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LES ETATS DE BRETAGNE : L’AVENEMENT DE LOUIS XVI ET LA REVOLUTION.

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Nous avons assisté au duel engagé par un peuple contre un homme : dans cette poursuite implacable, la Bretagne n’avait pas seulement vaincu son adversaire, elle s’était efforcée de le flétrir. C’était en portant au front l’arrêt qui le déclarait entaché que le duc d’Aiguillon venait d’entrer au ministère, auquel sa triste fortune l’éleva la veille du jour où la Pologne succombait en implorant la France. Les coups qui avaient atteint le neveu du dispensateur des lettres de cachet frappèrent directement le régime dont l’ancien commandant de la Bretagne ne pouvait manquer d’être considéré comme l’expression ; mais l’éclatante victoire remportée par M. de La Chalotais au profit des franchises provinciales n’était pas encore celle du droit moderne tel que nous le comprenons aujourd’hui dans sa donnée fondamentale. Néanmoins, si en 1772 la souveraineté de la nation était encore à naître, on peut dire qu’après le procès entamé contre l’ami personnel du prince la suprématie royale était pour jamais ruinée dans la conscience publique.

Le succès conquis par l’opiniâtreté bretonne fut toutefois fatal aux vainqueurs, car il entretint leurs illusions en les laissant pénétrés de confiance dans une force toute prête à leur échapper. D’autres en effet étaient à la veille de recueillir les fruits de ces combats, et commençaient à faire valoir en plein jour des prétentions qui jusqu’alors s’étaient à peine révélées dans l’ombre. Durant la lutte engagée contre M. d’Aiguillon, le tiers avait gardé une attitude fort réservée. Il ne trouvait aucun avantage à seconder contre la cour les efforts de la noblesse, qui possédait dans les états une prépondérance qu’elle entendait bien garder toujours. Quoique pénétrée d’un respect séculaire pour le parlement, la bourgeoisie commençait à se sentir fort humiliée du pacte secret conclu entre les membres de cette grande compagnie pour en défendre l’accès à quiconque ne pourrait justifier de quatre partages nobles tout au moins. Par un déplorable aveuglement, l’ordre privilégié ne s’était jamais montré plus exclusif qu’aux jours où les premiers grondemens de la foudre annonçaient l’approche des grands orages. Tandis que la magistrature fermait ses rangs lorsqu’il aurait fallu les ouvrir, M. de Jarente, chargé de la feuille des bénéfices, épurait l’épiscopat au seul point de vue généalogique, et, pour mettre le sceau à ces réformes insensées, M. de Saint-Germain promulguait une ordonnance dont l’application littérale aurait interdit à plusieurs petits-fils des ministres de Louis XIV l’honneur de porter l’épaulette. Sous l’empire de ces idées, entretenues par un contact devenu plus fréquent avec l’aristocratie de la cour et de l’armée, la noblesse bretonne, longtemps populaire, avait adopté un langage dont elle exagérait l’impertinente fatuité, ainsi qu’il arrive presque toujours en parlant une langue étrangère. Plus d’une fois des mots malheureux prononcés en pleins états servirent de stimulant aux passions dont on n’avait pas soupçonné l’éveil, et qui déjà guettaient leur proie. La seule concession faite par les gentilshommes de bonne race avec un empressement significatif, c’était celle des lettres d’anoblissement, parce que ces lettres, n’ouvrant l’accès ni des états ni d’aucune carrière privilégiée, maintenaient, durant un siècle au moins, les chefs de la bourgeoisie dans une attitude fausse entre l’ordre dont ils étaient sortis et celui dans lequel on consentait à les admettre au prix d’un stage humiliant.

À cette race de métis sociaux appartenaient, au moment où nous sommes parvenus, la plupart des magistrats municipaux et des députés du tiers. Lors donc qu’au mot de liberté, qui ne touchait qu’aux intérêts généraux, fut substitué celui d’égalité, qui atteignait chacun dans sa fibre la plus sensible, quand sur le sol armoricain retentit cette parole qu’aucune oreille n’y avait encore entendue, qu’aucune imagination n’y avait pressentie, la terre fut remuée jusqu’aux abîmes. Ce fut surtout dans les rangs des hommes qui avaient récemment sollicité leur agrégation à la noblesse qu’eurent lieu les plus violens efforts pour renverser l’ancien ordre social, tant fut terrible cette révélation, que la puissance et la force appartenaient désormais aux classes avec lesquelles personne n’avait compté jusqu’alors ! En présence de cette soudaine évolution de la pensée publique, les choses changèrent tout à coup d’aspect, et les ; mots perdirent leur signification accoutumée : au lieu de défendre les droits de la Bretagne, la noblesse ne défendit plus que d’odieux privilèges ; les états, vieux palladium de la nationalité armoricaine, apparurent comme le patrimoine d’une caste spoliatrice ; le parlement lui-même, pour lequel la bourgeoisie avait livré tant de luttes généreuses, ne fut plus à ses yeux qu’une assemblée de hautains égoïstes. Le passé se vit répudié tout entier comme un obstacle à la conquête de l’avenir, et les épées, tirées en commun contre le despotisme, se croisèrent bientôt avec furie. C’est cette dernière péripétie qu’il nous reste à exposer.

En succédant au duc d’Aiguillon, le duc de Duras bénéficia pendant trois ans du calme qui suit toujours les tempêtes. La noblesse, attachant un grand prix à constater que son opposition n’avait pas effleuré sa fidélité, mit un empressement assez irréfléchi à seconder toutes les demandes que lui adressaient les commissaires du roi. Aux courts états de Saint-Brieuc, que dirigea le président Ogier, elle vota, pour ainsi dire au pas de course et à peu près sans modification, le règlement qui, après lui avoir été imposé dans la tenue précédente, avait enfin été soumis à son approbation sur la pressante insistance du nouveau commandant de la province. Heureuse et fière d’avoir obtenu la reconnaissance de son droit, la noblesse s’inquiéta peu d’en faire usage. Aux états qui suivirent, elle ne contesta aucune demande financière, voulant se montrer aussi facile sur les questions d’argent qu’elle avait paru inflexible sur les questions de principe. Cette condescendance, rencontrait cependant une limite : chaque fois que le nom du duc d’Aiguillon était prononcé, chaque fois que les actes, même les plus insignifians de son administration, étaient soumis à l’appréciation des états, la colère éclatait, pour redoubler à chaque nouveau témoignage que le duc recevait de la faveur royale. La plus ardente philippique qui soit peut-être émanée d’une assemblée délibérante est la réponse des états de Bretagne au mémoire apologétique publié par Lin guet pour l’ancien commandant de cette province, réponse dont ils ordonnèrent la distribution par milliers d’exemplaires [1]. La partie administrative de ce curieux travail manque de solidité ; mais jamais la colère ne se révéla plus implacable, et, si grande que soit l’habileté de l’avocat, elle est vaincue par l’éloquence de la passion, toujours supérieure à celle de l’art.

Tandis que le parlement de Bretagne condamnait au feu la défense juridique d’un pair de France rendant compte au roi et à la cour dont il était membre de sa conduite administrative, les états, par un vote auquel l’église refusa seule de s’associer, jetaient à tous les échos de la publicité cet acte d’accusation au moment où le roi appelait l’accusé au poste de premier ministre. Entré aux affaires dans une pareille situation, le duc d’Aiguillon n’avait devant lui qu’une voie ouverte. Quoique ce souple courtisan n’eût été formé par la nature ni pour la lutte ni pour la violence, le collègue de Terray et de Maupeou, dont les noms symbolisaient la banqueroute et l’arbitraire, était condamné ou à briser la ligue parlementaire qui enlaçait alors le royaume, ou à tomber bientôt sous ses arrêts infamans. M. d’Aiguillon n’était pas moins fatalement prédestiné que ne le fut de nos jours M. de Polignac à courir la chance des coups d’état. Il la courut en effet avec plus de bonheur qu’il n’était naturel d’en attendre pour un cabinet dirigé par Mme du Barry. Dans la nuit du 20 janvier 1771, Maupeou fit enlever d’un coup de filet tous ses ennemis avec une prestesse à peine dépassée par ses plus heureux imitateurs. Le chancelier accomplit son œuvre ténébreuse, avec une audace qui ne surprit personne, mais il déploya dans la série de réformes dont il fit suivre cet acte de violence un esprit politique par lequel il se montra fort supérieur à tous ses contemporains.

Renverser les parlemens en les signalant aux populations comme un obstacle aux réformes les plus vivement souhaitées, associer à la chute de ces corps privilégiés la gratuité de la justice, l’admissibilité de tous les citoyens aux charges de la magistrature, promulguer des édits où se reflétaient la sagacité de Pothier et l’humanité de Beccaria, substituer pour le parlement de Paris à un ressort d’une étendue démesurée des circonscriptions plus restreintes, afin de placer partout la justice à la portée des justiciables, c’était là sans nul doute une idée féconde, dont l’application, si elle n’avait été bientôt interrompue par une restauration parlementaire, aurait rendu possible le succès des tentatives si malheureusement avortées de 1774 à 1787. De toutes les entreprises tentées par le pouvoir royal depuis le ministère du cardinal de Fleury jusqu’à celui de M. de Brienne pour maîtriser les parlemens, celle du chancelier Maupeou est la seule qui ait réussi. Ce coup d’état provoqua une émotion vive, mais passagère ; les perspectives nouvelles ouvertes devant une société déjà profondément travaillée par l’esprit démocratique atténuèrent le scandale que cause la violation préméditée des lois chez les peuples dont le sens moral n’est pas encore altéré. A la fin de l’année, Paris avait accepté la nouvelle magistrature ; un an plus tard, les résistances provinciales, unanimes au début, avaient cessé à peu près partout. La Bretagne elle-même montra dans la crise de 1771 une sorte de modération que les scènes du passé ne permettaient pas d’attendre.

