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CAHIER DE DOLÉANCES DE BRIE EN 1789

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Subdélégation de Rennes. — Département d'Ille-et-Vilaine, arrondissement de Rennes, canton de Janzé.
POPULATION. — En 1793, 942 habitants (Arch. d'Ille-et-Vilaine, série L).
CAPITATION. — Rôle de 1790 (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 4066) ; 178 articles ; 744 l. 5 s. — Total en 1789, 901 l. 11 s. 5 d., se décomposant ainsi : capitation, 591 l. 5 s. ; 21 d. p. l. de la capitation, 51 l. 14 s. 7 d. ; milice, 75 l. 10 s. 6 d. ; casernement, 183 l. l s. 4 d. (Ibid., C 3981).
VINGTIÈMES. — 222 articles ; 1.247 l. 1 d.
FOUAGES. — 19 feux 1/9. — Fouages ordinaires, 209 l. 18 s. 7 d. ; garnisons, 62 l. 14 s. 4 d. ; fouages extraordinaires, 374 l. 13 s.
OGÉE. — 5 lieues au S.-E. de Rennes. — 900 communiants. — Le territoire forme un pays plat, dont les terres ne sont pas excellentes ; les landes n’y sont pas rares.

PROCÈS-VERBAL. — Assemblée électorale, le 5 avril, au lieu ordinaire des délibérations, sous la présidence de Claude-Jean-Baptiste Trevet, sénéchal de Brie et Janzé ; adjoint, le greffier ordinaire. — Comparants : René Guillopé (15 ; 1 domestique, 1,5) ; Jan Mauxion père (9,5 ; 1 servante, 1,5) ; Julien Mauxion fils (1,10) ; Jean Guillopé (11) ; Etienne-Pierre Lelièvre, sieur de la Morinière (6 ; 1 domestique et 1 servante, 2,10) ; René-Marie Regnier de Courpéan ; Messire Eon, recteur de la paroisse ; Pierre Robin ; Guy Saffray (8) ; Jan-Baptiste Ribault (7 ; 1 grande servante, 1,5 ; 1 autre, 0,15) ; Jean Michel (4,10) ; Jean Chapelle (4,10 ; 1 servante, 1,5) ; A. Louis ; Louis Duclos (5 ; 1 servante, 1,5) ; François Saffray (5,10) ; Joseph Trégon ; Pierre Robin de Pinsefeuille ; Jean-Marie Pelhast (1,10) ; Jean Martin (5,5). — Députés : Regnier de Courpéan ; Jean Mauxion.

 

Plaintes, doléances et remontrances rédigées par nous, soussignés, habitants, cultivateurs et autres du Tiers Etat de cette paroisse de Brie, au désir et suivant les intentions du Roi consignées dans sa lettre du 24  janvier dernier, pour être présentées devant Sa Majesté, séante aux Etats généraux, afin d'obtenir de sa justice et de sa bienveillance paternelle le redressement de nos griefs et l'amélioration de notre sort.

L'occasion tant désirée de faire entendre les cris de douleur que nous arrachent les maux que nous éprouvons et les abus qui nous oppriment nous est offerte par un Roi bienfaisant, qui ne veut régner que par la justice, la douceur et la persuasion et qui ne veut d'autre appui à son trône que l'amour de ses sujets. N'en doutons, son cœur paternel n'accueille nos plaintes que pour effacer jusqu'à la trace de nos maux et ne laisser dans notre souvenir que celle d'un bienfait.

Nous protestons à ce Roi si chéri que notre amour pour se personne est inaltérable, notre fidélité à toute épreuve, que notre zèle et nos vœux pour la prospérité de l'Etat sont très ardents, que nous sommes prêts à verser notre sang pour la gloire de sa couronne et la défense de la Patrie.

