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District de Dinan : la Situation politique au début de l'An II.

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Le district de Dinan, situé au Nord-Est du département des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), paraît avoir été constitué, « arrondi », suivant un mot de l’époque, de la manière la plus paradoxale. Il eût été aisé de lui assigner des limites naturelles, car il appartient à une région où les rivières sont nombreuses et toutes, plus ou moins, parallèles : or, il ne possède pas une seule de ces limites, sauf du côté de la mer. Encore cette affirmation n'est-elle pas exacte, puisque, lors du grand débat qui sépara les députés d'Ille-et-Vilaine et ceux des Côtes-du-Nord assemblés pour fixer la frontière des deux départements, le cours de la Rance fut continuellement chevauché, et abandonné un peu au nord de Langrolay pour céder au département voisin la petite région de Pleurtuit, Saint-Enogat, Saint-Briac et Saint-Lunaire [Note : Le département, tout au Nord, ne dépasse pas le Frémur qui se jette entre St-Briac en Ille-et-Vilane et Lancieux dans les Côtes-du-Nord. Nous avons raconté ailleurs (La Révolution dans le département des Côtes-du-Nord. pp. 1 et sqq.) comment en compensation, le département obtint à l’ouest de la Rance : Lanvallay, Tressaint, St-Hélen, St-Solain, Pleudihen, Evran, St-André-des-Eaux, Le Quiou, Tréfumel et Plouasne qui paraissaient devoir faire partie intégrante de l’Ille-et-Vilaine].

La frontière occidentale du district de Dinan ne s'inspire également d'aucune considération géographique : elle forme un grand arc de cercle à peu près régulier qui prend un peu à l'est de St-Cast pour finir un peu au nord de la Chapelle-Blanche, à la limite de l'Ille-et-Vilaine. Le cours de l'Arguenon, qui pouvait apparaître comme une délimitation toute naturelle, au moins jusqu'à Jugon, où la limite aurait suivi le ruisseau de la Rosette jusqu'auprès de Trédias, pour longer, à partir d'Yvignac, un petit affluent de la Rance, est coupé par la frontière assez au nord de Jugon, entre Pléven et Plorec et ne le suit que l'espace de quelques kilomètres.

Enfin, par une dernière anomalie, ce district, en dépit de sa situation près de la mer, ne possède que le fond des baies de l'Arguenon ou du Guildo, et de Lancieux, Séparées par la pointe de St-Jacut. De la Vieuxville où s'amorce approximativement la limite de l'ouest, jusqu'à l'embouchure du Frémur, à vol d'oiseau, il n'y a que sept ou huit kilomètres : mais en suivant la côte, sans doute dépasserait-on la trentaine.

Le district de Dinan, limité au nord par la Manche et le département de l'Ille-et-Vilaine, à l'est et au sud par le même département, est borné à l'ouest par le district de Broons, qui s'achève un peu au nord de Mégrit et par le district de Lamballe. Sa superficie couvre 74.900 hectares, soit la neuvième partie environ de la superficie des Côtes-du-Nord. D'après un recensement de 1790, sa population atteindrait 64.611 habitants. En 1890, cette même étendue ne comptait encore que 77.509 habitants.

La Révolution répartit les cinquante-huit communes de ce territoire en neuf cantons (D. Tempier. Rapport de l’archiviste départemental au préfet des Côtes-du-Nord, août 1891).

1° Canton de Dinan. Dinan, 7.925 habitants ; Lanvallay, 864 ; Léhon, 521 : Quévert, 925 ; Trélivan, 525 ; Tressaint, 351.

2° Canton de Corseul. Corseul, 4.051 ; Aucaleuc, 299 ; La Landec, 370 ; Languénan, 1010 ; St-Maudé, 305 ; Trigavou, 1.018.

3° Cauton d'Evran. Evran, 3.317 ; Calorguen, 776 ; Le Quiou 507 ; St-André-des-Eaux, 488 ; St-Judoce, 665 ; St-Solain, 356.

4° Canton de Plancoët. Plancoët, 620 ; Bourseul, 1.266 ; Créhen, 1.361 ; Pluduno, 2.026 ; St-Lormel, 329 ; St-Potan, 1.559.

5° Canton de Ploubalay. Ploubalay, 2.000 ; Lancieux, 818 ; Langrolay, 540 ; Pleslin, 1.115 ; Plessis-Balisson, 179 ; St-Jacut, 564 ; Trégon, 300 ; Tréméreuc, 420.

6° Canton de Plouër. Plouër, 3.028 ; Pleudihen, 4.252 ; St-Hélen, 1212 ; St-Samson, 381 ; Taden, 1.114.

