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L'HISTOIRE DE DINAN A TRAVERS SES RUES

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I - ABRÉGÉ HISTORIQUE.

Tout d'abord parlons un peu du nom de la ville. On a fait bien des efforts, l'imagination a déployé largement ses ressources et son ingéniosité pour expliquer le mot Dinan.

Il n'est pas nécessaire de citer les diverses trouvailles plus ou moins laborieuses parmi lesquelles nous trouvons Diane, la déesse chasseresse, comme étant la marraine de Dinan. Mais il y a mieux et plus sérieux que ce recours aux Olympiens.

L'explication raisonnable est en effet celle qui donne Dinan comme contenant le terme celtique déformé « Dunum » signifiant site défensif et fournissant en même temps une idée de mont, de hauteur. La racine se retrouve dans quantité de noms de villes et de lieux tels : Châteaudin, Verdun, etc...

L'historien Pierre Gaxotte, dans son Histoire des Français, admet cette explication des noms contenant l'ancien terme « Dunum ».

Il ne faut pas conclure de ceci que Dinan fut une citadelle gauloise, car nous n'avons aucune preuve et indice qu'un camp celtique ait occupé l'emplacement de Dinan.

Avant tout habitat le plateau portant aujourd'hui la ville se présentait comme une petite montagne, couverte de bois, dont les pentes s'inclinaient à l'est et au sud-est. Vers la rivière bordée de marécages broussailleux recouverts par le flot de chaque marée. Au sud le terrain après avoir formé un long promontoire, descendait vers un autre vallon encaissé ; à l'ouest s'étendait une zone forestière et marécageuse ; au nord, partie la plus faible de la position, se rencontrait encore la forêt et enfin, au nord-est, un ravin profond dans lequel coulait un ruisseau, achevait la délimitation du site. Sur les bords escarpés de cette dernière dépression s'élèveront les maisons de la première rue de Dinan.

Une pareille position, dominant la voie naturelle qu'était le petit fleuve n'aura pu être négligée de très bonne heure, mais malheureusement il faut confesser notre incertitude.

Il est possible cependant qu'un village ait été là bien avant l'occupation romaine, de l'Armorique. La contrée a été habitée à l'époque des mégalithes comme en témoigne le beau menhir de Saint-Samson. Ensuite, il ne semble pas que le plateau ait abrité une station gallo-romaine.

Dans l'arrière pays, à 11 km. ouest de Dinan, était une cité sur l'emplacement de laquelle s'élève aujourd'hui le gros village de Corseul. Là-bas, dès qu'on remue la terre à une profondeur de 60 centimètres, apparaissent des tessons de poteries, des soubassements d'édifices. On y a exhumé des monnaies, des fragments de sculptures, des morceaux de marbre, des bronzes, des bijoux, prouvant l'importance et la richesse de la ville romaine greffée sur la vieille capitale des Curiosolites.

A Dinan par contre, le sous-sol n'a jamais rien restitué de semblable, pas le moindre vestige révélant une occupation romaine. A Corseul la terre possède des archives ; à Dinan la terre est muette.

Cependant le site de Dinan était encadré par deux voies romaines venant de Corseul. L'une conduisant à Dol passait à Taden, en aval ; l'autre reliant Corseul à Rennes franchissait la Rance à Léhon, 1 km. en amont. La vie était en bordure de la voie et c'est là que ses traces ont été découvertes. En 1858, un paysan trouva un dépôt de monnaies romaines à la lisière de l'ancienne voie, au-dessus de Léhon, parmi des amas de tuiles [Note : En 1853 on avait déjà découvert un dépôt de monnaies romaines à Tressaint en bordure de cette voie] ; pareille découverte eut lieu vers la même époque au lieu dit « l'Asile des Pêcheurs », en Taden, là où passait la seconde voie romaine du voisinage. Dinan n'a pas été cité gallo-romaine, mais ses parages ont été habités en ces temps-là.

Au IXème siècle, seulement, la fondation du monastère de Léhon nous permet quelques déductions, pas trop hasardeuses.

Le roi des Bretons, Nominoé, chassait un jour dans la forêt épaisse qui recouvrait tout le pays. Sa course l'amena dans une clairière où il eut la surprise de rencontrer six moines qui passionnés de solitude s'étaient retirés là, pour mieux s'y consacrer aux méditations. Ils se trouvaient dans le plus complet dénuement, privés de tout secours et de tout moyen de s'organiser pour vivre ; or ils était à 1 km. du lieu où devait être Dinan.

Il ne pouvait donc y avoir d'habitants sur le plateau. sinon ces moines avaient une aide à leur portée ; ou bien un village de pauvres cabanes ne renfermait que des gens aussi misérables qu'eux-mêmes.

Les invasions normandes du Xème siècle balayèrent la vallée. Le monastère de Léhon et la bourgade établie à son ombre disparurent. Il va falloir attendre la libération de la Bretagne, par l'épée d'Alain Barbetorte, pour voir la vie réapparaître sur les bords de la Rance. Les moines émigrés en France revinrent dégager des ronces les ruines de leur abbaye et dès lors, sous l'impulsion de ce grand ordre bénédictin, auquel notre civilisation est si redevable, ce coin de vallée va connaître la prospérité et le peuplement.

Parallèlement à l'action monastique va naître et se développer une organisation féodale, calquée sur celle des Francs.

Après sa libération, de grandes seigneuries avaient morcelé la Bretagne. L'archevêque de Dol Wicohen régnait notamment sur un territoire immense, s'étendant du Couesnon à la rivière de Morlaix. Ce prélat semble avoir été un guerrier plus qu'un évêque. Un vicomte de Dinan, vassal de Wicohen, est cité dans les généalogies, mais cela n'implique pas l'existence d'une ville de Dinan, Le premier document sérieux sur lequel on peut s'appuyer est plus tardif et date du XIème siècle.

Après Wicohen, le grand fief déjà réduit à de plus modestes dimensions passa aux mains d'un autre archevêque, nommé Junguené. Junguené avait quatre frères qu'il installa sur son domaine couvrant encore l'espace compris entre l'Arguenon et l'embouchure du Couesnon. L'un deux qui se nommait Joscelin se vit confier la seigneurie de Dinan comprenant de 50 à 60 paroisses, soit le territoire entre la Rance et l'Arguenon. Il vint établir son chef-lieu sur le bord de la Rance et le nom de Dinan accolé à son nom de Joscelin qu'on trouve cité dans une charte de 1040 permettrait d'admettre la fondation de la ville et son entrée à peu près précise dans l'histoire, dans la première moitié du XIème siècle.

Au-delà de cette date tout n'est que ténèbres et confusion. Les de Dinan, porteront le titre de vicomte, un titre sur lequel on a longuement discuté et qui aurait alors désigné le dépositaire d'un fief plutôt qu'un propriétaire, à ce stade de la féodalité. Joscelin avait donc établi sa résidence sur notre plateau escarpé, le dunum, et à partir de ce temps les influences féodales et monastiques vont se combiner pour donner un développement rapide à une cité nouvelle que l'étroitesse de la gorge de Léhon n'avait pas permis de créer.

Un premier château s'éleva croit-on sur le promontoire nord-est, portant aujourd'hui la sous-préfecture. C'était un château primitif fait de bois, élevé sur une motte, au milieu d'un espace circonscrit par une levée de terre couronnée de poteaux plantés côte à côte. C'est cet édifice représenté, non sans quelque fantaisie, sans doute, par un tableau de la tapisserie de Bayeux.

La ville croit peu à peu et s'étend sur le plateau. Deux fondations religieuses vont être un stimulant.

La première est l'établissement d'un prieuré, en 1066, sous le vocable de Saint-Malo. Autour de ce prieuré grandira un important faubourg. L'autre fondation, le prieuré de la Madeleine, s'établit en 1070, sur la rive droite de la Rance à l'extrémité d'un petit pont reliant les deux rives.

Le prieuré de la Madeleine et celui de Saint-Malo étaient dus à l'initiative et à la munificence des seigneurs de Dinan.

Y eut-il à Dinan d'autres églises que celles de ces prieurés à cette époque ? C'est une question à laquelle il est difficile de répondre. Le clergé séculier connaissait une crise de décadence au XIème siècle et les seigneurs faisaient souvent appel au clergé régulier, avant la réforme grégorienne. Les deux églises monastiques, l'une sur le plateau, l'autre dans la vallée étaient vraisemblablement au centre des deux groupes d'habitants de la ville et suffisaient.

Quel était d'autre part l'état des défenses de la cité qui grandissait ? C'est la même incertitude. Il est probable que les fortifications n'existaient pas en dehors de l'aire du château, abri des habitants en cas de danger. Ou bien y avait-il quelque retranchement rudimentaire dont la terre n'a, en tout cas, gardé aucun souvenir ? Nous aboutissons ainsi souvent à des points d'interrogation pour ces premiers temps dinannais.

En 1123 ou 1124 mourait Geoffroy, seigneur de Dinan. Il avait deux fils, Olivier et Alain qui se partagèrent le fief et la ville en suivant un tracé marqué aujourd'hui par les rues du Petit-Fort, du Jerzual, de la Lainerie et la Grand'Rue.

Le territoire des deux paroisses de Dinan représente encore à présent, ces deux anciens lots dévolus aux enfants de Geoffroy.

Un descendant d'Alain, héritier du côté sud de la ville, Rolland de Dinan, céda sa part au duc de Bretagne, Geoffroy, à la fin du XIIème siècle.

L'héritage d'Olivier comprenant la partie nord revint à la branche d'Alain et passa par alliance à la famille d'Avaugour du Goëllo, le château des d'Avaugour se trouvait en Plésidy aux environs de Bourbriac. En 1264 un de leurs descendants vendit à son tour cette part de Dinan, mais la vente ne fut ratifiée qu'en 1283.

A partir de cette date, la ville ne relèvera plus que de la couronne ducale.

Cependant Dinan avait pris de l'importance dans le cours du XIIème siècle si nous en croyons un rapport d'origine assez inattendue. Edrisi était un Arabe vivant à la cour du roi normand Roger II de Sicile, lequel régna de 1101 à 1154.

Cet Arabe était un savant géographe. Il avait beaucoup voyagé, interrogé d'autres voyageurs, ainsi que des marins, puis rassemblé sa science en un ouvrage intitulé — « délassements de l'homme désireux de connaître les diverses parties du monde ». Dans ces « Délassements » Edrisi parle de Dinan comme étant une ville ceinte de remparts et possédant un port au commerce prospère [Note : La géographie d'Edrisi n'est pas, cependant, un document des plus sérieux. C'est ainsi, par exemple, que cet ouvrage donne Saint-Brieuc situé sur un cap, Dol au fond d'un golfe et le Mont Saint-Michel entouré de vignobles. On se demande devant pareils rapports ce que vaut le renseignement sur Dinan].

Il ne reste apparemment plus rien de ces murs du XIIème siècle ou bien leurs vestiges ne sont pas identifiables. On peut admettre, cependant, que l'enceinte n'avait pas le développement de 2.648 mètres qu'elle atteindra plus tard, représentant, dira un voyageur, en 1636, « plus de demi-heure de promenade », époque où l'on pouvait faire le tour de la ville sur la crête de son mur. Un autre signe de fortune et de croissance de la ville est la construction de l'église Saint-Sauveur dont les dimensions supposent une population, déjà importante, à laquelle ne suffisait plus les églises des prieurés.

Le plateau présentait, néanmoins, de vastes espaces non bâtis qu'occuperont, plus tard, de nouvelles institutions monastiques.

La population se concentre de préférence en marge de la grande voie coupant Dinan d'est en ouest.

La ville étant regroupée sous la seule autorité directe du duc de Bretagne ; à la fin du XIIIème siècle et au début du XIVème se place un remaniement et peut-être même, la première construction sérieuse d'un mur de clôture selon le parcours actuel. Les parties anciennes des portes semblent être de cette époque. Ces remparts seront mis à l'épreuve pendant la longue guerre de Succession de Bretagne et ils ne protégeront guère la ville qui sera notamment pillée, en 1344, par les Anglais, alliés du comte de Montfort un des compétiteurs à la couronne ducale.

Mieux défendue, en 1359, par Du Guesclin, la ville résista, mais pour enfin se rendre à Montfort victorieux après la bataille d'Auray, en 1384, où mourut Charles de Blois, pour qui Dinan avait lutté.

Quelques années plus tard Du Guesclin au service de Charles V venait combattre Jean IV de Bretagne à l'appel des Bretons mécontents de leur nouveau duc trop anglophile à leur gré.

Du Guesclin entra, donc à Dinan toutes portes ouvertes en 1373.

Plus tard encore, c'est Olivier de Clisson qui entre à Dinan avec ses troupes. Dans toutes ces guerres intestines les murs de la ville ne servirent pas à grand'chose, sinon de tribune aux spectateurs, qui regardaient passer les soldats.

En 1379 Jean IV rentré en grâce auprès de ses sujets fut triomphalement reçu à Dinan, en revenant de sa chère Angleterre où il avait dû vivre en exil.

La construction de l'actuel château sera entreprise peu de temps après ce retour. Une révision des murs de la ville dut accompagner ce travail.

Pendant le XIIIème siècle la ville avait continué son évolution et deux grands ordres religieux : les Franciscains et les Dominicains étaient venus prendre possession de larges surfaces, avec leurs bâtiments et leurs jardins. Une grande place, la place du Champ aux chevaux, occupe le centre de la ville et dans son voisinage se rencontrent des rues étroites, bordées de maisons en bois à pignons pointus, où la population du Moyen-Age satisfaisait son goût pour l'entassement.

Après le XIVème siècle longtemps troublé par la guerre civile, le XVème va être une période d'activité et de prospérité pour Dinan.

On est en paix et tandis que la France poursuit sa guerre avec l'Angleterre, la Bretagne se refait sous les règnes de Jean V, de François Ier, de Pierre II et d'Arthur le Justicier.

Sous François Ier il y a tout de même, un moment d'alerte. Depuis les victoires de Jeanne d'Arc, les Anglais pliaient sans cesse devant les armées de Charles VII et leurs bases de Normandie risquant de leur échapper, ils regardaient vers les places bretonnes. Leurs intrigues avec Gilles de Bretagne, frère du duc, n'avaient pas d'autre but qu'une installation dans ces places.

Cette situation inquiétante fut, sans doute, la raison qui amena un renforcement des défenses de Dinan. Le capitaine de la ville Raoul V de Coetquen fit construire de grosses tours avec casemates d'artillerie dans leurs flancs et aux murs épais capables de résister aux coups d'un assaillant bien équipé.

La menace anglaise se dissipa avec la victoire définitive du roi de France. Mais à Charles VII succéda Louis XI qui ne sera pas un voisin de tout repos, pour le duc de Bretagne, ni pour celui de Bourgogne. Il est vrai que lui-même était assez mal à l'aise entre ces deux puissants seigneurs unis par une alliance qui l'obligeait à veiller sur deux fronts.

Les deux ducs ne se montrèrent pourtant pas très habiles à tirer parti de leurs avantages contre ce roi, ramasseur de terres et bon manœuvrier. En 1476 Charles le Téméraire s'épuisait contre les Suisses ; alors le duc de Bretagne sentant venir le danger fit inspecter ses places-fortes, principalement celles qui avoisinaient la frontière française.

Le maréchal de Rieux vint à Dinan où il constata l'insuffisance des défenses de la ville. Aussitôt pleuvent les ordres du duc François II pour l'exécution de travaux considérés urgents. Tous les hommes d'une cinquantaine de paroisses durent se rendre à Dinan pour travailler aux fortifications et de plus des impôts spéciaux furent levés afin de solder les ouvriers qualifiés venus de Lamballe. Si l'on considère l'ampleur de la main-d'œuvre mise en mouvement et sa qualité composée surtout de tâcherons, il est probable que ce fut à ce moment-là qu'on édifia le boulevard de terre (rempart extérieur) qui doublait le mur d'enceinte entre le château et la porte Saint-Malo.

La fausse braye destinée à ménager des défenses à la base de la courtine et consistant en un ouvrage à deux couloirs superposés courant de la porte de l'Hôtellerie à la porte Saint-Malo est, peut-être, aussi de cette époque, contrescarpe et fausse braye se complétant. En effet l'artillerie en progrès pouvait écrêter les murs et compromettre les défenses supérieures ; celles-ci furent, en ce temps, reportées à la base où les canons de l'assaillant ne pouvaient les atteindre au travers du barrage de terre sur l'autre côté du fossé. Une artillerie ainsi protégée interdisait l'approche du rempart.

La ville était alors une place-forte de première importance capable de soutenir des attaques puissantes et bien montées.

Cependant tous ces travaux de défense ne servirent à rien et quelques jours après Saint-Aubin du Cormier, en 1488, les portes de Dinan s'ouvraient aux vainqueurs. Trois ans plus tard la jeune duchesse de Bretagne devenait reine de France, dès lors les places-fortes de la frontière n'eurent plus d'objet.

De temps en temps la reine Anne venait visiter son duché et c'est ainsi qu'elle eut occasion de passer à Dinan à deux ou trois reprises au cours de son règne.

La dernière période du régime ducal avait vu apparaitre un nouvel ordre monastique dans cette ville de couvents. Les Clarisses s'installèrent à Dinan en 1480.

A la fin du XVIème siècle les luttes religieuses apportèrent leurs troubles en Bretagne. Le duc de Mercœur avait obtenu, en 1585, deux places de sûreté dans la province, c'étaient : Dinan et Concarneau. Mercœur, gouverneur de Bretagne, entra en lutte ouverte contre Henri IV à la conquête de son royaume et la malheureuse péninsule devint un champ de bataille où s'affrontèrent pendant des années armées ligueuses et armées royales au milieu de la désolation des campagnes suppliciées par les gens de guerre des deux partis.

Dinan un des gros points d'appui de Mercœur fut alors renforcé avec soin pendant 13 ans. Des forts s'élevèrent autour de la ville sur tous les points faibles où l'ennemi pouvait prendre pied, et pour mieux flanquer les remparts qu'on améliora. Les portes jugées non indispensables où d'une défense difficile furent murées, peut-être aussi pour diminuer les chances de trahison.

La ville encore une fois paraissait imprenable, aussi très grande fut la surprise du roi et de ses capitaines lorsqu'un jour de février 1598 ils virent arriver, hors d'haleine, un brave Malouin du nom de Pépin ayant chevauché d'une traite pour annoncer la prise de Dinan. Cet émule du coureur de Marathon, n'exigea qu'un cheval pour récompense afin de remplacer le sien qu'il avait fourbu. A vrai dire la ville n'avait pas été prise, mais s'était rendue. Les bourgeois de Dinan voyant la fortune de Mercœur baisser, jugeant d'autre part que la guerre n'avait plus de raison depuis la conversion de Henri IV et aussi ne voulant pas connaître les rigueurs d'un siège, s'arrangèrent pour ouvrir leurs portes aux forces royales. Le règne de Mercœur avait cependant apporté une certaine prospérité à la ville. La reddition lui procura de nouveaux privilèges de la part de Henri IV. Les bourgeois de Dinan étaient d'habiles manœuvriers et avaient gagné sur les deux tableaux.

La paix revenue les fortifications connurent une longue période de négligence pendant laquelle chacun s'installa sur les murs pour y planter des choux, y construire des tonnelles, ou moins poétiquement y déposer le fumier des basses-cours.

Pendant la longue phase heureuse du règne de Louis XIV, les places-fortes bretonnes comme Dinan, n'avaient pas un grand rôle à jouer tant que les armées victorieuses tenaient l'ennemi à de grandes distances, mais la fin du XVIIème siècle et le commencement du XVIIIème allaient voir la chance tourner.

Il fallut faire front de toute part et protéger nos côtes menacées par les Anglais.

A la suite d'un voyage de Vauban en Bretagne en 1691, les fortifications bretonnes dont celles de Dinan, allaient reprendre de la vie. Un jeune ingénieur qui devait servir en Bretagne pendant 40 ans constata, en 1693, le grand délabrement de Dinan en tant que place-forte. Les portes et les ponts-levis étaient pourris, les parapets des remparts écroulés, les tours découronnées et leurs matériaux pillés. Le château n'était plus qu'une sorte de cheminée à la carcasse intacte, mais avec tous ses plafonds effondrés. La restauration de la place se termina dans les premières années du XVIIIème siècle.

Le XVIIème siècle avait vu augmenter les fondations religieuses et civiles. Les Dominicaines ou Catherinettes étaient arrivées en 1625 : les Bénédictines en 1628 ; les Ursulines en 1621 ; les Capucins au faubourg des Rouaieries en 1614, l'hôpital général était créé en 1685.

La ville, alors, presque toute construite en bois offrait des alignements de portiques et un dédale de ruelles à l'aspect sans doute, des plus pittoresque, mais insalubres et où de temps en temps les épidémies faisaient des ravages.

A côté de ce réseau enchevêtré, de pignons, d'encorbellements, d'auvents, de porches à piliers de bois, s'étendaient les grands espaces verdoyants des jardins conventuels.

Un corps d'échevins organisé par lettres patentes de Louis XIII, an 1624, administrait la cité.

Dans ce Dinan encore moyenâgeux par son aspect et où les incendies font souvent des vides, le XVIIIème siècle va tailler et trancher préparant la ville moderne, non sans dommage pour les souvenirs du passé.

La ville échangera ses maisons de bois contre des maisons de pierre, cependant que sous l'impulsion du duc d'Aiguillon, des Intendants de la province et des Etats, les campagnes environnantes connaîtront enfin des routes où les voitures pourront circuler sans verser, à chaque instant, dans les fondrières.

C'est alors qu'une voie nouvelle dévala vers la Rance, en emportant une première parcelle du rempart, considéré désormais, de peu de valeur défensive depuis la construction de forts, en avant de la ville, tel le fort de Châteauneuf.

La Révolution fut accueillie à Dinan avec beaucoup d'enthousiasme et tout alla bien jusqu'au début des excès de zèle et des tracasseries diverses qui, chez nous, amènent rapidement la réflexion — Nous en avons assez — Les couvents dépeuplés furent vendus, et les églises connurent les attributions les plus diverses comme partout. On défila, comme partout, aux fêtes du peuple, de la jeunesse, des époux, des vieillards, etc... on s'époumona à crier « Vive la République », « La liberté ou la mort » et autres slogans puis avec le même élan on cria « Vive l'Empereur » et on parla moins de liberté.

