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Histoire militaire de Concarneau au XVème siècle.

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JEAN V, 1399-1442 ; FRANÇOIS Ier, —1450 ; PIERRE II, — 1457 ; ARTHUR III, — 1458.

Le règne de Jean V, couronné le 23 avril 1403, commence par quelques succès sur mer et une expédition sur la côte anglaise ; mais des représailles ne se font pas attendre. En novembre 1403, une flotte anglaise opère une descente au Conquet, et une autre à Tréoultré-Penmarc'h. Les paysans du voisinage, levés en tumulte, essaient de résister : ils sont massacrés en grand nombre ; et la ruine de Penmarc'h épouvante toute la Bretagne.

Dans le cours du XIVème siècle, nous n'avons relevé qu'un seul siège de Concarneau. Dans la première moitié du XVème siècle, la place ne sera pas menacée et ses capitaines dormiront en paix. Mais dans la seconde partie du siècle, il en sera tout autrement.

Le Roi d'Angleterre, Henri IV, va régner jusqu'au 20 mars 1413. Les troubles intérieurs que suscite sa double usurpation et une lutte prolongée avec l'Ecosse, ne lui laisseront pas le loisir de poursuivre les hostilités contre la France.

Mais, quand il laissera le trône à son fils Henri V, la guerre va se rallumer par un coup de foudre, Azincourt. A la nouvelle du débarquement des Anglais à l'entrée de la Seine (14 août 1415), le duc Jean V, se souvenant de Penmarc'h, assemble une armée de 10.000 hommes, et se met en marche. Son frère Arthur sert dans l'armée française avec 500 chevaleliers et écuyers. Il supplie qu'on attende les Bretons deux jours. Le 27 octobre, ils auront rejoint l'armée. Mais les princes français ont repoussé le secours du duc de Bourgogne ; ils n'ont pas besoin du duc de Bretagne. Ne sauront-ils pas vaincre seuls ?

Leur folle et dédaigneuse forfanterie est punie le 25 octobre par un désastre qui renouvelle celui de Poitiers.

Le duc Jean V rentre tristement en Bretagne, laissant son frère Arthur blessé et prisonnier des Anglais.

Jean V a épousé Jeanne de France, fille de Charles VI. Cette vaillante française aurait bien voulu déterminer son mari à s'armer pour la France. Mais non. La Bretagne a besoin de repos après tant de guerres ; aucun intérêt breton n'est engagé dans la lutte qui se poursuit entre ses deux puissants voisins. Le duc entend rester neutre. Mais ses sympathies sont à la France, et voici comme il entendra la neutralité. Il signe des « traités de commerce » avec l'Angleterre, c'est-à-dire qu'il assure à ses sujets la liberté des mers. Mais il autorise son frère Arthur à ceindre l'épée de connétable et à recruter en Bretagne ; et le connétable use si bien de la permission que le duché se dégarnit d'hommes de guerre [Note : (1425). C'est pour parer à ce danger que furent créées les milices paroissiales].

Les Bretons sont sous la bannière française partout où l'on se bat ; mais en même temps, Jean V interdit aux Bretons de servir dans l'armée anglaise. Les Anglais se plaignent : Jean V n'écoute pas leurs doléances et il maintient cette « neutralité » jusqu'à sa mort (28 août 1442).

Voilà comment pendant le règne de Jean V, Concarneau n'a pas d'histoire ; nous ne pouvons que rappeler le nom de ses capitaines.

En 1404, nous trouvons là Hervé, sire de Juch, écuyer du duc. Le 7 juin, le duc lui donne « mandement pour le deffroy de lui et de plusieurs gentilshommes qu'il a tenus et doit tenir à la garde des chastel et ville de Concq » [Note : Lobineau, Pr., 809. Morice, Pr., II, 731. — Il s'agit d'avances faites pour l'entretien de la garnison].

L'année suivante (1405), la capitainerie est aux mains de Jean du Juch, qui, un an plus tard, est nommé à la capitainerie du Croisic et remplacé à Concarneau par Jean de l'Espervière (octobre 1406).

En novembre 1425, Concarneau a pour capitaine Eon Foucaud, seigneur de Lescoulouarn. Il part de Concarneau pour joindre Richemont au siège fatal de Saint-James de Beuvron (6 mars 1426) [Note : Lescoulouarn, commune de Plonéour, canton de Plogastel-Saint-Germain, Quimper. Le duc lui donne 200 livres (11.200 fr.) pour « partie de rémunération des frais de son voyage devant Saint-James ». Morice, Pr., II, 1195. — Encore, comme ci-dessus, un paiement d'avances. Eon Foucaud devint chambellan du duc en 1427 (Couffon de Kerdellec'h, II p. 380). Le nécrologe des Cordeliers de Quimper donne les noms de six seigneurs des environs de Quimper tués à Saint-James].

En montant sur le trône, François Ier se promettait de suivre la politique paternelle. Encouragé par son conseil, il se montre insensible aux prières et aux cajoleries de son oncle, le Roi Charles VII ; il résiste aux exhortations quelque peu impérieuses de son oncle le connétable. Mais un jour, les Anglais le déterminent à la guerre. En pleine paix, ne se sont-ils pas emparés de Fougères ? Insigne maladresse ! Ils vont payer cette félonie de la perte de la Normandie (1449 et 1450, victoire de Formigny).

Pierre II continue l'oeuvre si heureusement entreprise par son frère ; le contingent breton décide la victoire à Castillon et la flotte bretonne bloque Bordeaux qui capitule (1453).

La guerre de Cent Ans est finie, mais sur terre seulement : aucun traité ne garantit la paix, et les hostilités continuent sur mer. La Normandie et la Bretagne sont surtout menacées. Mais le connétable, gouverneur de Normandie, a fait armer les côtes et en assure la garde. Les Anglais auront plus facilement prise sur les côtes de Bretagne que le Roi a promis de défendre, mais qu'il ne défend pas.

En août 1456, le duc se plaignait au Roi « des grands maux pilleries et dommages que les Anglais ont faits par la mer sur les pays et sujets de Bretagne », et il ajoutait : « La charge de la guerre et défense de la côte est chue sur le duc et ses sujets, sans que le Roi lui fasse nul secours » [Note : Morice, Pr., II. 1695. Ambassade de Rolland de Carné. Août 1456. — La pièce (sans date) est imprimée entre deux actes de 1456].

Un an plus tard, la flotte bretonne et la flotte française forcent l'entrée de Sandwich, un des « cinq ports », pillent la ville et ramènent à Honfleur vingt-quatre navires dont trois de guerre (15 août 1457). Un tel exploit venge les « pilleries » passées, mais il va en provoquer d'autres [Note : Morice, Hist., II. p. 60-61. J'ai rappelé par ailleurs, avec les deux faits qui vont suivre, concernant Bourgneuf et Saint-Malo ; mais j'en ai interverti les dates que je rétablis ici.].

Un mois après (22 septembre) la mort de Pierre II fait son oncle le connétable duc de Bretagne. Arthur III ne peut faire un pas hors du duché, que les Anglais ne paraissent sur les côtes bretonnes.

J'ai dit plus haut qu'en février 1458, pendant une absence d'Arthur, deux débarquements furent tentés simultanément à Bourgneuf et vers Saint-Malo. On ne voit pas que rien ait été tenté sur Concarneau ; mais sans doute les veilleurs virent plus d'une fois briller la nuit les feux allumés de proche en proche pour signaler l'approche de l'ennemi [Note : Jean V avait prescrit d'allumer de grands feux (fallots) sur les collines voisines de la mer pour annoncer l'ennemi en vue sur mer. — Lobineau, Pr., 999, Ord. Du 20 mars 1424 (vieux st.) qui établit les milices paroissiales. A Coatfao (commune de Pluguffan, près de Quimper, ci-dessus, p. 41), sur un point élevé dominant une grande étendue de côte, on voit un monticule artificiel. Les paysans voisins nomment ce point le Phare, sans comprendre le sens du mot. — Ne serait-ce pas la place d'un de ces feux-signaux ? Les signaux par le feu étaient en usage dans la haute antiquité et plus près de nous chez les Gaulois].

Nous avons vu plus haut que les menaces des navires anglais avaient déterminé Pierre II à reconstruire la ceinture murale de Concarneau, et que ce grand ouvrage ordonné en 1451, commença sans retard.

