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District de Dinan durant la Révolution : la période Terroriste et l'Administration.

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Le conventionnel Le Carpentier [Note : Jean-Baptiste Le Carpentier, 7ème député de la Manche, né à Valognes, en 1749, occupait avant la Révolution la place de « conseiller, commissaire, receveur ancien alternatif et triennal des denrées des saisies réelles du bailliage et vicomté de Valognes », bref il était huissier. Lors de son élection il était chef de légion du district de Valognes], chargé de mission pour la levée en masse dans son département et dans l'Orne, où il resta environ cinq mois et où il concourut à la défense de Granville, arriva à St-Malo, au début du mois de nivôse. Le département des Côtes-du-Nord paraît avoir été jusque là attribué à Carrier qui, le 22 nivôse an II (1er janvier 1794) encore, sur les renseignements de Tobie, avisait le Comité de Salut Public que Dinan était en pleine contre-révolution [Note : A. AULAND : Actes du Comité de Salut public, t. X. p. 21].

Il semble bien qu'il y eut entente entre Carrier et Le Carpentier, car une des premières opérations du nouveau représentant fut de procéder à l'épuration des autorités constituées de la ville de Dinan. Il s'en acquitta le 30 pluviôse (18 février) [Note : « Cette tâche vient d'être accomplie, écrivait-il le lendemain au Comité de Salut public. Hier, dernier décadi de pluviôse, une fête brillante fut célébrée en l'honneur de la Raison. La Société patriotique, la garnison et tous les citoyens concoururent à cette cérémonie civique et morale. L'intention étoit aussi pure que la pompe fut imposante, et l’on peut dire que la moralité publique de Dinan justifie la hauteur de la position que la nature donna à cette cité. Pas plus de prêtres que de rois : telle est sa devise... » A. AULARD, op. cit. t. XI, p 276. — C’est sans doute, ce jour même, qu'il eut avec le prêtre Tobie cette entrevue dont il rend compte dans sa lettre si importante de 15 germinal (4 avril), au moment où son collègue Ruamps [Note : Député de la Charente-Inférieure] venait de le faire arrêter. « ... Toujours prêt à bien présumer des opérations de mes collégues, je n’ai jamais douté que Ruamps n'eùt des motifs suffisans pour sévir contre Tobie, en qualité de prêtre. Quant à moi, je ne l'ai considéré que sous le rapport d'antifédéraliste prononcé et reconnu par ses ennemis mêmes. Je m'applaudis, de plus en plus, d'avoir trouvé à Dinan un homme, quel qu'il soit d'ailleurs, dont l'énergie à combattu et démasqué à mes yeux la tourbe des fédéralistes, que personne peut-être n'auroit eu le courage de dénoncer sans lui, car il est trop reconnu que partout et toujours les malveillans déguisés font la guerre aux homme clairvoyans… » A AULARD, op. cit., t. XII, pp. 394 et sqq]. L'administration du district se trouva dès lors composée de P. M. Lemasson [Note : Une dernière modification fut apportée à la composition de cette administration par la suspension de P-M. Le Masson, prononcée le 23 germinal an II (12 avril 1794) par Le Carpentier, pour avoir « dans la Révolution tenu une conduite indigne d'un patriote... eu des correspondances avec des hommes suspects », pour s'être, à l'époque du Fédéralisme, « insurgé contre la liberté » et y avoir « figuré d'une manière distinguée surtout aux fameuses séances du département des 13 et 14 juin derniers (v. s.) ». Cf. Léon DUBREUIL : La Révolution, etc., pp- 151 et sqq]. En conséquence Le Masson était remplacé comme administrateur, par « Barthélemy Aufray, ancien député des assemblées primaires, de la capacité et du civisme duquel nous nous sommes assurés ». A. d. C.-N. L M5 liasse 60. Arrêté de Le Carpentier, n° 858. Forcouëffe passait à la présidence] ancien avocat à St-Potan, en qualité de président, de Jean Forcoueffe et Louis Dereuse, membres précédemment nommés par Corbigny, de Yves Hédal, avoué et procureur et de Louis-Auguste Dubos, ancien principal du collège de Dinan, en remplacement de Roquelin et de Nicolas. Les membres du conseil général étaient François Pourcel, notaire à Trélivan, Joseph Bullourde, propriétaire-cultivateur à Léhon, Jacques Cormao, officier de justice à St-André-des-Eaux ; François Lemarié à St-Solain ; l'entrepreneur Le Breton ; Auguste Le Clerc, ci-devant de la Gervezais. Le secrétaire Jacques Fontaine était maintenu. Quant au procureur-syndic Robinot, non seulement il était destitué, mais encore sa fonction était remplacée, en vertu de la loi du 14 frimaire (4 décembre 1793) par la fonction d'agent national. Le Carpentier y appelait le marchand Louis Corseul, inexactement désigné au reste comme « commis aux bureaux du département ». [Note : En dépit de sa profonde sympathie pour Tobie, Le Carpentier n'avait osé l'investir d'aucune fonction administrative. En admettant que sa qualité de prêtre l'en ait détourné, il aurait pu tout au moins désigner son frère François Tudeau qui, le 17 pluviôse (5 février 1794), avait abdiqué entre les mains de la municipalité de Lanvallay « se proposant de se retirer parmi de francs et loyaux républicains pour y manifester le zêle et l'amour qu'il a constamment montré pour la République… » A. d. C.-N. L mb liasse 57. En fait, Tudeau se retira à Guérande, où il était né le 10 février 1754, et il ne sera plus question de lui que lorsqu'on voudra procéder au désarmement des terroristes en prairial an III. Quant à Tobie, il finit par se réconcilier et fut attaché à l’église Saint-Germain de Rennes]

Ainsi constituée, la nouvelle administration représentait bien le parti démocrate avancé de Dinan, le parti de l'Ancienne Société Populaire, devenue la Société des Sans-Culottes. Mais, à vrai dire, elle n'était pas terroriste, et, dans la suite, les habitants de Dinan considéraient que la Terreur avait été pour eux virtuellement terminée du jour où Tobie avait été incarcéré, c'est-à-dire, en germinal an II [Note : « ... C'est par lui et son frère Tudeau, écrivaient les administrateurs thermidoriens, le 5 pluviôse an III (24 janvier 1795), que cette malheureuse cité a connu la Terreur. C’est lui qui a appelé sur elle les fureurs de Carrier. C'est lui qui, par ses intrigues et la terreur qu'il inspiroit, a étouffé ou rendu vaines les réclamations d'une commune entière qui n'a jamais démérité de la patrie ». A. d. C.-N. Reg. d'avis, f. 16. — Le couplet antirobespierriste qui suit est de pure forme, et, vu l'époque, comme de style]. Il n'en restait pas moins que l'administration régénérée avait des tendances démagogiques prononcées [Note : La présence de l’ancien contrôleur des fermes, Dereuse et de l’ex-noble Le Clerc de la Gervezais aurait déjà suffi à le faire présumer. Mais, en outre, la haute bourgeoisie y est moins représentée ; l'agent national Corseul et son suppléant, l'administrateur Dubos, n'appartiennent assurément pas à la populace, mais ils sont de petite extraction. C'est également la première fois que des cultivateurs rentrent à l'administration, et, s’il sont aisés, du moins leur savoir est-il bien rudimentaire].

Peut-être outra-t-elle ses sentiments dans la crainte de subir le poids des mesures révolutionnaires, car son désaveu de la politique de Robespierre a été bien rapide ! Ses membres sont surtout « des antifédéralistes prononcés », c'est-à-dire des républicains soucieux de se grouper autour de la Convention pour coopérer avec elle à la libération de la France. Les circonstances en ont fait « des déchristianisateurs » ; on les a appelés « des terroristes », mais ils l'ont beaucoup plus été de nom que de fait.

