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Jean Jouault d'Orgères et sa bande ; panique à Rennes : trente-trois exécutions en trois jours.

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Jean Jouault d'Orgères et sa bande ; panique à Rennes : trente-trois exécutions en trois jours. Suspension et rétablissement de la Commission.

Les environs de Rennes étaient alors parcourus par de petites bandes de chouans, dont quelques-unes, commandées par des chefs actifs et intelligents, tels que Jean Jouault d'Orgères (Commune de l'arrondissement de Rennes), jetaient la terreur parmi les patriotes. La peur grossissait leur nombre ; on croyait à de véritables armées, là où il n'y avait que quelques hommes résolus qui, à la faveur des circonstances, tantôt pillaient un convoi mal escorté, tantôt enlevaient de petits postes républicains mal soutenus. Le bruit courut que, le 10 floréal, cette armée imaginaire de chouans devait s'introduire à Rennes, se joindre aux ennemis de la République qui existaient dans cette ville, et massacrer tous les patriotes. Cette panique, sans aucun fondement sérieux, redoubla la sévérité de la Commission militaire.

Le 15 floréal, elle condamna à mort René Sibille, marchand de cassis, faubourg de Nantes, accusé d'être l'espion des chouans ; Martin Pothier, journalier à Vern ; Guillaume Beauchard, de Bruz ; René Lebrun, âgé de seize ans, de Bourg-Barré ; Jean Coivin, âgé de dix-huit ans, de Châtillon-sur-Seiche, et Julien Chauvelière, chouan de la même commune. Le jugement portait que, « pour imprimer la terreur et la honte à ces infâmes communes qui, loin de résister à ces vils brigands et s'opposer à leurs projets ont au contraire accru leur nombre et augmenté leurs succès en leur fournissant des services en vivres et en hommes, les têtes de ces six monstres seraient portées l'une dans chacune des communes qui, dans la fuite précipitée des chouans et leur passage dans ces contrées, ont le plus favorisé leurs projets ».

Les six condamnés furent guillotinés le 16, à dix heures du matin ; mais il ne fut pas possible d'exécuter la seconde partie du jugement. Les agents de la Commission ne pouvaient porter à Vern, à Bruz, à Châtillon et à Bourg-Barré les têtes de Pothier et de ses camarades, sans être escortés d'une force militaire capable de les défendre contre les attaques des chouans ; et Rossignol, alors général en chef à Rennes, ne put fournir les 200 hommes qui lui furent demandés pour cet objet. On dut donc se contenter de placer la tête de Sibille sur la chapelle de la Magdeleine [Note : Cette chapelle vient d'être rendue au culte vers 1878/1879 par les soins de M. le curé de Toussaint] dans le faubourg de Nantes (Lettre de Defiennes du 17 floréal. Archives de la Cour d'appel de Rennes).

Vingt-sept paysans des environs de Rennes [Note : Ollivier Durand, Jacques Desnos, Pierre Chaplain, Renaud Vallée, de Vern ; Julien Noël, Jean Gillot, Jean Jambu, Henri Bourges, Julien Benoît, Julien Gaillard, Louis Juviaux, François Robert et Julien Bricault, de Bourg-Barré ; Pierre Monnier, Jean Bouvier et Julien Danret, de Torcé ; J.-B. Mallet, d'Orgères ; Guillaume Jean et Nicolas Monnier, de Saint-Jacques-de-la-Lande ; Jean Ronsin, de Châteaubourg ; Julien Drouet, Julien Damé et Thomas Moitié, de Corps-Nuds ; Pierre Garnier et Julien Lambert, de Châteaugiron ; Julien Peard, de Noyal, et Julien Gruet, de Châtillon] furent dans les trois jours suivants condamnés et exécutés, par suite de la même crainte chimérique qui avait amené Sibille et ses compagnons devant la Commission ; tous étaient accusés de chouanage ; pour plusieurs le fait était évident, il n'en était pas de même pour tous.

Au lendemain de ces nombreuses exécutions, le 21 floréal, la Commission s'avisa tout à coup, que peut-être elle n'avait plus le droit de faire comparaître devant elle les pauvres paysans qu'elle envoyait à la guillotine, que militaires et contre-révolutionnaires échappaient également à sa juridiction.