[Impôts.] — Mais foulés, écrasés par des impôts de toutes espèces, quand nous avons à peine le nécessaire, c'est avec des cœurs pénétrés d'amertume et de regrets que nous ne pouvons donner à Sa Majesté que de stériles témoignages de notre dévouement ; notre détresse rend nos vœux impuissants.

Nous ne pourrions qu'indiquer les sources abondantes où Sa majesté pourrait puiser dans les besoins de l'Etat, si déjà elles ne s'offraient pas d'elles-mêmes.

Le clergé et la Noblesse lui ouvrent leurs trésors. Qu'ils payent à l'égal de nous ; que tous privilèges pécuniaires, onéreux aux peuples, à charge à l'Etat, s'anéantissent à la vue de ses besoins, et l'abîme du déficit sera comblé. Que les privilégiés ne conservent d'avantages sur nous que l'honneur d'être enrôlés les premiers pour donner au peuple l'exemple de tout sacrifier pour secourir l'Etat.

Si ces secours n'étaient pas suffisants et qu'il fallût établir des impôts sur les consommations, nous osons supplier Sa Majesté d'en fuite exempter celles qui sont de nécessité première et indispensable ; ce n'est pas le sel qui assaisonne le pain et l'eau, qui fait notre nourriture habituelle, ce sel que nous employons encore pour féconder nos terres qu'il faut taxer, c'est le sucre et le café qui alimentent la sensualité du riche et dont l'usage est libre.

Nous osons encore observer à Sa Majesté que l'impôt qui s'appesantirait trop sur les propriétés serait destructeur de l'industrie agronomique. Le cultivateur n'aime point à partager le produit de ses travaux et de ses avances, il ne chérit sa propriété, ne la cultive avec amour, qu'autant quelle n'est pas pour lui un sujet continuel d'inquiétude et d'alarmes. S'il est sans cesse assiégé par les collecteurs de toutes espèces, par le décimateur ecclésiastique et par le fisc seigneurial, il se décourage, se dégoûte et, pour échapper à cette espèce de persécution, il laisse son champ en friche ou le vend pour se livrer à quelque petit commerce qui ne produit rien à l'Etat, mais dont au moins il ne partage les fruits avec personne.

C'est une des causes de la décadence de l'agriculture en Bretagne, où le colon néglige ses terres quand on lui en prend les fruits ; nous pensons donc que les impôts doivent être sagement partagés entre les propriétés, les personnes en raison de l'aisance et de l'industrie et qu'une partie doit porter sur quelques consommations.

Un impôt unique grèverait la classe seule des propriétaires, et la classe industrieuse jouirait de tous les avantages du citoyen sans en partager les charges.

Les impôts doivent-ils être égaillés entre les provinces raison de leur surface ou de leur population ? La réponse à cette question est négative pour la Bretagne ; il est notoire que deux seuls septièmes de sa surface sont en état de culture, le reste n'est que landes, marais, tourbières, dont l'agriculture ne peut guère tirer partie (voir la note 1 qui suit). Il n'est pas de peuple moins industrieux que le Breton, il est nombreux, mais il n'est pas riche ; et la grande population de cette province a pour cause principale le morcellement des terres, qui, divisées en petites tenues, a fait élever la grande quantité de hameaux qui couvrent les campagnes, où vivent et s'élèvent autant de familles (voir la note 2 qui suit).

Note 1 : Des études récentes tendent à prouver que les terres incultes de la Bretagne au XVIIIème siècle occupaient de 40 à 50 % de la superficie totale : voy. P. LEFEUVRE, Les communs en Bretagne à la fin de l'Ancien Régime, pp. 13-20 ; LETACONNOUX, Les subsistances et le commerce des grains en Bretagne au XVIIIème siècle, pp. 14-17 ; H. SÉE, op. cit., pp. 368-374.

Note 2 : Sur le morcellement de la propriété paysanne et la dissémination de la population, voy. H. SÉE, op. cit., 2ème partie, chap. III, pp. 60-76.