Malgré la présence d'une guillotine imposée par le proconsul Le Carpentier, la Terreur passa sans grand dommage. Il y eut beaucoup de monde dans les prisons, mais la fermeture de celles-ci n'était pas très hermétique.

En 1793, on eut peur. L'armée vendéenne battue à Granville se repliait vers la Bretagne. Elle s'empara de Pontorson, de Dol et poussait sur Dinan, des bandes de fuyards qui vinrent y semer la panique. A grand hâte on rassembla plusieurs milliers d'hommes pour se défendre de la masse vendéenne confuse et indisciplinée, ruinant tout sur son passage pour se ravitailler. Les brèches des remparts furent bouchées, une artillerie mise en batterie, des provisions rassemblées et il n'arriva rien, car les Vendéens modifièrent l'itinéraire d'une retraite, qui s'achevait en désastre.

Sous l'Empire furent exécutés d'heureux travaux d'urbanisme, comme l'aménagement de la grande place et d'autres plus regrettables tels de nouvelles percées du mur d'enceinte.

Toutes ces coupures des remparts furent de nouveau colmatées en 1815, pendant les Cent jours, et les portes de la ville remises en état une fois de plus. Elles allaient bientôt s'ouvrir aux troupes royalistes après qu'on eu d'abord juré de n'en rien faire. Comme toujours, au cours des temps, la cause pour laquelle les remparts se garnissaient était une cause perdue.

Quelques jours après, en juillet 1815, la ville fut occupée par un détachement de l'armée prussienne et son commandant ordonna d'abattre les portes ainsi que la démolition des fortifications supplémentaires récemment improvisées.

Le dernier acte militaire des murs de Dinan était joué.

Après cette ultime affaire les vieux murs seront vendus, en 1820, mais l'opération était déjà commencée avant la Révolution. Leur destruction totale sera, même, proposée en 1817. Les conséquences de l'aliénation des remparts furent des mutilations et des enlaidissements que les municipalités contemporaines s'efforcent de réparer.

Après 1815, la ville poursuit une activité industrielle déjà très prospère au XVIIIème siècle mais aujourd'hui éteinte. On y trouve des manufactures de toiles à voiles pour la marine nationale, industrie qui compte de nombreux ouvriers. A côté une quantité de petits artisans tisse des toiles d'usage domestique dont la renommée s'étendait à toute l'Europe ; la coutellerie, la chapellerie, la clouterie, la poterie, les meubles, les draps même dont la fabrication est déjà signalée au XIIIème siècle occupent encore beaucoup de monde.

En dehors de la ville close se déploiera bientôt une ville moderne ne cessant de s'étendre, semant ses villas dans les vallons et sur les coteaux voisins.

La construction du viaduc sur la Rance, d'une part et l'apparition du chemin de fer d'autre part, faciliteront les communications, cependant que l'antique voie fluviale sera améliorée par la canalisation de la Rance.

Une source d'eau minérale déjà exploitée au XVIIIème siècle et malheureusement, à présent, perdue, attirera à Dinan de nombreux visiteurs séduits en outre par la beauté de ses sites, la salubrité de l'air, la facilité de la vie, la douceur de ses campagnes. Les Anglais sont particulièrement conquis par le charme de la petite ville bretonne. Toute une bourgeoisie de l'époque victorienne vient y résider et la colonie anglaise a compté pendant un moment plus de 800 personnes.

Ils y viennent encore en foule, chaque été mêlés à des milliers de touristes de chez nous sachant qu'ils connaîtraient bien mal la Bretagne sans avoir vu Dinan qui est peut-être son plus beau joyau.

 

VISITE DE LA VILLE.

I

DU PORT AU JARDIN ANGLAIS.

Il y a évidemment plusieurs moyens d'arriver à Dinan.

Le chemin de fer dépose le voyageur en un quartier neuf où l'on se trouve tout de suite, en présence de rues droites, sans caractère, mais ou l'absence d'escarpement facilite l'entrée en ville.

Les routes offrent un autre intérêt surtout celle qui franchit la Rance, sur le viaduc, présentant, au voyageur, le beau déploiement des remparts sur le rocher, les murs rougeâtres de l'ancien couvent des Dominicaines et les campaniles jaillissant au-dessus des toits. La vallée qu'on surplomble arrondit ses croupes de verdure moutonnante, au-dessus des méandres du petit fleuve paresseux. Tout cet ensemble peut supporter la comparaison avec n'importe quel paysage célèbre.

Mais rien n'égale l'arrivée au pied de la vieille cité par la plus ancienne et la plus belle voie, la voie d'eau, celle-là qu'ont sillonnée, les barques celtiques ; les drakkars des Normands en route pour brûler le monastère de Léhon ; celle-là que parcouraient les gabares et petits voiliers qui se construisaient en des chantiers établis sur ses rives.

La vedette de Saint-Malo vient s'amarrer en ronronnant au quai du petit port qui ne voit plus guère aujourd'hui que ces modestes et jolis bateaux de tourisme.

Un petit pont de pierre, trapu, fait le gros dos sur la rivière.

Ayant remplacé un pont de bois vers le XIVème siècle il a connu bien des malheurs dont le dernier date de 1944. Les Allemands firent sauter l'arche centrale dans l'illusion de retarder la poursuite des armées libératrices. Il avait déjà vu donner la mine en 1793 pour barrer le passage à l'armée vendéenne, en retraite, après la bataille de Granville.

Pauvre pont du XIVème siècle, il ne reste plus guère d'original, et encore, que les soubassements des piles.

Près de lui une maison à pignon avance pour se mirer dans l'eau. C'est un ancien moulin. Les moulins étaient nombreux en ce secteur de la rivière, certains dépendaient du prieuré de la Madeleine du Pont dont les bâtiments se situaient de l'autre côté sur la rive droite.

La fondation du prieuré remontait au XIème siècle et relevait de l'abbaye de Saint-Florent Lez Saumur. Le prieuré contribua beaucoup à la prospérité du lieu.

Mais au delà du petit port, où quelques barques somnolent, notre attention est fixée par la masse du viaduc, solide comme le pont du Gard, suspendant son tablier à une hauteur de 40 mètres au-dessus du chemin de halage. Avant la Révolution on avait rêvé mieux, un pont à trois rangs d'arcades amenant la route au niveau des remparts et de l'autre côté au ras du plateau de Lanvallay. La dépense fit reculer, pensez donc ! le devis se montait à 300.000 francs. Il y avait de quoi réfléchir. Après tout, c'est peut-être mieux comme cela, car la ligne des remparts et de l'escarpement eut été gâtée et perdu de son harmonie.

Tout à l'angle du rempart, debout, au-dessus des rocs et des branches on aperçoit la tourelle Sainte-Catherine, pareille à une sentinelle placée dans l'axe de la rivière.

C'était en effet un rôle de surveillance qui lui était dévolu, car la vigilance s'imposait autrefois de ce côté.

Le moment est maintenant venu de pénétrer en ville en nous glissant face à l'entrée du pont dans cette rue étroite bordée de maisons arborant de vénérables et curieuses façades. Elle se nomme tout d'abord rue du Petit-Fort et plus loin rue du Jerzual, ou Jarjual [Note : Ce nom mal expliqué est peut-être celui du ruisseau qui coulait dans la rue].

Ici le touriste le plus pressé est un peu contraint à modérer son allure s'il n'est servi par des jambes de 20 ans bien entraînées. Il convient, d'ailleurs, de monter avec lenteur en jouissant de chaque côté, du décor moyenâgeux de ces demeures, de ces échoppes, de ces boutiques gardant l'étal de pierre où s'exposaient les marchandises, de ces tavernes à demi enfouies, évocatrices de beuveries, de lourds escabeaux, de pots et de gobelets d'étain. On distingue des rez-de-chaussée qui sont plutôt sous la chaussée avec des cheminées à manteau de pierre et grosses solives enfumées.

Des maisons penchent en avant, d'autres s'inclinent en arrière bombant le torse, s'arcboutant pour tenir encore. Un ruisseau occupait jadis le milieu de la rue. Il charriait les eaux de pluie dévalant en avalanche les jours d'orage, emportant aussi les eaux usées qui comme dans toutes les villes du Moyen-Age passaient souvent en trajectoire par les fenêtres.

La rue était active et commerçante. Çà et là quelque maison de grande allure comme la maison dite du Gouverneur, à mi-côte sur la gauche, laquelle a été restaurée avec goût.

Pourquoi cette appellation, maison du Gouverneur ? Etait-ce le gouverneur d'un château ayant occupé le promontoire voisin, comme on l'a supposé ? Mais il n'y avait déjà plus de château en cet endroit, lorsque cette maison fut construite et les gouverneurs de la ville n'ont jamais habité ici. Enfin qu'importe cette maison est là une des parures de la curieuse rue montante : chemin faisant on rencontre hélas ! des vides parmi les pignons, le temps et aussi les obus de la dernière guerre sont les auteurs des ruines qui s'égrènent de chaque côté. Il faut souhaiter qu'on arrivera à panser la plupart de ces blessures et que cette rue à décors pour chansons de trouvères offrira encore ses charmes à des générations de visiteurs.

LA PORTE DU JERZUAL.

La porte du Jerzual est un intéressant spécimen d'architecture militaire de la fin du XIIIème siècle ou de la première moitié du XIVème. La porte est pratiquée dans une tour contrairement à l'usage commun des deux tours d'encadrement.

Selon Corroyer son pont-levis était un système original, ingénieux et assez compliqué dont la bascule pivotait sur les deux consoles placées à la base des rainures verticales où ses bras s'emboîtaient.

La porte fut murée pendant les guerres de la Ligue et ne fut rouverte qu'en 1642, il faut croire qu'elle n'était pas indispensable.

A droite, un passage étranglé par la présence d'une maison indésirable, conduit à un terrain vague qui sera un jour jardin public. On a de cet endroit une belle vue, complète d'une des grosses tours de l'enceinte, la tour du Gouverneur.

Encore le Gouverneur direz-vous ! Mais oui, et nous le retrouverons. Cependant il n'est pas obligatoire de citer ce nom ici, car la tour s'est encore nommée tour des Clés et tour du Bignon. Les autres tours des remparts ont aussi des noms de rechange leur ayant été attribués souvent pour des raisons que nous ignorons et que la tradition a conservé pendant un temps. Une maison a été greffée au sommet de ce magnifique ouvrage. Pareille excroissance ne fait pas honneur aux municipalités d'antan mais pouvaient-elles quelque chose puisque les remparts étaient devenus propriétés privées et que la protection officielle des souvenirs du passé est chose relativement très récente.

En face la tour du Gouverneur, des Clés ou du Bignon, comme vous voudrez, se remarque un énorme massif de terre et maçonnerie supportant des jardins. Cette construction un peu mystérieuse, car on ne sait pas encore si elle contient des casemates et des abris (seules des fouilles tireraient cela au clair) est dénommée Grand Fort. C'est un ouvrage élevé à la fin du XVIème siècle quand le duc de Mercœur avait fait de Dinan une de ses places de résistance en Bretagne.

Un mur s'appuyait au Grand Fort et rejoignait une porte avancée, la porte Saint-Sébastien, située à une vingtaire de mètres en avant de la porte du Jerzual. Un autre mur ou épais talus unissait d'autre part, la porte Saint-Sébastien à un second ouvrage nommé Petit Fort situé sur le promontoire portant actuellement la Sous-Préfecture.

La porte Saint-Sébastien fut détruite en 1771, et ses pierres employées à la construction d'un quai sur la Rance. Les autres portes avancées de la ville devaient elles aussi être abattues quelques années plus tard. Sous la voûte ogivale, aux nervures retombant sur des culs de lampe à demi-usés par le frottement des charrois, nous observons la niche où était placée l'image tutélaire, les mâchicoulis, le coulisseau de la herse, les gaines des barres renforçant les battants. L'autre côté de la porte où la boite d'une Vierge est accrochée sous un dais de pierre, nous montre les deux larges baies d'un corps de garde où se concentraient les moyens de défense.

A droite et à gauche, rasant le mur d'enceinte, un boyau qui est l'ancien chemin de ronde. Ce chemin envahi sur presque tout son parcours accompagnait le rempart dans son développement et permettait un accès facile du mur et des tours.

RUE DU JERZUAL.

Nous sommes maintenant dans la ville close et dans la rue du Jerzual. Ce sont les mêmes maisons, de la même génération que celles de la rue du Petit-Fort, les mêmes pignons déjà rencontrés.

La montée, toujours aussi rude, fait songer aux flancs d'une pyramide, ou à l'escalade du Mont Saint-Michel en apercevant plus haut la flèche dominante de l'église Saint-Sauveur.

A une certaine distance en se retournant vers la porte on pense à une entrée de cave sous laquelle il serait nécessaire de se baisser, un magnifique traquenard pour recevoir l'agresseur.

Représentons-nous la physionomie de cette rue avant 1785, quand elle était le seul moyen d'entrée en ville par ce côté et que passaient là, toutes les marchandises à embarquer sur la rivière qui était, encore, la grande voie commerciale. Les lourds chariots descendaient, leurs limoniers acculés dans la croupière, les sabots obliques dans le ruisseau du milieu. Les essieux grinçaient, les charretiers juraient et la boue giclait des pavés disjoints. Les passants se réfugiaient sous les encorbellements pour laisser passer les fardiers traînant les gros troncs d'arbres, destinés aux vaisseaux du roi et qui labouraient la rue avant d'aller labourer la mer. Les jours d'orage le Jerzual devenait torrent (comme aujourd'hui encore) noyant les salles basses, roulant des pierres et même, un jour une pauvre femme qui avait voulu sauver son chaudron, emporté par les eaux. On la saisit au bord de la rivière, la tête écrasée, les membres disloqués.

Arrivés à la hauteur du petit dispensaire moderne, à droite, laissons le reste du Jerzual dont la perspective nous apparaîtra un peu plus tard et enfilons la petite venelle à gauche.

Celle-ci nous conduit à la rue Haute-Voie, coupable d'une trouée du rempart en 1853. Cette rue renferme quelques maisons anciennes, contemporaines de celles que nous venons de quitter. Après avoir descendu à gauche d'environ trente pas, nous trouvons à droite la rue du Rempart, passons par là. C'est une petite rue montante, très calme, peu fréquentée, mais qui nous donne une curieuse illusion.

On a, en, effet, l'impression en voyant son débouché devant nous, qu'un rivage de mer va nous apparaître. Le paysage semble coupé et on imagine par delà des flots grondants et des abîmes.

PANORAMA JARDIN ANGLAIS.

On aboutit bientôt à une esplanade, à un jardin bordant effectivement un précipice au fond duquel la Rance brille à peu près immobile. Et nous voici au sommet de la tour et du rempart, vus d'en bas au-dessus du faîte des grands arbres.

Le panorama est grandiose. Quel phénomène géologique, quelle cassure a creusé cet immense fossé ! et comme la position militaire de la ville se comprend bien au bord d'une pareille défense naturelle. Il en fallait du souffle pour grimper jusqu'ici sous les jets de pierres et autres projectiles.

Maintenant que nous avons atteint — Le haut applany — portant la ville comme dit un voyageur du XVIIème siècle, regardons un peu les détails du paysage qui nous accapare totalement pour l'instant.

En face est Lanvallay, le pays de saint Valay, un des nombreux saints bretons, héros venus de Grande-Bretagne évangéliser et refaire l'Armorique dévastée après les invasions saxonnes. Saint Valay eut un jour des difficultés avec certaines mégères des environs qui le poursuivirent à coups de pierres. Mais la providence veillait et le saint se mit en sécurité en franchissant d'une détente de jarret une vallée, voisine, aussi large que celle qui est là devant nous. Si vous avez le temps, amis touristes, et je vous conseille de le prendre, vous irez voir le ravin de la Fontaine un des plus ravissants sites dinannais, où se passa la performance remarquable de saint Valay.

Dans l'axe de la rivière, tout au fond, à gauche, parmi des rochers et des bois, se distingue le clocher de Pleudihen.

Vers là se trouvent des manoirs vénérables, au bord de leurs étangs et sous l'ombrage des vieux chênes, tel La Bellière gardant le souvenir de Thiphaine Raguenel, l'épouse de Duguesclin.

On boit aussi, à Pleudihen, un cidre renommé, qui, mis en bouteilles, vaut du champagne, dit-on. Celui-ci est tellement cher qu'on pourrait, peut-être, le remplacer par le cidre bouché de Pleudihen.

A droite, tout en bas, après le viaduc, s'incurve le tapis vert d'une prairie et c'est là, bien certainement, que doivent tenir congrès, par les nuits de lune, tous les génies, les korrigans et les nymphes habitant la vallée. Cela est beau sous la lumière du printemps et de l'été ce l'est encore sous la neige hivernale qu'ici rien ne ternit.

LE CHATEAU GANNE.
De l'observatoire où nous faisons la pose tournons légèrement à gauche. On aperçoit, alors, un peu en dessous une grande bâtisse blanche faisant des efforts pour être un château, c'est la sous-préfecture. Le terrain forme en cet endroit un petit plateau triangulaire borné par la rue du Petit-Fort et la vallée au flanc rocheux, deux grandes tranchées naturelles. Il restait à isoler la base du triangle et le lieu était idéal pour y construire une forteresse. Aussi sans que cela soit une certitude absolue ce fut ici que s'éleva le premier château de Dinan au XIème siècle.

La tapisserie de Bayeux nous fournit un dessin du château de Dinan assiégé par le duc de Normandie et son inquiétant allié Harold. Mais nous ne devons pas demander trop de précisions à la tapisserie fameuse, sur ce château des seigneurs de Dinan, sans mépriser pourtant ce document unique où l'artiste a, peut-être, tenté d'exprimer la vérité par le moyen d'un style schématisé, conforme à l'art de l'époque.

Il est évident, en tout cas, que ce promontoire était une belle position appelant d'elle-même l'ouvrage défensif. On pouvait, en outre, de là, se rendre compte du moindre mouvement sur la rivière et la nature avait à elle seule fourni presque tous les retranchements. Est-ce ce château de la tapisserie de Bayeux ou un précédent improbable, ou un suivant possible qu'on nomma château Ganne ? Le nom de château Ganne dont la signification certaine nous échappe se retrouve en d'autres endroits de France. Des archéologues y voient une marque romaine sans donner une démonstration suffisante de cette opinion et enfin le chevalier de la Table Ronde, Bort de Gannes, personnage, quelque peu légendaire, serait responsable de la construction d'un château en cet endroit. Nous sommes en pleine fantaisie et il vaut mieux ne point rechercher la vérité historique auprès des personnages des romans Arturiens.

Il n'y a plus de château ici (sauf la bâtisse moderne) et on serait bien en peine, d'y retrouver la moindre pierre.

Il n'y avait déjà plus rien lorsque le duc de Mercœur fit construire un fort sur cet emplacement entre 1585 et 1598 et à son tour le fort de Mercœur a disparu depuis déjà longtemps.

Le château aurait été détruit dans la seconde moitié du XIIème siècle et au XIVème le lieu était connu sous le nom de Vieil Châtel.

En résumé, il y a eu là, à peu près certainement, un château-fort primitif, mais « ses ruines elles-mêmes ont péri » et nous ne savons rien de lui. Le seul témoignage en notre possession est le dessin brodé sur une toile de lin, sous la direction de la reine Mathilde.

Laissons donc le château Ganne derrière les nuées du passé où se cachent tant d'autres choses et ramenons nos regards vers la rivière pour dire un mot, ou plutôt en reparler, d'un édifice qui se voit lui, car s'il passera, également, comme tout ce qui vient d'une main humaine, il est, pour l'instant, plein de robustesse.

LE VIADUC.
Le viaduc fît parler de lui, bien longtemps, avant la pose de la première pierre le 3 septembre 1846. Le 4 décembre 1780 notamment la communauté de la ville de Dinan demandait l'établissement d'un pont qui faciliterait les relations avec la Normandie. Nous avons déjà parlé d'un projet de viaduc à trois rangs d'arcades superposés qui fut étudié vers ce temps-là. Deux ingénieurs célèbres : Liard et Brémontier en avaient donné les plans.

Le gouvernement de Louis XVI et les Etats de Bretagne firent seulement les frais d'un chemin descendant au vieux pont. C'est l'actuelle rue du Général-de-Gaulle. Cette route absorbait trop d'argent à une époque où les finances publiques n'étaient pas bien fameuses, selon l'habitude pour permettre par surcroît la dépense d'un viaduc.

L'établissement d'un nouveau grand chemin au flanc du plateau évitait enfin le difficile et dangereux Jerzual, mais n'arrangeait les choses qu'imparfaitement.

Pour aller vers Saint-Malo, ou Rennes il fallait toujours descendre dans la vallée et remonter la rude côte de Lanvallay au bas de laquelle il était besoin d'atteler des chevaux de renfort.

Le projet d'un viaduc devait revenir à l'étude, il se révélait nécessaire.

En 1836 il fut question d'un pont suspendu dans un étranglement de la vallée, plus près de Léhon, entre la tour Longue, tour actuellement dans une propriété privée, et les champs de Lanvallay sur l'autre côté.

Cela n'eut pas de suite et on discuta encore pendant des années avant qu'une décision soit prise, en 1845, sous le gouvernement de Louis-Philippe, mais il n'était plus mention du projet colossal de Brémontier. Le viaduc fut ramené aux dimensions qu'on lui voit. Il y eut naturellement des protestations venant surtout des commerçants du Jerzual et du quai dont la clientèle déjà écartée par la construction du Grand Chemin allait désormais passer au-dessus de leurs têtes.

Les travaux commencèrent en 1846, employant une petite armée d'ouvriers. Après six années de chantier le viaduc fut inauguré le 13 septembre 1852. La dépense s'était montée à 1.053.727 francs — comparez ce qu'on obtiendrait aujourd'hui avec le même nombre de francs.

Il avait été question de nommer l'ouvrage pont de Nemours en hommage au duc de Nemours, fils de Louis-Philippe, qui avait visité Dinan en 1843. En ce temps, les régimes étaient éphémères, en France. En 1852, la famille de Louis-Philippe errait à l'étranger. On pensa peut-être qu'il ne serait pas prudent de le nommer pont Napoléon, que ce serait du provisoire. On eut raison et le viaduc est resté le viaduc. Le 7 août 1944 les Allemands firent sauter deux arches, ce qui retarda d'environ deux heures la poursuite américaine, mais a coûté cher au contribuable.

SUR LE JARDIN ANGLAIS.
Avant de quitter notre observatoire, car nous sommes toujours sur la tour Sainte-Catherine, parlons, tout de même, un peu de celle-ci.

