Web Internet de Voyage Vacances Rencontre Patrimoine Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Bienvenue !

LES RETABLES, JUBÉS, MISES AU TOMBEAU, ROUES DE FORTUNE, ... BRETONS.

  Retour page d'accueil       Retour page "Histoire de Bretagne"  

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Boutique de Voyage Vacances Rencontre Immobilier Hôtel Commerce en Bretagne

Après les Croix Ornées et les Calvaires, les Retables d'églises sont une des formes les plus intéressantes de l'ancien art religieux breton. En eux aussi se sont traduits la verve, souvent naïve, et le savoir-faire, plus raffiné, des artistes locaux, qui les ont exécutés dans leur atelier de tailleurs et de sculpteurs de pierre ou, c'est le cas le plus fréquent, sur leur établi de menuisiers et de sculpteurs sur bois.

On les trouve un peu partout, dans les Cathédrales et dans les Eglises des villes, dans les Églises, plus humbles, des villages, et dans ces multiples Chapelles disséminées au bord des chemins et dans la lande, qui sont un des charmes de la vieille Armorique.

De ces œuvres pies, fort variées et d'une valeur d'art inégale, il va de soi que nous ne pouvons donner ici qu'un rapide, et aussi synthétique que possible, aperçu.

Les ouvrages décoratifs destinés à accompagner et à encadrer les autels, et qui constituent ce qu'on appelle un Retable, furent taillés tout d'abord, en Bretagne comme ailleurs, dans la pierre même de l'édifice qui les abrite. De ce type nous trouvons un excellent exemple dans l'Église Saint-Sulpice, de Fougères (Ille-et-Vilaine), et dans les deux Retables qui s'y voient en haut des deux bas-côtés droit et gauche. — Celui de droite comporte, au-dessus de l'autel, une arcature élancée, du XVIème siècle et du gothique flamboyant, finement fouillée dans le granit, et qui a été malencontreusement peinte et dorée. Elle encadre aujourd'hui une toile du XIXème siècle, une Mater Dolorosa, ayant son fils mort appuyé contre ses genoux. Au dessus de cette arcature, et c'est la partie la plus curieuse du Retable, des bas-reliefs d'un art rudimentaire et qui remontent, selon toute vraisemblance, au XVème siècle (les premiers travaux de l'église sont de 1410), ont été sculptés dans la muraille. Ils figurent les divers Instruments de la Passion : une grande Croix, qui est celle du Christ, et les deux Croix, plus petites, des deux Larrons ; une Couronne d'épines ; un Glaive, des Tenailles et un Marteau ; la Main qui souffleta Jésus. On reconnaît également le Coq de Saint Pierre, la Tête mitrée du Grand Prêtre Caïphe et celle de Judas (il a la corde au cou, voisine de la Bourse contenant les trente deniers. Une autre Tête, qui tire la langue et insulte le Christ est celle du Mauvais Larron. Près de la voûte, la Tête casquée d'un Soldat Romain. Ces frustes images s'apparentent visiblement à celles qui furent taillées sur la pierre des premiers Calvaires, notamment sur le granit du Menhir christianisé de Saint-Duzec (Côtes-du-Nord, aujourd'hui Côtes-d'Armor) [Note : Voir : Paul Gruyer, Les Calvaires Bretons]. — Le Retable de gauche, tout entier du gothique flamboyant, nous présente, à son centre, une Vierge debout, qui tient sur son épaule l'Enfant-Jésus, en un geste charmant. A droite et à gauche : Saint Jean l'Évangéliste et Sainte Madeleine, tenant à la main le vase de parfums dont elle oignit les pieds du Christ. Au faîte du pignon qui termine le retable, on retrouve, en un groupe sculpté, une petite Mater Dolorosa.

C'est de Flandre que vinrent en Bretagne les premiers Retables en bois sculpté et doré. Celui qui orne la Cathédrale de Rennes en est un magnifique spécimen. Ce chef-d'œuvre du XVème siècle figure dans ses divers compartiments, à l'aide de petits personnages, la Vie de la Vierge. C'est un des plus importants qu'il y ait en France, tant par sa dimension, le nombre des scènes et des figurines, que par la beauté de son exécution, d'un dessin expressif et serré, d'un art minutieux et patient. L'artiste a, comme c'était l'usage, donné aux personnages le type et les costumes de ses contemporains. On ignore le nom du sculpteur et l'histoire de son œuvre, et quel généreux donateur fit de celle-ci offrande à la Cathédrale, dont elle parait primitivement le Maître-Autel. Le Retable a été, vers le milieu du XIXème siècle, restauré et déplacé. Sa disposition a été légèrement modifiée. Il se trouve aujourd'hui à l'autel de la chapelle du bas-côté droit qui précède le transept.