Vers le début des travaux, Jehan de Villeblanche était capitaine de Conc ; et Pierre II lui donnait l'ordre de tenir trente lances en garnison dans la place (1453-1455) [Note : Lobineau, Pr., 1190. La lance était alors de cinq hommes au moins].

En octobre 1457, le duc Arthur III donnait cette place à Hervé, sire de Juch, qui, deux mois plus tard (6 décembre), a pour successeur Charles de Keinmerc'h [Note : Reg. de Chancellerie, Morice, Pr., II, 1709-1718, donnant surtout les noms de compagnons de guerre dont Arthur III s'empressa de récompenser les services. Pour Hervé du Juch, 1711, pour Keinmerc'h, 1713].

Peu après, celui-ci est remplacé par Jean de Rohan, seigneur du Gué de l'Isle, qui prête serment le 14 janvier 1458 (n. st.) [Note : Lobineau, Pr., 1632. — Le château du Gué de l'Isle, autrefois en Plumieux, est aujourd'hui en la commune de Saint-Etienne du Gué de l'Isle, canton de La Chèze, arr. de Loudéac].

Jean de Rohan gardera longtemps cette charge qui pour lui ne sera pas une sinécure. Nous pouvons en dire quelques mots.

Jean de Rohan était fils de Marie de Rostrenen, seconde fille de Pierre VIII, le vaillant lieutenant du connétable de Richemont qui détermina l'heureux combat de Patay, et, devenu gouverneur de Paris, y mourut en 1448.

Le seigneur du Gué de l'Isle fut en même temps seigneur de la Chastaigneraie et de Pornic (4). Il fut écuyer et chambellan des ducs Pierre II et Arthur III ; et, en 1460, il eut le titre de grand fauconnier de Bretagne. Il mourut en 1493 [Note : Morice, Généal. des Rohan du Gué de l'Isle, Hist. I. XXVII, XXVIII. De son mariage avec Gilette de Rochefort, il laissa plusieurs enfants, et sa descendance s'est perpétuée jusqu'au XIXème siècle. Nobiliaire, v. Rohan].

Le grand fauconnier avait sa place marquée dans les listes des grands officiers du duché ; mais Jean de Rohan a mérité une bien autre renommée, comme nous allons voir [Note : Le grand fauconnier avait la nomination de tous les officiers de la chasse à l'oiseau].

Il semble que, dès 1477, il sentit le besoin du repos : nous verrons le duc lui adjoindre un auxiliaire ou, s'il est permis d'employer cette expression, un coadjuteur, qui en 1480, allait lui succéder comme capitaine de Concarneau (Lobineau, Pr., 1634).

Quelques années après, Jean de Rohan se démettait du titre de grand fauconnier, puisque, en 1487, nous voyons la charge aux mains d'un autre [Note : Michel Ferron, grand fauconnier. Morice, Pr., III, 537].

En quittant Concarneau (1480), Jean de Rohan se retira au Gué de l'Isle ; et nous pouvons nous figurer ce seigneur lettré lisant, et avec quelle joie ! les premières pages imprimées en Bretagne, et imprimées pour lui et chez lui ! Il avait appelé au Gué de l'Isle Robin Foucquet et Jean Crès, les deux premiers imprimeurs qui aient travaillé en Bretagne ; et il les installa dans sa seigneurie, à Bréhant-Loudéac. — Ils imprimèrent là en 1484-1485.

C'est ainsi que Jean de Rohan a mérité le titre, qui le met hors de pair, de premier introducteur de l'art typographique en Bretagne [Note : De Courcy a écrit (Nobiliaire, 3ème éd., t. III, p. 318, Grands fauconniers) : « 1640, Rohan (Jean de), seigneur du Gué de l'Isle, + en 1505) ». M. de Couffon, écrit (I, p. 507) : « Jean de Rohan, grand fauconnier ; c'est sans doute lui que D. Morice indique comme étant mort en 1505 ». L'erreur est certaine. Jean de Rohan, mort en 1505, était né le 1er octobre 1476 ; il était le second fils du vicomte Jean II de Rohan, et de Marie de Bretagne, et frère cadet de François, tué à Saint-Aubin-du-Cormier. S'il avait survécu à son père, qui allait vivre jusqu'en 1516, il serait devenu Jean III, vicomte de Rohan, mais non seigneur du Gué de l'Isle. Les Rohan du Gué de l'Isle étaient une branche cadette sortie d'Eon ou Eudon, fils d'Alain VI, vicomte de Rohan, mort en 1303. Eudon épousa, vers 1311, Aliette, héritière du Gué de l'Isle : Jean de Rohan était leur arrière petit-fils. Bréhant-Loudéac, aujourd'hui commune du canton de Rohan, arr. de Ploërmel, était de la seigneurie du Gué de l'Isle. L'abbaye bénédictine de Lantenac, fondée en 1150 par Eudon II, comte de Porhoët (aujourd'hui commune de la Ferrière, canton de La Chèze), était à une lieue du Gué de l'Isle. Or, c'est de Bréhant-Loudéac, depuis de Lantenac, que sont sorties les premières impressions de Bretagne ayant date certaine (1484-1485, Bréhant-Loudéac). Robin Foucquet et Jean Crès furent d'abord associés à Bréhant ; puis Jean Crès imprima à Lantenac (1488). Quelques-unes de ces vieilles impressions de Bréhant (7 sur 11) portent cette indication : « Sous noble et puissant Jehan de Rohan, seigneur du Gué de l'Isle ». Ne peut-on pas conclure de là que Jean de Rohan fit les frais de ces impressions, qu'on peut dire faites chez lui ? Voir L'imprimerie de Bretagne au XVème siècle, Bibliop. Bretons, 1878, et Histoire de Bretagne, de La Borderie, I. IV, p. 625-630, L'Imprimerie, par M. Pocquet. La Chèze étant une des résidences du vicomte de Rohan, on a supposé que l'imprimerie s'établit en ces parages « sous la double protection du vicomte et seigneur du Gué de l'Isle ». (Imprimerie au XVème siècle, p. 95.) Au contraire, M. Pocquet attribue ce patronage au seigneur de l'Isle seul. Le vicomte de Rohan était, à cette époque Jean II, aspirant au duché du chef de sa femme Marie, fille de François Ier. Ses ambitieuses visées et ses trahisons envers la Bretagne devaient seules l'occuper].

 

FRANÇOIS II (1458-1488).

Aux premières années de son règne, François II eut une vive alerte. Jean II, sire de Pont-l'Abbé et de Rostrenen, le fait avertir qu'une flotte anglaise longe les côtes de Cornouaille semblant chercher un point où atterrir. Le duc craint pour Concarneau et recommande à Jean de Rohan d'y faire bonne garde. Les menaces de l'ennemi semblent même assez sérieuses pour que toutes les places maritimes soient pourvues de munitions (Lobineau, Hist., p. 675).

Mais la guerre des Deux Roses détourna pour un temps les Anglais d'expéditions en France. La scène change : ce n'est plus contre les Anglais, c'est contre les Français que le duc de Bretagne devra munir ses places. Louis XI est monté sur le trône, le 21 juillet 1461.

Pendant vingt ans et jusqu'au jour où la maladie le menacera d'une fin prochaine, le Roi va poursuivre la réunion à la France de la Bourgogne et de la Bretagne. Il ne semble pas, ou plutôt il ne veut pas voir la différente situation des deux duchés. La Bourgogne donnée en apanage peut un jour naturellement faire retour à la couronne. La Bretagne n'a pas été détachée du domaine royal. Elle n'y fera donc jamais retour. Elle ne peut être réunie à la France que par conquête ou par le mariage de l'héritier de France avec l'héritière de Bretagne. Cette hypothèse ne pouvant se réaliser en ce moment [Note : Nous sommes en 1461, il ne naîtra au Roi un fils (Charles VIII) qu'en 1470, et François II n'aura d'enfant habile à succéder que le 25 janvier 1477 (naissance d'Anne de Bretagne)], le Roi, qui ne sait pas attendre, va se mettre à l'oeuvre. Il commencera par des chicanes de procédure, après il essaiera de la guerre ; enfin il reviendra à ses armes ordinaires, l'astuce et la duplicité.

Le devoir du duc est de défendre l'indépendance et tous les droits du duché ; et le devoir des seigneurs bretons « est de soutenir leur prince et leur pays contre les tentatives d'un souverain qui pour eux doit être l'ennemi » [Note : Ces lignes résument des pages lumineuses de M. Pocquet. T. IV, p. 425- 429, Avènement de Louis XI].

