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La réaction Thermidorienne dans le district de Dinan.

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La réaction thermidorienne qui, en principe, commence dès le 8 thermidor (26 juillet 1794), n'entre dans la réalité qu'au moment de la destitution des assemblées terroristes. Le Directoire du département échappa encore une fois à l'épuration, mais il n’en fut pas de même du Directoire du district de Dinan, qui s'était trop compromis contre les Fédéralistes dont les amis étaient devenus victorieux, et avait trop abondé dans les idées de Le Carpentier, alors devenu suspect [Note : Pourtant ce Directoire n'était-il pas terroriste, au sens exact du mot ! Il avait félicité la Convention d'avoir abattu Robespierre, et les représentants Leyris et Bouret lui trouvaient de « bons principes »].

Boursault, qui poursuivait avec succès cette politique d'apaisement que devaient exagérer Guezno, Guermeur et Grenot [Note : Antoine Grenot, ancien Constituant, juge de paix du canton de Gendrey, député de Jura. Il avait été l'un des 73 députés décrétés d'arrestation pour avoir protesté contre les journées anti-girondines. Il allait être rappelé le 18 frimaire, an II (8 décembre 1794). Il était né le 7 août 1748 et devait faire partie du Conseil des Cinq-Cents], songea par dessus tout à accorder une satisfaction à la majorité de la bourgeoisie dinannaise dont les parents et les amis avaient été, dès l'abord, incarcérés comme suspects. Il se rendit donc à Dinan le 22 frimaire an III (12 décembre 1794).

Le Directoire était déjà privé de son agent national, Corseul, dont la faillite commerciale avait entraîné la destitution. Depuis un mois, Dubos le suppléait. Boursault ne conserva aucun de ses membres, à l'exception de Forcouëffe, auquel il confia la présidence de l'administration. Il désigna ensuite, comme membres du Directoire, Pierre Laurent Vaugréna, le receveur de l'enregistrement Le Golias, un moment suspendu pour avoir enregistré par étourderie un acte portant des qualifications supprimées, Benjamin Delaunay, et Roquelin, incarcéré en ventôse an II ; comme agent national, l'ancien agent de la municipalité Charles Beslay ; et enfin, comme secrétaire, Jean-Marie Denoual-Duplessix, un moment détenu également, mais qui avait bénéficié de bonne heure de la clémence de Le Carpentier [Note : Delaunay, exclu du Directoire, parce qu'il tombait sous le coup de la loi du 17 frimaire (7 décembre), devait être remplacé peu après par le négociant Charles Néel. Après l'assassinat de Forcouëfte par les Chouans, en prairial an III, il put rentrer au Directoire où il demeura jusqu'à la mise en vigueur de la constitution de l'an III]. Au tribunal, il appelait Gesbert, Le Boulanger, Nicolas, Gagon et Robinot.

La réaction n'était pas aussi vive que d'aucuns l’auraient souhaité. Le Comité de Sûreté générale avait bien ordonné (25 brumaire — 15 novembre) l'élargissement des républicains modérés et des fédéralistes détenus comme suspects : Boursault n'en employait cependant qu'un petit nombre. Par leurs opinions, les administrateurs, qu'il choisissait, appartenaient au groupe des administrateurs maintenus ou désignés par Corbigny, mais avec des tendances plus démocratiques, parce qu'ils avaient inconsciemment subi les influences de la période qu'ils venaient de traverser. Ils étaient cependant tous très hostiles au gouvernement terroriste et leur animosité contre les anciens administrateurs était extrême. Si ceux-ci ne mirent aucun empressement à leur rendre des comptes, ceux-là ne leur surent pas assez gré de leurs efforts et de leur courage et manifestèrent, dès l'abord, un souci trop visible de les trouver en faute [Note : Les administrateurs nommés par Le Carpentier n'avaient jamais pu obtenir les comptes de leurs prédécesseurs. Ils devaient agir de même à l'égard de leurs successeurs, mais ils n'avaient pas l'excuse des premiers, qui, pour la plupart, avaient été incarcérés].

