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LES ESSAIS DE COLONISATION DE MADAGASCAR ET L'OCCUPATION DE LA RÉUNION (ILE BOURBON)

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On a souvent écrit que la colonie de l'île Bourbon naquit des « débris » de la colonie de Madagascar ; cela n'est pas tout à fait exact. L'île était terre française depuis plus de trente ans et elle possédait depuis six ans un commandant et un embryon d'administration lorsqu'elle recueillit en 1674 les colons échappés au massacre de Fort-Dauphin. Mais avant cette catastrophe, histoire de Bourbon se confond avec celle de la Grande-Ile dont elle était une annexe dédaignée.

Dans ce premier chapitre nous devrons parler surtout de Madagascar et des quelques Bretons qui y furent employés.

Les Portugais, qui reconnurent Madagascar au début du XVIème siècle, ne s'y établirent pas, rebutés sans doute par l'insalubrité du littoral, par la difficulté de pénétrer dans l'intérieur et par la médiocre qualité des esclaves que l'on pouvait trouver. La souveraineté de l'île n'était revendiquée par aucune puissance européenne lorsque les navires le Corbin et le Croissant, de Saint-Malo, firent escale dans la baie de Saint-Augustin, du mois de février au mois de mai 1602. Ces deux bâtiments avaient été armés par une société, au capital de 80.000 écus, formée par des marchands de Saint-Malo, de Vitré et de Laval qui voulaient enlever aux Hollandais le monopole du commerce des épices ; ainsi que l'a écrit un des voyageurs, François Pyrard, ils rêvaient « de sonder le gué, de chercher le chemin des Indes, le monstrer aux Français, bref puiser à la source ». L'histoire de cette expédition est bien connue, grâce aux relations publiées en 1604 et en 1615 par les médecins du Croissant et du Corbin, François Martin, de Vitré, et François Pyrard, de Laval [Note : Voyage de François Pyrard, de Laval, contenant la navigation aux Indes Orientales, Maldives et au Brésil..., Paris, 1611, in-8°, 2 vol, réédité en 1615, 1619, 1679 avec quelques modifications et additions. — Description du premier vayoge faict aux Indes Orientales par les Francais…., par Français Martin, de Vitré. Une première édition parut en 1604 ; les archives d'Ille-et-Vilaine (F. 944) possèdent une copie de la 2ème édition publiée à Paris en 1609 ; ce livre est très rare. Afin d'indemniser Martin des pertes subies pendant le voyage et de lui permettre de publier sa relation, Henri IV lui fit don, le 13 décembre 1604, d'une somme de 1.800 livres à prendre sur le produit des droits payés par les bateaux transportant du blé sur la Vilaine entre Redon et Rennes]. Le livre de ce dernier obtint un grand succès attesté par plusieurs rééditions : succès légitime, car le récit de Pyrard est intéressant et sincère. L'auteur ne laisse pas ignorer une des causes de l'insuccès de l'entreprise, la principale peut-être. Les Malouins étaient de bons matelots, mais à cette époque ils ne possédaient ni la science, ni l'esprit de discipline qui faisaient la valeur des équipages hollandais [Note : On lit dans le voyage de Pyrard : « Je ne vy jamais des mariniers si médians et si vitieux que ces rustres..., la plupart de Saint-Malo, tous parents, cependant toujours en querelle, indociles, blasphémateurs, yvrognes, gourmands, voleurs... Au reste, ils sont très bons soldats et mariniers el capables sur toutes les autres nations des plus hautes entreprises du monde, mais ils ne veulent point obéir et ne peuvent patir de la bouche, ni souffrir aucune correction ». Il cite plusieurs exemples de leur indocilité et de leur ignorance. — Des renseignements presque aussi fâcheux sont donnés sous une forme moins véhémente par Dubuisson-Aubenay dans l'Itinéraire de Bretagne en 1636 (t. I, p. 43). — Cf la relation d'un capitaine hollandais qui fut effrayé par les habitudes d'ivrognerie régnant à bord du Corbin et du Croissant, citée par SOTTAS, Indes Orientales, p, 189]. Michel Frotet de la Bardelière, capitaine du Croissant, et surtout François Grout de Closneuf, capitaine du Corbin, ne savaient pas se faire obéir. Le Corbin fit naufrage aux îles Maldives, le 3 juillet 1601 ; le Croissant put aller jusqu'aux îles Moluques, mais il périt au retour, près des Açores : l'équipage fut sauvé par un navire hollandais qui devint propriétaire, conformément aux usages de la mer, de tout ce qu'il put retirer de la cargaison (21 mai 1603).

Le séjour de trois mois fait à Madagascar en 1602 [Note : Dans la baie de Saint-Augustin ; ils y furent rejoints par un navire hollandais commandé par Guyon Le Fort, fils d'un marchand protestant de Vitré ; les Hollandais et les Français vécurent en très bons termes] n'avait pu permettre aux voyageurs de connaître toutes les ressources de l'île, mais ils constatèrent que les indigènes étaient d'humeur facile et qu'ils cédaient leur bétail en échange de quelques bagatelles. Ils éprouvèrent aussi que des fièvres pestilentielles régnaient aux alentours de la baie de Saint-Augustin. Le voyage des deux navires malouins, tel que le livre de Pyrard l'avait fait connaître, ne fut pas considéré comme un précédent décourageant. Au XVIIème siècle. il fut cité par tous les initiateurs d'entreprises coloniales et commerciales vers l'Inde et l'Extrême-Orient. Le Croissant et le Corbin avaient véritablement sondé le gué et montré le chemin ; on aimait à penser qu'une expédition mieux organisée et mieux commandée obtiendrait des résultats meilleurs. Une vingtaine d'hommes à peine des deux équipages partis en 1601 avaient survécu ; quelques-uns, comme Pyrard, ne revirent leur patrie qu'en 1611. Et cependant, dès 1016, les braves Malouins entreprirent un nouveau voyage vers les îles Moluques ; le Saint-Louis et le Saint-Michel, commandés par Louis Heins et Nicolas Frotet de la Bardelière, ne furent guère plus heureux que les navires de 1601. Des marins malouins restèrent à Bantam où ils établirent un comptoir ; en 1622 ils armèrent un navire qui fit le cabotage entre les îles. Mais on vit se reproduire les incidents qui avaient fait échouer les précédentes tentatives : André Jocet de Limonnay, capitaine de la Petite-Espérance, fut tué par des matelots révoltés ; quelques mois plus tard, en 1623, le navire commandé par un autre Malouin, Guillaume Gautier de la Terrerie, fut pris par les Hollandais qui massacrèrent l'équipage [Note : Charles BRÉARD, Histoire de Pierre Berthelot, pilote et cosmographe du roi de Portugal..., Paris, 1889, in-8°, p. 51-52. - C. DE LA RONCIÈRE, Histoire de la Marine française, Paris, 1910, in – 8°, t. IV, p. 305-306]. Au-delà du cap de Bonne-Espérance la prépondérance du Hollandais était écrasante : des navires ne pouvaient s'aventurer dans ces mers isolément, surtout lorsqu'ils étaient mal commandés. Les armateurs de Saint-Malo ne renoncèrent pas complètement aux voyages dans les Indes et en Chine [Note : Les registres de l'état-civil attestent que quelques indigènes furent amenés dans le port. Le 14 Juillet 1619, un jeune homme natif du Japon fut baptisé à Saint-Malo et nommé Louis. Le 27 août 1620, à Saint-Servan, Jacques Chinois, adulte et nouveau converti, natif de la Chine, épousa Julienne Le Roy, de Normandie ; le même individu est qualifié Moluquais dans son acte de décés le 21 avril 1665. Macé Bouton, « natif de l’isle de Bouton, soubs le royaume de Macacar, pais des Moluques, âgé d'environ douze ans, amené en cette ville par Jan Chevauchart, sieur des Vaux,… depuis cinq mois », fut baptisé à Saint-Malo en grande cérémonie le 22 mars 1636], mais ils consacrèrent plutôt leur activité à la grande pêche de Terre-Neuve, à l'exploitation de la côte de Guinée, et, à partir de 1650 environ, au commerce des Antilles.