On se souvient en effet que, d'après l'arrêté du 1er frimaire qui l'avait établie, elle devait juger les militaires, les chouans, les Vendéens et les faits attentatoires à la liberté. Or, depuis le 1er frimaire, avaient été promulguées les lois du 3 pluviôse et du 27 germinal. La loi du 3 pluviôse sur la justice militaire portait que les délits militaires ne pouvaient plus être jugés que par des jurés ; Magnier et ses collègues n'étaient donc plus compétents pour en connaître.

La Commission avait encore bien moins le droit de s'occuper des contre-révolutionnaires. En effet, la loi du 27 germinal disait :

ART. 1er. — … Le Tribunal révolutionnaire, établi à Paris, connaîtra exclusivement, sauf les exceptions ci-après [Note : Les exceptions ont trait aux émigrés], de tous les crimes contre-révolutionnaires énoncés dans les lois du 10 mars 1793, 23 ventôse et autres, en quelque partie de la République qu'ils aient été commis.

ART. 2. En conséquence, les tribunaux et commissions révolutionnaires établis dans quelques départements par les arrêtés des représentants du peuple, sont supprimés : et il ne pourra en être établi aucun à l'avenir, si ce n'est en vertu des décrets de la Convention nationale.

En présence d'un texte si clair, si formel, il y a lieu de s'étonner que, sous les yeux des représentants, la Commission ait pu siéger pendant un mois en violation d'un décret de la Convention ; mais, à cette époque, législateurs et juges s'occupaient souvent beaucoup plus de tirer profit des situations qu'ils occupaient, de satisfaire leurs passions et leurs haines que de faire exécuter les lois.

Magnier et ses collègues trouvaient aussi bien dur de redevenir simplement officiers ou soldats, après avoir exercé pendant quatre mois un pouvoir presque illimité, et marché de pair avec les plus puissants ; d'être réduits à la paie de sergent, comme Coulon et Biron, après avoir reçu la solde de capitaine, sans préjudice d'autres menus bénéfices [Note : Pendant que s'imprimaient les premières feuilles de ce travail, nous avons été assez heureux pour trouver un certain nombre de bons de vivres signés des membres de la Commission Magnier. On verra aux pièces justificatives N° 10 la reproduction de l'un de ces bons. Il nous parait évident que, en dehors de la solde de capitaine, les juges, bien qu'à poste fixe, touchaient ce qu'on appelle aujourd'hui les vivres de campagne]. Aussi, bien que la loi fût précise, ils ne voulurent point descendre de leurs siéges, sans avoir essayé de parer le coup qui les atteignait et d'obtenir de la Convention un décret spécial qui les maintint en fonctions.

Il fut résolu que Brutus Magnier partirait pour Paris [Note : On lui alloua pour ce voyage 800 livres], et qu'il essaierait d'obtenir la prolongation des pouvoirs de la Commission. Mais le voyage de Rennes à Paris ne se faisait point en quelques heures, et les juges pensèrent que leur situation serait peut-être difficile en l'absence de leur président. Ils savaient en effet que leurs ennemis étaient nombreux, et, pour les tenir en respect, ils crurent prudent de se faire nommer à un emploi judiciaire quelconque. Les prisons étaient pleines de soldats dont beaucoup n'avaient commis que de légères fautes ; un seul officier de police militaire était chargé de les interroger. Les collègues de Magnier prétendirent que six officiers suffiraient à peine à cette besogne, et que les quatre juges et l'accusateur de la Commission militaire y étaient précisément aptes (Voir pièces justificatives, N° 11). Les représentants Dubois-Crancé, Alquier et François, dont ils avaient été les agents dévoués, se rendirent à leur désir et prirent un arrêté qui les nommait officiers de police militaire, jusqu'au retour de Magnier (Voir pièces justificatives, N° 12).

