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LES PRETRES INSERMENTES DU FINISTERE (1791-1793)

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On donne le nom de Clergé réfractaire ou d'Insermentés aux ecclésiastiques hostiles à la Constitution civile du clergé, lors de la Révolution française. Une part d'entre eux, originaires du Finistère, fut exilée, massacrée ou déportée ; de nombreux autres entrèrent dans la clandestinité, pour continuer d'assurer, autant que possible, leur apostolat. Ce clergé s'oppose au Clergé jureur (dit aussi Clergé assermenté ou Clergé constitutionnel) qui reconnaît cette Constitution.

Prêtre insermenté (Bretagne).

Le 27 novembre 1790, l'Assemblée Constituante ordonna à tous les prêtres fonctionnaires publics de faire un serment, dont voici la formule : « Je jure de remplir mes fonctions avec exactitude, d'être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la constitution décrétée par l'Assemblée Nationale et acceptée par le roi ». Louis XVI sanctionna ce décret le 26 décembre 1790, mais le pape Pie VI condamna solennellement ce serment, le 13 avril 1791.

Un grand nombre d'ecclésiastiques du Finistère refusèrent de faire le serment, et 71 d'entre eux furent emprisonnés à la maison des Carmes de Brest, à partir du 28 juin 1791, mais l'amnistie générale du 14 septembre 1791 leur redonna la liberté.

A la date du 29 novembre 1791, le Conseil général du département du Finistère prit un nouvel arrêté enjoignant à tous les prêtres « suspects d'incivisme » de se rendre, de gré ou de force, dans la ville de Brest, pour y être mis en arrestation jusqu'à nouvel ordre ; parmi ces ecclésiastiques suspects, l'arrêté comprenait tous ceux qui étaient sortis de prison à la suite de l'amnistie. C'est au château de Brest qu'ils furent enfermés cette fois. Le 1er juillet 1792, le Département prit un arrêté qui autorisait les prêtres détenus au château à choisir entre la permanence en arrestation ou la déportation en pays étranger : 74 quittèrent Brest pour l'Espagne le 12 août. Quant aux autres, presque tous septuagénaires ou infirmes, on les transféra successivement aux Capucins d'Audierne (11 août 1792), à la Maison de Retraite de Quimper (15 janvier 1793), à la Communauté de Kerlot (27 février 1793), aux Capucins de Landerneau (novembre 1793), où ils restèrent jusqu'à ce que les représentants du peuple les mirent en liberté, le 2 avril 1795 [Note : Toutefois, 29 prêtres partirent de Landerneau, le 9 juillet 1794, pour la déportation à Rochefort, et le 3 février 1795 les prêtres du diocèse de Quimper avaient quitté Landerneau pour être transférés à Quimper]. Tous les jours de nouveaux arrivants venaient s'ajouter à leur nombre : quand, en novembre 1793, ils furent transférés à Landerneau, ils étaient 86. — Un arrêté du 18 août 1792 avait décidé que les prêtres ni septuagénaires, ni infirmes, seraient emprisonnés au château du Taureau. Le 28 mars 1793, un arrêté du district de Morlaix décida qu'ils seraient conduits aù port de Brême.

Le chanoine Cossoul, vicaire général de Quimper, qui avait été interné aux Carmes de Brest en 1791, put échapper aux poursuites ultérieures et après la loi du 26 août 1792 qui ordonnait aux insermentés de quitter la France, il partit pour l'Angleterre. L'abbé Barruel, qui cherchait des matériaux pour son Histoire du Clergé pendant la Révolution française, demanda à M. Cossoul des détails sur le clergé insermenté du Finistère. Vers la fin de mai 1793, le vicaire général de Quimper envoya à Barruel la relation suivante :

