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District de Dinan durant la Révolution : Politique et Sûreté.

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Les Comités de la Convention tenaient beaucoup à se rendre compte de l'effet des évènements quotidiens sur l'esprit des populations, et notamment des populations rurales. On savait les villes attachées à la Révolution, et si des partis s'y étaient formés, depuis le parti jacobin jusqu'au parti simplement patriote, en passant par deux partis démocrates, l'on ne pouvait y voir qu'une preuve de la vitalité de l'idée républicaine. Le parti au pouvoir se déclarant toujours « à la hauteur des circonstances », le désaccord, dont l’acuité était souvent très vive, ne tenait qu'à des modalités ou à des questions de personnes.

Dans les campagnes, l'esprit public, à vrai dire, n'existe pas. Les évènements n'y déterminent d'eux-mêmes aucun courant d'opinion, et beaucoup d'entre eux même passent totalement inaperçus. Les paysans, dans leur presque unanimité, n'ont que les idées et les convictions que leur ont inspirées ceux en qui ils ont placé leur confiance.

Or les prêtres du district de Dinan, après avoir accueilli avec sympathie la Révolution qui les émancipait de la tutelle du haut clergé et de la servilité à l'égard des gens riches [Note : Au nombre des premiers administrateurs figurait Cathenos, recteur de Taden], ne se sont pas bornés à repousser la Constitution civile : depuis 1793, ils ont pris une part active à tous les soulèvements. Et les cultivateurs englobent d'autant plus facilement tout le système révolutionnaire dans une réprobation générale que non seulement ils sont froissés dans leur conscience, mais encore qu'ils subissent le poids de toutes les réquisitions, depuis celle qui entraîne leurs enfants aux frontières lointaines, jusqu'à celles de leurs charrettes, de leurs animaux, de leurs récoltes.

Les cantons du sud, les plus infertiles, les plus impénétrables et les plus ignorants, à proximité des districts de Broons et de Montfort, travaillés par la Chouannerie, marquent le plus d'hostilité aux idées et aux évènements révolutionnaires, tandis que ceux du nord, plus voisins de la mer, plus fertiles, dans lesquels ont pénétré quelques rudiments de pensée, paraissent moins fortement subir les effets de l'hostilité des nobles et des prêtres.

C'était une tâche d'autant plus lourde pour les administrateurs de développer l'esprit public dans les campagnes que les municipalités ne manifestaient guère que de l'aversion pour un tel prosélytisme. Sans doute quelques « comités révolutionnaires » s'étaient formés ici et là, mais l'on était peu difficile sur le choix des personnes, en sorte qu'ils constituaient souvent, sous des apparences tout autres, de véritables foyers de contre-révolution.

Or le représentant du peuple alors en mission à Saint-Malo, Le Carpentier, était un homme d'esprit rigide, ennemi de tout dogme et de toute secte quelles qu'en fussent les origines et les tendances. Zélé déchristianisateur, il rêvait d'instaurer non seulement dans les communes, mais aussi dans les cœurs le culte de la Raison.

Sa politique ne pouvait manquer de présenter un puissant intérêt dans cette région où les idées religieuses étaient restées si vivaces. Elle fut au reste moins brutale qu'on aurait pu le supposer. Toute sa tactique se trouve nettement développée dans la lettre du 14 ventôse an II (4 mars 1794) qu'il écrivait aux administrateurs du département.

« Ci-joint... est un arrêté [Note : L'arrêté est de beaucoup moins net que la lettre] qui charge les districts de votre arrondissement de me faire passer une liste des prêtres suspects, avec les motifs de la suspicion, pour être ensuite statué ce qu'il appartiendra.

Le repos intérieur réclame l’anéantissement du sacerdotisme : il faut qu'il tombe sans secousse, ainsi que je l'ai toujours recommandé. C'est un colosse antique et encore tenace, car beaucoup d'habitans des campagnes ne s'élèvent que peu à peu à la hauteur de la Raison ; brisons-le donc, et ne le brisons pas avec violence. C'est surtout dans ses dépositaires qu'il faut en éteindre le principe. Réprimons les prêtres, non comme ministres de tel ou tel culte, mais comme mauvais citoyens, comme perturbateurs évidens ou secrets.