7° Canton de Plumaudan. Plumaudan, 1.265 ; Brusvilly, 578 ; Le Hinglé, 140 ; Languélias 181 ; St-Carné. 704 ; Trébédan, 356 ; Yvignat, 1.700.

8° Canton de St-Méloir. St-Méloir, 231 ; Bobital, 215 ; Lescouët, 665 ; Plélan-le-Petit, 1.004 ; Plorec, 812 ; St-Michel de Plélan, 298 ; Vildé-Guingalan, 456.

9° Canton de Tréfumel. Tréfumel, 510 ; Guenroc, 526 ; Guitté, 1.100 ; Plouasne, 2.852 ; St-Juvat, 1.445 ; St-Maden, 474 ; Tréveron, 760.

Dinan, dans la concavité de la Rance, à l'endroit où le flux achève de se faire sentir est, avec Lamballe, la ville préférée des nobles. Beaucoup d’entre eux, qui possèdent châteaux et retenues à la campagne, y ont une maison où ils viennent passer l'hiver. Le clergé y a des établissements considérables de moines et de religieuses [Note : Jacobins, Cordeliers, Bénédictins de Léhon, Clarisses, Catherinettes, etc. Dans le district, se place l'abbaye de St-Jacut-de-la-Mer] et un collège important. La bourgeoisie y est aisée, qu’elle s'adonne au commerce ou à la jurisprudence.

Le commerce, en majeure partie, alimenté par des industries locales de toiles et de tanneries, nécessite souvent des voyages à l'étranger où sont situés les principaux débouchés. Aussi ne sera-t-il pas rare de voir des négociants dinannais demander des passeports pour l'Espagne [Note : De préférence pour Cadix] et pour les Etats-Unis d'Amérique [Note : Les toiles que l'on achetaît à Dinan portaient le nom de languénans et de combourgs, du nom de ces deux localités voisines où on les fabriquait de préférence. Elles trouvaient un débouché assuré aux Antilles et notamment à St-Domingue. On fabriquait, en outre, aux environs de Dinan, des futaines connues sous le nom de cotons de Dinan. (Cf. HABASQUE. Notions etc... passim)].

Dans son ensemble, le district de Dinan s'adonne à l'agriculture [Note : La faible population des agglomérations eût suffi à le faire pressentir]. Si l'on en excepte le plateau de Plélan, le sol est d'ordinaire fertile [Note : Le district appartient dans son ensemble à la zone littorale. (CF. notre ouvrage La Vente des Biens Nationaux etc... première partie)]. Les cultures y sont analogues à celles du reste du département : mais aux cultures du froment, du seigle, de l’avoine et du sarrazin, on doit ajouter celle de l'orge ou paumelle qui y est assez répandue |Note : La culture de la pomme de terre ne fait que commencer et ses progrès sont extrémement lents]. Les champs sont généralement plantés de pommiers, les prairies sont peu abondantes, et, dans les cantons du sud, de grandes étendues sont laissées en friches. Le pays est relativement boisé, mais les forêts sont peu nombreuses et de petite étendue [Note : Le bois d'Yvignac et surtout la forêt de Coëtquen, à la lisière de l'Ille-et-Vilaine, dans la commune de St-Hélen. Cf. lettre de Queillé du 5 messidor an II (23 juin 1794) : « ... Le District de Dinan, surtout dans sa partie supérieure est couvert de bois : des bruyères, des landes couvrent ces terrains perdus pour l’agriculture ». A. C. D. N. sans cote]. Les fermes y constituent à peu près le seul type d'exploitation. Elles portent, comme dans tout le département, le nom de métairies et leur bail se stipule presque toujours en argent ou en grains : il est rare que d’autres prestations s'y ajoutent.

L'ancien régime reconnaissait deux villes dans cette région : Dinan, la plus importante du département des Côtes-du-Nord, le chef-lieu de la sénéchaussée : et Plancoët. située dans une position analogue, à l'extrémité du cours fluvial de l'Arguenon, chef-lieu d'une subdélégation. La population était extrêmement dispersée, et l'agglomération de certains villages était souvent plus importante que celle du bourg de la paroisse. Le cultivateur ne quittait ses champs que pour accomplir ses devoirs religieux, à moins d'un autre événement tout fortuit et si rare. Les seules idées qu'il possédait étaient celles que lui avaient inspirées ses prêtres, et aussi la connaissance plus ou moins consciente de sa sujétion et de la rigueur du régime féodal. Il accueillera avec joie la Révolution, d'abord parce que, dans ses préliminaires, elle lui permettra de rédiger des cahiers de doléances et de concourir indirectement à la nomination des députés [Note : Les députés de la sénéchaussée de Dinan furent Jean-Jules Coupard, avocat, lieutenant de maire de Dinan, et Marie Toussaint Gagon du Chenay, avocat et maire de Dinan] qui iront les soutenir près du Roi ; ensuite, parce qu'elle proclamera la destruction du régime féodal.

