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LA BRETAGNE au XVIème SIÈCLE, APRÈS LA RÉUNION.

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§ Ier.
La Bretagne était, au XVIème siècle, la dernière province réunie par la royauté française. Après une lutte acharnée de dix siècles, la vieille indépendance celtique avait été forcée de subir la suprématie de ces ennemis qu'elle avait si longtemps repoussés. Mais l'union avait été singulière et difficile, et la fierté bretonne, quoique humiliée, n'avait pas été détruite.

La péninsule armoricaine, protégée surtout par son isolement, mais aussi par l'énergique ténacité de ses habitants, avait échappé à l'invasion des tribus germaniques ; elle avait conservé son caractère distinct, sa physionomie originale ; depuis la chute de l'empire romain, le peuple breton avait eu ses souverains, comtes ou ducs, prenant même parfois le titre de rois ; il était resté fidèle à sa langue, à ses vieilles coutumes, à ses moeurs particulières.

Il y avait toujours eu une véritable nationalité bretonne, d'autant plus forte qu'elle avait été plus longtemps menacée, si grande même, que, de nos jours encore, aucune province de France n'a conservé avec plus d'opiniâtreté ses souvenirs des temps passés, ses traditions d'indépendance, son individualité.

Comment la Bretagne avait-elle été réunie au royaume, à la fin du XVème siècle ? La politique habile de Mme de Beaujeu avait heureusement achevé l'oeuvre de Louis XI ; mais malgré les malheurs et les fautes du dernier duc François II, malgré la présence des armées françaises dans le pays, les Bretons ne semblaient pas avoir été contraints par la force de se soumettre aux rois de leurs puissants voisins. C'était par un traité d'alliance, conclu d'égal à égal, que la province avait été réunie au royaume, et même cette union, d'abord imparfait, paraissait à beaucoup plutôt enlevée par surprise que légitimement et loyalement contractée.

On sait dans quelles circonstances singulières et inattendues fut décidé, tout-à-coup, le mariage de la duchesse Anne avec Charles VIII ; la Bretagne, troublée divisée, trahie, était occupée par les troupes françaises ; la jeune princesse, à peine âgée de quatorze ans, avait été forcée de se soumettre aux volontés de ses ennemis ; le bruit même courait qu'elle avait été indignement enlevée : aussi le Pape ne voulut accorder les dispenses nécessaires pour son mariage qu'à la condition qu'il n'y aurait pas eu de violence, et l'on se crut obligé de faire déclarer par Anne elle-même qu'elle avait quitté Rennes, de son plein gré, pour venir épouser Charles VIII à Langeais, en Touraine (6 décembre 1491) (Act. de Bretagne, t. III, col. 718-719).

Le contrat de mariage, rédigé par des hommes dévoués ou vendus à la France, était, à dessein, vague et incomplet. Pour le bien de paix perpétuelle entre la couronne de France et aussi du duché de Bretaigne, comté de Nantes, etc., Anne, pour elle, ses successeurs et ayans cause, cède à héritage, perpétuellement et irrévocablement, à Charles et à ses successeurs, rois de France, tous ses droits sur le duché, en cas qu'elle mourût avant lui, sans laisser d'enfants. Le roi, de son côté, lui cède tous les droits qu'il peut avoir sur le duché…. mais elle ne pourra se remarier qu'au roi futur ou au prochain héritier présomptif de la couronne, etc. (Act. de Bretagne, t. III col. 715-718). Quels étaient ces droits de Charles VIII ? Dès 1468, Louis XI élevait des prétentions assez vagues sur le duché de Bretagne ; mais, au traité de Senlis, en 1475, il les avait formellement abandonnées. Quatre ans plus tard (1479), il achetait de Jean de Brosse, comte de Penthièvre, et de Nicole de Blois, sa fernnie, les droits de la branche, dépossédée depuis plus d'un siècle par la maison de Montfort (Act. de Bretagne, t. III, col. 343). Comme ils ne sont pas assez puissants par eux-mêmes pour recouvrer la Bretagne, ils cèdent, disent-ils, tous leurs droits à Louis XI et à ses successeurs : le roi leur donnera en échange 50.000 livres tournois, et, quand le duché appartiendra à la France, il s'engage, pour lui et ses héritiers, à rendre à Jean de Brosse ou à sa famille le comté de Penthièvre et leurs autres seigneuries, dont ils ont été dépouillés par les Montfort. Sous Charles VIII, au moment où le duc réglait, aux États de Rennes, l'ordre de la succession à sa couronne, Nicole de Penthièvre confirmait la donation de 1479 (20 octobre 1485) (Act. de Bretagne, t. III, col. 486). Le mariage d'Anne de Bretagne et de Charles VIII était donc une véritable transaction de droits litigieux, imposée, il est vrai, par la force.

Evidemment, la réunion définitive de la Bretagne à la France était le but de ce traité ; mais il avait été rédigé avec tant de précipitation ou si peu de franchise, qu'il ne faisait aucune mention des priviléges et du gouvernement de la province ; si des enfants naissaient de ce mariage, que devait-il arriver ? Les ministres de Charles VIII avaient eu soin de ne pas parler, dans le contrat, des droits qu'ils pourraient avoir ; c'était cependant là une question bien importante, mais aussi bien délicate, et, comme le dit d'Argentré, cet abandon de la province à Charles VIII, au préjudice des héritiers, n'était-il pas chose impossible, que la duchesse n'eût jamais passée, si elle l'eût entendue ? (D'Argentré, Histoire de Bretagne, liv. XII)

Aussi, les Bretons murmurèrent, puis ils adressèrent au roi des réclamations, et Charles se hâta de déclarer aux États assemblés que les impôts continueraient à être levés de la même manière que sous les ducs, et qu'ils ne seraient jugés que par les juges du pays (Act. de Bretagne, t. III, col. 728). Cependant Anne, quoique assise sur le trône de France, était toujours leur bonne duchesse, et ils attendirent en silence l'occasion d'interpréter les clauses du traité.