Le lit de justice tenu à Versailles pour constituer le nouveau parlement de Paris laissa prévoir à Rennes une mesure d’une portée semblable. M. le duc de Duras, à qui revenait l’honneur du rappel de l’ancien parlement, résigna ses fonctions pour n’avoir pas à le frapper ; il quitta spontanément le commandement d’une province où il s’était concilié des sympathies nombreuses, et l’arrivée du duc de Fitz-James, son successeur, au nom duquel se rattachaient pour la magistrature les plus irritans souvenirs, fut immédiatement suivie de l’enregistrement forcé des édits portant remboursement des offices du parlement de Bretagne et création de trente-six charges de conseillers rémunérés par l’état. Après une protestation dans laquelle la compagnie invoqua la disposition de l’article 23 du contrat d’union, lequel exigeait le consentement préalable des états pour modifier l’organisation judiciaire de la province, tous ses membres rentrèrent dans une retraite dont ils connaissaient le chemin et qu’ils avaient déjà honorée. Le respect public les y suivit comme toujours ; mais le peuple demeura calme, et le palais ne fut pas cette fois déserté par la basoche, comme il l’avait été en 1766. La suppression des épices et l’espérance de monter sur des sièges que l’hérédité ne protégerait plus avaient manifestement concilié la faveur des classes moyennes à l’ensemble des mesures prises par le chancelier Maupeou.

Il fallait s’attendre à des réclamations plus vives de la part des états contre des dispositions incompatibles avec les vieilles institutions aristocratiques dont le parlement formait alors la pierre angulaire. Ces réclamations se produisirent en effet aux états de Morlaix, tenus à la fin de 1772 ; mais le résultat en fut singulièrement amoindri par une querelle longue et confuse engagée entre la noblesse et le tiers sur la forme qu’il conviendrait de donner à ces plaintes adressées au roi. En présence des réclamations de l’assemblée, le duc de Fitz-James, qui assistait à la tenue comme premier commissaire du roi, s’enferma dans un mutisme obstiné, se bornant à répondre aux observations qui lui étaient soumises sur l’incompatibilité manifeste d’une pareille mesure avec le texte de l’acte d’union qu’il avait reçu l’ordre formel de sa majesté d’interdire toute discussion sur cette matière, et suppliant messieurs de la noblesse d’obéir aux ordres du monarque aussi aveuglément qu’il le faisait lui-même. A chaque amputation nouvelle envoyée par les états, le commandant de la province opposait le même thème avec quelques variantes. Six années auparavant, une pareille attitude aurait mis cette noblesse en insurrection ; mais depuis le départ du duc d’Aiguillon les impressions avaient changé. La colère est journalière comme le courage, et l’horizon des esprits n’est pas moins mobile que celui des yeux. Les choses se seraient passées autrement à Rennes ou à Nantes ; dans une assemblée peu nombreuse, réunie à l’extrémité de la péninsule, cette violation d’un droit constitutionnel évident ne détermina qu’une protestation inscrite aux registres dans la séance du 25 décembre, protestation qui fut biffée par suite d’un arrêt du conseil rendu le 7 janvier suivant. Cette résolution souveraine, qui atteignait dans son essence la liberté des états, ne provoqua aucune de ces grandes scènes déterminées en d’autres temps par des actes d’une bien moindre importance. Le parlement dissous reçut donc des états un hommage stérile plutôt qu’une assistance effective. L’horizon politique changeait même en Bretagne, et l’on pouvait déjà pressentir que l’intérêt de la magistrature tiendrait une place fort secondaire dans les préoccupations et les luttes de l’avenir. Si un caprice du comte de Maurepas n’avait suggéré à Louis XVI, lors de son avènement, la pensée de relever les parlemens, dont le principal mérite aux yeux de ce ministre frivole était d’être vieux comme lui-même, un gouvernement résolu et réparateur aurait pu profiter de l’œuvre consommée par Maupeou pour assurer le succès de celle qu’allaient entreprendre si vainement l’un après l’autre M. Turgot et M. Necker ; mais le mauvais sort de la monarchie en décida autrement. En plaçant M. Turgot dans son conseil et en rappelant les parlemens, le nouveau roi annonçait des réformes qu’il se mettait dans l’impossibilité d’accomplir. Routinières par leurs idées lors même qu’elles affectaient des attitudes presque révolutionnaires, les cours souveraines hâtèrent par leur résistance aux plus utiles innovations la catastrophe dans laquelle elles s’abîmèrent avant le trône. L’infortuné Louis XVI dut consumer les seules années où le bien lui était encore possible dans une lutte stérile pour renverser la barrière qu’il avait spontanément relevée.

De tous les parlemens du royaume déjà soulevés contre le pouvoir au point d’appeler les états-généraux, plus redoutables pour eux-mêmes que pour la couronne, le parlement de Bretagne était le seul qui fût alors placé dans une situation vraie. Gardiens d’un pacte solennellement juré, ses membres défendaient contre les empiétemens ministériels des stipulations précises. Retranché derrière des garanties écrites qu’il invoquait avec un juste orgueil dans l’anarchie générale des idées et des institutions, ce grand corps aurait été inexpugnable, si le peuple breton ne l’avait soudainement abandonné pour suivre d’autres perspectives et pour se préparer d’autres destinées. L’esprit de réforme, le sentiment du droit commun et de l’égalité devant la loi n’avaient pas pénétré dans les rangs compactes de la noblesse bretonne. Fière de son passé et ne soupçonnant aucun avenir qui pût en égaler la gloire, elle entendait maintenir sans aucun changement des institutions dont elle profitait à peu près seule. Prenant les bornes de son horizon pour les bornes du monde, elle repoussait les idées politiques qui perçaient déjà de toutes parts, bien moins par un calcul sordide dont elle était incapable que par un dévouement aveugle à la seule forme sociale qui revêtît à ses yeux le caractère d’un droit légitime. Elle avait l’esprit moins élevé que le cœur, et ses préjugés de caste tenaient en échec ses meilleurs penchans. Le mouvement si désintéressé qui des sphères de la cour s’épanouit bientôt avec tant d’éclat dans la plupart des assemblées provinciales n’éveilla aucun écho dans les états de Bretagne, et, sauf de très rares exceptions, les idées nouvelles n’y rencontrèrent dans les rangs de la noblesse aucune sorte de sympathie. Il n’y a donc pas à s’étonner si de 1778 à 1782 cette assemblée témoigna une malveillance constante à M. Necker. Les classes ont des instincts sûrs, et, pour cette multitude de gentilshommes, tous résolus à ne pas céder à l’esprit du temps un pouce de terrain, le banquier genevois, dès son premier ministère, laissait pressentir le personnage qui représenterait bientôt en France les deux principes les plus antipathiques aux ordres privilégiés, l’unité administrative du royaume et l’égalité de l’impôt.

Les états n’épargnèrent au directeur-général des finances ni une difficulté ni une chicane, et, lorsque M. Necker fut tombé du pouvoir en 1781, ils enjoignirent à leur procureur-général-syndic de le poursuivre devant le parlement de Rennes pour attaque à la constitution bretonne [2]. Ces poursuites, qui ne pouvaient porter sur aucun de ses actes ministériels, furent motivées par plusieurs assertions consignées dans ses écrits. M. Necker avait établi que l’impôt était en Bretagne inférieur pour à peu près moitié à l’ensemble des charges qui pesaient sur la plupart des généralités ; il demandait en conséquence une répartition plus équitable, déclarant qu’à ses yeux le premier devoir d’un ministre du roi était de faire rentrer cette grande province dans le droit commun sans tenir compte de dispositions incompatibles avec l’unité de la monarchie [3]. Transformer les états de Bretagne en une assemblée consultative semblable à celles qu’il se proposait d’organiser dans les autres provinces, telle était manifestement la pensée de M. Necker. Ce fut cette pensée-là que les trois ordres s’accordèrent à trouver criminelle et punissable, et, en se plaçant au point de vue où ils se tenaient eux-mêmes, on comprend qu’elle eût à leurs yeux ce double caractère. Si M. Necker, calviniste et démocrate, ne pouvait espérer en Bretagne ni faveur ni même justice, il y a lieu de s’étonner de l’engouement soudain qu’y excita un personnage sur qui s’était accumulé durant vingt ans le poids de toutes les haines. Les passions font perdre la mémoire en même temps que la raison, et les états oublièrent avec une singulière promptitude le rôle odieux joué par M. de Calonne lors du procès de La Chalotais, pour ne plus voir dans le successeur de M. Necker que l’implacable antagoniste d’un ministre qu’ils détestaient. En s’appropriant une partie des plans de M. Necker relativement aux assemblées provinciales, Calonne avait eu soin de faire pour la Bretagne une exception éclatante. Grâce à cette concession, dont il avait fort bien calculé l’effet, il se trouva en mesure de tout demander à ce pays, qui pressentait l’heure où il aurait à défendre son existence elle-même. Tandis que dans un jour de colère les états refusaient au bon duc de Penthièvre l’avantage dont avaient joui dans tous les temps les princes gouverneurs de recommander quelques sujets pour la charge fructueuse de la députation en cour, ils portaient sans hésiter le don gratuit de 2 à 4 millions, afin d’assister le nouveau contrôleur-général dans l’œuvre de restauration financière entreprise avec une confiance destinée à être cruellement déçue.

A des abus séculaires étaient venues se joindre, pour creuser le gouffre du déficit, les dépenses provoquées de 1778 à 1783 par la guerre d’Amérique. Quoique M. Necker possédât en Europe un crédit personnel jusque-là sans exemple, les emprunts successifs auxquels il avait dû recourir pendant son premier ministère avaient ajouté aux intérêts de la dette une surcharge énorme, et les embarras d’argent issus de la guerre étaient immenses, si profitables qu’en eussent été pour la France les résultats politiques. La Bretagne s’était associée avec ardeur à la grande lutte maritime d’où sortit l’indépendance d’un peuple nouveau, et dont les plus émouvans épisodes se passèrent en vue de ses côtes. Elle avait entendu le canon de la Belle-Poule et celui de la Surveillante ; les puissantes escadres que Brest envoyait chaque année devant l’ennemi étaient montées par ses intrépides matelots, et Guichen, Lamothe-Picquet, Kersaint, Kerguélen, tous Bretons, venaient de porter noblement le pavillon français sur toutes les mers. Constituer une marine puissante avait été l’ambition constante de la population bretonne, qui vit avec l’Océan dans un commerce intime de labeurs, de périls et de joies, et cette ambition généreuse était alors satisfaite. Durant trois tenues législatives, la salle des états fut dégarnie d’une portion notable de ses membres, qui avaient en quelque sorte le monopole de fournir leurs officiers aux escadres françaises.