Cette tour, de guet, bien dans l'axe de la rivière, est probablement une des plus vieilles de l'enceinte mais non dans son état actuel car elle a connu de nombreux avatars dans son architecture et dans sa dénomination. Au XVIIème siècle, par exemple, on la nommait tour du petit Rempart [Note : Un inventaire de l'artillerie de Dinan, en 1495, donne des noms de tours dont pas un seul n'est demeuré]. Elle semble avoir possédé trois étages et, sans doute, une toiture. Les réfections de la superstructure dont les derniers travaux sont assez récents ont fait disparaître l'escalier d'accès qu'il est difficile d'imaginer. On ne peut y pénétrer aujourd'hui que par une ouverture extérieure. Cette tourelle élégante, légèrement incurvée sur son socle de granit est à présent, un magnifique belvédère.

Uni à son flanc le vieux mur d'enceinte, montrant encore les corbeaux des anciens parapets détruits, s'étire au long du jardin que nous allons maintenant examiner.

Nous passons devant le buste de l'explorateur Pavie exhibant une barbe de patriarche et un sombrero présentant ses bords à la promenade des petits oiseaux. L'explorateur Pavie, né à Dinan, a laissé de bons souvenirs au Laos et au Cambodge et sa mission, là-bas, y rendit notre pays sympathique, nous fit aimer.

Le jardin occupe l'emplacement du cimetière de la paroisse Saint-Sauveur. Ce cimetière devenu un charnier malsain fut désaffecté en 1833, et démoli en 1850. Un mur bordé de grands peupliers isolait le cimetière de la promenade du rempart, ou chemin de ronde, et des noyers croissant parmi les tombes étaient une source de profits pour le général de la paroisse. En 1779 les noyers furent remplacés par des pommiers. Des arbres magnifiques ont aujourd'hui poussé sur cette cendre des morts. Une colonne de granit y a également poussé, portant à son sommet le buste en marbre, par Maindron, de Néel de la Vigne, négociant dinannais. Révolutionnaire modéré, il fut ensuite très bien avec l'Empire, fidèle sous-préfet de Napoléon et de Louis-Philippe et surtout un généreux bienfaiteur de la ville qu'il fit très largement profiter de sa fortune. Cependant sans faire injure à Néel de la Vigne nous pouvons penser que cette colonne pourrait aussi bien être ailleurs, elle y serait même mieux.

Ce n'est d'ailleurs pas ce monument qui a immédiatement retenu notre attention malgré sa taille, mais bien l'abside de l'église Saint-Sauveur.

SAINT-SAUVEUR.

Le gothique finissant du début du XVIème siècle a prodigué ici tout un épanouissement de pinacles, de gargouilles de crochets, de fleurons, de colonnes cannelées, torsadées.

L'ensemble se détache sur le fond du jardin en une harmonie architecturale qui conduit le regard des chapelle rayonnantes à la voûte du chœur et de là au sommet du clocher à trois petites coupoles d'ardoise. Les arcs-boutants manquent et font un peu défaut. Leurs points d'attache et leurs piliers ont été prévus mais ce qu'on n'avait pas envisagé, c'était l'absence de crédits qui fit renoncer à une voûte en pierre, pour une voûte en plâre plus économique, réalisée tardivement, et rendant inutile l'appareil de soutien qui habituellement dans les églises gothiques joue un rôle à la fois nécessaire et décoratif.

Les chapelles absidiales ont été d'abord couvertes d'une plate-forme pour y établir du canon, en cas de besoin, et s'opposer à des batteries qui auraient pu s’installer au sommet de la falaise sur la rive droite de la Rance. Puis comme aucun mortier n'a jamais pris position sur ces terrains, il a fallu, vers 1653, mettre des toitures sur les chapelles, car la pluie s'avérait plus-dangereuse pour l'église que les éventuels boulets d'en face. C'est d'ailleurs mieux comme cela. Les plates-formes sont toutefois demeurées, sous les toits d'ardoise.

Dans un moment nous retrouverons l'église Saint-Sauveur, notre itinéraire qu'il faut poursuivre nous y ramènera.

L'HOPITAL.
Donnant sur le jardin, côté midi, se trouve l'entrée de l'hôpital-hospice. De grands toits, des cheminées monumentales annoncent un XVIIème siècle se souvenant encore du XVIème, tandis que la façade de la chapelle révèle le goût dit « style jésuite ».

La grande cour devant la chapelle, jadis plus largement accessible au public se nommait place Sainte-Catherine.

Les bâtiments furent terminés en 1664 et occupés la même année par des religieuses dominicaines dites Catherinettes, de la réformatrice Catherine de Sienne. Dans ce couvent les dominicaines tenaient pensionnat pour jeunes filles de la noblesse et bourgeoisie de Dinan et des environs.

La Révolution expulsa les Catherinettes. Les locaux servirent d'abord à loger des prisonniers anglais, puis comme Dinan connaissait de fréquents passages de troupe et qu'il n'y avait pas de casernes, le couvent fut affecté au logement des soldats. En 1810, on estimait pouvoir y caserner mille hommes, mais il n'y séjourna jamais que de plus modestes détachements. Ce lieu de prière et de recueillement dut entendre alors quelques patenôtres peu orthodoxes.

Avant que la Révolution eut livré ainsi les établissements religieux, le logement des troupes était une charge considérable dont la communauté de ville ne cessait de se plaindre.

Pour des régiments en continuel déplacement, il fallait trouver des maisons, des lits, des ustensiles, caser les officiers chez l'habitant et très souvent l'excédent des soldats et des sous-officiers. Et ces hôtes de quelques jours, ces soldats dont beaucoup étaient ramassés par le sergent recruteur, n'étaient pas toujours d'une tenue exemplaire.

En 1816 l'hôpital-hospise de la ville occupant l'actuelle mairie et des bâtiments voisins disparus, fut transféré aux Catherinettes. Il y est demeuré. Les malades sont confiés aux soins des sœurs de Saint Thomas de Villeneuve qui assumaient déjà ce rôle hospitalier à l'ancien Hôtel-Dieu de Dinan avant la Révolution. On a recueilli là bien des misères y compris les enfants abandonnés qu'on apportait quelquefois jusques de Jersey. On les déposait sur le seuil après avoir sonné et on s'enfuyait. Vers 1862, ces abandons étaient encore fréquents, une souricière établie près de l'hôpital amena l'arrestation de malheureuses femmes venant se décharger de l'enfant qu'elles voulaient oublier. Mais les autres hôpitaux de France ramassaient aussi des enfants abandonnés.

L'ancienne chapelle des Dominicaines, conçue pour les besoins d'une communauté religieuse, ne manque pas de caractère avec sa façade composite. L'intérieur renferme un beau vieux bénitier ainsi que des dalles funéraires où se voient des blasons et des inscriptions à demi-effacés. A gauche de l'autel, la partie réservée aux religieuses possède une voûte lambrissée entièrement recouverte de peintures d'une assez bonne main et bien conservées.

Revenons au rempart où nous trouvons à l'angle du mur de clôture de l'hôpital, une petite tour engagée dans la muraille. On la nomme aujourd'hui, tour Cardinal, mais au XVIIème siècle nous apprenons qu'il y avait là un corps de garde sans dénomination particulière. La tourelle, même, peu saillante est une poterne qu'il faut surtout voir du sentier extérieur où elle montre sa belle ouverture en ogive. Il serait souhaitable de voir restaurer et remettre en service cette jolie poterne qui, au bout des petits chemins sinueux venant de la vallée, donnerait une entrée assortie à la ville médiévale et d'un autre caractère que la brèche pratiquée dans le rempart en 1847, lui faisant une blessure de plus, qu'il faudrait refermer.

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II

DU JARDIN ANGLAIS

A LA PLACE SAINT-SAUVEUR.

Longeant à présent la clôture de l'hôpital, en cheminant sur la crête du mur d'enceinte dont le parapet reconstruit ne repose plus sur les anciennes consoles, nous allons jouir pendant un moment du paysage admirable déjà en partie inventorié lors de notre halte sur la tour Sainte-Catherine. Les vieux Dinannais eux-mêmes ne se lassent pas de flâner par ici. Cette vallée est comme un dépôt de perles et de pierres précieuses. Tout en marchant nous pouvons aussi observer combien il a été facile de donner à Dinan des fortifications solides.

Sur une grande partie de son parcours, le rempart s'appuie de toute sa hauteur à la masse rocheuse du plateau. Il n'est en quelque sorte, sur beaucoup de points, qu'un large mur de soutènement renforcé par derrière de l'épaisseur indestructible des terres et des rocs. Il a donc suffi de donner une pente verticale à la montagne et d'y adosser la muraille.

Les grosses tours pour artillerie ne se rencontrent pas de ce côté, défendu naturellement. Tant que les canons n'eurent qu'une faible portée de quelques centaines de mètres, la place était à peu près invulnérable au bord de ces escarpements. Les tours qui s'échelonnaient sur cette partie du rempart étaient petites, appropriés pour recevoir un armement léger.

Ces réflexions nous amènent à un tournant du mur. Là, dans cet angle, se dressait la tour Sainte-Catherine, la vraie. Elle portait, du moins, ce nom au XVIIème siècle, probablement à cause de son voisinage avec le couvent des Catherinettes. Avant la construction du couvent peut-être se nommait-elle autrement. Les Dinannais semblent avoir cherché à compliquer les recherches des curieux, du passé, en tripotant les noms de leurs tours. Les fortifications de Dinan dont nous possédons un inventaire daté de 1693 où se trouve consigné leur état de délabrement avaient été laissées à l'abandon pendant très longtemps et négligées par Henri IV, Louis XIII et aussi par Louis XIV, pendant toute la période heureuse de son long règne, elles tombaient en ruines. La fin du XVIIème siècle va montrer le danger d'un assaut possible de nos côtes. En 1692, après la bataille de la Hougue, 22 navires de Tourville avaient échappé à l'ennemi en venant s'abriter dans l'embouchure de la Rance ; en 1693, Saint-Malo sera bombardé pendant trois jours par 10 vaisseaux anglais ; en 1695, nouveau bombardement de Saint-Malo par 70 bâtiments anglais et hollandais. La Bretagne devait donc assurer sa protection et réviser ses défenses.

Le voyageur de 1635, dont nous avons déjà fait mention, nous signale que les tours et les murs de Dinan s'ornaient de jardins, preuve que déjà chacun en prenait à son aise avec ces ouvrages militaires. Mais à la fin du XVIIème siècle, ce sont de grands arbres qu'on y voit dont les racines disloquent les voûtes, écartent les pierres et de temps en temps une section des parapets s'écroule, venant contribuer au comblement des douves.

L'armement de la ville consistait en trois canons de fer sans aucune munition, le reste de l'artillerie avait été enlevé vers 1673 pour être transporté en des places plus intéressantes.

Avec leurs remparts délabrés et leurs trois pétoires sans affût, ni poudre à mettre dedans, il ne manquait pas un bouton de guêtre au Dinannais et on pouvait voir venir.

La tour Sainte-Catherine, rasée vers 1783-85 par le passage du Grand Chemin, avait été transformée en commodité et sa plate-forme était décorée d'un de ces édicules que nous cherchons aujourd'hui à dissimuler. Un grand travail de nettoyage et de restauration générale remit pourtant les remparts en état, mais d'autres injures les attendaient.

En face de la tour et dans la descente vers la vallée était un ouvrage avancé, une sorte de fort, élevé à la fin du XVIème siècle, quand Dinan était ville ligueuse, Nous avons déjà rencontré de ces fortins, nous en retrouverons d'autres. ou leur emplacement comme ici.

PROMENADE DE LA DUCHESSE-ANNE.

Une allée ombreuse plantée sur le rempart s'ouvre à présent devant nous, pareille à une longue tonnelle avec son toit de branches enlacées. La Duchesse Anne a prêté son nom à cette belle promenade insuffisamment connue des touristes. La popularité d'Anne de Bretagne est venue jusqu'à nous et son nom fleurit un peu partout, en concurrence aver l'autre célébrité qu'est Duguesclin. Les deux personnages sont à l'honneur dans la plupart des villes bretonnes et parlieulièrenient ici à Dinan. La duchesse illustre n'a probablement jamais mis les pieds sur ce rempart d'où cependant elle pouvait avoir une fière idée de son duché. La plantation en promenade est assez ancienne puisqu'elle figure au plan cadastral de 1810. Un pensionnat voisin tenu par des Ursulines a joui pendant longtemps de cette belle allée de tilleuls. Il arrive aujourd'hui d'y déranger quelques couples d'amoureux échangeant confidences et habituelles promesses.

Tout en avançant sous les arbres, contemplons la vallée profonde où parmi les frondaisons apparaît. ou un coin de prairie d'un vert tendre, ou bien des rochers parés de mousses et au fond de la perspective des pentes et des gorges, la petite église, ancienne abbatiale, de Léhon, puis par delà encore se distinguent de nouvelles lignes de monts et de vallons, d'autres vagues végétales, estompées de vapeurs et de brumes légères. La nature change le décor à chaque saison et renouvelle sans cesse le charme incomparable de ce paysage. Le printemps couvre les champs de Lanvallay, des tapis jaunes de la navette, les croupes érigent leur moutonnement de feuillages où s'associent toutes les nuances du vert ; les prairies fourmillent de paquerettes et de boutons d'or, cependant que les genêts parmi les roches plient sous le poids des fleurs. L'automne glisse une nouvelle toile de fond et octobre répand sur la vallée toute lu magnificence des ors et des roux.

Revenons au rempart, où le passage de la route, sous la promenade, a encore détruit une des tours. Cette tourelle dite du bois Harouard parce que faisant face à un bois de ce nom, ne possédait qu'un étage voûté et mesurait vingt-et-un mètres de circonférence au sommet. Des tourelles semblables accrochées à la livre du précipice s'échelonnaient donc de ce côté. Nous allons en rencontrer une autre, la dernière.

A la suite de la tour du bois Harouard se trouvait un corps de garde, sur la courtine, et puis celle-ci que nous devons imaginer coupant la rue à hauteur du numéro 10, se retrouve dans cette propriété pour aller s'unir à la base d'u

n éperon de rocher, surmonté et très exactement couvert par la dernière tourelle annoncée à l'instant. C'est la tour Longue et l'endroit a été jadis populairement connu sous le nom de Casse-cou, à cause du gouffre surplombé.

La tour qui avait autrefois été coiffée d'un toit d'ardoise est aujourd'hui comblée et convertie en terrasse. On peut l'apercevoir du fond de la vallée, sous une parure de lierre, émergeant des grands arbres comme un château de légende, un débris de vieux burg.

Le rempart poursuit sa course marquée par un beau cèdre et le mur de la propriété voisine. Il rencontre bientôt une grosse tour que nous verrons, plus tard, au cours de notre visite. Nous sortirons maintenant sur la rue ouverte, peu d'années avant la Révolution, comme nous l'avons dit. Non seulement le but de cette voie était de dégager la ville, mais correspondait à une utilité stratégique. En 1758 lorsqu'on avait voulu faire passer l'artillerie de Saint-Malo par Dinan, pour atteindre Saint-Cast, les affûts s'étaient rompus dans le Jerzual. Le ministère de la guerre supporta une partie des frais de la construction de cette route. Nous ne nous y arrêterons pas et nous prendrons à droite une autre rue moderne percée à travers des jardins où les religieux prêcheurs d'à côté venaient méditer leurs sermons. D'immenses jardins monastiques occupaient ainsi une grande partie de la ville. Passons près des anciens batiments claustraux des Dominicains où sur l'emplacement du cloître, est enclavée une chapelle moderne sans rien de remarquable, et allons tout droit à la place Saint-Sauveur, non sans nous arrêter cependant au débouché de la rue pour goûter la vue de l'église très belle sous cet angle.

PLACE SAINT-SAUVEUR.

Cette place se nommait autrefois place du bourg saint-Sauveur, puis place du Champ-Jacquet (des écureuils) en 1792, place Corbigny [Note : Commissaire de Comité exécutif local et Commissaire délégué de la Convention, fut humain et modéré] et, en 1797, place de la Concorde. Le goût de changer les noms des rues et des places ne date pas d'aujourd'hui, comme vous le voyez. Le pourtour était garni de maisons à porches dont il ne reste plus que deux témoins : la maison où naquit l'explorateur Pavie et celle plus pittoresque qu'est le café, avec son pignon, ses piliers de bois et pierre, sa salle basse où se vident les bolées de cidre. A l'ouest se remarquent aussi les lucarnes XVIIème siècle de l'hôtel de Serizay bordant l'étroite ruelle des morts. Nous allions oublier de citer un des noms de la place : Le Carouer (carrefour).

Le centre du Carouer a été occupé jusqu'en 1755 par une boucherie montée sur des poteaux, sorte de halle, au toit très bas, ouverte à tous les vents. On tuait là des bêtes et les chiens de la ville, s'emparant des déchets abandonnés, allaient les dévorer, en se battant, sur les dalles de l'église Saint-Sauveur et dans l'église des Pères Dominicains. Le passage étroit entre la halle et les maisons à porches était souillé du sang et de la vidange des animaux, ordures que l'on piétinait pour aller aux offices. La viande vendue sur place était la proie des mouches. Comment s'étonner qu'il y eut tant d'épidémies dans ces vieilles villes.

Ce n'était pas tout, la halle était encore un quartier général de mauvais drôles et la nuit venue, dans la ville sans lumières, il était dangereux de passer sur cette place, où l'on pouvait être dépouillé et roué de coups. Mais laissons là ces souvenirs un peu malodorants et tournons-nous vers l'église, un des plus beaux monuments de la ville, des plus intéressant, surtout au point de vue historique et archéologique, par son ancienneté son mélange et sa superposition de styles aboutissant à un un tout disparate, incomplet, mais pourtant harmonieux.

L'ÉGLISE SAINT-SAUVEUR.

L'église Saint-Sauveur s'éleva dans la première moitié du XIIème siècle et fut une église relevant de l'abbaye bénédictine de Saint-Jacut [Note : Comme l'atteste une bulle du pape Alexandre III, datée 1163].

La construction en est attribuée à Rivallon, seigneur de Dinan, qui l'entreprit à son retour de la croisade pendant laquelle il avait été longtemps le prisonnier d'un émir. Il parait que les filles de cet émir se seraient appliquées à rendre douce la captivité du noble dinannais.

Du Saint-Sauveur de Rivallon de Dinan ne subsiste que la partie inférieure de la façade et le mur côté midi. On y reconnait le roman des églises poitevines fortement marqué d'influences byzantines, et il n'est pas impossible que son architecte ait été d'origine orientale ou en tout cas, à l'école d'architectes orientaux. Qui sait ? peut-être quelque maître d'œuvre aura suivi Rivallon dans son voyage de retour.

Le portail orné au tympan, refait, d'un Christ en gloire, ajouté au XIXème siècle, est flanqué de deux arcatures aveugles, elles-mêmes divisées en deux autres arcades où sont logées des statues mutilées. difficilement identifiables par suite de la disparition des attributs, ce sont, sans doute, les évangélistes. Les statues se tiennent debout sur des lions, pareilles en cela, à des statues retrouvées dans les fouilles des villes millénaires sur les bords de l'Euphrate.

Cette conception des statues de Saint-Sauveur nous vient donc des plus anciennes civilisations par le canal de Byzance.

Le mur extérieur, côté sud, avec ses évidements cintres encadrant les fenêtres, est aussi très révélateur d'influences orientales, semblables détails avant été remarqués sur des monuments orientaux.

Les chapiteaux historiés des colonettes de la façade et les modillons du côté sud s'ornent des habituelles figures tourmentées du Roman. Le temps en a peu à peu rongé le relief.

Deux statues comme accrochées à la façade sont : le lion, symbole de l'évangéliste saint Marc, et le taureau, symbole de Luc. Les deux autres évangélistes avaient, peut-être, leur image symbolique, au-dessus, dans la partie romane remplacée à la fin du XVème siècle par une grande baie. Mérimée croit que l'église possédait un narthex. Les chapiteaux romans sous le buffet d'orgue devaient, en effet, supporter des arcs ou des architraves.

A la fin du XVème siècle, soit qu'on voulut l'agrandir, ou soit à cause du mauvais état de l'église, ou bien qu'on eut le désir de l'échanger contre un édifice plus à la mode, on entreprit de rebâtir Saint-Sauveur selon un style qui depuis trois cents ans avait donné des cathédrales et des églises merveilleuses.

Les travaux, commencés en 1480, réalisèrent d'abord le bas-côté nord, ainsi que la partie supérieure de la façade et cela fut élaboré lentement faute de crédits suffisants. Cette impécuniosité devait d'ailleurs accompagner la reconstruction de l'église pendant des centaines d'années. Le chœur s'éleva à partir de 1507. Mgr Briconnet, évêque de Saint-Malo, vint, en 1509, en bénir les travaux.

Les piliers du transept furent construits en 1557-1558 et puis l'édification du chœur qui est une partie des plus admirables languit si bien qu'il reçut seulement sa charpente en 1646. On devait se contenter, au XVIIIème siècle, de le voûter provisoirement avec du plâtre, et ce provisoire dure toujours. Enfin ne comptant plus comme possible une reconstruction totale, on garda la partie romane qui devait être sacrifiée, et l'église fut entièrement rendue au culte, en 1654. L'église entière dans un style gothique eut certainement été une fort belle chose à en juger par le chœur et le bas-côté. Les hommes du XVIIème siècle durent en avoir bien des regrets, mais aujourd'hui nous ne pensons plus de même. L'église romane avait aussi sa beauté et représentait un type de monument devenu très rare en nos contrées. Nous nous félicitons à présent de cette pauvreté de nos ancêtres qui a, du moins, permis la conservation d'une partie de la vénérable église bâtie par Rivallon de Dinan.

Une jolie petite chapelle funéraire dédiée à saint Jean avait cependant troué le mur roman au début du XVIème siècle.

Après 1654 vinrent encore de nouvelles additions, lorsqu'on était en fonds. Le clocher, commencé en 1617, fut terminé en 1666, puis renversé par la foudre en 1749. Il a été remplacé en 1778-1780 par le clocher actuel [Note : L'église a aussi possédé un vieux campanile devant sa façade]. Pendant pius de 600 ans chaque époque a imprimé, à cette église, les marques de son goût, permettant ainsi au curieux de se livrer à des comparaisons.