Le devoir féodal de guerre a pour sanction la confiscation des fiefs qu'ils tiennent du duc.

Mais plusieurs, et les premiers d'entre eux, sont seigneurs en France, et à ce titre, ils doivent au Roi le service de guerre, sous la même peine de confiscation en France. Ainsi, les Penthièvre, Rohan, Rieux et Laval.

Entre ces devoirs contradictoires, lequel choisiront-ils ? Celui que leur dicte leur intérêt. Ils se diront : « La France finira par avoir raison de la Bretagne. Servir le duc contre le Roi, c'est encourir la confiscation en France. Après la guerre finie, cette confiscation cessera-t-elle ? Question. — Servir le Roi c'est mériter la confiscation en Bretagne ; mais le Roi, maître du duché, nous rendra nos seigneuries » [Note : Voilà la cause générale de défections plus ou moins complètes et plus ou moins prolongées, mais à cette cause s'ajoutent des motifs particuliers que nous verrons par ailleurs].

Calcul égoïste auquel leurs pères n'avaient pas songé. Quand les Anglais envahisseurs leur avaient demandé le serment au Roi anglais, ils avaient répondu : « Non ! » en sacrifiant leurs seigneuries... Mais ces temps héroïques sont passés !

Aux premiers jours, le Roi semble plein de bienveillance pour le duc. — François II va saluer Louis XI à Tours ; et le Roi, sans aucune observation, admet l'hommage du duc se tenant debout et ceint de l'épée. C'est l'hommage simple.

Avant de repartir pour Paris, le Roi, « par civilité », veut rendre sa visite au duc à Nantes. Il poussera même « par dévotion » jusqu'à l'abbaye Saint-Sauveur de Redon. L'abbé est vieux, très affaibli, et le Roi va extorquer sa démission en faveur d'Arthur de Montauban, qui fut le premier auteur de la mort de Gilles de Bretagne. Le nouvel abbé de Saint-Sauveur sera une des âmes damnées dont le Roi, cajolant en ce moment le duc, a besoin dans le duché. Arthur fut nommé par le pape mal informé (1463) ; mais le duc « s'opposa à la prise de possession d'Arthur et rompit toutes ses mesures » (Morice, Hist., II, Les abbayes, p. CIV, CV).

Le coup est manqué ; mais avant longtemps le Roi aura trouvé les affidés, les espions dont il a besoin dans le duché. Il en compte même dans la noblesse [Note : Au moins un. V. Morice, Pr., III, 239, Lettre d'un espion demandant pour prix de ses services la vicomté de Vire (début de l'année 1472). Un gentilhomme seul peut émettre une telle prétention]. Plus tard, il aura, comme nous verrons, ses faussaires et le plus habile qu'il puisse souhaiter.

Les voies ainsi préparées, le Roi peut commencer la guerre de chicanes où il se promet la victoire. Il s'attaque au duc de Bretagne sur trois points : il lui dénie l'hommage des évêques à raison de leur temporel, et le réclame pour lui, le Roi ; il exige l'hommage lige à genoux ; il prétend que le duc renonce au titre de souverain seigneur et à la formule duc par la grâce de Dieu.

Les ambassadeurs de François II refusent de discuter ces points, et le Roi les fait approuver par son conseil. Bien plus, il prétend les faire admettre par les Etats assemblés à Dinan, en 1464 ; et c'est un breton, Jean II, de Pont-l'Abbé, qui présente aux Etats la requête impérieuse du Roi.

A ce moment, Charles de Bourgogne n'est encore que comte de Charolais ; mais il mérite déjà le surnom de Téméraire. Il entre avec empressement dans la querelle du duc de Bretagne. De là naît la Ligue du Bien public, où vont entrer tous les plus grands seigneurs de France, et dont Charles, frère du Roi, est le chef nominal.

Beaucoup de seigneurs s'armaient de mauvaise grâce. Un d'eux et non des moindres, en même temps grand seigneur en France, refusa de suivre le duc. C'était Jean de Brosse, comte de Penthièvre, du chef de sa femme Nicole de Blois, arrière petite-fille de Charles de Blois et de Jeanne de Penthièvre [Note : Jean de Brosse, seigneur de Sainte-Sévère et Boussac, fils du maréchal de Boussac, et non, comme on l'a écrit, le maréchal, qui était mort en 1433]. François II punit ce refus de service par la confiscation du comté : maladresse dont le Roi saura profiter.

Après la bataille indécise de Montléry (16 juillet 1465), la paix est signée à Saint-Maur-les-Fossés (29 octobre), mais le Roi l'exécutera mal. La guerre recommence avec diverses alternatives ; l'armée française entre en Bretagne, et le duc signe la paix à Ancenis (1er septembre 1468).

Charles de France meurt le 21 mai 1472 ; le Roi, libre de ce côté, reprend la guerre contre la Bretagne et s'empare de Machecoul, Ancenis et La Guerche.

Le duc se met en défense. Il nomme lieutenant général le comte de Laval d'abord, puis le maréchal de Rieux avec de pleins pouvoirs [Note : Le comte de Laval, Guy XIV, époux en premières noces d'Isabelle, fille de Jean V, en deuxième, de Françoise de Dinan, baronne de Châteaubriant, — mort le 2 septembre 1486. — Par son premier mariage, cousin germain de François II. Maréchal de Bretagne (en 1470)... Jean II de Rieux, petit-fils par sa mére, Jeanne de Rohan, de Marguerite, soeur de Jean V, mariée à Alain IX de Rohan ; neveu à la mode de Bretagne de François II] ; le maréchal garnit les places, notamment Concarneau ; et Jean de Rohan « reçoit ordre de s'y enfermer et faire bonne garde » (Lobineau, Hist., p. 719 et Pr., 1332).

Quand l'armée française avait menacé la frontière, le duc, conseillé par le grand trésorier Landais, se tourna vers l'Angleterre. Le moment est favorable. La victoire de Tewkesbury a mis fin à la guerre des Deux-Roses (4 mai 1471) ; Edouard IV désormais assuré du trône, fait le meilleur accueil aux ouvertures du duc ; un traité s'ensuit. Peu après, le Roi Edouard lui-même entre en France, à l'appel de Charles le Téméraire, et Louis XI signe la paix à Senlis. Le duc de Bretagne est compris dans le traité, et il recouvre ses trois places (9 octobre 1475).

Toutefois, la confiance du duc n'était pas entière, puisque, en ce même temps, comme nous l'avons vu, il prescrivait à Concarneau de nouveaux travaux qui furent achevés avant le 28 mai 1476.

L'année suivante, le 5 janvier 1477, Charles le Téméraire était tué devant Nancy. Le duc était sans allié en France, et, en même temps, fâcheux présage, il se voyait menacé même en Bretagne.

Le 17 février, un « parti français tentait l'escalade des murailles de Concarneau » (Lobineau, Hist., p. 728). L'auteur des Essais donne quelques détails sur cette affaire. « Ce fut dans la nuit du 17 février de l'an 1476 (1477 nouv. st.) qu'un parti breton, attaché à Louis XI, se présenta avec des échelles pour surprendre la place ; mais les sentinelles donnèrent l'alarme et l'ennemi se retira en désordre » [Note : L'auteur dit (p. 285)... « D’après les Annales de Concarneau... » Quelles étaient ces annales et où les trouver ?].

La tentative a manqué, mais cet acte de guerre exécuté en pleine paix, peut en faire présager d'autres qui pourraient réussir. L'avertissement n'est pas perdu. Dès le 20 février, le duc ordonne la construction d'un nouveau boulevard à Concarneau ; et adjoint Yvon de Tréanna et Henri de Quelen au capitaine Jean de Rohan (Lobineau, Pr., 1361. — Morice, Pr., III, 312).

Mais cette construction prendra du temps. Le duc aurait-il quelque avis d'une seconde tentative sur Concarneau ? On le dirait quand on le voit, le 21 mars, « supposant qu'on veut surprendre la place de Concarneau, mander à Yvon de Tréanna de s'y transporter incessamment pour sa conservation » (Lobineau et Morice, Pr.).

Le 11 mars, un mandement du duc avait ordonné aux paysans à trois lieues autour de Nantes de venir aider à creuser les fossés ; les habitants les plus riches de Rennes étaient invités à faire provision de blé ; et, dans les neuf évêchés, les capitaines des francs-archers devaient tenir les montres de leurs compagnies.