Les capitalistes et les colons qui, de 1638 à 1674, prirent intérêt dans des compagnies formées pour la colonisation de Madagascar n'étaient pas des Bretons ; la plupart appartenaient à la Haute-Normandie et à l'Ile-de-France. En 1638, un navire commandé par Salomon Gombert partit de Dieppe avec quelques émigrants pour l'Océan Indien. A vrai dire, ce navire n'était pas destiné à Madagascar, mais à l'île Maurice. Les voyageurs trouvèrent la place prise : les Hollandais occupaient l'île Gombert et ses compagnons se rabattirent sur Madagascar ; chemin faisant, ils prirent possession des îles Rodrigue et Mascarin (Bourbon), mais de façon très rudimentaire, en accrochant les armes du Roi à un arbre et sans laisser d'habitants. Francois Cauche qui a laissé un récit du voyage [Note : Relation au Voyage que François Cauche de Rouen a fait à Madagascar, autrement Saint-Laurent et à la côte d'Afrique..., Paris, 1651, in-4°. Les notes écrites par Cauche furent mises en œuvre par le conseiller C.-B. Morisot, de Dijon], parle avantageusement de Mascarin ou Bourbon ; il se plut aussi à Madagascar ; les indigènes admiraient son adresse à la chasse et son talent à jouer de la flûte. Expulsé par les agents d'une nouvelle compagnie, il arriva au mois de juin 1645 à Camaret d'àù il regagna sa ville natale.

Etienne de Flacourt et Jacques de Pronis servirent avec énergie et talent les intérêts de la Compagnie de l'Orient créée pour la conquête de Madagascar. Mais voulait-on établir une colonie de peuplement ou simplement une solide escale sur la route de l'Inde ? Les ressources de la Compagnie ne permettaient pas de réaliser l'un ou l'autre projet. De plus, les colons, mal recrutés, étaient ingouvernables ; l'histoire de la colonie naissante enregistre à chaque page des mutineries et des désertions. Les colons se dispersaient au milieu des tribus indigènes ; d'autres essayaient de passer en Afrique et surtout dans le riche Hindoustan. L'inconduite el le mépris de l'hygiène aggravaient les dangers du climat ; d'après l'historien des Origines de l'’île Bourbon, quatre mille hommes furent transportés à Madagascar de 1638 à 1674 ; or, à cette dernière date, on ne comptait que 174 colons dans le principal poste de l'île (M.-T. GUET, Les origines de l'île Bourbon, Paris, 1886, in-8°, p. 108).

Quatre fois au moins en 1638, en 1642, en 1643 et en 1649, des Français prirent possession au nom du Roi de l'île Mascarin, nommée à partir de 1649 l'île Bourbon. Dans un chapitre suivant nous reviendrons sur ces prises de possession qui furent à peine suivies d'un commencement d'occupation. Quelques colons indociles ou malades y furent transportés en 1646 et en 1654. Ils s'y trouvèrent mieux qu'à Madagascar et y seraient volontiers restés s'ils n'avaient pas été privés d'épouses.

La Compagnie de l'Orient, toujours à court d'argent, n'aurait pas vécu longtemps si elle n'avait trouvé un protecteur puissant et qui lui procura des ressources dans les ports bretons. Charles de la Porte, duc de la Meilleraye, lieutenant général en Bretagne, exerça dans toute la province une influence presque souveraine depuis 1632 jusqu'à sa mort en 1664 : comme son cousin, le cardinal de Richelieu, il comprenait l'importance de la marine et du commerce maritime ; de plus, il était gouverneur de Port-Louis et, à raison des dépenses faites par son beau-père et par lui-même pour la construction des fortifications, il avait des droits particuliers sur le port et sur la ville ; il voulut en faire ou grand centre commercial. Il prit des intérêts dans les navires armés dans ce port et à Nantes, sa résidence ordinaire. Il inspira, dit-on, la fondation en 1644 de la Société nantaise de la Bourse commune, destinée à favoriser la pêche à Terre-Neuve ; mais le Parlement de Bretagne, toujours mal disposé pour les Compagnies de commerce, combattit la Société nantaise comme il avait combattu en 1626 la Compagnie du Morbihan. La Meilleraye, gros actionnaire de la Compagnie de l'Orient et intéressé dans la Société de la Bourse commune, suivait avec attention les opérations des chefs de la colonie de Madagascar ; il fit employer par la Compagnie quelques officiers de marine d'origine bretonne, comme La Briantais, capitaine du Saint-Georges, et de Goascaer, capitaine de l'Ours qui ramena, le 28 juin 1655, Flacourt à Nantes. A partir de 1655, renseigné peut-être ou encouragé par un de ses officiers, Kergadiou, le maréchal se substitua presque complètement au conseil de la Compagnie. Grâce a lui, quatre navires portant huit cents hommes à Madagascar, partirent de Nantes au mois d'octobre 1656. De ces navires, un seul, la Maréchale, put revenir en France [Note : Une analyse du Journal de la Maréchale conservé à la Bibliothèque Nationale a été donnée par M. Maurice BESSON, Vieux papiers du temps des îles, 2ème série, Paris, 1931, in- 8°, p. 121-127. Les navires s'étaient livrés à des opérations de piraterie fort étrangères à l'objet de leur mission]. La Meilleraye le fit réarmer en 1660, mais il ne parvint pas à destination. « Le rôle de Nantes métropole coloniale était fini », a écrit l'éminent historien de la Marine française [Note : Charles DE LA RONCIÈRE, Histoire de la Marine française, Paris, 1910, in-8°, t. V., p. 320] ; notre puissance coloniale à cette époque était si faible qu'il paraît prématuré de lui assigner une métropole, qui ne saurait être placée à Nantes. Le rôle de la ville se borna à voir affluer les émigrants que des recruteurs peu scrupuleux embauchaient dans toute la France et à voir sortir quelques-uns des vaisseaux qui furent expédiés en Afrique.