Corseul, dont on a tant médit, et que l'accusateur public Besné, dénoncera comme banqueroutier et homme de mauvaise vie [Note : 2 vendémiaire an III (23 septembre 1794). Arch. Nat. D. III, 56], nous apparaît beaucoup plutôt, malgré sa faillite [Note : Lorsque Corseul fut destitué, en conséquence de sa faillite, son suppléant Dubos lui écrivait simplement le 11 brumaire an III (1er novembre 1794). « C'est avec regret que je vous envoie l'arrêté pris par l'administration le 8 de ce mois, en exécution de la loi du 21 vendémiaire dernier ». A. d. C.-N., 7 L 15, f. 45. Ils devaient d'ailleurs rester amis. C'est chez Corseul que se grouperont les démocrates, en l'an III, et il en est parmi eux de fort recommandables qui n'auraient pas volontiers frayé avec un malhonnête homme], comme un homme simple et sincère [Note : La lettre par laquelle il annonce sa nomination, le 14 ventôse an II (4 mars 1794), aux Comités de Salut Publie et de Sureté générale, nous le montre comme beaucoup plus pressé d'agir qu'impatient de déclamer : « Vous verrez par le compte général que vous rend le district que le représentant du peuple Le Carpentier a épuré toutes les administrations : il m'a nommé à la place d'agent national et je vais faire tout ce qui dépendra de moi pour remplir cette place importante. Mes talents sont foibles, mais de quoi n'est capable un montagnard ! — Sitôt notre installation, nous nous sommes occupés de l'établissement d'un atelier pour réparer les armes. Dans deux jours il a été en activité et 60 ouvriers y travaillent tant à la réparation des armes à notre disposition qu'à celles des militaires en garnison dans notre commune. Nous sommes aussi à établir un atelier pour l'extraction du salpètre. Nous avons mis en réquisition tous les objets nécesaires pour cette exploitation. Nous attendons avec impatience l’arrivée du commissaire chargé de cette opération. Il trouvera tout prêt et nous nous flattons que notre District ne sera pas celui qui contribuera le moins à la destruction des monstres couronnés. Les subsistances nous manquent. Nous avons donné pour l'armée tout ce que nous avions, mais nous comptons que nos frères des départemens voisins viend à notre secours et ce manque de subsistances ne nous effraye pas. La culture des pommes de terres va m'occuper sans relâche. Je verroi par moi-même si les terres des défenseurs de la patrie sont ensemencées, je vais donner la chasse à cette horde de prêtres qui est répandue dans les campagnes. La raison y fait des progrès considérables, et dans peu on aura oublié jusqu'au mot de prêtre. Les biens des émigrés se vendent dans ce district on ne peut plus avantageusement. Le 5 de ce mois, une maison estimée 227 l. 10 s. a été vendue 1.560 l. : une autre estimée 4.865 l. a été vendue 21,000 l. ; une métairie estimée 9.221 l. 4. s. à été vendue 34.320 l. : une autre estimée 3.102 l. a été vendue 15.200 l., etc... Dans 15 jours, nous allons procéder à la vente de plusieurs autres biens et nous pourrons assurer qu'ils seront tous aussi bien vendus. Depuis qu'il est question d'aller pousser une visite aux Anglois, la joie est dans tous les cœurs. L'on n'entend plus que les cris de : « Vive la Montagne ! Vive la République une et indivisible ». A. d. C.-N. 7 L 15, ff. 3 et 4]. Mais la première opération qu’il eut à exécuter n'était point propre à lui attirer des sympathies. Le Carpentier l'avait chargé, dès son installation (4 ventôse-22 février 1794), de procéder à l'incarcération des juges Denoual et Gesbert, des administrateurs Roquelin et Nicolas, du procureur-syndic Robinot, des officiers municipaux Le Conte, Bénard père et Marheux, et d’apposer les scellés sur leurs habitations.

Le parti modéré se trouva atteint et put supposer, avec quelque raison, qu'une ère de persécutions allait s'ouvrir pour lui. Il s'appliqua dès lors à discréditer Le Carpentier quil accusait de faire passer des subsistances aux Anglais, et les administrateurs démocrates qu'il chargeait de toutes les infâmies. Il parlait sans cesse de faire appel de leurs Bon St-André, alors à Brest. Une cabale s'était formée autour de la femme du conventionnel Girault, à la tête de laquelle se trouvaient justement les agents du Comité de Salut Public, les dépositaires de la confiance de Pocholle : Gouverneur et Corbigny.

On affectait de s'apitoyer sur le sort des prévenus. On allait les voir ; on les accablait de prévenances. Le 8 germinal (28 mars) un banquet splendide eut lieu dans la prison même, auquel assistaient beaucoup d'anciens fonctionnaires publics et même certains fonctionnaires en exercice. Chacun fit entendre ses griefs et expectora sa bile.

Le Carpentier y répondit par son arrêté du 14 (3 avril), qui enjoignait d'arrêter quiconque aurait décrié les autorités constituées. Il ordonnait en outre l'incarcération de Gouverneur et de Corbigny [Note : Celui-ci ne fut incarcéré que le 16. On le croyait à Paris alors qu'il n'était qu'à Saint-Malo], rendait compte le lendemain de la situation au Comité de Salut Public [Note : A. AULARD. Actes du Comité de Salut publie, t. XII, pp. 394 et sqq], suspendait, le 23 (12 avril), l'officier municipal Le Bourguignon, ancien maire, qui avait assisté au banquet [Note : A. d. C.-N. Lms liasse 60. Arrêté n° 859], en même temps que le président du district Le Masson, et, pour accroître encore la crainte, l'on décida la construction d'une guillotine qui ne devait d'ailleurs jamais servir.

Telles étaient les conditions dans lesquelles les nouveaux administrateurs étaient appelés à assurer l'exécution des lois révolutionnaires.

***

Pour résister aux armées de l'étranger, la Convention avait décrété, le 24 février 1793, cette levée de 300.000 hommes qui devait servir de prétexte à la guerre Vendée et fournir, dans les départements bretons, un aliment à la Chouannerie ; puis, le 16 août, la levée en masse.