Entrons par la porte gothique de la façade. Tout de suite nous trouvons un beau bénitier ou plutôt une anciene cuve baptismale paraissant du XIIIème siècle. Des traces de crampons indiquent l'existence d'un couvercle. La vasque, au fond de laquelle se voient des poissons est soutenue par quatre personnages que le marteau du vandalisme a privés de leur tête.

Sous le buffet d'orgue nous irons voir un beau chapiteau roman bien conservé et nous monterons ensuite vers le chœur par l'allée centrale. La nef est voûtée d'un lambris où sont peintes des nervures de mauvais goût qui ne s'imposaient pas.

L'église romane ne fut, probablement, pas voûtée en pierre et devait posséder une charpente apparente ou un lambris connue à présent. Le côté droit développe sa belle muraille austère, allégée d'arcatures, contrastant avec la décoration extérieure du même mur. Il est percé de fenêtres en plein cintre. A gauche les ogives et les parures du gothique s'opposent à la sobriété romane.

La petite chapelle du XVIème siècle, très élégante, très ornementée, creuse une niche plus claire. Un peu plus loin, la chaire est soutenue par de puissants blocs de granit moulurés. Dans le bras droit du transept on remarque l'amorce du bas-côté dont la construction fut abandonnée. Le chœur est porté, comme la nef latérale, par des colonnes, sans chapiteau, d'où s'élancent directement les nervures, comme les branches sortent d'un tronc d'arbre. Les fenêtres hautes versent dans ce beau chœur, ainsi que le qualifie une inscription que nous verrons, une lumière enrichie par les lueurs des vitraux modernes. Cette partie de l'église a été très soignée et mérite d'être rapprochée et comparée avec le chœur de l'église abbatiale du Mont Saint-Michel.

L'autel est sans doute un important et magnifique travail d'ébénisterie mais on ne peut pas dire qu'il s'harmonise parfaitement à l'architecture. Il n'était pas nécessaire de voir si grand, si monumental, ce qui a eu pour conséquence de masquer et couper assez fâcheusement les arceaux du pourtour du chœur.

Tournant par le déambulatoire à droite, nous rencontrons une chapelle où repose l'image vénérée connue sous le nom de Notre-Dame des Vertus. Ce petit bas-relief était jadis conservé au couvent des Franciscains, sa place primitive. L'image sacrée aurait été donnée par saint Bonaventure, disciple de saint François d'Assise, à Henri d'Avaugour, seigneur de Dinan et fondateur du couvent précité. Certains archéologues refusent à l'image une origine italienne et la croient plutôt d'importation flamande. Le père Du Paz qui écrivait au XVIIème siècle, la donne bien, lui, comme venant de saint Bonaventure. Que de difficultés pour s'accorder et trouver la vérité historique lorsqu'on manque de textes précis. L'image de Notre-Dame des Vertus a été très restaurée.

Une colonne du déambulatoire porte une belle inscription, en relief, fournissant la date de mise en chantier du chœur, 1507. La date de naissance du transept, 1557-1558, est de même notée sur un des piliers sud, en une inscription du style de celle-ci.

Toutes les chapelles absidiales ainsi que celles du collatéral nord sont des plus intéressantes avec leurs faisceaux de nervures, leurs clefs de voûtes et les ravissantes crédences qu'on y trouve portant une profusion d'ornements sculptés qui se jouent du granit et dont les motifs se renouvellent de chapelle en chapelle. Dans celle de Sainte-Thérèse de l'Enfant Jésus on remarquera la Vierge du XVIème siècle, très belle, et les deux chapiteaux historiés. Toutes renferment ou plutôt renfermaient des sépultures dont il ne reste que les dalles, portant des armoiries effacées, et au fond l'arc d'enfeu de quelque noble personnage. D'une manière générale, le dallage entier de l'église est composé de ces lames funéraires remployées lors de sa restauration, travail qui amena un exhaussement du sol ayant eu pour résultat fâcheux de raccourcir les piliers du bas-côté et d'enterrer un peu les chapelles.

Revenus au transept nous trouvons, dans le bras du côté nord, le monument contenant le cœur de Duguesclin. Nous avons là une des quatre sépultures du célèbre guerrier breton. Lorsqu'il mourut, en juillet 1380, à Chaneauneuf-Randon, on voulut se conformer au vœu qu'il avait exprimé dans son testament, soit d'être inhumé dans l'église des Jacobins de Dinan, près de ses ancêtres. Le corps fut transporté au Puy pour y être embaumé. Les entrailles, retirées pour cette opération, furent enterrées dans la cathédrale, d'où première sépulture. On se dirigea ensuite sur Clermont où il fut constaté que l'embaumement pratiqué cinq jours avant avait été mal fait et que le corps se décomposait. Appliquant un procédé employé autrefois pour saint Louis mort à Tunis, on fit alors bouillir le corps pour le décharner et les chairs, ainsi décollées par cette manière qui nous semble quelque peu répugnante furent inhumées à Clermont, second lieu de sépulture.

Le convoi reprit sa marche vers la Bretagne, transportant le cœur du connétable dans un étui de plomb et ses ossements dans un cercueil. Parvenu au Mans, le cortège funèbre rencontra un officier royal apportant l'ordre de Charles V de conduire les restes de Duguesclin à Saint-Denis afin de les honorer de la compagnie des rois défunts.

Le cœur, seul continua le voyage vers Dinan et le corps du grand soldat se trouva éparpillé en quatre tombeaux. Le cœur de Duguesclin, enfermé dans sa gaine de plomb, fut déposé dans un caveau de l'église du couvent des Dominicains où se voyaient de nombreuses sépultures des grandes familles de la région.

Quand vint la Révolution, le couvent vidé de ses religieux fut d'abord utilisé pour différents besoins du moment, puis vendu comme bien national et acheté par Néel de la Vigne, celui-là dont nous avons vu le portrait sur une colonne du jardin anglais et qui alors était très mêlé aux affaires de la ville.

Cet important personnage de l'histoire dinannaise des années 1791 à 1846, devenu propriétaire du couvent dominicain, n'en tira pas grand'chose et l'église non entretenue se délabrait. Néel de la Vigne, sous-préfet de Dinan sous l'Empire, tout en exécutant des travaux dans l'église abandonnée, fit rechercher la relique qu'on y avait déposée. Le cœur de Du Guesclin fut ainsi exhumé le 6 fructidor an XII en même temps qu'un autre qu'on estima être celui de Thiphaine Raguenel. La boîte de plomb était accrochée par un anneau au mur d'un petit caveau dans la chapelle du Rosaire au côté nord de l'église. Précédemment, le 23 septembre 1800, le sous-préfet Gagon avait déjà proposé cette exhumation et un transfert dans le temple décadaire.

Le Ministre de l'Intérieur, Champagny, mis au courant de cette découverte, décida que le cœur de Duguesclin serait replacé dans une église de Dinan et qu'on y apporterait aussi la pierre sépulcrale ainsi qu'un vitrail aux armes du connétable, lequel devait être malheureusement brisé. Néel de la Vigne désigna l'église Saint-Sauveur comme étant l'église convenable pour cette translation parce qu'elle était sur la paroisse de celle des Dominicains. Ce fut au cours d'une cérémonie imposante le 9 juillet 1810 que le cœur de Dugesclin levé à l'hôtel de la sous-préfecure où il était en dépôt depuis 1804, fut apporté dans sa nouvelle demeure. L'étui de plomb avait été enfermé dans une boîte scellée contenant des monnaies au millésime de 1810. Un procès-verbal sur vélin enfermé dans une bouteille fut joint à la boite et le tout introduit dans une niche pratiquée dans le mur. La plaque de granit confondue souvent avec du marbre, venant de la sépulture primitive, a été encastrée devant cette niche dans un petit monument surmonté d'une urne symbolique. L'inscription en français du XIVème siècle nous donne un nom de Duguesclin qui ne nous est point familier, Guéaquin, et nous citerons Montaigne disant : A qui touche l'honneur de tant de victoires à Guesquin, à Glesquin ou à Gueaquin. La famille a porté d'abord le nom de Guarplic et le nom prend encore d'autres formes dans les vieux textes excepté celui de Duguesclin relativement moderne. Si nous ne savons pas le nom exact du héros nous ne sommes pas mieux fixés quant à sa date de naissance au manoir de la Motte Broons, date qui ne peut être précisée. En ce temps là vous n'étiez pas matriculé, classé, étiqueté par l'Etat, comme de nos jours.

Du Guesclin avait fondé trois messes par semaine à Saint-Sauveur pour le repos de son âme et celles de ses prédécesseurs.

Dans le récit du transfert à Saint-Sauveur il n'est pas question du cœur de Thiphaine Raguenel que le ministre avait demandé de joindre à celui de son époux. La cérémonie de 1810 est racontée dans la partie inférieure de la moderne verrière voisine.

Avant de quitter le transept de l'église nous allons justement admirer les verrières nouvelles de Saint-Sauveur dont les plus belles s'offrent ici à nos yeux dans toute leur magnificence et leur richesse. Elles procèdent d'une renaissance de l'art du vitrail et révèlent qu'on peut faire aussi bien de nos jours qu'au temps des vitraux de Chartres et de Bourges. C'est une symphonie de couleurs où rutilent des pourpres chatoyants et splendides comme le manteau de Constantin dans la vitre sud. Il faut s'établir ici dans la croisée du transept par une fin de matinée lumineuse pour rêver un moment devant ces étincelantes profusions d'émaux. D'autres vitres du même maître-verrier auront été vues en faisant le tour du chœur et il en est encore, du même atelier, dans la nef gothique qui nous ramènera vers la porte. L'une des chapelles de cette nef contient un beau vitrail du XVIème siècle. Cette verrière dite de Saint Mathurin est de l'époque où l'art du vitrail cherchait à copier des tableaux et subissait l'influence de la peinture italienne ou flamande de la Renaissance. Les vitraux de ce temps là, montrent des ors resplendissants comme celui-ci, dont la situation à côté des vitraux modernes permet des comparaisons de style et de technique. L'église de Moncontour et celle des Iffs, aux environs de Dinan, renferment d'autres magnifiques vitraux contemporains de celui de Saint-Sauveur et sortant peut-être du même atelier.

Lorsque la verrerie de l'église Saint-Sauveur actuellement en bonne voie de rénovation aura été achevée, on y admirera un ensemble unique en Bretagne.

Pendant la Révolution l'église subit différentes déprédations et connut diverses attributions. Elle fût notamment temple de la Raison et de l'Etre Suprême, magasin à fourrage, etc... avant d'être rendue au culte le 5 vendémiaire an IX. Elle est classée monument historique depuis 1845.

 

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III

DE LA PLACE SAINT-SAUVEUR

A L'EGLISE SAINT-MALO.

La petite rue du Cognet en face la chapelle Du Guesclin avait autrefois un pilori où l'on exposait les condamnés. Nous pouvons passer là pour remonter, ensuite, la rue Haute-Voie, quelques maisons anciennes  s'échelonnent dans ce parcours. De la rue du Cognet on a une belle vue de Saint-Sauveur, surtout du clocher.

Nous pouvons aussi remonter la place en passant devant le café à porche qui fait regretter la disparition de tant d'autres maisons semblables qu'on voyait ici et nous prenons la rue de la Larderie à l'angle nord-ouest. Le nom de cette rue serait une déformation de ladrerie c'est-à-dire léproserie. Nous y trouverons une des maisons les mieux restaurées du vieux Dinan, ce dont feraient bien de s'inspirer les propriétaires, qui recouvrent, les leurs, de platras, ou les laissent tout simplement se ruiner. Cette belle maison à pignon et colombages prouve que les anciennes demeures médiévales peuvent s'adapter aux besoins du commerce moderne.

La rue de la Larderie, très courte a pour toile de fond un portail dont l'anse de panier, les moulures, les ornements des jambages et le fronton à feuillages et chimères indiquent la Renaissance.

L'HOTEL BEAUMANOIR.

Ce portail est le reste d'une clôture sur la rue Haute-Voie dont la maison moderne de droite a effacé le souvenir en même temps que celui d'une chapelle qui avait été convertie en boucherie quand celle de la place Saint-Sauveur disparut, en 1755. On avait supprimé une horreur pour en créer une autre.

Passant le portail, nous pénétrons dans une cour à gros pavés et se découvre la façade d'une noble demeure à peu près détruite, en 1943, par un incendie.

Cet Hôtel fut construit, vers 1535 par un membre de la grande famille bretonne des Beaumanoir. Et puisque nous sommes là bien tranquilles, dans cette cour, contemplant les débris d'un luxe d'autrefois, racontons une petite histoire.

Un descendant du bâtisseur de cet Hôtel nommé Toussaint de Beaumanoir servait Henri IV dans sa lutte pour la conquête de son royaume. Le soldat fut mortellement blessé au siège d'Ancenis en 1590. Il laissait une femme qui vint s'abriter, ici, dans sa propriété et y donna le jour à une petite fille qu'on prénomma Hélène. La veuve était jeune, jolie, riche. Elle se remaria.

A l'âge de huit ans et à une époque où les fiançailles s'ébauchaient dès le berceau, la petite Hélène de Beaumanoir fut promise à René Tournemine, de la fameuse maison de la Hunaudaye, lequel avait 21 ans. Quelques années plus tard le mariage fut conclu. Mais cette combinaison matrimoniale réalisée par l'intérêt de deux puissantes familles se révéla désastreuse. René Tournemine battait et maltraitait sa femme, enfant de 14 ans, si bien qu'un jour celle-ci excédée s'enfuit du domicile conjugal pour gagner Pont-L'Abbé où elle s'enferma sous la protection des murs d'un château qu'elle y possédait et soutenue par quelques hommes armés. Le mari, accompagné d'une forte escorte, accourut sur les talons de la fugitive et assiégea sa femme décidé à la reprendre dut-il pour cela renverser la ville de Pont-L'Abbé et son château.

D'autre part le baron de Molac, gouverneur de Dinan et oncle d'Hélène, partit à son tour à l'aide de sa nièce. Tout cela promettait du bruit et du sang répandu quand arrivé sur les lieux Molac trouva les positions conquises et Hélène retombée au pouvoir de son Ménélas. Il avait fallut bon gré, mal gré, réintégrer le logis conjugal.

Cependant ce replâtrage forcé ne dura pas longtemps, Hélène s'échappa de nouveau et vint à Dinan dans cette maison de la rue Haute-Voie à l'abri d'une ville bien remparrée, défendue par son oncle, gouverneur de la place.

L'arrivée de cette Hélène à Dinan promettait de transformer la ville en une nouvelle Troie. Il fallut fermer les portes et faire bonne garde, car Tournemine furieux rassemblant une armée de vassaux se préparait à venir tout dévaster. Il aurait peut-être repris sa femme à la lueur des incendies si celle-ci au grand soulagement, sans doute, des Dinannais n'était partie pour Rennes sous la protection d'une force imposante capable de décourager toute attaque.

En 1606 l'irascible Tournemine, bouillant comme tous ceux de sa race, rencontra près de Rhuys, un Guémadeuc, cousin d'Hélène. On se battit toujours, à propos de la belle et dans la bagarre Guémadeuc fut tué. Tournemine atteint au genou par un coup de pistolet allait mourir de cette blessure au bout de trois ans. Hélène était libre, elle avait 19 ans.

Cette triste expérience du mariage ne l'empêcha pas de convoler de nouveau, avec un certain marquis d'Acigné.

Hélas ! au lieu d'un violent elle était cette fois, au pouvoir d'un mari qui collectionnait tous les vices. Il était joueur prodigue, débauché, tout confit de défauts. La Bastille était désignée pour loger un pareil sujet, il y fut enfermée en 1626 et une séparation de corps et biens suivit.

Cette fois Hélène avait compris. Elle se retira dans son hôtel de Dinan méditant sur sa vie orageuse au sein d'une communauté de religieuses dominicaines dites Catherinettes qu'elle avait établi chez elle. Ayant abandonné sa maison aux religieuses, Hélène alla mourir au château de Limoëlan en Sévignac, d'où son corps fut ramené à Dinan pour être inhumé dans la chapelle de son hôtel-couvent. Nous avons dit que cette chapelle était à l'emplacement de la grande maison bouchant aujourd'hui la moitié de la cour.

Les Dominicaines à l'étroit dans l'hôtel Beaumanoir, gênées, en outre, par le voisinage firent construire sur la vallée le bel établissement que nous avons rencontré où loge à présent l'hôpital de la ville.

Les Catherinettes allèrent prendre possession de leur nouveau couvent le 7 juin 1664. Elles emportèrent les restes d'Hélène de Beaumanoir qui furent ensevelis dans le chœur de la chapelle. L'Hôtel abandonné des religieuses, demeura néanmoins leur propriété et a longtemps été nommé : le Vieux couvent. On l'appelle encore hôtel du Pélican à cause, paraît-il, d'un pélican qu'un chasseur exposa dans cette cour à une certaine date.

En voilà assez et peut-être trop sur cet Hôtel et ses souvenirs, reprenons notre itinéraire en le jalonnant d'histoires un peu moins longues. Ajoutons que la noble maison sera, peut-être, restaurée prochainement.

PLACE DE L'APPORT.

Quelques pas nous amènent à la place la plus curieuse de Dinan. Il faut pour en goûter le charme, se camper prés du premier pilier de la pharmacie à gauche. Sous cet angle disparaissent à peu près les quelques façades modernes pour ne laisser devant le regard que l'aspect ancien d'un ravissant tableau faisant songer à une miniature de Jean Fouquet.

Les maisons à portiques du premier plan et au fond les maisons à colombages et grands toits d'ardoise, de guingois, sont de la fin du XVème siècle ou du commencement du XVIème. L'une d'elles la plus belle à l'angle des rues de la Cordonnerie et du Petit-Pain est dite maison de Saint-Dinan à cause de la présence à l'une de ses encoignures d'une figurine bizarre, agenouillée et pourvue d'ailes, qui ne donne pas du tout l'idée d'un saint. On ne trouve pas de Saint-Dinan dans les hagiographies bretonnes pourtant si touffues.

L'une des petites rues débouchant sur la place, rues bordées de vieux logis pittoresques a gardé son ruisseau du milieu, souvenir d'un temps où en promenade on était mieux contre le mur, sur le haut du pavé. Elles portent des noms rappelant des concentrations artisanales : rue de la Cordonnerie, rue de la Mittrie, où se tenaient des chaudronniers et ouvriers des métaux. La charmante rue du Petit-Pain, conduit à la Halle que nous retrouverons bientôt.

Cette placette nous paraît très resserrée et ressemble plutôt à une cour, mais jusqu'au XIXème siècle c'était encore autre chose car une rangée supplémentaire de maisons la coupait d'est en ouest en formant deux ruelles : la rue des Merciers et la rue de la Voûte, images de l'entassement des cités du Moyen-Age. Les charrettes en passant heurtaient les poteaux de soutènement et tout tremblait.

C'est surtout la nuit que cette place exprime toute sa poésie médéviale quand les passants se font rares et que les enseignes modernes s'évanouissent sur les façades. Le réverbère étale sa lumière sur le pavé, laissant les pourtours dans la pénombre, donnant de la profondeur aux portiques et l'on songe à quelque veilleur d'autrefois apparaissant dans ce clair obscur, avec sa lanterne pour confier aux façades closes l'invitation au sommeil. Il faudrait même oublier ce réverbère afin de se remettre dans l'ambiance car le premier appareil d'éclairage, des rues de Dinan fit son apparition pendant l'hiver 1789 sur cette place même. En 1792 la ville ne possédait encore que trois réverbères et ils avaient été posés par des particuilers, devant leur maison, comme de juste.

De l'endroit où nous nous sommes arrêtés, l'œil plonge d'un côté dans la rue de l'Horloge où se voient aussi de vénérables maisons à piliers et le beffroi avec sa toiture pyramidale ; de l'autre côté la rue de la Poissonnerie présente encore des maisons anciennes. Il y a donc ici un ensemble des plus curieux et des plus artistiques. Les peintres qui nombreux chaque été, installent leur chevalet sous ces portiques pour en fixer le souvenir sont garants d'une telle beauté.

Cette place ou mieux cette partie de place est un reste de ce qu'était la ville tout entière. Presque toutes les rues étaient bordées de files ininterrompues de maisons à piliers offrant l'avantage aux piétons de se promener et circuler à l'abri des averses si fréquentes en Bretagne. C'était appréciable en un temps où le parapluie était inconnu. La communauté de ville fit interdiction, en 1776, de construire de nouvelles maisons à porches et à façades de bois en même temps qu'un plan d'alignement condamnait les anciennes. Celles qui subsistent sont donc bien vieilles, elles sont à soigner car en s'en allant elles enlèveraient à la ville un caractère que les constructions modernes ne renouvellent pas.

Les piliers des maisons face à la pharmacie reposent sur des chapiteaux retournés provenant d'un ancien édifice Roman. Les têtes scupltées à leurs angles, sont d'un art encore bien barbare bien grossier. Ces fragments proviendraient de l'Eglise Saint-Sauveur, extra-muros, dont la fondation remontait au XIème siècle et qui fut détruite, en 1487, pour priver l'armée française d'un bastion aux portes de la ville. La pose, ici, de ces chapiteaux romans date vraisemblablement les maisons appuyées dessus de la fin du XVème ou du commencement du XVIème siècle. Selon une autre tradition ces chapiteaux viendraient de la partie romane de St-Sauveur démolie au XVème siècle.

LES CORDELIERS. (demander l'autorisation de visiter).

Après avoir traversé la place en passant devant deux survivances d'une rangée de maisons à porches, nous nous trouvons devant un portail du XVème siècle, flanqué d'une petite porte ; au-dessus de ces portes le mur est divisé par des niches ayant dû contenir des statues.

C'est l'entrée de l'ancien monastère des frères mineurs de Dinan, un couvent de Cordeliers, aujourd'hui établissement d'enseignement libre.

L'allée conduisant aux bâtiments est bordée, à gauche, par le mur de l'Hôtel dit de Plouër, construit à la fin du XVIème siècle. Une frise de pampres et de grappes très soignée et parfaitement conservée étend sa guirlande sous les modillons du toit. Nous allons retrouver l'Hôtel de Plouër dans un instant. On arrive à une première cour ornée de la margelle d'un vieux puits et de là on jouit d'une belle vue de l'abside de l'église Saint-Malo déployant ses arcs-boutants comme les rames d'une galère, érigeant ses pinacles fleuronnés, brandissant ses gargouilles grotesques.

