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LES SAINTS GUÉRISSEURS ET LES PÈLERINAGES EN ARMORIQUE.

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I. - La santé en Armorique par le surnaturel. — II. La lèpre, le feu de Saint-Antoine, le mal de Saint-Georges, le mal de Saint-Laurent. — III. Les maux de tête et la folie. — IV. Les maladies des femmes et des enfants. — V. La rage et l'épilepsie. — VI. La fièvre. — VII. Les maux de gorge. — VIII. Les rhumatismes, la goutte et la paralysie. — IX. Les ophtalmies et la cécité. — X. La surdité. — XI. La peste et les plaies. — XII. Les protecteurs des animaux domestiques.

I. — LA SANTÉ EN ARMORIQUE PAR LE SURNATUREL.

L'histoire de l'Armorique commence à sortir de l'obscurité, ses mégalithes sont moins mystérieux, les émigrants qui ont peuplé ses campagnes au Vème siècle ont livré. le secret de leur langue et de leur nationalité, un jurisconsulte, M. Jobbé-Duval, vient de démêler quelles furent les idées primitives ce peuple. Peut-être le moment est-il venu d'ajouter une autre enquête sur la vie religieuse des Bretons du continent : on peut se demander si ceux-ci, à travers les multiples manifestations de leur piété naïve ou superstitieuse, ont agi ou s'ils agissent encore aujourd'hui sous l'influence des croyances chrétiennes ou bien sous l'impression d'un vieux code païen et celtique.

Déracinés de leur pays d'origine et transplantés en Gaule par des guides qui exerçaient sur eux un double pouvoir politique et moral, ces émigrants ont sauvegardé leur nationalité, en restant profondément attachés à leur credo, aux abbés et aux évêques qui les accompagnaient. Leurs prêtres sont devenus à leurs yeux des sages, c'est-à-dire une élite capable de défendre tous leurs intérêts spirituels et temporels. Le titre de recteur, que le paroissien donne à son curé de temps immémorial, exprime nettement la double autorité exercée par le clergé, dès le début, pendant la prise de possession de leur nouvelle patrie. L'occupation des régions de l'Armorique, les divisions du sol, les nomenclatures portent l'empreinte ecclésiastique. A chaque carrefour, un calvaire, pour chaque tribu, une chapelle particulière. Aucun peuple n'a bâti autant d'édifices de piété, érigé plus de statues, de calvaires et d'autels ; il a sanctifié les fontaines [Note : Le culte des fontaines chez les Bretons armoricains. (Bull. de la Soc. arch. du Finistère, t. XXV, 1899, p. 202 et suiv.)] et fait de ses prêtres des thaumaturges.

L'habitant de la Petite-Bretagne avait une haute idée de la puissance des amis de Dieu, il n'éprouvait pas de peine à solliciter les faveurs les plus importantes du premier saint qui s'offrait sur son chemin ; son embarras ne commençait que le jour où il lui fallait s'assurer de son consentement. De ce personnel médical son imagination avait fait plusieurs classes : certains personnages avaient une compétence très étendue [Note : Il y avait autrefois, à la Martyre, une fontaine dont les eaux avaient la vertu de guérir toutes sortes de maladies. Le trop grand nombre de pèlerins força les habitants à la couvrir. (Ibidem, an. 1909, p. 40)] ; d'autres se bornaient à une spécialité ; ceux-là, enfin, étaient invoqués à la dernière extrémité : on leur demandait résolument de « sauver le malade par la vie ou par la mort ».

L'Eglise bretonne n'a pas été une église fermée; bien des saints latins, francs ou germains, y furent priés d'exercer leur puissance médicale surnaturelle. Citons servais de Tongres, saint Hubert des Ardennes, Colomban de Luxeuil, saint Eloi de Noyon, saint Gilles de Nîmes, saint Symphorien d'Autun, saint Sébastien et saint Laurent, martyrs romains. C'est encore un fait établi que les malades de l'Armorique n'hésitaient pas à entreprendre de longs voyages pour recouvrer la santé. Un vieux dicton de la Basse-Bretagne est demeuré vrai de nos jours : Le saint le plus éloigné, Le saint le plus aimé.

Les Bretons avaient l'humeur vagabonde ; ils ont circulé sur les routes qui conduisaient à Rome ; à Saint-Jacques de Compostelle, à Jérusalem. Aucune distance ne les décourageait. Témoin ceux qui se rendaient en Hollande, jusqu'à Maëstricht [Note : Leur itinéraire par l'Ille-de-France est marqué par une route ancienne nommée « chemin de Bretagne » (Le Blond, Topographie romaine de Beauvais, dans le Bull. arch. du ministère de l'Instruction publique, 1915, p. 3-39)] au tombeau de saint Servais, à qui l'on avait fait la réputation de guérir la fièvre, la peste et la peur de la mort. En Bretagne, on lui attribuait encore d'autres mérites, car le Livre des Miracles [Note : Le Livre des Miracles est publié au 13 mai, par les Bollandistes, Acta Sanctorum] fait mention de deux marins bas-bretons qui l'ayant invoqué sur mer pendant un orage, lui portèrent une offrande de deux saluts d'or (1469). On partait avec femme et enfants pour ce grand voyage, en utilisant les nombreuses aumôneries ouvertes sur le parcours. En témoigne le registre de Guérande où l'on a relaté, sous l'année 1607, le baptême d'un enfant appartenant à des étrangers de passage « qui revenaient de Saint-Servais, en Allemagne » (Arch. mun. de Guérande, série GG, an. 1607) .

La dévotion à saint Servais s'est Modifiée en Bretagne sans toutefois se confondre avec celle de saint Servan [Note : La Borderie, Saint Servan et saint Servais. Questions hagiographiques, 1894]. Les deux ont existé concurremment sans se faire tort, avec des chapelles distinctes qui sont nombreuses pour saint Servais que le peuple appelle Gourvest et Gelvest. Il est honoré surtout dans les paroisses d'Escoublac, de Plumergat, de Langoëlan, de Laneuffret et de Pontscorff, non plus comme guérisseur mais comme protecteur de l'agriculture. Ce changement de rôle s'explique aisément si l'on considère la place qu'il occupe dans le calendrier. Sa fête tombe le 13 mai, c'est-à-dire à l'époque des gelées tardives ; il mérite alors le nom de saint de glace comme saint Mamert et saint Pancrace, d'où l’intérêt de l'invoquer d'une façon spéciale pour détourner sa colère. Je me sers à dessein de ces expressions, car le peuple prête volontiers aux habitants du Ciel les défauts des humains.

Je ne sais pourquoi les Bretons célébraient la fête de saint Servais par des scènes violentes et des combats pendant lesquels les bannières étaient arrachées et déchirées, les statues et les croix brisées [Note : Aug. Prost, Saint Servais. Mém. de la Soc. des antiquaires de France, nouv. série, t. IV, 1890, p. 114]. L'évêque de Quimper condamna ces luttes en 1766 ; à Saint-Brieuc, la mort d'un homme obligea l'évêque, en 1855, à prononcer une interdiction contre ces usages barbares (Le Bras, Théâtre celtique, p. 223). La scène de l'église n'était pas moins grotesque quand on voyait les femmes elles-mêmes surélever leur coiffe jusqu'à la hauteur de la statue du saint pour la lui faire baiser [Note : Le pardon de Saint-Meen, à Plonmoguer, donnait lieu chaque année à de tels désordres que le recteur fut obligé de le supprimer. (Bull. de la Soc. arch. du Finistère, 1909, p. 50)]. Ces fêtes mettaient en mouvement une foule de 16 à 17,000 personnes des diocèses de Tréguier, de Quimper et de Vannes. Ceux qui voyageaient pieds nus n'étaient pas rares.