Ainsi le duc se prépare à une double guerre, à Rennes et à Nantes contre une armée française ; à Concarneau contre des « partis ennemis », des Bretons traîtres travaillant pour le Roi, et que le Roi désavouerait, s'il en était besoin.

En ce danger que fait le duc ? Il continue ses relations avec Edouard d'Angleterre. Il suit les leçons de duplicité que lui a données Louis XI ; il a cru qu'il pouvait lutter d'astuce avec le Roi ; il va perdre cette illusion.

Au temps même du coup de main tenté sur Concarneau, le duc envoyait à Louis XI une ambassade dont le chef était le chancelier Chauvin que le Roi tenait en haute estime. Le 24 février, les ambassadeurs étaient en route. Ils ne feront aucune allusion à l'affaire de Concarneau : messagers de paix ils porteront au Roi des assurances de dévoûment.

Les Bretons trouvèrent le Roi en Artois. Sans rien vouloir entendre, Louis XI les fit arrêter et mettre en prison, les séparant les uns des autres. Après douze jours, il se fit amener Chauvin, l'entretint longuement et d'un ton goguenard ; puis tout à coup tirant de sa robe un paquet de lettres : « Tenez, portez cela à beau-neveu de Bretagne, et qu'il n'envoie plus devers moi pour me dire que je le croie mon ami, s'il ne se deffait de tout point de ce Roi d'Angleterre » [Note : Il faut lire cette curieuse affaire dans Bouchard, f° 223 v° et 224 r°. Ed. des Bibl. Bretons. Bouchard était bien informé en qualité de secrétaire de François II].

Dans le paquet, il y avait douze lettres de François et dix d'Edouard faisant la preuve de leur alliance, et de l'engagement pris par le Roi de débarquer une armée à Calais à la première nouvelle de l'entrée d'une armée française en Bretagne.

On peut se figurer l'émotion et la honte de François II. Il appelle Landais. Le soupçonnerait-il ? Landais se disculpe d'un mot, et accuse son messager ordinaire, Maurice Bromel, auquel il avait toute confiance.

Il allait partir chargé d'une lettre au Roi d'Angleterre. On court après lui, on l'arrête au Port-Blanc, où il attendait un vent favorable [Note : On ne voit pas sans surprise le messager, partant de Nantes ou peut-être de Vannes, aller attendre au Port-Blanc un coup de vent favorable qui le porte à Cherbourg où il s'embarquera. — Le Port-Blanc est dans la commune de Penvénan, canton de Tréguier, arr. de Lannion]. Il est ramené au duc, et confesse qu'il rencontrait à Cherbourg un habile homme aux gages du Roi, qui copiait les lettres du duc et du Roi d'Angleterre. L'un et l'autre ne recevaient du messager que les pièces fabriquées, les originaux étaient remis à Louis XI. Ce manège durait depuis deux ans, et le messager l'aurait volontiers continué, tant il était lucratif [Note : Bromel n'avait pas su résister à la tentation. Chaque lettre lui était payée 100 écus d'or. L'écu ne peut être évalué à cette époque moins de 27 sous ; la livre (monnaie de compte) étant de 20 sous, 100 écus valaient 135 livres. Leber, écrivant en 1845, évalue la livre de ce temps à 30 francs (évaluation un peu faible aujourd'hui) Chaque lettre avait donc été payée 4.050 francs, et les 22, 89.100 francs. On a reproché à Louis XI sa lésinerie, reproche immérité au moins quand il payait le prix de certains services. Bromel condamné fut amené au château d'Auray, « cousu dans un sac, noyé au pied du château et de nuit, le plus secrètement que l'on put, afin que le Roi Louis n'en eût connaissance. Mais depuis, il en fut averti… » (Bouchard) comme il était averti de tout ce qui se faisait en Bretagne].

Si la tentative de Louis XI sur Concarneau avait inquiété le duc, la découverte de sa propre félonie lui parut une cause de guerre. Il n'en fut rien : Louis XI se contenta d'une mesquine vengeance. Il se fit adjuger par arrêt du parlement le comté d'Etampes [Note : Il est à remarquer que le comté d'Etampes donné, le 8 mai 1421, par le dauphin, depuis Charles VII, à Richard, père de François II, n'a jamais apparteuu à l'un ni à l'autre. C'est seulement en 1512 que le comté, ayant fait retour à la couronne, a été donné par Louis XII à la reine Anne. Son aïeul, son père et elle-même en avaient eu seulement le titre depuis 91 ans ! — Seigneuries de Bretagne hors de Bretagne, par J. Trévédy (p. 62-68)].

Le duc ne marqua pas de colère ; et, dès le mois de mai, il envoyait au Roi une ambassade solennelle dont le chancelier Chauvin était encore le chef. Cette fois, l'accueil du Roi fut excellent ; et, le 21 juillet 1477, un traité de paix, bien plus, d'alliance offensive et défensive, était signé.

Peu de temps après, le Roi crut-il pouvoir, sans violer son serment, acquérir les prétendus droits de Nicole de Blois, comtesse de Penthièvre, à la couronne de Bretagne ? Cette acquisition pouvait être l'indice d'une nouvelle guerre (3 janvier 1480), puisque le Roi s'engageait, dès qu'il serait maître du duché, à rendre le Penthièvre à la venderesse, en y adjoignant nombre de seigneuries [Note : V. la cession, Morice, Pr., III, 348-350. Nicole invoquait le traité de Guérande : « En défaut d'hoirs mâles, dans la maison de Montfort, le duché viendra aux prochains hoirs mâles de Penthièvre ». Mais Nicole n'était pas hoir mâle ! Son prétendu droit était chimérique. Le Roi Louis XI devait bien le savoir : il acquérait, non comme on l'a dit, un procès à plaider ; mais une cause ou un prétexte de guerre en Bretagne ; et Nicole ayant besoin d'argent (voir l'acte), était trop heureuse de cette cession faite pour 50.000 écus (ou 67.500 livres), au minimum plus de 2 millions de nos francs en 1908].

C'est sans doute contre ces éventualités que le duc songea à prémunir ses filles, quand il promettait à Edouard III, pour le prince de Galles, sa fille Anne alors âgée de trois ans, et, si elle mourait enfant, sa soeur cadette Isabelle (10 mai 1480).

En 1480, Eon deTréanna, que nous avons vu associé à Jean de Rohan pour la défense de Concarneau, devenait capitaine de la place (Lobineau, Pr., 1634. — 30 mai 1480). Il allait y vivre en paix. Frappé d'apoplexie en 1481, Louis XI ne songeait plus qu'à prolonger sa vie. Il allait mourir le 30 août 1483.

Le Roi Edouard l'avait précédé le 9 avril. Il laissait deux fils sous la tutelle de son frère Richard. On sait comment celui-ci fit égorger ses pupilles et usurpa le trône, le 6 juillet 1484.

Personne n'ignore les troubles soulevés en Bretagne par la rivalité du chancelier Chauvin et du trésorier Landais, rivalité qui devait finir par la mort de l'un et de l'autre, ni l'hostilité armée des seigneurs ennemis de Landais et devenus rebelles au duc.

Cinq d'entre eux se portent à un acte de démence, et parmi eux Jean de Chalons, prince d'Orange, neveu propre de François II [Note : Catherine, soeur de François II, avait été mariée, 19 août 1438, à Guillaume de Chalon, devenu prince d'Orange (1468), qui mourut (24 septembre 1475) ayant pour héritier son fils, Jean II, neveu propre du duc], et le maréchal de Rieux. Ils vont trouver Madame de Beaujeu, régente ; et, comme s'ils étaient chargés de parler au nom de la Bretagne, reconnaissent solennellement que François II mourant sans héritier mâle, le duché appartiendra au Roi « à bon et juste titre », comme cessionnaire des droits de Nicole de Blois (Traité de Montargis, 22-28 octobre 1484. Morice, Pr., III, 441-444).

Vers le même temps, François II se créait de grosses difficultés en Angleterre et en France.

Il avait donné asile à Henri Tudor, comte de Richemont, prétendant, à titre d'héritier des Lancastre, à la couronne d'Angleterre [Note : Le comté de Richemont, un des grands fiefs d'Angleterre, était au comté d'Yorck. Au temps de la conquête, Guillaume en fit don à Allain (ou plutôt Brient) de Penthièvre. — Richemont passa par mariage à la maison ducale. Mais nos ducs n'en eurent en fait qu'une possession intermittente. Depuis la fin du XIVème siècle, ils ne le possédèrent plus. Ainsi Arthur de Bretagne, le comte et connétable de Richemont, n'en a jamais eu que le titre, que après lui François et même Anne de Bretagne prirent à leur tour. Sur les vicissitudes du comté de Richemont, Seigneuries bretonnes hors de Bretagne, p. 72-132].