Un charmant petit pavillon à tourelle paraissant dater du XVIème siècle est posé dans une cour comme un bibelot oublié.

Est-ce le logis dont parle, en 1636, Dubuisson Aubenay, un voyageur érudit « en une petite court il y a un beau logement basti pour un duc ou grand, ou estoient M. le duc de Brissac et M. d'Etampes Valençay logés les 20, 21 et 22 septembre 1636 et où deux ans auparavant au mois de décembre 1634 M. de la Meilleraye estoit logé durant qu'il tenoit les Etats de la province qui s'assembloient dans une salle dudit convent ». Si ces personnages ont logé là, ils étaient tout de même bien à l'étroit.

De l'autre côté se trouve la chapelle moderne datant du début de ce siècle. C'est un joli vaisseau d'inspiration gothique occupant l'emplacement de l'ancienne chapelle des Cordeliers. Dans l'angle d'un mur une pierre tombale scellée debout provient de cette ancienne chapelle démolie, où étaient plusieurs sépultures remarquables. La dalle en question couvrait la tombe d'un certain Raoul Sarcel. Un écu parlant est orné de trois sarcelles. Citons encore Dubuisson-Aubenay à propos de la fondation des Cordeliers. « Mais le plus beau convent qui soit à Dinan et en toute la Bretagne pour mendians, est celuy des Cordeliers dont fut fondateur un Henry d'Avaugour lequel à la fin se feit cordelier et pèlerin de Terre Sainte (les armes d'Avaugour sont au grand vitrail et autres endroits, d'argent au chef de gueules) il est enterré gisant en habit de saint François sur un tombeau de pierre élevé dans l'arceau de la muraille boréale au haut du chœur. ». Le tombeau a disparu.

La fondation des Cordeliers qui remonte au milieu du XIIIème siècle, est due, en effet, à Henri d'Avaugour, seigneur de Dinan. Ayant été fait prisonnier à la croisade, comme auparavant Rivallon, il fit vœu d’établir un couvent de Franciscains dans son château de Dinan. Le XIIIème siècle connut un prodigieux enthousiasme pour le petit moine d'Assise et partout en Europe s'élevaient des monastères de son obédience où souvent les rudes chevaliers du temps se retiraient en abandonnant leur fief.

De retour à Dinan, Henri d'Avaugour installa les moines mendiants dans son manoir où deux de ses compagnons, aussi rescapés de la croisade : Hardouin Tournemine de la Hunaudaye et Geoffroi Bottrel de Quintin vinrent, tout de suite, revêtir l'habit des Franciscains. Henri d'Avaugour allait également faire comme eux et terminer sa vie dans le couvent qu'il avait fondé.

Du monastère primitif et par conséquent du manoir des d'Avaugour. il ne reste rien. Les parties les plus anciennes sont le cloître du XVème siècle dont les arceaux en partie détruits ne conservent vraiment qu'une galerie intacte, et dans une cour derrière le premier corps de bâtiments, une tourelle qui est du XIVème ou du XVème siècle. Longeant le côté est du cloître se trouve l'actuel réfectoire de l'école, qui est l'ancienne salle capitulaire.

Cette salle a servi pour certaines assemblées des Etats de Bretagne lesquels se réunirent un grand nombre de fois à Dinan.

La salle capitulaire du couvent des Dominicains connut aussi la réunion des Etats, qui tous les deux ans, rassemblaient une grande foule de députés dans l'une des villes de la province.

Les moines Cordeliers n'étaient plus que quelque-uns lorsque la Révolution ferma le couvent. Les locaux servaient de caserne en 1791, puis furent vendus comme bien national.

En 1804, un prêtre libéré des pontons de Rochefort, l'abbé Bertier, y ouvrit un collège ecclésiastique et, aidé par des secours racheta l'établissement qui a conservé son caractère d'école privée. L'abbé Bertier est une belle figure de l'histoire dinannaise, providence de la paroisse Saint-Malo, il fonda en outre deux orphelinats où étaient accueillis des enfants que la charité officielle négligeait un peu en ce temps-là.

Sortis des Cordeliers et tournant à droite nous rencontrons immédiatement, dans le fond d'une cour, l'Hôtel de Plouër avec sa tourelle-cage d'escalier à pans. C'était la propriété du sénéchal de Dinan, Marot des Alleux, qui fut, en 1598, l'un des artisans de la reddition de la ville aux mains des forces de Henri IV. Le complot devant délivrer Dinan de l'occupation ligueuse aurait été ourdi dans cet Hôtel. Le roi reconnaissant récompensa Marot des Alleux par des lettres de noblesse. L'hôtel est aujourd'hui désigné par le nom d'un de ses anciens propriétaires. Marot des Alleux fut l'ancêtre d'un homme que sa charité devait illustrer et dont nous trouverons, tout de suite, le souvenir dans un établissement voisin de l'abside de Saint-Malo que nous admirerons en passant.

LA SAGESSE.

Là où s'élève une clinique moderne, dite de la Sagesse, Marot des Alleux de la Garaye fonda un hospice. La fondation est de 1751, et occupa d'abord deux petites maisons bordant la rue de la Boulangerie. Les soins en furent confiés à des Filles de la Sagesse qui d'autre part visitaient et secouraient les malades et les pauvres à domicile. Marot des Alleux était seigneur de la Garaye, en Taden, à trois kilomètres de Dinan, où se voient encore les ruines d'un château à belle façade Renaissance.

C'était d'abord un grand seigneur du XVIIIème siècle qui, ayant tout à coup compris la vanité de sa vie de plaisir, après un accident de cheval subi par sa femme, renonça à toute habitude mondaine pour se consacrer aux pauvres, aux malades, à tous les disgraciés qui souffrent. Il fonda de nombreuses institutions charitables, laissant derrière lui ces témoignages d'un inlassable dévouement, d'une générosité et d'une bonté inépuisables.

Il ne reste rien des anciens bâtiments de la Sagesse. La petite chapelle désaffectée, invisible de la rue si ce n'est la pointe inclinée de son clocheton, date seulement de 1822. Elle a vu prier Mme de Marigny, sœur de Chateaubriand.

La noble dame s'était retirée à la Sagesse où l'on recevait des pensionnaires ayant une certaine aisance et qui là, convenablement logés, y étaient dégagés du souci d'une maison et des ennuis de la solitude. Mme de Marigny mourut, ici, en juillet 1860, elle avait 100 ans depuis quelques jours. Marot de la Garaye, le grand hospitalier, le philantrope, mériterait sa statue dans la cour de cette clinique.

L'ÉGLISE SAINT-MALO.

Si l'édification de l'église Saint-Sauveur connaissant ses additions et ses métamorphoses, s'est étalée sur plusieurs siècles en portant l'empreinte des variations de l'architecture, Saint-Malo a plus d'unité dans son style, mais sa construction a été aussi lente et difficile. L'église commencée à la fin du XVème siècle n'a jamais pu être achevée, comme il est apparent lorsqu'on voit l'espèce d'éteignoir qui tient lieu de clocher.

Ce qui a manqué pour mener à bonne fin la construction de cette église, c'est, bien entendu, l'argent, élément de base de toute entreprise et il en fallait pour la réalisation d'un tel plan, car l'église est un vaste monument.

La première église de Dinan dédiée à saint Malo se trouvait à l'orée nord de l'enceinte de la ville. Cette église paroissiale dépendait du prieuré Saint-Malo, dont nous avons parlé, fondé au XIème siècle par Olivier de Dinan pour huit moines du monastère Saint-Malo-de-l'Isle. En 1108 le prieuré Saint-Malo fut donné à l'abbaye de Marmoutiers qui le posséda jusqu'à la Révolution. L'église était un édifice roman, massif, solide, pouvant servir de forteresse, à l'occasion ; ce fut la cause de sa ruine. Le duc de Bretagne François II, craignant son utilisation par des ennemis, en l'occurence l'armée de Charles VIII, fit démolir la vénéralble église du XIème siècle manifestant toutefois sa volonté de la remplacer à l'intérieur de la ville.

En 1489, Jean de Rohan, gouverneur de Dinan, acheta de ses deniers diverses propriétés pour y asseoir une église. L'évêque de Saint-Malo, Pierre de Laval, donna son approbation au projet de construction en recommandant l'utilisation des pierres de l'ancienne église pour bâtir la nouvelle. Jean de Rohan qui finançait s'était réservé un droit de sépulture familiale près du grand autel. Une inscription, en relief, très belle, sur un gros pilier sud du transept nous apprend que l'église fut commencée le 17 mai 1490. Tant que dura le soutien des Rohan les travaux, entrepris par le chœur, furent menés assez activement, mais ces mécènes s'étant convertis au protestantisme, ils se désintéressèrent d'un temple, désormais, sans rapport avec leur nouvelle foi. Dès lors l'église Saint-Malo allait languir et se traîner au hasard des crédits.

Pendant bien des années le chœur, qui est la partie remarquable et vraiment achevée, fut protégé par une couverture de fortune en attendant sa toiture définitive. Pour comble, des accidents compromettaient ce qui était bâti, tel l'ébranlement des murs, causé en 1598, par l'explosion d'une poudrière voisine.

La Révolution laissa l'église si dégradée qu'on la crut irréparable. Elle ne comportait alors qu'une nef, la nef centrale terminée à l'ouest par une magnifique rose flamboyante. Cette grande nef avait primitivement 3 m. 65 de plus en hauteur. En 1729 elle fut abaissée pour supprimer des parties ruinées depuis l'explosion de 1598, un tel travail en a gâté les proportions. L'espace entre les piliers était comblé par une maçonnerie grossière.

La restauration de l'église, entreprise en 1855, amena en même temps la construction des nefs latérales. Un clocher devait couronner l'édifice qui eut été ainsi achevé, mais quinze ans de travaux épuisèrent toutes les ressources, dont quatre-vingt mille francs donnés par le gouvernement impérial. Les malheurs de 1870 survinrent, on s'arrêta. Les gouvernements de notre époque trouveront-ils un jour les moyens financiers pour terminer un clocher amorcé depuis le XVIème siècle ? Nous n'osons pas trop y croire.

Comme pour Saint-Sauveur, il ne peut être possible. ici, d'entrer dans les détails de l'histoire de cette église. cela nous conduirait trop loin. Nous allons maintenant jeter un coup d'oeil à l'intérieur.

C'est une impression d'espace qu'on ressent dans les larges nefs très claires, mais on se rend compte que les beaux piliers de granit sans chapiteaux sont disproportionnés par rapport à la voûte. Le chœur rachète par sa beauté l'imperfection du reste. C'est ici l'élancement léger des colonnes et des nervures gothiques, la lumière tombant des hautes baies, la majesté d'un art que le goût Renaissance n'avait pas encore entamé. Le déambulatoire est large et dans les chapelles absidiales se voient de très jolies crédences.

Les vitraux datent de la restauration de l'église, ils sont sans grand intérêt artistique. Ces immenses vitres sont consacrées à des événements secondaires d'histoire locale. L'art du vitrail rénové que nous avons rencontré à Saint-Sauveur ne s'est pas encore montré à Saint-Malo.

La chaire, un bon ouvrage du XVIIIème siècle, est venue de l'église du couvent des Jacobins. Deux statues gisantes du XIVème siècle se trouvent dans la nef latérale sud ; un bénitier figurant un diable courbé sous la vasque est un travail moderne ; en face l'autre bénitier octogone est ancien, il a probablement servi de cuve baptismale le Christ en croix sur un pilier du transept est attribué à Santerre.

L'église renferme des beautés cachées, c'est ainsi que le petit escalier nord du clocher se termine par une voûte en parapluie soutenue par une magnifique colonne, enroulée de bas en haut de feuillages en relief. Quelle conscience chez ces maîtres d'œuvre et ces ouvriers d'autrefois qui avaient placé là une pièce si belle que personne ne voit.

Le pavé de l'église est en partie composé avec les dalles d'un cimetière contigu, désaffecté en 1792.

Il faut sortir par la porte sud qui nous montrera extérieurement une belle façade Renaissance à deux baies.

 

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IV

DE L'EGLISE SAINT-MALO A LA PORTE SAINT-LOUIS

PAR LES GRANDS FOSSÉS.

Après la visite de l'église Saint-Malo, nous regagnons la Grande rue ainsi nommée parce que c'était l'artère principale de la ville, l'une des sections du grand axe est-ouest, voie mouvementée, active et commerçante. Dans cette rue dite grande, nous pensons à la largeur qu'on donnait aux petites. Une rangée de maisons disparue couvrait l'église de ce côté ne laissant qu'un étroit passage d'accès au portail. En descendant sur la droite nous trouvons quelques maisons anciennes, à pignons sur rue.

Nous arrivons place Duclos, place qui a été créée aux dépens d'une des portes de la ville, puissante et superbe, avec ses deux grosses tours d'encadrement. La porte dite de l'Hôtellerie parce que voisine de l'Hôtel-Dieu, se trouvait dans l'axe de la Grande rue, prolongée par la rue de la Croix plate et au niveau de la maison portant le numéro 20. Malgré les interventions de nombreux dinannais hommes de goût, la porte fut démolie en 1880-1881. C'était l'aboutissement d'une campagne qui avait duré cinquante ans, d'une lutte entre démolisseurs et « conservateurs » du vieux monument militaire. Parmi les nombreux arguments des « démolisseurs », on relève que la porte, entre autres méfaits, était responsable d'une foule de maladies atteignant les malheureux qui vivaient dans son ombre. On ne comptait plus les pneumonies et même, tenez-vous bien, les gastrites dont la porte était accusée. Ce à quoi quelqu'un de l'autre camp réplique en ironisant, que certainement l'humidité provoquée par la porte devait amener la croissance rapide des champignons au milieu de la soupe, posée sur la table.

La porte de l'Hôtellerie servit longtemps de prison civile, puis dans les premières années de la Restauration. elle fut occupée par un atelier d'enfants indigents. En 1846 Jeanne Jugan, fondatrice des Petites Sœurs des Pauvres, y établit un hospice de vieillards.

La porte de l'Hôtellerie était doublée d'une porte avancée, disposée en chicane à la hauteur de la rue Thiers ; elle a disparu vers 1780. Cet ouvrage avancé était appuyé à un énorme talus couvrant l'emplacement de la rue. Nous trouverons des restes de ce rempart extérieur sur lequel avait été créée une promenade, en 1745. La partie de cette allée surélevée, voisine de la porte avancée, avait été nommée promenade « des secrets », libre à vous de chercher pourquoi. Un petit étang vaseux occupait la douve près de cette promenade des secrets, on y menait les chevaux boire et on y trouvait des cadavres de chiens et de chats.

L'Hôtel de Ville n'est pas une chose qu'on admire sur la place Duclos. La bâtisse élevée dans le même mauvais goût mais à différentes époques, a fait partie d'un hôpital dont les annexes consacrées aux malades incurables se plaçaient en bordure de la Grande rue. L'hôpital déménagea, en 1816, pour s'installer où nous l'avons rencontré. Les locaux furent ensuite adaptés, en 1817, pour un casernement de trois cents hommes et enfin les services municipaux s'y installèrent en 1822. Les murs postérieurs des deux ailes sont construits sur la racine de l'ancien rempart. Un magnifique blason mi-partie France et Bretagne orne la façade.

Décroché de la porte du Jerzual probablement pendant la Révolution, lorsqu'on détruisait tous ces emblèmes, il a été posé ici en 1852. L'autre blason aux armes de la ville fut sculpté à l'occasion du passage de Napoléon III à Dinan le 18 août 1858.

Au centre de la place Duclos, sur un très beau socle de granit se dresse la statue de Jean de Beaumanoir, le héros du Combat des Trente.

Nous sommes, en cet endroit, aux confins ouest de la ville close, au delà s'étend le faubourg des Rouaieries où les ducs de Bretagne possédaient une maison de plaisance dont l'emplacement ne peut être indiqué aujourd'hui.

Prenons maintenant la rue de la Croix, à droite de la place en sortant de la Grande rue. Derrière la rangée de maisons côté gauche, l'ancienne courtine s'allonge enclavée dans les propriétés qui étreignent ses deux flancs. Côté rue Thiers, dans la cour de la maison portant le numéro 14, on peut voir une section de mur ayant gardé son parapet. Le chemin de ronde courant à la base intérieure du rempart a depuis longtemps été absorbé par les riverains.

Une façade moderne de la rue de la Croix, le numéro 14, est timbrée des armes de Du Guesclin. Là était une maison attribuée aux Raguenel de la Bellière et on suppose que Du Guesclin serait venu ici offrir ses hommages à sa fiancée Thiphaine. La rue Saint-Charles, quelques pas plus loin, a coupé un large domaine occupé, de 1621 jusqu'à la Révolution, par des Ursulines qui avaient placé leur établissement sous le vocable de saint Charles Borromée. C'était un quadrilatère borné à l'est par une impasse, aujourd'hui la rue de la Sagesse ; au nord par le rempart ; à l'ouest par la rue de la Croix ; au sud les bâtiments des Ursulines confinaient à d'autres propriétés. Un reste de l'ancienne chapelle se trouve à l'angle des rues Saint-Charles et de la Boulangerie.

En face, de l'autre côté de la rue, un bâtiment orienté à l'ouest, parait remonter à la fondation. Des murs de clôture sur la rue de la Croix et à l'opposé du côté est sont d'une immense hauteur. Les pensionnaires des Dames Ursulines étaient à l'abri derrière de pareils écrans.

La Révolution vida tout le monde et les locaux furent vendus au profit de la Nation.

A l'angle de la rue de la Boulangerie et de la rue Saint-Charles qui, en cet endroit, est ancienne et s'est nommée rue des Trois-Miches, une grande maison à gauche a été habitée par lord Kitchener enfant.

Le vieux domaine des Ursulines verra bientôt s'élever des maisons modernes.

La rue de la Croix s'achève en boyau, aboutit à une coupure du rempart pratiquée sous l'Empire et se prolonge par un remblai sur les anciennes douves à demi comblées. Nous sommes alors en présence du mur d'enceinte nord de la ville. C'était le côté faible de la place ainsi que le côté ouest, renforcé lui cependant, par des fossés marécageux. En conséquence l'art des fortifications a cherché pour le mieux à suppléer aux protections naturelles trop indigentes. C'est par ici qu'étaient les tours les plus grosses et les plus rapprochées, tours construites ou rebâties au XVème siècle pour renfermer de l'artillerie, les remparts de Dinan ayant été à cette époque profondément remaniés. En outre depuis la porte de l'Hôtellerie jusqu'à la porte Saint-Malo que nous verrons tout à l'heure, la masse du mur était renforcée d'un ouvrage dont nous avons déjà parlé et qu'on nommait une fausse-braie, ouvrage consistant en deux galeries superposées dans lesquelles se logeaient des pièces d'artillerie, ou bien trouvaient place des hommes munis d'armes légères, d'arbalètes même, dont l'emploi n'avait pas disparu de l'armement au XVème siècle. Un fragment ruiné de la fausse-braie est encore visible à droite, en sortant de la rue de la Croix.

Maintenant, devant nous se présente un épais et haut talus planté d'ormes gigantesques formant ce qu'on nomme la promenade des Grands Fossés. C'est le reste d'un rempart extérieur déjà signalé, une sorte de puissante contrescarpe qui ajoutait l'obstacle de sa masse, en se développant depuis le château que nous verrons bientôt, jusqu'à la porte Saint-Malo et courait ainsi de l'autre côté de la douve sur la moitié de l'enceinte. Ce rempart de terre est en majeure partie nivelé, il n'en subsiste que la section, là devant nous, diminuée et aplanie quand la promenade fut plantée en 1745. L'artillerie logée à la base du mur dans les casemates de la fausse braie était abritée par ce gros talus et pouvait interdire un assaut à travers les douves si celui-ci s'était produit, mais l'occasion ne s'en présenta jamais.

Voyons à présent le mur qui surplombait de larges et profonds fossés et que nous allons suivre en nous dirigeant vers l'est. Commençons par son angle, où au-dessus d'un paisible jeu de boules se trouve la tour Saint-Julien, ou encore tour Hunaudaye. Plus élevée autrefois et couverte d'un toit, elle fut ruinée par l'explosion de la poudrière qui s'y trouvait lors de l'affaire de 1598. Nous avons dit quelque chose de cette explosion en parlant de l'église Saint-Malo. Un des hommes de la garnison ligueuse avait laissé une mèche allumée avant de quitter la position. La tour aménagée en plate-forme d'artillerie au XVIIIème siècle est découronnée et comblée.

Devant cette tour, à l'endroit où se dresse le monument aux morts de la Grande Guerre, était un bastion triangulaire disparu. Cet ouvrage, qualifié éperon, flanquait le mur en direction de la porte Saint-Malo.

Longeant le rempart, nous rencontrons une autre tour, la tour de Lesquen, ou de la lande Vaucouleurs, ou encore tour St-Charles parce qu'elle se trouvait appuyée à l'enclos des Ursulines. Cette tour qui n'avait pas été terminée est maintenant très mutilée intérieurement et sert de cave à un marchand de vin. Des casemates d'artillerie y sont pourtant encore visibles.

La brèche du rempart, à la suite, est de la même époque que celle de la rue de la Croix — ouverture pratiquée pour atteindre plus facilement une fontaine —. L'établissment scolaire venant après a aussi fait table rase d'une autre section de mur et la rue suivante débouchant dans le fossé a, en 1808, renversé une tour, la tour d'Avaugour, où de la rue Neuve qui au XVIIIème siècle était encore logeable puisqu'on y enferma des prisonniers anglais. Toutes ces démolitions montrent le peu de cas qu'on faisait de fortifications jugées alors sans utilité militaire. La municipalité de Dinan avait même obtenu, en 1787, permission de démolir les autres tours que nous venons de voir et si cette destruction ne se fit pas c'est parce que d'autres soins plus pressants s'imposèrent. La Révolution survenant allait fournir des occupations différentes et faire comprendre qu'il ne fallait pas trop se presser de démolir des fortifications qu'on dut réparer en 1793.

Un escalier permet de descendre dans la douve pour continuer notre promenade. La courtine renforcée d'une tranche ruinée de la fausse braie, montrant des embrasures de canons et des meurtrières disposées pour des tirs croisés, nous conduit en présence de l'une des grosses tours de l'enceinte. On en trouve cinq de cette importance, affectant comme celle-ci la forme d'un fer à cheval. Elles font partie des grands travaux du XVème siècle, menés sous l'impulsion du capitaine de la ville. Raoul V de Coëtquen. Nous devons toutefois signaler que les anciens documents ne précisent pas la nature des importants travaux exécutés alors, mais ils sont timbrés de l'écu des Coëtquen.