La même étendue de terre qu'un seul fermier dans la Beauce ferait valoir avec trois charrues occupe et nourrit en Bretagne vingt familles composées de plus de cent individus ; aussi le peuple, pressé sur les petites nappes de terre en culture, offre-t-il le spectacle de la misère, et les visages la pâleur de l'inanition ; en Bretagne, les bras suffisent abondamment aux travaux, tandis qu'ailleurs des mercenaires étrangers viennent couper les blés, faire la moisson et les vendanges.

Cet excès de population est tel que, quand la marine royale ou marchande sont dans l'inaction, il survient des engorgements d'où s'échappent bientôt des troupes de fraudeurs, de mendiants, de vagabonds et de bandits.

 

[Privilèges de la province.] — Après ces respectueuses observations, nous mettons sous la protection du Roi et nous recommandons à la considération des Etats généraux les privilèges, droits, franchises et libertés de la Bretagne, tels qu'ils sont établis dans les contrats de mariage de la Duchesse Anne, dans le contrat d'union passé entre le Roi François Ier et les gens des trois Etats de cette province, titres renouvelés par Sa Majesté régnante et qui forment l'engagement sacré et réciproque entre elle et la Nation bretonne. Nous espérons que, s’il est reconnu qu’il ait été porté atteinte aux immunités qui furent le prix et la condition de l’union de ce pays à la France, elles seront rétablies dans toute leur intégrité, parce que le Roi est juste.

[Etats de Bretagne.] — Nous rendons Sa Majesté et les Etats généraux arbitres des différends qui se sont élevés à l'ouverture des Etats derniers et qui en ont interrompu le cours entre les ordres privilégiés et nos frères du Tiers Etat (voir la note qui suit).

Note : Sur cette question, voy. B. POCQUET, Les origines de la Révolution en Bretagne, t II, pp. 136-222. — A la suite des différends survenus entre les ordres privilégiés et le Tiers Etat, un arrêt du Conseil du 3 janvier 1789 suspendit pour un mois les séances des Etats ; ainsi se termina la dernière session des Etats de Bretagne.

Nous demandons comme une justice que les abus qui s'introduisirent dans l'organisation des Etats à l'abri des troubles de la Ligue, et qui se sont étendus depuis, soient réformés, et qu'en conséquence l'ordre de la Noblesse n'assiste plus que par représentants, comme les autres ordres, aux assemblées nationales (voir la note qui suit).

Note : Tous les gentilshommes avaient le droit d'assister en personne aux Etats.

Comme tout ce qui est vicieux est réformable de droit et qu'il est de toute équité que le peuple soit réintégré dans ses droits naturels, nous demandons que le Tiers Etat ait dans ces assemblées des représentants proportionnés à son importance et à sa population et, attendu que les intérêts vont devenir communs par l'anéantissement des privilèges pécuniaires, nous désirons que les représentants des ordres soient confondus dans une seule assemblée votant par tête et non par ordre, pour éviter à jamais le retour des abus.

[Impôts.] — Nous regardons comme un des plus sûrs moyens d'établir la paix entre les ordres l'abolition de tous les impôts dont la seule dénomination établit des distinctions entre les biens et les personnes, comme fouage et tailles, francs-fiefs, décimes, industrie, etc., remplacés par d'autres impôts qui soient assis sur toute sorte de biens et de personnes indistinctement.

Nous pensons que, pour simplifier l'estimation de biens, on n'ait aucun égard aux cens, renies féodales et autres dont ils pourraient être grevés, sauf aux débiteurs de ces charges foncières à exiger la remise de l'impôt vers les seigneurs, dont les fiefs ne seraient alors imposés que pour leurs casuels.

Nous observons encore qu'il serait juste de diminuer sur les revenus des bâtiments le dixième pour les réparations avant d'y asseoir l'impôt.