« Dès la fin de juin (1791), les prêtres avaient été enfermés dans le couvent des Carmes à Brest. Ils y étaient étroitement gardés par plus de quarante patriotes, armés de toutes pièces et distribués dans les cours, jardins, cloîtres et corridors de la maison. Les corps administratifs de Brest n'étant plus les maîtres de la populace et craignant qu'elle ne se jetât dans sa fureur sur les prisonniers ecclésiastiques, avaient en vain demandé au département qu'on les transférât dans une ville moins agitée. Le département s'y était refusé, d'après l'avis de M. Expilly (évêque du Finistère), dont j'ai lu la lettre. Enfin, arrive le décret d'amnistie générale du mois de septembre (1791). Le département, après avoir longtemps hésité si ce décret devait avoir son exécution pour les prêtres qu'il avait renfermés sans aucune espèce de formalité de justice, ne pouvant plus résister aux cris de quelques-uns de ses membres, envoie enfin un commissaire, le 27 septembre, pour élargir les prisonniers. Ce commissaire monte dans la chaire de l'église des Carmes, et là prononce un discours rempli de grosses invectives et d'imputations les plus noires et les plus odieuses contre les prêtres détenus ; il finit par des menaces. Il lut ensuite l'arrêté du département (du 22 septembre) qui rendait la liberté aux captifs, mais à la condition que ceux qui avaient un traitement de la nation se tiendraient éloignés de quatre lieues au moins du lieu de leur domicile. En vain ils demandèrent que la loi de l'amnistie pleine et entière fût exécutée. Le commissaire n'écouta ni réclamations, ni plaintes. Les prisonniers sortirent de Brest au milieu des cris, des hurlements, des invectives et des menaces d'un peuple enragé. Le district exigea qu'ils allassent chercher à l'autre bout de la ville une cartouche ou passeport, quoique la loi des passeports fût expressément alors révoquée. Les prêtres trouvèrent dans le peuple de la campagne des dispositions bien différentes. Ces bons villageois quittaient leurs champs et leurs hameaux pour venir combler d'honneurs et de bénédictions leurs bons prêtres, qu'ils honoraient comme des confesseurs de la foi. Nous ne pouvions retenir nos larmes d'attendrissement.

Le 30 novembre (1791), paraît un nouvel arrêté du département, qui ordonne d'arrêter et de conduire au château de Brest tous les prêtres suspects d'incivisme. Les ecclésiastiques qui avaient déjà été détenus au couvent des Carmes sont déclarés, dans ce second arrêté, du nombre des suspects, et par là-même, du nombre de ceux qu'on devait encore une fois emprisonner. Les districts eux-mêmes furent surpris de cette violation manifeste et révoltante des premiers principes de justice, non bis in idem, et du décret d'amnistie. Mais ils n'en exécutèrent pas avec moins d'empressement les ordres du département. A l'instant, les gardes nationales se répandent dans les campagnes et enlèvent, sans aucune distinction, tous les prêtres inassermentés qu'ils rencontrent ; ils les traînent à Brest. Le peuple s'assemblait sur le port pour recevoir ces nouvelles victimes. C'était pour lui autant de jours de fêtes. Souvent on a eu peine à contenir les excès de sa joie brutale, et les prêtres se sont vus au moment d'être massacrés avant de parvenir jusqu'à leur prison. — Les prisonniers étaient tous renfermés dans la même chambre, au nombre de cinquante. Aucune permission d'en sortir que pendant quelques jours. Leurs lits étroits et courts étaient entassés les uns sur les autres, et, quoique dans le fort de l'hiver, on était obligé de laisser les fenêtres ouvertes la nuit pour chasser le mauvais air. Cette chambre se trouvait au-dessus de la salle des soldats vénériens. Un plancher tout ouvert communiquait aux prêtres les exhalaisons pestilentielles des malades, avec leurs horribles blasphèmes et leurs malédictions. Les latrines étaient communes. Point de messes, même les dimanches et fêtes, pendant plus de quatre mois. Aucune communication avec le dehors. Leur nourriture ayant été mise au rabais était et mauvaise et insuffisante. Pendant longtemps on leur refusait maigre les jours. où l'Eglise l'ordonne. Le nombre des prisonniers augmentant, on leur assigna une seconde chambre, aussi incommode que la première. Le nombre des prêtres malades était toujours considérable ; ils avaient beaucoup de peine à obtenir une place à l'hôpital. Un seul prêtre cependant y est mort. Un autre y a perdu un œil. J'en ai connu un qui était fils d'un premier juge de tribunal et qui a été retenu dans sa prison malgré l'ordre que le roi avait donné de l'élargir, sur la demande réitérée de son père. [Note : Il s'agit de l'abbé de Legerville, directeur du séminaire de Quimper, fils du premier juge du tribunal du district de Landerneau. Le 3 février 1792, le Ministre de l'Intérieur écrivit au directoire du département du Finistère en faveur de ce jeune ecclésiastique, mais ce fut en vain]. — Vers le mois de juillet (1792), le département, sans attendre le décret de déportation (du 26 août 1792), fait déporter en Espagne ses prisonniers. Cependant, avant de les embarquer, un commissaire vint proposer le serment. Tous le refusèrent. Alors il leur donna l'option ou de partir pour l'Espagne ou d'être renfermés à Quimper dans une maison commune. Le plus grand nombre opta pou la déportation, ce qui s'exécuta sans délai. On eut bien de la peine à contenir le peuple qui enrageait de voir ces victimes échapper à sa fureur. Ils partirent au milieu des huées et des exécrations de cette populace qui leur souhaita mille naufrages et mille morts. Les déportés arrivèrent heureusement à Bilbao, et ils y furent très bien accueillis. Les autres furent transportés dans un hôpital à Quimper, où ils sont très mal.