La tour dite de l'Alloué, qui nous intéresse pour le moment, est ainsi désignée parce qu'autrefois, notamment à la fin du XVIIème siècle, l'Alloué, juge adjoint au Sénéchal, jouissait d'un jardinet sur son couronnement. Cependant, la tour, comme toutes les autres, a connu d'autres appellations et s'est nommée, par exemple, tour Beaumanoir et tour Juhel. Elle est très intéressante car ses dispositions intérieures sont uniques dans les fortifications de Dinan. La tour est à ciel ouvert et l'était déjà en 1693. Si une plate-forme, peut-être jamais construite, a été envisagée par les bâtisseurs, par contre, elle a été conçue pour ne posséder ni plafonds ni voûtes. De solides casemates se superposent dans ses flancs, épais de sept mètres. Le premier rang est au niveau des douves. Les casemates supérieures étaient desservies par une galerie saillante sur l'intérieur et portée par des consoles encore en place. Deux portes mettaient cette galerie en communication avec le chemin de ronde. Une troisième porte et un escalier assuraient le service des casemates inférieures. La sortie dans les douves est une percée pratiquée après 1785. La Tour de l'Alloué est ainsi un ouvrage très curieux, elle a été construite avec soin en belles pierres taillées. La couronne de corbelets, fort belle est toujours en place, au sommet, portant un parapet oblique aménagé au XVIIIème siècle pour recevoir huit pièces de canon. L'objet de cette tour énorme pouvant défier tous les coups possibles d'un assaillant était évidemment la couverture de la porte Saint-Malo, à laquelle nous arrivons.

LA PORTE SAINT-MALO.

La porte Saint-Malo parait dater du XIIIème siècle, mais elle a été considérablement remaniée, plus tard, dans sa partie centrale pour porter un pont-levis à bras. Les deux périodes de construction se distinguent nettement. Les consoles du parapet sur le pont-levis ont été brisées et le parapet lui-même, en moellons grossiers, est de 1815. Les deux tours latérales dont l'une est très abaissée renferment deux étages munis d'archères, les voûtes sont constituées par d'énormes dalles brutes disposées en encorbellement. Le caractère ancien de la porte est plus apparent du côté de la ville. Sous la voûte se remarquent les longues fentes des archères, les gaines des grosses barres renforçant les vantaux, ainsi que des traces de verrous et autres accessoires de fermeture, comme les marques de la bascule du pont-levis. Tout cela n'empêcha pas pourtant la porte de s'ouvrir aux troupes de Henri IV, en 1598. Elles entrèrent par là et bientôt, dans la ville ligueuse soumise avec facilité, tout le monde criait vive le roi, à qui mieux mieux ! Par là encore, entrèrent les soldats royalistes, en 1815, et de nouveau on cria — vive le roi ! — quelques jours avant on criait vive l'Empereur !

Devant la porte Saint-Malo était une autre porte avancée flanquée d'un bastion, épaulée en outre par le rempart extérieur. Il fallait d'abord forcer celle-là avant d'atteindre la principale. Cette porte extérieure a été démolie aux environs de 1776. Le roi en avait accordé l'autorisation en 1774, de même que pour celle de l'Hôtellerie.

Trois cyprès effilés sont aujourd'hui les sentinelles veillant sur la vieille porte. Ils balancent leur aigrette, ajoutant un charme un peu oriental à la belle entrée de la ville.

La herse de la porte Saint-Malo, comme celle du Jerzual et de l'Hôtellerie, fut vendue en novembre 1754. Ces herses de fer, immobiles depuis longtemps dans le haut de leurs coulisses et rongées de rouille, menaçaient de s'effondrer sur la tête des passants. Elles ne furent pas remplacées.

La courtine ébréchée, près de la porte, se retrouve dans le terrain autrefois dénommé Verger de Penthièvre et descend vers la grosse tour du Gouverneur, du Bignon ou des Clés. Nous avons déjà un peu présenté cette tour et noté la maison qui champignonne au sommet. Le duc de Penthièvre, « Le bon duc », le beau-père de la princesse de Lamballe, avait afféagé une partie des remparts de Dinan, avant la Révolution. Les propriétaires purent alors en disposer à peu près à leur gré et enfin, les ventes complémentaires de 1820 furent la dernière faute. Les enlaidissements qu'on observe malheureusement sur ces vénérables murs, ainsi que les destructions, avaient été préparés et facilités dès le règne de Louis XVI. Nous avons vu que la ville de Dinan elle-même y prêtait la main en demandant et obtenant la permission de démolir plusieurs tours.

Les parapets obliques de la tour du Gouverneur et ceux de la tour de l'Alloué ont dû être étudiés pour faciliter la glissade de pierres ou autres projectiles. Les autres grosses tours ont perdu leur parapet primitif.

A une centaine de mètres, dans le faubourg Saint-Malo. est une petite chapelle reconstruite au XVIIIème siècle sur l'emplacement de l'ancienne église romane détruite en 1487, église dont nous avons parlé plus haut.

Rentrant en ville par la porte Saint-Malo, nous nous trouvons dans la rue de l'Ecole, dont le nom garde le souvenir d'un vieil établissement scolaire signalé au XVIème siècle mais dont l'origine est plus lointaine. Plusieurs anciens hôtels du XVIIème et XVIIIème siècles se voient dans la rue de l'Ecole. Le plus remarquable — l'Hôtel Lanjamet — est à l'angle de la petite rue dévalante du Bignon.

Le comte d'Artois, venant de Saint-Malo, au cours d'un voyage en Bretagne, s'arrêta pour déjeuner à l'hôtel Lanjamet, le 13 mai 1777.

Le maire, les échevins et les notables, munis d'un dais, des clefs de la ville et d'un discours, s'étaient rendus devant la porte du Jerzual pour accueillir l'auguste visiteur, mais celui-ci refusa de s'arrêter. Les pauvres bourgeois déconfits s'élancèrent alors dans une rue de traverse (la rue du Roquet), emportant leur dais et leurs clefs, afin d'être les premiers à l'hôtel Lanjamet. Le prince ne voulut pas entendre la belle harangue laudative et soigneusement limée, toucha rapidement les clefs qu'on lui présentait, puis s'attabla. Les Dinannais, venus en foule le regarder manger, s'étonnèrent de le voir prendre la salade avec les doigts. Cela dut consoler nombre de gens qui se passaient encore de fourchette.

Notre marche nous conduit à un carrefour où, à gauche, se retrouve la rue du Jerzual montrant la pittoresque coulée de ses vieilles maisons à étages saillants, à pignons pointus : un coin de Moyen-Age encore vivant. A droite, dans la rue de la Lainerie, est un bel hôtel du XVIIIème siècle soutenu par des piliers de granit. Une inscription — devise — Spes mea Deus — se lit sous la date. Les parents de Mahé de la Bourdonnais auraient habité cet hôtel. Dans le prolongement de la rue de l'Ecole, nous prendrons la rue de la Poissonnerie dont le qualificatif rappelle ce qu'on y vendait, à l'instar d'autres rues de la ville dont les noms sont aussi parlants. Dans son angle droit était un prieuré de Trinitaires, fondé au XIVème siècle ; plus loin, à gauche, est une belle maison à encorbellement, et nous voici revenus au carrefour de l'Apport où nous nous engageons dans la rue de l'Horloge, à la suite de la rue de la Poissonnerie. Là encore sont de curieuses maisons portant les marques du XVème s, ou XVIème siècle, des boutiques d'antiquaires occupent les plus remarquables.

Au numéro 9, dans le fond d'une cour, est un Hôtel qui fut habité par le Gouverneur de Dinan, pendant un temps. Il a gardé comme conséquence le nom d'Hôtel de l'Ancien Gouvernement.

LA TOUR DE L'HORLOGE.

La tour de l'Horloge, ou Beffroi, est de la fin du XVème siècle. C'est un monument massif éclairé par de rares et étroites fenêtres carrées. Le seul ornement de cette tour sévère est sa jolie porte. Une grosse cloche, donnée par Anne de Bretagne, était dans ce donjon de la bourgeoisie, elle y est encore, mais a été refondue en 1906.

Jusqu'à la Révolution, cette tour représentait l'Hôtel de Ville, et les membres de la Communauté se réunissaient dans une de ses salles où se conservaient les archives et documents précieux.

Cette salle de réunion était des plus incommodes, glaciale en hiver, les archives y moisissaient par l'humidité des pierres. Si on allumait du feu dans la cheminée, alors la pièce se remplissait de fumée, ce qui ne pouvait mettre de clarté dans les débats, et les échevins délibéraient en pleurant et en toussant.

Ces Messieurs néanmoins siégeaient fièrement dans leur tour, entendant être considérés et défendant leurs privilèges et leur dignité.

Les juges de la Ville leur ayant contesté le droit de marcher dans les processions sur une file parallèle à la leur, ils engagèrent un procès sur cette affaire. On plaida pendant 24 ans, de 1751 à 1775, en dépensant beaucoup d'argent, mais enfin la Communauté l'emporta. Un peu plus tard la Révolution aurait tranché cette histoire de processions et de préséances entre des castes jalouses. Nous pensons que, tout de même, nos ancêtres aimaient vraiment la chicane et se montraient pointilleux sur l'étiquette.

Cet Hôtel de Ville n'avait pas le confort ni le grand air des palais municipaux des villes du nord, par exemple, mais la solide tour de granit a quand même belle allure. En 1771, à l'occasion d'une restauration de la charpente, il fut envisagé de surélever la maçonnerie de 53 pieds. Le projet n'aboutit pas et le beffroi a conservé ses proportions et ses lignes. L'escalier de pierre à vis est large, parfaitement conservé et le plus beau du genre à Dinan.

Nous atteignons une petite place obtenue par de successives démolitions. Nous sommes ici devant les souvenirs d'un des plus importants couvents qu'on trouvait dans l'ancien Dinan, le couvent des Dominicains, ou Jacobins.

LES JACOBINS.

La fondation des Jacobins à Dinan se situait vers 1224, seulement neuf ans après la création de l'Ordre par Saint Dominique. Antérieur aux Cordeliers, le couvent était dû, comme celui-là, à la libéralité des grandes familles dinannaises. Tout d'abord, au Seigneur de Lanvallay, rameau de la Maison de Dinan, et puis d'autres nombreux qui acquéraient ainsi les avantages d'une sépulture dans l'église de la pieuse maison. L'église, remplie de monuments funéraires, se trouvait à l'emplacement du Casino, bâtiment qui n'est pas une réussite et duquel nous ne dirons rien. Nous ne savons pas grand'chose de cette église achevée de démolir en 1851-1852 et dont personne ne songea à faire un dessin. Des descriptions sommaires du XVIIème siècle nous parlent surtout des tombes qu'on y voyait, du clocher en forme d'aiguille « le plus haut qui fut en France » et qui s'écroula en 1631, d'un jubé, ainsi que de l'autre curiosité qu'était dans le cloître une épine de la grosseur d'un homme. Un voyageur nous dit avoir lu sur une vitre la date de 1292 indiquée comme étant celle de la construction de l'église sous le règne de Philippe le Bel. Quelques piliers ou noyaux de piliers sont visibles dans la halle sous le Casino, c'est le seul vestige de l'église des Jacobins dont le chevet se situait en travers du terrain de la rue Waldeck-Rousseau. Cependant, la petite chapelle, à demi-enterrée à gauche, connue sous le nom de chapelle Sainte-Marguerite, était une dépendance. On y voit des enfeux vides de leur contenu. Nous avons dit que le cœur de Du Guesclin avait été retiré des Jacobins, le 25 août 1804.

L'entrée du monastère se trouvait dans l'axe de la rue Sainte-Claire. Cette entrée se signale, encore, par la présence d'un jambage de porte et le départ d'un arc, visibles dans l'angle de la maison au coin des rues Pavie et de Léhon ; quelques restes des bâtiments conventuels sont près de la chapelle moderne, Notre-Dame de la Paix.

A côté de cette chapelle est un beau portail du XVème siècle. Cette pièce remarquable, du gothique fleuri, a été apportée du manoir du Besso, en Saint-André-des-Eaux, près de Dinan. Le Besso était domaine d'une branche de la famille de Beaumanoir. Le blason effacé des Beaumanoir, au-dessus du portail, est encadré par de curieux supports.

HOTEL KERATRY.

Il est temps de mentionner la très jolie maison Renaissance, dite Hôtel Kératry, qu'on aura d'ailleurs aperçue tout de suite en arrivant sur la place. Cette ravissante demeure du XVIème siècle, datée 1559, était primitivement à Lanvollon où la ruine la guettait. La ville de Dinan l'acheta, fort heureusement, et l'a fait reconstruire ici, en 1938, où elle n'est point dépaysée dans l'ambiance de passé qui l'enveloppe.

Au-dessus d'un petit portique soutenant la façade, se place une zone de boiseries s'étendant sur les trois côtés de l'élégant édifice. Ces boiseries, ornées de figurines et de motifs divers, encadrent les croisées où se sont jadis profilés les toquets de gentilshommes, à la mode Henri III. Un blason dégradé, mais encore lisible, qui n'est pas celui des Kératry, se trouve sur un des piliers du portique.

LES CLARISSES.

Nous pouvons maintenant faire quelques pas dans la rue Sainte-Claire pour y voir dans une cour, sur le côté gauche, un reste de l'ancienne chapelle et des bâtiments claustraux du couvent des Clarisses. Cette autre fondation monastique, dans la ville déjà bien pourvue d'établissements religieux, remontait à la fin du XVème siècle, sous François II de Bretagne. Le domaine des Clarisses couvrait une vaste superficie, bordait la longueur de cette rue ainsi qu'une large section de la place Duguesclin où nous passerons bientôt. Le mur de clôture s'établissait d'autre part en marge de la rue de Léhon. Le couvent des Clarisses avait amené la disparition d'une chapelle dédiée à Sainte Catherine, fondée en 1342 par Charles de Blois. Cette chapelle désaffectée vers le milieu du XVème siècle avait alors servi d'atelier de monnayage aux ducs de Bretagne, car pendant longtemps on frappa des monnaies à Dinan. La Révolution chassa les religieuses et vendit leurs biens.

Prenant la rue de Léhon dans le prolongement de la rue l'Horloge, nous dépassons d'anciens Hôtels, résidences de la noblesse locale, laquelle formait une importante fraction de la population de la ville à la veille de la Révolution ; en 1787, 70 familles nobles habitaient Dinan. On rencontre leurs maisons un peu partout se signalant par un certain cachet et à leur fronton ou, au-dessus des portes, l'emplacement d'un écu martelé.

LE COLLÈGE.

Nous atteignons le Collège en trouvant la chapelle du XVIème siècle au fond d'une courette. La Révolution en fit le temple décadaire, c'est à présent une salle de gymnastique. Au linteau de la porte d'entrée du collège se lit — Ici ont étudié Châteaubriand et Broussais —. Les deux célébrités bretonnes : l'auteur d'Atala et le grand médecin, furent, en effet, condisciples dans cet établissement gouverné alors par des ecclésiastiques. François-René, dont la famille habitait Combourg, à 20 kilomètres de Dinan, dans le château de légendes et de rêveries romantiques, peint par le maître dans ses Mémoires, avait été envoyé terminer ses humanités au Collège ecclésiastique de Dinan.

Le collège était alors de fondation récente. Il avait succédé dans les bâtiments à une Communauté de Bénédictines installée à Dinan en 1628, sous le vocable de Notre-Dame de la Victoire, en souvenir de la bataille de Lépante. Les Bénédictines furent affligées d'un incendie en février 1746, cet accident les ruina et elles vivotèrent désormais misérablement dans leur couvent qu'elles ne pouvaient restaurer. En 1772, elles demandaient pour la seconde fois à l'évêque de Saint-Malo de les transférer en d'autres maisons religieuses. Celui-ci, Mgr Des Laurents, se rendit alors à leur désir, assura leur vie en d'autres Communautés et disposa en échange du couvent de la Victoire. En 1775, Mgr des Laurents fit part à la ville de Dinan de son intention de fonder un collège dans les locaux vacants et réparés. Le maire et les échevins l'en remercièrent très chaleureusement en lui demandant d'accepter que le nouvel établissement scolaire prit le nom de Collège Des Laurents, accordant, en outre, à l'évêque le droit de nommer le principal et les régents. C'est ainsi que Châteaubriand put venir quelques années après au Collège de Dinan, où il en remontrait aux professeurs. « Je savais mieux le latin que mes maîtres », dit-il. Leconte de Lisle a été aussi un élève du Collège de Dinan. Nous ne citerons pas tous les avatars de ces bâtiments à partir de la Révolution jusqu'au moment où un collège y est revenu, mais des Ursulines y ayant tenu pensionnat, de 1832 à 1840, recueillirent le vocable — Notre-Dame de la Victoire — demeuré attaché dans le langage local aux vieux murs bénédictins et l'ont emporté dans leurs déplacements ultérieurs.

Devant nous, autre chose sollicite notre curiosité, c'est la voûte béante de la porte Saint-Louis, s'encadrant dans l'extrémité de la rue.

 

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V

DE LA PORTE SAINT-LOUIS AU CHATEAU

PAR LES PETITS FOSSÉS ET LE CENTRE DE LA VILLE.

Depuis la porte Saint-Malo, nous venons de traverser la ville close du Nord au Sud, en longeant les quartiers monastiques parés autrefois d'immenses jardins qui n'ont pas complètement disparu.

La porte Saint-Louis est la plus jeune des portes de la ville, la date de 1620 se lit sur sa face extérieure. Du côté intérieur apparaît au sommet la porte d'un corps de garde et logement du treuil de herse, ce corps de garde fut démoli en 1791. Il était en ruine et chaque ouragan emportait des volées d'ardoises et des pièces de charpente. Une plate-forme bétonnée a remplacé la maisonnette. Un autre corps de garde occupait, au pied, l'emplacement de la maison de droite, près la niche pratiquée dans le mur où se déposait peut-être le falot des rondes.

Comme aux deux autres portes déjà vues, nous trouvons à l'entrée une statuette de Vierge dans sa boîte, c'est la suite d'une tradition qui mettait les portes des villes sous la protection du ciel.

Sous la voûte haute, sur clef, on ressent une impression de force et de solidité devant ces gros blocs bien taillés, ces murs énormes capables de résister encore à certaines pièces d'artillerie moderne. Dans les retombées de l'arc sont des trous obliques par où l'on pouvait, du rempart, faire glisser des projectiles, tels, par exemple, des grenades, ou bien en tirer parti pour des feux de mousqueterie. Un assaillant éventuel ayant forcé le vantail extérieur devait s'arrêter pour supprimer la herse et le vantail du côté de la ville, s'exposant ainsi pendant ce temps à recevoir les coups qui lui arrivaient par les orifices de la voûte.

Etant donné la date de construction de la porte Saint-Louis, les dangers d'un siège semblaient passés ou désormais peu probables. La porte attendit alors son pont-levis jusqu'à la fin du XVIIème siècle. La herse n'aura peut-être jamais été placée car on ne parle pas de celle-ci dans la vente qu'on fit de ces grilles en 1754.

Sous les corbelets des mâchicoulis, à l'extérieur, étaient trois blasons, aujourd'hui disparus par martèlement, mais dont les traces sont encore visibles. En 1792, des ordres formels et réitérés de la municipalité exigèrent la destruction de tous ces signes de l'ancien régime, même ceux qui, sur les monuments publics, symbolisaient la ville ou la province. Les Révolutions exagèrent, nous regrettons ces trois écussons qui devaient être très décoratifs sur la face de la porte Saint-Louis.

En sortant, on aperçoit, à gauche, par-dessus le parapet du pont établi sur l'ancien fossé, une tour de l'enceinte nommée à présent tour Penthièvre après s'être appelée tour des Sillons et tour du Père Renault. Un religieux du couvent des Cordeliers, nommé le Père Renault, avait organisé un jardin sur ses murs au XVIIème siècle, donnant ainsi pour un moment son nom à la tour.

Elle comportait trois étages avec casemates d'artillerie dans ses flancs. Un des étages a disparu, entraînant la ruine du couronnement et du parapet à consoles, vraisemblablement le même que celui des autres grosses tours de cette époque déjà rencontrées. A la fin du règne de Louis XIV et pendant tout le XVIIIème siècle, encore en assez bon état, elle servit à la détention des prisonniers anglais que les guerres déversaient nombreux dans les places bretonnes.

Une trouée récente, pratiquée rue du Général-de-Gaulle, a dégagé une section de rempart permettant une autre vue de la tour Penthièvre, ainsi que la découverte d'un panorama de la vallée.

Maintenant nous sommes hors de la ville, nous allons en longer la muraille Sud et rencontrer, tout de suite, le magnifique ensemble constituant le joyau, la boucle très riche, le beau fermail de la ceinture de Dinan. Cet ensemble est constitué par la tour de Coëtquen. la porte du Guichet et le Donjon. Tout ceci que nous visiterons plus tard d'une façon un peu plus détaillée, se nommait, autrefois, le château, quoique, ne donnant pas l'apparence d'un château tel qu'on l'imagine. Aujourd'hui, c'est seulement le donjon qui est ainsi qualifié.

Très souvent, les visiteurs de Dinan négligent la descente, ici, au pied de la vieille forteresse et pourtant elle doit être considérée de ce côté pour en découvrir la puissance et la beauté. Ce groupe a subi bien des modifications, mais a cependant gardé ses lignes principales, ses architectures médiévales d'époques diverses, nous ramenant, sans effort, vers le temps des chevaliers et des vieux combats.

La Tour de Coëtquen, formidable ouvrage projeté en avant de la muraille, tendue comme une cuirasse, rappelle, par son nom, le capitaine de Dinan qui, on le suppose, présida à sa construction. Elle est du XVème siècle et pourtant on la croirait plus vieille que le donjon, en face, qui avait déjà environ 70 ans, lorsqu'on la bâtissait.

A part les ceintures de pierres régulières à la hauteur de chaque étage, la maçonnerie est vulgaire, beaucoup moins belle que dans les autres grosses tours. Son granit n'a pas le grain et la dureté de celui qui confère encore une jeunesse au donjon.