Il n’y a jamais eu de spectacle plus véritablement national que celui de la pompe funèbre ordonnée en 1780 par les états pour honorer, la mémoire des officiers et matelots bretons morts dans les deux mondes sous le feu de l’ennemi [4]. L’un des détenus de 1766, l’abbé de Boisbilly, membre influent de l’ordre ecclésiastique, avait reçu l’invitation de composer en quelques jours une oraison funèbre : ce discours improvisé, où l’orateur sut faire passer l’odeur de la poudre à canon et l’âpre parfum des grèves natales, remua profondément l’assistance. L’office religieux terminé, les trois ordres, précédés du maréchal d’Aubeterre, alors commandant de la province, rentrèrent en cortège afin d’inaugurer le monument consacré par la Bretagne à ses fils morts pour la France. Au-dessous de la fenêtre ogivale qui éclairait la vaste salle des états se détachaient en lettres d’or sur une large plaque de marbre noir les noms de trente-trois officiers, membres-nés de l’assemblée nationale de leur patrie. Au moment où allait tomber le voile qui les recouvrait encore, M. de La Bintinaye, second de la Surveillante, parut sur le théâtre, amputé d’un bras et décoré de la croix de Saint-Louis. A peine âgé de vingt et un ans, cet officier avait reçu de la bouche défaillante du chevalier du Couëdic la double mission d’achever sa victoire et de sauver à tout risque la vie des vaincus. Ce fut à lui qu’incomba la tâche de ramener à Brest, aux acclamations d’un peuple immense, la glorieuse frégate sur laquelle les Anglais arrachés aux flots avaient remplacé l’équipage presque anéanti. Les états avaient décidé qu’une exception serait faite en faveur de M. de La Bintinaye à la disposition du règlement de 1736, dont les termes avaient fixé à vingt-cinq ans l’âge requis pour siéger. Ce jeune homme parut un moment dans l’assemblée pour la remercier d’une distinction qui suffisait, disait-il, à l’honneur de sa vie ; il refusa d’ailleurs d’en profiter pour la faire remonter jusqu’au chef héroïque qui avait su inspirer à tous quelque chose de son généreux courage. ajoutant que, s’il était d’âge à mourir pour sa patrie, il manquait encore de l’expérience nécessaire pour en débattre les intérêts. Ces paroles, prononcées avec une modestie charmante, provoquèrent une scène d’enthousiasme dont un historien breton ne peut évoquer le souvenir sans éprouver un serrement de cœur. Huit ans plus tard en effet, la salle qui avait été le théâtre de ces patriotiques effusions vit couler à sa porte le premier sang versé dans nos discordes.

Cependant les événemens marchaient. Les plans de Turgot avaient succombé devant l’obstination de la magistrature, et ceux de Necker ne tardèrent pas à être contrariés par la cour. Le réformateur genevois dut se retirer devant les hésitations de Louis XVI, plein de courage pour supprimer les abus qui le touchaient personnellement, plein de timidité pour réformer ceux qui intéressaient les autres. Après Necker, Calonne succomba sous le poids d’une situation dont il avait commencé par dissimuler toutes les difficultés dans l’espoir de ranimer la confiance, et dont il finit par exagérer tous les périls afin d’imprimer une terreur utile à ses desseins. Dénué des qualités du prêtre et de celles de l’homme d’état, sans vertus comme sans idées, Brienne s’installa aux affaires du seul droit de son impudence. L’unique et le plus fatal effet de son administration fut de paralyser, en le laissant sans direction au moment le plus favorable, le généreux mouvement qui dans les assemblées provinciales avait spontanément rapproché les ordres privilégiés du tiers-état, mouvement qu’à des degrés divers on avait vu se produire partout excepté en Bretagne. En présence de la noblesse française, inclinant dans ses rangs les plus élevés à faire du droit commun en matière financière la base d’institutions encore à naître, nous allons voir en effet la noblesse bretonne s’obstiner seule dans la défense de ses privilèges, partie intégrante à ses yeux des vieilles institutions qu’elle entend conserver.

L’impéritie politique de l’archevêque de Sens eut pour conséquence de retarder la crise dans cette province, parce que Brienne arma simultanément contre lui des intérêts opposés tout prêts à s’y combattre. Afin de faire quelque chose, ce ministre avait convoqué les notables. Un pareil acte, que ne réclamaient ni l’avantage de l’état ni le sentiment public, n’avait eu d’autres signification que celle d’un refus opposé à la convocation des états-généraux. Réunir des notables choisis par le bon plaisir du souverain, c’était affirmer une fois de plus le droit constamment revendiqué par la royauté de n’avoir à compter qu’avec des pouvoirs consultatifs ; rassembler les états-généraux, c’était au contraire reconnaître le droit de la nation de disposer elle-même de ses propres destinées. Ainsi s’engageait la lutte suprême entre l’ancien régime et le régime nouveau, l’un se prévalant de l’autorité des traditions, l’autre lui opposant l’irrésistible élan de ses espérances.

Dans la création d’une cour plénière revêtue, sous le bon plaisir du roi, des attributions politiques réclamées par les parlemens, étaient venues se condenser toutes les idées de M. de Brienne et de M. de Lamoignon, magistrat transfuge et ministre fantaisiste. Retirer aux cours souveraines l’enregistrement des édits et retarder la convocation des états-généraux, s’il n’était pas possible de l’empêcher, de cette double pensée était issue une combinaison affublée d’un nom ridicule, puisqu’il ne correspondait pas même au souvenir historique qu’on avait prétendu évoquer. Si l’étrange conception de ces deux personnages, plus impertinens qu’audacieux, avait pu exister ailleurs que sur le papier, elle aurait abouti a une simple réunion de grands seigneurs, et de fonctionnaires désignés par la royauté pour contrôler ses actes ; l’immense mouvement d’esprit qui travaillait alors la France aurait eu pour seule conséquence de tenir hors des affaires le peuple, la bourgeoisie, le clergé et la noblesse provinciale, c’est-à-dire la totalité des forces vives de la nation. Aussi ne vit-on jamais résistance plus unanime que celle qui fit avorter cet embryon politique. Plus avisé que Brienne, Lamoignon avait imaginé de donner quelque popularité à sa conception malheureuse en y associant une réforme de la magistrature conçue dans un esprit démocratique ; il compléta le plan de Maupeou en constituant sous le nom de grands bailliages dans tout le royaume, la Bretagne comprise, des tribunaux dont la juridiction était appelée à s’exercer dans des zones territoriales d’une égale étendue.

Ces édits furent envoyés au parlement de Paris, et celui-ci dut les enregistrer au milieu du plus formidable appareil militaire ; mais les difficultés qui se révélèrent dans la capitale n’étaient rien auprès des obstacles que l’œuvre de Brienne et de Lamoignon souleva dans les provinces et plus spécialement en Bretagne. Des ordres secrets enjoignirent au commandant de réunir le parlement de Rennes pour y faire prévaloir par tous les moyens qu’il estimerait nécessaires la volonté souveraine du roi. Ce commandant était alors Henri de Bissy, comte de Thiard, qui venait de succéder au comte de Montmorin. M. de Thiard était de l’école politique du marquis de La Fayette, école novatrice qui n’aimait pas le despotisme assurément, mais qui détestait encore davantage les privilèges et la prépondérance locale de la noblesse. Le nouveau commandant eut à peine posé le pied sur cette terre, où le passé se dressait encore tout vivant, qu’une barrière infranchissable s’éleva entre l’homme de cour dévoué aux idées nouvelles et le parti des robins et des hobereaux, comme on disait à Versailles. Ayant, dans la nuit du 10 mai 1788, ordonné au parlement de se réunir à sept heures du matin, M. de Thiard prit ses mesures pour triompher par la force de la résistance désespérée qu’il prévoyait. Un régiment occupa les abords du palais, et la cour en séance se trouva entourée d’un cercle de baïonnettes. A l’arrivée du commandant, elle ordonna de fermer les portes de la salle d’audience et d’en refuser l’accès à M. de Thiard, qui pénétra dans le palais assisté d’une nombreuse et menaçante escorte. Sommé par un huissier, au nom du premier président, de s’expliquer sur les causes d’un appareil si incompatible avec la liberté des magistrats, il déclara venir de par le roi tenir un lit de justice, bien résolu, pour l’accomplissement de ses ordres, à triompher par la force de tous les obstacles, s’il était assez malheureux pour en rencontrer. Cette réponse, transmise à la cour, ne changea point l’attitude de celle-ci. Des sapeurs s’étant présentés pour enfoncer les portes, elles furent ouvertes après que la violence eut été constatée, et le commandant pénétra dans l’enceinte où se tenaient les magistrats assis et couverts. M. de Catuélan, premier président, reçut communication de cinq édits dont il refusa de donner lecture, entendant protester par son silence contre des actes qui entraînaient le renversement de la constitution bretonne et contre la forme en laquelle ces actes lui étaient notifiés. M. de Thiard, avec une inflexibilité militaire, tempérée d’ailleurs par une parfaite politesse, se fit apporter séance tenante les registres du parlement ; il enjoignit au greffier d’y inscrire l’un après l’autre ces divers édits, les fit enregistrer successivement d’exprès commandement du roi, après avoir demandé toutefois sur chacun d’entre eux ses conclusions en forme à M. le procureur-général. À ces demandes cinq fois réitérées, M. de Caradeuc répondit cinq fois par la lecture de l’article de l’acte d’union de 1532, qui interdisait à des magistrats bretons toute discussion sur des mesures arbitraires, entachées d’une nullité radicale tant qu’elles n’étaient pas validées par l’approbation préalable des états.