Un Retable similaire existait, à Rennes même, dans l'Église Saint-Sauveur, d'où il a disparu. On en retrouve un autre, également compartimenté, dans la Chapelle de Kerdévot, située sur le territoire d'Ergué-Gaberic (Finistère), à six kilomètres Est de Quimper. Et un autre encore dans l'Église du petit port de pêche de Larmor, près de Lorient. Posé sur l'autel qui est communément désigné sous le nom d' « Autel des Juifs », il représente, en une seule grande scène, le Crucifiement. La disposition des figurines forme une sorte de pyramide ayant à sa base la Vierge en pleurs, à son faîte la Croix du Christ. A droite et à gauche de celle-ci s'élèvent les Croix du Bon Larron et du Mauvais Larron, qui se démène comme un possédé. Le tout a été, au XVIIème siècle, par un artiste local, encastré dans des boiseries coloriées, et un fond de paysage a été peint.

C'est une note d'art toute différente, de matière et de style, mais également archaïque, qui nous est offerte par le grand Retable d'albâtre que l'on admire à Roscoff (Finistère), en l'Église de Notre-Dame de Croaz-Batz (la Croix-de-Batz), à l'amorce du bas-côté gauche. L'œuvre, de premier ordre, est du XVème siècle. Ses sept compartiments, réunis par un encadrement de bois, qui est moderne, figurent, avec une grâce naïve et fine, toute aristocratique : l'Annonciation, l'Adoration des Mages, Jésus à la Colonne, la Résurrection, l'Ascension, le Triomphe de la Vierge. Au faîte, le Crucifiement domine le tout. Tous ces bas-reliefs, parfaitement exécutés et qu'affine encore la matière employée, sont intéressants à examiner. Dans le compartiment de l'Annonciation, on voit, en haut, près d'un Ange qui balance un encensoir, le Père Éternel faisant descendre vers la Vierge, sur sa langue démesurément allongée et transformée elle-même en un long rayon, la Colombe annonciatrice. En bas, la Vierge, couronnée en Reine, est agenouillée sur un coussin, avec des jambes trop longues, sous un petit dais qui surmonte un oratoire. Un grand Lys, qui émerge d'un vase et qu'entoure un phylactère, la sépare de l'Archange Saint-Michel, figuré par un jeune et mince chevalier en armure, et portant un diadème surmonté d'une croix. L'Adoration des Mages est d'une grâce exquise et doucement émue. L'Enfant Jésus, les bras écartés, touche d'une main sa mère, de l'autre un Roi Mage, qui lui enfile aux pieds sa couronne, en un parlant hommage. Dans le compartiment de l'Ascension, on ne voit du Christ, qui prend son envol vers le ciel, que ses pieds et le bas de sa robe [Note : Voir : Paul Gruyer, Les Saints Bretons, où deux des scènes de ce Retable sont reproduites].

De cet ouvrage, bien français et d'inspiration gothique, il y a lieu de rapprocher pour le travail de l'albâtre, outre la belle Statue de Saint Jean, du XVème siècle, que possède la Cathédrale de Quimper, et celle de Notre-Dame-du-Tertre, de même époque, qui est dans la Chapelle de ce nom, à Chatelaudren (Côtes-du-Nord), les cinq petits Bas-Reliefs, figurant la Passion, qui, dans la Basilique de Sainte-Anne-d'Auray (Morbihan), font partie de la décoration du Maître-Autel, où ils ont été encastrés. — Le Château de Kernuz, près de Pont-l'Abbé (Finistère), possède également, dans ses collections, un fragment de Retable d'albâtre, représentant la Trinité. — Dans la Chapelle de Notre-Dame-de-Quelven (région de Pontivy, Morbihan), un autre Bas-Relief figure le Couronnement de la Vierge. Tous ces délicats travaux sont du XVème ou du XVIème siècle.