Voilà le caractère général de suspicion contre eux : restent les nuances à marquer. C'est aux administrateurs des Districts à les saisir dans leur patriotisme et dans leur sagesse. Ils sont à portée de connoitre le caractère des individus et leur influence. Je leur demande la communication de leurs notions pour m'en servir dans l'application des mesures révolutionnaires qui doivent purger la Révolution de toutes les matières hétérogènes.

Je vous prie de transmettre mon arrêté à vos districts respectifs et de leur faire connoitre la base de leur procédé dans cette occasion impérieuse et délicate » [Note : A. d. C.-N. L (m5) liasse 58. — L'administration départementale des Côtes-du-Nord, alors composée de Toussaint Prigent, président, Gouëffic, Le Dissez, Hello et Mathieu Le Mée, s'empressa d'abonder dans le sens de Le Carpentier et adressa, le 17 ventôse (7 mars), aux districts l'arrêté du représentant, en paraphrasant sa lettre d'envoi. La liberté ne peut « tolérer » qu'un culte domine et s'affiche extérieurement. « ... Le repos public réclame impérieusement l'anéantissement du sacerdoce, mais il faut... que le bien s'opère sans secousses et que les malveillans ne puissent se servir du prétexte d'une prétendue religion outragée pour exciter des troubles et fomenter des mécontentemens ». Qu'on ne manque pas une occasion de « démontrer... l'absurdité d'une croyance que des imposteurs ont répandue sur la terre pour le malheur du genre humain ; faites-leur sentir qu'ils ont été trop longtems la dupe du plus ridicule et du plus honteux préjugé et qu'il est tems que la raison reprenne enfin tout son empire... ». A d. C.-N 1 L 6/3 pp. 161-162. Et le même jour, on répondait à Le Carpentier en surenchérissant encore. « .... Les prêtres remplissent encore en divers endroits des fonctions civiles de la plus grande importance, quelques-uns sont membres d'administrations, d'autres occupent des places de maires, d'officiers municipaux, d'officiers publics, et nous nous serions élevés contre cet abus (car il nous semble que c'en est un très grand) si nous n'avions craint d'aller contre tes vues et d'en compromettre le succès par des démarches trop précipitées... ». C'est à Le Carpentier à voir s'il ne serait pas utile de publier un arrêté « portant qu'aucun prêtre à moins qu'il n'ait publiquement renoncé à sa fonction sacerdotale ne pourra remplir aucune fonction civile de quelque genre que ce puisse être ». A. d. C.-N. 1 L 6/3. pp. 160-161. Le lendemain le département ordonnait de faire conduire de brigade en brigade jusqu'à Rochefort certains prêtres détenus à Guingamp. De ce nombre était Julien Jacques Bertier ex professeur à Dinan, âgé de 28 ans. Le déparx était fixé le 26 ventôse (16 mars) et l'arrivée le 13 germinal (2 avril). — Le 25 ventôse (15 mars) le département informait Le Carpentier que son arrêté du 14 (4 mars) était appliqué, l'administration s'étant empressée de « manifester de nouveau les idées philosophiques que nous croyons essentielles au maintien du gouvernement républicain. Nous sentions depuis longtems que le fanatisme catholique méconnoit le grand principe de la souveraineté du peuple, et que ses minisires, toujours ambitieux, en s'appuyant sur des dogmes absurdes, ne peuvent qu'épaissir les nuages des préjugés, de la superstition et enseigner une morale bien favorable à la tyrannie. ». A. d. C.-N. ibid. p. 162. Bien que l'on ne mentionne alors l'ouverture de temples de la Raison qu'à St-Brieuc, Lamballe, Quintin et Guingamp, il n'est pas douteux que Dinan ait suivi cet exemple. Le zèle de Corseul à transformer en temples les églises des campagnes ne laisse aucun doute à cet égard].