Nos pères aimaient les entreprises de longue haleine, c'était pour eux l'occasion de marcher en groupes et de montrer leur endurance. Ceux qui n'étaient pas capables d'aller à l'étranger, avaient inventé le pèlerinage des sept saints, voyage breton, pour honorer la mémoire des premiers évêques qui d'outre-mer vinrent évangéliser l'Armorique. Ce pèlerinage s'appelait le « Tour breton », Tro-Breiz et ces apôtres vénérés sont connus : ils se nomment Corentin, Samson, Tugdual, Brieuc, Patern, Malo et Pol [Note : Les Gascons, eux aussi, possédaient une égale collection de saints régionaux, qu'ils appelaient les sept saints d'Aquitaine par imitation des Sept Dormants d'Ephèse. Cet attachement mystique au chiffre sept rappelle le récit de l'Apocalypse où saint Jean rapporte la vision de sept Esprits devant le trône de l'Agneau. — Voir abbé Sabatier, Les sept saints d'Aquitaine, Bordeaux, 1866]. L'itinéraire était jalonné par des chapelles et des aumôneries dont le souvenir est conservé dans les paroisses de Vieux-Marché, d'Iffiniac., d'Erquy et même à Brest, où la chapelle des sept saints a subsisté jusqu'en 1844. Un auteur assure qu'au XIVème siècle l'église de Saint-Patern de Vannes fut visitée par 3,500 pèlerins. Cette affluence s'explique ; la valeur religieuse du Tro Breiz était cotée aussi haut que les voyages de Rome, de Compostelle et de Jérusalem [Note : Trévedy, Bull. de l'Association bretonne, an. 1897; Bull. de la Soc. arch. du Finistere, 1896, p. 203-234. — Luco, Bull. de la Soc. polymathique du, Morbihan, 1874].

En dehors des saints principaux que je viens de citer, la vénération publique s'attachait à d'autres personnages qu'on distinguait de la liste des saints de la Gaule par des privilèges particuliers, par des oratoires et des franchises. Les vrais saints bretons étaient l'objet, au jour de leur anniversaire, non seulement de la messe et de l’assemblée dite pardon, mais encore d'une procession autour de la paroisse qu'ont appelait Leo Dro, en français, le tour de la lieue. Le parcours n'était pas sur les frontières même de la paroisse, mais tracé à travers les haies et les fossés de façon à lui donner une lieue de longueur [Note : Guillotin de Corson, Mélanges historiques, 2ème série, p. 298. Le privilège du Minihy ou du lieu d'asile a été supprimé par le pape Pie II (Ant. Dupuy. Hist. de la réunion de la Bretagne de la France, 1880, t. I, p. 23)]. Les jeux, les luttes, les pardons, les foires qui accompagnent ces anniversaires, ont lieu dans un terrain voisin d'une chapelle, le saint fêté doit être le témoin des actions des fidèles et de leur acharnement à défendre la bannière paroissiale, même au prix de la vie, comme s'ils voulaient, en toute occasion, affirmer la solidité de leur foi religieuse.

La familiarité est aussi une des marques distinctives de la dévotion bretonne. Arrivés au pied de la statue qu'ils désirent honorer, les pèlerins d'un pardon habillent le héros de la fête à leur convenance, ils l'embrassent, ils le coiffent et le débarbouillent. A Gouezec, on pique des épingles dans sa ceinture, ailleurs, c'est au bas de la robe. Toutes ces pratiques sont destinées, suivant les cas, à flatter le personnage céleste ou à fléchir son courroux.

Dans le Finistère, les femmes du Cap Sizun honorent saint They de prévenances et de soins, afin de le disposer favorablement à l'égard des malades. La statue du saint est descendue de son piédestal, lavée, frottée à la fontaine et séchée au soleil, et, quand elle est replacée, les mariées apportent les rubans et les fleurs de leur costume qui peuvent rehausser la robe de saint They. Pendant le pardon qui dure trois jours, les pèlerins des deux sexes s'approchent de la statue et de la fontaine, font toutes sortes de révérences et attachent une grande importance aux ablutions corporelles. Il a fallu, dans beaucoup de paroisses, en modifier la procédure pour éviter les inconvenances. Il est entendu, aujourd'hui, qu'on peut satisfaire le saint en se bornant à plonger ses bras dans la piscine et à introduire l'eau sur sa poitrine en se servant des manches du vêtement comme d'un canal. Des matrones, munies de vases; se tiennent à la fontaine pour aider les pèlerins dans leurs dévotions (Bull. de le Soc. arch. du Finistère, 1903, p. 200).

Faut-il voir dans ces scènes, assez fréquentes, des restes de coutumes celtiques de purification ? Je ne le pense pas. Des cerveaux chrétiens, habitués aux cérémonies du baptême, devaient, naturellement, penser que les solliciteurs les plus favorisés seraient ceux qui se présenteraient devant les saints exempts de toute souillure corporelle et morale. Partant de ce principe, on conçoit que le culte des sources et des fontaines soit devenu populaire dans un pays religieux où les récits de l'Évangile montraient sans cesse le Christ opérant des prodiges avec le secours de l'eau. La piscine de Siloë ne recevait-elle pas la visite des lépreux, que ses eaux bienfaisantes guérissaient ? En Armorique aussi, beaucoup de scènes religieuses se passaient près des fontaines : chaque saint guérisseur avait la sienne propre, dont l'entretien était regardé comme une action méritoire. Les malades et les pèlerins croyaient le toucher plus profondément en lui promettant de vider plusieurs fois le bassin qui servait de réservoir. Quand le saint demeurait sourd, on avait recours à une neuvaine de prières ; on faisait plusieurs fois le tour extérieur de sa chapelle. L'intercession du malade prenait parfois la forme d'un marchandage. Le saint invoqué était mis par des moyens très pressants et une sorte d'intimidation, en demeure d'agir. Car on lui rappelait que sa fontaine n'était pas à lui complètement, qu'elle était aussi la propriété des fidèles qui l'avaient abritée dans l'enceinte sacrée.

Nombre de pèlerins croient que le Ciel a départi à quelques bienheureux, le privilège d'aller au secours des cas désespérés. En Basse-Bretagne, quand une maladie ou une agonie se prolongent trop longtemps, on espère obtenir la délivrance rapide du patient en s'adressant à saint Diboine, à saint Alexis, parfois à saint Sébastien. Tu Pé Du « D'un côté ou de l'autre », autrement dit « la vie ou la mort », telle est l'alternative formulée [Note : Sébillot, La petite légende dorée, p. 60. D'après Le Goffic, il faut ajouter à cette liste saint Mathurin pour le pays de Fouesnant, saint Guénolé et saint Languis (L'âme bretonne, 1ère série, p. 61). Dans l'ancien diocèse du Mans, à Evron, on priait sainte Anne pour la délivrance rapide des malades (Paul Sébillot, Le Folklore de la France, t. IV, p. 157)].

Dans les paroisses de la Faute-Bretagne cette supplication est adressée par l'intermédiaire d'un saint, peu connu en dehors de l'Orléanais ; c'est saint Lyphard, patron d'une paroisse du diocèse de Nantes, appelé saint Niphord à Erbray, saint Liphord à Tourie. En cette dernière paroisse l'assemblée de la fête du saint a lieu le jour du Vendredi-Saint. On ne peut pas marquer d'une façon plus saisissante qu'il s'agit du patron des agonisants auquel on demande une délivrance en disant au Ciel « la Vie ou la Mort » [Note : Saint Sébastien est aussi invoqué dans les cas désespérés à Braspartz et à Gouëzec. Neuf personnes font le tour de sa chapelle en récitant le Rosaire et n'entrent que pour le troisième chapelet].

