes préposés à sa garde se jugèrent insuffisants. Craignant qu'après boire les convives du proconsul ne vinssent à le quereller et à lui faire un mauvais parti, ils réclamèrent, du renfort et le Comité de sûreté générale envoya autant de gendarmes qu'il y avait de convives. S'il arrivait aujourd'hui à un préfet de notre ville de donner un banquet et que l'on voulût faire surveiller chacun de ses convives par un gendarme, le premier soin de ce représentant du Gouvernement, connaissant l'honorabilité de ses amis, serait de prier ces agents de la force publique de s'en retourner. Carrier, qui n'avait pas, lui, une bonne opinion des siens, s'empressa d'accepter ces gendarmes, ce que jeta d'abord l'épouvante, puis un froid, parmi ses convives, mais ne donne pas une bien haute idée de la bravoure du proconsul.

Mais ce n'était pas seulement à table que sa poltronnerie se montrait, c'était surtout à l'armée. Voici ce que racontent, à ce sujet, deux témoins de son procès. A l'affaire de Cholet, Carrier, qui s'était vanté dans une réunion publique où il traitait les Nantais de lâches, de faire le tour de la Vendée avec une quenouille, était cependant à la queue de l'armée ; pris de terreur, il sauta sur un cheval sans donner le temps de lui passer une bride et se mit à fuir de toutes ses forces.

Cela ne l'empêchait pas de remporter de grandes victoires avec son ami Thureau. Si vous voulez savoir comment, vous n'avez qu'à lire le septième chef de son acte d'accusation devant la Convention, où il est dit en termes formels :

« Il souffrait que les massacres exécutés par Thureau fussent représentés comme des victoires. Ce nouvel Attila ordonnait aux habitants de plusieurs communes de se réunir : quand ils étaient réunis au nombre de sept ou huit cents, il les faisait exterminer ; ensuite le général et les représentants écrivaient à la Convention : Nous avons remporté une grande victoire, 800 brigands sont restés sur le champ de bataille ». Quelle victoire, grand Dieu ! s'écrie l'auteur de l'acte d'accusation, des femmes, des enfants, égorgés sans défense ; il aurait pu ajouter sans danger pour Carrier qui, toujours comme Marat son modèle, était " Selon qu'il faut combattre ou qu'il faut égorger, - Présent pour le massacre, absent pour le danger " (PONSARD, Charlotte Corday).

Carrier qui détalait si bien dans la bataille, faisait massacrer, non seulement les Vendéens pris les armes à la main, mais encore ceux qui se rendaient en vertu d'une amnistie ou volontairement. « La défaite des brigands est si complète, écrivait-il, qu'ils arrivent à nos postes par centaines. Je prends le parti de les faire fusiller ». C'est par ce procédé barbare qu'il prolongea l'insurrection des Vendéens, obligés de combattre pour ne pas être massacrés. Après la défaite de Savenay, dit Dubois de Crancé, le parti royaliste était aux abois et c'est la conduite atroce de Carrier qui a ranimé les esprits abattus et leur a donné le courage du désespoir.

« C'est par un motif d'humanité que je purge la terre de la liberté de ses monstres, » disait le proconsul qui voulait tout massacrer. Le sieur Thomas, officier de santé, qui reçut vingt-deux balles dans le corps, à l'expédition de Clisson contre les brigands, et qui, par conséquent, n'est point suspect de bienveillance pour eux, nous fait cette peinture des folies sanguinaires qui ont suivi la prise de Noirmoutier. Je la prends dans la déposition faite par lui dans le procès de Carrier : « J'ai vu, dit-il, après la prise de Noirmoutier, massacrer une municipalité en écharpe qui était, venue pour désigner un repaire de brigands. Un soldat avait enlevé vingt-quatre louis d'or à un brigand qui avait été tué ; un autre soldat tua son camarade pour avoir cet or et vingt-cinq ou trente se tuèrent ainsi successivement ! J'ai vu brûler vifs des hommes, des enfants, des vieillards enfermés dans leurs maisons : j'ai vu cent cinquante soldats maltraiter, outrager des femmes et des filles de 14 à 15 ans, les massacrer ensuite et jeter de baïonnettes en baïonnettes de tendres enfants qui étaient à côté de leurs mères étendues sur le carreau ; et c'étaient les héros des 500# qui se livraient à ses cruautés, et on n'osait encore rien dire ! ». Carrier, alors, demanda au témoin, si, lui, Carrier, était présent à ces massacres ; et Thomas de lui répondre : « Je ne sais, mais on s'autorisait de vos ordres ». Et le Président de lire cette lettre adressée au brave général républicain Haxo qui, de désespoir de recevoir un pareil ordre, voulait se suicider : « Il vous est ordonné d'incendier toutes les maisons des rebelles, d'en massacrer tous les habitants et d'en enlever toutes les subsistances ». Pour toute excuse, Carrier se contenta de dire « qu'il n'était pas en horreur à la population de Nantes, et la preuve c'est qu'il avait été, pour ainsi dire, accablé de couronnes civiques à une fête publique à La Montagne ».

C'est qu'il 'était un de ces hommes que, suivant l'expression de Ponsard parlant de Marat par la bouche de Barbaroux : « l'épouvante a sauvé du mépris ». Les Parisiens, après que Marat eut péri sous le couteau de Charlotte Corday, l'Ange de l'assassinat, suivant la belle expression de Lamartine, l’ont bien divinisé. Pourquoi les pauvres Nantais affolés n'auraient-ils pas jeté des couronnes civiques aux pieds de Carrier qui avait pris Marat pour modèle et pour patron de sa compagnie, de Marat dont on exposa le coeur au Luxembourg dans une sorte d'ostensoir.