Les nouvelles publiques qu'il avait toujours ignorées vont lui parvenir. Sans doute seront-elles souvent déformées, mais elles lui feront prendre goût à la vie de toute la nation et, poussé par des rancunes souvent excusables peut-être, à limitation de certaines régions, il courra sus aux châteaux pour brûler les chartriers, il refusera l’'acquit des dîmes féodales dont la levée a été provisoirement maintenue. Si l’on en excepte le véritable siège du château de Trolong du Rumain, à la Roche-Derrien [Note : District de Pontrieux, aujourd'hui arrondissement de Lannion], les premiers mouvements auront pour théâtre la Touche-Porée, en Pleudihen [Note : Cf. J. HAIZE : Une commune bretonne pendant la Révolution, Histoire de Saint-Servan], et la métairie Brunet, à Evran. La circulaire du 8 février 1791 par laquelle le Directoire du Département essayait de la persuasion resta sans effet, et il fallut bien avoir recours à la troupe [Note : A cette occasion, le Directoire du département demandait au Comité Ecclésiastique de l'Assemblée Nationale que l’on fit usage des troupes de ligne et non des gardes nationales des villes, et notait la grande méfiance des paysans vis-à-vis des citadins. Nous nous bornons aussi à marquer cette méfiance ; elle constitue peut-être un des éléments de la réaction manifestée par le peuple des campagnes].

Mais ces mouvements sont tout impulsifs : ils ne dénoncent aucune méthode, aucun esprit de suite, et c'est bien à tort que les administrations défiantes y verront la main des contre-révolutionnaires [Note : Cf. Abbé H. POMMERET : L'Esprit public dans les Côtes-du-Nord (inédit)]. Les cultivateurs du district de Dinan nous semblent, au reste, avoir été extrémement ternes. Alors que certaines administrations de districts comptent, dès le début, de nombreux laboureurs : celles de Dinan, comme de Loudéac, n'en compte aucun : pas un ne sort de pair [Note : On trouve sur 12 membres, 8 laboureurs dans le district de Guingamp ; — 7 dans celui de Lannion. Nous pensons que le mode de tenure à domaine congéable était très favorable à l'émancipation intellectuelle et morale des paysans]. En fait, toute l'influence était exercée, dans le district par les hommes de loi, les négociants et les prêtres [Note : L'administration districtoriale en 1790 est composée de Jean-Baptiste Le Boulanger, président, avocat à Pleudihen ; de Jean-Pierre Carillet, officier de justice à Plancoët ; de Jean-Jacques-Claude Forcouëffe, avocat à Corseul ; de Benjamin Delaunay, négociant et subdélégué à Dinan ; de Pierre-Marie Lemasson, avocat à Saint-Potan : tous les quatre, membre du Directoire ; — de Jean-François-Ange Frelaut, avocat à Trébédan ; Jacques Cormao, officier de justice à Saint-André-des-Eaux ; Jean-Joseph Essirard, avocat à Saint-Juvat ; Vincent Hallouet, officier de justice à Plélan-le-Petit ; Alexandre Le Borgne, recteur de Ploubalay ; Guillaume Viel, négociant à Léhon, et René Cathenos, recteur de Taden, membres du Conseil général. Le procureur général était Francois-Marie Lohier, vénérable de la Loge maçonnique, notaire et procureur à Dinan. — Dans l'administration départementale, les représentants de ce district étaient : le président, Bameulle de la Chabossais, avocat à Dinan ; le membre du Directoire Urvoi de Saint-Mirel, avocat à Bourseul, futur député à l'Assemblée Législative ; les membres du Conseil général, Poirrier de Noisseville, de Trégon, ancien contrôleur des fermes du roi, et Ozou, avocat à Dinan].