Anne, véritable Bretonne, digne représentant de l'indépendance et de l'opiniâtreté de ses compatriotes, Anne, qui ne fut jamais Française, ni de cœur ni d'intérêt, et qui a mérité, par son amour exclusif pour son duché, la grande popularité dont elle jouit encore, après plus de trois siècles, en Bretagne, se chargea, plus tard, de défendre elle-même les droits de son pays [Note : Le souvenir d'Anne est encore tout populaire en Bretagne et source de traditions bizarres, mais souvent significatives ; en voici une qui se rapporte à l'époque de la réunion, et qui a été recueillie prés de Morlaix : « C'était, dit un paysan que l'on interrogeait, une bien haute et bien puissante dame qui aimait les Bretons de tout son coeur, si bien que le, roi, son mari, pressé par le besoin d'argent, résolut d'établir la gabelle dans la province. Elle fit tout ce qu'elle put pour l'en détourner. A la fin, elle lui demanda pour combien de temps il voulait imposer ainsi le pauvre paysan. — Mais pour toujours, répondit le roi. Or, la duchesse Anne était une honnête et puissante dame; il lui suffisait, pour faire mourir celui qu'elle désirait, de jeter sur une table une pièce de douze sous ; et, en entendant les paroles de son mari, elle fut fort en colère ; elle prit une pièce de douze sous. Je ne sais pas ce qu'elle en fit, mais le roi ne vécut pas assez longtemps pour accabler son peuple d'un nouvel impôt »Revue de Bretagne]. Dès la mort de Charles VIII (17 avril 1498), elle fait voir qu'elle ne croyait pas la province réunie à la couronne de France ; elle rentre immédiatement dans son duché, agit en souveraine, publiant des édits, frappant des monnaies, convoquant les États, rétablissant, par exemple, la chancellerie de Bretagne, supprimée par Charles VIII, reprenant les places fortes que les Français occupaient encore, excepté Nantes et Fougères, qu'ils devaient garder un an seulement (Act. de Bretagne, t. III, col. 799). Les Bretons espèrent voir renaître les beaux jours de leur indépendance ; les chants patriotiques se font entendre de nouveau.

Le dernier traité était de fait complètement abrogé ; Anne s'intitulait vraye duchesse de Bretagne : et quand elle consentit à contracter un second mariage avec Louis XII, elle se fit l'organe et le défenseur énergique des sentiments et des intérêts bretons : cette fois, il y eut alliance entre la Bretagne et la France, comme il y avait alliance entre les souverains des deux pays : il n'y eut pas encore véritablement réunion. L'Espagne offrait alors un spectacle à peu près semblable : Isabelle et Ferdinand gouvernaient la Castille et l'Aragon, sans que ces deux États fussent confondus.

Par stipulation expresse et comme témoignage d'indépendance complète, ce fut au château de Nantes que le mariage fut célébré (8 janvier 1499). Les clauses du contrat nouveau étaient claires et significatives : Afin que le nom de la principauté de Bretagne et non pas, afin que la principauté de Bretagne, comme on l'a répété, ne soit et demeure aboli pour le temps à venir, le second enfant provenant dudit mariage, mâle ou fille, à défaut de mâle, et aussi ceux qui issiront respectivement et par ordre, seront et demeureront princes dudit pays, pour en jouir et user comme ont de coustume faict les ducs ses prédécesseurs, en faisant par eux au roi les redevances accoustumées : et, s'il advenoit que d'eux, en ledit mariage, n'issit ou vint qu'un seul enfant mâle, et que cy-après ississent ou vinssent deux ou plusieurs enfants mâles et filles, au dit cas ils succéderont pareillement audit duché, comme dit est. On le voit, les précautions pour sauvegarder dans l'avenir l'indépendance de la Bretagne, étaient aussi minutieuses que possible : ces concessions de Louis XII étaient vraiment impolitiques ; faut-il les imputer à la faiblesse, à la ruse ou à la nécessité ? [Note : Comme le disait plus tard le défenseur du roi Charles IX, dans le procès suscité par la duchesse de Ferrare, seconde fille d'Anne, ces conventions sont aussi pernicieuses et dommageables que l'on ne sçaurait penser ou dire... L'on ne croira jamais que Louis XII les ait voulu accorder, ou que son intention a esté de les tenir. (Act. de Bretagne, t. III, col. 1378) ].

Bien plus, si la duchesse meurt sans enfants avant le roi, il jouira sa vie durant seulement de la Bretagne, et après lui, les prochains vrays héritiers de laditte dame succéderont auxdits duché et seigneuries, sans que, les autres roys ses successeurs en puissent quereller, ne aucune chose demander (Act. de Bretagne, t. III, col. 813). Ces plus prochains héritiers étaient les descendants du vicomte de Rohan, qui avait épousé Marie de Bretagne, fille du duc François Ier. Ainsi plus de doute, plus d'obscurité : quoi qu'il arrive, la Bretagne doit être séparée de la couronne de France, après la mort d'Anne ou de Louis XII. Enfin, la veille de son mariage, elle obtenait du roi, son futur époux, une déclaration qui garantissait dans toute leur intégrité les droits et les libertés de la province. Voulons, entendons, accordons et promettons garder et entretenir ledit pays et sujets de Bretagne en leurs dits droits et libertés, ainsi qu'ils ont joui du temps des feus ducs prédécesseurs de notre dite cousine.