L'un de ces émigrants écrivit ses souvenirs [Note : Publiés sous ce titre : Voyage de Madagascar connu aussi sous le nom de l'île de Saint-Laurent, par M. DU V..., commissaire provincial de l'artillerie de France, Paris, 1732, in-18]. Carpeau du Saussay appartenait à un milieu social plus élevé, que la plupart de ses compagnons d'aventure ; page dans la maison de Biron, âgé de quinze ans à peine, il fut enthousiasmé par tout ce que l'on racontait de la nouvelle colonie ; il demanda conseil au maréchal de La Meilleraye qui, bien entendu, l'engagea à partir ; sa famille fut plus difficile à convaincre, mais il finit cependant par obtenir un petit viatique pécuniaire. Bien plus, il fit partager sa résolution à son frère aîné et à quelques jeunes amis qui reçurent quelque argent de leurs parents, ou bien en dérobèrent. La « recrue » partit de Paris le 18 décembre 1662 et gagna Nantes où elle resta cinq mois. Carpeau avoue que tous ces jeunes gens employaient fort mal leur temps, qu'ils hantaient les cabarets et « les maisons que la bienséance ne permet pas de nommer », qu'ils avaient des rixes, parfois suivies de mort d'homme, avec le guet et la milice bourgeoise et que tout le pays était très désireux de les voir partir. La recrue s'augmenta de deux frères, fils d’un honnête bourgeois de Paris, qui mécontent de la conduite de son fils cadet, avait résolu de l'expédier au-delà des mers et avait chargé l'aîné de ménager le départ. Le jeune homme ignorait les projets paternels et, sans défiance, avait accompagné son frère, croyant qu'il faisait à Nantes un banal voyage d'affaires. Un des individus qui s'ingéniait dépouiller les aventuriers de ce qui leur restait d'argent et que le mémorialiste appelle « l'entremetteur », offrit ses bons offices à l'aîné pour le débarrasser de son frère. Muni de la lettre paternelle, il s'aboucha avec Kergadiou, capitaine du Saint-Charles, qui promit de transporter le malheureux jeune homme si on l'amenait à son bord. Cette négociation fut payée par l'aîné d'une gratification de 500 livres. Mais l'entremetteur avait été émerveillé par les bijoux du prodigue : une bague, une montre, une tabatière. Il lui révéla les projets de sa famille et promit de les faire échouer. Par une série de manœuvres qui lui valurent d'être gratifié par le cadet de la tabatière, de la montre et de la bague, il réussit à persuader à l'aîné de visiter le Saint-Charles la veille du jour fixé pour le départ. Quand l'honnête parisien voulut regagner la terre, il se heurta à quatre matelots qui exécutèrent rudement la consigne donnée à l'intention de son frère. En vain demanda-t-il à parler au capitaine : à l'heure toujours grave du départ, Kergadiou avait autre chose à faire qu'à écouter les doléances de ses passagers. On ne s'expliqua que lorsque l'on fut en haute mer : Kergadiou reconnu qu'il avait été trompé, mais il ne put qu'engager l'émigrant malgré lui à subir courageusement l'épreuve. Il revint en France à la première occasion, c'est-à-dire trois ou quatre ans plus tard. Son père, privé du fils qui était la consolation de sa vieillesse, accablé par le retour de l'autre, était mort. Le cadet, bien que formellement déshérité, avait commencé à dilapider l'héritage familial.

Le commandant du Saint-Charles était un des meilleurs officiers de la Compagnie de l'Orient. Les documents le nomment souvent Kercadio, ou Kercadiou, ou La Kercadiou. Il s'appelait exactement Hervé de Kersaint-Gilly, seigneur de Kergadiou. Né à Saint-Pol-de-Léon, le 31 juillet 1612, il était fils de Pierre de Kersaint-Gilly, seigneur de Kersaliou et de Keravel, et de Julienne de la Roche ; par sa mère il descendait de Jean et de Nicolas Coetanlem, corsaires morlaisiens, qui, à la fin du XVème siècle, coururent les mers pour le compte du duc de Bretagne, du roi de France, du duc de Lorraine, du roi de Portugal et le plus souvent pour leur compte personnel. L'aïeul, le père et le frère de Hervé de Kersaint-Gilly se succédèrent pendant un siècle dans le commandement des milices qui défendaient contre les Anglais les côtes du Léon et les villes de Roscoff et de Saint-Pol. L'induction ou analyse des pièces produites par cette famille en 1666 lors de la réformation de la noblesse de Bretagne [Note : L'induction et l'arrêt de maintenue ont été publiés par M. le comte DE ROSMORDUC : Le Noblesse de Bretagne devant la Chambre de la Réformation, 1668-1671, Saint-Brieuc, 1897, in-4°, t. 1er, p. 307-325], attribue à tort à Hervé le rang de chef d'escadre et l'honneur d'avoir fondé la colonie de l’île Bourbon qui existait, mais bien chétive, avant qu'il parut dans les mers indiennes. Sauf ces inexactitudes, l'induction est un document digne de foi. Le seigneur de Kersaliou et Jeanne de la Roche eurent huit garçons et quatre filles ; notre document consacre à la nièce de cette belle lignée un touchant éloge ... « lequel on ne peut mieux terminer que par un des derniers mouvements de cette bonne mère, qui, en l'an 1602, le soixante-quatorzième de son âge, souhaita de se voir encore une fois avant de mourir au milieu de tous ses douze enfants assemblés in circuitu mensae. Mais comme ce n'était pas une curiosité purement du monde et temporelle, elle choisit, la fête de la paroisse de son domicile, y convoqua tous sesdits enfants et dirigea la cérémonie d'une telle manière que ses quatre fils ecclésiastiques, savoir le capucin, le jacobin et les deux prestres [Note : Prigent et François, qui furent successivement recteurs de Cléder ; Jean, capucin, gardien du couvent de Roscoff ; Jacques, dominicain, prieur du couvent de Morlaix, envoyé à Lisbonne pour réformer les maisons de son ordre, fait prisonnier par les Barbaresques, mort, en captivité] dirent leur messe à mesme temps, à quatre autels de ladite paroisse, ses quatre fils séculiers [Note : Rodolphe, seigneur de Kersaliou, capitaine des côtes de Roscoff et paroisses voisines ; Harnon, seigneur de Prathir ; Pierre, seigneur de la Villejégu capitaine dans la cavalerie du duc de la Meilleraye ; Hervé, seigneur de Kergadiou] répondirent chacun la messe de leurs frères, et elle entendit les messes au milieu de ses quatre filles, et pour achever la cérémonie, après ces messes finies, il eut un cousin germain de ses enfants, capucin, qui prêcha dans la paroisse, après quoi elle les emmena tous dans sa maison, les traita, les embrassa, les fit, s'embrasser mutuellement, les exhortant de s'aimer toujours et se protéger les uns les autres fraternellement, ce qu'ils ont observé très religieusement ».