Si le duc craignit, à l'avènement violent de Richard III, une rupture avec l'Angleterre, il fut vite rassuré : Richard lui accorda une paix dont une des conditions nous montre quelle était l'importance alors accordée à la forteresse de Concarneau : « Les navires marchands d'Angleterre ne pourront entrer dans les petits havres (les avant-ports) de Saint-Malo, Brest et Conq, sans la permission des capitaines de ces places, de même que les Bretons n'entreront pas dans trois ports d'Angleterre dont l'un est Plymouth ».

Ce traité était signé le 22 juillet 1485. Le 22 août suivant, Richard perdait le trône et la vie à la bataille de Bosworth ; le comte de Richemont était Roi sous le nom de Henri VII ; et de ce côté le duc était rassuré [Note : Lobineau, Hist., p. 757. — L'historien date ce fait de 1486 ; il est de 1485. Un des commissaires du duc est Girardin de Billy que nous retrouverons à Concarneau].

L'orage allait venir de la France.

Le duc d'Orléans avait formé contre Anne de Beaujeu, régente, une nouvelle ligue du Bien public ; François II y avait adhéré. Mal assisté par ses associés et pressé par une armée française, le duc d'Orléans se réfugia en Bretagne (janvier 1487). Les Français vont l'y poursuivre et ils y trouveront des auxiliaires, parmi lesquels les proches parents du duc, le maréchal de Rieux, le vicomte de Rohan, Guy XV, comte de Laval et baron de Vitré [Note : Sur le maréchal de Rieux et Guy XIV de Laval, voir ci-dessus. 1° Le vicomte de Roban, Jean II, fils d'Allain IX, mais non de Marguerite, fille de Jean V. Il est époux de Marie de Bretagne, fille de François Ier, soeur cadette de Marguerite, première femme de François II et sa nièce à la mode de Bretagne. 2° Guy XV est fils de Guy XIV et après lui comte de Laval et baron de Vitré. 3° François de Laval, fils du deuxième mariage de Guy XIV, avec Françoise de Dinan, héritier de Châteaubriant, gendre du maréchal de Rieux (31 août 1482) et, du chef de sa femme, baron de Derval et Malestroit. Guy XV est neveu (à la mode de Bretagne) de François II. Le vicomte de Rohan a le même titre par son mariage. Alain d'Albret et sa soeur utérine Françoise de Dinan, en ce moment veuve de Guy XIV de Laval, nés de Catherine de Rohan, cousine du duc, sont au même degré], le frère consanguin de celui-ci, François de Laval, gendre du maréchal de Rieux, enfin Alain d'Albret, bien plus, François, baron d'Avaugour, fils naturel du duc que son père a comblé de biens et d'honneurs immérités !

Il était écrit que tous les parents du duc se tourneraient contre lui et plus tard contre sa fille, un seul excepté, le prince d'Orange. Il a reconnu la faute qu'il a commise en 1484, à Montargis ; il est revenu repentant au duc, et il va montrer au duc et plus tard à sa cousine la duchesse, une fidélité à toute épreuve.

Jaloux de l'influence du duc d'Orléans dans le conseil, les seigneurs chefs de la noblesse bretonne s'entendent avec la régente et consentent à ce qu'elle fasse entrer l'armée française dans le duché ; toutefois, à certaines conditions que la régente accepte, mais que, digne fille de son père, elle n'observera pas.

L'armée française passe la frontière au milieu de mai. Le 1er juin, elle est à Ploërmel ; le 5 à Vannes. La régente s'est engagée à ne pas assiéger la ville où serait le duc. François II est à Nantes : la régente fait commencer le siège de Nantes, le 15 juin ; et un des premiers boulets tirés sur la place, tombe dans la chambre du duc, qui, par bonheur, loge en ville.

Mais la petite noblesse, les milices bourgeoises et rurales, les Bons-corps s'assemblent en tumulte et marchent sur Nantes [Note : « Et pour ce que lors il faisoit temps chault eurent faulte (besoin) de boire, et en aucuns endroits beurent toute leaue d'une petite rivière, si (si bien) que il ny demeura goutte de eau » (Bouchard, Ed. nouv, f. 236, v°)]. Ils sont 60 ou 80.000. C'est trop ! On en choisit 10.000 ; ils font merveille ; et, le 6 août, le siège est levé.

Rappelons ici un souvenir glorieux pour la Cornouaille.

Un des héros du siège de Nantes est un quimpérois, Michel Marion. Il était négociant à Quimper et avait pris la ferme du billot. Au temps où il allait faire sa recette, il apprend l'entrée des Français en Bretagne. Laissant là toutes affaires, « il s'assure d'environ 120 hommes résolus des bons corps » ; il affrette un navire, il le garnit de « vivres, canons et harnois ».

Mais Quimper est voisin des domaines du vicomte de Rohan et du sire de Pont-l'Abbé [Note : Ce n'est plus Jean II, dont il a été question plus baut ; mais son fils Pierre, son successeur en 1484, que nous allons retrouver]. Les gens de ces seigneurs s'opposent aux préparatifs de Marion et le menacent « de pilleries et même de mort ». Rien ne l'arrête ; quand tout est prêt, « à son de trompe et enseigne déployée », le navire part de Quimper : un vent favorable le porte à Nantes.

Là, « pendant deux ou trois mois », Marion entretient tous ses hommes « à ses coûts et dépens ». Ses compagnons sont de toutes les rencontres et beaucoup meurent au service du duc ; Marion lui-même survit à peine quelques jours à ses blessures.

A tant de dépenses, Marion avait employé tout son bien, et l'argent de sa recette ; « et cela ne suffisant pas il avait emprunté grand nombre de finances et aliéné ses héritages » ; son navire même avait été détruit avec tout ce qu'il renfermait [Note : Cette merveilleuse histoire nous est apprise par la duchesse Anne elle-même dans un acte du 1er décembre 1490, rendu en faveur de Jeanne Marion « seule héritière de Michel » alors femme de François Le Saux, « notre bien aimé et féal secrétaire, dit la duchesse, et l'un des gens de nos comptes ». Anne de Bretagne déclare Jeanne Marion quitte de ce que le trésor aurait pu lui réclamer. Il semble qu'elle a fait davantage et qu'elle a marié Jeanne Marion en faisant François Le Saux son secrétaire et conseiller à la cour des comptes. François Le Saux figure, en 1492, aux registres de la cour avec le titre de conseiller auditeur. — Fourmont, Hist. de la Cour, p. 295. — Arch. Loire-Infér., Cour des comptes. Reg. de la Chanc. Anc. XI, auj. LXIX, f°s 89, 90, 91. — La Borderie a publié et commenté ce document dans Mélanges historiques. T. I, p. 292-300. Un patriote breton. Cet article a paru depuis dans la Revue de Bretagne et de Vendée. — je l'ai reproduit avec des renseignements sur les Marion et Le Saux dans l'Union monarchique de Quimper, août 1887].

Enfin, Rieux et d'autres ont compris (il en est temps !) que la régente les a joués ; et ils reviennent au duc. Mais le vicomte de Rohan persiste dans la rébellion, et il retient quelques seigneurs au parti français.

Parmi ces derniers, est Pierre, sire de Pont-l'Abbé. Il s'est jeté dans Concarneau qu'il prétend garder pour le Roi. François II finit par lui dépêcher son neveu Jean de Châlons, prince d'Orange, pour le sommer de rendre la place « sous peine de voir abattre ses châteaux et couper ses arbres à six pieds de terre » (14 février 1488).

Le sire de Pont se rendit; et, quelques mois après, réparant noblement sa faute, il tombait avec son frère, combattant pour le duc et la Bretagne, à Saint-Aubin-du-Cormier (28 juillet).

Aussitôt en possession de Concarneau le prince d'Orange y introduisit des hommes sûrs, Yvon de Tréanna, Riou Le Saux, Jean de Cornouailles et autres jusqu'au nombre de 80 ; et il leur donna pour chef Hervé Garlot, gentilhomme de Bourgogne (22 avril 1488) [Note : Garlot avait été envoyé avec Olivier de la Marche, l'auteur des Mémoires, par Charles-le-Téméraire à François II, pour resserrer l'alliance entre les deux duchés. En 1466, le duc les avait faits tous les deux chevaliers de l'Hermine. Couffon, I, p. 479 et II, p. 481].