L’opération s’accomplit en présence de la cour impassible, mais à laquelle une lettre de cachet du roi déposée par le commandant avait intimé la défense de désemparer. Lorsque M. de Thiard voulut se retirer ; il s’aperçut que la retraite était devenue fort difficile. La garnison, qui avait bloqué la cour, se trouvait à son tour bloquée par des masses profondes grossissant à chaque moment, et du milieu desquelles s’élevaient des cris furieux : Vive, le parlement ! vive la Bretagne ! à bas le despotisme ! à bas la cour plénière ! Dans ces clameurs se résumaient les sentimens confus qui agitaient alors cette population, sentimens dans lesquels les vieux souvenirs se mêlaient à des aspirations déjà très vives vers l’avenir, dont l’aube se laissait entrevoir. M. de Thiard avait à peine franchi les portes du palais qu’une grêle de projectiles assaillit son escorte. Les panneaux de sa chaise furent brisés, et une bûche lancée par un bras vigoureux vint à ses côtés atteindre gravement à la tête M. Bertrand de Molleville, intendant de la province, sur lequel la haine publique s’était principalement concentrée. Afin de dégager le commandant, les soldats apprêtaient leurs armes, lorsque M. de Nouainville, capitaine au régiment de Rohan, sortit des rangs en s’écriant : « Soldats, ne tirez pas ! ne sommes-nous pas tous citoyens ? ». Se trompant sur le sens des paroles et sur l’attitude de cet officier, le peuple lapida l’homme qui venait de prononcer le premier un mot destiné à un retentissement immense, et M. de Nouainville tomba baigné dans son sang ; mais, désabusés bientôt après et désespérés de leur erreur, les assaillans pénétrèrent dans les rangs de la force armée pour enlever l’officier blessé et le porter en triomphe. Ce mouvement, auquel les soldats s’associèrent avec un empressement significatif, dégagea les abords du palais, et le cortège officiel put regagner l’hôtel du gouvernement au milieu des huées et des imprécations de la foule [5].

Cependant le ministère, informé de cette situation, dirigea sans retard sur la Bretagne toutes les forces alors stationnées dans les provinces limitrophes. Tandis que Rennes était en proie à une exaltation fiévreuse, trois régimens d’infanterie et quelques escadrons se préparaient à entrer dans ses murs ; mais une difficulté nouvelle arrêta bientôt le comte de Thiard. Il n’appartenait qu’à la commission intermédiaire de faire les fonds de casernement et d’étapes requis pour une augmentation de garnison aussi considérable. Le comte de Botherel, procureur-général-syndic, l’ayant réunie sur la demande du commandant, cette commission, où venaient se résumer, en l’absence des états, leurs pouvoirs administratifs et toute leur autorité morale, fut unanime pour refuser de concourir à une dépense « manifestement motivée par un projet d’attenter à la liberté du parlement et aux droits et franchises de la province par l’envoi de troupes appelées pour ajouter l’oppression à l’oppression ». Dans ces circonstances critiques, le commandant, déjà en grand ménagement avec la bourgeoisie, où il comptait trouver de futurs auxiliaires, se conduisit avec une grande prudence. Il installa les troupes hors de la ville, pour n’avoir pas à répondre aux réclamations de la communauté, fort jalouse de ses privilèges, quoiqu’elle fût à la veille de les répudier, et il poussa la déférence jusqu’à lui fournir la preuve que la garnison ne faisait aucun des amas d’armes, aucun des approvisionnemens de poudre signalés chaque jour par les rumeurs populaires. M. de Thiard porta des coups secrets, mais terribles, à la puissance du parlement en le présentant comme l’obstacle principal aux progrès des idées d’égalité et de droit commun qui dominaient déjà partout en France. Il ne manqua pas de joindre à cette guerre politique des mesures de précaution afin d’empêcher les magistrats de se réunir pour délibérer, et il fit occuper militairement le palais de justice ; mais, des lettres de cachet ayant été adressées dans les derniers jours de mai au premier président et à six de ses collègues pour leur enjoindre de quitter Rennes, la compagnie résolut, en dépit des obstacles, de protester contre la violence. Le 2 juin, la plupart de ses membres se trouvèrent à cinq heures du matin réunis à l’hôtel de Guillé, mis à leur disposition par le président de ce nom. Ce fut là que le vieux parlement de Bretagne entendit pour la dernière fois le bruit des acclamations publiques, et qu’il prit une délibération solennelle dont l’importance m’oblige à citer le texte même :

« Considérant que l’arrivée de plusieurs régimens dans la ville de Rennes est le présage de nouveaux coups d’autorité et de violences personnelles contre les citoyens, et que les changemens préparés dans la constitution française ne pourraient être opérés légalement que par la nation assemblée dans les formes anciennes, en états-généraux,… la cour déclare nulle et illégale la transcription des édits, ordonnances et déclarations portés sur ses registres, fait défense à toutes personnes d’y obéir, à tous juges d’y avoir égard sous les peines qui y échéent,… déclare Thiard personnellement responsable envers le roi, la province et tous ceux qui y auraient intérêt de tous les événemens auxquels le séjour des gens de guerre pourrait donner lieu, déclare de plus ladite cour itérativement dénoncer au roi et à la nation comme coupables du crime de lèse-nation ceux qui, dans la perversité de leurs cœurs, ont osé concevoir, proposer et faire exécuter des projets qui tendent à la subversion fatale de l’ordre civil ».

Cependant le commandant, tardivement informé, venait de donner l’ordre de pénétrer par la force dans l’hôtel de Cuillé pour dissiper une réunion que ses instructions lui prescrivaient d’empêcher à tout prix ; mais les deux régimens de Rohan et de Penthièvre, qui formaient la plus notable partie de la garnison, comptaient dans leurs rangs une fort grande quantité d’officiers bretons. Par une inspiration simultanée, ces officiers résolurent d’offrir leur démission et de briser leur épée pour n’avoir pas à l’employer contre leurs compatriotes. Le comte d’Hervilly, colonel du régiment de Penthièvre, dut donc s’avancer à peu près seul à la tête de ses soldats ; mais, avant qu’il ait pu pénétrer jusqu’aux portes massives de l’hôtel, fermées à double tour, des groupes où se mêlent pour cette fois encore de jeunes gentilshommes et des étudians en droit entourent cet officier supérieur, l’interpellent, le menacent. Une Clorinde sort de la foule et vient proposer un duel au colonel éperdu. Par un procédé moins chevaleresque, quelques assaillans renversent M. d’Hervilly et lui arrachent ses épaulettes. Ses soldats s’avancent pour le dégager, et l’on touchait au moment d’une mêlée sanglante, lorsque l’apparition des magistrats, descendus en robes rouges sur la voie publique, suspendit toutes les colères en provoquant tous les respects. Une sorte de transaction intervint, et la multitude consentit à se retirer, sous l’expresse condition que les soldats déchargeraient immédiatement leurs armes et mettraient la crosse en l’air. Les choses en effet se passèrent ainsi, et au 2 juin 1788 remonte une première victoire, dont ni le sens ni la formule ne se sont perdus.

Après les scènes qui avaient signalé cette journée, les magistrats ne pouvaient songer à prolonger une situation pleine de périls pour la population tout entière. Obéissant donc aux quarante-huit lettres de cachet qui venaient de leur être notifiées, ils quittèrent Rennes, après avoir désigné une députation de douze membres chargée d’aller porter au roi la protestation de la cour et l’expression de sa profonde douleur. Les gentilshommes habitant les environs de Rennes se réunirent en même temps dans les bureaux de la commission intermédiaire, et délibérèrent sous l’énergique impulsion du procureur-syndic des états, M. de Botherel, sorte de Caton impassible sur les ruines d’un monde écroulé. Ces gentilshommes, se considérant comme autorisés à statuer pour leur ordre, donnèrent aussi mandat à douze d’entre eux de se rendre à Versailles et de faire tous leurs efforts pour être admis auprès du roi. Ces députés partirent en effet sans nul retard ; mais ils étaient à peine arrivés à Paris, qu’un ordre ministériel les confinait à la Bastille [6]. L’annonce de leur incarcération mit la Bretagne en feu. Par un mouvement spontané, les neuf bureaux diocésains se réunirent et décidèrent l’envoi à Paris de six délégués par diocèse, choisis en nombre égal dans les trois ordres. Cette députation de 54 membres reçut pour instruction de rédiger un mémoire général à présenter au roi sur les griefs de la province, et de réclamer avec la liberté des détenus bretons la levée générale de toutes les lettres de cachet. Il était prescrit à ces délégués de se rendre dans la capitale par la voie qu’ils estimeraient la plus sûre ; le pouvoir écrit délivré à chacun d’eux portait l’injonction de ne déférer à aucun ordre ministériel de nature à mettre obstacle à l’accomplissement de leur mission, et, dans le cas où l’on tenterait de les arrêter, il les autorisait, après avoir décliné leurs noms et qualités, à repousser au besoin la force par la force, dans la mesure où ils le jugeraient prudent et possible. À cette députation officielle, plusieurs communautés urbaines adjoignirent à leurs propres frais des envoyés spéciaux, chargés d’appuyer à Paris les délégués des trois ordres, d’entretenir avec les corps de ville auxquels ils appartenaient une. correspondance politique, qui prit vers la fin de 1788 une forme régulière et exerça sur l’opinion une influence considérable. Le duc de Penthièvre fit le meilleur accueil aux membres de la grande députation, tous réunis à Paris dans le courant du mois d’août ; mais la bienveillance de ce prince ne les aurait point empêchés de subir le sort de leurs prédécesseurs, si le cabinet de M. de Brienne n’était enfin tombé sous la réprobation publique, et si ce ministre n’avait lui-même à sa dernière heure évoqué les états-généraux. M. Necker fut reporté aux affaires par la puissance de l’opinion, dont ce ministre n’était lui-même qu’un instrument passager, et l’un des premiers gages qu’il lui donna fut la réintégration des parlemens et la mise en liberté des prisonniers bretons.