La persécution n'a pas fini là. On a toujours continué de poursuivre les prêtres. On les pourchasse partout comme des bêtes féroces ; et le département, pour exciter la vigilance et les recherches, avait promis trois louis pour chaque prêtre qu'on amènerait (arrêté du 18 août 1792). Plusieurs ont été découverts, saisis et menés au château du Taureau, près de Morlaix. Il n'est pas possible d'avoir une prison plus dure et plus incommode. M. l'évêque de Léon m'a dit qu'on en avait déporté une partie à Brême, en Saxe. Je crois que les autres ont été transportés à la Guyane (?).

J'atteste la vérité de tout ce que dessus. J'ai été témoin de la première persécution, et j'étais en correspondance secrète avec les victimes de la seconde ».

***

Sur cette prison du Taureau, dont parle le vicaire général de Quimper, nous avons quelques détails dans une lettre écrite, de Brest, par Mme Febvrier à M. Flot, curé de Saint-Louis de cette ville, alors réfugié en Angleterre (février 1793) :

« Que vous êtes heureux, mon cher pasteur, d'avoir quitté ces contrées malheureuses et si visiblement frappées de la colère de Dieu ! Votre bonheur fait notre consolation. C'en est un bien grand pour nous de penser qu'au moins tous ceux qui nous intéressent, ne sont pas dans le malheur, qu'il en est, qui jouissent de la paix, tandis que nous vivons dans le trouble. Cependant, lorsque j'y réfléchis, notre sort comparé à celui de tant d'autres est encore heureux.

Plusieurs de vos confrères, fugitifs, errant çà et, là dans les bois et les champs, souffrent au delà de toute imagination pour demeurer à portée de leurs troupeaux et leur porter en cachette les secours spirituels. Il faut être ici pour se former une idée de leur zèle apostolique. Il est des choses qu'on ne peut concevoir sans les voir. Votre bon ami, le recteur de Lesneven, a été hier transféré du château du Taureau dans la maison de détention à Quimper. On a eu égard à son grand âge [Note : J. Coat, recteur de Lesneven, interné le 4 septembre 1792 au château du Taureau, avait demandé, le 1er novembre suivant, à être transféré à Quimper pour rejoindre les prêtres septuagénaires]. Mais il en reste encore un grand nombre audit château. Ils y souffrent beaucoup ; mais, en vrais confesseurs de Jésus-Christ, ils ne se plaignent de rien, quoique tout leur manque. Ils sont couverts de salpêtre et rongés de scorbut. A force de prières, on a permis à quelques bonnes âmes de leur porter quelques soulagements. Ah ! que je souffre d'apprendre l'état de ces saints confesseurs, sans pouvoir rien faire pour eux ! Je me connaissais sensible, mais je ne savais pas l'être autant. Les malheurs et les chagrins d'autrui m'attendrissent. Je ne suis que pleurs et bave en vous écrivant ceci. Mon papier est trempé de mes larmes. Mon bon ami, mon cher pasteur, priez pour nous, et engagez toutes les bonnes âmes de vos connaissances à prier pour moi, pour mon mari et mes enfants. Vous savez combien vous leur êtes cher. Soyez sûr que le temps que vous avez donné à leur instruction, n'est pas perdu. Il ne se passe pas de jour qu'ils ne remercient Dieu d'avoir été sous votre direction. Tous les jours aussi sont témoins de quelque acte généreux de la part de vos ouailles de Brest. Elles bravent les épées et les menaces pour confesser la foi que vous leur avez prêchée. Hélas ! si mes pauvres enfants, mon mari et moi ne vous avions pas eu pour pasteur, pour ami et directeur, j'eusse eu la douleur de les voir, et peut-être moi-même, succomber à la vue des menaces et des épées. Aussi le sujet le plus ordinaire de mes instructions à mes enfants est de les porter à remercier Dieu du courage et de la force qu'il leur donne. Je leur fais observer que ces grâces ne sont pas données à tout le monde, qu'elles ne sont attachées ni à l'état, ni à l'esprit, ni à l'âge, ni au caractère, ainsi que le prouvent tant d'exemples fâcheux qu'elles ont sous les yeux. Le résultat de mes sermons (car, mon cher pasteur, j'ai pris à leur égard votre place) sont des actions de grâces rendues à Dieu pour toutes ses bontés pour nous. Sûrement, mon cher bon ami, vous priez beaucup pour nous ; car je suis dans une étrange surprise d'où nous viennent tant, de grâces. Il faut que ce soit de bons amis de Dieu qui nous les obtiennent.