La Tour de Coëtquen couvrait, avec son artillerie, le débouché de la route de Rennes et la porte du Guichet. Elle pouvait d'autre part combiner son feu avec l'artillerie de la tour Penthièvre pour interdire l'approche des murs à une attaque venant de la direction de Léhon. Les douves comblées, il en est résulté un encavage de la base et des casemates inférieures de la tour, dont les embrasures des canons ne sont plus visibles.

PORTE DU GUICHET.

La porte du Guichet doit être de la fin du XIIIème siècle ou du début du XIVème. Les précisions sont difficiles, au moins à un demi-siècle près, par l'absence de documents. Mérimée, inspecteur général des monuments historiques, passant à Dinan vers 1845, dit, d'autre part, que les nombreux remaniements des fortifications de la ville ne permettent pas de les dater avec exactitude. Nous ne prétendons pas à plus de science et s'il est des parties pour lesquelles ont peut être affirmatif, il en est d'autres qui sont embarrassantes.

La porte du Guichet possédait un ouvrage avancé, une barbacane qui devait en compliquer l'attaque. Cette barbacane formait une pointe s'achevant à environ 25 mètres de l'entrée, à la hauteur de la promenade. L'ouvrage apparaît sur les plus vieux plans sans qu'il soit possible d'en deviner les détails, mais il est certain que ce mur qui, en partie affectait la forme d'un triangle, en partie une forme semi-circulaire, devait posséder des embrasures pour armes légères et une porte couverte par les saillants.

Les deux tourelles encadrant la porte du Guichet avaient primitivement peu de relief et en ont encore moins depuis la reconstruction du mur entre la tour de Coëtquen et le donjon. On donna au rempart rebâti, ou accru d'épaisseur, une inclinaison oblique, pour mieux résister à la poussée du terre-plein. Les trois contreforts disgrâcieux, à gauche de la porte répondaient au même besoin. Malheureusement, ce mur reconstruit a masqué les archères latérales des tours. Ces petites tours nommées autrefois tours de Lambaudaye, nom pour l'instant inexplicable, sont à deux étages. Les salles inférieures sont voûtées. Ici encore, comme à la porte Saint-Malo, il n'existe pas d'escalier intérieur, le service des tours se faisait par des portes donnant sur les chemins de ronde.

Des restes de consoles à mi-hauteur indiquent d'importantes modifications et la disparition d'éléments anciens. Ces consoles devaient supporter un hourdage en bois qui aura été ensuite remplacé par un exhaussement de la maçonnerie. Le granit de la partie supérieure n'est pas le même que celui de la base, ce qui nous fait admettre que les tours, comme nous les voyons, n'ont pas été construites d'un seul jet.

Il n'y avait pas de pont-levis, mais, sans doute, une passerelle, jetée sur une fosse profonde, pouvait être basculée au fond de celle-ci en cas de danger. Le système de la porte Saint-Malo devait également être aussi simple au début.

Remarquons, au fronton de la porte, la petite niche habituelle du saint protecteur et voyons à présent, de part et d'autre de l'embrasure, un long couloir voûté se perdant d'un côté dans les ténèbres et de l'autre aboutissant à un carré de lumière où se distinguent des marches d'escalier. Cette galerie plaquée intérieurement contre le rempart et percée à sa base de meurtrières donnant sur le fossé, côté ville, est attribuée aux soins de Mercœur pour fortifier Dinan. La galerie était établie sans solution de continuité, la porte ayant été préalablement murée ; sa réouverture en 1932 a provoqué la rupture du couloir.

La porte du Guichet était incommode pour accéder en ville, incommodité encore augmentée par la présence de la barbacane mentionnée plus haut ; alors, au lieu de la remettre en service au XVIIème siècle, on préféra en percer une nouvelle, la porte Saint-Louis, avec laquelle la route de Rennes fut mise en communication.

LE CHATEAU (extérieur).

Le donjon, ou le château, vu de sa base, donne une impression de durée éternelle et de force majestueuse avec son granit intact. Au XVIIème siècle, observant la bonne conservation de cette énorme tour ou plutôt de ces deux tours jumelées, l'ingénieur Garangeau disait que le donjon était aussi proprement bâti que s'il venait d'être fait. Aujourd'hui, 250 ans plus tard, on pourrait encore s'exprimer de même.

La porte d'entrée a son ogive surmontée d'une alvéole où était encastré l'écu de Bretagne ; de petites têtes d'hermines se voient dans la décoration de l'encadrement, plus deux culs de lampe à feuillages, aux retombées de l'arc. Il n'y a pas d'autre ornement sculpté à l'extérieur du château.

La porte que couvrait une herse donnait, à l'est, dans une petite cour où se trouvait un puits. Un fossé sec, bordé d'un mur (chemise), faisait le tour de l'édifice. Deux ponts-levis, l'un pour piétons, l'autre desservant un portail, franchissaient ce fossé au Sud. Le plus grand de ces ponts s'appuyait d'un côté sur la paroi du château et de l'autre sur un ouvrage disparu, mais dont les soubasserments sont encore visibles. La petite porte, pour les piétons, est située dans le front du bâtiment.

Du côté Ouest, un autre pont, établi à quatre mètres au-dessus du fossé dans la petite courtine unissant les deux tours, donnait accès à une porte murée sans doute au XVIème siècle, comme la porte du Guichet et réouverte en 1952. La démolition de la maçonnerie qui l'obstruait a découvert une belle ogive et les rainures de la herse. Le pont-bascule, qui s'appuyait sur la chemise entourant le donjon, était probablement continué par un plan incliné facilitant la montée du ravitaillement qu'on entrait par ici. Les fardeaux arrivés dans le couloir descendaient dans les magasins par l'ouverture d'une trappe.

Mais la partie extérieure la plus remarquable du donjon est la couronne de mâchicoulis trilobés, séparés par de longues consoles, une très belle trouvaille de l'architecte du XIVème siècle qui sut coiffer avec élégance la sévère construction militaire. Au-dessus des mâchicoulis et appuyée sur le mur, en retrait, était une toiture bi-conique, remplacée au début du XVIIIème siècle par une plate-forme. Nous reviendrons au château en fin de promenade.

LES PETITS FOSSES.

En visitant le côté Nord de la vieille place-forte, nous avons remarqué d'importants restes du rempart de terre (contrescarpe) qui doublait la muraille sur une grande partie de son développement. Du côté où nous sommes, ce talus courait du château jusqu'à la porte avancée de l'Hôtellerie.

Arasé au sommet, en 1745, pour en faire une promenade, sous l'administration de l'académicien Duclos, alors maire de Dinan, le talus fut ensuite abaissé de deux mètres, à partir de 1833, quand on replanta les arbres. Empruntons cette promenade où les arbres de la seconde plantation ont été à leur tour remplacés. Après avoir dépassé le donjon-château, nous trouvons à la crête du mur une logette de veilleur. Cette guérite est greffée sur un mur grossier, caractéristique, qui l'a fait supposer très ancien. Les blocs qui le composent sont frustres, irréguliers, mais au lieu d'en déduire une trop haute antiquité du rempart, il est plus raisonnable de croire que ces pierres ont été obtenues, sur place, par la démolition de la base du rocher afin de réaliser une ligne verticale et qu'on les aura employées comme elles étaient fournies. En général, il n'y a d'ailleurs aucune recherche d'élégance dans la construction du mur d'enceinte. Sauf les portes et les tours, le reste ne présente aucun appareil soigné. C'était du solide qu'on voulait et, dans ce cas-là, les grosses pierres sont plus utiles que les petites.

Continuant à longer la courtine qui a perdu son parapet à consoles, comme presque partout ailleurs, nous rencontrons un arc, seul vestige d'une tourelle tranchée au ras du rempart. C'était une casemate dénommée la Poterne sur les vieux plans.

Nous trouvons après, sous l'Hôtel de la Poste, une sorte de tourelle faisant illusion. C'est une manière de cheminée, construite jadis à proximité des écuries du maître de poste et servant à l'évacuation des fumiers. Près de là, le mur, gardant quelques consoles, enjambe le rocher et joint la grosse tour dite du Connétable, connue autrefois sous le nom de tour du Poulailler. Elle ressemble à la proue d'un bateau par sa forme aiguisée et les embrasures rondes de ses flancs figureraient assez bien des hublots. La tour est située en face d'une butte sur l'autre côté du grand ravin de Cocherel. Cette hauteur, couronnée autrefois d'un moulin à vent, se nommait la butte de Beaufort et, comme il pouvait s'installer là des batteries dangereuses, le sommet de la tour du Poulailler fut aménagé au XVIIIème siècle pour soutenir des canons capables de riposter. Mais il est à observer que l'artillerie prévue dans cette tour au XVème siècle l'a été comme dans ses tours-sœurs pour des tirs de flanquement.

Le fond du fossé très remblayé a complètement enseveli la partie basse de la tour. Pendant longtemps les douves de toute cette zone ont été des jardins potagers. Au XVIIème siècle, quelques soldats logeant encore au château tiraient argent de la location de ces terrains.

La tourelle, à la suite, est une construction assez récente, élevée par un propriétaire voisin pour communiquer avec la portion de douve qu'il avait achetée, car, après la vente des remparts, suivit celle des douves, en 1850. La récupération de ces terrains et la démolition des bâtiments qu'on y construisit est une tâche encore inachevée.

En face d'une petite place, en demi-lune, où une colonne porte le buste de Duclos, enfant de Dinan, débouche une rue qui a renversé le rempart, en cet endroit, en 1782-1783. Cette coupure est donc contemporaine de celle qui fut provoquée par la construction de la rue descendant au petit pont sur la Rance. Elles furent les premières, mais non hélas ! les dernières. Notre petite rue qui était alors une impasse se nommait à la fois rue de la Tête-Noire et rue du Fossé. On l'a encore appelée populairement, rue du Trou-au-Chat, probablement à cause de l'existence d'un trou à la base du mur pour permettre la sortie des eaux de pluie.

Tout à côté de la rue du Fossé, une tour, d'apparence très vieille avec ses pierres rongées, se nomme tour Beaufort et anciennement Tour Cocherel. Nous avons déjà dit que les tours de Dinan avaient changé de nom plusieurs fois et qu'il est impossible de connaître celui qu'elles reçurent à l'époque de leur construction. La tour Beaufort-Cocherel, pareille à un vieux guerrier fatigué, est voûtée à deux étages. La meurtrière centrale devait donner passage à une petite pièce de canon.

Toute la partie supérieure des murs que nous cotoyons depuis le château est au niveau des jardins des propriétés voisines. Le mur, cependant, épais de plusieurs mètres, est donc encore solidement soutenu en arrière et sa rupture par l'artillerie du XVème siècle apparaissait bien improbable.

Tout contre le socle de la vénérable tour Cocherel est l'ouverture d'un espèce de souterrain. C'est la sortie d'un escalier ayant son entrée dans une propriété au-dessus. Quelle a été la raison de cet escalier communiquant avec les douves ? Il faut bien avouer que nous l'ignorons pour le moment.

Les vieux murs recèlent encore des énigmes que l'avenir solutionnera peut-être par la découverte de nouveaux documents. Il s'agissait ici probablement d'une poterne comme on en trouve plusieurs dans l'enceinte.

La courtine continue, n'ayant pas réussi complètement à secouer les haillons qui s'y accrochent et, cheminant sur la promenade maintenant ombragée de beaux tilleuls, nous arrivons à la place Duclos et à l'Hôtel de Ville dont nous avons déjà examiné la façade et devant lequel nous allons passer pour emprunter la rue du Marchix, au nom évocateur de commerce. De grands travaux de démolition au cours du XIXème siècle élargirent cette rue jusqu'alors très étroite. Les dates inscrites sur les façades des maisons nous renseignent et situent à peu près l'époque de ces travaux qui rendirent la voie praticable, mais causèrent la destruction de la chapelle, du vieil hôpital de Dinan et de son très beau portail roman.

PLACE DU MARCHIX.

La place du Marchix ou du vieux marché s'agrémentait autrefois de rangées de maisons à porches comme nous en avons vu en cours de promenade. Dinan était une ville où les enfilades de portiques se succédaient et sous lesquels on était à l'abri des souillures de la rue, alors souvent très malpropre ; à l'abri également de ce qui tombait des maisons. En 1810, la municipalité devait encore interdire la projection du contenu des pots de chambre par les fenêtres.

Sur la place du Marchix était un puits public comme on en trouvait plusieurs dans la ville. Les ménagères venaient y puiser de l'eau avec leur seau et les enfants y jetaient des pierres pour s'amuser. Le vieux chroniqueur breton Alain Bouchart nous raconte qu'on avait curé ce puits, en 1520, et qu'il en résulta la mort pour plusieurs personnes de la manière suivante. Les travaux étant achevés, un badaud fit le pari de descendre au fond chercher un seau d'eau. Il descendit mais tomba mort, Un second voulant le secourir eut le même sort ainsi que quatre autres qui vraiment ne manquaient pas de courage. Le naïf historien conclut à l'existence d'un basilic ou d'une bête venimeuse au fond de ce puits homicide. La bête empoisonnait ceux qui venaient la déranger. Le puits maléfique est à présent comblé. Il est probable que ces fontaines au milieu des rues et des places, ces puits qu'on signale comme n'ayant plus de margelles, contenaient dans leurs eaux bien d'autres bêtes dangereuses.

Dans la place du Marchix débouche la rue de la Mittrie où nous pourrons voir la maison natale du barde Botrel, puis nous continuerons par la rue de la Ferronnerie, prolongement de la rue du Marchix, et nous arriverons à l'entrée de la Halle.

LA HALLE.

La Halle, ou cohue, occupait déjà cet emplacement au XIIIème siècle et ses dimensions, de même que ses issues, sont demeurées inchangées.

Les lignes du style primitif semblent également avoir été respectées à chaque construction. Un document de la fin du XVème siècle nous parle des poteaux de soutènement ainsi que des quatre portes que nous retrouvons. Une autre pièce de la même époque signale qu'il s'y trouvait des moulins tournés par des chevaux et que cet encombrement datant du règne de François II était bien incommode. En mai 1798, la municipalité demandait la démolition de la halle dont les piliers et la charpente s'écroulaient.

En 1806, il fut question d'établir une rue à travers l'amoncellement de détritus et d'ordures occupant l'espace. Le projet n'eut pas de suite et la halle fut reconstruite en 1827, en la soutenant encore avec des poteaux et en établissant deux rangs d'échoppes. La reconstruction de 1952, tout en conservant l'aspect général traditionnel, a utilisé des matériaux plus beaux et plus durables. Des améliorations conformes aux exigences modernes y ont aussi été apportées.

Dans l'ancienne halle existait un étage où se tenait la juridiction royale de Dinan. Au rez-de-chaussée, on criait, on vantait la marchandises aux chalands ; à l'étage, on plaidait et on distribuait des amendes.

Après la Halle viennent les deux rues de la Cordonnerie et de la Chaux déjà aperçues par l'autre bout sur la place des Cordeliers. Elles possèdent quelques maisons curieuses. La rue de la Ferronnerie que nous suivons, en prolongeait une autre venant du Marchix, la rue de Cocherel. Les deux rues, bien qu'étant bout à bout, ne suivaient pas exactement le même axe. De chaque côté des maisons à porches et à auvents ne laissaient qu'un étroit passage où il était presque impossible de faire mouvoir une voiture. Une catastrophe allait déblayer le terrain et aérer le quartier, mais ce fut terrible. Pendant la nuit du 15 au 16 mars 1781, un incendie se déclara dans une maison de bois à l'encoignure des rues de la Chaux et de la Ferronnerie. Le feu gagna rapidement les maisons voisines qui, construites aussi en bois, nourrirent et étendirent le foyer. L'incendie fut enfin maîtrisé par les efforts de la population accourue et des soldats du régiment Royal-Corse, en garnison à Dinan, mais 45 maisons étaient détruites, 130 familles se trouvaient ruinées et sans abri. La charité vint au secours des malheureux, la famille royale réunie donna 600 louis, le prince de Condé, le duc de Penthièvre, les évêques de Rennes et de Saint-Malo, le Parlement de Bretagne, fournirent de grosses sommes auxquelles s'ajoutèrent les produits de quêtes organisées dans toute la province par le curé de St-Sauveur, l'abbé Carron, dont le dévouement fut inlassable en cette circonstance.

Dans la percée aussi dramatiquement réalisée, on aligna et on bâtit les maisons à façades de granit que nous y voyons aujourd'hui. La rue élargie de la sorte, avant 1789, paraît encore bien étroite et ne suffit plus à digérer le flot des voitures, certains jours d'été. On avait pensé aux diligences, mais pas du tout prévu l'auto et sa prolifération.

Cet incendie fut un désastre, mais à tout moment des maisons brûlaient et, chaque fois, la ville entière était menacée d'anéantissement. Le feu se déclarait en outre avec une aisance que certains habitants paraissaient provoquer en établissant des foyers en des greniers dépourvus de cheminées.

Pour lutter, on avait deux médiocres pompes qui ne firent leur apparition qu'au XVIIIème siècle, et des seaux avec lesquels on allait chercher l'eau des puits. En juillet 1785, on ajouta l'obligation pour chaque ménage d'entretenir une barrique d'eau devant sa porte, ou dans son corridor, piètre secours lorsque le feu était au grenier. Le détroit de la Ferronnerie conduit à la place du Champ.

PLACE DU CHAMP.

La place du champ aux chevaux comme on la désignait au Moyen-Age est fort ancienne puisqu'on en trouve mention dans le testament du duc Jean II mort en 1305. Il en est de nouveau mention en 1319. C'est un très grand rectangle dont une partie enclose et plantée d'arbres, sous l'Empire en 1806, reçut en 1810 le nom de place Du Guesclin. La partie basse a gardé le nom de Place du Champ.

Le fameux combat qui, en 1359, mit aux prises Du Guesclin et le chevalier anglais Thomas de Cantorbéry se déroula sur cette grande place, une pierre commémore l'évènement. Mais aucune maison présente n'a vu le duel, célèbre, tout a été complètement rebâti peut-être même plusieurs fois.

Au XVIIIème siècle, des carrières s'ouvraient en plein milieu et c'est là qu'on puisait une partie de la pierre pour construire les hôtels particuliers du pourtour. La plupart des maisons de la place sont de ce temps-là, époque où l'on bâtissait beaucoup à Dinan. Lorsque le bâtiment va tout va, dit-on. Dans ces conditions, la deuxième moitié du XVIIIème siècle fut, sans nul doute, un moment de prospérité pour la ville qu'on imagine avoir été un véritable chantier. Les maisons de cette période se trouvent dans toute la ville. Elles ont un air de famille avec leur granit bien appareillé, leurs ouvertures en anse de panier, trop souvent masquées dans les rues commerçantes par des placages de mauvais goût. Dans les intérieurs, de larges escaliers en chêne patiné sont faits pour l'évolution des robes amples et traînantes. Les parois des pièces sont revêtues de boiseries dissimulant des placards, profonds à loger tout un mobilier moderne. De belles cheminées pour feux de bûches font penser à une bourgeoisie bien à l'aise tisonnant les pieds sur les chenêts et prenant le temps de vivre.

La place du Champ était par sa situation centrale et ses proportions, le lieu où se rassemblaient les foules de toutes les manifestations. Saint Vincent Férier venu à Dinan, en Juin 1417, prêcha sur cette place devant le duc Jean V entouré de la population.. L'éloquence dure et menaçante du saint fut entendue bien qu'utilisant une langue qui n'était pas celle des Bretons.

C'était ici qu'on allumait les feux de joie pour fêter les victoires des armées ou les naissances dans la famille royale. Devenue pendant la Révolution, place de la Liberté, c'est encore ici que se célébrèrent, d'abord, les nombreuses fêtes républicaines devant l'autel de la Patrie, avant d'en transporter plus tard le théâtre sur la place Saint-Sauveur, moins boueuse. C'est aussi sur la place du Champ que se dressa la guillotine, du mois de mai au 29 septembre 1794. Le conventionnel, en mission, Le Carpentier qui devait, plus tard, terminer sa vie au Mont St-Michel, en servant pieusement la messe, chaque jour, avait contraint les Dinannais à l'érection de la sinistre machine. Cette guillotine ne paraît pas avoir beaucoup servi. Le bourreau, en tout cas, manquait d'expérience car ayant à expédier un condamné le 13 Juin 1794 [Note : Ce n'était pas un condamné politique mais un parricide originaire de Corseul] il demanda la veille une livraison d'un veau pour se faire la main sur le cou de l'animal.

La statue équestre de Du Guesclin, par Frémiet, inaugurée en 1902 exprime sinon ses traits que nous ne connaissons pas, du moins ses qualités d'énergie intrépide et sa rudesse guerrière. Dès 1855 le Conseil Municipal avait pensé à une statue de bronze pour remplacer une statue en pierre, érigée en 1823 à l'extrémité est de la place. On fit alors une demande d'attribution de canons russes pris à Sébastopol afin d'en utiliser le bronze pour la fonte, mais le maréchal Vaillant, Ministre de la Guerre, refusa, dommage ! il y avait là une idée.

En traversant la place, nous jetterons un coup d'oeil vers le palais de Justice construit en 1825, sur les terrains de l'ancien couvent des Clarisses et puis formant un voeu pour la disparition de l'espèce de champignon disgrâcieux qu'est le kiosque à musique, nous irons prendre un petit escalier à l'angle sud-est. Il nous dépose devant une maison à piliers, datée 1746.

C'est un ancien relais et bureau pour voyageurs des diligences qui dans un bruit de roues cerclées de fer, et de sabots de chevaux arrachant des étincelles, sillonnaient cette rue qu'on nommait rue des Grand pavés. On imagine le maître de poste sous son porche et les lourdes voitures bâchées s'arrêtant avec leurs chevaux en sueur, les postillons hauts en couleur bottés jusqu'au ventre, les voyageurs meurtris et engourdis se dirigeant vers l'hôtel voisin pour s'y refaire. C'était là un coin de grand mouvement, où s'apprenaient les nouvelles, où se commentaient les incidents de la route, où l'on s'embarquait pour des voyages fatigants, mais pleins de surprises et de pittoresque. La rue a de beaucoup accru son animation, des voitures souples et légères y ont remplacé les pesantes machines de Laffite et Caillard.

Au siècle dernier (XIXème siècle) alors que Dinan renfermait une importante colonie anglaise la vieille maison de poste a été occupée par un club. Là se retrouvaient d'anciens officiers retraités de Sa Majesté la Reine Victoria, lesquels aimaient le séjour de Dinan et se contaient, ici, leurs souvenirs devant un verre de wisky. Le pavé devant la porte garde l'inscription — Victoria Club —

Il nous reste maintenant quelques pas à faire pour nous trouver devant le château que nous allons visiter.