Le 22 juin 1488, le prince d'Orange était nommé capitaine de Concarneau (Lobineau, Pr., 1484), mais il dut laisser l'exercice de cette charge à Garlot : son dévoûment au duc l'appelait ailleurs. Moins de deux mois plus tard, il combattait à Saint-Aubin et était fait prisonnier.

Hâtons-nous de dire que, dans cette fatale journée, les seigneurs nommés plus haut sont rangés sous la bannière bretonne, excepté le vicomte de Rohan. Il commande cent lances dans l'armée française. Il a auprès de lui son frère cadet, Pierre, seigneur de Pontchâteau, et, du chef de sa femme, baron de Quintin ; devant lui, dans l'armée bretonne, le vicomte peut voir son fils aîné, âgé de 19 ans, François, vicomte de Léon, pour lequel il ambitionnait la main d'Anne de Bretagne, et qui allait être relevé parmi les morts.

Le lendemain, La Trémoille, chef de l'armée française, envoyait sommer la ville de Rennes, et les bourgeois répondaient : « Les Français ne sont pas invincibles. Souvenez-vous de Crécy et Poitiers. Nous sommes ici 20.000, qui feront telle résistance que si le seigneur de la Trémoille et son armée viennent nous assiéger, ils y gagneront autant qu'ils ont gagné devant Nantes, l'année dernière ».

La Trémoille comprit et n'assiégea pas Rennes.

Le mois suivant, François II était contraint de signer le traité du Verger (19 août), et il mourait vingt jours plus tard (9 septembre).

 

ANNE DE BRETAGNE.

Le traité du Verger ne tranchait pas la question, cause ou prétexte de l'invasion française, la question des droits que le Roi, cessionnaire de Nicole de Blois, réclamait « sur la totalité du duché ». — Les conditions de ce traité frappaient le duc au coeur comme souverain et comme père. Il cédait à la France, au moins provisoirement, les places de Dinan, Saint-Malo, Fougères et Saint-Aubin, ouvrant la Bretagne à une invasion nouvelle. Il s'engageait à ne pas marier ses filles sans l'avis et le consentement du Roi.

Le duc avait essayé d'assurer l'avenir de ses filles orphelines [Note : Leur mère, la duchesse Marguerite de Foix, était morte le 15 mai 1486]. Il avait fiancé l'aînée, Anne, à Maximilien d'Autriche, récemment élu Roi des Romains (1486) [Note : Et qui, en 1493, à la mort de son père Frédéric III, allait succéder à l'Empire] ; et, par testament du 2 septembre 1488, il avait donné à la future duchesse et à sa soeur, pour tuteur, le maréchal de Rieux, et pour gouvernante, la comtesse douairière de Laval, Françoise de Dinan (Morice, Pr., III, 603-604).

Quelque dures que fussent les conditions du traité, Charles VIII prétend les aggraver encore. Il demande notamment qu'Anne ne prenne pas le titre de duchesse « avant qu'il ait été statué sur la question des droits qu'il tient de Nicole de Blois ».

Dans le même temps, sur un signe du Roi, et comme pour peser sur la détermination de la duchesse, le vicomte de Rohan menace Guingamp qui résiste ; mais il prend et saccage des villes voisines.

La duchesse répond (24 septembre) qu'elle s'en tiendra au testament de son père approuvé par les Etats, et aux termes du traité. Quelle sera la suite du refus opposé aux voeux du Roi ? Sera-ce la guerre ? Beaucoup la redoutent en France, comme en Bretagne ; mais ils trouvent au conflit une solution pacifique.

Quatre mois après la mort de son père, le 25 janvier 1489, la duchesse aura douze ans. Elle sera nubile. Que le Roi l'épouse ! Voilà les droits du Roi et de la Reine confondus, et la paix cette fois définitive !

Le Roi semble hésitant. Il interroge des hommes dévoués à sa cause, notamment Louis de Laval, frère puiné de Guy XIV et du maréchal de Lohéac, et seul survivant des trois frères. A une communication qui lui est faite au nom du Roi, Louis de Laval répond par une lettre du 16 octobre, trente six jours après la mort de François II. On lit dans cette lettre [Note :  Cette lettre n'a pas été, que je sache, publiée en Bretagne. Je la prends dans la Maison de Laval, par le Cte de Broussillon. Cartulaire, n° 2012, t. III, p. 354-355 (Copie B. N. français, nouv. acq. 1232-196). L'auteur, Louis de Laval, était breton par son père, Jean de Montfort-la-Cane, dit Guy XIII de Laval. Sa mère, Anne de Laval, était fille de Jeanne de Laval-Châtillon, qui, veuve de du Guesclin, épousa son cousin Guy XII. — Louis de Laval était en Bretagne seigneur de Châtillon en Vendelais (canton Est de Vitré), venu de sa grand'mère, de Frinandour (Quimper-Guézenec, canton de Pontrieux, Guingamp) et de Lohéac (canton de Pipriac, Redon) hérité de son frère le maréchal. Il connaissait la Bretagne et l'aimait. Son grand-père Guy XII et Jean IV étaient cousins-germains. Jean V le traita bien et le connétable de Richemont l'eut en grande faveur Louis de Laval avait occupé des postes de confiance et exercé de grandes charges : gouverneur de Dauphiné, puis de Gênes, puis de Champagne, enfin grand maître des eaux et forêts de France. Né en 1411, il avait 77 ans en 1488, et, d'une piété austère, il se préparait à mourir, le 21 août 1489] :

« Sire, je ne suis pas des plus jeunes de vostre pays ni de ceux qui ont vu le moins de choses et suis loyaument tenu vous conseiller... Sire, croyez que si vous ne prenez en vostre main le duché de Bretagne... en mariant la fille aisnée en la maison de celluy que chascun congnoit avoir le meilleur droit... vous serez très mal conseillé, et engendrerez une guerre perpétuelle en France et en Bretaigne, car je la congnois bien (la Bretagne). Et sera votre conscience mieulx déchargée en faisant ce que je conseille que aultrement, et vostre royaume en paix... ».

Mais le Roi n'écoutera pas ce sage et loyal conseiller ; et, c'est trois ans plus tard, après une guerre désastreuse pour la Bretagne, et quand il aura « chargé sa conscience » de plus d'une félonie, que le Roi demandera la duchesse en mariage.

Le 11 décembre 1488, est dressé un acte de déclaration de guerre ; le 7 janvier 1489, il est publié à Paris ; le même jour, sans déclaration faite en Bretagne, l'armée française cantonnée à Dinan et Fougères se met en marche.

Nous avons dit que François II avait fiancé sa fille aînée à Maximilien d'Autriche.

Mais le tuteur et la gouvernante ont d'autres visées. La comtesse de Laval n'a-t-elle pas imaginé de marier la jeune duchesse à son frère utérin Alain d'Albret, vicomte de Tartas ; et le maréchal de Rieux, leur cousin, dont la fille a épousé François, fils de la comtesse, entre dans cette pensée [Note : Ils invoquaient les services rendus à François II par d'Albret. Mais le duc ne les payait-il pas en ordonnant par son testament que le comté de Penthièvre fût rendu à ses enfants, fils de Françoise de Blois, cousine-germaine de Nicole ?].

Alain d'Albret approche de la cinquantaine ; il a sept enfants d'un premier mariage ; son air farouche de soudard suffirait seul à effrayer une enfant dans sa douzième année. D'Albret est ruiné : c'est justement la raison de ce beau projet. Il faut lui assurer la possession du duché. La duchesse résiste aux obsessions de son tuteur et de sa gouvernante. Un jour, elle chassera celle-ci de la cour ; quant au maréchal, il se séparera brusquement de sa pupille. Il lui refuse l'entrée de sa « bonne ville » de Nantes ; et la duchesse va, sans lui, prendre la couronne à Rennes, le 9 janvier 1489, le surlendemain de l'entrée des Français en campagne.

La tâche leur sera facile : la défection du maréchal va paralyser la résistance.

Le vicomte de Rohan est un des chefs de l'armée d'invasion. Il s'empare de Tréguier ; il assiège, emporte et pille Guingamp ; et il contraint les habitants à lui fournir des munitions de toutes sortes pour aller, sur l'ordre du Roi, assiéger Concarneau. Il en est maître du 1er au 15 février (Lobineau, Hist., p. 794) ; et sans perdre un moment il court à Brest qui tombe par surprise.

