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Histoire militaire de Concarneau au XVIIème siècle.

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Avant de poursuivre notre étude dans le XVIIème siècle, qu'il nous soit permis de copier, mais pour la démentir, une note que j'ai mentionnée par ailleurs, écrite en tête du plus ancien registre des baptêmes, mariages et sépultures, conservé à la mairie de Concarneau :

Voici cette note :

« Registre du règne de Henri IV [Note : Il faut dire règne de Louis XIII, puisque le registre commence en 1612, et que Henri IV est mort le 14 mai 1610]... Guillaume Le Prestre de Châteaugiron, évêque de Quimper en 1614. Concarneau fut pris pour la première fois dans les guerres de la Ligue, par le maréchal d'Aumont qui l'emporta d'assaut en 1594 [Note : Le maréchal d'Aumont ne vint pas à Concarneau ; il n'avait pas à s'en emparer en octobre 1594, puisque Lézonnet avait rendu la ville au Roi, au mois de mai], et ensuite par les protestants sous Louis XIII, et repris le jour de Saint-Vincent [Note : L'occupation de Concarneau, « par les huguenots » et sa reprise le jour Saint-Vincent (23 janvier) eurent lieu en 1576 ; trente quatre ans avant que Louis XIII fut Roi (14 mai 1610)]. En mémoire on fait une procession ».

La main mal avisée qui a tracé ces lignes, écrivait au XVIIIème siècle.

La seigneurie de Châteaugiron a été acquise par les Le Prestre de Lézonnet, en 1701 ; c'est le fils de l'acquéreur, président au parlement, qui a pris le nom de Châteaugiron, et le titre de marquis de Châteaugiron, lorsqu'il eut acquis quelques biens du marquisat d'Espinay, en 1719 [Note : Le marquisat avait été acquis (en 1633) par le duc de La Trémouille qui ne demanda pas la continuation du titre, et se mît, par des ventes partielles, à démembrer le marquisat — deux raisons pour lesquelles le titre n'existait plus (V. notamment déclaration de Henri III, de 1579). — Or, chose curieuse ! au lieu d'un marquisat d'Espinay, il y en eut deux. En 1714, il s'agissait de la vente de ce qui restait de l'ancien marquisat ; il en fut fait deux lots qualifiés marquisat d'Espinay à Champeauxmarquisat d'Espinay à Rennes. Le premier lot fut adjugé (1715) à des spéculateurs de Paris qui, en 1719, le revendirent au président de Châteaugiron. — Le titre de marquis a passé jusqu'au quatrième descendant du président, mort en 1848. V. notice sur les Le Prestre à la suite du Siège de Concarneau (1892)].

Reprenons notre récit.

Devenu majeur, François de Lézonnet exerça la charge de gouverneur, « dont il se démit, en 1619 »  [Note : D'Hozier, Chevaliers Bretons de Saint-Michel, p. 318. L'auteur est Jean-François-Louis d'Hozier, quatrième fils de Charles, le juge d'armes de France, mort en 1732. — L'auteur a composé son travail de 1783 à 1793. Il travaillait sur des titres qui lui étaient obligeamment prêtés : ainsi s'expliquent et s'excusent quelques réticences. — Sur d'Hozier, Chevaliers de Saint-Michel par le regretté Gaston de Carné (1884). Avertissement p. 1]. D'Hozier, auquel j'emprunte ce renseignement, devait savoir la cause de cette démission : il n'aura pas voulu la révéler ; mais nous ne sommes pas tenus à tant de discrétion.

Il y a d'autant plus d'intérêt à dire ces faits que, parmi les auteurs qui ont parlé de Concarneau, un seul y a fait allusion dans cette phrase, faite pour piquer la curiosité : « Le sieur de Lézonnet voulut tenir, en 1619, contre M. de Vendôme et le maréchal de Brissac, et il s'en sortit mal » (Dubuisson, I, p. 107).

Qu'est-ce à dire ? Que Lézonnet a tenu à Concarneau contre l'armée royale ? — Oui, et le Mercure françois, imprimé en 1621, publie le récit de ce siège. Nous donnerons tout à l'heure un résumé de ce récit [Note : J'ai publié in-extenso le récit qui se trouve au t. VI, p. 291-296, du « Mercure françois, contenant ce qui s'est passé de mémorable aux années MXCXIX-XX et XXI ». Imprimé en cette dernière année. — Le siège de Concarneau en 1619].

On remarquera que le Mercure ne dit pas les griefs portés contre le gouverneur de Concarneau. Ses lecteurs savaient sans doute à quels événements les rattacher.

Il s'agit de la première prise d'armes, tentée en faveur de la Reine Marie de Médicis. Ecartée des affaires avant l'avènement d'Albert de Luynes au pouvoir, la Reine mère avait pris l'engagement de résider au château de Blois. Dans la nuit du 21 au 22 février 1619, Nogaret, duc d'Epernon, procura son évasion et rassembla quelques troupes. Il comptait sur des grands seigneurs ennemis ou jaloux de Luynes ; mais ceux-ci hésitèrent à se risquer en une telle aventure. Le Roi ne leur laissa pas le temps de longues réflexions : il chargea Richelieu d'intervenir ; et le futur cardinal n'eut pas de peine à négocier la réconciliation entre le Roi et sa mère.

Mais Lézonnet était loin de la cour ; et, mal informé, il fit quelques déclarations ou quelques démarches compromettantes, que nous ne savons pas, mais que le Roi ne pouvait innocenter ; et aussitôt celui-ci chargea le duc de Vendôme, gouverneur de Bretagne, de ramener Lézonnet à l'obéissance.

S'étonnera-t-on du choix de Vendôme pour cette mission ? Trois ans auparavant, ses « intrigues de Bretagne » avaient commencé. Le parlement avait décrété contre sept de ses officiers, et Vendôme avait osé leur donner asile à Ancenis.

Mais le Roi était bien assuré de son zèle contre les partisans de la Reine-mère.