Dans cette même Chapelle, d'un art exquis et délicieusement naïf est le Retable en trois panneaux qu'enferme dans son corps la Vierge de Quelven (fin du XVIème siècle, ou début du XVIIème). Coiffée de la couronne royale, les yeux immensément doux dans le pur ovale de son visage, la Vierge vénérée ouvre, comme une armoire, sa statue de bois doré, et douze compartiments, qui en épousent la forme extérieure, apparaissent, garnis de menus et adorables bas-reliefs, en quatre séries, qui nous content l'Histoire du Christ. Ce sont, en partant du bas, et de gauche à droite : Jésus mis au tombeau ; Jésus apparaissant à Marie-Madeleine sous la figure du jardinier ; Jésus descendant aux Limbes, dont une gueule énorme, garnie de dents blanches, symbolise l'entrée, et dont il délivre deux mignons pécheurs. Au-dessus : la Flagellation ; Jésus mourant sur la Croix, entre Marie et Saint Jean (à droite et à gauche, deux Anges tiennent dans leur main, l'un la Lune, l'autre le Soleil) ; la Descente de Croix, opérée avec de touchantes précautions. La troisième série a pour motif principal la Résurrection des Morts, soulevant la pierre de leurs tombeaux, à l'appel de deux Anges qui sonnent de la trompette. A la série supérieure, c'est le Jugement dernier ; Jésus est assis sur un trône, pour juger les hommes ; agenouillées à côté de lui, la Sainte Vierge et une autre Sainte implorent sa miséricorde ; à droite, un Ange tient la lance de la Passion et un autre, à gauche, porte l'ironique écriteau I. N. R. I. (Jésus Nazaréen, Roi des Juifs), qui fut cloué sur la Croix. Refermée, la statue nous montre l'Enfant Jésus, debout sur un des genoux de sa mère et bénissant le monde. Il tient dans sa main droite un sceptre, terminé par une fleur de lys.

***

L'influence de la Renaissance, interprétée par un artiste breton, se marque curieusement dans cet étrange Retable du Martyre de Saint Sébastien, qui se pose, dans la Chapelle Saint-Fiacre, au Faouët (Morbihan), sur la table abandonnée d'un vieil autel de pierre. Le groupe; en haut-relief, sur lequel on trouve des traces de peinture, est taillé lui-même dans la pierre, d'un ciseau fruste et robuste. Le Saint, les mains liées derrière le dos, est debout entre deux Archers, qui le visent de leurs bras aujourd'hui mutilés. Le costume des deux Archers traduit étonnamment les influences orientales qui se firent jour jusqu'en Armorique, à l'époque de la Renaissance, et, tel qu'il nous apparaît, avec la patine du temps, ce groupe semble avoir été exhumé de quelque fouille assyrienne.

L'influence italienne est, au contraire, visible dans cet autre Retable, d'un art infiniment plus raffiné, et figurant le même sujet, que nous trouvons dans l'Église de Guiclan, petit bourg du Léon, à quatre kilomètres et demi Nord-Ouest de Saint-Thégonnec (Finistère). Ce Retable, exécuté en bois, forme ici, à l'instar des grands modèles du genre, tout un ensemble architectural avec Niches, Pilastres et Colonnes cannelées, Fronton encadré d'Anges, Vases décoratifs et Ornements divers. Le Saint, très gentilhomme, occupe la niche centrale ; son corps, nerveux et bien découplé, est lié à un arbre. Chacun des deux Archers, costumé à la romaine et le casque rond en tête, son arc à la main, est posté dans une des deux niches de droite et de gauche. Parmi les motifs accessoires, on remarque deux Aigles, des Cornes d'Abondance et de petits Angelots. En dessous de la statue du Saint, un petit bas relief représente son Supplice final ; des bourreaux l'écrasent à coups de massue.

A la Renaissance encore nous devons les délicieuses statuettes, figurant la Cène, qui ornent à sa base l'autel de la chapelle absidale de l'Église de Notre-Dame-de-Roscudon (le Tertre-du-Ramier), à Pont-Croix, dans l'extrême Finistère. Pont-Croix, aujourd'hui simple bourg sans vie, est une petite ville déchue, dont les ruelles noirâtres, où grognent des cochons fétides, dégringolent vers le Goyen ou Rivière d'Audierne, où remonte le flot, à chaque marée. Notre-Dame-de-Roscudon est l'ancienne chapelle d'un monastère et témoigne, comme l'Église Saint-Nonna, à Penmarc'h, d'une grande richesse disparue. Sa Tour-Clocher, du XVIème siècle, se termine par une magnifique flèche de pierre, haute de 67 mètres et l'une des plus célèbres de la Bretagne. Le monument est en partie roman, en partie reconstruit dans le gothique flamboyant. Très finement exécuté, ce groupe de la Cène témoigne d'un mélange de grande élégance et distinction, et d'observation précise, nous dirions aujourd'hui de réalisme. Ses gentils petits personnages, en bois sculpté et doré, bras et jambes nus, portent avec une aisance merveilleuse la toge et le costume civil romain. Au centre, le Christ est assis devant une longue table, aux pieds somptueux. Les Apôtres sont assis sur le même banc que lui, ou sur des escabeaux. Au premier plan, à gauche, Judas se soulève à demi, en une protestation contre le soupçon qui pèse déjà sur lui. Les autres Apôtres s'interrogent, étonnés, ou interrogent le Christ. L'un d'eux se tire la barbe, en un geste familier. A gauche du Christ, une jolie jeune femme qui l'écoute, les coudes sur la table et les mains croisées, est Madeleine. Le tout est étonnant de vie, d'expression éloquente et contenue, et savamment équilibrée.