Les événements que nous avons retracés précédemment avaient apporté, dans le district de Dinan, un sérieux obstacle à la levée de cette « première réquisition » [Note : Le 8 pluviôse an II (27 janvier 1794) l'administration épurée par Corbigny en écrivait à Le Carpentier. « C'est à toi, citoyen représentant que nous nous adresserons toujours avec confiance et franchise dans toutes les circonstances difficiles où nous nous trouverons. La première réquisition n'est pas levée dans notre district. En voici les causes : — A peine étions-nous installés et au courant de nos bureaux que les brigands passèrent la Loire et menacèrent Rennes et Fougères. Alors les communes de Dinan, Pleudihen et autres se levèrent à peu près en masse, et y jetèrent des secours considérables. De plus les brigands s'étant emparés de Dol et poussant leur reconnoissance jusqu'à une lieue de notre commune, nous fîmes partir pour le chef-lieu du département tous les papiers et la caisse de l'administration. Mais décidés à mourir à notre poste, nous restâmes. Alors la levée de la première réquisition étoit impossible. Elle le devint davantage par la suite. Une armée vint dans nos murs. Elle y ressentit la disette que nous éprouvions depuis longtemps et qui devient chaque jour plus alarmante. Voilà le plus grand obstacle et le seul que nous ne pouvons pas surmonter, et qui s'est opposé à cette levée. Quoiqu'il en soit nous saurons nous dévouer. Nous saurons nous exposer à tous les dangers pour servir la République et servir ses intentions. Fais-nous les connoître et tu seras content. Nos opérations sont terminées et nos mesures sont prises de manière à ce que dans peu de jours nous pouvons réunir cette première réquisition qui se montera à environ 2.000 hommes » A. d. C.-N. 7 L 15. f. 4]. Au début de pluviôse an II, certaines communes se trouvaient même en retard pour la levée des 300.000 hommes [Note : Aussi le 17 pluviôse (5 février) le Directoire demandait au département si on devait forcer ces communes « de fournir ce qu'elles doivent pour cette levée ou s'en tenir seulement à celle qui va se faire pour la première réquisition. ». A. d. C.-N. 7 L 15. f. 6]. Néanmoins, le 29, (17 février 1794), l'administration croyait pouvoir inviter la municipalité dinannaise à préparer la communauté des Clarisses pour y loger les réquisitionnaires [Note : L'on n'allait pas tarder à en venir aux menaces. Le pharmacien Fouque, nommé agent principal pour la levée des 30.000 hommes de cavalerie n’a pas encore rendu ses comptes. [Il ne devait les rendre que le 13 germinal an III (2 avril 1795). Il lui restait alors dû 2.191 l. 14 s.] « ... Cependant tu n’ignores pas ce qui peut résulter d'une pareille négligence. Tu sais que bien des communes sont en retard. Nous t’avons demandé et nous ne pouvons rien obtenir. Veux-tu nous fournir ces pièces qui nous sont absolument nécessaires. Réponds-nous agis et songe qu’il y a urgence » (1 ventôse-19 février) A. d. C.- N 7 L 15. f. 8. — Le 7, (25 février) on déclare à la municipalité de St-Hélen que l’on prendra des mesures contre elle, si elle ne s’occupe pas « très sérieusement et très exactement » de la première réquisition, et l’on rappelle à la municipalité de St-Lormel que tous les jeunes gens de 18 à 25 ans, même mariés avant la publication de la loi y sont soumis, et que Bouttier a été nommé agent militaire à la réquisition dans le district. — Ce sont là les décrets du Directoire régénéré par Le Carpentier. Le même jour, il « désigne à la municipalité... à prendre pour casernes à l'effet de loger la première réquisition les maisons qu'occupoit, dans la rue de Bignon, le nommé Le François, et celle de la Haute-Folie, rue du Jersual. ». A. d. C.-N. 7 L 15. f. 10].

D'autre part, des troupes passaient continuellement par Dinan, qu'il fallait nourrir, dont il fallait habiller et équiper un certain nombre de soldats. Or, l'on était sans vivres, sans moyens de s'en procurer, dans l'impossibilité de pourvoir aux autres besoins, et le 12 ventôse (2 mars) l'on devait se résoudre à retarder l'arrivée des hommes de la première réquisition que la municipalité se déclarait incapable de loger.

Bientôt allaient surgir de nouvelles difficultés. Par un arrêté du 21 ventôse (11 mars), le Comité de Salut Public révoquait les dispositions de celui du 5 pluviôse (24 janvier) qui exemptaient de la levée les jeunes gens reconnus indispensables à l'agriculture. Le Directoire s'empressait de donner des ordres aux municipalités pour faire assembler le lundi 4 germinal (24 mars) les recrues qui se trouveraient dans ce cas, sous peine de responsabilité personnelle [Note : Pour celle du chef-lieu il ajoutait : « Dinan doit donnec l'exemple aux campagnes ; c'est à la jeunesse de Dinan qu'il est réservé d'entrer la première dans la carrière de l‘honneur. C'est elle qui va donner le branle révolutionnaire aux autres communes de notre District » A. d. C.- N. 7 L 15 f. 16]. Et, la veille du jour fixé, l'on crut pouvoir annoncer aux administrateurs du département le départ imminent des hommes de la première réquisition [Note : « ... Depuis longtems nous désirions la voir rendue aux portes de l'honneur, mais le défaut d'équipement avoit jusqu'ici enchaîné nos vœux et notre activité... Nous avons arrêté d'appeler successivement les jeunes gens de chaque canton de deux jours en deux jours et de les faire partir ainsi successivement par détachemens de deux ou trois cens hommes sous la conduite d'agens dont nous exigeons des certificats de civisme. Ils seront dirigés sur Lille et Cassel par portions égales... Le représentant du peuple [Le] Carpentier ayant nommé, lors de son séjour à Dinan, un commissaire des guerres affecté pour la première réquisition, nous l'avons chargé de prévenir exactement les corps administratifs et les municipalités des lieux de passage du nombre des recrues et des époques respectives auxquelles ils auront à leur faire fournir l'étape et le logement. Le premier détachement partira le 6 germinal (26 mars), le seconde, le 8 : le troisième le 10 ; tous les autres enfin dans la même progression… ». Les membres du Directoire demandaient ensuite au département tous les effets dont il pourrait disposer pour les hommes qui en manqueraient, le représentant Ruamps leur ayant ordonné de faire passer à l’armée des Côtes de Brest tous les habillements et les équipements qui avaient été confectionés, et ils terminaient : « Vous voyez que nous ne mettons aucune lenteur dans nos opérations, le même zèle pour servir la République nous animera toujours. Nous n’oublierons pas que nous existons sous un gouvernement révolutionaire et que ce gouvernement nécessite de nous l’altitude (sic) d'Hercule ». A. d. C.-N., 7 L 15, ff. 19-20].

Mais, le 4 germinal, les jeunes gens de Dinan ne se présentèrent pas à la revue du commissaire des guerres [Note : « Il paraît que la malveillance dirige leur conduite »]. Le Directoire ordonna aussitôt à la municipalité de faire publier que l’on appliquera avec rigueur la loi du 2 frimaire (22 novembre 1793) : Ceux qui ne se présenteront pas seront censés émigrés et poursuivis ainsi que leurs familles. Ceux qui refuseront d’obéir seront conduits à leur destination de brigade en brigade. Le jour du départ était fixé au jeudi 7 germinal (27 mars) [Note : La veille, le Directoire écrivait de nouveau à la municipalité : « Nous ayons vu avec surprise que les jeunes gens de la première réquisition de votre commune sont les seuls qui ne se sont pas présentés à la revue du commissaire. Cette insouciance de leur part est un crime. Nous vous chargeons, sous votre responsabilité, de les faire assembler demain à 6 heures du matin, vis-à-vis la maison de Brilland, hors la cité. Nous attendons de votre civisme les moyens les plus efficaces pour cette réunion afin qu'il ne soit pas dit que les jeunes gens de Dinan soient les seuls à montrer une résistance coupable. ». A. d. C.-N. 7 L 15, f. 16]. De telles dispositions parurent menaçantes et les réquisitionnaires obéirent à ces injonctions, à l'exception de « 40 à 50 » dont les noms furent donnés à la gendarmerie, avec ordre de les arrêter. Quant aux autres, on se hâta de les faire partir, et alors seulement l‘on se montra rassuré. Cette manifestation ne provenait pas en effet des excitations des contre-révolutionnaires avérés, des amis des Chouans, mais de ceux que Le Carpentier appelait « la tourbe des fédéralistes », c'est-à-dire des modérés qui, par opposition systématique aux administrateurs jacobins, n'hésitaient pas à conseiller à des jeunes gens, qui ne brûlaient pas, au reste, d'aller à la frontière, une abstention criminelle [Note : Le 8 germinal (28 mars), le Directoire, reprenant ses menaces du 5, faisait publier que si les retardataires ne se présentaient pas dans le jour au commissaire des guerres pour lui permettre de prendre leur signalement, les biens de leurs parents seraient séquestrés et eux considérés comme émigrés et traités comme tels s'ils étaient saisis].