Au moment de produire des témoignages de gratitude, l'imagination des dévots devenait tantôt ingénieuse, tantôt singulière. Nous aurons l'occasion d'en produire des exemples au cours de cette étude. Signalons dès maintenant l'idée puérile de ceux qui s'imaginaient se rendre propice tel ou tel saint, à la condition d'accompagner leurs invocations de cérémonies bruyantes : saint Laurent, croyait-on, guérissait les rhumatismes, mais il fallait réclamer sa protection en faisant le tour de sa chapelle, pieds nus, trois lundis consécutifs. C'est un usage pratiqué dans la paroisse de Saint-Ségal, au pays du Faou. Cela ne suffit pas, il faut encore une lutte de forces corporelles qu'on déploie le deuxième dimanche d'avril, jour de son pardon. Les témoins disent que le combat dégénère en un corps-à-corps sauvage auquel prennent part les jeunes gens de Lothey et de Saint-Coulitz.

Comment s'est établie la réputation des saints guérisseurs ? Au hasard des événements. Les vies de saints en relatant des récits de guérisons ont évidemment contribué à faire croire que tel ou tel saint avait reçu une mission spéciale du Ciel, mais le plus souvent les fantaisies de l'imagination populaire sont intervenues dans le choix de la carrière charitable qui convenait à chaque saint. Les ignorants, las plus nombreux dans les pardons, avaient un moyen bien simple de s'orienter à travers les nomenclatures du calendrier ; ils décomposaient le nom du personnage le plus en vogue qui résonnait à leurs oreilles, et croyaient trouver une révélation dans la racine ou la résonnance du nom. Saint Meen devait guérir la gale des mains, saint Clou, les furoncles et les clous, saint Marcoul, les scrofules parce que ce mal marque le cou, saint Mamert, par un courant sympathique était cher aux mères de famille dont les enfants étaient tourmentés par les coliques [Note : Saint Marcoul est vénéré dans la paroisse de Carentoir (Morbihan) et dans la paroisse des Moutiers-en-Retz (Loire-Inférieure). Sébillot, La petite légende dorée, Nantes, 1897, p. 200].

Dans d'autres cas, les malades agissaient avec plus de raison en considérant le genre de martyre enduré par le saint capable d'être ému par leurs souffrances : saint Laurent sur son gril torturé par le feu, devait avoir pitié des brûlures ; saint Barthélémy, écorché cruellement, devait se pencher avec compassion vers les démangeaisons des plaies vives.

Saint Clou avait, en Bretagne, de nombreux concurrents qui acceptaient des clous dans leurs fontaines. On devait jeter, cette offrande de clous sans les compter en invoquant saint Malo à Trébry, saint Maudez à Saint-Brieuc, Saint-Brieuc, saint Villo ou Cado, ou bien encore saint Clou, car ce dernier n'était pas exclu bien qu'il ne fût pas breton (Paul Sébillot, Le Folklore de la France, t. p. 292).

Quand un boiteux dépose ses béquilles en ex-voto, ou quand un blessé a été guéri et représente en ciré le membre qu'il a recouvré, on comprend sa manifestation de reconnaissance, elle est raisonnable. Mais, comment expliquer l'origine et le sens de la coutume qui conduisait certains pèlerins à extraire de la terre au bas d'un autel ou aux pieds d'une statue et à l'entasser dans un sachet pour le suspendre à leur cou comme une relique ? Le trou qu'ils creusaient était parfois si profond que l'autel penchait peu à peu et menaçait ruine. C'est pourtant ainsi qu'on honorait saint Goneri dans la paroisse de Plougrescant [Note : Abbé Lucas, Vie de saint Goneri. (Bull. de l'Association bretonne) — Albert Legrand, Vies des-saints de Bretagne. Au cimetière de Pluneret, la tombe de M. de Ségur se distingue par un tas de sachets de terre].

Lé fait le plus saillant dans la revue que nous entamons, c'est l'envahissement du surnaturel, son imprégnation en Armorique. On est surpris de voir tant de fontaines, de statues, de villages placés sous l'invocation des saints les plus divers. La variété et la concurrence de tous ces cultes entremêlés, loin de semer la division dans les esprits, semblent avoir atténué les différenoes de mœurs qui séparaient la Basse-Bretagne de la Haute ; elles se conservèrent sans porter atteinte à l'unité des convictions.

II. — LA LÈPRE ET LES MALADIES DE LA PEAU.

Léproserie, ladrerie, maladrerie, autant de mots employés au moyen âge pour désigner les hôpitaux destinés aux gens atteints de la lèpre. Dans l'ouest, on rencontre d'autres appellations qui ont même sens : le lépreux étant un Mesel ou un Mesau, on a fait de sa demeure une Mezauderie ou Missaudière, de même que les Caquins de la Basse-Bretagne ont introduit l'expression de caquinerie [Note : On dit aussi « Caqueux » dans le Morbihan pour désigner les lépreux ou leurs descendants].

Les patrons les plus populaires de ces établissements ont été saint Lazare, la Madeleine et sainte Marthe ; ils eurent bientôt des rivaux qui s'employèrent au soulagement des maladies aiguës comme le feu de saint Antoine, le mal des ardents, le feu de saint Georges, maux affreux qui apparurent surtout au moment des Croisades. Saint Antoine était également invoqué à Clisson comme à Quimper et son culte célébré avec pardon dans les paroisses de Ploudiry, de Spezet, de Musillac, du Faou ; de même, dans le diocèse de Nantes, à Touvois, à, Geneston, à Saint-Lumine-de-Clisson et à la Benâte.

Le cartulaire des religieuses de l'abbaye de Saint-Georges de Rennes, présente une description du mal de Saint-Georges. La communauté avait deux cimetières, le sien réservé aux religieuses, puis le second pour l'inhumation des « martyrs, c'est-à-dire des malades dont les membres tombaient en lambeaux » [Note : P. de La Bigne, Cart. de l'abbaye de Saint-Georges de Rennes, p. 55 et 264. — Banéat, Le vieux Rennes, éd. in-4°, p. 240. L'aumônerie de Saint-Georges de Nantes était sur la route de Paris à la Haie-Lévéque ; c'était un pèlerinage populaire]. Cette expression se retrouvera ailleurs et en engendrera d'autres que nous signalerons à l'occasion.

Je comprends mieux l'invocation de saint Laurent dans la bouche des malheureux torturés par les ardeurs de la lèpre, elle correspond à son genre de martyre, elle était en usage dans un grand nombre de paroisses, notamment à Limerzel, appellation bretonne composée de deux mots : Ilis Merzel, qui donnent en français église des martyrs [Note : « Cette paroisse porte, dans les anciens-documents, les noms de Les merzer et de locus martyrum » (Abbé Luco, Pouillé hist. de l’anc. dioc. de Vannes, 1908, au mot LIMERZEL]. On trouve des chapelles dédiées à saint Laurent dans tous les diocèses bretons. A Plouëgat-Moisan, notre saint devient le médecin des rhumatisants.

III. — LES MAUX DE TÊTE ET LA FOLIE.

Les maladies de la tête n'ont pas été moins répandues que la lèpre. Un sarcophage percé d'une ouverture lorsqu'il est exposé à la dévotion des fidèles, est toujours une invitation à consulter le défunt pour la solution d'un mal de tête grave ou léger. Voyez le sarcophage de saint Urlou dans l'église de Quimperlé, ou celui de saint Judicaël dans l'église de Saint-Meen, ou celui de saint Yves de Vérité au Minihy de Tréguier : vous apprendrez que les pèlerins ne sollicitent pas d'autre faveur que la permission d'introduire leur tête dans l'ouverture de ces anciens cercueils. Ceux qui préféraient les saints éloignés, allaient dans l'église de Saint-Menoux (Allier), ou se rendaient au Mas d'Aire (Landes) pour y honorer le tombeau de sainte Quitterie [Note : Léon Maître, Les tombeaux percés d'une fenêtre (Revue archéologique, 1916, t. IV, p. 265-285)]

En Armorique, les paroisses possédaient quelques saints dont l'invocation soulageait les maux de tête et calmait la folie. Quand il s'agissait d'une simple migraine, on avait recours aux saints Cosme et Damien honorés à Saint-Nic. On se rendait dans l'église de saint Briac à Bourbriac, où le passage des malades et des fous est signalé par deux compartiments souterrains de la crypte où ils étaient détenus pendant la célébration de la messe ; de même à Locminé (Morbihan), où l'église est sous le vocable de saint Colomban. A Bourbriac, le cérémonial suivant est encore en usage. On fait faire aux malades le tour de l'église, puis on les introduit dans le temple où un prêtre en étole les évangélise et leur met les reliques sur la tête. Les loges ou cabanons qui forment les ailes de la crypte ne servent qu'à maintenir les agités pendant qu'on célèbre la messe (Guillotin de Corson, Mélanges historiques, 2ème série, p. 298. « Dieu manifestait la gloire et la sainteté de saint Briac, dit Albert Legrand, par plusieurs miracles qui se sont faits et se font encore à son tombeau, spécialement en l'endroit des maniaques, insensés et frénétiques et autres malades d'esprit, lesquels se trouvent soulagés et même entièrement guéris à la visite de son tombeau » (Vies des saints de Bretagne, éd. de Kerdanet, p. 827).