En cette extrémité, la jeune duchesse s'adresse au Roi d'Angleterre. Henri VII, lui promet un secours de 6 000 hommes — à des conditions onéreuses — c'est l'habitude des Anglais. Deux de cinq places indiquées, notamment Concarneau, devront être remises au Roi d'Angleterre, comme gage du remboursement de ses dépenses. « Il aura, comme maître, la jouissance de tous leurs revenus, et ses successeurs après lui » [Note : Lobineau, Hist., p. 794, et Pr., 1508-1517. Le traité tient huit colonnes grand in-f° Concarneau est en tête de la liste que voici : Concarneau, Hennebont, Auray, Vannes et Guérande].

Dès le mois de mars, les Anglais débarquent en Bretagne. Ils se disent 12.000 et les Bretons le répètent pour relever le courage des leurs. Sur l'ordre de Charles VIII, les Français se retirent et se fortifient notamment à Concarneau et à Brest ; et, en attendant d'autres troupes, le Roi fait entrer en Bretagne un corps de 2.400 hommes dont un des chefs est le capitaine Guyneuf.

Rohan a prévu le siège de Concarneau : il en juge les remparts insuffisamment armés et défendus ; il envoie dans cette place de l'artillerie, des munitions de guerre et des vivres, et lui donne pour capitaine Claude de Montfaucon (Lobineau, Hist., p. 799).

Peu après, Brest et Concarneau étaient assiégés en même temps par les Bretons et les Anglais ; et on peut dire que, à ce moment, les yeux de la Bretagne, de la France et de l'Angleterre, étaient fixés sur ces deux places.

A ce moment, Jean du Quélénec, amiral de Bretagne, travaillé par Charles VIII et rebelle aux ordres de la duchesse, armait une flotte pour combattre la flotte anglaise et couvrir Brest par mer. La duchesse le destitua de sa charge.

Par contre, au même temps, le maréchal de Rieux revenait à la duchesse, à la sollicitation de Henri VII, et formait le projet de reprendre Brest. Il vient l'assiéger par terre pendant que soixante vaisseaux bretons bloquent l'entrée de la rade. Mais Rieux a compté sur une obéissance dont il ne donna pas toujours l'exemple, et beaucoup de nobles ne répondent pas à son appel. Toutefois, il poursuit le siège et le blocus. C'est en vain que, pour l'attirer loin de Brest, Rohan répand le bruit qu'il va faire lever le siège de Concarneau, le maréchal s'obstine devant Brest. Mais une flotte française se montre devant la rade : la flotte bretonne se disperse ; quoi que fasse Rieux, l'armée de terre se débande, et le siège est levé.

Cependant, les Anglais avaient établi devant Concarneau un siège en règle. Ils occupaient apparemment la presqu'île entre la rivière de Moros et l'anse de Boudouic, où la tradition garde encore le nom de Butte des Anglais [Note : C'est ce point que nous avons vu, dit fort des Espagnols par l'auteur des Essais] ; la levée du siège de Brest entraîne la retraite des Anglais de Concarneau, et les Français peuvent de nouveau le ravitailler.

Mais, revenant devant Concarneau avec les Anglais, le maréchal de Rieux reprit la place (juin 1489). Selon les conventions, elle fut remise au Roi d'Angleterre, qui nomma plus tard un capitaine, Jean Noton (21 mars 1491) [Note : La reprise de Concarneau, mentionnée incidemment par Lobineau (p. 807), est révélée d'un mot dans l'acte du pardon accordé par la duchesse à Rieux, le 9 août 1490. Morice, Pr., III, 675. — Une autre preuve du fait serait la remise aux Anglais résultant de la nomination du capitaine anglais. Morice, Pr., III, 695].

Voilà les faits dans leur vérité, et on a interverti les rôles, quand on a montré le maréchal de Rieux allié aux Anglais ennemis de la duchesse. Rieux et les Anglais combattaient pour elle à ce moment.

Après quelques faits de guerre auxquels la place de Concarneau est étrangère, la paix est signée à Francfort entre Charles VIII et Maximilien, et la duchesse y est comprise (22 juillet 1489). Mais le maréchal prétend ne pas accepter cette paix, et encore une fois devient rebelle. La duchesse est réduite à faire marcher contre lui le prince d'Orange avec tout ce qu'il peut lever de troupes. Enfin, Rieux se rend ; mais il ose faire acheter et chèrement son retour au devoir [Note : Le traité cité plus haut donne la mesure de la rapacité du maréchal et de ses associés, d'Albret et la comtesse de Laval].

La paix de Francfort confirmée (15 octobre), la duchesse épouse par procuration Maximilien (Rennes, 19 décembre 1490).

Mais d'Albret a sa vengeance prête. Il ouvrira le duché à l'armée française et rendra toute résistance impossible. Il vend au Roi la ville de Nantes, dont il va s'emparer en pleine paix. La première condition de ce marché, c'est le don de la main de la duchesse pour lui-même ou pour son fils. Le Roi accepte et jure les conditions de ce honteux marché (2 janvier 1491), sauf à ne pas les tenir.

Le 4 avril 1491, Charles VIII fait une entrée solennelle à Nantes, sanctionnant ainsi la trahison de d'Albret ; mais il n'en paiera pas le prix convenu. Quelques mois plus tard, quand l'armée française sera maîtresse de la plus grande part de la Bretagne, le Roi demandera la duchesse en mariage. La paix est conclue, le 15 novembre 1491 ; et le 6 décembre, Anne se résigne à mettre sa main loyale dans la main du Roi, qui a signé tant de traités de paix et l'odieux marché de Nantes, tous violés par lui.

Charles VIII aurait été bien ingrat s'il n'avait pas payé les intrigues et les trahisons du vicomte de Rohan. Au début de 1491, il l'avait fait lieutenant-général en Bretagne. Mais ce titre ne suffisait pas à l'ambition du vicomte : il espérait bien plus, il aura beaucoup moins. Le mariage du Roi avec la duchesse amène un changement à vue. « La duchesse n'est pas entrée en vaincue dans la couche royale : elle monte sur le trône en souveraine ». Rohan est remplacé comme lieutenant-général par le prince d'Orange [Note : Mandement de Charles VIII, 2 novembre 1492. Arch. de Bretagne (Bibl. Bretons), t. II, p. 65].

Mais Rohan ne renonce pas à son rêve ambitieux. Le Roi de France ne lui a pas donné le duché de Bretagne ; il essaiera de l'obtenir du Roi d'Angleterre ? Il change ses batteries ; et, dès 1492, il ourdit ce complot breton, dont un bourgeois de Morlaix tient les fils [Note : La Borderie Le Complot Breton. Lire le curieux volume publié par la Société des Bibl. Bretons. Arch. De Bretagne, t. II]. Il s'agit de livrer la Bretagne à l'Angleterre, pour que le vicomte soit duc de Bretagne : et le premier acte d'exécution, c'est de livrer à l'Angleterre Brest et Concarneau. Le capitaine de Brest est acheté, tout semble en bonne voie ; mais le Roi d'Angleterre a un moment d'hésitation ; Charles VIII est mis au courant de tout, et pardonne au vicomte cette trahison nouvelle, en faveur apparemment des trahisons antérieures dont le Roi de France a profité. Ce n'est pas de la faute du vicomte de Rohan si Concarneau n'a pas subi un siège de plus.

Nous avons vu Claude de Montfaucon nommé capitaine pour le Roi, en 1489, et en même temps nous avons nommé un capitaine d'une compagnie d'infanterie française entrant en Bretagne, Guyneuf. Il semble bien que c'est lui que nous trouvons en 1493 au service du Roi, en Bretagne [Note : Morice, Pr., III, 753. — Etat des réductions d'appointements prescrites par le Roi à partir de 1493, en vue de son expédition en Italie. L'historien abrégeant (comme trop souvent) a omis la qualité des officiers ainsi réduits. Les réductions ont dû être proportionnelles. Celle de 100 livres imposée à Jacques Guineuf égalant au moins 3.500 livres de notre monnaie dénote un traitement élevé].

Du moins, trouvons-nous deux ans plus tard à Concarneau un capitaine nommé Guinen ou Guineu. Il comparaît à l'inventaire de « l'artillerie de Bretaigne fait par Girardin de Billy par commission du Roy ».