D'après l'Induction, Kergadiou, le marin, « n'avait point voulu contracter mariage, craignant que cet engagement ne l'eut dérobé au service de Sa Majesté à laquelle il avoit consacré sa vie ; ... il s'étoit signalé en plusieurs occasions tout à fait glorieuses ; il avoit enlevé deux corsaires ottomans à deux rencontres différentes, lesquels pilloient les marchands, dont l'un était même plus grand que son propre vaisseau. Il fit merveille au siège d'Alger [Note : Dans l'escadre commandée par Gilles de la Roche, seigneur de Saint-André (Saint-André-de-Treize-Voies, Vendée)], où il fut mandé et prié de commander toutes les galiottes, avec aveu que cet employ étoit indigne de luy ; elles luy furent toutes données après le siège finy.. ».

Sa famille était en relation avec le maréchal de la Meilleraye ; il fut choisi en 1655 pour commander un des quatre navires de la petite escadre qui partit de La Rochelle au mois de novembre pour Madagascar, sous le commandement de M. de la Roche-Saint-André, un ancien chef de l'expédition d'Alger. En 1663, il commanda le Saint-Charles et fit le voyage dont nous avons déjà parlé d'après la relation de Carpeau du Saussay. Le troupeau d'émigrants recruté, à Paris s'était fort éclairci pendant la trop longue attente à Nantes ; cependant le navire transporta quatre-vingts artisans ou soldats qui auraient rendu des services s'ils avaient été bien employés. La traversée, à l'aller et au retour, fut heureuse ; l'académicien Charpentier célébra ce succès dans une Relation que Colbert fit imprimer en 1665 pour intéresser l'opinion publique aux projets de la Royale Compagnie des Indes :

« En ce temps-là, un vaisseau venant de l'île de Madagascar était abordé en Bretagne au Port-Louis. Ce vaisseau qui appartenait au maréchal de La Meilleraye, était parti de la rivière de Nantes le 29 mai 1663 pour aller en cette île, et, après avoir fait heureusement ce voyage, était revenu le 18 mai 1664, n'ayant employé que onze mois et vingt jours depuis son départ jusqu'à son retour. Il était chargé de quantité de cuir, de cire et de bois d'ébène ; il avait apporté aussi quelques pierreries, et, de tous les hommes de l'équipage, il n'en était mort qu'un seul. C'était une heureuse aventure pour la Compagnie des Indes, que de rencontrer des gens qui revenaient du lieu même où elle prétendait s'établir ; et le désir d'en apprendre des nouvelles si fraiches et si certaines fit penser aux syndics qu'il leur importait extrêmement de pouvoir conférer avec quelqu'un d'eux. Le sieur de Quercadiou qui avait commandé ce vaisseau, se rendit à Paris à leur prière. Il leur apprit l'état présent de cette île, des forts et des habitations que nous y avons et l'on conçut de si grandes espérances de l'établissement qu'on y va faire que, sur la proposition qu'on lui fit de prendre parti avec la Compagnie en qualité de capitaine d'un des quatre vaisseaux qu'elle avait armés, il s'y engagea volontiers, et on lui donna la conduite de celui qui avait été acheté à La Rochelle et qui devait être le vice-amiral ». [Note : CHARPENTIER, Relation de l'établissement de la compagnie française pour le commerce des Indes Orientales, Paris, 1665, in-4°, p. 19. — Cette relation fut rééditée en 1666 et en 1668].

A cette époque, 1664, le Roi et Colbert cherchaient à doter la France d'une compagnie de commerce et de colonisation analogue à la Compagnie des Indes d'Amsterdam qui était parvenue à une extraordinaire prospérité et qui était la principale source de la fortune de la Hollande. A la mort du duc de la Meilleraye, ses droits dans la Compagnie de Madagascar passèrent à son fils, Armand de la Porte, duc de Mazarin, qui les céda au Roi, mais le concours de tous les financiers et de tous les capitalistes du royaume était indispensable pour que la Royale Compagnie des Indes fut réellement puissante. On n'aimait guère en France les entreprises hasardeuses et lointaines. Le Roi employa tous les moyens pour faire comprendre à ses sujets l'importance de ses projets ou tout au moins pour faire naître un de ces mouvements de vogue ou de mode qui aboutissent parfois à des résultats utiles. Le Trésor royal fournit, un cinquième du capital social, soit trois millions : cette contribution fut portée en grand apparat à l'hôtel de la Compagnie, escortée par un beau cortège de soldats et de timbaliers. Le Roi vint présider en personne, honneur extraordinaire, les réunions du conseil des directeurs. Malgré tout, le public, ne mit aucun empressement à couvrir les douze millions qui lui étaient offerts. Le gouvernement dut faire une propagande active qui prit rapidement une forme très impérative pour obtenir les souscriptions des riches commercants, des grandes villes, des cours souveraines.

La Bretagne ne pouvait être oubliée. Le 20 mars 1664, Colbert écrivit aux échevins de Nantes pour leur faire part de ses projets ; les échevins ne répondirent rien. Le 13 juin nouvelle lettre plus pressante accompagnant une lettre du Roi : on décida de faire imprimer les statuts de la Compagnie : réponse insuffisante. Après une troisième invitation ou sommation, les échevins durent se résigner à souscrire 200.000 livres, mais comme ils avaient peu de confiance dans la compétence du gouvernement et des financiers parisiens en matière de commerce maritime, ils déléguèrent Jean Ramée de la Hautière, consul des marchands, pour assister aux réunions de Paris et constituèrent une chambre de direction à Nantes. Elle était formée de Jean Lori, Antoine François, François Valleton, Etienne Bureau, Etienne Grilleau et André Boussineau ; les fonctions de secrétaire, de greffier et de teneur de livre étaient remplies par Mathurin Verger, notaire, Jacques Valleton et Guillaume Nidelet [Note : TRAVERS, Histoire de Nantes, t. III, p. 384-388. — Archives de Nantes, HH. 199. — Paul JEULIN, L'Evolution du port de Nantes, Paris, 1929, in – 8°, p. 155].