[Représentation des campagnes.] — Après nous être occupés de l'intérêt général, il est juste que nous pensions à la plus utile et la plus intéressante portion des citoyens qui composent la Nation, la classe des laboureurs dont nous faisons partie.

Jusqu'ici, loin de nous compter pour quelque chose, de nous protéger, de nous estimer, on a profité de notre modestie et de notre éloignement des affaires pour rejeter sur nous le fardeau des impôts et des charges publiques. Nous n'avons fait qu'obéir et payer, ignorant qu'il nous fût permis de nous plaindre ; cependant nous sommes les membres qui soutiennent l'estomac. Sans notre appui, ceux qui nous oppriment seraient bien faibles ; sans nos travaux, ils iraient nus et périraient de faim.

Nous convenons néanmoins qu'occupés sans cesse à la culture de nos terres et du soin d'élever nos familles, manquant d'ailleurs des connaissances nécessaires pour participer à l'administration publique, nous devons en abandonner les détails à ceux qui en ont le loisir, la capacité et le goût ; mais au moins faudrait-il que notre vœu désignât ceux en qui nous avons le plus de confiance et qu'à l'exemple de la Suède, la classe des laboureurs eût des représentants aux Etats nationaux (voir la note qui suit), lesquels seraient chargés de faire valoir, au nom du peuple des campagnes, toutes demandes, plaintes ou avis qui seraient à y faire parvenir.

Note : La diète de Suède se composait de quatre ordres distincts : la noblesse, le clergé, les bourgeois et les paysans.

Mais nous nous bornons à réclamer de la bienveillance du Roi une influence active dans l'administration publique de cette province ; qu'en conséquence toutes les paroisses de campagne soient réunies par arrondissements aux municipalités des des villes actuellement en activité et qu'il en soit érigé de nouvelle, s’il en est besoin ; lesquelles municipalités seront composées des députés des villes et paroisse de campagne et nommeront les députés aux Etats de la province en nombre égal aux deux autres ordres réunis ; qu’ainsi le droit de députer aux Etats ne soit plus privatif à quarante-deux villes, qui ignorent nos usages et nos besoins et qui, en consommant nos denrées, ne s'inquiètent pas combien leur production nous coûte de peines et de fatigues.

La justice. — Nous dénonçons à Sa Majesté que la justice, cette émanation de l'autorité souveraine, qu'elle doit à son peuple comme un bienfait, loin d'être l'appui du faible, le refuge de l'innocence persécutée et la ressource de l'opprimé, loin de maintenir la paix dans les campagnes, de veiller à la conservation des droits respectifs de leurs habitants, en est devenue le fléau le plus redouté ; le moindre procès devient pour une famille entière un sujet d'inquiétudes, d'alarmes et souvent de ruine.

Les ressources que la complication des lois fournit à la chicane, l'excès des frais qu'emportent les formes judiciaires, la multitude des tribunaux, etc., sont autant de moyens oppressifs dans les mains du riche qui veut en abuser pour vexer le pauvre.

Pour remède à un abus si criant, nous osons proposer à Sa Majesté d'ériger, par districts les plus rapprochés que faire se pourra, des tribunaux de conciliation composés des pesonnages les plus instruits, dont tout le salaire sera la satisfaction de faire le bien et dont les fonctions honorables seront de juger conciliatoirement et sans frais toutes les petites contestations qui s'élèvent dans les campagnes ; et au surplus, ces tribunaux seront organisés suivant les intentions bienfaisantes de Sa Majesté, qui veut que ses sujets ne soient point vexés.

La corvée. — Des citoyens non privilégiés habitaient autrefois nos campagnes ; ils consommaient nos denrées, occupaient nos manœuvriers, secouraient les malades et les pauvres ; ils répandaient autour d'eux l'aisance et la joie.