Deux arrêtés du 27 frimaire (17 décembre 1794) et du 5 nivôse (25 décembre) étant demeurés sans résultat, le Directoire prit le parti d'écrire une première lettre menaçante, le 26 (15 janvier 1795) à Dereuse, Auffray, Corseul, Cormao, Bellebon, Le Marié, Dubos, Baignoulx et Le Breton [Note : « ... Cette négligence de la part de nos prédécesseurs et qui peut compromettre la chose publique nous a forcé d'arrêter hier que, si dans trois jours, les membres de l'ancienne administration ne se rendent pas au Directoire pour concourir à l'inventaire général des papiers et effets qui se trouvent dans les bureaux et dans les magasins, nous apellerons le juge de paix pour y procèder aux frais de ceux qui ne s'y rendroient pas. — Tu voudras bien te rendre à notre invitation d'ici au 28 de ce mois afin de nous épargner le désagrément de t'y contraindre ». A. d. C.-N., 7 L 15, f. 113]. Dereuse chercha, dès l'origine, à se soustraire à toute reddition [Note : Le Directoire ayant appris, le 15 pluviôse (13 février), que Dereuse avait demandé un passeport, enjoignait à la municipalité de Taden de le lui refuser jusqu'à ce qu'il se fût mis en règle]. Tous les administrateurs gardèrent le silence, à l'exception de Hédal qui présenta un compte de gestion qui lui était personnel. On le lui refusa, le 28 (16 février), le Directoire ne voulant accepter qu'un compte général rendu de concert avec ses collègues.

Une nouvelle sommation, sous menace de suspension du droit de citoyen (29 floréal — 18 mai) resta également sans effet. Bientôt, au reste, l'on ordonnait le désarmement de la plupart des anciens administrateurs, qui, désormais traités en suspects, vont commencer une opposition systématique [Note : Ils se réuniront désormais chez Corseul] contre les thermidoriens [Note : Ceux-ci, en effet, ne verront de péril que du côté des terroristes et, tout à l’apaisement du côté des insermentés et des contre-révolutionnaires, laisseront la Chouannerie à peu près maîtresse du district].

Le Directoire était encouragé, dans son hostilité par la Société Populaire qui, écrivait-on le 2 ventôse (20 février 1795) au Département « malgré les manœuvres infâmes des terroristes a constamment marché sur la ligne des vrais principes, a toujours entretenu dans les campagnes des apôtres civiques... » [Note : A. d. C.-N. 7 L 15, f. 124], et par un personnage besogneux, dont les sentiments paraissent avoir été assez ondoyants, Besné, accusateur public près le tribunal criminel du département.

Boursault avait à peine destitué l'administration que les nouveaux membres du Directoire dénonçaient à Le Boulanger, directeur du jury d'accusation du district de Dinan, Dereuse, pour malversations dans les opérations relatives aux biens nationaux. Le Boulanger entendit successivement, le 26 frimaire an III (16 décembre 1794), Bordage fils, copiste au bureau des émigrés, qui déposa avoir entendu dire par Dereuse à Mallet, employé à ce bureau : « Que diable ! citoyen, vous ne faites pas bien les actes, vous avez oublié quelque chose à celui-ci ; », et Mallet, qui déclara qu'un après-midi, Dereuse [Note : Le 15 thermidor an II (2 août 1794)] lui fit ajouter au bas de la sixième page de l'acte qui déclare le citoyen Pluet adjudicataire de la récolte de la métairie du Bas-Courtus, ces mots : « pendant la durée du bail passé par le ci-devant propriétaire actuel » [Note : A. d. C.-N. L (m5) liasse 85].

