Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

LE CLERGÉ INSERMENTÉ D'ILLE-ET-VILAINE (1792)

  Retour page d'accueil       Retour "Histoire de Bretagne"    

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

On donne le nom de Clergé réfractaire ou d'Insermentés aux ecclésiastiques hostiles à la Constitution civile du clergé, lors de la Révolution française. Une part d'entre eux, originaires d'Ille-et-Vilaine, fut exilée, massacrée ou déportée ; de nombreux autres entrèrent dans la clandestinité, pour continuer d'assurer, autant que possible, leur apostolat. Ce clergé s'oppose au Clergé jureur (dit aussi Clergé assermenté ou Clergé constitutionnel) qui reconnaît cette Constitution.

Prêtre insermenté (Bretagne).

 

Le décret du 26 décembre 1790 obligea tous les prêtres fonctionnaires publics à faire un serment, dont voici la formule : « Je jure de remplir mes fonctions avec exactitude, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l'Assemblée Nationale et acceptée par le Roi ». On sait que ce serment fut solennellement condamné par Pie VI, les 10 mars et 13 avril 1791.

Tous ces ecclésiastiques qui refusèrent le serment furent, en exécution du décret du 26 août 1792, condamnés à la déportation.

Deux cent cinquante prêtres d'Ille-et-Vilaine durent ainsi quitter leur pays et se réfugièrent à Jersey. En 1793, un certain nombre d'entre eux partirent pour l'Angleterre et reçurent l'hospitalité au château royal de Winchester.

Vers le milieu de l'année 1793, l'abbé Barruel publia, à Londres, l'Histoire du clergé pendant la Révolution française. Cet ouvrage, qui parlait à peine de l'Ille-et-Vilaine, déplut aux prêtres de ce département, et l'un d'eux, l'abbé Coupé, vicaire à Romazy, écrivit de Winchester à Barruel, le 2 septembre 1793 : « En lisant l'article de votre ouvrage concernant les vexations exercées contre le clergé du diocèse de Rennes, j'ai été, et mes confrères de même, fort surpris de trouver quelque chose de faux, et encore plus d'y voir omise l'histoire presque entière de nos persécutions. L'exactitude avec laquelle vous avez bien voulu dépeindre celles qu'ont souffertes nos confrères des autres départements (Côtes-du-Nord, Finistère, Maine-et-Loire, Mayenne), me fait croire que toute la faute est à celui que nous avions chargé de vous faire passer des notes. Je vous en envoie aujourd'hui de plus exactes, écrites au nom et d'après le témoignage et l'assentiment de dix à douze ecclésiastiques du département d'Ille-et-Vilaine, résidant, comme moi, à Winchester et comme moi presque tous victimes des persécutions que vous lirez. J'espère que vous y trouverez quelque chose digne d'occuper votre plume et que vous vous ferez un sensible plaisir de le transmettre à la postérité ».

A cette lettre était joint un Mémoire, signé de l'abbé Coupé et de six de ses confrères : Blot, Pairier, Paty, Bouvet, Godard, recteur de Saint-Martin de Nouvoitou, et Morel, religieux bénédictin, prieur de Saint-Léger.

Comme ce document important n'a jamais été utilisé par Barruel, nous le publions à cause de son intérêt. Il est conservé avec soin dans les archives de la Compagnie de Jésus et nous a été communiqué par le P. Vivier.

***

Notes sur les persécutions exercées en 1792 contre le clergé et autres fidèles dans le diocèse de Rennes, et particulièrement dans cette ville.

« On vous a trompé, Monsieur, quand on vous a dit que le département d'Ille-et-Vilaine avait accordé une église à Rennes pour l'exercice du culte catholique. Il n'y en avait aucune d'ouverte pour un objet si louable. Quant aux autres faits que vous rapportez, nous les croyons vrais ; mais il en est beaucoup d'omis que vous serez peut-être bien aise d'avoir. Je m'empresse de vous les faire passer. Voici donc comment, commencèrent et se succédèrent les persécutions.