Anne, jusqu'à sa mort, resta duchesse de Bretagne : non-seulement elle jouissait de tous les revenus du duché, mais encore elle l'administrait elle-même d'une façon à peu près indépendante : comme le bon plaisir et vouloir de Monseigneur ait esté nous octroyer, consentir et accorder la totale disposition des affaires de nos pays et duché de Bretagne : telle est la formule céensacrée, qui se retrouve dans ses ordonnances. Elle avait même une garde particulière, composée de fidèles Bretons, et elle aimait, disent les historiens, à entendre les sons rudes et gutturaux de leur idiome national [Note : La reine Anne, ayant vu une nouvelle monnaie de Louis XII, sur laquelle ne se lisaient pas les mots Britonum dux, se plaignit vivement au roi, et obtint une ordonnance donnée à Nantes, pour que la monnaie fut dorénavant frappée avec ces mots : Ludovicus dei gratiâ Francorum Rex Britonum dux.— Travers, traité manuscrit des monnaies de Bretagne, p. 132].

Lorsque Louis XII, en 1504, paraissait sur le point de succomber à une cruelle maladie, la duchesse Anne se préparait déjà à reprendre le chemin de sa Bretagne, et le maréchal de Gié, qui, dans l'intérêt de la France et de l'héritier de Louis XII, cherchait à empêcher la séparation du duché, était durement et injustement poursuivi par la vindicative bretonne. Dans son célèbre procès, encore assez mal connu, on l'accusait d'avoir dit qu'il saurait bien empêcher les barons de Bretagne de reconnaître la reine pour leur souveraine [Note : Act. de Bretagne, t. II, col. 874. Procès de Pierre de Rohan. — Extrait des Archives de Bretagne, par Chapplain, dans les Annales de la Soc. Académique de Nantes, mai 1836].

La princesse Claude, fille de Louis XII et de la reine Anne, était, d'après les traités, la légitime héritière du duché : aussi n'est-il pas étonnant que la province ait été promise pour faire partie de sa dot, lorsque, par les conventions de Trente, de Lyon et de Blois, elle dût être fiancée à Charles de Luxembourg. Une telle alliance devait sourire à l'ambition d'Anne de Bretagne ? N'avait-elle pas jadis, elle-même, été mariée, par procureur, avec l'aïeul de ce prince, Maximilien d'Autriche ? Mais l'on peut croire que Louis XII, en signant ces traités, ne songeait qu'à gagner du temps et à tromper à son tour ses ennemis, qui, tant de fois, avaient abusé de sa bonne foi. Aussi n'eut-il pas besoin de se faire violence, pour accéder aux voeux des États- Généraux de 1506, qui le suppliaient de fiancer sa fille à l'héritier présomptif du trône, François d'Angoulême. Le mariage fut décidé, malgré le mécontentement et l'opposition de la reine ; mais elle en retarda la conclusion, autant qu'il lui fut possible ; et ce fut seulement après sa mort que François épousa l'héritière de Bretagne (18 mai 1514) (Mém. de Du Bellai, liv. 1er).

Anne détestait, en effet, cordialement la mère du jeune prince ; mais faut-il croire que, dans cette grave circonstance, elle sacrifia à son antipathie personnelle son amour pour l'indépendance de la Bretagne ? Les différents historiens ont diversement interprété, et souvent d'une manière erronée, la clause nouvelle par laquelle la reine se réservait la faculté de disposer de son duché en faveur de son fils, s'il lui en naissait un, contrairement aux termes positifs du contrat de mariage d'Anne et de Louis XII (D'Argentré, liv. XII - Gaillard, Histoire de François Ier, T. 1er - Daru, Histoire de Bretagne, t. III, etc., etc. - Act. de Bretagne, t. III, col. 879). Etait-ce uniquement par haine pour Louise de Savoie ? Je suis plutôt porté à croire que cette dérogation remarquable aux précédentes conventions, était une oeuvre prudente de la politique française de Louis XII ou de ses ministres, qui désiraient empêcher la séparation de la Bretagne et de la France. Alors s'expliquerait naturellement la répugnance du roi a remettre à son gendre l'administration de la province. Louis, qui, après la mort d'Anne de Bretagne, venait de se remarier et espérait encore un fils, aurait voulu gagner du temps.

Mais François d'Angoulême réclamait l'héritage de sa femme Claude ; les États ajoutaient leurs instances à ces réclamations ; le roi n'avait aucun prétexte au moins spécieux de refuser, et vers la fin d'octobre 1514, il lui abandonna le gouvernement de la Bretagne, sous la réserve des droits éventuels de la princesse Renée, soeur de Claude, née seulement en 1509 (Act. de Bretagne, t. III, col. 925).

Ainsi le duché allait reprendre son existence indépendante ; mais il semblait en quelque sorte fatalement décidé qu'il serait désormais réuni au royaume. Louis XII mourait deux mois après ; François devenait roi de France (janvier 1515), et dès le 22 avril, la nouvelle reine, qui fut toujours soumise aux volontés de son mari, lui cédait la jouissance du duché, sa vie durant, afin que les duchés de Bretagne et comté de Nantes ne sortent des mains d'icelui, et ne viennent à mains estrangères (Act. de Bretagne, t. III, col. 939).

Ce n'est pas encore assez : le 28 du mois de juin, pour empêcher les guerres qui ne manqueraient pas d'éclater, si la Bretagne tombait aux mains de quelque prince étranger, elle cède ses possessions au roi pour en jouir à perpétuité, s'il survivait à la donatrice, sans enfants issus de leur mariage ou si ces enfants mouraient avant lui. Ainsi, la Bretagne était acquise à titre d'héritage par la France, si la reine ne laissait pas d'enfants : les droits des autres héritiers étaient mis à néant.

Enfin, par un dernier acte, par son testament en 1524, Claude laisse l'usufruit de la province au roi son mari ; mais contrairement aux clauses du second contrat de mariage de la reine Anne, elle transmet la Bretagne au Dauphin, son fils aîné, héritier de la couronne de France. Il paraît que ces dispositions furent assez mal accueillies par les Bretons, et le mécontentement se manifesta même dans les États. Aussi, voyons-nous François Ier ordonner immédiatement au comte de Laval, son lieutenant-général, de lui faire prêter serment de fidélité, foi et hommage, comme usufructuaire du duché, au nom de son fils aîné : sa volonté est expresse ; et le 26 novembre 1524, au couvent des Jacobins de Rennes, les évêques, abbés, barons, bannerets et autres, par eux-mêmes ou leurs représentants, les procureurs des bourgeois des cités et bonnes villes, les magistrats des différentes cours et officiers publics, jurent entre les mains du comte de Laval, de bien et loyalement servir le roi leur seigneur (Act. de Bretagne, t. III, col. 962, 963).