Le peuple applaudissait à toutes ces platitudes ; on craignait, ainsi que le montre M. Edmond Biré dans un chapitre de son Paris pendant la Terreur, on craignait d’être suspect, on conjuguait sur tous les tons et sur tous les modes, comme Sieyès, le verbe : J’ai peur. Et ce que se passait, à Paris, se passait également dans notre ville, et Carrier se montrait d'autant plus cruel qu'il voyait les Nantais se courber devant lui, et, par crainte, vanter ses crimes. Il lui aurait fallu rencontrer plus souvent des résistances, comme celle que lui opposa le bon républicain, Sébastien Boulay-Paty, plus tard représentant du peuple au Conseil des Cinq-Cents, en 1798, père du poète breton, lauréat de l'Académie française et de la Société Académique de Nantes. « Quand Carrier, en effet, lit-on dans la Biographie bretonne de Levot, désignait, aux haches de ses hordes frénétiques, les portes et la vie des négociants de Nantes, qu'il disait accapareurs de grains, Boulay-Paty les défendit avec une ardeur qui fit obstacle à cet appel au sang. Il résista encore avec non moins de force à Carrier, au Comité révolutionnaire et au Comité de la Montagne, quand ils demandèrent au département l'arrestation des suspects. Voyant ses efforts inutiles dans une journée où, les canons braqués dans les rues, une foule de dignes citoyens furent plongés dans les cachots, il s'empressa, malgré le double péril de mort qu'il affrontait, de rédiger une adresse accusatrice à la Convention. Lorsque, quelques jours après, Carrier, sous prétexte d'une vaste conspiration dans les prisons, voulut le massacre général des prisonniers ; que l'ordre était donné par le Comité révolutionnaire de les faire lier deux à deux et de les faire fusiller indistinctement, Boulay-Paty ne voyant que le péril de ses concitoyens et non le sien, résolu à tout pour empêcher cet execrable forfait, courut chez Carrier, l'interpella avec indignation, l'entraîna en bonnet de police, en redingote, en pantoufles, au Département, et lui fit renier cet ordre infâme. Des milliers de malheureux durent la vie ce jour-là à son courage.

Boulay-Paty, arrêté enfin par ordre de Carrier, eut avec lui une nouvelle et terrible altercation qui devait le conduire à la mort ; mais son attitude énergique le sauva. Carrier fut terrassé par le langage d'un homme si haut placé dans l'estime générale, et qui avait rendu dans ce pays de vrais services à la République ; puis, écumant de colère, il lui dit en jurant : « Eh bien ! retourne-donc à Paimboeuf » (où Boulay-Paty était commissaire national). Boulay-Paty sortit avec mépris et envoya sans crainte à l'accusateur public du Tribunal révolutionnaire de Paris, une dénonciation formelle contre Carrier ».

C'est à cette belle conduite de son père que le poète Evariste Boulay-Paty fait allusion dans ce sonnet intitulé :

LA PRÉFECTURE, A NANTES.
Je ne passe jamais devant ce monument
Sans songer à mon père, esprit haut qu'on renomme.

Citoyen, comme en eut autrefois Sparte, Rome.
Je crois le voir ici s'avancer hardiment.

Il arrache sa proie à Carrier écumant ;
Puis, arrêté par lui, face à face il le nomme
« Un monstre ! » Alors le tigre a peur sous l'oeil de l'homme,
Et devant son captif recule lâchement.

0 mon père, héritier des dévouements antiques,
J'entends encor ta voix tonner sous ces portiques,
Et l'éclair de l'orgueil dans mon regard a lui.

Je marche riche et fier, je songe à l'héritage
De l'honneur, bien qui reste entier dans son partage,
Et qui fait que le pauvre a son or aussi lui.

A la suite de la dénonciation de Boulay-Paty et surtout de celle d'un ami de Robespierre, Jullien, fils du député de la Drôme de ce nom, qui fut arrêté, comme Boulay-Paty et fit trembler aussi le féroce mais lâche proconsul, Carrier fut rappelé, traduit devant le Tribunal révolutionnaire de Paris, devant lequel on essaya, paraît-il, de le faire passer pour royaliste. Reconnu coupable par le Jury de tous les faits que je viens de vous raconter, il fut condamné et finalement exécuté, et, chose à sa louange, il fit bonne contenance devant la mort, tout, en protestant de son innocence.

Ainsi donc, la Convention et le Tribunal révolutionnaire de Paris ne se solidarisèrent pas avec Carrier ; ils n'admirent pas que, suivant le système du bloc préconisé de nos jours par Clémenceau, les vices, les crimes et les folies de Carrier fussent englobés avec les vertus et les hauts faits d'armes de leur époque, et ils firent détacher par le rasoir national, suivant l'expression du citoyen Goullin parlant de la guillotine, quelque chose de peu de valeur au point de vue intellectuel et relevant des études d'un Lombroso, mais quelque chose de détestable au point de vue moral, la tête de Carrier, c'est-à-dire celle d'un hypocrite, d'un lâche, d'un satyre ami de la bonne chère, d’un assassin et d’un voleur.

(D. Caillé).

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