Le marquis de Coetlogon gouverneur de Rennes, et le marquis de Coetquen, gouverneur de Saint-Malo, reçurent la mission de stimuler leurs administrés. Dans chacune de ces deux villes, on obtint 100.000 livres [Note : Archives de Rennes, liasse 7. — Archives de Saint-Malo, BB, 13. — Quelques villes furent beaucoup plus généreuses ; Lyon souscrivit un million et Rouen 500.000 livres].

Des lettres de cachet des 7 octobre 1664 et 14 janvier 1665 convièrent le Parlement à donner le bon exemple. Le 7 février, la cour résolut de demander quelques modifications aux statuts : les unes tendaient à défendre les intérêts de la province : deux des directeurs de la Compagnie seraient bretons ; d'autres avaient pour but de préserver de tout empiètement les privilèges du Parlement : le Roi n'accorderait aucune extension à la juridiction des tribunaux consulaires ; puis on décida de souscrire 90.000 livres. Le premier président, François d'Argouges, et le président François Loaisel promirent 9.000 livres chacun. Les deux autres présidents et les conseillers se laissèrent taxer à 1.200 livres ; on n'épargna pas les évêques de Nantes et de Rennes qui étaient conseillers-nés du Parlement. Ils furent invités à contribuer pour la même somme de 1.200 livres : les parts des greffiers, des commis-greffiers et des notaires furent naturellement beaucoup moindres : 150 à 200 livres. Les magistrats espéraient qu'ils ne débourseraient pas intégralement les sommes promises et qu'ils feraient seulement un premier versement ; ils avaient si peu de confiance dans le succès de l'entreprise qu'ils demandèrent la permission pour les actionnaires de sortir ou de se retirer de l'affaire, si elle devenait mauvaise, en abandonnant l'argent antérieurement versé. Colbert ne l'entendait pas ainsi ; le 2 mai, on entendit la lecture d'une lettre du Roi exprimant sa satisfaction, mais on reçut le même jour une lettre du ministre demandant d'avancer les termes des versements. Les nouvelles de la Compagnie étaient déjà si mauvaises que tous les conseillers n'obéirent pas et que la cour prit un arrêt portant « renonci » au commerce des Indes. Un brutal arrêt du conseil ordonna aux magistrats de faire honneur à leur signature : le 9 avril 1669, la cour se résigna à ordonner au payeur des gages de verser tout ce qui était encore dû [Note : Archives d'Ille-et-Vilaine, Série B, Registres secrets du Parlement, 7 février et 2 mars 1665, 20 août et 7 novembre 1668, 9 avril 1669, 9 décembre 1675, etc.]. Les hésitations des parlementaires de Rennes étaient très naturelles. En 1669, ils pouvaient avoir des nouvelles de la deuxième expédition envoyée à Madagascar, et ils pouvaient prévoir qu'elle ne donnerait pas de meilleurs résultats que la première faite en 1665.

L'armement de quatre navires fut préparé dans les derniers mois de 1664 ; en même temps on recrutait des volontaires : des artisans, des commis et surtout des gens sans aveu ramassés dans les rues des grandes villes. Loret, dans sa Muse historique, enregistra la départ do Paris pour Le Havre, « au clair son de mainte fanfare », d'un bateau chargé d'une ardente jeunesse qui s'en allait courir les aventures (6 otobre 1664). Les engagés, au nombre de trois cents environ, furent conduits au Havre, à Saint-Malo et à La Rochelle, d'où on les transporta à Brest où se faisait l'armement. Souchu de Rennefort, secrétaire du conseil souverain établi dans l'île et historien du voyage, avoue que l'on fit à Brest un séjour trop long : un tiers des futurs colons disparut. En attendant le départ, les officiers et les agents de la Compagnie voyaient la bonne société de la ville : « Mademoiselle de Keroual y fit briller les charmes naissants de cette beauté qui a fait depuis une illustre conquête ». Louise de Penancoet de Kerouasle, qui devait devenir en 1670 la maîtresse du roi Charles II, était alors une jeune fille de seize ans. Quelques jours avant le départ, on baptisa en grande cérémonie un jeune Malgache que l'escadre allait ramener dans son île natale : l'acte de baptême porte les signatures de plusieurs personnages destinés à jouer un rôle notable dans l'expédition : le capitaine Georges de Boisficel, l'annaliste Souchu de Rennefort, le commissaire général de la Compagnie, Christophe Cadeau [Note : Archives de Brest, état-civil, registre de la paroisse des Sept-Saints, 2 mars 1665].

L'escadre partit enfin le 7 mars 1665. Elle comprenait le Saint-Paul, capitaine Véron, d'Oléron ; le Taureau, capitaine Kergadiou, le seul des officiers peut-être qui connût les mers de l'Inde ; la Vierge-de-Bon-Port, capitaine Truchot de la Chesnaye, de Saint-Malo, et l'Aigle-Blanc, capitaine Chadeau de la Clochetterie, de Saintes. Le voyage se fit sans trop d'encombres, sauf de violents différends à bord de l'Aigle-Blanc où les protestants et les catholiques furent sur le point de se battre. Le Taureau de Kergadiou fit escale à l'île Bourbon ; il y débarqua des malades et Kergadiou prit quelques dispositions pour organiser le groupe de colons, qu'un excellent agent de la Compagnie, Etienne Regnault, essayait de gouverner depuis un an. Au mois de juillet, les quatre navires étaient réunis à Fort-Dauphin, Les émigrants ne trouvèrent pas l'établissement solide et prospère que leur avaient dépeint les embaucheurs de France, mais un pauvre groupe d'une centaine de Français épuisés par la maladie et sans ressources. Les administrateurs venus de France se montrèrent parfaitement incapables et surtout le président du conseil de gouvernement, Pierre de Beausse, vieil alchimiste de 67 ans. Les émigrants, mal préparés par un long voyage à résister à un climat dangereux, moururent en grand nombre des fièvres paludéennes. On essaya vainement d'établir l'organisation indispensable en donnant le grade d'enseigne aux meilleurs d'entre eux ; la première commission fut accordée « au sieur d'Epinay, d'une bonne maison de Bretagne » [Note : En novembre ou décembre 1665 (Souchu de Rennefort, p. 94)] ; il devint peu de temps après procureur général de l'éphémère conseil souverain de Dauphine ; au cours de ce récit, nous aurons plusieurs fois l'occasion de nommer ses descendants.