Le duc partit aussitôt. En route, il allait être rejoint par le maréchal de Brissac, lieutenant général en Bretagne. Voici maintenant résumé le récit du Mercure françois :

En juillet 1619, le Roi Louis XIII était à Tours ; Lézonnet fut accusé devant lui de « comportements tendants à désobéissance et mauvaise volonté ». Aussitôt, le Roi envoya, le duc de Vendôme à son gouvernement de Bretagne, et fit partir un corps d'armée d'environ 900 hommes, au nombre desquels 120 soldats de ses gardes, et quelques canons. Le sieur de La Besne, capitaine aux gardes, eut le commandement [Note : Le jour de l'exécution en place de grève de François de Montmorency et de son cousin de Rosmadec, La Besne gardait avec une compagnie « l'avenue de la rue de la Vannerie »].

Le 29 juillet, La Besne se mettait en route : il descendait la Loire pendant trois jours, jusqu'à Ingrandes ; six jours après, à marches forcées, il arrivait à Quimperlé (7 août). Le même jour, le duc de Vendôme y entrait avec le maréchal de Brissac.

Le lendemain matin, La Besne ayant requis toutes les « pelles et pioches » qu'il put trouver en ville, prit la route de Concarneau où il arriva à trois heures de l'après-midi.

Il entra au faubourg. La place tira sur lui « plusieurs coups de fauconneaux et force mousquetades », un seul homme fut frappé ; et « perçant de maison en maison », La Besne parvint à la dernière maison, la plus voisine du pont-levis, et y logea son monde.

A ce moment arrivaient Vendôme et Brissac. Aussitôt, ils envoyèrent La Besne sommer la ville de se rendre au Roi. Querchesne, lieutenant de Lézonnet, répondit que « celui-ci était sorti depuis deux jours pour aller quérir du secours, » et demanda un délai de quinze jours pour l'avertir. La Besne répondit qu'il attendrait une réponse seulement jusqu'au lendemain matin. Le feu commença de part et d'autre.

Vendôme s'était logé au manoir de Chef-du-Bois [Note : Chef-du-Bois, manoir du prieuré de Locamand]. A onze heures du soir, il fit dire à La Besne de faire savoir à Lhospital, sergent-major de la ville [Note : Sergent-major, s'entendait alors « d'un grand officier qui sert à cheval et qui a soin de faire faire l'exercice, de former le bataillon... » Trévoux], et à ses compagnons, de se saisir de Querchesne et de le livrer le lendemain matin avec la ville, qu'à cette condition ils avaient la vie sauve.

A cette communication, Lhospital et les autres se récrièrent : ils dirent que « si Querchesne n'était pas compris dans la capitulation, ils se défendraient si bien et si longtemps qu'ils ruineraient l'armée royale, ayant de quoi soutenir le siège pendant deux ans ». Folle bravade qu'ils allaient payer cher !

La Besne maintint qu'il leur avait indiqué le seul moyen de n'être pas pendus ; et dit qu'il attendrait leur réponse au jour.

A quatre heures du matin, les assiégés demandèrent à parler « à la Courbe-Iré, capitaine de la garde du duc » [Note : Probablement Jean Budes, gouverneur de Vendôme, ou du moins un Budes seigneur de la Courbe et du Hirel. Indication du vicomte de Calan. Soc. Arch. du Finistère XIX (1892, p. XV). Le baron de Courcy mentionne Jean Budes seigneur de la Courbe, maréchal de camp, en 1619. V° Budes et t. III, p. 469]. La Besne envoya chercher La Courbe, et, en l'attendant, parlementa, au bout du pont, avec Querchesne et Lhospital. Ceux-ci le suppliaient d'intercéder pour que tous eussent la vie sauve. La Besne répondit que « leurs folles rodomontades de la veille avaient mécontenté le duc, qu'ils n'avaient qu'un parti à prendre : rendre tout de suite la ville qu'ils ne pouvaient défendre contre le canon qui arrivait à ce moment ».

Pendant qu'ils causaient, quelques soldats s'étaient approchés : ils protestèrent qu'ils étaient tous bons serviteurs du Roi, et que, s'ils étaient maîtres, la place serait rendue. Sur quoi Querchesne : « Je vous poignarderai tous et je me tuerai après, si je n'obtiens pas une honnête composition ».

La Besne se retira pour informer le duc. En même temps arrivait La Courbe. La Besne le mit au courant ; et il fut convenu que La Courbe seul aborderait Querchesne et Lhospital, et qu'il ne ménagerait pas les menaces pour obtenir la remise de la ville. — Après quelque temps, La Besne revenant au pont, entendit La Courbe crier : « Soldats, saisissez-vous de Querchesne ! ». La Besne s'avança en hâte poussant le même cri, et ajoutant : « Soldats, arrêtez Querchesne. C'est un mutin qui veut vous faire tous pendre ! ».

Les soldats se saisirent de leur chef, le désarmèrent et le livrèrent à La Courbe, auquel, l'instant d'après, les clefs de la place furent remises. La Besne appela ses soldats qu'il maintint à une petite distance. Comme capitaine aux gardes du Roi il reçut le prisonnier qu'il remit en garde à ses soldats, et les clés qu'il rendit à La Courbe pour les porter au duc de Vendôme.

Craignant quelques changements d'humeur chez les assiégés, La Besne fit avancer une quarantaine d'hommes, et les fit entrer en ville par une planchette laissée imprudemment abattue sur le fossé. Se voyant surpris, les assiégés, sans essayer une résistance inutile, mirent bas les armes ; et les soldats du Roi se tinrent en bataille jusqu'à l'arrivée de Vendôme, deux heures après.

La première parole du duc à La Besne fut la défense de laisser entrer personne en ville avant la signature de la capitulation. La Besne avoua ce qu'il avait fait, ajoutant — parole odieuse après les promesses faites par lui — qu'il « ne fallait à ces soldats qu'une corde au lieu de capitulation ». Brissac, moins scrupuleux que le duc, lui représenta que La Besne avait bien fait de s'emparer ainsi de la ville.