Etait-ce une faute vraiment grave ? En était-ce même une ? Besné l’affirmait et n'hésitait pas, dans une lettre du 16 ventôse (6 mars 1795) à Beslay, à déclarer que Dereuse « s'étoit mis à l'aise aux dépens de la République ». Peu après, au début de germinal, il lançait contre lui un mandat d'amener qui ne put être exécuté. [Note : Le tribunal ne semblait pas disposé à abonder dans le sens de l'accusateur public, qui, dès le 14 floréal (3 mai) fait prévoir à Beslay que Dereuse sera renvoyé des fins de la plainte. Il le fut en effet, et, le 30 floréal (19 mai), Besné dut en aviser le procureur-syndic. « ... Dereuse a été sauvé par la question intentionnelle décidée contre tout principe, après avoir décidé affirmativement contre lui toutes les questions... Le délit étoit constant, sous tous les rapports moraux et intéressés, et je t'avoue que, sans vouloir de mal à l'accusé, ma raison et ma conscience m'eussent fait opiner contre lui, parce qu'il avoit agi librement, sans consulter les administrateurs... et forcé un jeune homme d’obéir à son autorité au risque de compromettre ses collègues en servant ses intérêts personnels... ». A. d. C.-N. (L m5) liasse 85. Le post-scriptum de cette lettre est des plus amusants : « Depuis trois jours on entend que des canonades. Des émigrés ont débarqué. Dieu ! comme les choses vont ! Oh ! ma patrie ! »].

D'autre part, le 22 nivôse an III (11 janvier 1795), les membres du Comité Révolutionnaire de Dinan [Note : Bameulle de la Chabossais, président ; J.-M. P. Aubry, Huet, Harouard aîné, Ogé, Brays, Allard, Lhermitte, Postel père et Jacques Beslay] dénonçaient à Charles Beslay la conduite de Barthélemy Anne Auffray, nommé maire de la commune de Plumaudan [Note : « ... Persuadé qu'il est d'un intérêt majeur pour la chose publique que les places de maire et officier municipal ne soient remplies que par des citoyens qui réunissent en même tems les vertus morales et les qualités civiques et soient investis de la confiance de leurs concitoyens, surtout dans une commune chef-lieu de canton, nous croyons qu'il est de notre devoir de vous observer que sous ces différens rapports, le citoyen Auffray n'est pas l'homme qui convient à la place à laquelle il vient d'être promu... » A. d. C.-N. série L (m5)]. Le représentant Boursault prit leurs dires en considération, et, par un arrêté du 17 pluviôse (5 février), daté de Port-Malo, il destituait l'administrateur incriminé comme « accusé d’avoir abusé de ses pouvoirs pour acheter des biens nationaux sans avoir rempli les formes exigées par la loi ». En conséquence Besné le déférait [Note : Dès le 5 ventôse (23 février), Besné demandait à Beslay des renseignements sur cette accusation et sur cette autre que Auffray aurait « fait un acte faux pour se procurer un afféagement de cent journaux de terre au lieu de cinq. Recherche ce fait... d'amitié ». A. d. C.-N. L (m5) liasse 85], le 7 ventôse (25 février), au directeur du jury d'accusation, sans obtenir d'ailleurs plus de succès que pour Dereuse [Note : L'affaire avait été singulièrement exagérée. Besné reconnaissait lui-même que « 3/4 de journal vendus 1.250 l. ne sont pas donnés » qu'il ne restait plus guère à la charge d'Auffray qu'une suppression d'affiche et certaines dilapidations. Aussi n'est-il pas étonné que, après les recherches de Beslay, onlui ait renvoyé le mandat d'amener qu'il s'était hâté de lancer. — Enfin, pour un motif qu'il ne nous a pas été donné de pénétrer, le Directoire s'efforce de se procurer les renseignements « les plus importans sur la conduite morale et politique du citoyen Dubos, protesseur au lycée national de votre ville » auprès du district, de la municipalité et du comité révolutionnaire de Rennes, en nivôse an III (A. d. C.-N. 7 L 15 f. 109) ; mais il semble bien que ce soit pour lui chercher quelque affaire].

***

Pour ne pas morceler notre étude à l'extrême, nous avons précédemment envisagé, jusqu'au mois de floréal an III, les questions purement administratives dont les directoires eurent à s'occuper. Nous avons eu l'occasion de noter la suppression des divers ateliers révolutionnaires, le ralentissement dans la perception des contributions et dans la vente des domaines nationaux.

La grande cause en revient à l'état d'insécurité dans lequel la Chouannerie maintenait le district de Dinan.