Kergadiou, qui paraît avoir été homme de bon conseil, essaya de concilier les anciens officiers de Fort-Dauphin et ceux qui venaient d'être investis par la Compagnie des Indes, mais il succomba lui aussi au terrible climat de Fort-Dauphin. Souchu de Rennefori, qui avait pu apprécier ses mérites et les services rendus à la colonie, lui a consacré cette espèce d'oraison funèbre : « Le 2 février 1666, le capitaine de Kergadiou passa, âge de cinquante-cinq ans, de cette vie pleine de trouble et d'inquiétude, au repos que l'homme ne peut trouver qu'en la mort. Il était Breton gentilhomme d'extraction et l'a été tant qu'il a vécu en toutes ses actions. Les travaux de ce capitaine méritent un docte peintre et si la France veut donner des lauriers à ceux qui vont porter la bravoure en des contrées si éloignées, elle ne doit pas en être avare à cet illustre voyageur et lui faire justice de garder sa mémoire aussi longtemps que le bronze pourra retenir les paroles qu'il mérite que l'on y grave en son honneur » (Histoire des Indes Orientales, p. 104-105). Le bronze ne commémorera sans doute jamais la bravoure du capitaine breton : un hommage cependant a été rendit à sa mémoire en 1907 par le Gouverneur Général de Madagascar qui a donné à une rue de Fort-Dauphin le nom de rue Hervé-de-Kersanti-Gilly.

Des quatre navires armés à Brest en 1665, un seul était en état de reprendre la mer l'année suivante. La Vierge-de-Bon-Port partit de Fort-Dauphin le 22 février 1666, commandée, comme au voyage d'aller, par Nicolas Truchot de la Chesnaye. Cet officier était né à Saint-Malo le 28 février 1631, fils de Guillaume Truchot, sieur de la Chesnais, et de Anne Questin. Les Truchot, de vieille souche malouine, étaient qualifiés sieurs de la Toutenais, de Bellegrange, des Forgettes, de la Chesnais. Le père du capitaine de la Vierge-de-Bon-Port mourut en mer en 1640 ; un de ses oncles, Thomas Truchot de la Bellegrange, devint capitaine de l'armée navale, ainsi que l'un de ses cousins, Jean Truchot des Forgettes. Les Questin étaient venus d'Irlande : on trouve des réfugiés irlandais dans la généalogie des meilleurs marins malouins. Nicolas Truchot, le commandant de la Vierge-de-Bon-Port, avait épousé en 1661 Jeanne Trublet qui lui avait donné deux enfants, Nicolas et Joseph [Note : Archives d’Ille-et-Vilaine, Série B, Registre d'audience de la juridiction de Saint-Malo au 1er octobre 1666 : tutelle des enfants de Nicolas Truchot. PARIS-JALLOBERT, Anciens registres paroissiaux de Bretagne, Saint-Malo. — D'après cet auteur, Nicolas Truchot aurait épousé en deuxièmes noces Julienne Maingard ; l'erreur est certaine car la tutelle fut constituée à la requête de Jeanne Trublet, mère des deux enfants. — Nous citerons bien des fois l'inventaire des registres anciens de l'état-civil Saint-Malo, publié par M. Paris-Jallobert, ainsi que les inventaires des registres de Saint-Servan et des communes voisines, rédigés par le même érudit. Les registres paroissiaux de Saint-Malo remontent, non sans quelques lacunes, à l'annés 1458 : peu de villes de France possèdent une collection aussi ancienne et aussi intéressante]. C'était un excellent marin ; grâce, sans doute, à la discipline et à l'ordre qui régnaient à son bord, il ne perdit qu'un seul marin depuis le départ de Brest, le 7 mars 1665, jusqu'au jour fatal du 9 juillet 1666. Quelques-uns de ses officiers, notamment La Pouparderie et Petit de la Lande dont nous aurons à enregistrer la mort héroïque, étaient ses compatriotes. Le navire portait une cargaison, évaluée un million, formée des denrées emmagasinées à Fort-Dauphin depuis deux ou trois ans et de marchandises plus précieuses provenant des Indes. On emportait aussi pour le déposer dans la sépulture familiale le cœur du vieux président de Beausse, mort le 14 décembre 1665. Souchu de Rennefort, passager à bord de la Vierge, a relaté tous les incidents du voyage, qui fut d'abord très heureux. Pendant une relâche à Sainte-Hélène, l’équipage fut cordialement accueilli par les Anglais : on but force rasades à la santé du roi Louis et du roi Charles.

A l'entrée de la Manche, la mer devint si mauvaise que les matelots exigèrent que l'on jetât à la mer le cœur du vieux Monsieur de Beausse, car la présence d'un cadavre, ou même d'une portion de cadavre, à bord d'un navire passait pour être néfaste. La mer se calma et quelques jours plus tard, le 9 juillet 1666, le pilote signala une côte qu'il dit être celle de la Hève. Dans un récit bien mené et pathétique, Rennefort a décrit la courte joie qui éclata à bord. On repeignit en hâte le navire ; on arbora des bannières et des banderoles ; on fit avec d'éclatantes étoffes des Indes des vêtements pour les douze matelots qui monteraient la barque à bord de laquelle les officiers iraient, comme en triomphe, présenter aux magistrats du Havre le rapport sur la traversée. Mais une frégate venait à la rencontre du navire ; le capitaine la laissa approcher sans défiance et à ses questions, répondit que le navire était français, de Saint-Malo, et venait de Madagascar. Aussitôt, de la frégate, cinquante voix crièrent : « Amène pour le Roi d'Angleterre ». On apprit ainsi que la guerre était déclarée — depuis le 26 janvier 1666. La Vierge-de-Bon-Port avait soixante-onze hommes d'équipage ; les Anglais étaient plus nombreux et mieux armés. La Vierge, fatiguée par son long voyage, alourdie par des goëmons, obéissait lentement au gouvernail ; le capitaine, qui ne prévoyait pas combat, n'avait rien fait pour s'y préparer et n'avait même pas assigné les rôles qui revenaient à chacun. Cependant tout le monde se battit admirablement : « ... Le nommé Petit de la Lande ayant une jambe et un bras rompus et trois clous dans une épaule, vouloit qu'on le plantast sur les haubans pour achever de vivre, combattant les armes à la main qui lui restoit... Le sr de la Pouparderie, jeune officier qui estoit ravy de l'occasion de montrer son courage, fit tout ce qu'on pouvait attendre d'un homme de résolution, se portant partout où se marquoit de la faiblesse ou de la lenteur. Il pointoit presque tous les canons et y mettoit le feu. Un boulet ennemy passé par un sabord le prit sous le bras qu'il avoit levé, soufflant une mèche dont il voulloit allumer une amorce et éteignit sa vie et sa valeur » [Note : Trois familles de Saint-Malo étaient qualifiées à cette époque « sieurs de Pouparderie », du nom de villages situés à Saint-Servan et à Saint-Jonan : nous ne savons si le lieutenant de la Vierge-de-Bon-Port était un Morin ou un Porée ou un Vincent. — Il existait deux branches de la famille Petit de la Lande ; le marin de la Vierge pouvait être un fils de Louis Petit et de Perrine Anne, ou de Jean Petit et de Julienne Collin]. Le navire essayait de se rapprocher de la côte pour se mettre sous la protection des forts de la Hève, mais on entendit soudain le pilote s'écrier qu'il s'était trompé et que la côte voisine n'était pas la Hève, mais Guernesey. Découragés, les matelots laissèrent tomber leurs armes et écoutèrent l'ennemi qui promettait bon quartier. Les Anglais reçurent à bord de l'Orange les officiers vaincus avec une courtoisie rare. Pendant que l'équipage français commençait à passer sur la frégate, des Anglais se précipitèrent sur la prise, vraisemblablement pour la piller, mais la Vierge-de-Bon-Port, trop éprouvée par le combat, ne survécut pas à sa défaite : elle sombra avec les cent vingt hommes, français et anglais, qui se trouvaient à bord (9 juillet 1666) ; la frégate débarqua à Guernesey quarante prisonniers : Truchot de la Chesnaye fut conduit en Angleterre et mourut peu de temps après [Note : SOUCHU DE RENNEFORT, Histoire des Indes… p. 152-162. - D'après cet autour, on soupçonna le pilote d'avoir commis une erreur volontaire, de complicité avec des passagers et des officiers qui, ignorant l'état de guerre, voulaient débarquer à Guernesey des marchandises qu'ils avaient détournées de la cargaison.
25. Un intéressant exposé sommaire de l'histoire des armements de la Compagnie des Indes a été donné par J. SOTTAS, Histoire de la Compagnie rayale des Indes Orientales, 1664-1719, Paris, 1905, in-8°].