L'ouverture des grandes routes dont la province est percée dans tous les sens fut le signal de leur retraite dans les villes, et les richesses qu'ils répandaient parmi nous furent s'y ensevelir avec eux ; les maisons qu'ils habitaient sont en ruine et ces campagnes si animées, si riantes, sont devenues un séjour de tristesse, de misère et de larmes ; telle a été l'influence affreuse de la corvée en nature, dont l'accablant fardeau est retombé en surcharge sur nous seuls (voir la note qui suit).

Note : La tâche de Brie était de 561 toises, sur la route de Rennes à Châteaubriant (Arch. d'Ille-et-Vilaine, C 4883).

On nous arrache à des travaux utiles, d'on dépend notre subsistance et celle d'une multitude de citoyens, pour nous traîner sur un grand chemin qu'on nous force d'ouvrir ou de réparer à grands frais, quoique nous ne le fréquentions que pour l'arroser de nos sueurs.

Nous ne jettons qu'un cri avec tout le peuple breton, pour supplier Sa Majesté de faire cesser ce fléau destructeur.

Mais nous osons observer que si l'impôt, qui serait établi comme représentatif de la corvée, portait sur les propriétés, le fermier n'en serait pas soulagé : le propriétaire, voyant toujours la corvée dans cet impôt, ne manquerait pas de le faire payer par son colon et au pis-aller le laboureur aimerait encore mieux donner son temps que son argent.

Nous proposons donc, ou que cet impôt soit personnel et par tête, afin que nul ne pût s'y soustraire, ou qu'il fût prélevé sur les boissons afin d'ôter tout prétexte d'en grever le fermier, ou, ce qui paraît plus juste mais peut-être moins praticable, serait de faire payer les chemins par ceux qui s'en servent en établissant des bureaux de péages par station dans les bourgs et villages situés sur les grands chemins.

La milice. — On connaît le danger des attroupements ; les lois sur la police les défendent rigoureusement ; la prudence de ses officiers, celle des pasteurs veillent sans cesse pour les dissiper ; c'est à les prévenir et non à en punir les suites qu'en reconnaît les bonnes lois et les bons magistrats. Que dire de l'ordonnance des milices, qui autorise et légitime le plus dangereux de tous ?

Au jour indiqué une jeunesse bouillante, composée de têtes bretonnes, s'assemble, se rend à la ville et attend dans les cabarets le moment de comparaître ; le sort subi, elle y retourne pour noyer dans le vin la douleur de l'infortuné sur qui il est tombé et pour se réjouir d'y avoir échappé. Bientôt les têtes s'échauffent, les rivalités s'éveillent de famille à famille, de paroisse à paroisse ; la voix des pasteurs n'est plus écoutée, la police est elle-même menacée et le combat s'engage, où ces malheureux s'assomment avec une fureur, un acharnement difficile à peindre.

Des procédures criminelles viennent ensuite combler la mesure de ces maux ; des familles utiles, honnêtes, aisées, dont les enfants se sont oubliés un moment, se trouvent réduites à la mendicité par les frais énormes et les dédommagements qu'il faut payer ; ou ces familles flétries par l'opinion, quand il y a condamnation à peine afflictive, sont obligées d'abandonner leurs foyers et de s'expatrier. Qui pourrait être indifférent à cette perte, surtout quand on leur a fourni l'occasion qui les a rendus coupables ?

Ce tableau n'est point chargé, il n'est point d'année qu'il ne se retrace sur plusieurs points de la province.

Considérons à présent ce que la levée des milices cause de préjudice à l'Etat et coûte aux paroisses en particulier.

Quand un jeune homme part pour aller courir les hasards du sort, sa famille éplorée le suit en tremblant ; la longueur de l'opération fait naître l'ennui, et l'ennui la conduit dans les cabarets ; l'objet de sa sollicitude est-il échappé, le reste de la journée se passe en fête, en excès de tous genres ; ajoutons à ces dépenses la perte réelle qui résulte de la cessation des travaux ce jour-là et le lendemain, qui est celui d'un jour de débauche, et l'on aura une idée de ce que coûte un milicien.