Nous savons que, dans la période qui suivit immédiatement la découverte de la conspiration de la Cour-Porée, la région semblait jouir de la plus parfaite tranquillité. On réparait les routes défoncées, on rétablissait les ouvrages abattus, et les administrateurs obtenaient de Boursault et de Bollet [Note : Philippe-Albert Bollet, maire de Cuinchy, député du Pas-de-Calais. Il avait 39 ans et devait bientôt siéger au Conseil des Cinq-Cents] le rapport de leur arrêté du 3 vendémiaire (24 septembre 1794), relatif à l'élagage des arbres et des haies à 100 toises de chaque côté des grandes routes et des chemins de commune à commune, de manière à éviter un mécontentement général « au moment où le district est calme » [Note : Un nouvel arrêté du 13 frimaire (3 décembre) se borna à exiger l'abatage des bois à 50 toises. A. d. C.-N. L (m6), liasse 75].

C'est sur ces entrefaites qu'une bande de Chouans commandée par Boishardy s'empara de Jugon, le 25 frimaire (15 décembre 1794), au matin [Note : L'ingénieur Beaugrand en fit un compte-rendu humoristique à l'ingénieur en chef Jacques Piou. « Dinan, 27 frimaire, 3ème année républicaine. L'ingénieur des Ponts-et-Chaussées et travaux publics de l'arrondissement de l'Est, département des Côtes-du-Nord, au républicain J. Piou, ingénieur en chef du département. Citoyen chef, — Encore des Chouans ! toujours des Chouans... Je te transmets les détails que j'ai pu recueillir sur la dernière incursion de cette milice superstitieuse qui, à l'instar de ses moteurs, a abandonné le glaive de la parolle qui siéroit si bien aux soldats de Jésus-Christ, pour se livrer aux prouesses lâches et scélérates de brigands commandés par les hobereaux de l'ancien régime. Hier matin, 26, ces messieurs firent leur entrée tremblante à Jugon en deffilant les uns après les autres, en vrais espions, pour vérifier si personne ne se mettoit en mesure de leur faire une fraternelle et cordiale réception. Personne ne bougeoit ; ils se réunirent enfin au nombre de 4 à 500, presque point armés, et commencèrent par rassasier une faim canine qui les tourmentoit depuis long tems, à ce qu'il parut. Ensuitte, et tout en jouant des mâchoires, ils dévalisèrent un roulier chargé de souliers, guêtres, culottes, vestes, destinés aux deffenseurs de la République, puis, quittant leurs haïllons crasseux, ils firent, sur la place de Jugon, et du beau tems qu'il faisoit, une toilette complette au vu et sçu de tous les habitans mâles et femelles qui n'étoient guère tentés de rire. Cette besogne faite, ils visitèrent amicalement les particuliers les plus aisés pour les débarrasser de leur superflu, et les engager à pratiquer strictement les œuvres de charité. Chemin faisant, ils distribuèrent quelques souflets aux hommes, et firent, dit-on, des caresses aux femmes qui, probablement, se réjouirent de trouver des brigands si traitables, que l'on satisfaisoit à si peu de frais. Leur aumônier (saint prêtre) bénissoit et faisoit baiser une petitte croix de bois à laquelle étoit attachée une vertu admirable. Le fameux Boishardy, leur chef, donna un passeport à un bouvier qui conduisoit des bœufs à l'Orient, et lui dit : Va-t-en, je ne veux pas faire main basse sur les bœufs qui sont destinés pour de pauvres b... de républicains qui crèvent de faim. On assure qu'il s'est vanté d'avoir laissé librement passer Boursault qu'il pouvoit arrêter et enlever. C'est un bon b..., a-t-il dû dire, qui fait le bien partout où il passe, qu'il aille... Lorsque la très pieuse armée eut fini de prendre tous ses ébats, le gennéral ordonna la retraite qui se fit avec tout l’ordre qu'on se peut immaginer, laissant les Jugonnois charmés de ses manières affables et insinuantes. Ils se dirigèrent sur Dinan et, par manière de passe-tems, déperchèrent un ouvrier occupé à démolir l'église du Loscouët, qui avoit eu l'incivilité de les traiter de Chouans. Après ce bel exploit, on prétend que Boishardy, en gennéral expérimenté, partager sa troupe en deux bandes dont l'une a dû tourner vers Plancoët, l'autre du côté opposé. La nouvelle de cette apparition chouannière, plus ou moins exagérée, et embellie en proportion de la peur des narrateurs, fit une assez vive sensation à Dinan. Les braves jurèrent tout bas de deffendre leurs pénates de toute insulte ; les fanfarons sacrèrent b..., f..., qu'ils couperoient le p... au dernier... pourvu, disoient-ils mentalement, qu'ils nous laissent faire. Mais, comme j'aime à croire que ces derniers étoient en petit nombre, je me persuade que la royalle armée eût été rincée, lors même qu'elle eût été décuplée en nombre, s'ils s'étoient présentés. La garnison de Dinan a été augmentée et je juge, par la disposition des troupes et une distribution de cartouches, que les limiers républicains vont aller à la quête de ces blaireaux, enfans chéris du fanatisme et de la féodalité. Outre la dévastation et les malheurs qu'ils répandent dans les cantons qu'ils parcourent, ils causent à la chose publique une plaie presqu'incurable, en discréditant le gage de la prospérité républicaine par des émissions considérables d’assignats fabriqués sous les auspices de la loyauté angloise. La défiance interrompt tout commerce, repousse l'abondance et nous conduit à une disette factice des denrées de première nécessité. Nous sommes, à la lettre, sans bois, sans chandelle, sans pain et sans boisson, autre que celle dont le ciel n'est pas avare envers nous dans la saison pluvieuse, et que le dieu des glaçons nous rend presqu'inutile. Les citadins sont maintenant enrôlés dans la confrairie de la besace ; la troisième année de la République a ressucité l'ordre des mendians dont la première année de la Liberté avoit prononcé l'extinction. Je suis un des fervens enrôlés dans cette tourbe nécessiteuse et si la charité rustique ne prend point un plus grand degré de chaleur, je ressembleroi, avant trois mois, à une momie de trois siècles. Dieu te garde de pareil malheur ! Ton embonpoint te sied à merveille, il seroit fâcheux que tu le perdisses, au lieu que dans l'état où les dieux m'ont mis, n'étant plus qu'un squelette ambulant, je ne changeroi presque pas de nature. (A. d. C.-N. L (m5), liasse 7). Salut et fraternité, J.-E. Beaugrand].