***

Il ne saurait entrer dans notre esprit de raconter, au jour le jour, l'histoire du district de Dinan, depuis le mois d'octobre 1790 jusqu'au moment où le gouvernement devint révolutionnaire (nivôse an II). Ce serait entreprendre une tâche fastidieuse et décevante, car ce district a mené une vie assez tranquille, confondue avec la vie politique du département tout entier jusqu'à l'époque où les Vendéens s'emparèrent de Dol et où la question du Fédéralisme entraîna le département des Côtes-du-Nord à prendre parti, non pas sur une question de décentralisation territoriale, mais contre le pouvoir que s'arrogeait la Commune de Paris, et en faveur des députés Girondins [Note : L. DUBREUIL : La Révolution dans le département des Côtes-du-Nord, pp. 105 et sqq] ; et, bien que les partis commençassent à se dessiner, il ne se produisit entre eux aucune querelle qui méritât d'être signalée [Note : Cependant en février 1792, le château de Dinan avait été choisi par le département pour recevoir les prêtres insermentés dont l'incarcération avait semblé nécessaire. C’est le 4 février que le premier d'entre eux y fut envoyé avec cette recommandation au District « ... Vous voudrez bien faire disposer un lit, et vous rappeler, dans tous les cas, que la justice et l'humanité exigent qu’un criminel même soit détenu dans un endroit sain et commode ». A. d. C.-N. reg. 1 L 6/2 passim. Il ny resta pas longtemps isolé. Le 20 août, en effet, l'on avisait le district de Guingamp que le château de Dinan ne suffisait plus à renfermer les prêtres réfractaires, et on lui demandait si la communauté des Jacobins lui paraissait un endroit sûr pour les y recevoir. La communauté des Jacobins ayant été écartée, ce fut celle des Carmélites que l'on choisit. — Comme le disait le Directoire du Département, dans une lettre du 20 mars, à l'Assemblée Législative, les prêtres détenus n'étaient pas malheureux, ils avaient toute la liberté, « hors celle de nuire ». Et trois jours auparavant, en approuvant la municipalité de Dinan qui avait combattu les prétentions du commissaire du roi près le tribunal à inspecter les prisons, il précisait que les détenus doivent être traités d'une manière saine et commode, qu'ils n'aient pas à se plaindre, qu'ils aient la faculté de lire, d'écrire, de communiquer avec les personnes du dehors pourvu qu'elles ne soient pas « trop suspectes ». Ils doivent recevoir une nourriture saine et suffisante dont le prix n'excède pas 350 francs par an, et peuvent d'autre part se procurer telles douceurs qu'ils désireront. Et comme ils n'ont pas voulu accepter un prêtre assermenté pour leur apporter les secours spirituels, le Directoire autorise Bameulle, le 3 avril, à en désigner un autre. Le 16 avril et le 3 mai on insiste encore pour que ces ecclésiastiques soient traités avec douceur et humanité, et on blâme la municipalité de s'être laissée entraîner par son zèle à décacheter leurs lettres et à fixer le moment de leurs conférences auxquelles auraient même assisté des gardes nationaux. — Nous n'insisterons pas non plus sur le conflit qui éclata entre le procureur- Syndic, nommé, le 14 avril, économe des pensions des ecclésiastiques détenus, et la municipalité qui prétendait lui interdire l'accès du château, à moins d'être accompagné d'un officier municipal].

Ce n'est guère qu'en 1793 que l'histoire du district de Dinan accuse un caractère particulier. Les apparences ne laissaient pas supposer l'agitation latente qui couvait tout au moins dans la ville, et le Directoire semblait être indiscuté. On l'avait félicité du zèle qu'il avait apporté à la vente des domaines nationaux, et récemment encore pour le nombre de volontaires que le district avait fourni pour aller au secours de Nantes assiégée par les Vendéens [Note : Plancoët qui ne comptait pas 300 citoyens avait fourni 33 volontaires alors qu'on ne lui en demandait que 5].

Mais les partis se divisaient de plus en plus. Des dissentiments existaient dès l'origine qu'allait rendre plus aigus l'affaire du Fédéralisme [Note : En juillet 1793, il n'existe guère que deux partis républicains, les autres étant politiquement annihilés : le parti des démocrates, uni, pour le moment, avec à sa tête les deux prêtres Tobie et Tudeau, l'ancien contrôleur des fermes du roi, Dereuse, le marchand Corseul, l'avoué Hédal, le régent Dubos, le propriétaire-cultivateur Bullourde, etc. ; — le parti des modérés, mais républicains plus avancés que les Lenormant de Kergré, de Guingamp, ou les Le Febvre du Volozenne, de Quintin, dirigé par le conventionnel Girault, ancien commissaire de la Marine à Dinan, et auxquels avaient toujours appartenu jusqu'alors les membres de la municipalité et du district — Mais la mésintelligence ne se manifestait encore que de personne à personne : les démocrates et les modérés se montraient dans l'ensemble une confiance réciproque, et certains hommes comme Forcouëffe et Beslay étaient sympathiques aux uns et aux autres]. Comme le département, le district de Dinan avait adhéré à l'envoi d'une « force départementale » pour protéger la Convention contre les menaces de la commune de Paris. Le député Girault [Note : Cf. JULES GUIFFREY : Les Conventionnels, Soc. de l'Hist. de la Rév., 1889. Il était né le 29 octobre 1736, à Paris. Incarcéré, la Convention ne le rappela que le 18 frimaire an III] se trouvait au nombre des protestataires contre le coup de force dont les Girondins avaient été victimes le 2 juin, et des soixante-treize dont l'arrestation avait été décrétée.