Jusqu'alors la Chambre des Comptes de Bretagne, avait toujours reçu le serment de fidélité que les vassaux devaient à leur souverain. L'on s'est demandé pourquoi François Ier violait cet usage jusqu'alors invariablement suivi. N'était-ce pas pour prévenir toute opposition, pour étouffer tout murmure, toute réclamation ?

L'union allait ainsi se resserrant toujours de plus en plus ; elle n'était cependant pas encore complète et définitive. Les Bretons pouvaient conserver quelque illusion ; ils avaient encore un duc, descendant des anciens souverains du pays ; il est vrai que ce duc était l'héritier direct de la couronne de France. Mais l'intérêt du royaume exigeait plus encore : François Ier devait le comprendre ; après le traité de Cambrai, lorsqu'il s'occupait avec plus d'intelligence que jamais d'augmenter ses ressources et de fortifier sa puissance, il vint lui-même en Bretagne pour achever enfin l'oeuvre de la réunion commencée depuis plus de quarante ans : l'habile Duprat, chancelier de France (1515) et de Bretagne (1518), l'accompagnait ; après avoir consulté, à Châteaubriant, où il séjournait chez la belle Françoise de Foix, épouse de Jean de Laval, plusieurs des personnages importants de la province, entre autres Pierre d'Argentré, sénéchal de Rennes, le père de l'historien, il convoquait les États à Vannes (août 1532). « Car c'était chose qui ne se pouvait passer sans le décret des Etats » [Note : D'Argentré, histoire de Bretagne. Les historiens s'accordent à dire que ce fut Loys des Déserts, premier président de Bretagne, qui donna le conseil de faire demander la réunion par les États eux-mêmes].

Nous ne savons pas si, comme on l'a souvent répété, de grands débats agitèrent l'assemblée, et retentirent jusqu'au dernier village de Bretagne, lorsqu'on vint lui proposer l'affaire de la réunion. Mais ce qui est certain, c'est que la decision ne fut pas spontanée, volontaire, donnée sans regrets et sans quelques restrictions secrètes. L'opposition n'était pas sans danger en présence d'un roi tel que François Ier [Note : M. Lallemand, de Vannes, a prouvé, dans une savante notice, sur les États de Vannes de 1532, que François Ier était venu lui-même appuyer les démarches de ses ministres (Annuaire du Morbihan, 1853)]. Aussi les partisans de l'union purent-ils facilement développer les raisons fortes ou spécieuses qui plaidaient en faveur de leur opinion. Ce ne fut cependant pas sans contradiction. Plusieurs députés osèrent déclarer que ce serait la ruine de la province, dont les privilèges seraient bientôt méprisés, les peuples opprimés, la noblesse expatriée, les bénéfices livrés à des étrangers, etc. Malgré la résistance des patriotes bretons, entre autres des Nantais le Bosech, procureur-syndic, et Jean Moteil, la majorité des États, convaincue, résignée, séduite ou intimidée, obéit à la volonté du roi de France, et même se soumit à lui demander, comme une faveur ce que l'amour-propre national devait assurément regarder comme un malheur et une honte. La hauteur maladroite et les emportements de M. de Montejean [Note : M. Lallemand, malgré la narration de d'Argentré, pense que le seigneur de Montejean ne pouvait être ni président des États, ni commissaire du roi, et qu'il était là seulement en qualité de baron de Fougères. Ses preuves ne sont pas convaincantes (Ann. du Morbihan, p. 198, 199)] avaient aigri les esprits et causé quelques altercations. Mais enfin l'on cédait, parce qu'il était bien difficile de ne pas céder, et les gens des trois Estats suppliaient très- humblement le roi qu'il lui plût unir et joindre perpétuellement lesdits pays et duché de Bretagne avec le royaume de France, à ce que jamais ne se trouve guerre, dissention ou inimitié entre lesdits pays, gardant toutefois et entretenant les droits, libertez et privilèges dudit pays [Note : C'est l'un des évêques de Bretagne, qui, au nom des députés, adressa la requête au roi]. Puis, François Ier accédant à cette requête, dans l'intérêt même de la province, déclarait la Bretagne unie à la couronne de manière à ne pouvoir à l'avenir en être séparée ni tomber en divorce, pour quelque cause que ce fut [Note : Act. de Bretagne, III, col. 997, 999. — D'Argentré, liv. XII, ch. 70. — Dom Taillandier, p. 252, 253, continuation de dom Morice. — Gaillard, Histoire de François Ier, t. II, p. 363]. En même temps il reconnaît son fils aîné, vrai duc propriétaire du pays et duché de Bretagne, moyennant la coutume par laquelle les aînés succèdent au duché, et nonobstant toute chose qui pourroit auparavant avoir été faite au contraire [Note : L'écu d'or, frappé en 1532, représente pour la première fois le roi, portant la couronne close de toutes parts : François Ier venait en effet d'y joindre le dernier fleuron. — Travers, traité des monnaies, p. 139].

Nous sommes loin du contrat de mariage de la duchesse Anne avec Louis XII.

Voir aussi Traité d'union de la Bretagne et la France "Traité de 1532 unissant la Bretagne à la France"

Enfin, quand après la mort du premier dauphin et de François Ier lui-même, son second fils Henri II monta sur le trône, l'état transitoire dans lequel se trouvait encore la Bretagne cessa, et elle ne fut plus qu'une province du royaume, gouvernée comme les autres provinces et au même titre par le souverain (1547).