Que vous eussiez eu de plaisir, que vos entrailles paternelles eussent été émues, si vous aviez été témoin, comme moi, du courage avec lequel votre camarade a confessé publiquement la foi catholique ! Il y avait une réjouissance ou fête civique. Sur la place, vis à vis de ma maison, était érigé un autel, et dessus la statue de Mirabeau. Votre camarade comme assesseur du juge de paix, était obligé à la cérémonie. Quelle honte ! on y a mêlé les cérémonies païennes à celles du christianisme. On obligeait tout le monde à fléchir les genoux devant l'idole, exposée en plein vent, pendant qu'on chantait la chanson des Marseillais. Votre camarade n'a pu contenir son indignation. Les personnes faites pour donner l'exemple, étaient à genoux, comme les autres. Lui seul, debout, entouré de toute la garde nationale sous les armes, interrompt le chant sacrilège et crie de toutes ses forces : A l'idolâtrie, à l'idolâtrie ! Ses amis le tirent à force par l'habit pour se plier. Il demeure ferme et inébranlable. Le tumulte et la confusion s'ensuivent. La populace et les soldats en fureur crient : A genoux, Febvrier ! — Non, non, répond-il fièrement, je n'adore qu'un Dieu. C'est ici une idolâtrie, Messieurs, idolâtrie ! J'étais à ma fenêtre, entourée de mes deux filles tremblantes. J'avais un secret pressentiment qu'il se passerait quelque chose de contraire à la conscience. Je ne détournais point les yeux de dessus votre camarade. Chaque fois que je l'entendais confesser hautement sa foi, je sentais mon âme nager dans un torrent de délices, et je désirais être à sa place avec tous mes enfants. Voyant que la chose devenait sérieuse, je mis mes deux filles et mes deux petits garçons à genoux pour prier Dieu de donner à leur papa du courage jusqu'à la fin. Déjà les sabres brillaient au-dessus de sa tête. Je croyais voir le moment où il serait mis en pièces. Ma joie était mêlée de crainte. Je guettais tous les moments où ses yeux et les miens pourraient se rencontrer. Je les saisissais pour lui donner des signes d'approbation et d'encouragement. Il m'a dit depuis qu'il ne m'avait regardé que deux fois, sentant, dit-il, que cette vue pouvait ou l'affaiblir par tendresse pour moi ou le porter à quelqu'excès de zèle pour la cause de la religion. Enfin la cérémonie finit au milieu des cris de rage contre votre camarade. Une partie de la garde protégea son entrée chez lui et y resta pour défendre la maison contre la populace effrénée. Vous le savez, mon cher pasteur, mon mari m'était bien cher auparavant, mais sa conduite édifiante dans cette occasion me le rend encore plus cher. Je considérais en lui un époux, un ami : aujourd'hui je respecte en lui le caractère du confesseur de la loi de Jésus-Christ. Avec quelle joie j'ai été à sa rencontre, au retour de son combat glorieux, avec quelle tendresse et quelle vénération je l'ai serré dans mes bras ! Que ne m'était-il donné en ce moment de le presser dans ces mêmes bras contre son cher pasteur, et de mourir de joie entre eux deux ! Il a été le seul de tous les assistants qui n'ait pas fléchi le genou devant l'idole. Dès le lendemain, il a été félicité par ceux mêmes qui s'étaient mis à genoux. Oui, disaient-ils, Febvrier est le seul de toute la ville qui ait de la religion et le courage de la professer.