A Dol, les chanoines plaçaient les fous sous la protection de saint Samson. Derrière le maître-autel, on voit encore un renfoncement garni d'une grille où ceux-ci, isolés de l'assemblée des fidèles, se tenaient sur une chaise de bois au moins vingt-quatre heures (Pol de Courcy, Guide du voyageur de Rennes à Brest et à Saint-Malo, p. 84 et 388). Là se faisait la neuvaine de leur pèlerinage. Le Périgord connaît des pratiques semblables, ainsi qu'en témoignent dans la basilique de Saint-Front, les cabanons où l'on enfermait les fous à proximité du tombeau du saint.

Je n'ai pas trouvé de dispositions de ce genre dans les paroisses du diocèse de Nantes, mais j'ai noté la faveur dont jouissait le culte de saint Mathurin dans bon nombre de paroisses. Même remarque est à faire dans le diocèse de Saint-Brieuc et dans les communes qui parlent le français. Non seulement on réclame sa protection contre les maux de tête, mais encore son assistance paraît fort bonne à requérir dans les temps d'épidémie. C'est l'opinion dominante dans quarante-trois paroissses.

Quant à la Basse-Bretagne, elle vantait les guérisons opérées par saint Brandan, saint Gonven et saint Trémeur. Saint Hernin imposait aux plaignants un cérémonial bien singulier : après avoir puisé de l'eau dans sa fontaine, ils devaient par trois fois laver la tête de sa statue avec force ; ils n'étaient soulagés qu'après l'opération [Note : Saint Prime!, paroisse de Saint-Thois (Finistère), a son pardon le troisième dimanche d'août. Il est invoqué contre les maux de tête et la fièvre]. Saint-Germain, très puissant en Auvergne, était également réputé en Bretagne. Quiconque voulait exciter sa compassion devait aller vénérer son bras conservé dans l'église de Cezens, diocèse de Saint-Flour (Propre du diocèse de Saint-Flour). Chez les habitants de la contrée de Rhuis, la folie prend le nom de mal de Saint Gildas. La vertu divine opérait, paraît-il, des merveilles sur ceux qui s'approchaient de son tombeau, dans l'abbaye qu'il a fondée sur cette côte. Il était d'usage d'y passer une neuvaine et de prendre trois bains dans une eau spéciale, bénite à cet effet.

Les possédés, appelés démoniaques, troublaient l'ordre dans les églises par leurs extravagances tout autant que les enragés et les fous, cependant ils n'étaient pas rejetés au loin comme des pestiférés. Tantôt on les plaçait dans la crypte du saint, tantôt à l'extérieur de l'église pour satisfaire en quelque sorte leur piété. En 1850, on voyait à Saint-Brieuc, autour de la cathédrale, des loges spéciales qui leur étaient réservées et dont la création était attribuée à l'évêque saint Guillaume, qui, au XIIIème siècle, se faisait le médecin de ces malheureux (Geslin et A. de Barthélemy, Anciens évêchés de Bretagne, t. I, p. 222, 230, 243 et 300).

IV— LES MALADIES DES FEMMES ET DES ENFANTS.

Dans les rangs de tous les pèlerinages ou pardons de la Bretagne, les mères de famille, traînant après elles leurs enfants, se faisaient remarquer par leur assiduité et leurs instances, car leur lot de souffrances est ordinairement plus lourd à porter que celui des hommes. Les épouses réduites au rôle de postulantes, formaient des groupes différents qui avaient leurs dévotions propres et leurs pratiques particulières que les celtisants ont revées comme des superstitions des âges primitifs. Avant la propagation des idées chrétiennes, les époux se servaient de fétiches grossiers, ils mesuraient la hauteur des menhirs debout, y voyaient un symbole phallique et se frottaient les membres contre certaines aspérités, certaines bosses auxquelles ils attribuaient des vertus contre la stérilité [Note : Les menhirs les plus fameux par leur taille sont ceux de Plouarzel et de Moëlan, dans le Finistère ; de saint Cado et de Kerdeff, en Carnac (Morbihan)]. Le peuple donnait au rocher de saint Ronan le nom de « jument de pierre » (Le Braz, Au pays des Pardons, p. 262-263) sous prétexte qu'il avait la forme d'une cavale ; il servait de but de pèlerinage aux femmes stériles de Locronan.

Les plus pieuses s'adressaient à saint Guénolé dans la région de Penmarch ; l'attraction, dans les Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), était vers l'église de Plouëzec, où les âmes simples croyaient honorer le berceau de la Vierge sous le nom de Notre-Dame du Gavet. Une fois qu'elles avaient le bonheur d'être enceintes, les femmes se rendaient dans l'église de Quintin où les prêtres leur appliquaient sur le ventre la ceinture de la Vierge, ou bien, se contentaient de porter au cou le médaillon de sainte Elisabeth. Le jour de l'accouchement, on était rassuré si on avait été au pardon de la Pentecôte, se jeter aux pieds de Notre-Dame du Niver (Edern), ou bien se vouer à sainte Marguerite dans la chapelle du Sel, diocèse de Rennes (G. de Corson, Statistique du canton du Sel, Rennes, 1886, in-8). Sainte Brigitte, dès le XVIème siècle, remplissait aussi le rôle de la Lucine antique près des mères en couches [Note : Sainte Brigitte dans la Haute-Bretagne donnait du lait aux nourrices. Elle avait de nombreuses chapelles ; de plus, elle était patronne de six paroisses. Sébillot, la Légende dorée, p. 118. Dans le Morbihan, sainte Brigitte a une chapelle à Locpéret (Grand-champ). En pays breton, Berhet signifiait Brigitte. Les paroisses où elle était très connue sont Motreff, Spezet, Ploudalmezau, Ploudaniel, Lampaul, Saint-Hernin et Quilbignon].

La question de l'allaitement des nouveau-nés était autrefois, comme aujourd'hui, la grande préoccupation des femmes honorées de la maternité ; alors, on se renseignait sur foutes les démarches à faire pour réussir dans cette entreprise. Sainte Guen, la mère de saint Guénolé, avait été dotée, disait-on, de trois mamelles, il n'en fallait pas plus pour garantir sa puissance nourricière [Note : Sainte Guen et sainte Blanche sont sans doute le même personnage].

Sainte Agathe avait une mission différente : ses seins ayant été amputés par les bourreaux, elle devait compâtir aux souffrances des nourrices infirmes.