Voilà les faits et les traités ; mais les Bretons avaient-ils accepté l'union avec une confiance sans réserve, avec une affection sans mélange pour leurs nouveaux souverains ? et ne restaient-ils pas attachés à leurs priviléges, souvenirs précieux de leur antique indépendance ?

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§ II.
Les intrigues des princes et des grandes familles, l'habile politique d'Anne de Beaujeu, les mariages heureux de la duchesse Anne et de sa fille Claude avec les rois de France Charles VIII, Louis XII et François Ier, avaient amené et peu à peu resserré l'union de la Bretagne au royaume. Mais les bourgeois des villes, et surtout les nombreux et pauvres gentilshommes de la province, les paysans de la Basse-Bretagne, descendants des anciens Celtes, restaient toujours fermement attachés de coeur à leur vieille nationalité ; leur origine, leur langue, leurs usages particuliers, leur histoire de dix siècles, racontée par leurs poètes populaires, tout, jusqu'à l'isolement de leur pays sauvage, les séparait et les éloignait de la France. Les Français devaient encore être longtemps pour eux les étrangers maudits, les ennemis détestés ; longtemps encore, les Bretons devaient être pleins de défiance, sinon de haine, l'égard de la domination royale.

La race de leurs anciens ducs était toujours le symbole et l'espérance de la nationalité bretonne, et l'amour des Bretons pour Anne et ses descendants avait surtout pour cause leurs sentiments patriotiques ; c'était au XVIème siècle qu'avaient lui les derniers beaux jours de la province ; c'était cet âge heureux que la plupart devaient longtemps regretter. Lorsque les paysans protestaient, dans leurs chants, contre les impôts établis par Louis XIV, ils disaient :

Mes amis, si ce n'est pas faux
Ce que racontent les vieillards,
Du temps de la duchesse Anne
On ne nous traitait pas ainsi
(Bulletin archéologique de l'Association bretonne, 1851, p. 80).

Même après la réunion, le sentiment de la vieille indépendance était toujours vivace, l'espoir de la voir renaître n'était pas encore éteint dans tous les coeurs ; la race bretonne, lente à concevoir, dure à s'émouvoir, a toujours conservé, avec une remarquable opiniâtreté, ses affections et ses antipathies, ses croyances, ses préjugés et même ses espérances irréalisables.

Sous François Ier et après lui, l'union des coeurs n'existe donc pas encore : Quiconque est trop Français, écrit, de Bretagne, la spirituelle Marguerite de Navarre (nov. 1537), est regardé comme mauvais Breton [Note : Lettres de Marguerite, publiées par la Société d'Histoire de France, Paris, 1842, p. 164. C'est alors qu'elle passe quelque temps au château de la Gascherie, chez son beau-frère, le vicomte de Rohan ; elle fait son entrée à Nantes le 22 novembre]. Lorsque les députés de la province ont renoncé formellement à leur indépendance, en 1532, les habitants semblent vouloir se consoler en couronnant solennellement, à Rennes, le dauphin François, suivant les anciennes cérémonies ; ils lui donnent le nom significatif de François III. Et ce n'est pas seulement une vaine satisfaction de l'amour-propre national [Note : Relation officielle de Michel Champion, Act. de Bretagne, t. III, col. 1002-1010. D' Argentré, liv. XII, ch. 71] ; le roi ordonne à son fils de venir aussitôt le rejoindre à Nantes ; les démonstrations extraordinaires de la joie publique l'offusquent : c'est comme une protestation contre la réunion qu'il vient d'enlever ; il craint ces témoignages d'affection que donnent tous les ordres de la province au petit-fils de la bonne duchesse. Il connaissait, dit dom Taillandier, le goût des Bretons pour un prince particulier, et il se hâte d'éloigner son fils de la Bretagne.

C'est une vérité tellement évidente, que tout le monde fait, la même remarque : Les Bretons désirent un chef à eux, écrit l’ambassadeur de Venise, en 1537, car ils n'aiment pas à dépendre directement du roi de France [Note : Relation de F. Giustiniano, dans les Relations des ambassadeurs vénitiens sur les affaires de France, t. 1er, p. 175. Documents inédits de l'Histoire de France]. François Ier lui-même, malgré l'acte formel de réunion, semble vouloir ménager ces espérances des Bretons ; dans ses actes, il s'intitule presque toujours roi de France, père et légitime administrateur et usufructuaire des biens de son très-cher et très-amé fils le dauphin, duc et seigneur propriétaire du duché et pays de Bretagne. Les termes sont assez significatifs. Bien plus, comme l'a remarqué un écrivain breton, deux princes semblaient alors gouverner la Bretagne ; François Ier, usufruitier, en recevait tous les revenus, et y établissait des taxes qui lui donnaient beaucoup ; son fils nommait aux emplois et faisait des mandements. En 1539, le roi se dessaisit, en faveur de son fils, le dauphin Henri, de l'usufruit de la Bretagne, et le lui abandonne, en avancement d'hoirie, à la condition que le prince lui en ferait hommage. Le Parlement de Paris fait alors de fortes remontrances contre ces lettres-patentes, qui dérogeaient à l'acte de réunion de 1532 ; mais elles furent inutiles. On peut croire que François Ier voulait ménager l'état transitoire dans lequel se trouvait la Bretagne (Act. de Bretagne, t. III, c. 1035-38). L'union se consolide, il est vrai, sous Henri II et ses fils, vrais ducs de Bretagne et rois de France ; mais, plus tard, à l'époque de la Ligue, la faveur populaire doit se porter, pour les mêmes motifs, sur la duchesse de Mercoeur, rejeton de la race des anciens souverains.