En 1788, la Bretagne partageait avec le Dauphiné la sympathique attention de la France. Si opposés que fussent au fond les sentimens et les vues dont s’inspiraient les notabilités de ces deux provinces, l’éclat et la fermeté de leur résistance au pouvoir absolu les avaient enveloppées jusqu’alors dans une sorte de popularité commune. Cette popularité se révéla le 24 septembre 1788 à la rentrée du parlement de Paris, solennité pour laquelle la bienveillance des magistrats avait convoqué la nombreuse députation envoyée par les neuf diocèses. Reçus par des officiers de la cour à leur entrée au palais de justice, les membres de la députation furent placés sur des sièges d’honneur, et toutes les têtes se découvrirent sur leur passage aux cris de : vivent les Bretons ! vivent les états-généraux ! vive la liberté [7] !

On pourrait dater de la rentrée des cinquante-quatre délégués en Bretagne la révolution morale qui imprima en quelques semaines aux idées et aux passions politiques de cette contrée un cours tout différent de celui qu’elles avaient eu si longtemps. Partout accueillis avec empressement, ils avaient respiré à pleins poumons l’atmosphère enflammée de la capitale, où leurs yeux furent comme éblouis par des clartés nouvelles. En comparant le vaste champ ouvert devant la bourgeoisie française par la convocation des états-généraux à celui que réservait au tiers-état cette vieille constitution bretonne pour l’intégrité de laquelle on venait de livrer ensemble un rude, combat, les classes séparées de l’ordre privilégié par une barrière qu’il fallait plusieurs générations pour franchir en vinrent à penser qu’elles avaient fait jusqu’alors un métier de dupes, et une jalousie d’autant plus implacable qu’elle avait été tardive sembla tout à coup les mordre au cœur. A l’énergie de sa haine, on aurait dit que la bourgeoisie voulait faire payer à la noblesse les longs arrérages de sa patience. Alors s’établirent à tous les foyers domestiques de redoutables parallèles entre les charges et les avantages attribués aux diverses classes de la société par les institutions particulières de la Bretagne : d’un côté, la population rurale accablée sous le poids des louages, des redevances féodales et des corvées, et la bourgeoisie des villes supportant seule les charges de l’impôt territorial, du casernement, des étapes, acquittant la presque totalité de la capitation [8] ; de l’autre, la noblesse ne concourant guère qu’aux impôts de consommation, ayant dans l’assemblée représentative de huit à, neuf cents représentais tandis que le tiers n’en avait que quarante-deux, maîtresse de l’armée, de la marine et du parlement, se votant à elle-même des subsides nombreux sous forme de gratifications aux officiers des états, de pensions militaires et de subventions aux établissemens d’éducation réservés pour ses enfans. Ici donc tous les honneurs et tous les biens, là toutes les charges avec tous les dédains, et, comme par grâce, quelques établissemens de charité : tel fut le thème brûlant des conversations quotidiennes dans un pays qui s’éveillait pour la première fois aux émotions de la vie publique.

L’un des soins du nouveau cabinet avait été de demander à tous les Français d’adresser soit au public par la voie de la presse, soit au gouvernement lui-même par des communications particulières, leurs vues sur l’œuvre de ces états-généraux, dont la convocation venait d’être décrétée sans que personne sût rien encore ni de la forme qu’il conviendrait de leur donner, ni de la direction à imprimer à leur zèle effervescent. Cette invitation, succédant aux travaux des assemblées provinciales, avait communiqué à l’esprit public dans toute la France un mouvement que notre égoïste lassitude nous permet à peine de comprendre. Nulle part cependant la fièvre des nouveautés ne fut plus ardente qu’en Bretagne, nulle part la presse locale ne travailla d’une activité plus furieuse et avec un succès plus complet à rattraper le temps perdu en faisant table rase de toutes les choses et de toutes les idées de la veille. On retrouve dans un monceau de brochures, pour la plupart imprimées à Rennes, la trace des colères du temps et de passions que leur sincérité dispensait de justice. Au premier rang, il faut placer le Mémoire pour le tiers-état de Bretagne, ouvrage de M. Gohier, avocat au parlement, qui, après avoir été un moment dans sa province l’émule de Sieyès, en devint plus tard le collègue au directoire exécutif. Cet écrit, dont l’effet fut immense, est un acte d’accusation contre la noblesse bretonne, contre sa prépondérance au sein des états et dans le parlement. A des observations fondées sont superposées des imputations parfaitement fausses, mais alors tenues pour vraies. Les conclusions en sont d’ailleurs plus modérées que les prémisses : elles se réduisent à réclamer, avec le maintien des vieux états de Bretagne, qu’aux premiers mois de 1789 personne encore n’admettait la possibilité de supprimer, l’égale répartition des impôts et un nouveau mode de représentation pour les deux ordres privilégiés. Cet écrit devint l’évangile politique de qui-quiconque n’était pas né gentilhomme. Le clergé et le peuple des campagnes, y adhérèrent avec moins de passion, mais avec autant de fermeté que la bourgeoisie, et la noblesse demeura seule sur le terrain de l’antique constitution, où, malgré son isolement, elle persistait à se croire invincible. Une presse d’une fécondité inépuisable et que l’autorité ne réprimait plus attaquait chaque jour en langue française, et quelquefois en langue bretonne, les deux idoles de la veille, les états et le parlement, mêlant la calomnie aux bonnes — raisons et imprimant à la polémique populaire le ton le plus injurieux et le plus acerbe [9].

On touchait cependant à l’époque de l’ouverture des états ordinaires de la province, qui venait d’être fixée au 29 décembre 1788. Cette circonstance, coïncidant avec l’injonction faite par le roi à toutes les communautés et corporations du royaume d’avoir à se réunir pour procéder à la rédaction des cahiers destinés aux états-généraux, porta l’effervescence à son paroxysme. Depuis le mois d’octobre 1788, tous les barreaux et tous les corps de ville de la Bretagne furent en permanence. Il n’y eut pas un incident politique survenu soit à Paris, soit à Rennes, qui ne donnât lieu à une consultation juridique et à une délibération municipale. La plupart des grandes communautés urbaines avaient déjà des agens à Paris, et toutes se concertèrent pour faire appuyer à Rennes, par des délégués extraordinaires, les demandes que leurs députés aux états avaient reçu le mandat impératif de faire prévaloir dans cette assemblée. Les membres du tiers allaient donc dans ce moment décisif se trouver placés sous le coup de prescriptions étroites et sous l’œil de surveillans empressés de faire preuve de zèle à l’heure où s’éveillaient dans tous les cœurs les premières étincelles de l’ambition politique.

Durant cette période agitée, une corporation se fit à Rennes, du seul droit de sa dévorante activité, le centre de tous les efforts, qu’il fallût écrire pu combattre, prononcer des harangues ou descendre dans la rue. L’école de droit joua en Bretagne, en 1788 et 1789, un rôle très considérable, et sut associer presque toujours à l’ardeur de la jeunesse une modération généreuse. Fortement organisée, comme l’étaient les diverses corporations intellectuelles dans la vieille société française, ayant sa juridiction et ses privilèges, l’école avait alors à sa tête un prévôt que les magistrats reconnaissans avaient salué, lors de l’émeute du 2 juin, du nom de général du parlement, rôle qu’il abandonna pour prendre contre le parlement celui de général de la révolution. Jean-Victor Moreau, fils d’un honorable avocat de Morlaix, avait été destiné au barreau, encore qu’au sortir du collège il eût tenté de quitter la maison paternelle pour contracter un engagement militaire. Revenu à plus de déférence pour la volonté de ses parens, il commença son droit en 1782. Spirituel et bienveillant, cet étudiant de septième année exerçait sur ses camarades une autorité universellement acceptée, et jouissait en bon vivant de toutes les prérogatives de sa charge, telles que le droit d’occuper une première loge au spectacle et de recevoir la première visite de toute actrice aspirant à débuter. Le futur vainqueur de Hochstedt et de Hohenlinden, ayant fait des efforts superflus pour conquérir le diplôme d’avocat, se jeta dans la lutte politique, où il trouva une carrière plus conforme à sa vocation. L’année si pleine qui nous occupe vit successivement le jeune Moreau dirigeant dans les rues de Rennes les efforts de ses camarades, portant à Louis XVI, comme l’un des délégués du tiers, les protestations de la ville contre les résolutions prises aux états par la noblesse, organisant à Pontivy la fédération bretonne, et quittant son pays à la tête d’une compagnie d’artillerie pour concourir deux ans plus tard à la conquête de la Hollande comme général de division. Les hommes et les choses marchaient alors à pas de géant ; une fortune militaire se faisait en six mois, et encore suffisait-il de moins de temps pour renverser l’œuvre des siècles.

Les quarante-deux communautés représentées aux états avaient, à la fin de décembre 1788, donné à leurs mandataires dans cette assemblée la charge formelle de réclamer préalablement à toute délibération les trois points suivans : suppression de tous les privilèges pécuniaires, représentation pour le tiers égale à celle des deux premiers ordres réunis, et substitution du vote par tête au vote par ordre, jusqu’alors pratiqué, leur enjoignant de plus de ne prendre part à aucune opération tant que cette triple concession n’aurait pas été accordée. Il fallait malheureusement s’attendre, d’après les dispositions bien connues de la grande majorité des gentilshommes, à un refus catégorique, si légitimes que ces réclamations fussent en elles-mêmes. La noblesse s’était engagée par serment, et personne ne l’ignorait, à considérer comme ayant forfait à l’honneur quiconque proposerait, en présence d’injonctions comminatoires, de modifier des institutions dont elle se tenait pour responsable envers la postérité. Consulté par M. Necker sur la représentation du tiers au sein des états-généraux, le parlement de Rennes venait d’ailleurs de repousser, conformément au dernier avis des notables, le principe du doublement, en réclamant l’application du mode suivi en 1614 ; enfin à l’ardente polémique de la démocratie la noblesse répondait par une polémique non moins animée, dont le ton ne laissait aucun doute ni sur sa pensée ni sur ses projets aux états. Elle n’admettait du reste en aucune façon que la Bretagne pût consentir à comparaître aux états-généraux du royaume autrement que par l’intervention de députés choisis pour les trois ordres par la représentation provinciale elle-même, selon ce qui s’était constamment pratiqué depuis la réunion à la monarchie, et personne n’ignore qu’elle persista jusqu’à la fin dans cette résolution déplorable.