« Les véritables ministres de la religion, pour avoir refusé de prêter le serment exigé par l'Assemblée Nationale, avaient été contraints, en vertu d'un arrêté des corps administratifs (14 décembre 1791), de s'éloigner de trois lieues de leur troupeau, sous la peine d'emprisonnements et autres châtiments [Note : Déjà un arrêté du 16 juin 1791 avait prescrit aux insermentés de se retirer au lieu de leur naissance ou à trois lieues des paroisses qu'ils desservaient]. Mais toujours prêts à donner leur vie pour lui, ils ne laissaient pas, de jour et de nuit, d'aller éclaircir ses doutes et fortifier sa foi. Les intrus (curés constitutionnels) le savaient, ils en étaient indignés. Ils provoquèrent donc auprès du département un arrêté (15 avril 1792), par lequel on enjoignait à tous les ecclésiastiques déplacés (remplacés par des jureurs) de prêter le serment de ne rien dire ou faire contre la Constitution, et en cas de refus de se rendre dans les quinze jours après la publication du présent arrêté au chef-lieu de département, de déclarer dans les 24 heures après leur arrivée au secrétariat de la municipalité leur nom, surnom, celui de leurs hôtes et de la rue où ils demeuraient. Presqu'aucun ecclésiastique ne voulut se soumettre à ce serment, non moins coupable que le premier. Plusieurs se rendirent à Rennes ; mais aussi plusieurs, croyant qu'ils ne pouvaient sans crime abandonner des brebis qui avaient si grand besoin de leurs soins et de leurs lumières, préférèrent s'exposer à encourir les peines portées contre les réfractaires par cet arrêté injuste plutôt que de laisser à la merci des loups un troupeau si cher à leur cœur. L'exécution du présent arrêté avait été remise entre les mains des gendarmes et gardes nationaux. Les quinze jours après sa publication n'étaient pas encore trop expirés, que la gendarmerie se répandit dans les campagnes. Alors on vit tous les jours une foule de ministres, auxquels on n'avait à reprocher que le défaut de soumission à une loi que leur conscience ne leur permettait pas de remplir, les uns sans argent, les autres quelquefois pas trop vêtus, parce qu'on ne leur avait pas donné le temps de prendre ce qui était nécessaire, des vieillards respectables par leur âge et leurs vertus, qu'on insultait le long de la route, des infirmes que des maladies internes et externes empêchaient de marcher librement, obligés cependant de le faire malgré l'exposition et souvent même la triste vue de leurs maux. Il est vrai que ces derniers étaient exceptés par l'arrêté ci-dessus, moyennant que les infirmités fussent constatées par un médecin et l'attestation légalisée par la municipalité, mais la municipalité par le refus de sa signature rendait presque toujours nulle cette exception. Toutes ces infortunées victimes, tant qu'elles l'avaient pu, s'étaient rendues utiles à leur troupeau par l'administration des sacrements ; mais arrivées à Rennes, elles ne le pouvaient plus. Leur unique consolation était d'offrir dans leurs chambres et autres lieux particuliers le saint sacrifice de la messe pour la persévérance de leurs ouailles. Dans ces chambres, dans ces lieux particuliers, venaient un grand nombre de fidèles de la ville, auxquels on avait aussi enlevé leurs légitimes pasteurs, en les exilant à trois lieues. Bientôt, les intrus s'en aperçurent. Leurs églises continuaient d'être désertes. Ils s'imaginèrent que ces oratoires secrets en étaient la cause. Transportés de rage, ils coururent au club renouveler leurs calomnies et demandes incendiaires contre les pauvres ministres non assermentés. Les clubistes s'adressèrent au département pour demander notre incarcération ; ils ne purent l'obtenir. La municipalité fut seulement chargée de prendre des mesures répressives contre les ministres qui troubleraient l'ordre public. Dire la messe, selon eux, c'était le troubler. En conséquence, chaque maison occupée par des ecclésiastiques non jureurs devint une maison marquée au coin de l'ignominie et du crime. Celui qui y entrait était suspecté, maltraité, fustigé. A chaque instant, on y faisait des descentes ; et quand on pouvait surprendre un prêtre offrant le Saint-Sacrifice, il était toujours condamné à 30 livres d'amende et les assistants à 12. Dans ce cas, furent MM. Romilly et Boistilleul, le premier, archidiacre et le second, chanoine de Rennes, tous deux célèbres à tous égards, mais surtout par leur charité et leur bienfaisance, qui avaient fait ajouter à bon droit à leurs autres titres celui de pères des pauvres. Au sujet de l'audition de la messe, les perquisitions des nationaux étaient si exactes et leurs vexations si cruelles, qu'un dimanche ayant surpris quelques femmes l'entendant au travers de la porte de la chapelle de la communauté des Carmélites (car on laissa encore longtemps aux communautés leurs chapelains, mais on fit clouer toutes les portes extérieures), ils en fustigèrent plusieurs. Une domestique assez heureuse pour échapper à leurs cruautés, aussi inouïes qu'indécentes, court tout éperdue chez elle. Sa maîtresse, mère de trois ecclésiastiques, tous les trois exilés, fut si affectée du triste état où elle la vit et de la scène qui l'avait causé, qu'elle tomba sans connaissance et mourut trois ou quatre jours après. Une autre femme (elle était enceinte) allait aussi un jour assister au Saint Sacrifice de la messe dans une paroisse appelée Saint-Grégoire, éloignée d'une lieue de Rennes, parce que le remplacement n'y avait pas encore été fait : elle rencontra des nationaux, qui la maltraitèrent au point qu'elle périt quelques jours après.