« A la même heure, conclut le narrateur, on fit son procès à Querchesne ; et il fut pendu à une potence devant le pont. Quant aux soldats, ils furent tous renvoyés avec un bâton blanc au poing ; encore on leur fit ce bien de les conduire à trois lieues de la ville, de peur que le peuple des environs ne se jetât sur eux... Ainsi Lézonnet perdit son gouvernement de Concarneau que le Roy a depuis donné au sieur de l'Isle Rouhé ».

En route pour Concarneau, Vendôme avait vu à Vannes René d'Aradon, gouverneur de Vannes et d'Auray [Note : René, frère aîné de Jérôme, seigneur de Quinipily, gouverneur de Quimperlé et Hennebont, l'auteur du Journal publié par extraits par Morice (D. Taillandier). Hist., II, p. CCLVIII. Les deux frères, ligueurs, avaient fait leur soumission au Roi avant la paix d'Angers. — Voir concernant Jérôme, nommé capitaine de 50 hommes d'armes, déclaration du Roi, Angers, avril 1598. Morice, Pr., III, 1677 et 1680. René était un vieillard, puisque depuis 1578 (41 ans), il était chevalier de Saint-Michel. Il se démit en 1624, en faveur de son gendre Pierre de Lannion]. D'Aradon qui n'était pas jeune, était malade. Vendôme lui avait demandé, en cas de besoin, sinon de lui amener, du moins de lui envoyer du secours, et d'Aradon l'avait assuré qu'il ne serait besoin à Concarneau ni de lui, ni de son monde.

Entré dans la place, Vendôme s'empressa de lui apprendre la bonne nouvelle par une lettre très aimable d'un jeune homme à un vieillard, et modeste, comme il convenait surtout après un facile succès. La lettre est datée du 13 août [Note : Cette date qui doit être certaine, semble contredire la date du 7 août donnée par le Mercure, pour l'arrivée de Vendôme à Quimperlé. La lettre (Bibl. Nat., f. fr., ms. 22, 343) a été publiée par le vicomte de Calan. Bull. Soc. Arch. du Finistère, 1892, p. XV. Voici la lettre. C'est la manière de Henri IV. « Monsieur, vous avez presque été prophète ; car la résistance que nous avons trouvée en cette place n'a pu tenir un jour entier, de sorte que votre personne n'y étant plus nécessaire pour le service du Roy, vous pouvez vous guérir à loisir. Je m'en va, en attendant les commandemens de S. M., passer quelques jours en Basse-Bretagne, d'où je retournerai par Vannes, où j'aurai le bien de vous voir, et de vous assurer de vive voix que je suis et serai toute ma vie, Monsieur, votre plus affectionné serviteur. César DE VENDÔME »].

Les deux dernières phrases du Mercure appellent un commentaire.

Pour assurer la vie des soldats désarmés, il faut les escorter. Pourtant ils n'ont pas fait résistance : bien plus, livrant leur chef, ils ont ouvert la place. Il n'importe ! les paysans voient en eux les complices d'une rébellion. Ils ne veulent plus même de l'apparence de troubles armés. Les malheureux en ont tant souffert que leur amour de la paix se tourne en fureur.

C'est à un sentiment analogue qu'avaient obéi les bourgeois de Quimper. En prévision du siège, et spontanément, ils s'étaient armés, et étaient accourus à Concarneau pour se mettre à la disposition du duc de Vendôme.

Ce fait significatif nous est appris par l'évêque de Cornouaille, Guillaume de Lézonnet, frère du gouverneur de Concarneau. En 1624, il plaidait au parlement contre la communauté de Quimper, appelante, et il énonce ce fait dans un mémoire [Note : Mémoire inédit du 16 décembre 1625, publié partiellement par M. l'abbé Peyron, dans le Bulletin de la Soc. Arch. du Finistère (1892), p. 6].

Sans nous dire expressément les griefs portés contre son frère, l'évêque écrit : « Sur quelques faux rapports, semés en partie par les appelants [Note : Par la communauté contre laquelle il plaide], mon frère eut quelque disgrâce ; mais, depuis, le Roi, acertené de la vérité des choses, par arrêt donné en son conseil, l'a déclaré innocent des fausses accusations portées contre lui ».

Cela veut dire que le Roi aura peut-être reconnu quelque exagération dans les plaintes portées contre Lézonnet. Lui tenant compte des services de son père, se rendant aux prières de son frère l'évêque et de son cousin de Jégado, il l'aura exempté de poursuites criminelles. Mais c'était pure clémence. Un gouverneur qui ferme ses portes à l'armée royale, et qui va au dehors chercher du secours contre elle, n'est pas innocent de toute faute. Or ces faits sont certains.

Que l'évêque atténue les torts de son frère, soit ! mais comment l'aurait-il défendu de l'accusation d'ingratitude envers le Roi, quand toute la famille, et lui-même, en avait reçu tant de bienfaits ? Le Roi qui avait usé d'indulgence envers le duc d'Epernon, ne pouvait, sans se contredire, être sévère pour Lézonnet.

Mais si Lézonnet ne fut pas destitué, comment croire qu'il n'ait pas été contraint de démissionner ? Aussi était-il démissionnaire en 1619, et il dut être remplacé sans retard.

Le Roi lui donna pour successeur Emmanuel Philibert Rouet, seigneur de la Béraudière, marquis de l'Isle Jourdain et Rouet en Poitou, chevalier des ordres du Roi, gentilhomme de sa chambre.., etc. [Note : Je copie Dubuisson, p. 107. — Le baron de Courcy. Nobiliaire, v° La Béraudière, dit : baron de Rouhet, marquis de l'Isle-Jourdain].

Il allait se rendre insupportable à la Basse-Cornouaille.

Commandant à Concarneau, il avait autorité sur les postes militaires du littoral voisin. Au lieu de se tenir à Concarneau, il alla s'établir à l'Ile Tristan, en rade de Douarnenez.