Et à quoi bon ? Est-ce pour procurer des soldats à l'Etat ? Ils ne servent pas ! Est-ce pour en imposer à nos rivaux par l’armée nombreuse qu’on peut composer en un instant ? Nous troupes réglées et leur courage ne suffisent-elles pas ? Cette précaution, prise de si loin. Si c'est un moyen politique de favoriser les mariages et la population, nous osons assurer que ce moyen est inutile pour la Bretagne, où la population est hors de toute proportion avec ce qu'il y a de terre en valeur.

Sa Majesté n'entendra point le récit de tant de maux sans que sa sensibilité en soit émue ; elle se portera d'elle-même à supprimer cette manière, si cruelle et si onéreuse à son peuple, de s'assurer des soldats lors même qu'il n'en est pas besoin (voir la note qui suit).

Note : De 1781 à 1786. Brie a fourni 2 miliciens : 1 en 1783 et en 1784. En 1784, sur 56 jeunes gens appelés à tirer au sort, 39 ont été exemptés ou ajournés (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 4704).

Garennes et colombiers. — Les droits qui pèsent sur le public, ceux qui tendent à diminuer et à lui faire payer cher ses moyens de subsistance méritent d'être exceptés du respect que nous avons pour les droits sacrés de la propriété. Ainsi nos semences dévorées par ces nuées de pigeons qui s'abattent sur nos guérets, nos blés naissants rongés, dévastés par des multitudes de lapins, sollicitent instamment de la bienveillance du Roi la démolition des colombiers et l'arasement des garennes (voir la note qui suit).

Note : Le marquis de Brie possédait une fuie dépendant de son manoir de la Grand'-Maison. (GUILLOTIN DE CORSON, Les grandes seigneuries de Haute-Bretagne, 2ème série, p. 87).

C'est dans leurs basses-cours et dans leurs clapiers domestiques, et non aux dépens des cultivateurs, que les seigneurs doivent nourrir ces animaux dont ils repaissent leur sensualité.

Moulins. — Le droit exclusif d'avoir moulin, attribué aux seigneuries, et l'assujettissement des vassaux à ces moulins fait que, depuis la cherté des grains, ils sont affermés à des prix exorbitants. Si le seigneur y gagne, le meunier se promet bien de n'y pas perdre ; c'est ainsi que le peuple est toujours victime (voir la note qui suit).

Note : Le marquis de Brie possédait les deux moulins de Corbe et de la Lardière (Ibid., p. 87).

Ces machines essentielles, les moulins à vent surtout, trop rares en Bretagne, exposent le peuple à des disettes alarmantes, non pas faute de grain, mais faute de farine.

Deux exemples récents prouvent cette assertion : le desséchement des étangs, des rivières, rendit les farines si rares en 1785, sur la fin de 1788 et même au mois de janvier dernier, que la différence entre le prix du grain et celui du pain fut hors de toute proportion.

Le peuple dans plusieurs villes ne faisant pas attention à la cause de cette différence, et toujours prêt à accuser les juges de police de prévarication, s'émut, et pilla les boulangeries (voir la note qui suit).

Note : Sur les émeutes suscitées par la crainte de la disette en 1788 et 1789 voy. Arch. d’Ille-et-Vilaine. C 1714, 1715, 1716 ; E. DUPONT, op. cit., pp. 12 et sqq., et surtout LETACONNOUX, Les subsistances et le commerce des grains en Bretagne au XVIIIème siècle, pp. 331 et sqq. — A Brie, en 1785, le chanvre n'a donné que le quart de la récolte ordinaire, les froments et seigles, les trois quarts ; les avoines et orges, les deux tiers ; les blés noirs, un tiers ; les habitants ont perdu 16 chevaux et 25 vaches (Arch. d’Ille-et-Vilaine, C 3912).