Billy dressa l'inventaire de Concarneau, le 2 juillet 1495 [Note : V. Archives de Bretagne, publiées par la Société des Bibl. Bretons, t. II, p. 137, à la suite du Complot Breton, Documents inédits, LIII, p. 123-144. Pour Conq, voir p. 137-138..].

Il résulte de cet acte qu'il y a de l'artillerie déposée un peu partout, dans l'église Saint-Guénolé, au vieux château, dans la vieille tour près du moulin, au moulin, sur la tour près du faubourg, sous les halles, au logis du procureur. Elle consiste en 12 coulevrines, dont plusieurs longues « et une grosse à teste de serpent récemment achetée à Rennes ; trois canons dont un gros en fer, un mortier monté, deux faulcons de fonte ».

La maison du capitaine est un arsenal : on y trouve « deux hacquebutes à crocq au Roy, quatre hacquebutes au capitaine, des boulets pour servir la grosse coulevrine à teste de serpent, un saumon de plomb pour faire des balles ». La maison du procureur est la poudrière : « Au haut de la vis (l'escalier), il y a 13 barils et deux quarts de pipe de poudre », de quoi faire sauter la maison et ses voisines. Dans une autre maison, près du moulin, il y a cinq barils de poudre.

Peu de places de Bretagne sont mieux munies que Concarneau, et une garnison aguerrie, même peu nombreuse, pourra faire bonne contenance derrière ses murailles neuves et « artillées de gros canons ».

Charles VIII meurt prématurément et sans enfants, le 7 avril 1498. Or, une des conditions de son mariage avec la duchesse est que, « si le Roy meurt sans enfants, la Reine épousera son successeur ou le plus proche héritier de celui-ci, s'il lui plaît, et si faire se peut ». Mais le successeur au trône est le duc d'Orléans. Il a trente-six ans ; son âge n'est pas un obstacle à son mariage ; mais il y a un empêchement : le duc est depuis dix-sept ans époux de Jeanne de France, soeur de Charles VIII.

Ce second mariage est, comme le premier, de l'intérêt commun de la Bretagne et de la France. S'il ne s'accomplit pas, la guerre reprendra un jour. Louis XII bien résolu à cette union craint-il quelque hésitation de la part de la duchesse ? Quoi qu'il en soit, comme en gage de l'exécution de la clause du contrat de mariage avec Charles VIII, il retint cinq villes bretonnes : Nantes, Fougères, Saint-Malo, Brest et Concarneau. La Reine protesta. Le Roi tint bon. Le 19 août 1498, moins de cinq mois après son veuvage, Anne s'engagea par une promesse formelle à épouser Louis XII, s'il obtenait l'annulation de son mariage et les dispenses à raison de parenté. A ces conditions, le Roi rendit Saint-Malo, Brest et Concarneau, en retenant Nantes et fougères « pour sûreté et accomplissement du mariage » [Note : Morice, Pr., III, 794. — C'est le dévoué cousin de la reine, Jean de Chalons, prince d'Orange, qui est le négociateur ; il prend entre autres titres celui de comte de Penthièvre. La reine lui avait apparemment donné la jouissance du comté confisqué par François II, en 1465, et qui n'allait être rendu aux héritiers de Penthièvre et très diminué qu'en 1536].

Nous avons dit plus haut, que, selon toute apparence, Anne de Bretagne a construit une grosse tour à Concarneau. Il n'est pas probable qu'elle ait jamais vu cette ville ; mais les habitants de Concarneau ont vu et acclamé leur souveraine.

Dans l'été de 1506, la Reine vint « visiter et consoler son pays et duché, qui lui fit un honneur triomphant et magnifique » (Bouchard. — F° 265, v° et 266 r°). Quel fut ce triomphe et quelles furent ces magnicences ? Une ovation toute populaire et qui allait au coeur de la duchesse, bien mieux que les pompes officielles.

L'auteur que je viens de citer conte ainsi ce qu'il a vu : « Et estoit quasi chose miraculeuse, de veoir par les champs, chemins et boys, si grant multitude d'hommes, de femmes et petits enfans qui accouroyent, pour veoir leur dame et maîtresse, regraciant Dieu de quoy il lui avoit pleu envoyer ladite dame pour visiter sa contrée et duché ».

La duchesse partie de Nantes, pour aller au Folgoet et rentrer en France par Vitré, fit ainsi le tour de la Bretagne entre deux haies de bretons fidèles. Lorsqu'elle va de Quimperlé à Quimper, nul doute que les habitants de Concarneau, comme les autres, ne soient allés la saluer à son passage.

Pourquoi cet amour unanime et enthousiaste des Bretons pour celle qu'ils nomment « la bonne Duchesse » ? C'est bien simple.

Ils savent, ces braves gens, deux choses : qu'en épousant le Roi Charles VIII, la duchesse leur a rendu une « bonne paix » définitive ; et qu'en dictant les conditions de son mariage avec Louis XII, elle a sauvegardé les droits et les privilèges de la Bretagne.

Quel étonnement pour les Bretons contemporains de la Reine Anne, si on leur eût dit : « Dans quatre siècles, des Bretons et de bons Bretons, vos fils, diront en prose et en vers : Pour le bien de la Bretagne et pour son avenir, Anne devait épouser un Breton : Rieux, Laval ou Rohan. Mais non ! elle a vendu le sol natal, pour se parer du diadème royal ».

Erreur ! Nous sommes après le traité de Rennes, 15 novembre 1491. Le Roi Charles VIII a demandé la main de la duchesse : elle l'a refusée une première fois ; mais sollicitée par ses plus fidèles conseillers, elle hésite.

On ne voit pas que personne alors lui ait dit : « Epousez donc un Rieux, Laval ou Rohan ».

Disons d'abord qu'elle n'a pas à choisir entre ces trois maisons : Les Rieux et les Laval n'ont pas un prétendant à offrir. Le vicomte de Rohan (c'est audace autant que maladresse) a osé demander la duchesse pour son fils Jean devenu l'aîné, qui, le 1er octobre précédent, vient d'avoir quinze ans. « Eh ! bien ! que ne l'a-t-elle épousé ! » dit-on aujourd'hui. Les gens sages, en 1491, pensaient autrement. Pourquoi ? Parce que pour la duchesse, accepter dans l'avenir le titre de vicomtesse de Rohan, c'était renoncer, et dans un bref délai, au titre de duchesse de Bretagne.

Ce mariage fait sans l'assentiment du Roi va déchaîner la guerre sur le duché. Mais, dira-t-on, le puissant vicomte de Rohan, traître à la duchesse la veille, sera le plus ferme appui de la duchesse devenue sa belle-fille. — Soit ! mais ramènera-t-il à elle tous ceux qu'il a engagés au service de la France ? Non ! et quand il aurait ce succès, la Bretagne succomberait épuisée dans une lutte inégale ; il lui faudra signer un traité de paix dont le premier article sera la reconnaissance au profit du Roi des droits chimériques de Nicole de Blois : c'est-à-dire pour la duchesse, la dépossession absolue, et pour la Bretagne, la perte de ses franchises, libertés et privilèges auxquels elle tient tant !

Donc « il valait mieux pour la Bretagne que la duchesse signât avec le Roi Charles VIII un contrat de mariage qu'un traité de paix, qu'elle fût la Reine plutôt que la vaincue de la France ».

Six ans plus tard (9 avril 1498), Charles VIII meurt ; et en vertu du contrat de mariage, la duchesse est maîtresse incontestée du duché. Elle va dicter les conditions de son mariage avec Louis XII ; or, elle stipule que le duché de Bretagne n'appartiendra pas à celui des enfants qui sera Roi, et que s'il n'y a pas d'enfant, il ira à ses héritiers légitimes [Note : En sorte que l'union de la Bretagne à la couronne (quoi que l'on dise et enseigne aujourd'hui) résultera seulement du vote des Etats de Bretagne en 1532]. Une autre condition, c'est le maintien des « libertés, franchises et coutumes bretonnes » ; et, au moins en droit, elles ont subsisté jusqu'en 1789.

Quand on a vu « la bonne duchesse », se résigner, malgré ses griefs, à épouser Charles VIII, pour sauver la Bretagne de la ruine et de la conquête, puis imposer à Louis XII les conditions de son second mariage, comment dire qu'elle a « vendu le sol natal » pour satisfaire un intérêt d'ambition ou même de vanité ?

(Julien Trévédy).

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