Un arrêt du conseil (17 octobre 1615) avait ordonné le démantèlement de cette place ; mais le seigneur de Nevet avait depuis obtenu du Roi l'autorisation d'y faire quelques réparations ; et il y avait mis une garnison qui rançonnait les environs. Les Etats réclamèrent encore le démantèlement; et le Roi l'ordonna par lettres patentes du 11 septembre 1618 ; mais il alloua aux enfants du seigneur de Nevet une somme de 18.000 livres (au moins 90.000 francs de nos jours en 1908) en indemnité des dépenses faites à l'Ile Tristan, par leur père [Note : Le prieuré de Saint-Tutuarn ou de l'Ile Tristan. Bull. Soc. Arch. du Finistère, (1905) p. 223. C'est à cette très intéressante et instructive étude de M. Bourde de la Rogerie, archiviste du Finistère, que j'emprunte ce qui concerne La Béraudière].

La Béraudière se promit pareille aubaine.

En 1622, il alla s'installer à l'Ile Tristan, sous prétexte de la défendre contre les corsaires de la Rochelle. Sur les doléances du voisinage, le Roi lui ordonna d'évacuer l'île. Pourtant en 1625, quand Benjamin de Soubise surprit Blavet (Port-Louis), La Béraudière obtint l'autorisation de faire quelques travaux à l'Ile pour la mettre à l'abri d'un coup de main. Se mettant aussitôt à l'oeuvre, il appela les hommes de trente-sept paroisses à faire des corvées et des charrois, et fit même des levées de deniers illégales.

L'évêque de Cornouaille, Guillaume Lézonnet, mal disposé pour le successeur de son frère, et le présidial protestèrent ; le parlement et les Etats accueillirent leurs plaintes, et le conseil du Roi ordonna la démolition de tous les travaux (30 juillet 1625).

La Béraudière s'empressa de réclamer, pour ses dépenses, une somme de 40.000 livres (environ 150.000 francs de nos jours en 1908). S'il reçut une indemnité, elle fut très mince. Son coup de commerce (c'est le nom que mérite cette entreprise) n'avait pas réussi.

Après lui, le gouvernement passa à son fils Pierre-Joseph, qui prend les mêmes titres. A partir de 1630, il est dit gouverneur dans des actes de baptêmes et de mariages [Note : Les érudits éditeurs de l'Itinèraire mettent en note, concernant La Béraudière fils « probablement François ». Il se nommait Pierre-Joseph. V. actes des 28 février 1630, 24 août 1635, 3 janvier 1636].

En 1636, Dubuisson le trouva en fonctions et il en parle ainsi : « Le sr de Puy-Robin commande à vingt hommes mal entretenus sous le gouvernement du sieur de Rouet, du nom de la Béraudière, jeune cavalier qui a succédé à son père... ».

Les expressions qu'emploie Dubuisson témoignent que le « jeune cavalier » apportait peu de zèle à son gouvernement, à supposer (ce qui peut sembler douteux) qu'il gardât sa résidence.

En 1633. il avait pour lieutenant écuyer Jean de Mont-Louis, seigneur du Bouchet, son compatriote et peut-être son parent. Nous retrouverons Montlouis au même poste en 1648 [Note : Jean de Montlouis, originaire des environs de Montmorillon (aujourd'hui arr. de la Vienne) avait épousé en 1619 à Priziac (canton du Faouët, arr. de Pontivy) Béatrix Lescobic ; et ce mariage l'avait fixé en Bretagne. A cette époque, il arriva à Montlouis une fâcheuse aventure. « Il fut (calomnieusement) accusé par François Vergant de l'homicide de Rostaing Vergant et décrété de prise de corps à Montmorillon avec son frère Pierre bien que employé au service du Roi. Son frère mourut et Jean de Montlouis obtint du parlement de Paris permission d'assigner les héritiers de Vergant. ». Arrêt du 15 juin 1633 qui lui donne le titre de lieutenant à Concarneau. C'est cet arrêt qui nous révèle la lieutenance de Jean de Montlouis à cette date. J'emprunte ce renseignement et ceux qui suivront aux preuves de noblesse des Demoiselles Bretonnes admises à Saint-Cyr, par le baron de Rosmorduc. Mous reviendrons à Jean de Montlouis].

Ce n'est pas sans quelque surprise que nous voyons Dubuisson réduire à vingt hommes seulement la garnison de Concarneau. En effet, après cette date (1636). Du moins au XVIIIème siècle, la garnison fut plus nombreuse. Nous la voyons fournir longtemps un détachement de 50 hommes aux îles Glénans, et même un jour envoyer un escadron de dragons à Lorient menacé par une troupe anglaise.

Aux XVIIème et XVIIIème siècles, l'état-major de la garnison est ainsi composé : le gouverneur, le lieutenant, le major ou sergent-major, plusieurs officiers, le chirurgien-major.

On trouve auprès de ces officiers « un commissaire du Roi en la garnison (nous disons aujourd'hui un officier d'administration), un commissaire aux vivres, enfin un canonnier ».

Il est bien vrai que, depuis l'époque où Dubuisson écrivait, Concarneau n'a pas vu « la fumée d'un camp ennemi » ; mais la place aura encore plus d'une alerte, et son rôle militaire n'est pas fini.

Durant les guerres (et la France est le plus souvent en état de guerre), les flottes anglaises, hollandaises, espagnoles, courent la mer de Bretagne, s'approchant quelquefois du rivage ; les navires armés en course ravagent les côtes, avides de butin. Enfin, au moins au XVIème et XVIIème siècles, « des pirates barbaresques viennent chercher jusque dans l'Atlantique, des rivages moins dévastés et moins bien gardés » [Note : Le vicomte de Villiers du Terrage. L'Archipel des Glénans, p 10. Assoc. Bretonne, session de Concarneau (1905)].