Ce n'était pas seulement dans la ville de Rennes et aux environs que les chrétiens fidèles étaient maltraités ; ils trouvaient aussi dans les campagnes des persécuteurs. Dans une paroisse éloignée de six lieues de Rennes et d'une lieue de la mienne (Romazy), était une femme respectable à tous égards, mais surtout par la fermeté de sa foi. De bonne heure, le remplacement fut fait dans sa paroisse, et malheureusement l'intrus était suivi. Elle seule presque ne se trouvait point à ses offices, et tous les dimanches elle allait à la messe dans quelques bourgs circonvoisins qui possédaient encore leurs légitimes pasteurs. Les nationaux la menaçaient, ses parents la priaient, ses amis la pressaient d'embrasser leur parti. Toujours ferme dans sa foi, elle suivit longtemps la loi que lui prescrivaient l'Evangile et sa conscience, sans essuyer d'autres insultes que des menaces ; mais enfin vint un moment où Dieu voulut éprouver sa constance. Un jour de marché, des gardes nationaux de l'endroit, voulant s'apprêter à rire et donner aux habitants des paroisses voisines un exemple frappant des punitions qu'ils devaient infliger aux aristocrates, courent chez cette pauvre malheureuse, l'amènent au milieu du marché, la tondent, la montent sur un âne et la promènent, la figure tournée vers le derrière de l'animal, par toutes les rues, en la huant, la maltraitant et chantant les chansons les plus déshonnêtes.

Quand il s'agissait d'insulter aux simples fidèles, aux ministres, à la divinité même, rien ne leur coûtait, ils étaient toujours prêts à le faire. Je me rappelle à ce sujet un fait qui en sera la preuve. Un jour, j'étais allé au district de Dol, petite ville de la Haute Bretagne, à cinq lieues de Saint-Malo, pour toucher mon traitement. J'eus le malheur de me trouver à souper, sans le savoir, avec quelques membres du conseil du district de cette ville et cinq à six gardes nationaux du bataillon alors en garnison dans les environs. L'un de ces derniers (il se disait capitaine), s'apercevant que j'étais prêtre, fit bientôt tomber la conversation sur le corps respectable du clergé. Ce sont des scélérats, me disait-il ; on a trop de ménagement pour eux. Je voudrais bien leur couper le cou à tous, il y a assez longtemps que ces coquins nous trompent avec leur Dieu, qu'ils traitaient de Nazaréen. Puis élevant les yeux et frappant la table à grands coups de poing, il ajoutait : Sacré gueu de Nazaréen, si tu existes, descends donc que je te passe mon épée de part en part, que je la plonge jusqu'à la garde ! Suivirent les paroles, les chansons, les gestes les plus obscènes. Tous les mots qu'ils disaient, lui et ses associés, étaient autant de blasphèmes horribles ou d'abominations. Les yeux penchés vers la terre, je soupirais, je gémissais. J'aurais voulu sortir, mais je ne pouvais guère le faire sans beaucoup de dangers. Ce ne fut que vers les onze heures du soir que ces chevaliers du crime ou plutôt ces démons terrestres, finissant leurs orgies, je pus me retirer.