Dès la fin du mois, l'on s'inquiétait, sur des commissions généralement données par le représentant du peuple, d'incarcérer les curés constitutionnels qui n’avaient pas abdiqué. Il n'y eut que l'assermenté de Vildé-Guingalan. Briand, qui refusa d'obéir, le 24 ventôse (11 mars), aux injonctions des commissaires Renaud aîné et Guerniou [Note : Entrepreneur des travaux publics à Dinan], qui le sommaient de se rendre à Dinan [Note : « ... Luy déclarant que par sa municipalité, les scellés seroient apposés sur ses papiers ; — répondant à mes interpellations a dit qu'il ne connoit aucun des pouvoirs me confiés ; que j'étais et Guerniou deux scélérats, deux coquins, etc., etc. ; — fait venir le maire, en présence du nommé Morigeon et Marguerite Richou, demandé son nom, a refusé force à la loy et de me donner main forte pour mettre à exécution les ordres qui m'étoient confiés, a refusé par des échappatoires. — En conséquence, je lui ai déclaré laisser sous sa responsabilité et de la commune dudit lieu le même Briand, et me suis retiré après avoir arrêté le présent pour être remis au citoyen Quériment [Note : Guérimand, commandant la force armée de Dinan], le dit jour et an, environ les 9 heures du soir, sous mon seing, le maire et autres parties ayant refusé, je me suis retiré. Renaud aîné ». A. d. C.-N. L (m5) liasse 58. — Le même jour, Rault aîné, marchand à Dinan, se présentait à Saint-Solain pour opérer l'arrestation du curé Cyr Nicolas Bertrand Cardon : il ne trouva que son frère Marin. — Le lendemain, Pierre Stavelan opère des perquisition chez Félix Gouinguené, ancien curé constitutionnel de Bourseul, qui a renoncé aux fonctions curiales, et chez qui, au reste, il ne trouve rien. Chargé de l'arrestation de Jacques Le Mée, curé constitutionnel de Bourseul, et des prêtres Laurent Ménard et Guillaume Le Breton, il ne rencontre qu'une « fille à gages » pour l'informer qu'ils ont abdiqué et qu'ils sont partis. — Cabaret l'aîné arrête, au presbytère de Saint-Lormel, René Trobert, curé constitutionnel provisoire de Nazareth — qui déclare avoir abdiqué ; — Hercouët arrête Haye, curé de Plélan-le-Petit, et Gabriel Rabot arrête André Lorre, curé de Plouër. — A Yvignac, Dutertre aîné procède sans difficulté à l'arrestation du curé Saudrais, mais le maire et les officiers municipaux attestent « que le citoyen Saudrais [leur] a toujours prêché la soumission aux loix décrétées par la Convention Nationale, qu'il a, dans toutes les occasions, marqué le civisme le plus épuré... », etc., etc. Le 6 floréal (25 avril) est effectuée à Evran l'arrestation du prêtre Etienne-Jacques-Jean Couppé qui en était originaire].

Le Carpentier multipliait les arrêtés capables de conduire à la déchristianisation qu'il souhaitait. Le 19 germinal (8 avril) encore il ordonnait l'incarcération de « toute ci-devant sœur » qui n'aurait pas prêté le serment civique [Note : Cette mesure lui valait l'adhésion enthousiaste du Directoire du Département. « ... Tes mesures vigoureuses sont arrivées fort à propos... elles ont semblé venir au-devant des vœux des amis de la philosophie et du bien public... » A. d. C.-N., 1 L 6/3, p.169]. Puis, quelques jours après la proclamation du culte de l'Etre suprême, le 25 prairial (13 juin), il permettait l'élargissement des prêtres qui se marieraient ou en manifesteraient l'intention [Note : Le 1 messidor (19 juin), il en recevait un accusé de réception où l'administration centrale se réjouissait de ce qu'il ouvrait « la porte des maisons de détention aux individus qui, sans être arrêtés par les sots préjugés de la superstition, contracteroient des nœuds qui garantiroient leur attachement à la société. Nous y reconnoissons un nouveau trait de ton esprit philosophique et révolutionnaire... Il peut rendre quelques hommes utiles à la société... »].