Concarneau a veillé comme une sentinelle avancée. Seulement, trop modeste, la place n'a pas gardé la preuve de ses services ; et nous sommes contraints d'emprunter les détails qui vont suivre aux registres malheureusement incomplets de la communauté de Quimper.

Nous voyons d'abord, en 1631, Audierne et les paroisses voisines menacées, au point que nombre d'habitants s'enfuirent à Quimper. La communauté prit peur pour la ville elle-même ; et elle ordonna que « les portes seraient fermées et que leurs pont-levis seraient mis en état d'être levés » (Arch. du Finistère, t. 1508, FOS 58-59). Tout est à faire quand on s'attend à voir venir l'ennemi qui par bonheur ne vient pas !

En 1635, un pirate capture dans les eaux de Concarneau un procureur de Quimper. Guillaume Picquet, qui apparemment était quelque peu armateur. Celui-ci demande du secours pour combattre le pirate et reprendre sa cargaison. Il se promet de retrouver l'ennemi à l'embouchure de l'Odet ou aux Glénans (Reg. n° 93, f° 15 r°). Je ne puis dire la suite de cette affaire.

En 1636, ce n'est plus un pirate, c'est une flottille ennemie, qui opère une descente à l'île de Sein, un lieu singulièrement choisi.

En 1638, c'est une flotte espagnole qui longe la côte, comme si elle cherchait un point de débarquement, et qui s'approche de Concarneau (Reg. n° 93, f° 128 r°).

En 1648, neuf navires pirates espagnols et biscaïens se sont postés aux Glénans, entre l'entrée de Quimper et Concarneau. De là, ils surveillent les côtes, de Groix à Penmarc'h, et fondent sur les caboteurs de Nantes, Le Port-Louis et Brest (L'Archipel des Glénans, p. 10-11).

Les années suivantes, les croisières ennemies se succèdent. Tantôt ce sont les Espagnols qui, sur des chaloupes légères, ravagent les côtes et pénètrent dans les rivières. Tantôt les Hollandais et les Anglais, dont les vaisseaux armés en course tiennent la haute mer. Pour finir, signalons la flotte de l'amiral hollandais Ruyter croisant sur les côtes. Il arriva très à propos pour quelques-uns des chefs de la révolte du papier timbré, qui recueillis sur un de ses navires échappèrent ainsi au supplice (1675) (L'Archipel des Glénans, p. 11).

Je viens de mentionner la Révolte du papier timbré. Il faut rappeler que cette année même (1675), Concarneau avait été exposé à un sérieux danger.

L'insurrection avait soulevé une grande partie de la Basse-Bretagne; dans les arrondissements actuels de Quimper et Quimperlé, de nombreuses paroisses du bord de la mer, de Douarnenez à Concarneau et au delà, s'étaient unies, proclamant le règlement dit le Code paysan exécutoire, comme on sait, « sous peine de Torreben », c'est-à-dire d'avoir la tête cassée [Note : Ce Code fut publié avant le mois de juillet 1675, puisque le duc de Chaulnes y fait allusion dans une lettre du 9 de ce mois].

Un des articles du code menaçait spécialement les villes : « XIIIème. — La ville de Quimper et les autres voisines, seront contraintes, par la force armée, d'approuver et ratifier ce règlement, à peine d'être traitées en ennemies ; — défense est faite d'y porter aucune denrée ou marchandise, jusqu'à ce qu'elles aient accepté le règlement, sous peine de torreben ».

A l'abri derrière leurs murailles, les bourgeois de Concarneau n'avaient pas à redouter « la force armée » des paroisses rurales ; mais ce blocus rigoureux commandé « sous peine de torreben » les menaçait de famine, si, comme on pouvait le craindre, il se prolongeait. Mais l'insurrection allait être abattue d'un coup.

Au milieu de septembre, un combat livré auprès du Tymeur [Note : Seigneurie et château, aujourd'hui commune de Poullaouen, canton du Huelgoat, arrondissement de Châteaulin] avait mis fin à la révolte. Des exécutions terribles suivirent.

Puis le duc de Chaulnes, lassé de faire pendre, écouta les conseils et les prières du P. Maunoir, de Mgr. de Coëtlogon, évêque de Cornouaille, du marquis de Nevet, si justement populaire [Note : Le marquis de Nevet exerça par intérim les fonctions de lieutenant du Roi dans l'évêché de Quimper, après la blessure de M. de La Coste. L'épée au côté, il se fit apôtre de paix et amena, sans coup férir, la soumission de seize paroisses. Il allait mourir à 34 ans, le 13 avril 1676. — C'est lui que le Barzaz Breiz (7° éd., p. 316) nomme le seigneur de Nevet béni, le soutien des Bretons].

Le 6 février 1676, le Roi accorda une amnistie ; mais elle ne fut pas entière : soixante-treize habitants du diocèse de Cornouaille en étaient exceptés. Ils se répartissaient sur trente-sept paroisses dont quelques-unes autour de Concarneau : Combrit, Fouësnant, Saint-Evarzec, Saint-Ivy, Banalec et Nizon. Ainsi Concarneau avait été entouré de paroisses insurgées.

Nous ne voyons pas que la petite garnison de Concarneau ait payé de sa personne ; mais ses murs et ses canons commandaient le respect ; et la place gardait, sinon son ancienne importance, du moins son vieux renom.

Au XVIIème siècle, la route de Paris à Brest était par Verneuil, Mortagne, Alençon, Mayenne et Rennes [Note : De Mayenne on venait alors à Rennes par Fougères ou par Laval et Vitré] ; mais les gens aimant leurs aises prenaient souvent par Nantes. On descendait la Loire, d'Orléans à Nantes. Là on prenait la voie de terre par Vannes, Quimperlé et Quimper. De cette ville on se rendait à Locronan et de là à Lanvéoc où l'on s'embarquait pour traverser la rade [Note : C'est la route que suivront les ambassadeurs de Siam que M. de Torf, gentilhomme de la Chambre, conduit de Brest à Paris ; et ils prendront la même route revenant de Paris pour s'embarquer à Brest. Ils passèrent à Quimper, le 9 juillet 1686 et le 2 février 1687. — Ambassadeurs de Siam à Quimper, par J. Trévédy, 1886. — Lanvéoc, commune du canton de Crozon].