Ainsi, sous Charles VIII, sous François Ier et même après lui, la Bretagne n'est pas encore véritablement française. Tandis que les guerres d'Italie sont nationales par tout le royaume, elle reste presque indifférente aux victoires comme aux revers de nos rois. Vainement Charles VIII annonce-t-il, au mois de mai 1495, ses suçcès extraordinaires dans l'expédition de Naples, les villes de Bretagne ne font aucune réjouissance ; elles se plaignent plutôt des emprunts considérables que nécessitaient ces guerres lointaines [Note : Ainsi, Nantes paie 3.750 liv., pour sa part dans la construction de deux gros navires, et, la même année (1495), emprunte 15.000 livres pour le roi ; il en est de même des autres villes]. Sous Louis XII, lorsque le concile national de Tours autorise le roi à combattre le pape Jules II, les députés du clergé breton, dirigés par la reine Anne elle-même, mais aussi soutenus par l'opinion de leurs compatriotes, séparent formellement les libertés et priviléges de l'Église de Bretagne, et refusent de faire cause commune avec le reste de la France (1510) (Act. de Bretagne, t. III, col. 896).

Pendant le règne de François Ier, les exigences du gouvernement augmentent avec les besoins [Note : En 1522, le roi demande à Nantes 22.000 livres ; ou se hâte de députer vers la reine, pour ne pas payer cet impôt extraordinaire] ; les États de la province sont forcés d'établir de nouvelles taxes, sans acception de privilége ; alors, le clergé de Nantes refuse de payer sa part, mais le prévôt exécute ses ordres, quoique le chapitre ait menacé de l'excommunier (1524) [Note : Histoire civile, politique et religieuse de la ville et du comté de Nantes, par l'abbé Travers, qui écrivait au XVIIIème siècle, publiée en 3 vol. petit in-4°, à Nantes, en 1837, compilation sans critique, mais pleine de documents inédits, puisés laborieusement aux archives] ; plus tard, lorsque le roi ordonne de porter au Louvre tous les deniers communs des villes de la province (1536) le conseil des bourgeois de Nantes fait à cet ordre une respectueuse, mais ferme opposition. L'année suivante, le roi demande à la même ville un don gratuit de 8.000 livres ; elle envoie 4.500 livres, en déclarant qu'elle ne pouvait donner davantage (Travers, t. II, p. 307-309). A Rennes, l'on se montre encore moins généreux ; il s'agit de contribuer à payer la rançon des fils de François Ier : les bourgeois, au lieu de 10.000 livres qu'on réclame, n'accordent que 3.000 livres, et encore l'on ne se hâte pas de payer ; des poursuites commencent, et Michel Champion, leur procureur, est député pour solliciter une réduction (Mallet, Histoire de Rennes, p. 218). En 1529, lorsque le roi manifeste son désir de voir la noblesse de la province contribuer à la rançon de ses enfants, elle répond que tels devoirs et aides qu'il demande n'ont accoustumé, ni ne doivent estre levez sur les gentilshommes, et nobles de Bretaigne ; elle ne doit au roi que la foi, l'hommage et le service militaire. Cependant, les gentilshommes consentent, par forme de pur don et libéralité, à payer chacun le vingtième de leur revenu, ce qu'ils n'eussent fait et ne voudroient faire pour quelconque autre cause que ce soit ; ils doivent mettre leur offrande dans un coffre, sans que la somme fût comptée, faisant loyal rapport à leur conscience ; des commissaires, chargés de garder le coffre, ne l'ouvriraient qu'en présence d'un député du comte de Laval, et la somme resterait dans la province, jusqu'au moment où elle serait employée pour la rançon des princes (Act. de Bretagne, t. III, 987-988). A cette occasion, le clergé déclara qu'il ne pouvait contribuer sans la permission du pape, qui le lui défendait sous peine d'excommunication, et l'on se garda bien de la solliciter (Regist. du Chapitre de Nantes. Daru, t. III, p. 256).

Plus tard, en 1543, le roi demande des sommes extraordinaires à ses sujets ; la Bretagne devait lui avancer 120.000 livres, mais ceux des jurisdictions de Quimper, Quimperlé, Hennebond, Auray, Guérande, etc., et aucuns des autres jurisdictions, gens riches et quottisez par des commissaires, ne voulurent subvenir d'aucuns deniers. François Ier irrité s'adresse immédiatement à la Chambre des Comptes (14 décembre), pour savoir qui les meult d'estre contumax et désobéissants, — et pour user de rigueur envers eux, vous appellerez, ajoute-t-il, les juges à comparoir par-devant vous, pour entendre les causes pour lesquelles les habitants de leurs jurisdictions ont été si ingrats de ne voulloir, en aucune manière, nous subvenir (Liv. 3 des Mand. de la Ch. des Comptes).

Nous sommes encore loin de cette confiance sans réserve, de cette loyale et touchante franchise, de cette affection des Bretons pour le gouvernement français, que, plus tard, pour des causes, diverses, l'on devait trop souvent célébrer [Note : En 1788, la commission intermédiaire, chargée de représenter les États de la province, s'exprimait ainsi : « Le règne de Louis XII rendit le gouvernement français si cher aux Bretons, qu'ils furent les premiers à provoquer l'union inséparable des deux Couronnes ». Or, on sait comment l'affaire de la réunion fut menée par François Ier et ses ministres. « Rien de plus simple et de plus noble à la fois que la manière dont se fit le contrat entre le monarque et les États de la province. On y voit éclater cette confiance sans réserve, cetté loyale et touchante franchise qui distingue et caractérise les Bretons »]. Si l'on veut connaître les sentiments réels des populations de l'Armorique au XVIème, siècle, il faut lire avec attention ces chants, si heureusement et si habilement recueillis par M. de la Villemarqué.

Je crois que beaucoup d'entre eux ont été composés, ou du moins ont été modifiés, au XVIème siècle, sous l'inspiration du sentiment national. Eh bien ! partout réspire l'amour de l'indépendance et la haine des Français, des étrangers. « Ah ! il n'eut pas été Breton dans l'âme celui qui n'aurait pas ri de tout son coeur, en voyant l'herbe verte, rouge du sang des Francs maudits, et le seigneur Lez-Breis, assis auprès, se délassait en les regardant ». Voilà les paroles que l'on répétait au moment même de la réunion, dans toutes les campagnes de la véritable Bretagne ; voilà la franche expression des antipathies séculaires, qui devaient longtemps encore diviser deux peuples destinés, désormais, à vivre sous les mêmes lois.