La faculté d'édifier des moulins de toutes espèces donnée tout particulier qui aurait un terrain favorable, en les multipliant, remédierait à ces grands inconvénients, et la liberté de suivre tel ou tel moulin ferait naître entre les meuniers une sorte d'émulation qui tournerait à l'avantage du peuple. Il en serait servi plus fidèlement et à meilleur marché.

Maîtrise des eaux et forêts. — Le greffier de la maîtrise particulière des eaux et forêts de Rennes exige qu'il soit fait déclaration du vieux tronc pourri que l'habitant des campagnes destine à son chauffage, ainsi que des bois qu'il emploie à la construction des instruments du labourage et aux réparations de sa cabane. C'est ainsi que nous sommes menacés de temps à autre par les billets que ce greffier fait publier au prône de nos grand'messes, de sorte que pour éviter la ruine, si on est sans correspondant dans la ville où réside ce greffier avide, il faut se déterminer à aller soi-même, fût-on à vingt lieues, lui porter quinze sols et lui dire qu'on ne veut pas mourir de froid. Il prend l'argent et ne s'inquiète pas si l'on a dépensé en frais de voyage plus que la valeur du bois déclaré.

Nous supplions Sa Majesté de remédier à cet abus en interprétant l'ordonnance des eaux et forêts, dont l'esprit est de n'assujettir à déclaration que les bois propres à la construction des vaisseaux, et non ceux destinés aux usages domestiques.

Défrichements. - Qu'une métairie devienne vacante ; de jeunes gens se marient aussitôt et viennent l'occuper. Il en serait de même si on formait dix mille métairies dans les landes de Bretagne. Chaque conquête que fait l'agriculture sur les terrains en friche donne lieu à une extension de population et augmente ainsi la richesse et la puissance d'un Etat. Nos pères ne se trompèrent point dans le choix des terre ; ils labourèrent les bonnes et délaissèrent les mauvaises, et celles-ci ne peuvent être mises en valeur qu'autant qu'on élèvera des bâtiments qui placent le colon au milieu de ses travaux. Pour bâtir et défricher, il faut de grands moyens ; pour qu'ils se déploient, il faut les stimuler par de grandes faveurs. De tels établissements languissent longtemps, mais enfin ils finissent par prospérer.

La déclaration de 1768 accorde pour les desséchements vingt années d'exemption de toutes charges et fixe ensuite la dîme à la cinquantième gerbe. Pour les défrichements, l'exemption des charges est bornée à quinze années et la dîme n'est point fixée, le Roi se réserve à le faire ce délai expiré ; il l'est pour les premiers défrichements déclarés et la loi qui devait fixer la dîme n'a point encore paru (voir la note qui suit). Le décimateur, profitant de ce silence, l'exige au taux exorbitant des bonnes terres suivant l'usement local, et déjà ces champs, qui ne donnaient peut être d'autres bénéfices que ces exemptions, commencent à être abandonnés à leurs anciennes stérilités.

Note : Voy. les art. 6, 8 et 9 de la déclaration de juin 1768, relative aux desséchements et défrichements dans la province de Bretagne. Cette déclaration a été publiée par P. LEFEUVRE, op. cit., Pièce justificative n° 3, pp. 168-175.

Puisqu'il est si intéressant pour l'Etat de favoriser les défrichements et de les rendre permanents, Sa Majesté est suppliée d’en prolonger le temps d’exemption à vingt années et d’en fixer la dîme à la cinquantième comme pour les desséchements, parce que, si les premières avances pour ceux-ci sont plus considérables, leur rentrée est plus prompte et plus sûre.

Le sol des marais desséchés, composé d'une couche épaisse d'humus ou terre végétale, charriée par les eaux et déposée par leur stagnation, exige peu ou point d'engrais et, si les défrichements exigent moins d'avances en main-d'œuvre, celles en engrais qu'il faut employer chaque année l'emportent de beaucoup sur celles pour les desséchements.