Nous avons raconté en détail ailleurs [Note : LÉON DUBREUIL : La Révolution dans le département des Côtes-du-Nord, pp. 159 et sqq] comment ce fut justement le décret d'arrestation lancé contre Girault et ses deux collègues Couppé [Note : Gabriel-Hyacinthe Couppé, ancien sénéchal de Lannion, ancien député de la sénéchaussée aux Etats-Généraux. Il abandonna son poste à la Convention dès le 1er juillet. Il fut incarcéré le 7 et rappelé aussi le 18 frimaire an III. Il avait été remplacé par le premier suppléant Jean-Jules Coupard] et Fleury [Note : Avocat à Quintin, député suppléant aux Etats-Généraux] qui détermina le département à hâter le départ de volontaires pour Paris, en un moment où l'idée pouvait en paraître abandonnée, et quelles difficultés l’on dut surmonter pour ne parvenir qu'à en grouper une quarantaine. Tout alla bien, mais jusqu'à Dinan seulement. Lamballe possédait sans doute un parti montagnard, mais les fédérés ne firent qu’y passer. L'organisation définitive de leur petit bataillon devait avoir lieu le dimanche 21 juillet à Dinan sous la surveillance des autorités constituées et en présence de l’ancien maire Lecoq, administrateur du département. Les montagnards firent entendre de véhémentes protestations qui restèrent vaines. Note : Des évènements de Dinan nous avons surtout connaissance par deux lettres adressées un peu postérieurement au Ministre de l’Intérieur par Dereuse d'une part, et les prêtres Tobie et Tudeau, de l’autre. — Dereuse n'en était pas à ses premières protestations. Déjà le 12 mai 1791, il avait protesté contre l'élection d'un cordelier à la place de procureur de la commune, en remplacement de Baignoulx qui avait été élu greffier du tribunal du district ; ce cordelier n'ayant pas prêté le serment exigé des ecclésiastiques fonctionnaires publics alors que l'abbé Gaultier, simple prêtre, l'avait prêté. (Arch. Nat. D. IV. 558). — Quant à Tobie, curé de Saint-Sauveur de Dinan [son frère Tudeau était curé de Saint-Malo de Dinan], en juillet 1792, il avait déjà eu maille à partir avec Le Conte, alors maire de la ville, ayant apporté toutes sortes de délai à baptiser l'enfant nouveau-né d’une femme qu'il disait être « sans considération ». Le Directoire du département l'avait alors sévèrement rappelé à l'ordre. « Les larmes d'une citoyenne, lui écrivait-il le 28 août, devoient inspirer de l'intérêt, quand elle manifestait le désir de voir un enfant inscrit au nombre des catholiqnes du culte desquels le service vous est confié ». Et qu'est-ce que ce sans considération ? Devant la loi ? comme devant la religion, les individus sont absolument égaux ; qu'il se rappelle qu'il est élu du peuple ; — et comme la question du nouveau-né était bien secondaire, et que le Directoire flairait une opposition aux pouvoirs consistués, on l'invitait, le 4 septembre, à l'union « avec les citoyens de Dinan ». A. d. C.-N. 1 L 6/2. Tobie était au reste fort haï du peuple de Dinan, et son frère Tudeau — frère de la même mère — curé élu de Saint-Malo de Dinan, subissait la même haine. On devinait en eux des intrigants, désireux de jouer un rôle. Les premières mesures révolutionnaires de la Convention les trouvaient tout disposés ; ils s'étaient empressés d'y applaudir, d'en faire une surenchère, attendant tout de leur zèle. Les autres montagnards mêmes se rendaient compte de l'exagération de leur conduite, et s'en défiaient comme d'hommes très peu sûrs. Quoiqu'il en soit, le « vrai républicain Dereuse, ancien contrôleur général des fermes » rapportait, le 25 juillet, au Ministre de l'Intérieur, comment 35 à 36 volontaires recueillis dans les villes de Lannion. Guingamp, Pontrieux, Moncontour et Saint-Brieuc, porteurs d'une bannière tricolore (Cf. L. Dubreuil, op. cit. 179), qu'un arrêté du département leur défendait de déployer avant leur rentrée à Paris, commandés par le « soi-disant » chevalier Geslin de Trémargat. « commandant de notre 2ème bataillon qu'il quitta pour accepter de La Fayette le grade de maréchal de camp » qu'il perdit, « chassé » de l’armée, avaient séjourné à Dinan. Le dimanche, « une horde » de montagnards se serait opposée à leur passage pour se rendre à l'assemblée et qu'il avait été impossible d'entendre les commissaires du département et du district. Dereuse s'offrait enfin à continuer « cette correspondance républicaine » et ajoutait prudemment : « Surtout, ménagez mon nom ; ne le rendez pas public ». — La lettre de Tobie et de Tudeau, du 26 juillet, est infiniment plus intéressante. Ecrite tout entière de la main de Tobie, elle affecte un ton extrêmement violent. Elle débute par des dénonciations contre la municipalité et le district qui répandent dans le peuple des libelles contre la Montagne, des lettres des députés exclus réunis à Caen, et font afficher « le bulletin du prétendu comité central » sur la place des Cordeliers. Et les dénonciations nominales suivent : C'est Patissier que la municipalité charge de la lecture ou du commentaire de ces papiers ; c'est Vauvert qui terrorise les patriotes ; c'est Januri qui menaça publiquement Tobie, le poing tendu, de lui « moucher le nez » ; c’est le maire Reslou du Guémen, etc., etc. — Or, le 20, arrivèrent à Dinan « des hommes se disant fédérés des Côtes-du-Nord avec un chariot portant ce titre ». La municipalité envoya des citoyens au-devant d'eux et leur donna une garde d'honneur. Elle convoqua tous les citoyens à l'assemblée pour 8 heures le lendemain dans l'église du collège. Les Fédérés s'y trouvaient. Un de leurs orateurs monta en chaire, leur lut l'arrêté du département, puis « a péroré pour prendre parti contre Paris et la Convention ». Ils trouvèrent un contradicteur inattendu dans le citoyen Renaudière. — Le 22, après avoir recu des armes, des munitions, des habits, de l'argent, ils partirent pour Dol sous la conduite de M. de Trémargat. A cette nouvelle la garnison de Chateauneuf se mit en marche pour les arrêter, mais la municipalité de Dol s'était déjà opposée à leur passage. — Il fallut donc revenir. Ils passèrent à Dinan, le 24, et le lendemain les patriotes étaient molestés. Gourneuf « chef d'une nombreuse famille » accusé d'être du parti de Marat et de la Montagne fut traîné devant la municipalité et arrêté. — Puis les deux prêtres s'élevaient contre les dilapidations des administrateurs du District. Ils terminaient comme Dereuse : « Ne donnez pas connoissance de nos noms, surtout à Giraut député, de Dinan, car il y auroit tout à craindre pour nos jours ou pour notre liberté. Arch. Nat, Flc III, 12 »].