La municipalité eut, à cette époque, la lourde tâche de loger un grand nombre de recrues [Note : Trois cents hommes de Guingamp arrivèrent le 10 germinal et partirent le 13 ; — trois cents, du canton de Corseul, y séjournèrent du 8 au 13 ; — trois cents, du canton d'Evran, du 11 au 14 ; — quatre cent quinze, du canton de Plancoët, du 20 au 23 ; — les réquisitionnaires du canton de Plouër, du 27 au 1er floréal. Mais au moins la municipalité avait-elle été prévenue]. Le 7 germinal, alors que la ville était le plus encombrée de soldats, la veille du jour où huit bataillons devaient en partir, arrivèrent sans avertissement « 255 citoyens du district de St-Brieuc, 249 levés et 6 conducteurs ». La municipalité ne voyait d'autre solution que de les faire coucher sous les halles, mais le Directoire s'y opposa [Note : « ... Nous sentons très bien combien notre commune est dans ce moment-ci grevée par les logemens, il faut cependant qu’elle fasse un effort. Des jeunes gens qui n'ont point encore supporté les fatigues de la guerre pourroient prendre en dégoût leur nouvelle existence, si on ne prenoit tous les moyens possibles de la leur rendre supportable ». A.d. C.-N , 7 L 15, f. 21] et on leur donna des billets de logement.

Si les administrateurs avaient obéi au décret du 21 ventôse (11 mars), ils n'en avaient pas moins jugé que les effets en seraient funestes. Aussi le 13 germinal (2 avril), ils représentaient à Dubois-Crancé [Note : Dubois-Crancé (Edmond-Louis-Alexis) était né à Charleville, en 1747. La Révolution l'avait trouvé lieutenant des maréchaux de France. Député à la Constituante, puis à la Convention, il avait réprimé l’insurrection de Lyon, en 1793. Il devait être membre des Cinq-Cents ; ministre de la guerre sous le Directoire, et mourir en 1814. — Il avait été élu à la Convention par les départements des Ardennes, de Isère et du Var, et premier suppléant dans les Bouches-du-Rhône. Il opta pour les Ardennes] que, du moment qu'il avait accordé des dispenses aux jeunes gens nécessaires à l'agriculture dans le département d'Ille-et-Vilaine, leurs administrés s'étonneraient de voir rendre à leurs voisins une justice qui leur était refusée. Ils demandaient en conséquence d'étendre ces mesures gracieuses au district de Dinan. Mais cette réclamation semble être demeurée vaine [Note : « Nous te le demandons au nom de la Patrie qui a le plus grand intérêt que les terres soient bien ensemencées et rapportent les moissons les plus abondantes. Nous t'assurons qu'en mettant en usage les pouvoirs que tu nous donnerois, nous le ferions sans partialité et que nous ne dispenserions de marcher pour la défense de la Patrie que ceux qui, par les harnois dont ils ont été jusqu'ici les cenducteurs, par la quantité des terrains qu'ils ont à ensemencer et récolter sont indispensablement nécessaires à l’agriculture pour l'intérêt même de la chose publique. S'il faut des soldats aux frontières, il faut aussi des grains pour les nourrir… » A. d. C.-N. 7L 15, f. 24].

Malgré tous les efforts de l'administration, un certain nombre de jeunes gens avaient déserté, et, supposait-on, pris le parti des Chouans [Note : Le 2 prairial an 11 (21 mai 1794), d'accord avec Maurice, administrateur du district de Broons, on en plaçait 105, qui s'étaient présentés à ce Directoire, en surveillance à Dinan sous les yeux du commissaire à la levée et du commandant amovible de la place, sans qu'on sût s'ils appartenaient tous au District. L'on avait préféré prendre cette mesure, moins grave que l'incarcération par mesure de sûreté générale, pour ne pas décourager ceux qui « en désertion et brigandage » voudraient faire leur soumission. Le « républicain » Laigaelot [Note : Joseph-François Laignelot, homme de lettres, était député de Paris], auquel on en avait référé, approuva cette méthode]. Ils appartenaient pour la plupart au canton de Tréfumel, et notamment à la commune de Plouasne dont les sentiments contre révolutionnaires étaient connus [Note : Le 18 prairial (9 juin) et le 21 (12 juim), on ordonnait la mise en liberté de Jean Regnault, de Plouasne ; de Bellebon, de Guenroc, et de Samson, de Saint-Juvat, incarcérés pendant la désertion de leurs fils que l'on venait de reprendre, à charge de payer 10 sols par jour pour leur subsistance depuis leur entrée en détention. — Presque tous les jeunes gens de la réquisition, de Plouasne notamment, avaient déserté ; et lorsque les 2 et 3 floréal (21-22 avril), l'agent national Corseul, accompagné de Mazurier le jeune et de Goulliar, escorté d'un fort détachement, descendit dans la commune. il ne put incriminer la municipalité et le comité de surveillance qui avaient fait leur devoir, mais il rencontra partout « porte fermée où maison vide ». Sa commission demeura à peu près vaine : il ne rapporta guère que deux fusils chargés, « des ornemens et autres ustensiles ecclésiastiques » et « 69 livres fanatiques et royalistes ». Il avait apposé les scellés chez les parents des réquisitionnaires « qui avoient quelque chose » fait disparaître de l'église « les attributs absurdes de la ci-devant religion romaine » et engagé la municipalité à « dédier à la raison ce temple consacré à la superstition », et il constatait avec mélancolie : « Nous avons appris que plusieurs prêtres existoient dans les communes environnantes et nous avons vu avec douleur que le patriotisme étoit à peine connu dans ce pays-ci. Il nous à été impossible de verbaliser dans toutes les maisons où nous avons été, vu que notre opération eût duré au moins un mois ... ». A. d. C.-N. L (m5) liasse 63]. L'attitude de ces recrues n'avait point les mêmes causes que l'attitude des recrues de Dinan. Ce qui, au chef-lieu du district, n'avait été que mauvais vouloir passager, avait dans les campagnes une tout autre gravité. La Chouannerie y trouvait un aliment si précieux que, en thermidor et en fructidor, ses partisans n'hésitaient pas à répandre « avec affectation... qu’on va faire la levée de la seconde réquisition, qu'on va arracher à l'agriculture le reste des bras qui la fertilisent » [Note : A. d. C.-N. 7 L 15, ff. 65-66].

En somme, la levée de la première réquisition, malgré les efforts des administrateurs, rencontra partout une mauvaise volonté notoire ; et il est certain que le nombre des déserteurs fut considérable. Peu enclins à quitter leur pays, travaillés par les émigrés rentrés et les prêtres réfractaires, contraints, la plupart du temps, à servir ou la République ou les Chouans, ils préféraient opter pour ce dernier parti, afin de ne pas s'éloigner de chez eux et parce que ses menaces leur paraissaient plus redoutables.

Sans doute la levée en masse s'imposait pour refouler les armées coalisées contre la France, mais il eut été adroit de continuer le bénéfice du décret du 6 ventôse (24 février 1794) aux populations bretonnes, et notamment à celles du district de Dinan qui subissaient plus que les autres le poids des réquisitions de tout genre que multipliaient les représentants du peuple. Sur la route de tous les convois militaires de Brest à Paris, fermant une des entrées de la Basse-Bretagne, à proximité des îles anglaises, ce district était bien fait pour ressentir le contre-coup de toutes les agitations révolutionnaires. Perpétuellement y passaient des hommes, des chevaux, des charrettes : il fallait pourvoir à tout, et le district se trouvait en conséquence, par voie de réquisition, littéralement mis à sac.