« Dans le canton de Pontscorff, au nord du bourg de Gestel, s'élève une belle et riche chapelle, au portail fleuri, au clocher à jour. Chaque année, à la fête patronale, des milliers de nourrices du Finistère et du Morbihan accourent au village de Kergornet » (Fouquet, Légendes et contes, p. 77). Le Dr Fouquet s'étant trouvé par hasard au milieu de cette assemblée féminine sans savoir le pourquoi, s'adressa à une vieille femme du pays qui lui apprit que la Vierge vénérée donnait et conservait le lait aux nourrices. Sainte Berge, paroisse de Naizin, passe pour avoir le même pouvoir parmi les Bretons gallots. On parle aussi de Notre-Dame de Tréguzon parmi les mères qui sont menacées d'être incapables de continuer l'allaitement [Note : N.-D. de Tréguzon allaite l'enfant Jésus à Gouëzec. Les mères attachent des épingles au bas de sa robe. D'autres vont boire à la fontaine du Clesmeur, dédiée à sainte Honorée]. L'épuisement est une disgrâce qu'elles veulent éviter à tout prix et qui les poussait souvent vers des superstitions bizarres. Comment qualifier autrement cette dévotion envers Notre-Dame de Crée-lait établie à Nantes, dans l'endroit même où le fameux Gilles de Raiz avait été supplicié, après avoir immolé tant d'enfants à ses fureurs ! Le nom seul aurait dû les faire fuir [Note : Le petit monument en forme de niche représentait une vierge mère sous un arc gothique]. Les invocations à la Vierge mère ne manquaient pas en Bretagne. Je me bornerai à citer la statue érigée dans le Poher à la Vierge au lait, dans la chapelle du Frout, non loin d'un bassin alimenté par plusieurs sources, symbole de la fécondité qui a exercé une grande attraction sur les Bretons. Pas une source n'est demeurée chez eux sans emploi.

A Cambon, diocèse de Nantes, Notre-Dame de Planté offrait aussi aux mères plusieurs fontaines dont les eaux vives rendaient aux mamelles taries l'abondance, pourvu qu'elles fussent arrosées. Dans les landes boisées de Pontchâteau, il y avait double attraction, mais on ne saurait dire si le courant des pèlerins se rendait au magnifique menhir, appelé le fuseau de la Madeleine ou à la source inépuisable qui jaillissait à côté.

La préoccupation qui domine dans la plupart de ces démarches, c'est la crainte pour les mères d'élever des enfants incapables de marcher ou atteints de faiblesse dans les reins. Il y a grande rivalité entre les familles sur ce point ; le jour où l'enfant a commencé à, faire ses premiers pas est noté dans toutes les mémoires, c'est un jour célèbre. C'est là ce qui fait le succès de la statue de Notre-Dame-des-Vertus, à Rezé. Cette Vierge doit être témoin des premiers efforts des bambins ; une course est instituée dont les deux points extrêmes se nomment saint Allant et saint Venant. Les protecteurs qui interviennent en Basse-Bretagne sont par exemple saint Léger dont le nom est de bon augure ; Iltud est cité aussi avec saint Eléobane, sainte Colombe ou bien encore sainte Ublaye à Plessala. La liste des patrons de l'enfance est inépuisable. A Cléguerec (Morbihan), la pratique est macabre ; on découvre le tombeau vide de saint Morvan et on introduit le pauvre petit dans ce lit funèbre et glacial.

Quand les enfants étaient atteints du mal de la peur, on allait à la Chapelle-Rigaud de Mésangé, le premier mardi de mai, prier la Madeleine de les guérir. Notez cette croyance toute païenne à l'influence du mois de mai. On choisit volontiers le 1er mai à Brennilis pour porter les enfants à la statue de saint David, dont le nom a été transformé en saint Avit dans le diocèse de Rennes [Note : On sait que saint Avit est vénéré dans l'Orléanais. C'est la raison de notre critique qui s'adressa à la paroisse de l'Hermitage].

Les enfants ne manquaient pas de protecteurs en Armorique surtout quand ils étaient affligés des indispositions du ventre ; on appelait à leur secours les saints nommés Mamert, Fiacre, Tenenan, Efflède, Germain, les saintes Nonne, Ninnoc et Pompée. Saint Ivy mérite une mention spéciale. Son pouvoir a d'autant plus de prestige que sa fontaine est dans l'intérieur de la chapelle près du maître-autel [Note : Saint Ivy est honoré dans les paroisses de Moréac, de Loquivy, de Ploubazlanec, de Loguivy-Plougres et de Loguivy-lès Lannion]. A Morlaix, on roule les enfants sur l'autel de saint Germain pour les préserver des maux de ventre, l'opération a lieu encore au mois de mai. Une friction avec quelques pierres prises dans un trou de la chapelle de saint Adrien (Baud) guérissait les coliques le jour de la fête patronale à la condition que le traitement fut complété par un verre d'eau prise dans sa fontaine (Ogée, Dict. hist. de Bretagne. BAUD).

L'épreuve des fontaines, quoique plus rationnelle, exposait les familles à plus d'une imprudence même quand on se bornait à tremper une chemise, comme le faisaient les femmes de Baud qui allaient implorer saint Mamert. Dans la paroisse de Scaër, sainte Candide dénouait les enfants et conjurait la maladie de langueur, appelée le barat, à la condition que le nouveau-né fût plongé dans sa fontaine. Certaines mères, se justifiaient en disant que cette pratique permettait aussi de tirer l’horoscope de l'enfant et de mesurer sa résistance future. Les eaux les plus renommées pour ce genre d'expériences étaient les fontaines de saint Cado, au Cap Sizun, de sainte Anne à Fouesnant, de la Croix-Helléan, de saint Maudez, de Notre-Dame de Cleden, de Notre-Dame du Kran, de saint Languis à Kergloff, de Notre-Dame des Langueurs à Joué-sur-Erdre, de saint Melar à Lanmeur [Note : Saint Languis, paroisse de Kergloff, est appelé saint Egannec et saint Candide].

Lés pardons organisés autour de la chapelle de saint Levias, en Trédarzec, attiraient les languissants et les rachitiques le deuxième dimanche de septembre. Ceux qui ne réussissaient pas dans leur entreprise partaient pour Guipavas, où le rite de saint Eutrope prescrivait aux parents de fabriquer des cataplasmes avec de la terre prise dans la fontaine. Il est naturel que les foules pieuses aient pratiqué le culte de saint Samson à qui l'on demandait la force et la vigueur des enfants ; le nom seul de l'évêque de Dol excitait leur confiance jusque dans la pointe du Finistère. Les habitants de Landunvez lui avaient consacré une fontaine dans laquelle on plongeait les enfants rachitiques.

On appelait mal de Sainte-Blanche l'éruption qui se produisait sous la forme de petits boutons couvrant tout le corps comme la rougeole. Sainte Blanche était honorée surtout à Saint-Cast, dans la forêt de Loudéac, où elle avait des chapelles et des fontaines [Note : Il est à présumer que sainte Noyale était le même personnage que sainte Blanche. (Revue des traditions populaires, t. IV, p. 164). Noyale est appelée par les Bretons Noyal-Guen et Santez Malven. Cf. J. Loth, Les noms des saints bretons, p. 99. — G. de Corson, Pardons et Pèlerinages de Basse-Bretagne, p. 201].

L'enfance est encore très éprouvée par la gale de la tête qu'on appelle « râche » et qui impose à ses victimes des démangeaisons difficiles à apaiser. Les pauvres mères, affolées par l'inutilité de leurs onguents, se vouaient surtout au culte de saint Barthélemy qu'elles surnommaient « Râchou » en lui rappelant qu'il avait été l'écorché des païens [Note : J'ai cité huit léproseries de saint Barthélemy dans le diocèse de Nantes. Dans le Morbihan, je ne connais que celle de Pleucadeuc]. Dans le diocèse de Nantes, les mères s'adressaient à sainte Emerantienne ou Emerance dont la statue était dressée dans trois localités, à Oudon, à Saint-Lumine et à Mouzeil.