Au reste, les Bretons avaient précieusement conservé leurs priviléges, leurs vieilles franchises. Charles VIII, Louis XII et François Ier, trop heureux de l'union d'un pays aussi considéble, et comprenant, d'ailleurs, la nécessité de ménager les intérêts et les sentiments de cette énergique population, qui n'avait pas été conquise, avaient confirmé les libertés de la province.

1° Au sujet des Impôts votés par les États.

Dans un traité conclu dès 1484 par Charles VIII avec quelques seigneurs Bretons, séparés cependant du parti national, on trouve déjà cette condition remarquable : « Et il ne sera levé nulle taille sans l'avisement et consentement des Etats, comme il a été pratiqué au duché de Bretaigne de tout temps immémorial » (Act. de Bretagne, t. III, col. 441-443). Plus tard, en 1492 et en 1494, sur les demandes réitérées des Etats de la province, le roi déclare formellement « qu'il ne lévera et ne fera lever dorénavant aucun fouage, aide ou subside, sinon par la forme et manière que les ducs de Bretagne ont accoutumé de faire le temps passé  » (Act. de Bretagne, t. III, col. 729). Tous les édits et statuts, faits par ses prédécesseurs les ducs, doivent être à ce sujet inviolablement observés : s'il y a besoin, ils seront publiés dans les lieux publics, où l'on a coutume de faire les proclamations. Les receveurs des fouages ne pourront arrêter aucun Breton, pour cause de non paiement, dans les foires, marchés, plaids et autres assemblées, ni au service de Dieu les dimanches et fêtes solennelles : ils ne pourront prendre les boeufs, charrues et autres harnois de labour. (Act. de Bretagne, t. III, col. 744, III et IV).

Les aides ne doivent pas être considérées, au préjudice du pays, comme un impôt accoutumé : quand les États les ont accordées, ils doivent déclarer les sommes imposées à chaque ville, et envoyer les mandements, pour qu'ils soient publiés. (Act. de Bretagne, t. III col. 748, XIII).

Les deniers, provenant du droit de Billot et appetissage (impôt sur les boissons), seront loyalement employés aux fortifications et réparations nécessaires des villes, places fortes, ponts et passages du pays, et non ailleurs. (Act. de Bretagne, t. III, col. 729).

Louis. XII jure de conserver à la Bretagne ses droits et les libertés dont elle a joui du temps des feux ducs prédécesseurs de sa cousine ; pour tout ce qui touche les impositions des fouages et autres subsides, les gens des États seront appelés en la forme accoutumée (1498). (Act. de Bretagne, t. III, col. 815, 816).

François Ier, en 1532 confirme solennellement ces privileges : « aucune somme de deniers ne pourra leur être imposée, si préalablement n'a esté demandée aux Estats d'icelui pays, et par eux octroyée ». (Act. de Bretagne, t. III, col. 1010).

2° Au sujet de la justice.

Les Grands-Jours ou Parlement de Bretagne administreront la justice, et l'on pourra appeler de leurs jugements au Parlement de Paris, seulement comme par le passé : ce qui pour Bretons, depuis l'époque de Pierre Mauclerc, signifiait que ces appels ne pouvaient avoir lieu que dans le cas de déni de justice ou de faux jugement (Act. de Bretagne, col. 729, 816, 817). Ou, comme le dit en termes plus généraux l'ordonnance de François Ier « que la justice soit entretenue en la forme et manière accoustumée, c'est à sçavoir le Parlement, Conseil et Chancellerie, Chambre des Comptes, assemblée des Etats, les Barres et Jurisdictions ordinaires dudit pays » (Act. de Bretagne, col. 1010).

« Les Bretons ne pourront être appelés en première instance, ailleurs que devant les juges du duché, comme ils ont été d'ancienneté, pour quelque matière que ce soit, ou puisse être, soit, par vertu de committimus, mandement d'Université ou autrement » (Act. de Bretagne, col. 729, 746, 1011).

Le prévôt des maréchaux ne doit exercer aucune juridiction, si ce n'est sur les gens de guerre, tenant les champs, et aussi pendant qu'ils sont à l'armée (Act. de Bretagne, col. 729).

Les offices de justice ne pourront être exercés sinon par gens clercs, lettrés et expérimentés et capables de les exercer, et que fassent résidence actuelle (Act. de Bretagne, col. 747).

3° Au sujet de la Guerre.

Les nobles de Bretagne, dit Louis XII, ne sont pas tenus de nous servir en temps de guerre, hors de leur pays, si ce n'est en cas d'extrême nécessité, ou du consentement de la Duchesse et des États de la province (Act. de Bretagne, col. 816).

La milice des francs-archers est réorganisée en Bretagne : les paroissiens doivent choisir trois hommes de la paroisse, ne payant pas plus de 60 sous de Touage, et le capitaine choisira le plus capable ; les capitaines n'exigeront et ne prendront ni des francs-archers ni des paroissiens aucun denier, si ce n'est les devoirs anciennement dus et accoutumés (Act. de Bretagne, col. 745).

Les gens de guerre, d'ordonnance ou de garnison, allant ou séjournant par le pays, paieront leurs dépenses par où il passeront et se contenteront des vivres qu'ils trouveront, sans contraindre les habitants à leur en aller chercher d'autres (Act. de Bretagne, col. 743).

4° Au sujet des Bénéfices.