Les réquisitions pouvaient porter sur les objets les plus divers, et si l'on prenait aisément son parti, par exemple, de celle du 28 nivôse (17 janvier) concernant toutes les carabines et même les « canons de carabine bons ou mauvais », il en était un grand nombre d’autres qui pesaient beaucoup plus lourdement sur le pays [Note : Le 22 pluviôse (19 février) ordre est donné aux communes « de requérir tous les charpentiers, menuisiers, scieurs de long, forgerons, cloutiers, serruriers, armuriers et autres ouvriers du bois et du fer » pour se rendre sous trois jours « au bureau de la marine à Dinan pour y recevoir les ordres que le citoyen Bataillé a à leur donner ». A. d. C.-N. 7 L 15, f. 17. — Et c'est à peine si l'on ose espérer qu'il laissera deux serruriers à Dinan. — Sur l’ordre des représentants Jean Bon Saint-André et Laignelot, on réquisitionne à nouveau, le 21 ventôse (11 mars), tous les charpentiers et tonneliers d'Evran, Saint-Judoce, Tressaint, Saint-Hélen, Plessis-Balisson, Corseul, Saint-Samson, Taden et Plumaudan, de manière à fournir le nombre demandé de douze charpentiers et six tonneliers. « …. Quoique le District soit, pour ainsi dire, épuisé d'hommes, à raison du grand nombre qui sert déjà la patrie sur les mers ou aux frontières... jaloux de servir aussi la République, comme leurs frères, ils se sont inscrits volontairement, et sont, dans ce moment, en marche pour Brest ; et, eux aussi, ils vont par leurs travaux concourir au radoubement de nos vaisseaux qui doivent bientôt humilier la fierté de nos cruels voisins et donner la liberté aux deux mondes. Citoyen Représentant, la voix de la patrie a toujours été sacrée pour nous. Dès que tu nous feras connoitre ses besoins, nous nous dépouillerons pour elle. Nous lui avons voué pour la vie nos cœurs et nos existences ». A. d. C.-N., 7 L 15, ff. 16. — Le 8 germinal (28 mars), à la demande de la Commission des subsistances et des approvisionnements, on ordonne aux cordonniers de toutes les communes de fournir chacun deux paires de souliers par décade pendant toute la durée de la guerre. Mais comment pourront-ils satisfaire à cette réquisition si le cuir manque ! Le mois de floréal n'est pas écoulé que l'on doit renoncer à l'exiger. Pourtant certains d'entre eux se proposent encore de fabriquer des souliers avec des semelles de baudrier « et, d'après l’assertion des experts, que ces sortes de souliers à deux semelles bien faits, bien conditionnés et bien cloués seroient d'un bon usage dans cette saison », l'on met une fourniture à la disposition du commissaire des guerres Raffray (24 floréal-13 mai). — Le 11 thermidor (29 juillet) encore, on informe le général Chabot, à Port-Malo [Saint-Malo] que tous les cordonniers auxquels on a pu procurer des cuirs forts « sont en activité ». — Toutes ces affirmations sont elles bien fondées ? et cet enthousiasme ne serait-il qu'un enthousiasme de commande ? Le 9 fructidor (26 août), en effet, le Directoire encourage l'agent national de la commune de Dinan, Beslay, à exercer des poursuites contre les cordonniers Poirier, Mérot, Petitbon, Gallan, Jacques Coupé, Douar et Bésier qui, depuis six décades qu'on leur a fourni du cuir, n'ont encore confectionné que 35 paires de souliers au lieu de 177. Le 24 (10 septembre), ils seront en retard de 234].

De bonne heure le Directoire se plaignit de l'épuisement du district et de la difficulté que l'on éprouvait à faire exécuter ces réquisitions qui s’ajoutaient les unes aux autres. Non seulement les ouvriers étaient contraints d'entrer dans des ateliers d'armes, d'habillement, de cordonnerie, etc., de manière à pourvoir aux besoins des troupes, non seulement ils étaient appelés par les représentants, tantôt à St-Malo, tantôt à Brest, tantôt à Lorient, mais, dans les campagnes déjà privées des bras les plus robustes, par la levée des 300.000 hommes et la levée en masse, les cultivateurs devaient, à la moindre demande, fournir chevaux, charrettes, harnais, et parfois conduire leur attelage jusqu'à Saint-Brieuc — le district de Lamballe s'arrangeant le plus souvent pour ne pas satisfaire aux réquisitions d'hommes, — ou bien concourir à la réparation des chemins publics.

Le moins qu'il pouvait leur arriver, c'était d'être privés de leurs animaux et de leurs véhicules.

Les Comités de la Convention, les représentants, tous ceux qui étaient chargés d'une mission révolutionnaire, les municipalités mêmes, usaient et abusaient des réquisitions. C'était le plus prompt et le plus sûr moyen de se procurer, sans trop de peine, ce qu'on leur eût vraisemblablement refusé dans d'autres conditions. Le 1er germinal an II (21 mars 1794), tandis que le Directoire s'occupe de réunir 100 voitures avec leur harnais pour conduire des grains à Rennes alors dépourvue de vivres, le représentant Alquier [Note : Charles-Jean-Marie Alquier, ancien président du tribunal criminel, député de Seine-et-Oise] ordonne le rassemblement de tous les chevaux. On ne sait à qui entendre, car chacun se montre exigeant.

Le passage incessant des armées par le territoire du district oblige à réquisitionner sans cesse pour la nourriture des hommes et des chevaux, pour les cantonnements, etc., sans compter cette autre réquisition, la plus lourde peut- être, bien qu'elle soit sévèrement défendue et réprimée, la maraude.

Les habitants font naturellement preuve de la plus mauvaise volonté et on en arrive, dès le début, à ne pouvoir rien obtenir, ni une chaudière pour la préparation du salpètre, ni les cendres, ni la moindre denrée sans avoir recours à cette méthode.

Tandis que chacun s'occupe d'assurer les services des armées, ou des ateliers révolutionnaires, le district se trouve plongé dans la plus effroyable détresse, et, bien qu'assez riche dans son ensemble, souffre de la disette : tous les vivres, tous les fourrages sont accaparés par la troupe. L'on manque de bras, l'on manque de bêtes pour l'agriculture, et l'on n'ose trop compter sur la prochaine récolte qui n'offre pas d’ailleurs une apparence bien rassurante. La dépréciation des assignats, le maximum ne présentent pas de perspectives beaucoup plus encourageantes. [Note : Dés le 23 pluviôse (11 février) on écrit à la Commission des Subsistances et des Approvisionnements militaires que l'on exécutera l'ordre que l'on a reçu de s'emparer « des selles, brides et autres effets nécessaires aux troupes de cheval », mais il ne faut pas s'attendre à en obtenir un grand nombre car presque tout a été requis par les représentants pour l'armée du général Tribout. — Que l'on oppose à la lettre enthousiaste du 21 ventôse (11 ma à Jean Bon St-André, celle du 9 germinal (29 mars) au représentant Le Carpentier. « ... Nous sommes accablés par le nombre des troupes qui passent dans notre commune et les ressources nous manquent pour assurer en viande les subsistances militaires. Nous n'avons pas de bœufs. Nous ne tuons pour la consommation que des vaches et des génisses que nous fournissent nos campagnes. Elles sont épuisées par les réquisitions que nous avons faites de leurs bestiaux. La plupart des vaches qui leur restent sont pleines, et tu sais qu'il existe un décret de la Convention qui défend de les tuer dans cet état, parce que ce seroit détruire l'espèce. Le même défend encore de la manière la plus formelle de tuer les génisses avant l’âge de deux ans. Juge de la triste situation où nous nous trouvons. Toi seul peux l’adoucir. Tu peux rendre aux services de l'Etat leur activité nécessaire. Dans ton séjour à Dinan tu dois te souvenir qu'il existe et que tu as vu dans la cour de la maison des ci-devant Capucins une grande quantité de bœufs venus du fond du Morbihan pour nourrir l'armée de Tribout, lorsqu'elle étoit dans nos murs. Ces mêmes bœufs y existent encore, et dépérissent journellement. Nous demanderions à être autorisés à en prendre quelques-uns afin que l’étapier puisse continuer à faire ses fournitures: Le moment est trés pressant. Nous attendons ta réponse par un exprès que nous t’avons dépêché. Nous t'observons qu'outre la troupe qui passe ici par des ordres supérieurs et des mouvemens particuliers, nous fournissons les détachemens successifs de la première réquisition des départemens du Morbihan et du Finistère qui se rendent à leur destination sur les frontières du Nord ». A d. C.-N. 7 L 15. f 23 Le 17 (6 avril) le Directoire se fit encore auprès de Le Carpentier l'interprète des communes du district « sur la disette affreuse où elles se trouvent d'instrumens aratoires, le fer étant mis en réquisition de toutes parts pour fournir des armes à la République. Il n’y a plus de moyens de s’en procurer chez les marchands et cependant les campagnes languissent ; les terres restent incultes ». L'on ne peut disposer du fer que l’on a en magasin, car il provient d'émigrés : il est propriété nationale. Aussi lui demande-t-on de mettre en réquisition les forges de Paimpont qui en sont abondamment pourvues. « elles fourniront et pour l’agriculture et pour la manufacture d'acier dont nous projetons sous tes auspices et avec ton aveu l'établissement. Tu es le père de toutes les sections du peuple, citoyen représentant, e tu le représentes dans son entier: Tu apprendras avec intérêt l'état de détresse où sont réduits les pauvres habitans des campagnes. Ils te portent tous dans leur cœur... » A. d. C.-N.7 L 15. ff. 28-29].