V. — LA RAGE ET L'ÉPILEPSIE.

La rage a jadis fait beaucoup de victimes ; quiconque était mordu par un animal enragé était condamné à une mort affreuse. On a cru longtemps que la fréquentation des bords de la mer pouvait atténuer les crises de ce mal redoutable, mais les Bretons d'autrefois préféraient le recours à saint Hubert et n'hésitaient pas à faire le pèlerinage au sanctuaire des Ardennes, jusqu'au jour où la population du Finistère érigea une chapelle dans la paroisse de Garlan.

La renommée du tombeau de sainte Quitterie, honorée au Mas d'Aire (Landes), attira aussi nombre de pèlerins. Peu à peu cependant les difficultés du voyage inspirèrent aux malheureux de faire alliance avec les saints protecteurs de l'Armorique, tels que saint Bieuzy, saint Gildas, saint Tujan, saint Thégonnec et saint Eusèbe. Chacun d'eux avait son cérémonial particulier.

La fontaine de Saint-Bieuzy en Pluvigné produisait de bons effets quand on mangeait des tranches de pain trempées dans son eau. Quant à Tujan, le siège de son culte médical est à Primelin, au Cap Sizun du Finistère ; sa statue le représente armé d'une clé pour rappeler qu'il exerce son ministère bienfaisant à la façon de saint Hubert [Note : La clé de saint Hubert était chauffée à blanc et appliquée sur les plaies des morsures]. Elle est en forme de poinçon et sert à percer des petits pains qui se vendent le jour du pardon. Les préservatifs consistent en petites croix de plomb sanctifiées par le contact de la clé conservée au presbytère [Note : Sur le culte et le pardon de saint Tujan, lire les Bull. de la Soc. arch. du Finistère an. 1908, p. 236 ; an. 1912, p. 281. Sous le clocher, se trouvait une prison pour renfermer les enragés]. Sur le territoire de Plogonnec, il existe une chapelle de saint Thégonnec dont la fontaine a la vertu de guérir les morsures. A Saint-Gildas de Carnoet, la puissance du saint est célébrée par des jeux, des présents et une lutte.

Des livres ont été écrits pour glorifier les merveilles opérées par l'intercession de saint Gilles. Un panégyriste du Midi s'exprime ainsi : « On ignore trop généralement que le mal terrible et héréditaire, l'épilepsie, a été souvent guéri par saint Gilles. Dans certaines localités, des guérisons ont été si nombreuses que l'épilepsie est appelée le mal de saint Gilles » (Abbé d’Everlanges, saint Gilles et son pèlerinage, Avignon, Séguin, 1879. in-12). « Saint Gilles, dit Jules de Clerval, est un des saints les plus généralement honorés dans notre patrie, il est connu jusque dans les colonies. En Grande-Bretagne, c'est un rival de saint Georges » (Vie et culte de saint Gilles, Le Mans, 1875, in-12). En Basse-Bretagne, cinq paroisses sont consacrées à saint Gilles. Parmi ses concurrents, je citerai saint Briac qui soigne les maux de tête à Bourbiac, et accueille dans sa crypte les épileptiques.

Devant la statue de saint Germain d'Auxerre, en la paroisse de Glomel, on assistait le premier dimanche d'août à des scènes pénibles : les parents arrivaient en tenant leurs enfants par les pieds et les suspendaient au-dessus des fonts baptismaux. Cette invention n'était pas propre au pays de Rostrenen ; elle paraît avoir une origine lointaine [Note : Des pratiques semblables se passaient au Temple Saint-Jean à Poitiers avant la Révolution, c'est-à-dire avant sa restauration. La piscine baptismale ne servait plus depuis des siècles et cependant les pèlerins savaient où était l'orifice et tenaient leurs enfants au-dessus du trou (Siauve, Mém. sur les antiquités du Poitou. Poitiers, 1804)].

La chapelle de saint Tugdual, surnommé saint Pabu, fillette de Ploumagoar, était également un rendez-vous fameux pour son pèlerinage d'épileptiques. Le jour du pardon, des groupes de malheureuses femmes arrivaient conduites par des hommes qui avaient peine à contenir leurs contorsions, hurlant, déchirant leurs vêtements jusqu'au moment où le prêtre, appelé à leur secours, prononçait des exorcismes.

VI. - LA FIÈVRE.

La fièvre, mal de tous les temps, de tous les âges, a poussé les foules aux pieds des statues des saints. Les plus populaires se nommaient Candide, Brandan, Gonery, Goulien, Jugon, Maurice, Meloir, Maudan, Thuriau. Elonan, Primel, Secondel, Thelau et Votrum. Conagan ou Guénégant, avait du succès sur les territoires de Penhars et de La Palue près de Landerneau, saint Sultas, à Plougonven. Quand on recourt à la Vierge, on l'appelle Notre-Dame des Langueurs. Cette liste déjà si longue peut cependant être complétée utilement en rapportant quelques rites observés.

Dans la paroisse d'Aigrefeuille, diocèse de Nantes, saint Simon portait le surnom très expressif de saint Frigal, il recevait, comme offrandes, un pain entaillé de neuf divisions ou neuf pains ordinaires ; on cherchait à lui plaire en faisant trois fois le tour de sa chapelle, coutume très vulgaire en Bretagne.

Le climat de la Loire-Inférieure, qui est aujourd'hui si sain, a été longtemps fiévreux par suite de la stagnation de grandes étendues d'eaux. J'y trouve la fontaine de Saint-Marc sur la côte de Saint-Nazaire, dont les eaux étaient recherchées contre la fièvre et aussi contre les maux d'yeux. Saint Marc est d'ailleurs connu en France comme saint guérisseur. Les pèlerins de la Chevrolière, se rendant à la chapelle de Notre-Dame des Ombres, prenant à la lettre l'expression vulgaire des infirmiers qui « coupent » la fièvre par la quinine, déposaient des couteaux dans le bénitier avec l'espoir d'une guérison prompte.

Les malades du Morbihan invoquaient saint Couturier en piquant des épingles dans sa ceinture, ou rapportaient de la fontaine de sainte Onene une chemise mouillée qu'ils appliquaient sur leur peau. Quant à l'eau de Scrignac, elle devait être bue trois fois avant minuit pour produire des effets salutaires, disaient les montagnards d'Arès. Saint Gestin ou Istin n'accordait ses faveurs qu'aux fiévreux assez courageux pour vider trois fois sa fontaine de Penarven.

VII. — LES MAUX DE GORGE, L'ASTHME ET LES OPPRESSIONS.

Aétius, médecin du Vème siècle, recommandait l'invocation à saint Blaise parmi les antidotes efficaces contre les maladies de la gorge ; la renommée lui avait appris que ce médecin d'Arménie avait eu l'habileté de délivrer un enfant étranglé par une arète. Il n'en fallut pas davantage pour le faire monter au rang de protecteur des enfants atteints de la coqueluche et du croup. Bien plus il pénétra comme guérisseur de l'esquinancie, dans les porcheries où ce mal sévit fréquemment.

Ce culte a laissé des traces dans huit paroisses du diocèse de Nantes.

Pour guérir l'asthme à Goulien on se rend à pied à la statue de saint Laurent, ou bien on va balayer la chapelle de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle. Saint André a aussi une certaine renommée, en quelques diocèses, à cause du supplice qui lui fut infligé sur une croix penchée, il devine les souffrances des asthmatiques et doit se porter à leur secours [Note : Saints André à Bouvron est un but de pèlerinage. J'ignore l’origine de Saint-André-de-Carquefou, de Saint-André-de-Treizevoies, de Saint-André-des-Eaux, diocèse de Nantes. Dans le Morbihan, Saint-André-de-Crach est à citer ainsi que le Roc Saint-André].