Voyez, mon cher bon ami et digne pasteur, combien je suis heureuse d'avoir pour mari un confesseur de la foi. Je sais combien vous l'aimez, mais je suis sûr que ce trait vous le fera aimer davantage. Après un pareil exemple, je ne crois pas que ses enfants soient jamais tentés de renier leur sainte religion ni d'abandonner jamais la cause de Dieu. J'ai envoyé cette même relation à mon fils aîné à Paris, afin que dans l'occasion il se rappelle les leçons et les exemples de son pasteur et de son père.

Votre camarade vous embrasse et vous dit mille civilités tendres et respectueuses. Son ambition et la mienne est de savoir quand, comment et où nous pourrons nous réunir à notre commun ami, père et pasteur tout à la fois. Dieu veuille exaucer les vœux que nous faisons chaque jour à cet égard ! ».

***

Parmi les 28 ecclésiastiques détenus au château du Taureau, qui furent transportés à Brême, en vertu de l'arrêté du district de Morlaix du 28 mars 1793, se trouvait Guillaume Le Jeune, recteur de Plougoulm, diocèse de Saint-Pol-de-Léon. Sur 87 curés de ce diocèse, quatre seulement firent le serment du 27 novembre 1790. A la date du 26 mai 1793. M. Le Jeune écrivait, de Hanovre, à Mgr de la Marche, évêque de Saint-Pol, qui était réfugié à Londres et dont le dévouement aux prêtres exilés en Angleterre a été célébré par tous les contemporains :

« Vous serez sans doute surpris de recevoir de Hanovre une lettre de ma part. Je le suis également de me trouver dans un pays où je n'avais jamais pensé devoir venir. J'y suis cependant et voici comment.

Après quatre mois d'arrestation au château du Taureau [Note : M. Le Jeune avait été interné au Taureau le 17 décembre 1792], le district. de Morlaix nous a fait embarquer, le 17 avril dernier (1793), sur un bâtiment Brêmois, pour être déportés à la côte de Brême, au nombre de 28 ecclésiastiques : trois recteurs ; un capucin, celui qui prêchait l'Avent à Léon lors de votre sortie, le Père Augustin Le Corre ; deux acolytes ; un diacre ; et les autres vicaires et prêtres. De Léon, nous sommes six : moi ; Causeur et Gourmelon, de Saint-Divy-la-Forêt : Goasduff, de Bodilis ; Lezoc, de Porspoder ; et Cochard, acolyte, de Ploudaniel. Nos autres camarades sont (des diocèses) de Tréguier et de Cornouaille. Au château du Taureau, est resté Héliès, de Quairan-Treflaouénan, comme infirme, et à l'hôpital de Morlaix est resté très mal Caroff, curé de Pont-Christ, avec lesquels nous faisions trente.