On rencontre en Normandie un certain nombre d'ouvrages semblables, dont la parenté artistique est indéniable. Est-ce un artiste normand qui est venu au fin fond de l'Armorique, pour sculpter un jour ce petit chef-d'œuvre ? L'œuvre a-t-elle été envoyée, toute faite, à Pont-Croix ? Y a-t-elle été exécutée par un Breton? Il est malaisé de se prononcer.

A l'imitation des anciens Retables flamands, des artistes locaux s'étaient, non sans une certaine gaucherie, exercés à composer des Retables à petits personnages, ayant pour sujet des scènes du Nouveau Testament. Celui de la Chapelle de la Houssaye, près de Pontivy (Morbihan), se développe en largeur, au-dessus du Maître-Autel ; il est, exceptionnellement, sculpté dans la pierre. Le bois a été utilisé pour les autres : Églises de Locquirec, de Cléden-Poher et de Lampaul-Guimiliau (Finistère), où est figuré, comme scène accessoire, le Martyre de Saint Miliau, qui tient dans ses mains sa tête coupée.

Le plus personnel est celui de l'Église de Crozon, près de Morgat (Finistère). Au lieu de reproduire l'Histoire coutumière du Christ, il a pris pour sujet principal le Martyre de la Légion Thébaine. Daté de 1602, il compte treize compartiments, en haut-relief. Dans le tassement dru de ses innombrables petits bonshommes, sculptés et peints, costumés en Romains authentiques, avec leur gravité affairée et la mimique expressive de leurs physionomies et de leurs gestes, il peut être considéré comme le chef-d'œuvre du genre. On sait que, selon une pieuse légende, qui ne semble pas correspondre à un fait historique certain, l'Empereur Maximilien Hercule marchait, en 302 de notre ère, contre les Bagaudes, paysans et pâtres gaulois, irrités du servage que leur imposaient les Romains et qui s'étaient révoltés. Dans son armée, une Légion dite Thébaine, dont les hommes provenaient de Thèbes de Grèce, ou de Thèbes d'Égypte, était entièrement composée de chrétiens. A Octodunum (aujourd'hui Martigny, dans le Valais), il commanda à cette Légion de prêter serment, selon le rite païen, et de sacrifier aux Dieux. Elle refusa et, pour la réduire à l'obéissance, fut décimée deux fois de suite, par ordre de Maximilien. Finalement, les six mille six cents hommes qui la composaient furent tous massacrés, avec leur chef, Saint Maurice. C'est cette tragique aventure que nous conte le Retable de Crozon, avec une patience et une conviction qui font nos délices et qui l'apparentent dignement à l'art des grands Calvaires bretons. Des volets à charnières l'enveloppent, où, dans dix-huit autres compartiments en bas-relief, nous retrouvons figurées les scènes habituelles de la Passion.

***

Le XVIIème siècle et, après lui, le XVIIIème, virent la floraison de la majeure partie de ces Retables d'autels que nous retrouvons, si nombreux, dans les Églises et dans les Chapelles bretonnes. Le chêne et le châtaignier, qui abondent en Armorique, en fourniront la matière, et une armée de sculpteurs sur bois va s'appliquer à renouveler les vieux mobiliers des lieux saints.