VIII. — LES RHUMATISMES, LA GOUTTE ET LA PARALYSIE.

Outre le fameux saint Corentin de Quimper, les rhumatisants du Finistère possédaient divers protecteurs : saint Edern, par exemple, qui guérissait le mal de dos quand on s'allongeait sur son lit façonné de pierres brutes. On allait aussi s'étendre sur la pierre appelée lit de saint Thélau, à Landeleau. Près de la chapelle de sainte Noyale à Pontivy, on se plaît aussi à visiter deux rochers qu'on nomme « le lit et le prie-Dieu de la sainte ».

On cite une catégorie d'affligés qui préférait l'usage des fontaines et des bains. Le jour du pardon de saint Ergat, arrivaient des groupes d'enfants perclus de douleurs qu'on plongeait dans sa fontaine. A Plouégat-Moisan, où saint Laurent est invoqué, l'an pratique une thérapeutique peu commune. Dans la nuit du 9 au 10 août, jour de sa fête, la clientèle fait le tour du cimetière à genoux, puis entre en rampant dans une sorte de four aménagé sous l'autel, baise la pierre de l'âtre. Une fois sortis de là, les rhumatisants se frottent les mains et la figure puis se livrent à des ablutions dans les eaux de la fontaine voisine. Au coup de minuit, le tableau change : c'est le signal d'une lutte où chacun déploie toute sa force à la clarté de la lune ou des cierges.

Saint They est un autre ami des rhumatisants, comme l'attestent les béquilles nombreuses autour de son autel. Pour l'honorer les habitants de l'île de Sein, le jour de son pardon, accourent en grand nombre sur la falaise finistérienne. Les paroissiens de Cleden-Capsizun leur font cortège et leur donnent l'accolade avant de revenir ensemble à la chapelle. Ce débarquement au Vorlen est un spectacle très émouvant par la bonne entente qui règne dans l'assemblée.

Il faut croire que saint Gouesnou était compatissant pour les maux de reins, son église de Langouesnou recevait d'abondantes aumônes qui nécessitèrent la création d'un « gouverneur » du temporel. Sa grosse pierre est célèbre ; elle est percée d'un trou à travers lequel il est d'usage de passer le bras pour se montrer satisfait. Ceux-là n'étaient sans doute que peu malades qui se rendaient à Plouaret. La coutume les obligeait à monter à cheval sur une statue équestre, dressée dans le cimetière, à se tenir immobile un certain temps, et à redescendre ensuite comme des écuyers agiles. Leur reconnaissance allait à saint Matthieu ou Mahaut.

Les cérémonies étaient compliquées pour les paralytiques amenés à Saint-Laurent-du-Pouldour ; elles avaient même un caractère si profane que le clergé fut obligé d'intervenir et d'enseigner une procédure acceptable pour tous les yeux. L'abbé Lebraz a fait comprendre aux pèlerins que les douches pouvaient être administrées jusque dans le dos par le canal des manches, sans se dévêtir ??? Saint Léger, à Riec, fait également marcher les paralytiques.

Pour le traitement de la goutte, je ne connais que l'invocation de saint Lin, dans une antique chapelle de la paroisse de Saint-Vran, et celle du pape saint Léon, en usage dans la paroisse de Glénac (Morbihan).

IX. — LES OPHTALMIES ET LA CÉCITÉ.

La mère de Dieu a joui d'uni grand crédit parmi les malheureux dont la vue était altérée ; elle est invoquée deux fois sous le titre de Notre-Dame-de-la-Clarté : la première dans la paroisse de Pleyben, la seconde dans celle de Kernouez. A toutes les fêtes de la Vierge, les fidèles de Daoulas se donnent rendez-vous à la chapelle de Notre-Dame de la Fontaine. Saint Jean a exercé aussi son patronage sur des fontaines fréquentées par des pèlerins souffrant des yeux. Ogée assure que, tous les ans, la fontaine de Saint-Jean-du-Doigt attirait plus de mille pèlerins malades [Note : L'article d’Albert Legrand est plus complet et très curieux]. En Plougonvelin, la chapelle Saint-Jean, avec sa fontaine, est assiégée de visiteurs. Saint Jean-Botlan, en la paroisse d'Edern, se singularisait, par les petits galets offerts comme remède pour se frotter les paupières. Trébrit avait aussi sa vogue.

Dans la plupart de ces paroisses, on exposait des reliques qui augmentaient l'attraction, surtout quand le sanctuaire s'appelait Notre-Dame-de-Clérin, en la paroisse de Saint-Clet. Ces différentes invocations ne valaient pas celle de saint Clair, l'apôtre du pays nantais, qui mourut à Reguiny (Morbihan). On lui éleva un autel dans la cathédrale de Nantes, les autres fondations sont perdues dans la campagne en des lieux nommés Puceul, Saillé, Plessé et Donges [Note :  La fontaine de Donges est située dans le village de l'Ile d'Assac].

En Basse-Bretagne, la dévotion est partagée entre Saint Clair, dont la statue est dans une chapelle de Pounevez-du-Faou, et saint Cado très honoré dans les paroisses de Guégon et de Melgven. Avec le nom de saint Lunaire, le peuple fait un jeu de mots et l'invoque pour les maux d'yeux ; d'autres vantent les heureux effets des eaux de la fontaine de Lauzach.

A Saint-Julien de Vouvantes, diocèse de Nantes, le patron Julien abrite sous sa protection plusieurs fontaines, on dit trois, ayant des vertus différentes, mais l'une d'elles n'était pas sans effet sur les yeux. La chronique locale appelle en témoignage la file des pèlerins qui revenaient à Vouvantes remercier le saint bienfaisant, pieds nus, en manches de chemise, avec un cierge à la main (Traditions populaires, t. VII, p. 91 et 105). Il est possible que ce spectacle n'ait pas totalement disparu.

X. — LA SURDITÉ.

Les sourds eux-mêmes ont eu l'ambition de se guérir et prétendu trouver dans le Ciel des bienheureux disposés à s'intéresser à leur sort. On les coiffait autrefois, après les avoir agitées, des cloches de saint Meriadec à Stival, de saint Pol et de saint Goulven (Euzenot, Bull. de la Soc. arch. du Finistère, an. 1883, p. 27), comme si le saint invoqué eût voulu en faire le symbole de sa puissance. On avait encore recours aux cloches de saint Cado, de saint Ronan et de saint Hernin. Les sourds qui allaient invoquer saint Egarec, en Kerlonan, appliquaient leur oreille sur une roche plate qui se trouvait dans le cimetière et allaient ensuite se laver à la fontaine. Sainte-Honorine, qui était normande, invitait les sourds à visiter son tombeau et à introduire leur tête dans sa fenêtre [Note : Les sarcophages percés d'un trou n'étaient pas rares en France].

Pour la guérison des muets, on attendait une fête solennelle, la procession de reliques exceptionnelles, ou le passage d'un missionnaire célèbre ; alors on exposait le malheureux affligé à la vue de la foule et on demandait en sa faveur un prodige éclatant.

XI. - LA PESTE ET LES PLAIES.

Au VIIème siècle, les chrétiens de Rome, éprouvés par une épidémie terrible, eurent recours à, saint Sébastien ; ils sollicitèrent sa pitié en lui érigeant un autel, et le fléau cessa. Depuis cette démonstration, la dévotion de saint Sébastien n'a fait que progresser à travers le monde. En Bretagne, aux XIVème, XVème et XVIème siècles, les chapelles et les autels qui lui furent consacrés sont incalculables. Le sanctuaire le plus célèbre du pays nantais s'élevait sur la rive gauche de la Loire, au bout des ponts de Nantes, là où s'est formé le petit bourg de Saint-Sébastien. Il était d'un abord facile, et les pèlerins y venaient tantôt à pied par Pirmil, tantôt comme les officiers municipaux de Nantes eux-mêmes, en bateau par le fleuve. Ceux-ci pour vaincre les épidémies de peste répétées firent le vœu d'aller en procession solennelle, tous ensemble jusqu'à Saint-Sébastien, en portant un cierge de 20 livres. La cérémonie devait recommencer tous les ans, même si le fléau s'arrêtait ; elle fut continuée par reconnaissance pendant cent cinquante ans, dit l'historien Guépin. Il semblait que le poids du cierge ne devait pas être indifférent et l'on voyait les paroissiens de Saint-Nicolas de Nantes se mettre en route avec un cierge de 80 livres.