En prairial, les marchés sont absolument dépourvus de blé et de farine et l'on redoute que les bras ne fassent défaut pour l'ensemencement du blé noir. Pour atténuer en partie la misère des campagnes l'on sollicite Le Carpentier de faire obtenir aux paysans les indemnités auxquelles ils ont droit pour les pertes qu'ils ont essuyées à Pontorson, [Note : « Ils ont perdu à Pontorson leurs charrettes, leurs chevaux ; c'étoit toute leur richesse pour la culture des terres ». A. d. C.-N. 7 L 15. f. 58] et qu'ils ont éprouvées, lorsque, à la même époque, l'on avait véritablement militarisé le district pour faire obstacle aux progrès des chouans.

Cependant les vivres menaçant de manquer, le Directoire envoyait un de ses membres à Brest, auprès de Jean Bon Saint-André [Note : André Jeanbon dit St-André naquit à Montauban, en 1749, de parents calvinistes. Il fut successivement pasteur à Castres et à Montauban. Il échoua contre Ramel à l'Assemblée Législative, mais, sous la pression des démocrates, il fut élu à la Convention. Il fut chargé de nombreuses missions et fit partie du Comité de Salut Public. Envoyé à Brest en septembre 1793, il rentra à Paris en pluviôse an II. Il y revint en ventôse, mais n'y resta que jusqu'en prairial, date à laquelle il fut envoyé à Toulon. Le 9 prairial an III (28 mai 1795) il était décrété d'arrestation comme terroriste. Il bénéficia de l'amnistie du 4 brumaire an IV (26 octobre). Le Directoire le nomma consul général à Alger, et le Consulat l'envoya à Smyrne. Le 11 frimaire an XI (2 décembre 1802). Bonaparte le choisit en qualité de commissaire général dans les quatre départements de la rive gauche du Rhin, puis de préfet du Mont-Tonnerre (1er vendémiaire an XII — 24 septembre 1803). IL mourut, victime de son dévouement, lors d'une épidémie de typhus le 10 décembre 1813. Il était baron de l'Empire et officier de la Légion d'Honneur. Son tombeau se voit à Mayence. Cf. Léoy-Schneider. Le Conventionnel Jean Bon St-André 1749-1813. 2 vol. 1901. Paris] « pour obtenir un achat de comestibles devenu impérieusement nécessaire ». Le représentant en mission leur accorda en effet quelques subsistances [Note : On lui accorda ainsi « une trentaine de barriques de sardines de Concarneau », et aussitôt (5 messidor an II — 23 juin 1794) il s'empressa d'offrir à la municipalité de Bécherel de lui en échanger quelques-unes contre des grains et des farines. « ... Vous avez témoigné plusieurs fois à un grand nombre de nos concitoyens qui alloient chercher chez vous des vivres, dont ils manquent sur le sol même qu'ils avoient ensemencé de leurs propres mains, le désir d'avoir, en place de grains que vous leur délivriiez, du poisson salé, tels que sardines, harengs, etc... Quelque soit le besoin de nos concitoyens, le sentiment de la reconnoissance ne nous est pas étranger : nous sommes frères, nous devons partager nos subsistances... » A. d. C.-N.7 L 15 f. 53 — Puis le district de Port-Malo cédait aux Dinannais quelques bocaux de riz ; quelques jours après, Jean Bon St-André leur envoyait « deux bâtimens de 100 tonneaux chacun, chargé de 1000 quintaux environ de légumes secs, tels que haricots et pois, du fromage de Hollande, de morue, de poissons salés. Toutes ces denrées sont de la plus belle qualité. » A. d. C.-N. 7 L 15 f. 58. — Le 25 messidor (13 juillet) on en avisait les communes de Méen [St-Méen], Solidor [St-Servan], Port-Malo, Port-Brieuc, Montfort, Lamballe, Vitré, Dol et Broons pour leur en proposer une certaine quantité. C'est là un des traits les plus intéressants du caractère des admimstrateurs de Dinan que cette pensée de partager les ressources qu'on leur envoyait pour soulager leur misère avec ceux qui leur étaient venus en aide ou qui se trouvaient dénués de subsistances. Leur lettre du 4 fructidor (21 août), au district de Vitré, est des plus amusantes. « Nous avons fait passer avec notre première dépêche l'état des subsistances que nous mettions à votre disposition. Le délai que vous avez mis à nous répondre nous a forcé à nous en dessaisir en partie. Nous n'avons plus de morue ; il nous reste encore des haricots, des pois verts en assez grande quantité, peut-être 100 à 150 quintaux. Nous avons une trentaine de barriques de sardines de Concarneau. Cet objet est d'une grande ressource pour les campagnes à commencer de la fin de ce mois. Nous pourrions vous céder une dizaine de cartaux (sic) de bœuf d'Irlande, c’est un manger délicieux : nous vous cautionnons leur bonté. Si vous voulez aussi 100 à 150 quintaux d'orge de la meilleure qualité, vous pourrez nous en prévenir de suite. Prenez vos mesures d'après la connoissance des besoins de vos administrés. Faites leur part de cette lettre et répondez-nous dans le plus bref délai. Le prix du quintal de haricots ou pois verts est de 30 l. ; la barrique de sardines qui contient 3.600 sardines 50 l. ; le cartaux de bœuf d'Irlande 150 l. ; le quintal d'orge, 9 l. ; etc... ». A. d. C.-N. 7 L 15 f. 66], mais combien insuffisantes ! Aussi, en dépit de ces secours, la disette continuait à sévir. Le 16 vendémiaire an III (7 octobre 1794) on se trouvait dans l'impossibilité de fournir du fourrage aux 6000 bœufs qui devaient passer par Dinan à raison de 30 par jour pour être conduits à Brest. Les populations des villes surtout ne se procuraient de subsistances qu'avec la plus grande peine. La loi du maximum, l'obligation d'approvisionner les marchés et de recevoir le prix des denrées en assignats n'étaient nullement observées. Quelles que fussent les mesures qu'on pût prendre les paysans se montrèrent toujours récalcitrants.