Je reviens aux ecclésiastiques exilés dans Rennes. Dieu fortifiait notre courage, mais aussi les nationaux devenaient de jour en jour plus persécuteurs. Ne pouvant aller chez les fidèles de la ville sans faire douter de leur civisme et nous exposer nous-mêmes, plusieurs de nous se promenaient ensemble dans les rues et plus communément dans les campagnes. Par raison d'économie, plusieurs vivaient ensemble. On nous envia encore ce bonheur. On s'imagina qu'en nous divisant on pourrait peut-être en gagner quelques-uns, ceux que le défaut de fermeté ou d'instruction à raison de leur jeunesse aurait pu faire succomber. En conséquence, parut un arrêté (30 juin), qui nous défendait de sortir hors des barrières de la ville, de loger et de nous promener plus de trois ensemble, et qui nous assujettissait à paraître deux fois par jour devant la municipalité, le matin, pour nous inscrire sur un registre placé à cet effet, le soir, pour se trouver à un appel nominal. Que de vexations encore à l'égard de l'exécution de cet arrêté ! Souvent lorsque quelqu'indisposition réelle vous empêchait de vous y conformer, vous voyiez entrer aussitôt dans votre chambre quelque municipal, qui, s'il ne vous forçait pas de vous lever pour comparaître à la maison de ville, du moins vous disait sauvent bien des duretés avant de vous quitter. Telle fut la triste épreuve que nous fîmes, pour plusieurs, pendant quatre mois. Mais nous étions encore réservés pour de plus grandes.

La nouvelle du massacre commis à Paris le 10 août arrive à Rennes. Les clubistes se rassemblent. Aussitôt, des gardes sont mis à toutes les barrières de la ville, pour empêcher tout ecclésiastique de fuir. Le bruit courut que tous nous devions être massacrés pendant la nuit. Il est vrai qu'on demanda notre mort dans cette assemblée. Mais enfin les corps administratifs n'arrêtèrent que notre incarcération. Le mardi 14 août, au moment où nous étions allés, comme de coutume, à la Maison de ville pour nous y inscrire, on entoura l'appartement et bientôt on nous conduisit à la communauté de Saint-Melaine, entre deux haies de gardes nationaux, ayant tous le sabre nu. Arrivés à cette maison, nous n'y trouvâmes pas ce que la prudence et l'humanité devaient nous faire espérer de trouver. Il n'y avait ni pain ni lits préparés. C'était un jour de jeûne. Plusieurs n'avaient encore rien pris à quatre et cinq heures du soir, et quelques-uns même à six et sept. Ce n'est pas que nous eussions manqué, s'il eût été possible aux bons habitants de cette ville de nous secourir plus tôt. Avant notre réclusion, leur générosité était allée jusqu'à loger, nourrir et même former une souscription entre eux pour fournir aux besoins de ceux des ecclésiastiques qui, dépourvus de leurs places par le refus de prêter le serment exigé par l'Assemblée Nationale et condamnés à venir à Rennes par leur refus de prêter celui qui avait été exigé par le département, n'étaient pas dans le cas d'y subsister à leurs frais. Cette même générosité se montra encore dans cette occasion. Nous voyions de nos fenêtres, et nos larmes coulaient, ce sexe jusqu'alors si timide, ces héroïnes en fait de vertu et de bienfaisance, placées auprès du canon qui formait la première barrière du lieu de notre réclusion, oublier leur danger personnel pour ne songer qu'au nôtre et à nos besoins, se disputer à qui la première nous ferait parvenir des secours, et braver, pour ainsi dire, afin d'arriver à la porte, les sabres et les épées des nationaux qui en défendaient l'entrée et ne les laissaient approcher que les unes après les autres. Mais tout ce qu'elles pouvaient nous faire passer, était assujetti à de si grandes perquisitions, à tant d'entraves, qu'an allait souvent jusqu'à partager à coup de sabre un pain de trois livres en trois ou quatre morceaux avant de nous l'envoyer. Le reste de la journée, on prépara quelques lits ; mais nous fûmes encore redevables de la majeure partie aux âmes sensibles de la ville qui voulurent bien nous en apporter. C'était un spectacle bien touchant de voir (car on était si occupé les uns les autres qu'on ne pouvait pas toujours se soulager) des vieillards tenir d'une main le bâton qui les soutenait, et de l'autre traîner plutôt que porter un matelas, des couvertures, des draps et les placer sur la brique pour s'y reposer. Je dis se reposer ; mais qui l'aurait pu, gardés par 24 scélérats dont sept ou huit postés autour de la maison répétaient de six minutes en six minutes au moins les cris tantôt de sans culotte, tantôt de sans culotte, garde à toi ! Qui l'aurait pu, voyant paraître souvent au milieu de la nuit cinq à six de ces hommes, une lanterne à la main, se promener l'épée nue dans les dortoirs, écouter aux portes, avancer vers les lits de ceux qui couchaient dans ces dortoirs, les montrer de l'épée, la leur placer près de la gorge et se dire les uns aux autres : Tiens, regarde donc ce b... comme il dort ! Quel vilain j. f..... ! Dans cette triste captivité, nous étions tassés les uns sur les autres, et cependant nous voyions arriver tous les jours quelques-uns de nos malheureux confrères, qu'on avait saisis. Car les clubistes avaient juré, cette fois, de ne laisser dans Rennes et aux environs aucun prêtre non assermenté. Fiévreux, goutteux, ulcéreux, aucun ne fut épargné. On allait les saisir le plus ordinairement au milieu de la nuit et on les amenait sur-le-champ. A cet égard, je crois ne devoir point passer sous silence la prise d'un pauvre prêtre d'auprès de Vignoc. Depuis bien du temps, deux ou trois cautères à une jambe retenaient ce malheureux à la maison et presque toujours au lit. Des gardes nationaux vont chez lui, le saisissent au milieu de la nuit et, malgré l'exposition de son triste état et les cris que lui faisait souvent pousser la douleur, l'amenèrent avec nous. La fatigue du voyage, soit qu'il fût à cheval ou à pied, avait tellement irrité le mal qu'on délibéra, le lendemain, si on ne lui couperait point la jambe, et enfin le quatrième jour après son arrivée, il fut arrêté qu'on l'enverrait à l'hôpital des Incurables, où il doit être encore actuellement (septembre 1793), à moins qu'il ne soit mort.