Un gentilhomme qui s’était fait remarquer aux états par la pittoresque hardiesse de sa parole, M. le chevalier de Guer, se donna la tâche de combattre toutes les demandes du tiers, et l’accomplit avec plus de talent que de prudence. Dans une série de Lettres au peuple de Rennes, il s’efforce d’établir une distinction radicale entre ce qu’il nomme le haut et le bas tiers, l’un composé de personnalités ambitieuses, l’autre de deux millions d’hommes qu’il s’agirait de leur sacrifier. Selon M. de Guer, l’égalité des impôts et la substitution du droit commun de la monarchie au régime particulier dont jouit la province et qu’elle a si glorieusement défendu provoqueraient pour le peuple breton une condition matérielle et morale cent fois pire que celle dont on réclame à si grands cris le changement. Le droit commun du royaume introduira en Bretagne la gabelle avec les autres inventions fiscales que ses courageux efforts sont parvenus à écarter du moins en partie. Au lieu de 12 fr. d’impôt par tête, on y paiera la moyenne générale en France, qui est d’environ 22 francs ; au lieu de faire ses propres lois, on subira celles que dictera une majorité étrangère à l’histoire comme à l’esprit du peuple breton, et ce noble pays, cessant d’être lui-même, regrettera bientôt d’avoir sacrifié ses intérêts aux exigences de certaines vanités et au prestige d’idées non éprouvées par l’expérience. Tout cela ne manquait pas de portée, et les habitans de l’Ille-et-Vilaine trouvent peut-être aujourd’hui M. de Guer assez sagace pour avoir prévu d’aussi loin les budgets de 2 milliards ; mais le jeune publiciste ignorait deux choses : la première, que les masses rurales, inertes par elles-mêmes, ne sauraient empêcher l’évolution d’une pensée puissante, la seconde, que, si dans les grandes crises où sont engagées les destinées des nations il vient un jour où les intérêts peuvent l’emporter sur les idées, les idées marchent tout d’abord au pas de charge et sont toujours assurées de la première victoire.

Pour avoir été tardive, la tourmente ne sévissait en Bretagne qu’avec plus de fureur. Après avoir, durant plusieurs mois d’une polémique implacable, remué toutes les passions et posé tous les problèmes, elle s’abattit tout à coup sur le cloître gothique où venaient de se réunir les représentons de ce petit peuple qui allait disparaître. Le comte de Boisgelin, M. de Girac, évêque de Rennes, et M. Borie, sénéchal de cette ville, reçurent la charge de présider ces dernières assises, auxquelles les gentilshommes étaient accourus de tous les points de la province, nombreux et armés comme pour une bataille décisive. Après l’accomplissement des formalités d’usage, le président du tiers annonça en assemblée générale que tous ses collègues avaient reçu de leurs communautés l’injonction formelle de ne prendre part à aucune discussion et de ne concourir à aucun vote avant l’admission par les états de certaines demandes qu’ils avaient charge de leur soumettre. Au premier rang figurait, avec la suppression des immunités financières, la concession au sein de l’assemblée provinciale d’une représentation du tiers égale à celle des deux autres ordres réunis, concession qu’un édit royal venait quelques jours auparavant d’octroyer à la nation pour les prochains états-généraux du royaume. Un pareil changement, si naturel qu’il fût de le souhaiter, impliquait un bouleversement complet des institutions existantes, puisque l’assistance aux états était devenue en Bretagne depuis la ligue le droit personnel de tous les hommes d’extraction noble.

Aussi les deux ordres privilégiés, s’appuyant sur le règlement, répondirent-ils tout d’une voix que le cours habituel des travaux ne pouvait être interrompu par une sommation tout au moins intempestive, ajoutant qu’un vœu exprimé relativement à des modifications organiques ne serait à sa place, si les états jugeaient à propos de l’admettre, que dans le cahier final, dont la rédaction devait suivre les opérations ordinaires et non les précéder. Opposer le texte d’un règlement à une révolution qui frappait à la porte, c’était imiter les enfans qui amoncellent du sable pour arrêter la mer. Dans l’isolement où la jetait le cours des idées et des choses, la noblesse s’enivrait du bruit de ses paroles en présence du tiers déployant de son côté une force d’inertie qui suffisait pour lui assurer la victoire. Une semaine s’écoula en négociations stériles ; le troisième ordre se refusa même à parapher, selon l’usage, le registre des délibérations, ce qui interdisait toute inscription régulière des actes de l’assemblée. En secrète entente avec la bourgeoisie, dont les vœux ne dépassaient sur aucun point le cercle tracé par le programme de M. Necker, le comte de Thiard saisit avec empressement cette occasion pour interrompre les états, dont les bruyantes allures étaient antipathiques à la froide élégance de ses habitudes. Le 7 janvier 1789, il portait à l’assemblée un ordre du roi qui en suspendait les opérations jusqu’au 5 février suivant, afin de mettre messieurs du tiers en mesure de réclamer une modification à leur mandat impératif, si leurs commettans jugeaient à propos de l’accorder. Le troisième ordre quitta immédiatement la salle, aux applaudissemens du peuple, qui venait de s’introduire dans la tribune réservée au public ; il sortit le front serein et parfaitement assuré du sens des délibérations qu’on allait provoquer. La noblesse continua de siéger malgré l’invitation de quitter la salle qui lui fut adressée par le commandant, et le chevalier de Guer commit l’impardonnable faute de lui faire consacrer par un serment l’engagement de maintenir intégralement la constitution bretonne et de n’accepter, sous peine d’infamie, aucun mandat pour siéger au sein des états-généraux du royaume, s’il n’était délivré par les états de la province dans la forme traditionnelle.

Cependant du 15 au 20 janvier toutes les communautés et toutes les corporations constituées se réunirent conformément à l’ordre du roi, et, comme il était facile de le prévoir, aux premières instructions d’une forme mesurée succédèrent des injonctions injurieuses. La réunion des communautés urbaines avait été provoquée par un arrêt du conseil ; mais, en se prévalant de la constitution particulière de la Bretagne, le parlement de Rennes avait cru pouvoir déclarer cet arrêt du conseil non avenu, et il était allé jusqu’à décréter d’ajournement personnel tous les maires qui convoqueraient les citoyens pour délibérer sur des matières que le parlement maintenait être du seul ressort des états de la province. On devine qu’une aussi imprudente injonction n’arrêta personne, et qu’elle eut pour seul effet de surexciter encore les passions et de faire des magistrats l’objet principal de la haine publique, le point de mire de toutes les attaques.

Les nobles et les parlementaires, voyant le terrain se dérober sous leurs pas, imaginèrent d’organiser à Rennes, où l’aristocratie de robe et d’épée tenait une fort grande place, des manifestations en sens inverse de celles qui avaient lieu dans un intérêt démocratique, et crurent pouvoir donner le change à l’opinion en faisant réclamer par des assemblées formées sous leur influence le maintien de l’état de choses déserté par la faveur populaire. Le 26 janvier 1789, des avis nombreux convoquèrent au champ Montmorin ce qu’on nommait alors les réclamans de la constitution noble. Plusieurs centaines de personnes s’y rassemblèrent, et les témoignages contemporains sont unanimes pour constater que la plus grande partie de l’assistance était formée par les porteurs de chaises et les domestiques des maisons nobles, qui avaient dépouillé leur livrée pour exercer avec une indépendance moins contestable leurs droits de citoyens [10]. Dans cette réunion en plein air, assez promptement dissipée par un froid glacial, un seul discours paraît avoir été prononcé. L’orateur était un garçon de salle au service des états, et celui-ci n’eut aucune peine à persuader ses auditeurs de l’excellence du régime qui les faisait vivre. À cette manifestation d’un sentiment fort légitime succéda une haute imprudence. Les assistans se rendirent au palais aux cris de vivent les états ! vive le parlement ! dans l’intention de réclamer une diminution dans le prix du pain. La cour siégeait au moment où ils se présentèrent à la barre, et la facilité insolite avec laquelle ils y furent admis ne permit guère de douter d’un concert préalable. Le parlement promit de prendre de promptes mesures pour alléger les souffrances publiques, et les pétitionnaires, charmés d’un pareil accueil, ne tardèrent pas à donner à leur reconnaissance le cours le plus désordonné. Sur la place du palais se trouvait un café, qui, dans ces jours agités, formait pour la bourgeoisie le centre habituel de ses réunions politiques. Une vingtaine d’étudians postés en curieux à la porte, ayant pris en présence de la manifestation une attitude peu sympathique, reçurent une volée de coups de poing et de coups de bâton, déplorables violences qui furent le prélude de scènes plus sanglantes. Ces jeunes gens étaient sans armes, mais ils ne tardèrent pas à s’en procurer, car deux heures après il n’existait plus un seul fusil de chasse chez les armuriers, et le dépôt des compagnies bourgeoises ne tardait pas à être forcé.