La pierre blanche et le marbre, qui font défaut dans le pays et qu'il faut amener de fort loin, ne sont utilisés qu'en de rares exceptions, principalement dans les Cathédrales et dans les Églises des villes. Tel, dans la Cathédrale de Vannes, le somptueux Retable, du style Louis XIII, élevé dans la Chapelle Absidale, de 1634 à 1637, en l'honneur de la Vierge et de Saint Vincent Ferrier. Ce chef-d'œuvre de l'art est dû aux maîtres architectes Gilles et Michel Moussin, dits « les Moussins », domiciliés à Auray, et à leur associé, Guillaume Belliard (Note du Chanoine Le Méné, dans le Bulletin de la Société Polymathique du Morbihan, 1881). Ils reçurent, pour leur travail, 14.550 livres ; soit, au rapport d'un à cinq pour la valeur comparée de l'argent alors et vers 1936, 72.750 frs. A l'étage supérieur du Retable, la Vierge et l'Enfant Jésus ; à l'étage inférieur, une seconde niche, au-dessus de l'Autel, abrite la Statue, en terre cuite, de Saint Vincent Ferrier. Appelé dans ses États par le Duc Jean V, l'illustre Dominicain espagnol vint, en 1417, s'établir à Vannes, où il mourut en 1419. Prédicateur fougueux, il se nommait lui-même « l'Ange de l'Apocalypse ». Il parcourut toute la Bretagne, en traînant des foules immenses après lui, en ressuscitant les morts et en accomplissant un si grand nombre de miracles qu'il mérita d'être appelé « le miracle fait homme ». Il employait une langue mixte, mi-espagnole, mi-française, mais que, par une faveur spéciale du Ciel, comprenaient tous ceux qui l'écoutaient, même quand ils ne parlaient eux-mêmes que le breton. Deux autres niches latérales logent Saint Patern et Saint Guenhaël. Le tout forme une marqueterie, lumineuse et fine, de pierre claire et de marbres diversement colorés, en placages et en colonnes.

Quelques ouvrages, de même date et de même style, où le marbre et la pierre blanche ont été pareillement employés, se retrouvent çà et là, aux chapelles et aux églises des villages. Offerts par un généreux donateur, ambitieux de faire grand et curieux de la mode du jour, ils sont, le plus souvent, maladroits et lourdauds. On voit un de ces retables dans la petite Eglise du bourg de Bréhat (dans l'île du même nom, Côtes-du-Nord, aujourd'hui Côtes-d'Armor), dont il a envahi l'humble chœur gothique.

Le Retable en bois sculpté, peint et doré, qui surmonte l'Autel de la Très Sainte Vierge, à Saint-Tugean, (Finistère), est un des plus intéressants spécimens de l'art breton, sous le règne du Grand Roi. Saint-Tugean est, dans l'âpre Presqu'île du Raz, à cinq kilomètres au delà d'Audierne, un minuscule village de pêcheurs, qui possède, en face d'une mer tempétueuse, une belle Eglise du gothique flamboyant, en partie reconstruite au XVIIème siècle, dans le style de la Renaissance, ancienne Chapelle fondée par les Sires de Lézurec. L'Autel de la Vierge et son Retable portent la date de 1694.

Ce Retable, qui comprend deux étages principaux, montre à son faîte, dans un cadre ovale, le Saint-Esprit descendant vers la Vierge, à l'heure de l'Incarnation, sous la figure d'une Colombe. Au-dessous, dans un cadre rectangulaire, le Père Éternel apparaît au milieu d'un nuage, le bras levé, pour annoncer au monde la venue de son Divin Fils. Puis c'est, à l'étage supérieur du retable, dans la niche centrale, une toute charmante Mater Dolorosa. A droite et à gauche, deux Médaillons nous présentent : à gauche, Marie-Thérèse, Reine de France (morte en 1683) ; à droite, Louis XIV, qui tient comme Dieu, dans sa senestre, le Globe du Monde, mais sans la Croix. A l'étage inférieur, se détachant sur un fond fleurdelysé, une autre Vierge, non moins charmante et fine que la première, porte sur son bras le Christ enfant. Le bambin, la tête gentiment inclinée, montre du doigt, comme il ferait d'un jouet, une petite Croix qu'il tient dans son autre main, la croix tragique où il sera crucifié un jour. Des colonnes torses, polychromées soutiennent les deux étages du Retable. Des Ceps de Vigne, chargés de grappes de raisins, s'y enlacent, en un fouillis subtil et patient. C'est qu'en effet « la Sainte Vierge est comparée par l'Eglise à la vigne et à son fruit : Ego quasi vitis fructivicavi. Au bas des colonnes, nous voyons deux Oiseaux qui se détournent de la grappe de raisin, symbolisant les âmes qui s'éloignent de l'Eucharistie. L'un d'eux a même le bec ouvert, comme pour blasphémer. D'autres oiseaux boivent en grand nombre et avec joie le jus du raisin, et symbolisent les âmes fidèles. » (ABBÉ VELLY, Saint-Tugean et son Église).