Les premières nouvelles reçues de la colonie ne découragèrent pas Colbert qui pressa l'armement de dix navires [Note : Un intéressant exposé sommaire de l'histoire des armements de la Compagnie des Indes a été donné par J. SOTTAS, Histoire de la Compagnie rayale des Indes Orientales, 1664-1719, Paris, 1905, in-8°] ; cette escadre, partie de La Rochelle le 14 mars 1666, débarqua à Fort-Dauphin, un an plus tard, des marins et des émigrants également épuisés par cette longue navigation ; le nouveau gouverneur des « îles Dauphine et Bourbon », François de Lopès, marquis de Mondevergue, obtint cependant quelques heureux résultats. Accusé à tort de désordre ou de dilapidations, il fut rappelé et arrêté à son arrivée à Port-Louis, le 22 juillet 1671 ; il mourut quelques mois plus tard au château de Saumur. La Compagnie continua à expédier deux ou trois navires chaque année et elle mit à la mer, en 1670, une belle escadre. Le Roi avait décidé que la colonisation de l'île Dauphine passerait avant le commerce des Indes ; cependant l'amiral Jacob Blanquet de la Haye reçut l'ordre d'aller faire des démonstrations guerrières sur les côtes de l'Hindoustan. La Haye, ancien officier de cavalerie, fort ignorant des choses de la mer, fut mal secondé par des auxiliaires peu sûrs. Il échoua dans une tentative d'établissement à Ceylan et il ne fut pas plus heureux à Madagascar. En 1674, il en était à conseiller l'abandon de cette île au profit de Bourbon qui deviendrait l'escale française sur la route de l'Inde.

Depuis 1665, le gouvernement et la compagnie avaient envoyé à Madagascar 1.500 émigrants environ ; beaucoup d'autres étaient passés à bord de vingt-trois ou vingt-quatre navires expédiés isolément [Note : Les Bretons ne paraissent pas avoir été très nombreux parmi les émigrants. Le 8 octobre 1671, un service fut célébré en l'église de Saint-Servan pour Bertrand Chartier, « mort au voyage des Indes, de Perse et de Fort-Dauphin » (Archives de Saint-Servan, état-civil, GG. 11)]. Jamais peut-être le gouvernement de l'ancien régime ne fit un effort aussi considérable pour établir une « colonie de peuplement ». Cependant, en 1674, on ne comptait qu'une centaine de Français ; tous les autres malheureux qu'avait entraîné la propagande organisée par Colbert avaient succombé aux fatigues des traversées ou aux rigueurs du climat ; d'autres étaient allés chercher fortune chez les indigènes et avaient adopté leur genre de vie et leurs mœurs. Ce n'est pas que les colons introduits dans l'île fussent tous des indésirables rejetés par la mère patrie : on trouvait parmi eux un certain nombre de cadets de bonnes familles des provinces de l'Ouest, comme l'enseigne d'Epinay ; d'autres étaient de courageux « aventuriers », au sens ancien et honorable du mot, comme le parisien François Martin, qui devait fonder quelques années plus tard Pondichéry et établir la puissance française dans l'Hindoustan [Note : Paul KAEPPELIN, La Compagnie des Indes Orientales et François Martin, Paris, 1908, in-8°. — Ce Martin n'avait rien de commun avec François Martin, de Vitré, l'historien du voyage du Croissant en 1601-1603]. Des hommes instruits se trouvaient à bord des navires ainsi que l'attestent les relations écrites par Souchu de Rennefort, Dellon, du Bois, Bellenger de l'Espinay, Carpeau du Saussay qui prirent part à des titres divers aux expéditions envoyées de France de 1663 à 1671 [Note : Sur tous ces auteurs, on trouvera des renseignements biographiques et bibliographiques dans Les Sources de l'Histoire de France, XVIIème siècle, t. I, Géographie et histoire générales, Paris, 1913, in-8°, nos 486, 489, 501 à 505]. Malheureusement, les chefs envoyés pour organiser ou gouverner la colonie furent choisis sans discernement : leurs erreurs ou leurs discordes firent échouer le grand projet de Louis XIV.

Les cargaisons formées à Madagascar ou recueillies aux Indes étaient ramenées à Port-Louis : le port étant devenu insuffisant, une déclaration royale du mois de mai 1666 autorisa la Compagnie à « faire son établissement auxdits lieux du Port-Louis, de Feaudick (Faouédic) et autres des environs le long des rivières de Hennebont et de Pont-Scorff ». Cet acte est l'origine de la ville de l'Orient qui, subordonnée officiellement à Port-Louis, devint plus tard une ville autonome. La fondation de Lorient en 1666 et celle de Pondichéry en 1673 doivent être comptées parmi les résultats les plus importants, mais imprévus, de l'activité de la Compagnie des Indes.