Cependant, dès le 28 ventôse an II (28 mars 1794), Le Carpentier avait pris un rigoureux arrêté relatif aux approvisionnements [Note : L'art. 1er ordonnait le battage des grains encore en gerbe, de manière à ce que les travaux fussent achevés dans le cours de la décade à compter du jour de la réception des ordres. Les municipalités devaient fournir des ouvriers aux municipalités qui en manquent (art. 2). Un commissaire de la municipalité, un membre du comité de surveillance et un citoyen ne récoltant pas de grains seraient préposés pour assister au mesurage des grains battus (art. 3). Les municipalités en rendraient compte aux districts qui nommeraient des commissaires hors de leur sein, pour s'assurer s'il n'y a pas eu fraude ou soustraction, à peine pour les cultivateurs d'encourir la confiscation du tout et d'être incarcérés comme suspects, et pour la municipalité d'être suspendue de fonctions (art. 4). — Les districts enverraient alors un état de tous les grains battus à l'administration départementale qui en ferait dresser un état général (art. 6) qu'elle adresserait aux représentants et à la Commission des subsistances chargés de statuer sur les pétitions et les réquisitions (art. 7). Les réquisitions faites tant pour l'approvisionnement des marchés que pour celui des armées continueraient à recevoir leur effet (art. 8). Un compte-rendu en serait fourni de huit jours en huit jours par les administrations départementales (art. 9). A. d. C.-N. L (m5) liasse 58], dans les considérants duquel il attribuait la gêne des districts des départements de l'Ille-et-Vilaine, des Côtes-du-Nord et du Morbihan à l'inexactitude des recensements, « à l'indolence et à la mauvaise foi » des autorités constituées. à l'égoïsme et à la malveillance des cultivateurs, où il affirmait que « la disette n'est que factice en général, que les besoins sont pressans et qu'il est du devoir des représentans du peuple d'employer leur sollicitude ou leur intérêt à y pourvoir. ». Mais ses prescriptions furent plus ou moins exécutées [Note : Pourtant, en germinal, l'on arrêtait un cultivateur de Ploubalay, Jean Prual, qui avait fait une fausse déclaration de grains et en avait caché un tonneau dans un amas de paille. Il ne devait être remis en liberté que le 19 fructidor (5 septembre). A. d. C.-N. L (m5) liasse 70].

Quant aux réquisitions pour l'approvisionnement des marchés, elles ne s'exécutaient que d'une manière très imparfaite, comme le prouve cette courte injonction du 15 germinal an IL (4 avril 1794) : « Les républicains administrateurs, montagnards, sans-culottes, du district de Dinan : Laréunion Dereuse, Forcouëffe, Hédal, Dubos aîné, Corseul, agent national, avertissent leurs administrés que si les réquisitions en subsistances et approvisionnemens éprouvent de nouveaux obstacles, on fera s’appesantir sur eux la rigueur des loix ». [Note : A. 4. C.-N. L (m5) liasse 60].

La création d'ateliers révolutionnaires dérivait d'un principe identique, et, s'il est possible de dire, encore plus parfait. Pour leur permettre de s'établir et de durer, il fallait tout réquisitionner : les hommes, les ustensiles, la matière première. Aussi ne put-on guère organiser qu'un atelier de réparation des armes et plusieurs ateliers pour l'extraction et le raffinage du salpêtre, qui fonctionnèrent assez longtemps. [Note : On organisa d'abord à Dinan un atelier de cordonnerie qui dut être supprimé dès pluviôse an II, faute de cuir. L'on songea, un peu plus tard, à établir un atelier pour la fabrication de l'acier, et le 3 prairial (24 mai) l'on priait « le républicain Gautier », négociant à Dinan de se transporter chez son père qui « sait la manière de réduire le fer en acier et... a des connoissances particulières et très utiles sur toutes ces matières », en compagnie de Mazurier l'aîné qui est « connu susceptible de prendre ces renseignemens et d'en conserver fructueusement le souvenir ». A. d. C.-N 7 L 15, f. 40. Mais il ne semble pas que cet atelier ait jamais été ouvert].

L'atelier des armes fut ouvert au début de ventôse [Note : Dans une lettre du 27 nivôse an II (16 janvier 1794), le Directoire, informant le Comité de Salut Public qu'il n'existait dans le district aucune fabrique d'armes ni atelier de réparations, déclarait qu'il serait possible d'en établir à Dinan, où l'on avait des ouvriers capables non seulement de réparer, mais de confectionner des fusils, au canon près. Qu’on fournisse donc des canons de fusils « et en peu, nous serons à même de concourir à l'armement des défenseurs de la République » A. d. C.-N 7 L 15, f. 2. — Enfin, le 9 ventôse (27 février), on avisait la municipalité de Dinan que l’on à établi un atelier de réparations des armes et fusils dans une aîle du cloître des Jacobins, qu'on a requis tous les serruriers et armuriers du District capables d'accélérer les travaux, et que, comme ils entrent en fonctions le lendemain matin à 7 heures, elle doit leur trouver un logement. Puis le 13 (3 mars), on ordonnait à la municipalité de Corseul de requérir pour l'alimenter, tout le charbon de bois qui se trouvait à l'Abbaye, chez Fordrain. A. d. C.-N. 7 L 15, ff. 11-12]. La direction en était confiée au citoyen Saulnier, tandis que « le sans-culotte Gourneuf, père d'une nombreuse famille » en devenait le chef. A en croire les administrateurs, cet atelier aurait fait merveille. [Note : Le 8 fructidor an II (25 août 1794), en réclamant du suif et de l'huile pour éclairer les ouvriers, ils déclaraient fièrement : « ..... Cet établissement depuis sa formation n'a cessé de prospérer. C’est nous qui avons réparé les armes de toutes les divisions militaires qui ont campé sous Port-Malo et dans l'étendue de notre département, C’est nous qui entretenons l'arsenal de Port-Malo... ». A. d. C.-N. 7 L 15, f. 68]. Mais rien n'est moins probable [Note : Le 15 vendémiaire an III (6 octobre 1794), en effet, l’on vient déclarer que le défaut « d’huile d'olive à l'atelier des armes en suspend tout à fait l'activité depuis trois mois ». — Le 4 frimaire (24 novembre), à limitation de Saint-Brieuc, l'on augmente le salaire des ouvriers de 10 sols par jour, par suite du renchérissement des denrées. Le travail qu'ils font est, au reste, des plus médiocres] et lorsque le Directoire eût été épuré par Boursault, une de ses premières lettres fut pour le féliciter d'en avoir ordonné la fermeture (6 nivôse an III - 26 décembre 1794) [Note : « ... Le citoyen Dubost [Dubos, suppléant de l'agent national] nous a communiqué ta lettre en date du 22 frimaire (12 décembre)... Nous applaudissons au parti que tu viens de prendre en supprimant l'atelier des armes de notre commune : quoique nous ne sachions rien de positif sur l'ordre et la comptabilité qui y étoit établi, n'ayant pas encore reçu les comptes de nos prédécesseurs, ce qui entrave excessivement nos opérations, nous savons avec tout le monde qu'il étoit terriblement cher et qu'il étoit fort peu utile ». A. d. C.-N., 7 L 15, f. 68. Et le lendemain on rendait Saulnier responsable du fer, du boiset du charbon disponibles, et on le chargeaït de distraire de l'inventaire les 12 milliers de fer destinés « depuis longtems à être distribués aux communes pour les besoins urgens de l'agriculture… »].

Mais si l'atelier de réparation des armes avait si piteusement échoué, alors que pendant des mois l’on avait célébré sa prospérité, que convenait-il de penser des ateliers de salpêtre, organisés en vertu de la loi du 14 frimaire an II (4 décembre 1793) dont on n'avait cessé de se plaindre ?

Ce n'est que le 23 ventôse (13 mars 1794), après de nombreuses insistances de la Commission des Poudres et Salpêtres, et de Le Maout [Note : Efflam Le Maout, de Plestin, était pharmacien à Saint-Brieuc. Il devait devenir professeur à l'Ecole Centrale de Saint-Brieuc. Il est célèbre pour avoir découvert le dauphin globiceps, avoir inventé la moutarde celtique, et pour son originalité. Il avait lui-mème rédigé son épitaphe : « Ci-git feu Efflam »], préposé du département des Côtes-du-Nord, que Queillé, ancien régent du collège, fut nommé par le Directoire « agent pour les salpêtres dans le district de Dinan ». On l'envoya alors à St-Malo pour y apprendre les meilleures méthodes auprès du commissaire national Naudin [Note : Il ne devait en revenir qu'à la fin de germinal. — (Tous les documents qui ont trait au salpêtre et dont nous avons fait usage ne sont pas inventoriés)].