Cette petite ville était située à 3 lieues de Lamballe et à 4 lieues de Dinan, à la lisière des districts. Le canonnier Picard et un postillon en portèrent aussitôt la nouvelle en affirmant qu'ils étaient au nombre de 4.000. La crainte s'empara des Dinannais ; on s’arma autant qu'on le put ; on écrivit au commandant de la place et au général Rey, à Port-Malo, de prendre les dispositions militaires convenables ; aux municipalités de Dinan, Plancoët, Vildé-Guingalan, Plélan et Corseul, qui pouvaient être menacées, de fournir des renseignements sur « la marche et les expéditions de cette horde infernale » [Note : Cependant on avait été en partie rassuré peu après, à l'arrivée du citoyen Le Pavenec, de Rostrenen « allant à Paris aux écoles normales » dont les Chouans avaient pillé une partie des papiers et qui en fixait approximativement le nombre à deux cent cinquante].

Le soir, vers 9 heures 1/2, le commandant de la place transmit enfin au Directoire une lettre de la municipalité de Jugon. Les Chouans, au nombre de 500, avaient coupé l'arbre de la liberté et s'étaient emparés des armes de plusieurs citoyens. Ils avaient ensuite évacué la commune, mais l’on n'avait pu savoir vers quel point ils s'étaient dirigés. « .. Nous présumons qu'ils se sont réfugiés dans la forêt de la Hunaudais et nous craignons qu'ils se portent sur Plancoët et s'emparent des communes de la côte d'où ils pourroient protéger un débarquement » [Note : A. d. C.-N. 7.15. ff. 103-104].