Chamaillard, dans son Rostrenen Révolutionnaire [Note : pp. 97 à 99], déclare qu'un certain nombre de prêtres de ce district s'empressèrent de manifester cette intention, sans en éprouver cependant le moindre désir : leur unique souci était de recouvrer leur liberté. — Il ne nous a malheureusement pas été possible de noter pour le district de Dinan d'aussi utiles indications. Nous avons simplement trouvé à la date du 9 messidor (27 juin) que certains prêtres avaient été mis « en liberté pour se marier » ; c'étaient F, Gouiguené, J.-F. Chrétien, Chaviguy, Etienne Couppé, J. Paytra, Saudrais, Goupil, J. Le Gros, Haye, Le Poitevin, Le Mée, Trobert, Le Breton, Lorre, Huet, Boudet, Civelle et Ménard [Note : A. d. C.-N. L (m5) liasse 67]. Quelques-uns cependant devaient tenir leur promesse et Félix-Alain Gouinguené notamment, « prêtre abdicataire, âgé de 28 ans, fils d'Alain Gouinguené et de Françoise Prieur », épousa, à Plancoët, Françoise-Jeanne Rouxel, âgée de 15 ans [Note : A. d. C.-N. L (m5) liasse 69. Il est curieux de noter que la haine de Le Carpentier ne s’appliquait pas uniquement au clergé, mais à toute association de personnes qui pouvait passer pour se dérober à la vigilance des représentants. C'est pour ce motif qu'il prit, le 7 floréal (26 avril) un arrêté de dissolution de la loge La Tendre Fraternité de Dinan. « Nous, Représentant du Peuple, délégué par la Convention Nationale dans le département de la Manche et autres environnans. — Instruit que, dans la commune de Dinan, il existe encore une de ces sociétés connues autrefois sous le nom de francs-maçons, dans laquelle se tient des conciliabules secrets et se fait des projets clandestins [Note : Cette leçon est celle de M. Herpin. Histoire d'un Comité de Surveillance (Ann. Soc .hist. et arch. de l'arrondissement de Saint-Malo, 1910). Nous l'avons préférée à celle de l'ampliation que nous avons retrouvée aux Archives des Côtes-du-Nord, Les mots projets clandestins y sont remplacés par ceux de orgies clandestines] ; — Considérant que quelque fut jadis l’esprit des sociétés maçonniques, de telles aggrégations ne peuvent être tolérées sous un Régime Républicain où la liberté est devenue un bien commun dont la jouissance n’a pas besoin des ombres du mystère et que d’ailleurs toute réunion d’individus qui se dérobent à la vigilance publique ne peut qu'exciter la suspicion dans un tems où les actions et les principes de tous les citoyens doivent être soumis à la surveillance du gouvernement, — Arrêtons que la Société des francs-maçons encore existante à Dinan sera aussitôt dissoute, faisons deffense à tout individu de former ou entretenir aucune corporatiun de cette espèce, à peine d’être regardé comme suspect et traité comme tel ; — Chargeons le District concurremment avec le Comité de Surveillance de l'exécution du présent. — Port-Malo, le 7 floréal l'an second de la République. Le Carpentier ». A. d. C.-N. (pas de numéro de série. Carton 10)].

Les prêtres n'étaient pas, au reste, les seules personnes détenues par mesure de sûreté générale. Des parents d'émigrés et de nobles se trouvaient incarcérés, de même qu'un grand nombre d'autres suspects : anciens officiers municipaux, anciens juges, tous plus ou moins convaincus de tendances fédéralistes — Carrier et Le Carpentier en avaient ordonné l'arrestation de nivôse à ventôse. Leur captivité n'était assurément pas très rigoureuse, mais il va de soi qu'ils eussent préféré leur liberté.