Des grappes de raisin courent encore au fronton de l'étage inférieur et, entre les colonnes, pendent deux grosses guirlandes de fleurs, Roses et Tournesols alternés. « Eve fut une épine donnant la mort ; Marie est la Rose mystique, qui nous donna l'Auteur de toute Vie ». Quand au tournesol, c'est, comme on sait, la fleur symbolique du Roi Soleil, dont nous retrouvons, sur le devant de l'autel proprement dit, l'image peinte, encadrée de Fleurs de Lys, d'Hermines bretonnes et de Couronnes des Ducs de Bretagne. La décoration se complète de Pots à Feu, dont la flamme monte en holocauste vers le ciel, d'Angelots gracieux et de divers médaillons figurant Sainte Thérèse (en l'honneur de Marie-Thérèse), Saint Pierre, contrit et humilié après son Reniement, Sainte Marie-Madeleine en prière (en allusion, semble-t-il, aux belles pénitentes, anciennes favorites du Grand Roi, que furent Louise de La Vallière et Françoise de Montespan), et le Trégorrois Saint Yves, patron populaire des avocats, si renommé par toute la Bretagne. Il n'est pas défendu de penser que Sainte Thérèse et l'illustre Saint Yves ont pour charge de plaider, près de Dieu, la cause du pécheur repenti que fut, lui aussi, Louis XIV, pleurant comme Saint Pierre son erreur.

Deux antres Autels, du XVIIème siècle également, sont consacrés au Rosaire et à Sainte Barbe. — Sur le devant du Maître-Autel sont figurés un Œil, un Triangle, un Cercle et une Croix de Malte. L'Œil est celui du Tout-Puissant, qui nous voit tous et à qui rien n'échappe. Le Triangle symbolise la Trinité, et le Cercle, qui n'a ni commencement ni fin, et où s'inscrit exactement la Croix de Malte, cette Éternité divine, qu'au temps lointain des Pierres Levées représentait déjà le cromlech.

L'Église de Saint-Thégonnec, dans le Léon, nous offre un ensemble remarquable de boiseries d'autels, qui s’étendent de l'abside aux deux transepts droit et gauche. Le Retable de l'Autel du Saint-Sacrement, dans le transept gauche, « fut sculpté de 1662 à 1664, par Gabriel Carquain, et payé 438 livres (1.752 fr. environ). Il subit quelques retouches, en 1726 et 1732 ». (A. DE LA BARRE DE NANTEUIL, Saint-Thégonnec, dans le Congrès archéologique de France, 1914). Il ornait primitivement le Maître-Autel. On voit, dans sa partie supérieure, les Anges adorant l'Hostie sainte ; au-dessous, une toile, figurant la Nativité, est encadrée des deux statues de la Vierge et de Saint Thégonnec, patron de l'église. — Au transept droit, dans le Retable du Rosaire, huit colonnes de marbre noir se mêlent au bois. Le groupe central nous montre Saint Dominique, recevant le Rosaire des mains de la Vierge, et Sainte Catherine de Sienne, en Dominicaine, le recevant de celles de l'Enfant Jésus. Dans l'encadrement, quinze petits Médaillons ronds (sept à droite et sept à gauche, un autre au sommet) ont trait à la Dévotion du Rosaire. A l'étage supérieur, le Christ reçoit une Ame délivrée des flammes du Purgatoire, et que lui présentent Saint Dominique et Sainte Catherine. Parmi les figures accessoires, on reconnaît Saint Pol, en évêque, ayant près de lui le monstre qui ravageait Ile de Batz et qu'il captura, à l'aide de son étole. En dessous de la statue, une inscription nous indique que le Retable a été, comme toutes les autres boiseries de l'église, repeint et redoré « l'An 1834 ». Il avait été exécuté de 1697 à 1700, et repris en 1724, par Jacques Lespaignol, de Morlaix. — Quant au Maître-Autel actuel, avec ses colonnes, ses pilastres et ses Trophées religieux, dessiné par Boismaurin, de Lampaul-Guimiliau. il fut sculpté, entre 1724 et 1725, pour un peu plus de 2.000 livres, par Jacques Lespaignol ; puis repris de 1730 à 1732, par Le Goff, de Brest, qui reçut plus de 4.000 livres, sur le dessin du morlaisien Robellain. Cinq artistes, au total, dont les noms nous sont heureusement parvenus, ont donc collaboré à ces importants morceaux décoratifs.