Les grands personnages qui suivaient cette route, passant, entre Quimperlé et Quimper, à peu de distance de Concarneau, faisaient souvent un crochet vers cette place.

C'est ainsi que, le 13 février 1636, Concarneau reçut la visite d'Henri d'Escoublac de Sourdis, archevêque de Bordeaux. Le prélat a vu la guerre : en 1628, au siège de La Rochelle, il avait l'intendance de l'artillerie.

Sa présence à Concarneau est signalée par Mathieu Hamon, sieur de Kermadoret, bourgeois de Quimper, annonçant à la communauté, prise de court, l'arrivée du cardinal pour le lendemain. La ville délibère en hâte. Il faut qu' « elle garnisse de meubles un logement dans la maison du marquis de Molac, gouverneur, qui est absent » ; qu'elle fasse « acheter du poisson, le meilleur que l'on pourra se procurer, avec confitures, bois, chandelles et autres rafraîchissements accompagnés du vin de ville et de l'hypocras ».

Deux ans plus tard, Concarneau reçoit le maréchal de la Meilleraye, lieutenant général en Bretagne ; et, un peu plus tard, M. de Pontchâteau, intendant de Bretagne (4 mars 1638).

Sur la fin du siècle, Vauban visita Concarneau ; mais il n'y vint pas en curieux et pour savourer le vin de ville et l'hypocras. Il en étudie les défenses, il les juge insuffisantes ; et il va employer son art à les perfectionner selon le système qui devait illustrer son nom [Note : En 1636, Dubuisson ne comptait pas les tours dont il nommait trois. Le ravelin et la demi-lune de l'entrée sont certainement l'oeuvre de Vauban avec peut-être quelques-unes des neuf tours qui se voient aujourd'hui]. Si les travaux ordonnés par lui ont été accomplis (comme on l'a écrit) en 1680, Vauban a pu voir son oeuvre achevée, car en 1694, il est venu défendre Brest [Note : Vauban venait pour inspecter Brest, et il arriva très à propos pour le défendre. Une flotte anglo-hollandaise opéra une descente près de Camaret. Mais le débarquement fut vigoureusement repoussé, et l'ennemi s'éloigna] ; et, au retour, il s'arrêta à Quimper, où, le 7 juin de cette année, il passait une revue du ban et de l'arrière ban [Note : Voir le rôle du ban et de l'arrière ban. Fréminville. Antiquités du Finistère, t. II, p. 482 et suiv.].

Note : Vauban et la fortification de Concarneau. — « Si les travaux ordonnés par Vauban ont été accomplis (comme on l'a écrit), en 1680, Vauban a pu voir son oeuvre achevée, car (en 1694) il est venu défendre Brest, et, au retour, il s'arrêta à Quimper, où il passait une revue le 7 juin ». L'énoncé de ces deux faits (les travaux en 1680, la défense de Brest avant juin 1694) appelle une double rectification. Je reprends d'abord le second fait : je viendrai après au premier.

I. J'ai écrit en note que « Vauban venait inspecter Brest en 1694, et qu'il y arriva très à propos pour le défendre contre une flotte anglo-hollandaise qui opéra une descente près de Camaret ». — L'ordre des faits ainsi présenté est interverti. Le 7 juin 1694, Vauban était à Quimper où il passait une revue du ban et arrière-ban de Cornouaille. Il en partit pour Brest, où il arriva fort à propos [Note : Le rôle de cette revue a été imprimé par le chevalier de Fréminville, dans ses Antiquités du Finistère (2ème partie, p. 482 et suivantes), sous ce titre : Revue passée par le Maréchal de Vauban). Ce titre est anticipé. En 1694, Vauban était lieutenant général, il ne devint maréchal qu'en 1703]. Une flotte anglo-hollandaise parut en vue ; le 16 juin, elle mouillait aux abords de Camaret ; le 17, elle débarquait dans une anse voisine. Vauban accourut. Les batteries voisines ouvrant le feu contre les premières troupes débarquées les mirent en désordre ; les gardes-marines les assaillirent à la bayonnette ; la mer baissa, laissant les chaloupes à sec ; beaucoup d'ennemis furent faits prisonniers, d'autres massacrés par les paysans descendus sur le rivage ; et, sans rien tenter de plus, la flotte reprit la mer [Note : Pour plus de détails sur le désastre de la flotte, voir Ogée, t. I, v° Brest, p. 117-118. Annotation du comte A. de Blois]. On le voit, Vauban, avant d'aller à Brest, avait passé Quimper ; il y a quelque apparence que c'est à ce moment qu'il visita Concarneau.

II. J'imprimais avec hésitation la date de 1680, assignée à de grands travaux exécutés par Vauban à Concarneau. Plusieurs pièces empruntées au ministère de la guerre, et une lettre de Vauban lui-même vont démentir cette date [Note : Je dois les documents dont je vais faire usage, à l'obligeance de M. Lemoine, archiviste paléographe, auparavant conservateur des Archives du Finistère, et aujourd'hui bibliothécaire au ministère de la guerre. Il a bien voulu faire des recherches en deux dépôts : Les Archives historiques du Ministère et Les Archives du génie. Il existe là, pour la période de 1691 à 1821, un carton contenant 73 pièces ou plans concernant Concarneau, notamment huit de 1691 à 1711]. En 1680, Vauban fut chargé de fortifier Brest, devenu un grand port de guerre. Il serait surprenant que, venu à Brest cette année même, il n'eût pas visité Concarneau [Note : D'autant que, comme nous l'avons dit (Essai..., p. 171), on venait souvent de Paris à Brest par Nantes, Quimper, et la rade de Brest. Or, avant d'arriver à Quimper, on passait à Rosporden (trois lieues de Concarneau)]. Toutefois, les premières pièces concernant cette place où se trouve la signature de Vauban, sont postérieures de plusieurs années. Les voici :
1° De 1691. — « Mémoire et projet pour améliorer la place de Concarneau. Signé : Langlade. Approuvé par Vauban... avec deux croquis de tours... » (Arch. du Génie, Concarneau, n° 3, 6 pages de texte).
2° De 1694. — « Etat des ouvrages les plus pressés à faire à Concarneau avec plans. Signé de Vauban » (Ibid., n° 4, avec quatre plans, dont un d'ensemble (0.80 sur 0.90)).