L’intervention de la garnison et la nuit qui s’avançait suspendirent la vengeance ; mais l’aurore du lendemain trouva chacun armé de fusils, de pistolets, d’épées, et à son poste de combat. D’une part, l’école de droit devint le quartier-général d’une armée dont Moreau fut le chef ; de l’autre, la noblesse, munie de fusils à deux coups, rares encore à cette époque, transforma en forteresse la salle des états ; dont elle barricada solidement les portes. Bientôt toutes les rues de la ville furent le théâtre de rencontres entre les gentilshommes isolés qui s’efforçaient de rejoindre le gros de la noblesse réunie aux Cordeliers et les jeunes gens, partout postés afin de leur barrer le passage. Des deux côtés, on mit l’épée à la main avec la même bravoure, quoique avec une expérience inégale. Les projectiles pleuvaient des fenêtres sur les combattans, les femmes de la bourgeoisie, comme celles de la noblesse, prodiguant les plus chaleureux encouragemens à ces luttes fratricides. M. de Boishue tomba mort sous les yeux de sa mère, placée à son balcon et l’excitant de la voix ; M. de Saint-Riveult succomba après avoir fait mordre la poussière à plusieurs assaillans ; il périt à côté de son ami de collège, le jeune chevalier de Chateaubriand, engagé lui-même dans ce conflit, qu’il a décrit d’une manière moins exacte que pittoresque, car déjà la muse emportait René dans le pays des chimères [11]. On eût dit qu’une longue suite de générations sortaient du tombeau pour régler leurs comptes dans ce triste jour. Le sang qui coulait de toutes parts excitait, au lieu de l’éteindre, l’ardeur de ces haines sauvages. Un étudiant fut renversé par quelques domestiques accourus pour défendre leur maître ; celui-ci, voulant sauver la vie de ce jeune homme, lui tend la main afin de le relever ; l’étudiant la repousse en s’écriant : « Plutôt mourir que de vous rien devoir ! » Un autre aperçoit le marquis de Montbourcher sortant de son hôtel profondément attristé et fort résolu à demeurer étranger à cette épouvantable lutte ; se trompant sur son attitude, le jeune homme s’écrie : « Vous dédaignez sans doute, monsieur, de vous mesurer avec un bourgeois ? — Je vais vous prouver le contraire, répond M. de Montbourcher, qui met aussitôt l’épée à la main, désarme d’une première passe son novice adversaire et se jette dans ses bras en s’écriant : — Ah ! monsieur, nous nous haïrions moins, si nous nous connaissions mieux ! ».

Vers le soir, cinq ou six cents combattans, résolus à vendre chèrement leur vie, étaient renfermés aux Cordeliers, et les flots du peuple n’étaient écartés de cette sorte de place d’armes que par un cordon de troupes de ligne dont les dispositions hésitantes rendaient l’intervention fort périlleuse. A une nuit d’angoisse succéda une journée plus terrible. Le blocus se trouva le matin tellement resserré qu’afin de se procurer quelques vivres les gentilshommes affamés durent rétablir à tout prix leurs communications avec le dehors. Une décharge meurtrière partie de l’intérieur du couvent en dégagea en effet les abords ; mais le peuple, un moment dispersé, ne tarda pas à revenir exaspéré et à tout disposer pour l’incendie. En présence du bûcher qui se préparait au centre même de la ville, le sang-froid revint aux plus furieux. M. de Thiard, retrouvant enfin la résolution dont il avait manqué depuis l’ouverture de la crise, entama une négociation qui ne dura pas moins de trente-six heures, et du succès de laquelle il désespéra plus d’une fois. Après des efforts que l’imminence du danger rendit seule efficaces, le commandant parvint à faire agréer aux deux partis les termes d’un arrangement qui n’effleurait l’honneur ni de l’un ni de l’autre. Par une capitulation dont tous les termes furent minutieusement débattus, on s’engagea à ne plus se provoquer de part ni d’autre ; il fut en outre décidé que les armes à feu des bourgeois et des étudians seraient placées dans un dépôt public, et que les gentilshommes remettraient les leurs dans la salle des Cordeliers, d’où ils sortirent en conservant seulement leurs épées.

Si cette convention n’avait été signée, pas un noble n’aurait probablement survécu, de nouveaux combattans arrivant de tous côtés pour s’engager dans la lutte avec la double ardeur que leur inspiraient et leur propre jeunesse et la jeunesse de leurs idées. Dès le commencement des troubles, le prévôt de l’école avait expédié à franc étrier. des messages à toutes les villes des environs, et déjà quatre cents Nantais, suivis bientôt d’un nombre à peu près égal de Malouins, étaient aux portes de Rennes. Ce ne fut pas sans une peine extrême que M. de Thiard, malgré la faveur que sa conduite venait de lui concilier dans tous les rangs de la bourgeoisie, parvint à décider les volontaires à déposer les armes avant de pénétrer dans la ville, en acceptant pour leur propre compte les termes de l’arrangement conclu la veille.

Alors en butte à toutes les rigueurs de l’opinion, le parlement paya cher le prix de ces funestes journées. Les troubles étaient à peine terminés, qu’il commença une instruction, dont le cours fut bientôt arrêté par un refus à peu près général de comparaître devant lui et de reconnaître sa juridiction. On maintenait que le parlement avait été l’auteur principal de l’émeute par le concours donné aux pétitionnaires du champ Montmorin, de telle sorte que, s’il connaissait de l’affaire, il serait juge et partie dans sa cause. Le barreau de Rennes, qui avait vécu si longtemps avec la magistrature dans une respectueuse intimité, signa une consultation profondément blessante, dont l’existence seule constatait une révolution déjà moralement consommée. Si durant quelques mois le parlement de Bretagne rendit encore des arrêts, à partir de ce jour son existence politique fut terminée.

Cependant une même pensée dominait le peuple jusque dans ses couches les plus obscures. Le règlement royal du 16 mars 1789 venait de convoquer dans les bailliages tous les citoyens appelés à rédiger les cahiers pour les trois ordres et à choisir leurs représentons aux états-généraux, dont l’ouverture définitive avait été fixée au 5 mai. La population bretonne s’y porta en foule, et les députés du tiers aux états-généraux reçurent de leurs commettans des mandats en tout point semblables à ceux que les représentans de cet ordre avaient naguère portés au sein de l’assemblée provinciale. Le clergé paroissial, étroitement associé à la population rurale, dont il sortait presque tout entier, se rendit de son côté aux comices électoraux avec un entrain que ne parvinrent pas à ralentir les anathèmes lancés à Rennes par les deux ordres privilégiés contre-quiconque consentirait à accepter, pour la députation aux états-généraux, un mandat direct délivré dans les bailliages. Vingt-deux curés, élus par leurs confrères au sein des neuf diocèses de Bretagne. assistaient à Versailles à l’ouverture de l’assemblée nationale. Fort dévoués pour la plupart aux idées nouvelles, ces ecclésiastiques furent des premiers à pénétrer au jeu de paume, et leur concours ne devait manquer à la cause de la révolution que lorsque-cette cause cessa d’être celle de la liberté.

Immobile et compacte, la noblesse bretonne n’était donc plus qu’un rocher perdu dans l’immensité de l’océan, et dont un dernier flot allait bientôt couvrir la cime. Un ordre royal venait de la convoquer à Saint-Brieuc pour le 16 avril, afin qu’elle eût à lever les obstacles opposés par elle à la nomination de ses députés aux états-généraux, en opérant cette élection conformément au mode déterminé pour la généralité du royaume et pratiqué partout sans aucune observation. Cette noblesse eut alors pour la première fois le sentiment de son isolement profond. Elle tenta d’y échapper par quelques concessions importantes, mais qui toutefois n’entamèrent sur aucun point l’intégrité de sa vieille foi politique. Délibérant, comme à Rennes, sous la présidence du comte de Boisgelin, l’ordre de la noblesse déclara qu’il était disposé à reconnaître la convenance d’une représentation plus étendue accordée à l’église et au tiers, et qu’il était prêt à voter, « à la tenue prochaine des états de Bretagne constitutionnellement assemblés en trois ordres, une égale répartition des impositions qui seront consenties dans lesdits états réunis et délibérant selon les formes accoutumées [12] ».

On ne pouvait se tromper sur la portée de ces propositions manifestement incompatibles avec les faits accomplis. Afin qu’il ne demeurât aucun doute sur la volonté de la noblesse de n’abandonner, en renonçant à ses avantages pécuniaires, aucune de ses prérogatives politiques, elle déclara « que quiconque maintiendrait représenter la province aux états-généraux du royaume en vertu d’une élection qui n’aurait pas été faite dans le sein de l’assemblée provinciale serait considéré comme traître à la patrie, » ce qui infirmait la valeur du mandat direct déjà donné à tous les députés du tiers et du clergé. Les états de Saint-Brieuc terminèrent enfin l’acte solennel qu’ils jetaient en défi à la France nouvelle en proclamant non avenues les décisions royales des 27 décembre 1788 et 3 janvier 1789, qui avaient accordé le doublement du tiers et pris le chiffre de la population pour base des circonscriptions électorales. Si vaine que fût cette profession de fidélité à une cause désespérée, elle n’était pas sans grandeur, car des onze cents gentilshommes qui la souscrivirent la plupart lui ont rendu témoignage en la scellant de leur sang sur le champ de bataille ou sur l’échafaud.

La victoire du droit moderne devenue irrévocable, il ne restait plus à la vieille Bretagne qu’à se résigner à sa fortune et à tomber dignement. Si sa noblesse se donna le tort grave de ne point envoyer de députés au secours de la monarchie en détresse, un concours de circonstances inattendues ménagea du moins à son parlement des funérailles magnifiques. Par deux arrêts consécutifs [13], cette cour souveraine s’était approprié toutes les résolutions prises à Saint-Brieuc, après les avoir chaleureusement défendues dans un long mémoire au roi. Depuis l’ouverture de l’assemblée nationale, son attitude avait impliqué une sorte de protestation tacite contre des décisions inapplicables à la situation particulière de la province, telle qu’elle persistait à la comprendre. Le 23 novembre 1789, la constituante avait décrété la suspension indéfinie de tous les parlemens du royaume, et cette mesure, sanctionnée par le roi, avait été notifiée à celui de Rennes. La chambre des vacations, qui siégeait seule à cette époque de l’année, refusa d’enregistrer le décret, et ce refus fut suivi d’un ordre adressé par l’assemblée constituante aux magistrats d’avoir à comparaître à sa barre pour y expliquer leur conduite.