Nous connaissons également le nom des Le Déan, père et fils, de Quimper, et celui de Corlay, qui mourut à Chatelaudren (Côtes-du-Nord, aujourd'hui Côtes-du-Nord), en 1776, et qui a laissé de nombreux ouvrages (Retable de l'Ascension notamment, à la Chapelle Saint Guillaume, de la Cathédrale de Saint-Brieuc). Mais combien d'autres, de ces bons et pieux ouvriers d'art, trop modestes pour signer leurs œuvres, nous sont demeurés anonymes ! Heureux quand ils ne connurent point d'injustes déboires, comme l'auteur inconnu de ce beau Christ en croix, que l'on admire dans l'Église de Pleumeur-Gauthier (entre Paimpol et Tréguier, Côtes-du-Nord) et dont l'expression douloureuse est proverbiale dans le pays environnant. « Tu es triste comme le Bon Dieu de Pleumeur », disent les bonnes gens à celui qui a des chagrins. La tradition raconte que le sculpteur, qui tailla ce Christ dans le bois, en avait fait deux semblables, et qu'il brisa le second, plutôt que de le donner au prix dérisoire qu'on lui en offrait.

***

C'est surtout dans les œuvres d'inspiration populaire que nous trouvons une amusante variété, un art primesautier et plaisamment naïf, mais qui, par sa « bonne foi » comme dit Montaigne, rafraîchit délicieusement nos âmes, saturées des raffinements et complications de notre éducation moderne.

Il y a un peu à sourire devant le Retable de la Trinité, de la Chapelle de Notre-Dame du Cran, en Spézet, dans les Montagnes Noires (Finistère). Puis le charme l'emporte. Chevelu et barbu, coiffé d'une tiare et vêtu d'une robe constellée d'étoiles, le Père Éternel nous offre un type parfait de vieux Breton, émacié par l'âge, mais robuste encore. Il est assis sur un grand fauteuil, dont les deux bras sont soutenus par des Cariatides bizarres, rappelant les conceptions de l'art canaque. Il a derrière la tête le Triangle symbolique de la Trinité et tient devant lui son Fils, qu'il nous montre. Mince et beau jeune homme, Jésus est, comme il convient, de moindre taille que son père, contre le genou duquel il s'appuie. Il lève sa main gauche, pour bénir ; de sa droite, il désigne la plaie sanglante que la lance d'un de ses bourreaux a ouverte dans son flanc. Devant ce groupe, qui a grande allure, une série de petits Musiciens célestes sont alignés, jouant, qui de la flûte, qui de la harpe, qui de la viole, qui de la vielle, qui du violon, qui de la contrebasse, qui de la trompe, qui du serpent. D'autres encore, dont l'un souffle du biniou, se superposent comiquement, pareils à des marionnettes, à droite et à gauche, dans l'encadrement du Retable.

Le Retable de l'Église de Plouguer, près de Carhaix (Finistère), nous présente, à sa partie centrale, en dix compartiments inégaux, la Passion et la Résurrection du Christ, figurées par de petits personnages, sculptés en bas-relief. Au faîte du Retable, la Trinité et, à droite et à gauche de ce groupe, deux Anges qui, par une fantaisie imprévue de l'artiste, sont coiffés d'une vaste perruque Louis XIV. Par une autre fantaisie, plus cocasse encore, le grand cintre qui encadre, comme un arc-en-ciel, l'ensemble du Retable, est orné d'une rangée joyeuse de Têtes de canards.

Dans l'Église de Lannédern (Finistère), le Retable de Saint Édern, patron du lieu, nous montre le Saint assis sur le dos du cerf apprivoisé qui le portait. Le Saint est semblable à un bonze bouddhique et offre, ainsi que le cerf, une complète allure japonaise. Quelque bronze ancien, apporté d'Extrême-Orient par un matelot, sera venu aux mains du sculpteur, qui l'a curieusement imité.

Par une inspiration enfantine et jolie de celui qui l'ordonna, le Retable de la Nativité, au Yaudet, près de Lannion (Côtes-du-Nord, aujourd'hui Côtes-d'Armor), comporte, à son centre, une mignonne alcôve, tendue d'étoffe, où un petit lit, à courte-pointe de dentelle, est dressé. Le drap tiré jusqu'au menton, y sont couchées deux poupées, figurant la Vierge et l'Enfant Jésus nouveau-né. La Colombe du Saint-Esprit, suspendue à un fil, volète au-dessus du lit, au pied duquel Saint-Joseph est assis, digne patriarche.

En sus des Retables, les Buffets d'Orgue, les Chaires, les Baptistères, les Saints-Sépulcres, les Clôtures du Chœur et les Jubés ont fourni un large champ à la sculpture sur bois bretonne.

Les beaux buffets d'orgue ont commencé à l'époque de la Renaissance. Les chaires sont du XVIIème et du XVIIIeme siècle. Celle de l'Église des Toussaints (XVIIème siècle), à Rennes, ancienne Chapelle du Collège des Jésuites, est un pur chef-d'œuvre de délicatesse et de svelte équilibre.