Il semblerait que le projet approuvé par Vauban, en 1691, est resté sans aucune exécution. En 1694, après trois ans passés et sa visite des lieux, il reprend ses propositions en les réduisant au plus pressé.

Une année passe, Vauban n'a sans doute rien obtenu, puisque, le 16 août 1695, il écrit au Ministre la lettre que voici [Note : Vauban au Ministre. Arch. Hist., vol. 1312. Le ministre est Le Tellier, marquis de Barbesieux, cinquième fils et successeur de Louvois (à 23 ans, le 5 décembre 1681, et jusqu'à sa mort, 7 janvier 1701). — La lettre parle aussi de Brest, Lamballe, etc.] :

« A Brest, le 15 août 1695.
.... Il y a bien un gouverneur à Concarneau, pourveu du Roy
[Note : Le gouverneur était François Guénolé de Vaucouleurs. Voir Essai..., p. 178] ; mais il n'y a ny lieutenant du Roy [Note : Le titre lieutenant du Roi a été pris en trois sens très différents : 1° Gouverneurs de places importantes ne relevant que du roi. 2° Seconds officiers des places de guerre, commandant en l'absence des gouverneurs. (C'est en ce sens que nous prenons le titre à Concarneau). 3° Gouverneurs non plus militaires « créés en finances » dits parfois municipaux. (Comme Le Lagadec, acquéreur du titre à Concarneau, en 1782. — (Essai, p. 179)], ny major [Note : Major, officier qui, dans une place de guerre, est spécialement chargé du service sous l'autorité du commandant], ny garde magazin, ny point d'autre officier de place, si ce n'est un pauvre vieux soldat ou tout au plus lieutenant de cette garnison à qui le gouverneur donnait cy-devant 100 livres [Note : 100 livres, environ 300 francs de notre monnaie en 1908] pour faire les fonctions de major. Il n'est pourveu que de M. le maréchal d'Estrées quand il commandait dans le pays [Note : Vauban parle de Jean, comte d'Estrées, vice-amiral et maréchal, nommé commandant militaire en Bretagne, le 7 août 1689. Il résulterait des termes employés par Vauban, qu'en 1695 d'Estrées n'exerçait plus sa charge. Du moins, en gardait-il le titre qui ne fut donné au maréchal François de Châteaurenault, que le 26 avril 1704. Son fils, Victor-Marie d'Estrées, comte puis duc, vice-amiral et maréchal du vivant de son père, fut deux fois commandant général en Bretagne : 3 juillet 1720 à 11 septembre 1724, et 12 août 1726 à 5 mai 1738]. Il est nécessaire d'y créer des officiers, du moins un major et un garde magazin, car on ne sait qui charger des munitions qui sont là. Je vous en enverrai un plan au premier jour, afin de vous en faire connoistre la conséquence, car cette place est oubliée en toutes façons ».

Le mémoire et le plan annoncés par cette lettre ne se retrouvent pas.

Les observations de Vauban n'eurent pas plus de succès que ses projets de 1691 et 1694. Nous trouvons la preuve de ce fait dans un mémoire postérieur de sept années. A cette époque, Concarneau est encore « la place oubliée de toutes façons » que Vauban voudrait fortifier et organiser.

Vauban demandait la « création » au moins d'un major et d'un garde magasin. Cette seconde nomination a été faite ; mais le major est encore « le pauvre vieux soldat ou tout au plus lieutenant », dont Vauban parlait un peu cavalièrement.

Dans une lettre au ministre, du 4 décembre 1702, ce modeste et dévoué serviteur rappelle que le maréchal d'Estrées l'a nommé au poste qu'il occupe « eu égard au service qu'il a rendu tant par terre que par mer », et il signe de la Serpaudaye le mémoire qu'il adresse au ministre [Note : Lettre et mémoire (5 grandes pages). Arch. hist., vol. 1609, nos 158 et 159. La Serpaudaye. Réf. de 1518, par. de Poligné et Brutz, près de Rennes. Débouté en 1670 et à l'Intendance en 1699. Courcy].

Les détails dans lesquels entre le major, auraient pu, peut-être dû, être portés au commandant militaire suppléant le gouverneur de Bretagne. Ou pourrait croire que M. de la Serpaudaye a voulu se donner une fois l'honneur d'écrire au ministre. Ne nous en plaignons pas : adressé au commandant militaire, son mémoire eût été perdu pour nous [Note : En Bretagne du moins, les papiers des commandants militaires sont restés aux mains de leurs familles, et combien sont perdus !].

Or, le major « croyant de son devoir d'informer le ministre de l'état pitoyable de la place, » donne sur la ville de très intéressants renseignements ; et il parle un peu de tout, pour démontrer la nécessité de « repeupler la ville close afin de lui donner plus de défenseurs en temps de guerre » [Note : Bonne raison au temps de nos ducs et qui les déterminait à accorder des franchises spéciales à Concarneau... mais raison bien surannée au XVIIIème siècle ! ].

Nous laissons de côté cette partie du mémoire, pour en venir aux constatations militaires par lesquelles il finit :

« La ceinture des murailles est très considérable, et sans desfenses, les canons étant hors de service, n'y ayant que peu d'affuts qui sont pourris... Il n'y a d'ailleurs aucune garnison.... Quelques ingénieurs ont fait quelques petits légers travaux de très peu de valeur et sans durée; toutes les embrasures tombent en ruines.