Le 1er mai, nous avons été débarqués à l'embouchure de la rivère de Brême, en plate campagne, par le capitaine Brêmois, qui ayant été obligé à contre-cœur, pour terminer quelque discussion avec le district, de se charger de nous, ne voulait pas nous introduire à Brême, et le lendemain nous sommes entrés en ville, où, Dieu merci, nous avons été accueillis à bras ouverts et où la Providence divine nous a fait trouver l'homme le plus charitable du monde entier, savoir le résident de l'Empereur, M. le baron de Vrintz, parfait catholique et sachant très bien le français, lui et toute sa respectable famille. Les citoyens Brêmois nous ont retenus environ huit jours et nous ont fait de grandes charités ; mais, de peur d'offenser la Convention Nationale et de nuire à leur commerce avec la France, s'ils s'attiraient cette disgrâce, ils n'ont pas voulu nous garder plus longtemps. En conséquence, M. le baron nous a séparés en trois bandes pour aller chercher asile, 12 à Munster, 8 à Paderborn et 8 à Hildesheim. Tous les Léonards (du diocèse de Saint-Pol) et moi nous sommes de ces derniers avec un recteur et un prêtre de Cornouaille, deux excellents ecclésiastiques. Nos confrères de Munster et de Paderborn doivent être déjà depuis plusieurs jours rendus à leur destination. Nous, nous avons éprouvé un retardement de dix à douze jours. Après avoir fait environ huit lieues, nous avons été arrêtés, faute de passeport de la régence de Hanovre, et contraints de retourner à Brême pour prier M. le baron de nous solliciter ce passeport. Il l'a reçu le samedi de la Pentecôte ; et après avoir passé ces deux grandes fêtes à Brême, où il y a une église catholique d'environ 200 familles, nous sommes repartis le mardi suivant pour reprendre la route d'Hildesheim. Grâce à la divine Providence qui fait tourner en bien les plus grands inconvénients, le retardement que nous avions éprouvé est devenu très utile. Le bruit s'en étant répandu, la commisération est devenue universelle : tant à Brême qu'à Verden où nous avions été arrêtés, et à Hanovre où on nous a accordé deux jours francs, pour nous délasser et d'où nous partons demain (27 mai), nous avons été reçus avec la plus grande charité, logés, nourris, voiturés partout gratis, comblés de bienfaits tant par les luthériens et calvinistes que par les catholiques. Jamais nous ne pourrons ni oublier ni assez louer une si grande bienfaisance. Nous n'aurions pas osé en espérer autant de nos plus proches parents. Aujourd'hui, nous avons eu le bonheur de célébrer dans la belle église catholique de Hanovre. Demain nous espérons arriver à Hildesheim. Y serons-nous gardés ? On nous le fait espérer, mais nous n'en sommes pas sûrs. Nous vous prions de vouloir bien nous recommander à l'évêque d'Hildesheim et à celui de Munster, en faveur des trois bandes bretonnes y déportées. Si vous savez où est l'évêque de Tréguier (Augustin-Louis-René Le Mintier), nous vous prions de vouloir bien lui écrire et de lui marquer le désir que nous avons d'avoir de sa part une pareille recommandation. Surtout il y a de la bande de Paderborn un diacre de son diocèse, nommé Menoux, de la conduite la plus parfaite, qui désirerait avoir un dimissoire pour la prêtrise. Du susdit château on a souvent écrit à Sa Grandeur et pour cela et pour solliciter des pouvoirs pour la confession, mais aucune réponse ne nous est parvenue.

Je vous ai écrit une autre lettre à mon arrivée à Brême, mais de peur qu'elle ne vous soit pas parvenue, j'écris et j'ai détaillé cette seconde. Je suis remplacé [Note : Un prêtre constitutionnel exerçait dans l'église de Plougoulm] à Plougoulm, mais MM. Le Laun et Lez sont toujours aux environs. Avant mon départ du château, il y avait eu, à Saint-Pol et paroisses voisines, à l'occasion du sort [Note : A l'occasion du décret du 24 février 1793, ordonnant la levée de 300.000 hommes], une émeute, qui a fait périr, m'a-t-on dit, deux à trois cents paysans et occasionné une punition pécuniaire de 36.000 livres. Je ne puis en donner aucun détail, n'en ayant pas eu moi-même, privés que nous étions audit château de toute communication.

L'évêque de Munster, qui est aussi archevêque de Cologne, est, m'a-t-on dit, le frère de notre reine, et celui d'Hildesheim, qui est aussi évêque de Paderborn, s'appelle François Egon, prince-évêque d'Hildesheim et de Paderborn. M. le baron de Vrintz, résident de l'Empereur à Brême, serait aussi flatté que vous lui écriviez, et nous le serions égarement de recevoir de vos nouvelles. Si vous voulez bien nous faire cette grâce, adressez votre lettre à M. Depapé, administrateur de la poste à Hanovre, autre insigne bienfaiteur envers nous, qui m'a promis de me la faire tenir là où j'existerai dans ce temps, ce que j'aurai sain de lui faire connaître.

Je vous souhaite continuation de bonne santé et de confiance en Dieu dans nos malheurs. J'ai été alarmé d'apprendre ici par les papiers publics que vous aviez été expédié à Brest. Mais je m'en console, dans la confiance que c'est une fausse nouvelle, et vous prie de ne point approcher de France. Vous vous y sacrifieriez inutilement dans ce moment. S'il est possible, faites-moi la grâce d'une prompte réponse par la susdite voie. Je conserverai aussi une correspondance de lettres avec M. le baron, qui me l'a permis.

Vous avez sans doute appris la mort de M. le recteur de Lesneven, à Quimper ».