Cependant Le Carpentier, désireux de voir s'ouvrir l'atelier de Dinan [Note : « La fabrication de salpêtre dans [le| district n'étant pas à la hauteur que les circonstances exigent »], déléguait, le 15 germinal (4 avril), le docteur Chifoliau, de St-Malo, pour procéder sans retard à son organisation de manière que Queillé pût travailler dès son arrivée [Note : D'autre part, Le Carpentier avait arrêté le 22 ventôse (12 mars) « que les employés à la fabrication du salpêtre, de quelque grade qu'ils soient, [recevront] l'étape comme militaire »].

Bientôt le citoyen O’Murphy formait un second atelier à Plancoët, et un troisième s'ouvrait enfin à Evran. Ils devaient commencer leur travaux le 1er floréal (20 avril) [Note : Une lettre de Queillé du 29 germinal (18 avril) rendait hommage au zèle du Dr Chifoliau pour son organisation de l'atelier de Dinan. Cet atelier, y lisait-on, était très considérable : il était composé de trois bandes égales, de chacune 12 cuviers ; 17 ouvriers y étaient employés par jour. Un premier essai a parfaitement réussi : 200 livres d’eau de cuite ont donné 12 livres de salpêtre et 4 livres de sel marin. On attend une chaudière de 500 pots. Il faudra, pour Evran, faire exécuter toutes les réquisitions nécessaires en bras, tombereaux, chevaux, cuviers, bassins de cuivre, etc... et, malgré toutes ces difficultés, Queillé n’hésitait pas à conclure : « Enfin, pour résultat, l'agent dans le district de Dinan pour la récolte du salpêtre peut assurer qu’elle sera abondante et qu’elle sera faite avec célérité ». A. d. C.-N. 7 L 15, f. 68]. Ces ateliers avaient respectivement pour chef : celui de Dinan, Girard ; celui de Plancoët, Dubos jeune ; celui d'Evran, Bellebon.

Mais des difficultés sans nombre surgirent pour l’achèvement des installations. L'on dut bientôt transporter l'atelier de Plancoët au Guildo dans un endroit plus propice. Les réquisitions s'exécutaient mal, et les terres elles-mêmes n'étaient guère favorables au lessivage [Note : « ... Toutes celles du sol des maisons et granges sont en mastic de terre argileuse et glaiseuse qui ne peut fournir de salpêtre. Les étables et bergeries sont inondées d'urine des animaux et couvertes à la hauteur de six pouces de fumier. Il ne reste donc de favorable à l’exploitation que les colombiers, cayes et quelques écuries et celliers », et encore arrive-t-il que des particuliers les curent à leur profit, sans s'inquiéter des réquisitions]. Le 2 messidor (20 juin) l'on n'avait encore exploité le salpêtre que dans quatre communes : Evran, Saint-Judoce, Plancoët et Léhon, mais l'on s'occupait de l'exploiter dans 12 autres [Note : Bientôt l'on va requérir les cendres de tous les fourniers et obliger chaque chef de famille à en fournir une demi-livre par décade. Malgré ces mesures Queillé est obligé d'avouer, le 21 messidor (9 juillet), « que la dépence excéde de beaucoup le produit... et cela parce qu’il existe des communes refroidies, des lâches qui négligent d’extraire du sol de leur terrain la foudre destinée à écraser la race impie des tyrans, parce qu'il existe des égoïstes qui ne font aucun sacrifice, des hommes qui osent dire la nation a bon dos ». Malgré la pauvreté du terrain, le district de Dinan ne le céderaient « à aucun des districts les plus féconds si les habitants de la campagne vouloient seulement consacrer les cidevant dimanches à cet œuvre civique, s’ils préféroient servir la patrie au lieu de se livrer à l'oisiveté et à de crapuleuses habitudes »]. Dans la  seconde décade de messidor l'extraction avait coûté environ 800 l. et l'on en avait à peine retiré 380 l. pesant.

Queillé se plaignait du mauvais vouloir des habitants, mais il faut avouer que l'on semblait faire tout ce qu'il fallait pour l'accroître encore. Les réquisitions déjà les irritaient, et voici que lou voulait faire supporter par les communes les frais des ateliers, et que les ouvriers travaillaient moins à l’extraction du salpêtre qu'à froisser à toute occasion les habitudes les plus chères Ils s'acharnaient à remuer le sol des églises, des anciens cimetières, à renverser les croix, à brûler les saints de bois [Note : Certains d’entre eux s'étant avisés de « dépendre le battant de la cloche du couvent de Nazareth » qui avait été réservée pour le service public, la municipalité de Corseul s’en plaignit avec amertume. Queillé en profita, en sa qualité d'ancien prêtre et sous couleur de présenter sa défense, pour se livrer à de violentes tirades anticléricales qu'il terminait ainsi : « ... En un mot, ... je suis tranquille, parce que j'ai affaire à des républicains et non à des inquisiteurs espagnols, parce que l'an troisième de la République, le règne des calotins est anéanti ainsi que l'angelus »]. Puis c'est la municipalité de Dinan qui se plaignait de l'indolence des ouvriers. Girard n’est jamais à l'atelier: il se sert des charrettes réquisitionnées pour ses transports personnels ; Girard accuse la municipalité de malveillance à son égard : et tous les deux ont raison.

En frimaire, Queillé, saisi sans doute de quelque vertige, disparaissait, sans qu'on pût savoir ce qu'il était devenu. Les administrateurs le remplacèrent par Girard, mais Le Maout, ami des lettres, s'opposa à cette nomination parce qu il ne « rédigeait » pas bien. En vain lui objecta-t-on qu'il importait assez peu qu'un agent salpétrier écrivit de beaux rapports, Le Maout persista dans son opinion et, après une discussion de trois mois, finit par imposer la nomination de Bellebon [Note : En nivôse an II, le droit de réquisition ayant été supprimé aux chefs d’atelier, l'atelier de Dinan qui existe seul désormais — la crainte des chouans a fait déserter les ouvriers des deux autres — ne travaille que d'une manière intermittante. Le 27 nivôse (16 janvier 1795) Le Maout écrit bien : « Votre district, après Port-Brieux, est celui qui va le mieux ». On peut se demander comment « allaient » les autres !].

La Convention se rendit enfin compte que cette extraction révolutionnaire du salpêtre ressemblait beaucoup à une duperie. Par un décret du 17 germinal (6 avril) elle permit aux communes et aux particuliers d'en continuer l'extraction à leur compte [Note : On leur paierait 6 l. la livre de salpêtre, et il leur suffirait pour se livrer à cette exploitation de le déclarer au commissariat de l'agence des poudres]. C'était marquer la fin des ateliers nationaux [Note : Nous n'indiquerons que pour mémoire les quatre ateliers d'équipement qui ne durérent que quelques mois, parce qu'ils manquaient de tout] : celui de Dinan fut fermé dans les premiers jours de prairial.

Ainsi, les lois révolutionnaires, en dépit des efforts des administrateurs, avaient été le plus possible éludées. Un certain nombre de jeunes gens de la réquisition s'étaient soustraits aux obligations militaires et étaient allés grossir le parti des Chouans dans les districts de Broons, de Ploërmel et de Montfort. On faisait effort pour ne pas satisfaire aux réquisitions dont l'inexécution, jointe au mauvais vouloir des cultivateurs, créait une disette factice. Le commerce et l'industrie avaient disparu. Les ateliers révolutionnaires avaient lamentablement échoué, à raison des circonstances sans doute, mais aussi parce que le district et la ville de Dinan surtout étaient déchirés par des querelles de partis et de personnes.

Telle était cependant l'énergie des administrateurs, tel était leur désir de seconder dans leurs missions les représentants du peuple que, dans ce district, dont l'immense majorité des habitans réprouvait sans conteste tout le gouvernement terroriste, la tranquillité ne fut jamais sérieusement troublée. La Chouannerie devait à peine l'atteindre ; et si l'on devait rencontrer des obstacles dans la rentrée des contributions publiques, du moins les ventes nationales devaient-elles se faire avec un réel succès.

(Léon DUBREUIL).

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