Ces nouvelles ne calmèrent point les alarmes. L'on s'occupa activement d'organiser un espionnage sur la côte, depuis Saint-Cast jusqu'à Dinan, et surtout du côté de la Hunaudaye, afin de découvrir la marche et les projets des « brigands » [Note : Les administrateurs en chargeaient les citoyens Robinot, Hannelais et Lucas, de Plancoët. « ... Employe des patriotes sûrs, multiplie s’il est possible, les surveillans, dans toutes les communes qui environnent la côte et la forêt, agis avec la plus extrême rapidité, entretiens avec nous la corespondance la plus [active]. Agissez vous trois, s'il est possible, déguisez-vous, usez de tous les moyens qu'approuvent le patriotisme et la prudence ; soyez économes sans être avares, et nous vous autorisons à faire toutes les avances que peut exiger une pareille opération ». A. d. C.-N. 7 L 15. f. 104 (lettre à Robinot). Robinot fut remplacé peu après par Gruel. Ils remplirent leur mission jusqu'au 4 pluviôse an III (23 janvier 1795). date à laquelle le général Rey parut avoir pris les mesures suffisantes]. De nombreux détachements sortaient toutes les nuits de la ville ; deux postes furent établis, hors l'enceinte, au pont et à Léhon [Note : A. d. C.-N. 7 L 15. ff. 106-107 (lettre à Boursault)]. Le commandant militaire en vint à se figurer que Dinan était en état de siège et donna la consigne verbale de ne laisser sortir aucun citoyen armé d'un fusil. Bientôt, le 12 nivôse (1er janvier 1795), à la demande du général Muller, commandant le 3ème arrondissement des côtes de Brest, qui les informait « que la fréquence des coups de fusil, que l’on entend tirer sur les côtes par les chasseurs et autres individus, peuvent répandre l'alarme et l'inquiétude surtout dans un moment où nous sommes entourés d'ennemis », les administrateurs invitaient les municipalités du littoral [Note : Plancoët, Plessis-Balisson, St-Jacut, Pluduno, Tréméreuc, Trégon, St-Lormel, Bourseul, St-Potan, Créhen, Langrolay et Plouër] à suspendre la chasse jusqu’à nouvel ordre [Note : A. d. C.-N. 7 L 15. f. 108].

Toutes ces mesures n'étaient pas faites pour rassurer les esprits et l’on s'en aperçut quand on voulut exécuter l'arrêté de Boursault du 21 frimaire (11 décembre 1794) par lequel il donnait mission aux membres du Directoire ou, à leur défaut, aux juges de paix désignés par eux de procéder à l'épuration des municipalités. Les citoyens nommés maires et officiers municipaux devaient obligatoirement accepter leurs fonctions sous peine d'être traités comme suspects. Mais être suspect était moins grave que d’encourir l'animadversion des Chouans et de nombreux citoyens refusèrent les places qu'on leur imposait [Note : Tel fut le cas de Joseph Lucas et de Gilles Chevalier, de Trigavou, auxquels le Directoire écrivait, le 25 nivôse (14 janvier), une lettre indignée A. d. C.-N. 7 L 15 f. 113], en dépit même des menaces que l’on adressait, le 17 pluviôse (5 février), aux municipalités dans lesquelles les démissions se multipliaient [Note : « ... Montrez à ces hommes trompés ou criminellement paresseux l'exemple de nos frères d'armes qui combattent aux frontières l'ennemi, le froid, la faim et tous les besoins. Ils ne calculent pas, eux, si les affaires de leur famille, de leur ferme, de leur commerce les appellent ; ils ne voient que la patrie et la liberté, et ils savent combattre et même mourir pour elles. Il y a bien loin de ce que l’on exige de vous à ces efforts généreux. Au reste les loix révolutionnaires vous obligent à accepter les honorables fonctions de magistrat du peuple, à peine d’être traités comme suspects et emprisonnés jusqu'à la paix. — Nous nous porterons à regret à ces mesures de rigueur ; mais notre devoir et l’intérêt de la chose publique nous le commandent. et nous chargeons sur sa responsabilité personnelle l’agent de votre commune de nous dénoncer, dans la décade, les membres de votre municipalité qui refuseroient d'entrer en fonctions, après que vous les aurez avertis de nouveau en leur déclarant que c’est pour la dernière fois... ». A. d. C.-N. L 15 f. 112].

(Léon DUBREUIL).

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