Armés et équipés, les volontaires partirent, le 22, mais à Dol, un bataillon de la Seine-Inférieure leur barra le chemin et, le 24, à leur retour à Dinan, ils molestèrent un certain nombre de démocrates qu'ils accusaient de les avoir trahis. La conduite, que les uns et les autres avaient tenue dans ces circonstances, creusait ainsi un véritable abîme entre les partis. La Montagne triomphait, et il était à prévoir que la minorité jacobine ne manquerait pas de demander des comptes aux modérés.

La compromission des autorités dinannaises fut établie si nettement qu'elles subirent une double épuration, alors que l'administration départementale n'en subissait aucune [Note : Carrier ordonnait bien l'arrestation du procureur général-syndic Le Saulnier, de Rupérou, et d'Ozou (de Dinan), mais, en somme, pendant toute la Terreur, ce fut le Directoire élu par l'assemblée électorale de Lamballe qui resta en exercice. Il sut d'ailleurs montrer en toutes circonstances une telle habileté que le 30 frimaire an III (20 septembre 1794) Boursault se borna à le compléter. — Le Directoire du District de Dinan, élu en 1792 — et qui se trouvait compromis dans l'aventure fédéraliste — se composait de Guillaume Nicolas, qui deviendra plus tard greffier du juge de paix de Dinan ; de l'homme de loi Joseph Delourmel, futur président du canton de Ploubalay, du notaire Jean-Pierre Carillet, de Dinan, et de l'ancien juge Jean-Mathieu Roquelin. Le Procureur-syndic était Jacques Robinot de Saint-Cyr].