Depuis longtemps, on nous menaçait de déportation. Enfin le décret qui l'ordonnait fut lancé (26 août 1792). Il n'est peut-être pas de département où il ait été mis à exécution d'une manière plus cruelle qu'à Rennes. On nous le lut un lundi matin (3 septembre) et ce ne fut que le jeudi de la même semaine. (6 septembre), à neuf heures du soir, qu'on nous annonça que nous partirions le samedi suivant. Le décret assujettissait à la déportation les fonctionnaires publics seulement ; on n'excepta que les sexagénaires et les infirmes, qui sont encore renfermés aujourd'hui. Encore pour constater les infirmités de ces derniers, eut-on soin de faire venir un médecin révolutionnaire, qui ne traitant, pour ainsi dire, aucun de nous, n'accordait de certificats qu'à ceux dont les infirmités étaient absolument apparentes. Les condamnés à la déportation dressèrent une requête, dans laquelle ils représentaient que la majeure partie d'entre eux tenait encore à la société par des rapports immédiats ; quelques-uns étaient tuteurs, curateurs, fermiers, etc. ; tous avaient à pourvoir aux moyens de subsister dans une terre étrangère ; ils priaient seulement les corps administratifs de vouloir bien leur accorder 24 heures pour terminer leurs affaires. Ils allaient même jusqu'à proposer de se faire accompagner de deux gardes nationaux chacun, qu'ils paieraient à leurs frais. Une si juste demande leur fut refusée. Il fallut partir, pour plusieurs sans aucun argent que celui que des confrères généreux voulurent bien partager avec eux. Ce fut le samedi 8 septembre que nous nous mîmes en route. Plusieurs de ceux qui avaient pu se procurer quelque argent, avaient loué des voitures à leurs frais, pour éviter les insultes de la populace. Pour les autres, et c'était le grand nombre, on les plaça dix à dix, comme des galériens, sur des charrettes ; il n'y avait pas même de foin. Escortés de 250 hommes (200 de pied et 50 de de cavalerie), nous nous acheminâmes vers Saint-Malo. Nous n'avions point encore alors de passeports, et plusieurs de nos conducteurs se plaisaient à nous dire qu'on nous menait à la Guyane.