Ceux-ci s’y présentèrent en effet au nombre de douze dans la séance du 9 janvier 1790, et le président de La Houssaye porta la parole en leur nom. Avec une fermeté que rehaussaient sa tête austère et ses cheveux blancs, ce vieux magistrat exposa que la chambre des vacations, investie de pouvoirs restreints et temporaires, avait cru ne pouvoir préjuger aucune des graves questions soulevées par le décret royal du 23 novembre ; puis, abordant le fond même du débat, M. de La Houssaye n’hésita pas à déclarer que sa compagnie déniait à une assemblée dans laquelle la Bretagne n’avait qu’une représentation irrégulière et incomplète le droit d’anéantir une juridiction dont le maintien avait été formellement stipulé par une convention internationale. Rappelant les actes successifs qui avaient réglé les rapports de cette province avec la France depuis Charles VIII, Louis XII et François Ier jusqu’au temps du roi régnant, il mit sous les yeux de l’assemblée le texte des stipulations intégralement rappelées à chaque tenue des états dans le contrat final, stipulations dont la série n’avait pas été interrompue même sous Louis XIV, comme si la Providence avait voulu, sur ce dernier coin de terre libre, empêcher le despotisme de prescrire ! Le président de La Houssaye termina sa harangue en exprimant l’espoir que la postérité, plus dégagée de passions que ne pouvait l’être la génération contemporaine pendant la fièvre d’une révolution, rendrait justice aux intentions désintéressées de magistrats auxquels les lois de leur pays avaient été commises en garde, et qui, parvenus pour la plupart au terme de leur vie, n’entendaient pas s’exposer, en abandonnant un pareil dépôt, à charger leur conscience d’un reproche et leur honneur d’une souillure.

Cette affirmation de droits inviolables, faite devant l’assemblée à laquelle la France avait remis tous ses pouvoirs, et dont les actes n’avaient soulevé jusqu’alors ni une protestation, ni une résistance, fit courir dans son sein un long frisson de colère. Toutefois, grâce à cette salutaire liberté de discussion dont la victoire d’une faction ne lui avait pas encore ravi l’usage, la constituante donna au pays à l’occasion des affaires de Bretagne le spectacle de l’un des plus beaux débats qui aient honoré la tribune française. Comme dans ces jeux funèbres où les héros antiques combattaient pour honorer la mémoire d’un mort illustre, tous les grands athlètes prirent part à la lutte suprême engagée entre le droit ancien et le droit nouveau venant se heurter directement l’un contre l’autre. On entendit d’Éprémesnil, grave et triste comme une puissance déchue, Cazalès, à la parole vive et acérée comme la lame de son épée, l’abbé Maury, qui défendit les droits de la Bretagne avec une parfaite connaissance de son histoire, devinée en quelques heures par une intuition merveilleuse. Le parlement et les états rencontrèrent un adversaire violent dans un jurisconsulte breton, dont la parole aurait eu plus d’autorité, s’il n’avait porté dans le cours du débat le poids d’une situation fausse. Avocat distingué, au parlement de Rennes, Le Chapelier attaqua sans mesure le corps devant lequel il s’était si souvent incliné. Longtemps investi de toute la confiance des états, près desquels il exerçait les fonctions de substitut des deux procureurs-syndics, il fit de cette institution la critique la plus sanglante ; tout récemment anobli, il adressa au corps de la noblesse bretonne des reproches qui laissaient sans excuse son empressement à s’y faire agréger. Un autre avocat, d’un plus grand esprit et d’un plus grand cœur, fut mieux inspiré en attaquant par des motifs de droit le refus d’enregistrement fait par la chambre des vacations ; il appartenait d’ailleurs à l’un des témoins des scènes de Vizille d’opposer aux illusions entretenues par la noblesse de Bretagne le généreux dévouement avec lequel celle du Dauphiné avait devancé l’heure des sacrifices. Barnave sut associer à l’argumentation serrée du jurisconsulte l’éloquence émue du véritable orateur ; mais, pour abattre la ruine à laquelle on se cramponnait si résolument encore, il fallait l’irrésistible intervention de la tempête faite homme. Mirabeau se leva comme l’ouragan dont la furie redouble en présence d’un obstacle inattendu ; à peine à la tribune, le géant de la révolution interpella « les pygmées qui, désavoués par tous les députés bretons présens dans l’assemblée, osaient opposer des privilèges unanimement répudiés au cours victorieux des siècles, comme s’ils étaient de taille à faire reculer une œuvre appelée à changer la face du genre humain ; étranges accusateurs qui avaient l’audace de parler aux élus de la France du ton dont pourraient le faire des souverains détrônés s’adressant à d’heureux usurpateurs ! » Cette hardiesse, jusqu’alors sans exemple, parut à l’orateur exiger un châtiment sévère. Sans préjudice de poursuites criminelles, dont il laissa peser la menace sur la tête des magistrats bretons, Mirabeau requit contre eux l’interdiction perpétuelle de tous les droits de citoyen, pénalité que l’assemblée, pénétrée d’un respect involontaire pour ces fiers vaincus, réduisit à la simple suspension des droits civiques jusqu’au jour où ils auraient prêté serment à la nouvelle constitution du royaume.

Quelques semaines plus tard, le faible Louis XVI entrait dans l’enceinte législative [14] pour revêtir de sa sanction une mesure que n’auraient osé tenter ni Richelieu ni Pierre le Grand, et ce fantôme de roi consommait le seul acte de son règne auquel aurait applaudi Louis XIV, car cet acte fit de la France une vaste surface plane où le char de l’administration pouvait rouler désormais sans obstacle. Sur l’échiquier départemental, la Bretagne occupa cinq cases, et le décret qui fit disparaître un nom plus vieux que celui de la France n’attira pas autrement l’attention que ne le fait aujourd’hui la discussion d’un projet de loi d’intérêt local.

(Louis DE CARNE).

[1] Registres des états de Rennes, séance du 25 décembre 1770.
[2] Registre des états, séance du 4 février 1785.
[3] Dans un rapport présenté au roi en 1778 sur les assemblées provinciales. M. Necker expose la nécessité d’arriver à modifier les constitutions de divers pays d’états. Il insiste spécialement sur la convenance d’abolir la dénomination de don gratuit attribuée à la part contributive fournie par eux aux dépenses publiques, l’obligation de concourir aux charges générales du royaume étant de droit strict pour toutes les provinces qui en font partie. À ce passage du rapport, on trouve une note marginale de Louis XVI où l’âme de ce bon prince se révèle tout entière, « Je ne crois pas qu’il soit prudent d’abolir le mot de don gratuit, parce que ce mot est antique et attache les amateurs de formes ; ensuite il est peut-être bon de laisser à mes successeurs un mot qui leur apprend qu’ils doivent tout attendre de l’amour des Français et ne pas disposer militairement de leurs propriétés ». Voyez les Assemblées provinciales sous Louis XVI, par M. Léonce de Lavergne, p. 32.
[4] Registre des états, séance du 17 janvier 1781.
[5] J’ai emprunté le récit de ces événemens et de la plupart de ceux qui vont suivre à un grand nombre d’écrits contemporains, ainsi qu’à l’Histoire de Rennes, par MM. Ducrest de Villeneuve et Maillet, et à Rennes moderne, par M. A. Marteville, t. III.
[6] J’emprunte les noms des députés de la noblesse mis à la Bastille à une chanson populaire en douze couplets composés en l’honneur de chacun d’entre eux. C’étaient MM. de Guer, de La Royerie, de Trémargat, des Nétumières, de Becdelièvre, de Bédée, de Chastillon, de La Fruglaye, de Cicé, de Carné, de Montluc et de Hercé. Les prisonniers de la Bastille furent accueillis à leur rentrée en Bretagne par des démonstrations enthousiastes qui ne concoururent pas peu à tromper la noblesse sur l’était véritable de l’opinion, car à la Chanson des douze ne tarda pas à succéder la chanson de Ça ira. — Voir la Révolution en Bretagne, par M. Duchatellier, t. Ier, ch. IV.
[7] Histoire de la révolution dans les départemens de l’ancienne Bretagne, par M. A. Duchatellier, t. Ier, p. 65.
[8] Sur une somme totale de 1,700,000 livres, la noblesse ne payait pour sa part dans la capitation qu’une somme de 150,000 livres.
[9] Parmi ces nombreux pamphlets, j’en citerai quelques-uns dont le titre est significatif : — L’ombre de Duguesclin au clergé et aux nobles de Bretagne ; — Les mânes de Duparc-Poullain venant éclairer ses concitoyens ; — Lettres d’un cultivateur à ses frères dans le servage ; — Homélie où l’on voit ce qu’il faut penser de la conduite de la noblesse de Bretagne ; — Apologie de la conduite du tiers calomnié par la noblesse à l’occasion des événemens de Rennes ; — Sentimens d’un patriote sur ce qui s’est passé à Rennes ; — Arlequin réformateur dans la cuisine des moines ; — Le droit du seigneur ; — Confiteor des gentilshommes bretons se confessant à la patrie opprimée ; — Les litanies du tiers-état de Bretagne ; — La semaine sainte et les lamentations du tiers-état ; — Le Magnificat du tiers-état, etc., etc.
[10] Voir entre autres relations le Précis historique des faits arrivés à Rennes les 26 et 27 janvier 1789, remis au roi par les députés du tiers-état en cour, mars 1789.
[11] Voir les États de Bretagne aux Mémoires d’outre-tombe, t Ier.
[12] Registre des états de Saint-Brieuc, séance du 19 avril 1789.
[13] Arrêts du 22 avril et 8 mai 1789.
[14] Séance du 3 février 1790.

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