Vers cette époque, le Conseil Exécutif provisoire avait délégué, à Dinan, Corbigny pour l'approvisionnement de la marine, et Gouverneur, pour la descente des cloches [Note : Ces cloches furent, pour la plus grande partie, dirigées vers la Monnaie de Rouen]. C'étaient, de tout jeunes gens, fort inexpérimentés, que certaines délicates attentions ne pouvaient manquer de séduire. Les modérés les accueillirent cependant avec une extrême froideur. Carrier qui, le 7 octobre 1793, se vantait au Comité de Salut Public de recevoir de Quimper, Quimperlé, Lorient, Dinan et Vannes, deux espèces de députations : celle des patriotes et celle des fédéralistes, « la première pour demander punition » celle-ci « pour réclamer indulgence », qui avait ordonné le mois précédent l’arrestation de quatre-vingt-quinze suspects — quarante-cinq hommes et cinquante femmes — et la dissolution du « Club Fédéraliste et de la Chambre Littéraire », se trouvait à Nantes depuis quelques mois déjà, rappelé par les dangers que les Vendéens faisaient courir à la ville, au moment où il se disposait à se rendre dans les Côtes-du-Nord. D'autre part, le représentant Pocholle [Note : Pierre Pomponne Amédée Pocholle était député de la Seine-Inférieure, où il avait été élu le second. Il était maire de Dieppe et avait été suppléant à l'Assemblée Législative. — Il n'avait alors que 29 ans], en mission dans l'Ille-et-Vilaine et les départements voisins, inquiet de la marche des rebelles vers le nord, ne pouvait entrer dans le détail des administrations locales. Aussi chargea-t-il Corbigny de l'épuration de celles de Dinan.

Celui-ci y procéda le 8 brumaire an II (29 octobre 1793). Il conservait J.-M. Roquelin, Nicolas, et le procureur-syndic Robinot, et remplaçait Delourmel et Carillet par Dereuse et Forcoueffe [Note : Il appelait Fontaine au secrétariat]. Le Directoire, ainsi débarrassé de ses éléments modérés, sans manifester encore de tendances terroristes, représentait assez bien l'opinion des démocrates de Dinan ; et personne ne parut trouver étrange que la Montagne, désormais victorieuse, fit exclure d'une administration les membres qui lui étaient notoirement hostiles.

Au reste, des évènements plus graves allaient détourner l’opinion des querelles de partis. Les Vendéens, séduits par l'espérance de voir un prince se mettre à leur tête, menaçaient les départements bretons. On s’occupait, dans les Côtes-du-Nord, en ce début de frimaire, sur l'insistance de Pocholle, d'envoyer des hommes au secours de la ville de Rennes, devant laquelle ils ne s'arrêtèrent pas, puis de Dol d'où ils menaçaient Dinan.