La vogue de saint Roch a été beaucoup moins étendue que celle de saint Sébastien. Il apparaît comme patron de quelques confréries du XVIIIème siècle associé à saint Brice dans le diocèse de Nantes, et son nom est encore inscrit au fronton d'une chapelle isolée à Bain. Le Finistère connaît depuis longtemps son invocation, puis que la paroisse de Locronan possède une statue de saint Roch de 1509 et que les paroissiens de Landeleau, de Plabennec, de Daoulas, de Plourin lui ont érigé des chapelles qui remontent au moins au XVIIème siècle. A Morlaix, on associait sur les autels saint Sébastien et saint Roch.

Ils ont eu pour concurrent saint Maudet dont la réputation était célébrée dans les assemblées et dans les foires avec autant de bruit que le nom de saint Yves dans le monde des plaideurs. Cinquante-quatre paroisses lui érigèrent des chapelles et dix églises l'ont adopté pour patron.

Le patronage médical de saint Fiacre était si retentissant dans le pays de Verton, que la fête de ce personnage avait fini par détrôner le culte de saint Hilaire, grâce à, l'installation d'un hôpital spécial où l'on soignait les jambes. Fiacre était également regardé comme un guérisseur au diocèse de Nantes, où l'on retrouve son invocation dans l'un des hôpitaux de Piriac-sur-Mer. En Finistère, il guérissait les maladies de langueur, et la dysenterie aux environs de Penmarch, de Lanilis, de Trefiagat. Sa popularité dans le Morbihan remonte assez haut, car on cite deux chapelles anciennes, l'une au Faouet dans le style du XVème siècle, et une autre à Pluvigné restaurée en 1640. De même aux alentours de Guimaëc, de Saint-Jean-du-Doigt et de Morlaix. Si on doutait de sa popularité dans cette région, il suffirait de compulser les registres paroissiaux des baptêmes ; on y constaterait la quantité d'enfants des deux sexes qui ont reçu le nom de Fiacre [Note : M. de Bergevin a compulsé les registres de Lanmeur et a fait ressortir les noms de plusieurs filles qui sont baptisées Fiacra]. Il est le patron de l'hôpital de Locronan. Cela ne l'empêche pas de recevoir par surcroît l'hommage des jardiniers au fameux pardon de Plourin qui remonte au moins au XVème siècle. Sa statue, dans la chapelle de Kergloff, le représente armé d'une bèche.

Le pouvoir de guérir les tumeurs était aussi attribué à saint Cado, du Cap Sizun ; on était sûr de lui plaire en lui offrant, dit-on, une poignée de gros clous à attacher les ardoises. Dans le diocèse de Rennes, on avait recours à saint Julien pour guérir les clous et les phlegmons en allant au Bois-Orcan ; à côté, saint Eutrope offrait ses services contre les enflures et la fièvre.

XII – LES PROTECTEURS DES ANIMAUX DOMUSTIQUES.

Les animaux domestiques sont de précieux auxiliaires pour l'homme des champs, ils sont sa richesse, et doivent avoir eux aussi leurs protecteurs. En effet, on leur a trouvé des saints guérisseurs qui aiment les troupeaux, tels saint Euvel, saint Goulven, saint Jorhant, saint Ké, sainte Jeune. Certaines espèces reçurent des protecteurs particuliers.

Saint Eloi paraît avoir joui exclusivement du privilège de guérir les chevaux, comme si l'évêque de Noyon avait pratiqué tout autre métier que celui d'orfèvre. Le choix ayant été fait par le peuple, le clergé s'est incliné et a béni toutes les assemblées convoquées au nom de saint Eloi, chapelles et pardons. Le cheval voué à saint Eloi (sant Alour), fait trois fois le tour de la chapelle, salue de la tête devant le portail, sous la conduite de son maître qui invoque le patron dans les termes suivants : « Toi qui es maître sur les chevaux, donne-leur pâture et santé ». Dans la paroisse de Paule, l'eau de la fontaine est versée sur le front de la bête, sur le garot, les oreilles et la croupe. Les chapelles de saint Eloi les plus connues sont dans les paroisses de Plouarzel, de Garlan, de Plouescat et de Ploudaniel (Finistère). Notre-Dame de Bonne-Nouvelle a pitié des bestiaux, à Nostang. Saint Josse ou Judoce guérit les vaches taries.

Le saint qui s'occupe spécialement des bêtes à Cornes dans toute la Haute et la Basse-Bretagne c'est saint Corneille ou Cornely, pour les Bretons, honoré dans l'église de Carnac. Saint Herbaut, son rival, appartient surtout au Finistère, tandis que Corneille est révéré jusque dans le diocèse de Nantes au nôrd de la Loire [Note : « Le plus grand saint du Paradis est saint Cornely » (Fouquet, Légendes et contes du Morbihan, p. 98). Dans le diocèse du Mans, les bêtes sont aussi vouées à saint Corneille. A la chapelle des Marais, les bêtes sont couvertes de caparaçons en velours pour la procession]. Sa fête est célébrée en grande pompe à la chapelle des Marais, aux confins de Missillac et à Sainte-Anne de Cambon. Les fermiers de Grand-Champ lui préfèrent saint Barnabé dont la statue est dans leur église, de là, ils se rendent à la chapelle de Bonne-Fontaine pour avoir double appui et se protéger contre les sorts (Verger, Dict. des communes de la Loire-Inférieure, Grand-Champ).

Le porc est peut-être la bête de la ferme la mieux soignée, car sa malpropreté l'expose à maintes maladies surtout à la ladrerie, contre laquelle on invoque saint Antoine, saint Ké et saint Hubert. La fontaine de Garlan a des vertus curatives auxquelles on a recours encore aujourd'hui, et qui procurent à la paroisse des offrandes abondantes. Si le porc est tourmenté par une forte migraine, ce qui n'est pas rare, les fermiers de Plouëgat-Moisan disent qu'il est frappé du mal de saint Nicodème (Drouc sant Egoutam) [Note : Saint Nicodème a sa chapelle et sa statue en la paroisse de Ploeven et en celle de Kergloff (Finistère). Dans le diocèse de Vannes, on montre une chapelle du XVème siècle à Plumeliau, une autre à Queven restaurée au XVIIIème siècle]. Comme il remue la tête avec violence, son maître lui verse dans les oreilles l'eau de la fontaine de Saint-Hubert, et lui fabrique un brouet de farine ou de son. Saint Nicodème est connu jusque dans le diocèse de Rennes, à Bréal-sous-Montfort, à l'occasion d'une grande assemblée de bestiaux (Pouillé du diocèse de Rennes, t. IV, Bréal).

Saint Blaise l'emporte sur tous les précédents, car il guérit les maux de gorge, c'est pourquoi on l'invoque contre l'esquinancie, mal qui tourmente souvent le porc. Aussi, nombreuses en Bretagne sont les chapelles dédiées à ce saint.

Nous avons terminé cette longue revue des infirmités humaines et des efforts tentés en Bretagne pour s'en affranchir. Quoiqu'il en soit de la crédulité, de la naïveté, voire de la superstition chez nos Bretons, leur confiance sans bornes envers les saints, leur foi agissante n'ont pas été stériles. Leur âme mystique s'est révélée dans l'architecture religieuse d'une façon supérieure. C'est pourquoi nous laisserons aux touristes de l'Armorique le soin de recueillir les preuves des prodiges opérés par les saints nationaux. Ils prendront pour guides les admirables clochers autour desquels les artistes bretons, interprètes de la reconnaissance populaire, ont déployé le meilleur et le plus original de leur talent.

(Léon Maître).

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