« Cette place mérite d'être conservée et les ennemis pourroient fort facilement s'en rendre maîtres » [Note : L'auteur se plaint que le vent pousse l'eau de mer dans les canons, « parce qu'il n'y a ni plaque de plomb sur la lumière, ni tampon de liège sur l'embouchure » ; et à ce propos, il ajoute : « Le garde magasin a du plomb dans les magasins (pour faire des plaques destinées à fermer les lumières) ; mais il ne veut point s'en servir sans ordre... ». Eh bien ! Monsieur le Major, que n'avez-vous donné cet ordre ?].

Voilà les doléances que le major de la place fait entendre au ministre, sept ans après le passage de Vauban (4 décembre 1702).

Or, au temps où le major exprime ainsi ses craintes, la guerre dite de la Succession d'Espagne est commencée, et la grande alliance contre la France est formée entre Anglais, Hollandais, Prussiens, Hanovriens et Autrichiens.

Six mois plus tard, la situation est la même. C'est ce que révèle une lettre du 2 mai 1704, adressée au commandant militaire, le maréchal de Châteaurenault. Elle annonce un sérieux danger [Note : Lettre écrite de Moros qui avait appartenu à du Quesne et avait été vendu par son fils eu 1628. Elle est signée Villien ou Villier. Cette lettre — que j'abrège — a été publiée in-extenso par le Vte de Villiers du Terrage, inspecteur général des Ponts-et-Chaussées en retraite, dans l'Archipel des Glénans (Assoc. Bret., Congrès de Concarneau (1905). C'est dans cet intéressant mémoire qu'il faut la lire. L'auteur mentionne un combat aux Glénans, le 4 avril précédent, entre des corsaires et une flotte allant à Brest. — Arch. Hist., vol. 1704, n° 224].

« ... Il y a quelques jours, un bâtiment relâcha dans le bassin de la place, sous prétexte de se reposer ; il y resta trois jours... C'était un espion... Il y a plusieurs courriers (corsaires) dans cette mer... Il y a six mois que M. le Gouverneur est absent [Note : C'était François Guénolé de Vaucouleurs, qui, en effet, ne résidait pas] et le canon n'est point en état. La place est presque déserte... ».

Nommé le 26 avril (huit jours avant la date de cette lettre), le commandant militaire n'était sans doute pas à Rennes pour la recevoir ; mais il a dû la lire plus tard. Qu'a-t-il fait en faveur de Concarneau ? Voici, je crois, une réponse à cette question. Elle est donnée dans une lettre adressée de Port-Louis, le 15 septembre 1710, au commandant militaire, qui est encore le maréchal de Châteaurenault.

Voici cette lettre, écrite selon toute apparence par un ingénieur :

« MONSEIGNEUR [Note : La lettre, datée de Port-Louis, (que j'abrège), est signée Desgravier. Arch. Hist., vol. 2272, n° 57. — Il y a quelque apparence que le signataire de la lettre est un ingénieur. Nous avons vu, en 1694, le chevalier de Palys, ingénieur au Port-Louis, donnant des renseignements sur Concarneau],
Pour la seureté et le bien du service de Sa Majesté, il seroit très important d'envoyer deux compagnies à Concarneau, une jolie ville fortifiée, très bonne, où il y a du canon... Les ennemis sont journellement dans le voisinage.... S'ils faisoient nuitamment une descente de cent hommes, ils se saisiroient de Concarneau, où ils travailleraient ; ils se couvriraient par mer ; et il seroit très difficile de les en chasser, attendu qu'il faudrait un siège et ce seroit une diversion (des troupes) de Sa Majesté.

Il seroit besoin aussi d'envoyer un homme rétablir le dedans de la ville que l'on a ruinée, démolie, emporté les matériaux. On a laissé les habitants bâtir en dehors et couvrir la porte de la ville ; ... Il faudrait mettre un homme qui eût autorité, celui qui y est étant un homme peu capable [Note : L'auteur de la lettre veut-il ici parler du gouverneur, d'un lieutenant ou du major ? — Le lieutenant était alors, semble-t-il, Gédéon Le Jay de Kerdaniel, qui, un an plus tard, signe l'acte de baptême de son fils à Concarneau. Je crains pour M. de la Serpaudaye qu'il s'agisse encore de lui, major]. Je me trouve obligé, Monseigneur, de vous rendre compte d'une chose d'une si grande conséquence au service du Roi ... ».

Ainsi voilà pour Concarneau une situation nouvelle. Il y a quinze ans, en 1695, Vauban poursuivait un double objet : fortifier la ville, y créer des officiers commandant une garnison. Il est mort le 30 mars 1707. S'il vivait encore, il verrait la ville fortifiée — on peut presque dire trop bien fortifiée, puisque n'étant pas gardée, elle est à la merci d'un coup de main auquel par la nuit cent hommes suffiraient, et que, pour la reprendre, il faudrait un siège et une armée. Or, en ce moment même, les frontières du Nord et du Midi sont violées ; les alliés sont en France, maîtres de Douay et de Béthune ! Et la paix ne se fera qu'après plus de deux années. — (Paix d'Utrecht, 11 avril 1713).

C'est à cette époque, paraît-il, qu'il ordonna la construction d'une batterie sur la pointe de Trévignon, à l'entrée vers l'Est de la baie de Concarneau [Note : Je dois ce renseignement au directeur de notre classe d'Archéologie, le comte de Palys. Il l'a emprunté aux mémoires de son grand-père, le chevalier de Palys, ingénieur au Port-Louis. La défense extérieure de Concarneau fut complétée, en 1802, par la construction de sept batteries autour de la baie, à Beg-Meil, Beuzec, La Croix et Fer à cheval, Lanriec-Cabellou, La Jument et Trévignon. L'Archipel des Glénans, p. 26].

(Julien Trévédy).

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