Casuel des curés. — Cette onzième gerbe que nous donnons à nos pasteurs est la dîme de nos avances, de nos travaux et de nos bénéfices ; nous la payons pour leur assurer une subsistance honorable ; c'est le salaire des fonctions curiales. N'est-ce pas en doubler le prix que de payer encore en particulier pour chacune de ces fonctions celui que nous appointons pour toutes ?

Sa Majesté sera instamment suppliée de faire cesser, comme abusif, le salaire que les curés exigent sous le nom de casuel.

Mendicité. — Ce qui vexe le plus les habitants de la campagne, ce sont les mendiants, vagabonds et autres. Intimidés de leurs menaces, craignant les maléfices sur leurs bestiaux ou d'être incendiés, ils n'osent en refuser aucun. Il n'est pas rare en hiver qu'un fermier de campagne, qui à peine peut nourrir sa famille et payer son propriétaire, voie sa porte assiégée chaque jour par dix à douze pauvres ou mendiants qui lui emportent quatre à cinq livres de pain. Qu'on ajoute à ce fléau les rondes des moines quêteurs, des prédicateurs, etc., on verra que la classe des citoyens, qui a le moins, quoiqu'elle travaille le plus, est aussi celle qui paye davantage.

Cuirs. — L'impôt sur les cuirs met nos chaussures à un [prix] auquel nous ne pourrons bientôt plus atteindre et a fait disparaître une quantité de tanneries de ce pays. Nous avons besoin d'une chaussure souple et qui tienne au pied quand nous labourons nos terres fortes, et l'Etat était enrichi par l'exportation des cuirs apprêtés ; aujourd'hui ils sortent en vert du royaume et la main-d'œuvre de l'apprêt est en pure perte pour nous (voir la note qui suit).

Note : L'état des tanneries de Bretagne, dressé en 1779 par Guilloton, inspecteur des Manufactures, ne signale l'existence d'aucun établissement de ce genre à Brie, mais à Janzé, localité voisine et centre commercial du pays, il y avait alors 12 maîtres tanneurs et 4 compagnons ; ils travaillaient annuellement 1.800 peaux de vaches, 140 peaux de bœufs et 330 peaux de veaux ; le chiffre de leurs affaires était de 26.700 l. (Arch. Nat., F12 651).

Nous supplions Sa Majesté d'ordonner que les recteurs, curés, soient réduits à une pension proportionnée à leurs charges et à la dignité de leur état, et que nus propriétés soient libérées de l'impôt grevant de la dîme (voir la note qui suit).

Note : Le revenu net du recteur de Brie, d’après sa propre déclaration faite en 1790, s'élevait à la somme de 2.292 livres ; il était sans doute le grand décimateur de la paroisse (GUILLOTIN DE CORSON, Pouillé, t. IV, p. 247).

Nos lumières sont trop faibles pour présenter les moyens efficaces de remédier à tant d'abus ; la bienfaisance éclairée de Sa Majesté, assistée du Conseil de la Nation, trouvera celui de faire jouir ses peuples de la portion de bonheur qu'il est en sa puissance de répandre sur eux, et ces peuples reconnaissants béniront le ciel de les avoir fait naître sous le règne d'un second Henri IV.

Fait et rédigé à Brie, le 5 avril 1789, par les fidèles sujets et habitants de la dite paroisse, soussignés.

[Suivent 18 signatures, plus celle du président Trevet].

 

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DÉLIBÉRATION DU GÉNÉRAL ET DES « POSSÉDANTS BIENS », du 2 février 1789.
(Arch. commun. de Rennes, Cart. des Aff. de Bretagne, F).

L'assemblée adhère aux arrêtés pris par les municipalités, corps et communautés de la provinces et particulièrement à celui de la municipalité de la ville de Rennes.

[11 signatures].

(H. E. Sée).

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