Munis de cet arrêté, les nouveaux officiers de police militaire s'occupèrent de remplir les devoirs de leur charge ; mais, comme ils n'avaient jamais été gens à se renfermer bien scrupuleusement dans les limites de leurs attributions, ils interrogèrent indistinctement tous les prisonniers, qu'ils appartinssent ou non à l'armée. Le 23 floréal, Magnier qui n'était pas encore parti demande au Comité de surveillance de Rennes « les tableaux des reclus, tant de la maison de la Trinité que de celle du Bon-Pasteur [Note : La Trinité et le Bon-Pasteur étaient deux maisons de détention ; la première était la prison des hommes, la seconde celle des femmes], avec de simples notes de bons à rester dans la société, de ceux qui sont mauvais et de ceux qui sont moyens ». Le Comité fort jaloux de son autorité, et d'ailleurs très-mal disposé pour Magnier, refusa de communiquer les tableaux, alléguant « que Brutus Magnier n'avait point fait voir sa commission, et qu'il y aurait peut-être du danger à donner de pareilles notes sans en connaître les motifs, ou du moins sans y être autorisé, soit par le Comité de sureté générale ou du salut public, ou par les représentants du peuple ». La Commission dut donc se borner à interroger les militaires (Registre du Comité de surveillance. Archives de la Cour d'appel de Rennes).

Brutus Magnier fit du reste diligence et, le 12 prairial, il rentrait à Rennes, muni d'un arrêté du représentant Laignelot qui autorisait la Commission à reprendre ses séances (Voir pièces justificatives, N° 13). Elle se hâta d'obéir à cet ordre, bien qu'il fût contraire à la loi du 27 germinal qui exigeait un décret de la Convention pour qu'elle fût maintenue en fonctions.

Le 13, comparurent devant elle Jean Jouault, d'Orgères, chef de chouans, le curé insermenté de la même commune, l'abbé Jacques Bouguerie, et un médecin de Paris, Jacques Focard, qui, après avoir pris part au mouvement girondin dans le Calvados, était venu se mettre à la tête d'une bande de chouans de l'Ille-et-Vilaine. Jean Jouault était tout particulièrement un objet de haine pour les patriotes ; actif, intelligent, âgé seulement de 30 ans, il s'était associé au mouvement de réforme de 1789, et avait à cette époque commandé la garde nationale d'Orgères, où il avait une grande influence. Les excès et les crimes de la Révolution firent de lui un ennemi acharné des républicains. A la tête de quelques hommes aussi déterminés que lui, on le voyait partout à la fois : ici il coupait un arbre de la liberté ; à cinq lieues de là, le lendemain, il attaquait un détachement républicain. Sa parfaite connaissance du pays, les nombreuses sympathies qu'il y rencontrait, le rendaient insaisissable. On parvint cependant à s'en emparer vers la fin de floréal, et la nouvelle de son arrestation mit en joie tous les patriotes de Rennes.

Le sort de Jouault et de ses deux compagnons ne pouvait être douteux ; les accusés ne firent du reste rien pour l'éviter. Ils déclarèrent s'honorer de leurs opinions politiques et religieuses, et à plusieurs reprises crièrent en pleine audience : Vive le Roi et la bonne Religion !

Brutus Magnier les condamna à mort par un jugement dans lequel il leur refuse le droit de contester les sentiments religieux des hommes de la Terreur,

« Quand le peuple Français, trop longtemps calomnié, déclare à tout l'univers qu'il reconnaît l'existence de l'Être suprême et l'immortalité de l'âme ; que le seul vrai et légitime culte sont les vertus, peut-on ne pas frémir de rage de voir des contre-révolutionnaires, des royalistes, donner pour excuse de leurs forfaits leur attachement à une religion imbécile et barbare, et oser dire qu'un Etat ne peut se passer de maître, que telle est la volonté de Dieu, que les rois, disent-ils, représentent sur la terre ! ».

Cette allusion au culte de l'Etre suprême était évidemment une flatterie du tribunal à l'adresse de Robespierre, sur le rapport duquel le décret du 18 floréal qui réglementait la nouvelle religion avait été rendu. Les biens des condamnés furent confisqués et on brûla devant eux, au pied de l'échafaud, « les livres pieux, chapelets, reliquaires et autres ordures trouvés sur eux ».

Le lendemain, un sabotier d'Orgères, Pierre Dubois, un cultivateur de la même commune, Pierre Fouillet, qui avaient fait partie de la bande de Jouault, et la femme de Jouault, furent à leur tour condamnés à mort. La femme Jouault montra le même courage que son mari ; elle avoua sans difficulté avoir reçu et hébergé les chouans, autant qu'elle avait pu.

Ce fut le dernier jugement de la Commission. Brutus Magnier et Defiennes allaient avoir à leur tour à rendre compte de leur conduite.

(Hippolyte de la Grimaudière).

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