Les capitaines qui revenaient en France n'y introduisirent pas que des cargaisons ; ils avaient souvent la cruelle fantaisie de ramener, en même temps que des animaux exotiques, quelques jeunes indigènes. Généralement ces malheureux succombaient aussi vite au climat et à l’hiver français que nos compatriotes expédiés sur le littoral de Madagascar. Quelques-uns cependant survécurent pendant quelques années : on ne trouve d'autre trace de leur existence que les actes de baptême inscrits sur les registres de catholicité. Le 22 août 1665, le recteur de Plœmeur baptisa « un maure natif de Madagascar » venu dans un vaisseau commandé par Kersaint-Gilly de Kergadiou ; un nègre amené de la même île sur le navire de M. Geston fut baptisé à Port-Louis, le 8 juin 1669,; le 21 septembre 1671, à la cathédrale de Quimper, le sénéchal Bernard Croueze fut parrain de Corentin Bernard, lequel déclara... « qu'il ne peut bonnement dire le nom de son père et sa mère... attendu qu'il est de Madagascar, pays estranger et fort éloigné et qu'il est venu en Franco fort jeune, en sorte qu'il a mesme oublié sa langue maternelle ». L'année suivante, à Ingrandes, Esprit Garnier qui avait ramené de Madagascar plusieurs nègres et maures, fit baptiser, le 17 janvier, une petite fille « Souzemanne du canton de Maranzabat » [Note : Registres d'état-civil des Archives communales de Plœmeur, Port-Louis, Quimper et Ingrandes ; les registres de cette dernière commune mentionnent en 1658 la sépulture d'individus embauchés pour Madagascar et qui moururent dans les prisons où on les avait enfermés]. Un des nombreux rois de l'île avait remis ses quatre fils en otage ; plus tard, il manqua à la foi jurée. Deux de ses enfants emmenés en France vivaient encore en 1677. Armand de la Porte, duc de la Meilleraye et de Mazarin, montra à leur égard de rares sentiments de justice et d'humanité : il prit l'un des malgaches auprès de lui et remit pour l'entretien de l'autre 6.000 livres à l'hôtel-Dieu de Paris, à charge d'assurer jusqu'à sa mort les besoins de l'exilé [Note : Registre des délibérations de l'Hôtel-Dieu d'après l'Inventaire sommaire, publié en 1884, t. II, article 6426].

La Compagnie des Indes, qui prétendait établir une population française dans lîle Dauphine, avait commis un étonnant oubli : elle avait fait passer des centaines d'émigrants, mais elle avait presque complètement négligé d'envoyer des femmes. Les colons toutefois ne furent pas condamnés à un célibat rigoureux, car les femmes de l’île étaient de mœurs faciles et leurs parents témoignaient une complaisance inépuisable autant qu'intéressée, mais les unions ainsi contractées étaient scandaleusement contraires au dessein d'apostolat religieux et social proclamé par le Roi dans l'acte de fondation de la Compagnie des Indes. En 1673, l'administration se préoccupa tardivement de procurer aux émigrés des épouses de leur race, mais l'essai fut modeste et destiné à Bourbon plutôt qu'à Madagascar. Seize jeunes filles retirées de la maison de la Pitié de Paris furent embarquées à La Rochelle sur la Dunkerquoise, mais le capitaine Beauregard avait aussi embarqué une pacotille de poudre et d'eau-de-vie. Il alla la vendre à Fort-Dauphin au lieu de se rendre à Bourbon, ainsi qu'il lui avait été prescrit. L'arrivée de la Dunkerquoise donna lieu à des incidents graves qui se terminèrent par une catastrophe. Plusieurs des jeunes filles descendirent à terre ; elles étaient de gouvernement difficile et très pressées de remplir la mission qui leur avait été donnée. Elles obsédaient de leurs supplications le commandant La Bretèche et les missionnaires ; plusieurs habitants demandaient à les épouser. Le commandant finit par autoriser cinq mariages, sauf à expédier les couples à Bourbon si le roi l'exigeait ; d'autres mariages furent annoncés.

La nouvelle que, conformément à l'avis de l'amiral de La Haye, la colonie de Fort-Dauphin serait transportée à l'île Bourbon, avait mécontenté les indigènes qui tiraient profit de la présence des Français ; les femmes furent plus vivement irritées lorsqu'elles apprirent l'arrivée de ces filles de France qui allaient leur enlever leurs amants. D'après une tradition ancienne et vraisemblable, ce furent elles qui ourdirent un complot avec les guerriers des tribus voisines : n'espérant plus conserver des époux qu'elles aimaient peut-être, elles résolurent de les faire périr en même temps que leurs nouvelles compagnes. Le 27 août 1674, une grande partie de la population française de Fort-Dauphin fut massacrée. Soixante-quinze habitants, dont douze des jeunes Parisiennes, parvinrent à échapper et furent recueillis par le navire le Blanpignon, capitaine Baron. Au lieu de se diriger vers Bourbon, ce navire alla à Mozambique, puis à d'autres ports de la côte d'Afrique. A chacune de ses escales, il perdit des passagères, cinq à Mozambique, trois dans les ports voisins, quelques autres dans l'Hindoustan : les européennes étaient rares dans les comptoirs occupés par les Portugais, les Espagnols et les Hollandais, et les Parisiennes jouissaient d'un tel prestige que le commandant La Bretèche et le capitaine Baron ne purent conserver au complet leur petit troupeau. Les survivants de Fort-Dauphin, n'arrivèrent à l'île Bourbon qu'en 1675 et 1676 ; ils n'étaient plus que vingt-cinq dont deux Bretons : Noël Texier, d'Elven, et Jean Perrot, du Croisic. Des seize fiancées embarquées à La Rochelle, Nicole Coullon et Françoise Chatelain furent les seules qui parvinrent en terre française. Leur descendance, très nombreuse, est représentée par les meilleures familles de la Réunion et de Maurice. A Fort-Dauphin, la bénédiction nuptiale avait été donnée à Françoise Chatelain et à Jacques Lièvre, enseigne de la Compagnie, mais l'époux fut massacré avant la consommation du mariage. A l'île Bourbon, Françoise fut mariée effectivement ; elle le fut même trois fois et de ses trois maris elle eut dix enfants. Au XVIIIème siècle, une de ses arrière-petites-filles fut la mère du poète Parny ; au XIXème siècle, une autre de ses descendantes épousa un jeune médecin venu de Dinan et devint mère, le 22 octobre 1818, de l'enfant qui devait devenir la grande gloire littéraire de l'île Bourbon : Leconte de Lisle [Note : GUET, Origines de l'île Bourbon, p. 116. - CAZAMIAN, La colonisation de l'île Bourbon et les ancêtres de Leconte de Lisle, dans la Revue Bleue, 16 mars 1929, p. 175-179].

(H. Bourde de la Rogerie).

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