Note : Le département hésitait parce que des mécontents s’agitaient et qu'il aurait bien voulu laisser des forces aux environs de Coat-au-Nos. Mais bientôt le péril apparut comme tout à fait imminent. Les communications sont coupées avec le département d'Ille-et-Vilaine. Le lundi 14 brumaire (4 novembre) l’on est sans courriers et sans nouvelles de Rennes depuis le jeudi précédent. Le courrier de Paris, de même, n’est pas arrivé, et l’administraction des Côtes-du-Nord fait proposer à celle d'Ille-et-Vilaine par un envoyé extraordinaire, d'établir des estafettes à Bédée et à Montauban de manière à être renseignée tous les jours. — Mais les Vendéens, sans s'arrêter à Rennes qu'il savent défendue, continuent leur marche vers le nord. Bientôt Dol est en leur pouvoir, et Dinan, qui est la clef de la Basse-Bretagne, n'est défendue que par deux ou trois cents hommes que Pocholle y a envoyés. — Le 17 brumaire (7 novembre), le département ordonne la levée en masse « Citoyens, les brigands de la Vendée sont à nos portes ; Dol est en leur pouvoir. Ils marchent sur Dinan et nous n'avons point de forces disponibles à leur opposer. Il faut que les républicains se lèvent en masse et qu'ils courent les exterminer. Point d'exception d'âge. Il faut néanmoins que les fonctionnaires publics restent à leur poste pour faire aller la machine politique et surveiller la malveillance. Les points de ralliement que nous désignons sont Lamballe et Saint-Brieuc. Faites sonner le tocsin dans les communes patriotes de votre district. Que tous les hommes vigoureux marchent armés de piques, faux, fourches et de tous autres instrumens capables de les assommer. Prévenez ceux qui marcheront d'apporter avec eux pour huit jours de vivres et des farines, s'il est possible ; que des charrettes soient requises. Ne tardez pas un instant, le salut de la patrie vous recommande la plus prompte vigilance. » A d. C.-N. 1 L 6/3, f. 125 Le lendemain, l'on demande au district de Morlaix d'accélérer la marche des 1200 hommes que les représentants à Brest leur ont promis et d'y joindre toutes les forces, les armes et les munitions dont il pourra disposer. On invite les principales municipalités à nommer un commissaire pour vérifier les passeports à l’arrivée des voitures publiques. Et au moment où les craintes sont à leur comble, un employé des bureaux de l'administration, qui se trouve en qualité de volontaire à l'armée de Rennes, d'Epery annonce la capitulation de Dinan. Mais le 20 brumaire on lui répond que c’est une infame calomnie, que Dinan ne s’est pas rendue. Qu'il se borne désormais à donner des nouvelles des soldats qui sont à Rennes. « Mais écrivez-nous des faits exacts et non des phrases de rue ». — Dinan n'avait pas eu à se rendre ; les Vendéens n'avaient pas quitté Dol. seuls leurs éclaireurs s'étaient avancés jusqu'à Saint-Hélen. Et voici que l'on se rassure. L'armée de Brest a envoyé 2.000 hommes commandés par « le général sans-culotte Tribout ». Le 20 brumaire (10 novembre 1793) ils sont à Saint-Brieuc et l’on attend des renforts du Morbihan, Le 21, en invitant diverses municipalités à requérir des bœufs, le Directoire du département ne manque pas d'ajouter : « L'armée qui part à l'instant pour Lamballe va, à coup sûr, nous débarrasser des brigands qui menacoient de porter la désolation dans notre département », et le même jour on demande « au républicain Gouëffic, commissaire de permanence nocturne à la municipalité et au comité de surveillance de Moncontour » l'état des troupes quil loge le soir même : le général ayant besoin de ce dénombrement pour méditer des plans. Lorsqu'on songe qu'il s’agit de Tribout, l'on ce peut vraiment s'empêcher de sourire. — « ... Il paroit qu’ils (les Vendéens) sont toujours à Dol et aux environs, écrivent les administrateurs aux représentants du peuple à Brest, nous nous occupons sans cesse à faire filer des troupes sur Dinan. Nous voyons avec plaisir l'étonnante énergie qui règne parmi nos administrés. Nous les avons appelés et ils volent en foule à notre voix. Les hommes pleuvent de toutes les villes de notre département. Ils viennent avec des piques, des fourches, des pioches, des bâtons, et toutes les armes que le hasard leur a procurés : ce qui nous afflige cest que nous avons peu de fusils et point de grosse artillerie [Note : Dans une lettre du 22 brumaire (12 novembre 1793) à Prieur de la Marne, représentant du peuple à Brest et à Lorient, on lui précisait que 6.000 hommes s'étaient levés, mais qu'on avait dû en renvoyer les onze douzièmes pour ne pas garder de bouches inutiles et pour ne pas arrêter l’ensemencement des terres. Le District de Guingamp s'était particulièrement distingué à cette occasion et l’on en rendit compte à la Convention] .... Tâchez encore de nous envoyer quelques pièces de grosse artillerie pour défendre Dinan. Il est intéressant de couvrir cette place qui sert de boulevard à son département, et qui empêche l'invasion et la dévastation de la ci-devant Bretagne. Les représentans du peuple à Rennes y attachent eux-mêmes la plus grande importance et nous promettent d’écraser les rebelles si cette place est sauvée ».

Cependant ils hésitaient. Où devait débarquer le comte d'Artois ? Sur la nouvelle que ce serait à Granville, ils abandonnèrent leur projet d'attaque sur Dinan [Note : Le département parut presque le regretter : Dinan était si disposée à faire une vigoureuse résistance !... Il ne leur semblait pas douteux que les armées de la République n'eussent bientôt fait de les exterminer, Néanmoins, ces nouvelles n'étaient pas absolument certaines, et le 25 brumaire (15 novembre 1793) l'on parlait encore des 5.000 braves défenseurs de Dinan. Cependant le 28, le général Tribout essuyait une défaite à Pontorson et rentrait précipitamment à Dinan, tandis que les administrateurs départementaux, non encore instruits, manifestaient le lendemain encore leur zèle et leur bon vouloir], et après avoir défait le général Tribout, à Pontorson, ils s'enfoncèrent définitivement dans la Normandie.

Mais l'alerte avait été chaude et les Dinannais avaient tous fait leur devoir. Démocrates et modérés, que la question fédéraliste avait divisés, s'étaient réunis dans le péril commun. Seul Tobie et Tudeau paraissaient irrités de cet accord et tentaient de créer une agitation qui eût été à ce moment désastreuse. Ils furent alors incarcérés et transférés à St-Brieuc [Note : Ils devaient être mis en liberté, le 21 frimaire an II (11 décembre 1793) sur les ordres de Carrier].

En somme, l'aventure fédéraliste était bien oubliée : une entente véritable s'était créée entre les diverses fractions de l'opinion ; Corbigny et Gouverneur, attirés par la haute bourgeoisie, reçus chez la femme du conventionnel Girault, s'étaient mis à l'unisson, et probablement le calme se serait-il maintenu dans la ville, si les dangers extérieurs n'avaient contraint la Convention à voter la loi du 14 frimaire an II (4 décembre 1793).

(Léon DUBREUIL).

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