La première journée, nous fîmes sept lieues. A nôtre arrivée à Tinténiac (c'est le nom de la paroisse où nous nous arrêtâmes), on nous fit entrer deux à deux dans l'église, et nous n'eûmes pour vivres que ce que les pauvres fidèles voulurent bien nous donner, ou plutôt ce que quelques gardes nationaux moins cruels que d'autres voulurent bien leur permettre de nous passer. La sensibilité de ces bons habitants était si grande, que plusieurs de nous eurent des couettes, des matelas et de la paille pour se coucher ; mais aussi plusieurs n'eurent autre chose que la pierre. Le lendemain, nous fîmes halte auprès de Châteauneuf. Il était deux heures de l'après-midi, et plusieurs de nous étaient encore à jeun. Nous croyions aller dîner là. Point du tout. On nous plaça sur le glacis d'un fort éloigné d'un quart de lieue de la paroisse. Nos conducteurs, pour la majeure partie, furent dîner dans les auberges ; mais plusieurs des prêtres ne mangèrent que ce que la Providence leur fit trouver dans la générosité de leurs confrères qui avaient mis quelques provisions dans leurs voitures, ou dans celle des habitants de l'endroit. Sur la route, nous rencontrions assez souvent des âmes sensibles que le triste spectacle que nous offrions faisait pleurer, mais nos conducteurs inhumains poussaient la cruauté juqu'à vouloir leur interdire ces larmes par les menaces et les forcer à crier : Au diable les aristocrates ! A une lieue de Saint-Malo, les chemins étaient bordés d'une populace attroupée à cet effet. Elle nous accompagna jusqu'à la ville, les uns nous accablant d'invectives, les autres nous montrant des poignards et beaucoup répétant sans cesse les airs de Ah ! ça ira, etc. Presqu'aucun de nous ne s'imaginait aller jusqu'à Saint-Malo. Enfin cependant nous y arrivâmes, le 9 septembre, vers les 7 h. 1/2 du soir. On nous fit aussitôt entrer au château. Le lendemain de notre arrivée on fouilla nos malles. Le surlendemain on nous prit notre argent. Cinq hommes étaient occupés à cet office. Le maire était spectateur, le greffier écrivait la somme qu'on prenait, et deux autres étaient employés à chercher dans les paillasses. Il est vrai qu'on nous donna des lettres de change pour notre argent ; mais, outre qu'on perd encore quelque chose sur ces lettres, il y en avait une dit-on, qui n'était point à vue et sur laquelle il fallut perdre beaucoup, parce qu'on n'avait pas le moyen d'attendre dans ce château. Nous étions renfermés à clef depuis six heures du soir jusqu'à huit heures du matin ».

***

Le vicaire de Romazy disait encore à Barruel en lui envoyant son Mémoire : « Pour plus grande authenticité, plusieurs de mes confrères (ci-dessus) ont signé ces notes. Mais je vous prie et eux aussi de vouloir bien ne pas vous servir de nos noms ; parce que les faits que je vous rapporte s'étant presque tous passés dans des lieux que nous avons l'espérance de revoir et où peut-être nous serons occupés dans le ministère, ce serait une raison pour nos persécuteurs encore vivants ou leurs parents en cas de mort de nous nuire ».

Au mois d'octobre 1792, Urbain de Hercé, évêque de Dol, arriva à Jersey venant de Laval, et les prêtres insermentés de son diocèse furent heureux de le revoir. Le prélat partit pour l'Angleterre au mois de mai 1794. On sait qu'en août 1796, tous les prêtres non assermentés furent obligés par le gouvernement anglais de quitter Jersey et de se rendre en Angleterre [Note : Mgr de Girac, évêque de Rennes, se retira d'abord à Bruxelles, puis à Vienne et à Saint-Pétersbourg. Quant à Mgr Cortois de Pressigny, évêque de Saint-Malo. Il séjourna successivement en Savoie, à Constance et en Bavière].

Le diocèse constitutionnel d'Ille-et-Vilaine comprenait le diocèse de Rennes presque en entier, une grande partie des diocèses de Dol et de Saint-Malo, et quelques paroisses de celui de Vannes. Le Concordat a consacré cette délimitation. Actuellement, le diocèse de Rennes compte 383 paroisses, réparties entre trois archidiaconés (Rennes, Dol et Saint-Malo).

(Par F. Uzureau).

 © Copyright - Tous droits réservés.