Quatre officiers de santé ainsi détenus à la maison de la Victoire, Harouard, Le Tulle, Fouque et Le Conte tentèrent, dès le 20 floréal (9 mai 1794), d'obtenir leur élargissement. Le Tulle rédigea, en leur nom, une pétition brûlante de patriotisme et du désir de se dévouer, pétition qu'ils signèrent et qu'ils adressèrent à l'agent national Corseul [Note : « Les cris de l'humanité souffrante se font entendre jusque dans notre maison d'arrêt. Nos confrères obligés de partir pour donner des secours à nos camarades qui sont sur les vaisseaux de la République laissent les hôpitaux et les malades presque sans secours. Nous croyons qu'il est de notre devoir d'offrir nos talens et nos bras à nos corcitoyens, et nous acceptons avec plaisir toutes les conditiors que tu jugeras convenable. Le vrai républicain souffre de ne pas faire pour sa patrie tout ce qu'il peut pour opérer son bien. Donner la santé et la vie à de braves sans-culottes est un devoir trop précieux pour que tu n'approuves pas notre demande. D'ailleurs ui nous connois. Ta justice est notre sûr garant. Si tu ne crois pouvoir obtempérer à notre pétition nous te prions de la faire parvenir au représentant du peuple Le Carpentier. Tu es trop humain pour ne pas l’étayer ; nul intérêt ne nous guide. Le bonheur de sauver des républicains, voilà la seule récompense que nous désirons ». A. d. C.-N. L (m5) liasse 61]. Mais Le Carpentier refusa absolument d'y faire droit, quels qu'en aient été les motifs véritables. Il ne devait d’ailleurs ordonner aucun élargissement avant le 23 prairial (11 juin), date à laquelle sept suspects : Jean-François Denoual, Joseph Delourmel, François Le Bigot, François Tudiaux, Marie Roger, Pierre et Céleste Sauvage furent mis en liberté provisoire, parce qu'ils avaient détruit la cause de la suspicion qui pesait sur eux « en justifiant d'une conduite pure et sans reproches dans la la Révolution » [Note : Ils étaient néanmoins placés sous la surveillance des autorités dans leurs communes respectives. A. d. C.-N. L (m5) liasse 65].

Peu après, Le Carpentier allait être rappelé à Paris. Dès le 8 germinal an II (28 mars 1794), déclarant sa santé altérée par une mission de sept mois, il avait insisté, au près du Comité de Salut Public, pour obtenir son rappel [Note : A. AULARD, Actes du Comité de Salut public, t. XII, p. 245]. Le 29 (18 avril), après avoir donné quelques menues précisions « sur le compte de Corbigny et de Gouverneur », il priait le Comité de suspendre toute mesure à leur égard jusqu'après son retour à Paris [Note : A. AULARD, Actes du Comité de Salut Public, t. XII, p. 668]. Probablement considérait-il son rappel comme certain, et l'avait-il annoncé, car le Directoire du District de Dinan lui adressait en prairial et en messidor deux exprès, pour qu'il fit indemniser, avant son départ, les cultivateurs des pertes qu'ils avaient subies à Pontorson.

Mais le Comité de Salut Public avait sans doute des motifs de ne pas déférer à ce désir. Le Carpentier montrait assurément une rude sévérité, mais, dans l'ouest, n'était-ce pas nécessaire ? et, d'autre part, les rapports des administrations avec le représentant étaient empreints tout au moins d'une apparence de cordialité. Il resta donc en mission jusqu’après la chute de Robespierre, et c'est le 19 thermidor (6 août) seulement que le Comité de Salut Public lui ordonna de rentrer « sans délai dans le sein de la Convention » [Note : A. AULARD, Actes du Comité de Salut Public, t. XV, p. 701].

Le département lui fit part, le 28 (15 août) de ses regrets de le voir partir.
« ... Nous regrettons de ne pouvoir plus entretenir avec toi celle correspondance active par laquelle tu nous éclairois, tu assurois notre marche et tu soutenois l'énergie des patriotes en comprimant la malveillance de l'aristocratie et du fanatisme. Nous nous étions flattés de l'espoir de te voir et de te montrer de plus près nos travaux constans pour le maintien de la République et pour lesquels tu nous avois déjà donné des témoignages de satisfaction... » [Note : A. d. C.-N., 1 L 6/3 f. 190].