« Ils doivent être donnés, de quelque nature qu'ils soient, aux hommes du pays ; et que autres n'y soient reçeus à les avoir par lettres de naturalité, ne autrement, fors par la nomination de nostre dite cousine ; en ayant regard au grant nombre des nobles dudit pays, qui ont accoustumé de vivre et d'estre entretenus desdites chosese » (Act. de Bretagne, col. 816). François Ier renouvelle cette promesse : « Nul non originaire ne pourra avoir ni obtenir bénéfice, sans avoir sur ce lettres du prince, et qu’icelles lettres ne soient baillées à gens étrangers, ni aultres, sinon à ceux qui sont à l'entour de nostre personne » (Act. de Bretagne, col. 1011).

Ce n'étaient pas seulement des concessions précaires ; l'avenir même était engagé ; comme le disait la déclaration de Louis XII : « S'il advenait que de bonne raison il y eut quelque cause de faire mutacions, particulièrement en augmentant, diminuant ou interprétant lesdits droits, coustumes, constitucions ou establissemens, que ce soit par Parlement et assemblées des  Éstats dudit pays, ainsi que de tout temps est accoustumé et que autrement ne soit fait » (Act. de Bretagne, col. 816).

Les États de Bretagne conservaient donc une grande autorité ; ils étaient les défenseurs actifs et puissants des droits et des libertés de la province. Depuis le IXème siècle, les barons et les prélats étaient continuellement intervenus dans les affaires les plus importantes. Sans l'avis et le consentement du grand conseil de la nation, les Ducs ne pouvaient faire aucune fondation considérable, établir de nouvelles lois, modifier les anciennes, régler le gouvernement (Préf. de dom Morice, Act. de Bretagne, t. III p. III et IV). Deux princes de race étrangère, Geoffroy Plantagenet et Pierre de Dreux, s'étaient en vain efforcés d'établir des impôts sans l'octroi des barons ; leurs tentatives avaient échoué. Dès le commencement du XIVème siècle, les députés des bonnes villes ou du tiers-état avaient été appelés par les Ducs aux assemblées des deux premiers ordres. Au XVIème siècle, l'ordre de l'église comprenait les neuf évêques de la province, les abbés et les députés des églises cathédrales. Dans l'ordre de la noblesse se trouvaient tous les seigneurs, possesseurs de fiefs; les principales villes de la province envoyaient leurs représentants (Id., p. VI, XVI).

Les États étaient devenus peu à peu annuels. Ils se tenaient dans les villes indiquées par le roi, et duraient ordinairement quatre à six semaines, quelquefois plus. Les membres des Etats n'étaient pas défrayés par la province comme ceux du Languedoc ; mais ils ne pouvaient être arrêtés, pour quelque sujet que ce fut, pendant la tenue de l'assemblée (Préf. de dom Morice, Act. de Bretagne, p. XVIII, XX).

Depuis la réunion, les rois envoyaient des personnes de distinction pour ouvrir en leur nom les Etats et déclarer leurs intentions ; c'étaient généralement les grands officiers du prince dans la province, le gouverneur, le grand-maître des eaux et forêts, les présidents, procureurs et avocats-généraux du Parlement, les présidents et le procureur-général de la Chambre des Compte Préf. de dom Morice, Act. de Bretagne, p. XXIII).

Nous l'avons vu, les Bretons regardaient, comme un de leurs plus précieux privilèges, l'avantage de n'être jugés que dans la province, par des juges du pays, suivant les anciennes coutumes du duché. Le Parlement de Bretagne, sauf quelques rares exceptions, devait être pour eux le tribunal suprême ; ils le considéraient égalament comme le défenseur de leurs droits et de leurs libertés.

Dès le XIIIème siècle, l'on avait pris l'habitude d'en appeler des juges inférieurs au jugement du Parlement général de la nation, c'est-à-dire des Etats : toute personne, de quelque état et condition qu'elle fût, avait ce droit d'appel. Ainsi, tandis qu'en France, le Parlement était surtout un tribunal royal, en Bretagne c'étaient les représentants de la nation qui jugeaient en dernier ressort.

Vers le commencement du XVème siècle, l'usage s'introduisit de réserver aux Etats les affaires d'un intérêt vraiment public, et de laisser à une commission spéciale le soin de juger les procès des particuliers ; le duc et les barons, comme pairs de Bretagne, avaient toujours le droit d'assister aux séances. Mais, comme les affaires se multipliaient, comme les jugements traînaient en longueur, le duc François II, à l'imitation de la France, renouvelant une ordonnance de Pierre II (1454), établit, du consentement des trois États, un Parlement ou Cour de justice, sédentaire ou ordinaire à Vannes (22 septembre 1485) ; il le composait du président de Bretagne, des sénéchaux de Rennes et de Nantes, de cinq conseillers ecclésiastiques, de sept conseillers laïques et du greffier des Etats (Act. de Bretagne, t. III, col. 478). Les Grands-Jours, comme on appelait souvent ce Parlement, supprimés à sa mort, avaient été rétablis par Charles VIII en 1493 : en 1495, ils avaient été plus régulièrement organisés. Quoique dès-lors l'indépendance de ce tribunal eût été amoindrie par la politique du gouvernement français, quoique Charles VIII eût déjà pris soin d'y introduire des étrangers à la province pour mieux veiller à ses intérêts, cependant, les magistrats avaient plus d'une fois lutté pour soutenir les droits de la Bretagne : ainsi, en 1495 « ils défendaient à tous sergents de faire aucuns actes contraires à leurs décisions, ou tendant à appel, et ordonnaient au procureur-général de faire prendre, emprisonner et tirer à conséquence d'amendes et punitions, comme transgresseurs et violenteurs des droits, libertez et noblesse de ce dit pays et principauté tous ceux qui voudraient appeler » (Act. de Bretagne, t. III, col. 756, 781). Les rois de France, maîtres de la Bretagne, devaient travailler à organiser, d'une manière plus complète, la Cour judiciaire du pays : c'était l'un des moyens les plus efficaces auxquels ils pussent avoir recours pour étendre leur autorité et détruire tous les restes de l'indépendance féodale et de l'indépendance provinciale, pour arriver enfin à l'unité et à la centralisation.

(M. Grégoire).

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