***

Ces trois documents inédits, conservés dans les papiers Barruel, nous ont été communiqués par M. l'abbé Vivier.

On a remarqué que pour les prêtres non assermentés, les anciennes divisions ecclésiastiques continuèrent de subsister pendant toute la Révolution. C'est ainsi que les diocèses de Saint-Pol-de-Léon, Tréguier, Saint-Malo et Dol n'ont été supprimés, au for ecclésiastique, que le jour de la prise de possession des premiers évêques concordataires de Quimper, Saint-Brieuc et Rennes, en 1802.

***

Pour compléter et préciser l'étude concernant les prêtres insermentés du Finistère, il est utile de faire connaître le procès-verbal de l'embarquement des prêtres détenus au château du Taureau, à destination de Brême.

Ce document est conservé aux archives départementales des Côtes-du-Nord aujourd'hui Côtes-d'Armor [Archives départementales des Côtes-du-Nord, série L (M5), liasse 42].

Il fut adressé au Directoire du département des Côtes-du-Nord, par le District de Morlaix, et pour la raison que des ecclésiastiques des Côtes-du-Nord se trouvaient sur la liste d'embarquement (Abbé Lemasson, Les actes des prêtres insermentés du diocèse de Saint-Brieuc, imp. R. Prud'homme, Saint-Brieuc, 1920, p. 314.).

Note : A remarquer que l'initiative de la déporation revient, tout entière, aux représentants du peuple en mission dans le Finistère, et non au District de Morlaix.

***

DISTRICT DE MORLAIX

Etat général des prêtres détenus au château du Taureau, destinés à être déportés d'après les ordres des citoyens Prieur (de la Marne), Fermont et Rochegude, commissaires de la Convention Nationale, du 18 mars 1793, sur la barque brémoise « L'Expédition », capitaine Gredhawighoorse, de Brême, pour être mis à terre et débarqués au dit Brême.

Nom des prêtres / Lieux où ils étaient avant / Date d'entrée au château du Taureau.
Roscongard / Landerneau / 30 août 1792.
Marhic / Landerneau / 30 août 1792.
Falher / Châteaulin / 1er septembre 1792.
Jolivet / Châteaulin / 1er septembre 1792.
Pavec /......
Thomas / Plestin (les grèves) / 3 septembre 1792.
Menou / Plestin (les grèves) / 3 septembre 1792.
Goasduff / Pontchrist / 3 septembre 1792.
Scouarnec / Châteaulin / 5 septembre 1792.
Le Corre / Carhaix / 21 septembre 1792.
Julien Trémeur / Landerneau / 29 septembre 1792.
Hervé / Carhaix / 13 octobre 1792.
Le Corre, ex-capucin / Brest / 22 octobre 1792.
Y. Gourmelon / Brest / 22 octobre 1792.
Gabriel Causeur / Brest / 22 octobre 1792.
F.-M. Lezoc / Brest / 22 octobre 1792.
Henry / Carhaix / 27 octobre 1792.
Ansquer / Quimperlé / 1er novembre 1792.
Quéméner / d° / 1er novembre 1792.
Tanguy / d° / 1er novembre 1792.
Gougouil / d° / 1er novembre 1792.
Jaffry / Pontcroix / 13 novembre 1792.
Legoff / Morlaix / 29 novembre 1792.
Le Jeune / Plougoulm / 17 décembre 1792.
Legac / Châteaulin / 20 janvier 1793.
Jacques / Gourin / 22 janvier 1793.
Cochard (Accolytte) / Lesneven / 23 janvier 1793.
Dantec (Accolytte) / Morlaix / 22 janvier 1793.

Nous administrateur et procureur syndic, commissaires délégués du Directoire du District de Morlaix, à l'effet d'effectuer et de surveiller l'embarquement des prêtres réfractaires détenus au château du Taureau, déclarons les avoir fait devant nous embarquer sur le bateau L'Expédition, capitaine Gredhawighoorse, au nombre de 28. Le dit capitaine nous a donné sa reconnaissance de la dite embarcation, et s'est engagé à remplir toutes les conditions du traité passé entre le Directoire et lui.
Fait au château du Taureau, le 17 avril 1793. BAUDIER. BOUESTARD, proc.-syndic.

(Par F. Uzureau et Em. Galmiche).

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