LE CHATEAU.

Nous avons déjà dit qu'on entendait autrefois par Château l'ensemble constitué par la grosse tour de gauche (tour de Coëtquen), la muraille renforcée d'une galerie côté ville, la porte du Guichet et le donjon plus communément désigné aujourd'hui comme étant le château, lui-même. D'anciens textes qualifient aussi parfois château ces deux tours jumelées.

Nous l'avons vu du côté du fossé extérieur où il se montre plus imposant, dans toute la hauteur de ses 34 mètres. Nous le voyons à présent diminué par la barre du rempart et des cours hautes mais il semble que sur cette face la couronne de mâchicoulis soit plus belle en offrant ses détails plus rapprochés.

En regardant ces magnifiques consoles, puissantes, harmonieuses et en si bon état il faut se souvenir que cela est en place depuis bientôt 600 ans, quels bâtisseurs ces architectes du Moyen-Age !

Un très large fossé sec isolait tout ce réduit, s'étendant de la tour de Coëtquen jusqu'à l'extrémité du petit jardin à droite où une espèce de casemate terminait l'ensemble. Le fossé est maintenant presque comblé.

Le pont de pierre à trois arches que nous allons emprunter a été construit de 1729 à 1732 pour remplacer un pont à tablier de bois porté sur piles de pierre. Le pont dormant s'achevait cependant à un petit pont-levis dont nous voyons toujours l'ouvrage servant à la manœuvre.

Le fronton du portail possédait un blason, disparu, probablement comme les autres pendant la Révolution.

Nous arrivons dans une cour qui contenait à droite et à gauche de petits bâtiments appuyés au rempart. C'étaient des annexes édifiées à travers le temps pour des rôles en rapport avec les besoins changeants du château. Il en reste quelques vestiges tels deux cheminées.

A gauche le rempart nous conduit à la porte du Guichet et à la tour de Coëtquen, nous y viendrons tout à l'heure, voyons d'abord le donjon-château.

Un vieux document portant la date 1382, laisse entendre que le château était en construction à cette époque. Sans chercher à préciser son année de naissance, on peut admettre qu'il fut commencé entre 1380 et 1382. Le duc de Bretagne Jean IV qui le fit bâtir avait dû fuir pendant un temps le mécontentement de ses sujets qui le jugeaient trop anglophile. Charles V crut alors le moment venu d'annexer la Bretagne dont les habitants lui avaient demandé l'aide de son armée contre leur duc indésirable. Le roi de France se trompa et la Bretagne, pour garder son indépendance, rappela Jean IV qui revint d'Angleterre en 1379.

Ce fut aux lendemains de ce retour que s'éleva le château de Dinan, probablement pour loger une petite garnison destinée à surveiller la fermeture des portes d'une ville qui s'ouvrait facilement.

Le château est donc un édifice militaire de la fin du XIVème siècle. Il a été placé à l'orée extérieure du mur d'enceinte, au sud-est de la place forte. Il est à la base d'un long promontoire finissant au village de Léhon, près d'une des portes de la ville, la porte du Guichet, et au débouché de la route qui conduisait à Rennes:

Il ne paraît pas avoir fait partie d'un ensemble plus étendu et plus important, nous n'en avons aucun indice. Le château Solidor à Saint-Servan construit dans le même temps, a été aussi limité à l'édification d'une énorme tour, où plutôt de trois tours accolées, tandis qu'à Dinan (c'est une combinaison de deux tours jumelles). La construction de semblables tours-château n'était pas rare à cette époque.

On entre par une porte pratiquée au début du XVIIIème siècle dans le mur de la chapelle à l'emplacement de l'autel. Cette ouverture correspondait à un désir d'aménager le château pour de nouvelles attributions. Nous pouvons regretter cela, puisque la chapelle aura été ainsi mutilée. Un petit pont de bois unissait la cour supérieure à cette entrée. Ce pont de bois souvent délabré et souvent réparé, a été remplacé en 1833, par un pont de pierre, époque où le château était prison pour détenus de droit commun.

Avant l'ouverture de cette regrettable porte qui a cependant bien sa commodité, on descendait à hauteur de l'étage inférieur par un escalier abrupt, collé au flanc de l'escarpe, lequel escalier était en relation avec une porte aujourd'hui murée et transformée en fenêtre. La récente découverte de documents nouveaux a permis de connaître ces anciens détails.

Nous entrons donc d'abord dans la chapelle, en prenant celle-ci à l'envers. L'entrée normale est en face de nous, au fond et en communication avec la grande salle à côté. La porte de gauche est aussi une percée du XVIIIème siècle.

Les meneaux de la grande baie ne sont pas d'époque. C'est une reconstitution récente ou plutôt une imagination car on n'a pu s'aider d'aucun plan ou dessin pour cette addition. La partie curieuse de la chapelle est le joli retrait se trouvant jadis du côté de l'Evangile et qui était, sens nul doute, la place du capitaine de la ville, ou encore destinée à quelque personnage de haut rang que le hasard d'un voyage amenait à entendre la messe au château.

On y voit un siège de pierre et un agenouilloir qu'on devait recouvrir d'un coussin. Il y avait encore une cheminée où un feu de bûches ajoutait son confort à ce petit oratoire, les jours d'hiver. Une tradition veut que la duchesse Anne ait entendu la messe ici, mais il n'est pas sûr qu'Anne de Bretagne ait logé au château pendant ses rares et brefs passages à Dinan. Les couvents hébergeaient le plus ordinairement de tels hôtes ; par exemple, Charles IX logea aux Cordeliers lorsqu'il passa à Dinan en 1570. Une maison bâtie par le duc Jean II se trouvait aussi dans le faubourg ouest.

Les nervures de la voûte retombent sur des culs de lampe en partie mutilés, l'un d'eux, intact, figure une main sortant de la muraille. Il faut encore remarquer la piscine à droite de la porte et les nombreuses marques de tailleurs de pierre qui se rencontrent d'autre part dans tout le château.

La chapelle contient deux belles statues gisantes : l'une, d'un seigneur de la maison de Dinan vient de l'abbaye de Beaulieu à 15 km, aux environs de la ville, l'autre est la statue funéraire d'un chevalier provenant du couvent des Jacobins.

La chapelle conserve encore les fragments d'une histoire de la Passion et le cœur d'un sire de Coëtquen dans un étui de plomb. D'une façon générale, nous ne dirons rien des objets exposés au château car les pièces du musée sont susceptibles de reclassements et de déplacements, ce qui risquerait de fausser rapidement notre ouvrage.

Une visite méthodique du château doit être commencée par la partie la plus basse, voisine de l'ancienne entrée normale. En conséquence nous descendrons par le grand escalier à vis, large, bien conservé, et nous négligerons, pour le moment, les salles que nous dépasserons.

On a donné des noms aux différentes pièces du château, mais il vaut mieux renoncer à des appellations supposant une attribution primitive qui nous est inconnue. Les plus vieux plans ne nous disent rien sur cela, aussi nous nous bornerons à une description sommaire des salles, sans affirmer à quoi elles servaient. Au bas de l'escalier nous trouvons la porte d'entrée au niveau de la cour inférieure. En face de cette porte est un couloir à la voûte percée de trous, sortes de mâchicoulis intérieurs. Il aboutit à la porte ouest que desservait un pont-bascule dont la restauration est en cours. Sur le côté gauche de ce couloir, un petit escalier conduit à une basse-fosse qui a été parfois utilisée comme cachot lorsque le château est devenu prison, mais qui devait plutôt servir primitivement de magasin.

Près de la basse-fosse et au bout d'un escalier se trouve la tranchée où s'abaissait le contrepoids du grand pont-levis. A la droite du couloir voûté est une autre salle basse, très grande. On y voit une vaste cheminée et dans l'embrasure de la fenêtre d'où tombe une lumière de soupirail sont de nombreux et étroits gradins, ainsi que des niches carrées et profondes dans l'épaisseur des murs. Un petit acqueduc amenant l'eau du puits extérieur avait son issue sous l'arc de l'escalier. Les anciens plans donnent le profit d'un autre puits au centre de cette pièce souterraine. Un réduit à gauche contenait des latrines.

La cheminée, l'acqueduc, les placards dans le mur, ont fait croire que c'était ici la cuisine du château. Est-ce la vérité ? si oui plaignons alors les cuisiniers qui opéraient à la lueur du foyer ou de systèmes d'éclairage pareils à ceux des temps celtiques.

A l'étage suivant, nous trouvons deux salles principales et de petites pièces plus inexplicables que les grandes, sauf pour le poste de guetteur et chambre où se manœuvrait la herse couvrant la porte d'entrée. Les salles irrégulières vont chercher la lumière du jour par des fenêtres à profondes embrasures, certaines bordées de banquettes, coupant l'épaisseur des murs énormes.

Dans la grande salle de cet étage, une immense cheminée, très belle avec les colonnettes de ses jambages surmontées de têtes grotesques, a été faite pour l'entretien de brasiers nécessaires dans ces pièces que l'hiver rendait glaciales. Les autres étages contiennent aussi des cheminées aussi vastes mais moins ornées que celle-ci. Dans la salle, à droite de l'escalier, réunie à la grande par un petit couloir voûté on remarquera l'entaille du mur près de la fenêtre à l'est. C'est là que se rabattait le vantail de la porte d'entrée du château, desservant les cours hautes, Parmi d'autres pièces de sculptures que nous ne mentionnerons pas pour les raisons indiquées, plus haut, nous trouvons ici trois magnifiques dalles funéraires qui elles ne bougeront plus de cette place. La plus rapprochée de la porte appartient à un chevalier du XIVème siècle et provient de l'église des Jacobins, une autre recouvrait un abbé de Beaulieu, la troisième, figure un seigneur du XIVème siècle et sa femme. Ces statues comme toutes les statues funéraires de ce temps ne montrent point les sujets dans un état de décrépitude. La mort ne semble pas avoir été considérée comme objet de lamentations et n'est pas environnée d'attributs lugubres. Ces chevaliers qu'on couchait dans leur cercueil sur un lit de fleurs sont représentés quelquefois, les pieds appuyés sur un lion ou comme ici, dans le cas du couple uni sur la même pierre avec des chiens couchés, les bons compagnons fidèles de la vie, l'un d'eux ronge un os aux pieds de son maître.

Le troisième étage en plus de la chapelle par où nous sommes entrés, laquelle est à un niveau différent, comprend une très grande salle et une petite pièce latérale. Dans l'épaisseur du mur un escalier établi de même dans la muraille ouest, conduit de la grande salle à la plate-forme du château. A côté dans l'embrasure de la fenêtre on aperçoit les coulisses de la herse qui couvrait la porte, deux étages plus bas. Il y avait là un système de levage, en charpente, appuyé sur les deux pierres, en saillie, de part et d'autre de la fenêtre. Une des coulisses s'achève ici, pendant que l'autre poursuit sa course jusqu'à l'étage au-dessus. Le problème posé par le fonctionnement de cette herse et de son contrepoids n'est pas résolu d'une façon satisfaisante.

Le quatrième étage est composé d'une salle, la plus grande du Château. Elle est flanquée près de l'escalier d'une petite pièce destinée probablement à loger un guetteur ; en face est un autre réduit reproduisant le même à l'étage inférieur. De chaque côté de la cheminée nous retrouvons les profondes embrasures des fenêtres avec leurs banquettes de pierre. Ces embrasures pouvaient se fermer par des portières glissant sur une barre transversale dont les points d'appui sont encore visibles. L'escalier à vis se termine par une voûte aux nervures ramifiées autour du sommet d'une petite colonne et c'est par un escalier droit que s'achève la montée au cinquième étage. Celui-ci comporte deux salles à des plans différents. La salle de droite qu'on rencontre d'abord à mi-escalier a conservé son ancien dallage établi sur la voûte de la chapelle. Elle est éclairée par une grande fenêtre à beaux meneaux, en croix, comme toutes les grandes fenêtres du château. Une porte, au fond, communique avec le petit escalier remarqué en bas, au troisième étage. La salle est voûtée comme sa voisine, la dernière grande salle du château. Celle-ci à peu près rectangulaire contient l'escalier d'accès à la galerie de ronde. Sur les manteaux des cheminées, de cet étage, se voient des graffiti laissés par des prisonniers de guerre. On en trouve d'autres en divers endroits ; certaines de ces inscriptions ont demandé beaucoup de patience, notamment celle qui se trouve sur la tranche de la grosse dalle au sommet de l'escalier à vis.

Mais tout cet étage a été largement modifié au commencement du XVIIIème siècle. Après avoir balancé si la charpente et la toiture du château seraient rétablies, ou bien si on construirait une plate-forme, on se décida pour ce dernier plan. Les salles où nous sommes furent donc voûtées afin de rendre la superstructure apte à supporter de l'artillerie. Il en résulta la disparition du sixième étage comprenant trois pièces principales. Au-dessus la pointe du toit terminait le château à environ 42 mètres de sa base dans le fossé.

Nous gagnerons, maintenant, la galerie des mâchicoulis par un escalier droit, de quelques marches, et nous tournerons sur la belle couronne de l'énorme donjon. Le parapet en était percé à intervalles, de quatre mètres, d'embrasures aujourd'hui refermées. Les mâchicoulis ont été bouchés pour éviter le danger d'un faux pas et les eaux de pluie du toit qui s'y écoulaient passent depuis la construction de la plate-forme par des gargouilles en forme de potence.

Arrivés sur cette galerie, les détails de l'architecture du château intéresseront, peut-être, moins que le paysage immense et magnifique étalé sous nos yeux. Cependant après avoir fait le tour complet, montons encore quelques marches pour atteindre la plate-forme et jouir ainsi pleinement du panorama qu'on embrasse alors tout entier. Au sortir des salles sévères, parcimonieusement éclairées, c'est l'éclat de la campagne avec ses vallons, ses bois, ses champs, ses grands horizons bleuâtres ; c'est le charme de la lumière changeante et la douceur de la brise passant sur la vieille forteresse après avoir caressé la flèche du Mont Saint-Michel, qu'on peut distinguer, quelquefois, de cette plate-forme.

Il faut, à présent, descendre puisque nous ne pouvons plus monter et reprendre le chemin parcouru jusqu'à la chapelle. Comme on aura pu le constater, un certain nombre de détails ont été volontairement laissés de côté dans notre visite. Une étude approfondie avec citations d'éléments secondaires encombrerait un ouvrage qui n'est pas destiné aux personnes recherchant une histoire complète et détaillée du château. Pourtant comme il nous est arrivé de parler de prison et de prisonniers il faut ajouter quelque chose à propos des rôles remplis par le château. A l'origine comme nous l'avons noté c'était probablement une sorte de caserne où logeait le capitaine de Dinan et ses soldats. En 1636 le gouverneur, son lieutenant et 15 hommes y tenaient garnison, en 1683 on n'y trouve plus que 4 soldats et un sergent. puis on y logea des prisonniers anglais pendant les guerres de la fin du règne de Louis XIV. En 1732 le gouverneur de la place disposait encore du château qui servait alors d'abri à ses chiens. La reprise de la guerre avec l'Angleterre y ramena des prisonniers, notamment après la bataille de Saint-Cast en 1758, et pendant la guerre d'Amérique. Sous la Révolution on y enferma des prêtres insermentés, il fut encore en ce temps-là magasin et dépôt d'armes. En 1817 on en fit une prison pour détenus de droit commun ce qui a duré jusqu'en 1904. Depuis cette dernière date le château ayant été acheté, en 1906, par la ville de Dinan, est devenu musée.

Un seul fait de guerre a eu le château comme théàtre. Lorsqu'en février 1598 les troupes de Henri IV s'emparèrent de la ville avec la complicité des habitants, les soldats de Mercœur se réfugièrent au château dans l'intention d'y résister.

Mais quand ces hommes qui n'étaient guère plus de 200 se virent entourés par une foule d'assaillants, bien armés, disposant d'artillerie ils se rendirent au deuxième coup de canon. Dom Morice nous dit qu'ils sortirent l'un après l'autre par un trou, les pieds les premiers.

Ayant regagnés la cour haute en sortant de la chapelle il nous reste à visiter l'autre partie du système qu'on a parfois désigné comme étant du château, dans les anciens rapports et devis de travaux ; cette partie comprend : le mur d'enceinte doublé de la galerie déjà vue par en bas ; la porte du Guichet, et la tour de Coëtquen.

Au-dessus de la galerie voûtée construite au temps de la Ligue, s'étendait une autre galerie à ciel ouvert, bordée du côté de la ville par un parapet à créneaux. Cette galerie supérieure est aujourd'hui comblée mais en pénétrant au deuxième étage des petites tours du Guichet, une ouverture pratiquée dans le mur permettra d'en distinguer une section déblayée. Les salles hautes des Tourelles du Guichet ont été récemment réparées, nous y voyons des archères bouchées par le mur d'enceinte épaissi. Les modifications exécutées à diverses époques ne permettent plus de connaître l'ancien état de la porte. On ne peut, par exemple, savoir la forme de la toiture qui la couvrait et sous laquelle était le treuil de herse.

TOUR DE COETQUEN.

Si nous avons commencé la visite du donjon-château par le milieu de l'édifice, nous commencerons par le haut celle de la tour de Coëtquen. En 1693 le sommet de cette grosse tour du XVème siècle était un jardin, dont les racines, des arbres s'enfonçaient jusques dans la voûte et la disloquaient. Les travaux du XVIIIème siècle qui avaient, comme nous l'avons dit, pour objet une restauration complète de la place afin de la garantir d'une attaque anglaise, dotèrent cette tour d'une solide plate-forme dallée dans le but d'y installer des batteries. Le parapet fut reconstruit, surélevé, avec des embrasures ménagées de distance en distance, quelques-unes sont encore visibles.

Avant ces travaux le centre de la tour se présentait comme un dôme au-dessus du parapet, très bas et ruiné. Ainsi restaurée et garnie d'artillerie si elle le fut, la tour était, encore, même aux environs de 1710 un fort, très puissant, flanquant alors l'entrée de la ville qu'était la porte Saint-Louis, depuis 1620, barrant la route de Rennes et le chemin descendant vers Léhon.

On entre dans la première salle par un étroit couloir conduisant à un escalier dont la clef de voûte montre le blason des Coëtquen. La porte de la salle conserve des traces d'inscriptions gravées par des prisonniers anglais. Nous avons déjà rappelé que Dinan avait été un dépôt de prisonniers de guerre ce dont les habitants se seraient bien passés car ils furent longtemps chargés eux-mêmes, de leur garde.

Après la bataille de Saint-Cast, il y eut 1.500 prisonniers à Dinan. On les transféra à Josselin par crainte d'un coup de main en vue de les délivrer, puis on voulut les envoyer à Fougères qui se défendit de les recevoir, pour en débarrasser le duc de Rohan. Ils furent enfin ramenés à Dinan lorsqu'on eut la certitude que l'escadre anglaise avait regagné ses ports.

En 1744 les prisonniers étaient si nombreux qu'il fallut utiliser toutes les tours, logeables, des fortifications, pour les caser.

Les officiers, prisonniers sur parole, étaient libres en ville. Les soldats plus étroitement gardés disposaient, cependant, pour leur promenade d'un large enclos établi devant la porte du Guichet et qui a gardé longtemps le nom de — Parc aux Anglais —.

La salle de la tour de Coëtquen où nous venons d'entrer a sa voûte renforcée par de lourdes nervures et les parois sont creusées de casemates d'artillerie. On remarque dans ces canonnières les deux trous face à face où s'insérait la poutre freinant le recul de la pièce.

Le tube à même, le sol où sur une semelle de bois recevait une charge enfermée dans une boîte spéciale, jointe au canon par des étriers. Cela partait emportant tout de même un projectile à 500 mètres et en remplissant la casemate de fumée.

L'étage suivant, où la lumière n'arrive que faiblement, possède les mêmes casemates d'artillerie ouvrant dans la même grande salle voûtée, ayant aussi offert son inconfortable logis à des prisonniers de guerre.

Ensuite, à mi-étage, une ouverture met la tour en communication avec la galerie longeant le fossé intérieur. Cette galerie dont nous avons fait mention, parce que déjà observée, peut être ici parcourue. Très solidement construite nous y remarquerons les espèces de cheminées de la voûte qui étaient sans doute des porte-voix comme nous pouvons en remarquer dans la tour de Coëtquen ou bien des mâchicoulis pour attaquer un ennemi qui se serait introduit dans ce couloir. Les meurtrières basses sont disposées pour des feux croisés dans l'étendue du fossé, très large, mais presque totalement comblé. La galerie permet d'accéder aux salles inférieures de la porte du Guichet où nous pouvons observer l'appareil des archères commandant l'entrée et les dehors.

Le dernier étage de la tour de Coëtquen est à présent presque complètement enterré par les remblais extérieurs et intérieurs.

Cette salle, glaciale, humide, avec ses casemates ouvrant leurs trous sombres, dans les murs énormes ; le rocher visqueux crevant le sol de ses aspérités, tout cela compose un ensemble farouche, un peu sinistre, rejetant bientôt, vers l'escalier, à la recherche du ciel et de la lumière.

En plus de son rôle de prison la tour de Coëtquen aurait été atelier de monnayage pendant l'ocupation ligueuse ; lieu de réunion de la société maçonnique dinannaise — La tendre fraternité — et enfin dépôt de poudres et explosifs, cela au grand déplaisir des voisins vivant dans la crainte d'un accident.

Notre visite de Dinan s'achèvera dans ce beau groupe d'édifices guerriers que nous avons récrits à grands traits. Devant ces tours imposantes nous percevons la grandeur de la Bretagne ducale et l'importance de la place de Dinan dans le système de défense du duché. Henri IV aurait pu dire, ici, comme en voyant le château de Nantes — mes cousins de Bretagne n'étaient pas de petits compagnons.

En présence de ce passé, de ces grands témoins du Moyen-Age nous pouvons aussi rêver aux hommes qui animaient ces lieux en faisant tinter leurs longues épées accrochées à des baudriers de bufle et résonner leurs talons éperonnés sur les dalles des grandes salles. Nous joindrons ces visions à tant d'autres images recueillies dans le cours de notre promenade, afin d'en composer une gerbe de souvenirs dont le charme nous engagera, peut-être, à revenir, un jour, revoir Dinan la plus belle des villes bretonnes.

M. E. Monier.

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