La Société Populaire de Dinan ne s'attarda pas à de telles congratulations. En dépit des apparences, elle n'avait jamais manqué d'entretenir des relations cordiales avec la fraction modérée du parti républicain et même avec les républicains emprisonnés comme suspects. Sachant, du reste, que Le Carpentier n'était pas inaccessible aux sentiments de l'humanité, et que ses actes avaient été surtout dictés par les événements, elle estima le moment favorable pour lui demander l'élargissement de quinze suspects, dont sept étaient détenus pour leurs opinions religieuses [Note : La Société Populaire avait été appuyée dans cette demande par le Directoire du District qui venait d'adresser à la Convention son adresse pour la féliciter d’avoir consommé la chute de Robespierre]. Dix d'entre eux : Bourré, Harouard, Bameulle, Le Renec et sa femme, Basset, Lenouvel, Renault, Le Tulle et Gaultier furent ainsi mis en liberté provisoire sous la surveillance des autorités constituées ; les autres, Fouque, Lalouette, Chevalier, Le Conte et Samson restaient en détention jusqu'à nouvel ordre. [Note : A. d. C.-N., L (m5), liasse 68. — Ce n'est que le 25 brumaire an III (15 novembre 1794) qu'un arrêté du Comité de sûreté générale et de surveillance de la Convention, signé de Le Sage-Senault, Barras, Reverchon, Le Vasseur de la Meurthe, Bentabole et Méaulle, ordonnait la mise en liberté de 55 suspects, dont les 5 qui n'avaient pas bénéficié de la clémence de Le Carpentier, tous les anciens administrateurs, magistrats et municipaux ; enfin quelques parents d'émigrés au nombre de 8. A. d. C.-N., L (m5), liasse 76. — Cette mesure devrait être complétée par un nouvel arrêté du 11 germinal an III (21 mars 1795) qui prescrivait d'élargir les 47 parents d'émigrés demeurés en état d'arrestation. — Mais alors nous sommes en pleine réaction thermidorienne, à la veille du jour où l'on va ordonner le désarmement des terroristes, alors que déjà certains des administrateurs du Directoire épuré par Le Carpentier avaient été inquiétés pour les motifs les plus divers et parfois même les plus futiles].

Malgré nos recherches nous n'avons trouvé aucune plainte de ceux qui furent détenus comme suspects à l'époque terroriste. Ce n'est pas à dire qu'ils aient supporté sans ennui leur emprisonnement, ni même sans quelques craintes. Mais leur sort ne fut pas aussi rigoureux dans les maisons nationales de Dinan, affectées à les recevoir, qu'on s'est plu parfois à le représenter. Le fait de pouvoir y banqueter et d'y fomenter des complots le prouve jusqu'à l'évidence.

La loi des suspects paraît donc avoir été exécutée avec une modération relative. L'impulsion que donnait aux administrations et aux comités de surveillance le représentant du peuple Le Carpentier était surtout anticléricale et antireligieuse. La raison en venait de ce que Le Carpentier se trouvait imbu de certaines doctrines philosophiques du XVIIIème siècle, transformées au contact des événements de la Révolution, et de ce que sa mission s'étendait sur des départements troublés par la Chouannerie. Or ce mouvement lui apparaissait beaucoup plus comme un mouvement réfractaire que comme un mouvement royaliste.

Mais s'il fut maître des circonstances pendant une période de six mois environ, s'il put maintenir, avec l'aide des administrations, le district de Dinan dans une tranquillité quasi-complète, l'on ne peut dire qu'il soit parvenu à en modifier l'esprit public. Les cultes de la Raison et de l'Etre Suprême [Note : Cf. A, AULARD, Le Culte de la Raison de l’Etre Suprème (1793-1794)] n'y poussèrent jamais la moindre racine. Les administrateurs ne pouvaient guère les considérer que comme faisant partie de l'ensemble des mesures révolutionnaires que devait décréter la Convention, pour assurer la durée de la République. Mais que le culte catholique soit toléré, et les églises, se rouvrant à l'envi, ne manqueront pas de fidèles.

(Léon DUBREUIL).

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