Plus rudes de facture sont celles que l'on rencontre dans mainte Église de village et dont nous trouvons deux beaux types, solidement somptueux, à Saint-Thégonnec et, un peu plus loin, à Guimiliau. La Chaire de Saint-Thégonnec, de 1683, œuvre de François et de Guillaume Lerrel, est ornée, aux angles de sa cuve, des Vertus Cardinales assises. Sur les panneaux, chargés de grosses Guirlandes de roses, sont figurés les Quatre Évangélistes et, le long de l'escalier, Saint Grégoire le Grand, Saint Ambroise, Saint Augustin et Saint Jérôme. Le toit de la chaire, « l’abat-voix », est postérieur (1722) et orné de gracieux Angelots ; à son faîte, une Renommée souffle dans une trompette.

La Chaire de Guimiliau est de 1677. A ses quatre angles sont accotées les Quatre Sibylles, entre lesquelles, dans des Médaillons, nous retrouvons les Quatre Évangélistes, encadrés de la Foi. de l'Espérance, de la Charité, de la Prudence, de la Force et de la Justice. — A la Tribune de l'Orgue, trois superbes Bas-Reliefs, de 1675, nous montrent : Sainte Cécile touchant de l'orgue ; le Triomphe d'Alexandre (alias Louis XIV) ; le Roi David jouant de la harpe, dans les beaux Jardins de son palais (en allusion à ceux de Versailles). — Le Baptistère, en chêne ciré, porte, à sa Cuve Baptismale, la même date. De forme hexagonale et véritable monument, c'est une œuvre de tout premier ordre, avec son allure de pagode, ses colonnes torses, son premier étage, qui abrite dans des niches de fins personnages, et son double lanternon, où d'autres figurines nous représentent le Baptême du Christ. Parmi les motifs décoratifs accessoires, on reconnaît des Têtes de Chérubins, de petits Amours païens, jouant dans les fleurs, des Aigles, des Renommées couronnant un dauphin, symbole du Dauphin royal, et embouchant des trompettes d'où pendent des draperies, jadis blasonnées. Deux Guerriers armés gardent la porte d'entrée du Baptistère. On s'étonne, et l'on admire, de rencontrer, dans le menu village qu'est Guimiliau, tant de beauté, signe de la grande richesse et du fier orgueil des hommes du Léon.

On remarquera, d'autre part, combien de ces riches parures d'Églises datent du plein règne de Louis XIV. On ne peut s'empêcher de songer avec quelle exagération intéressée, certains historiens officiels se plaisent aujourd'hui à représenter la Bretagne, soi-disant appauvrie et rendue exsangue par les exactions royales, et poussée par elles à la révolte (1675 est l'année même de la fameuse et tragique rébellion, dite du Papier Timbré). Ce sont là des erreurs patentes, qui trouvent encore trop de naïfs pour les colporter et pour y croire.

Dans l'Église de Lampaul-Guimiliau, qui possède sept Retables du XVIIème siècle, dont l'un à compartiments et à petits personnages déjà mentionné, le Baptistère, de 1650, est d'une exécution moins raffinée que celui de Guimiliau. Mais il demeure charmant, avec ses huit grandes colonnes et ses étages superposés, à niches, à colonnettes et à figurines.

A Morlaix, dans l'Église Saint-Melaine, le Baptistère, de 1660, offre à sa frise, comme celui de Guimiliau, des motifs d'inspiration païenne, tels que ceux auxquels se complut souvent l'art de la Renaissance, parmi lesquels des Sphinx ailés. Sur la Cuve Baptismale, un Christ janséniste est crucifié les bras levés.

Les Mises au Tombeau, ou Saints-Sépulcres, qui ornent d'ordinaire les Chapelles Funéraires et les Cryptes, nous montrent, avec personnages de grandeur naturelle, l'Ensevelissement du Christ par les Saintes Femmes et par deux pieux Disciples, Saint Nicodème et Joseph d'Arimathie. Celle que possède, à Locronan (Finistère), la Chapelle du Pénity (ou de la Pénitence) est du XVIème siècle, avec des figures de pierre, d'un art un peu rude, mais singulièrement expressif. — En pierre également, et d'un art plus docte, est la Mise au Tombeau de l'Église de Lampaul-Guimiliau, signée : « Anthoine Fecit » et datée : « 1676 ». — Celle de la Chapelle Funéraire de Saint-Thégonnec est sculptée dans le chêne et les personnages en sont peints. Elle est l'œuvre de Jacques Lespaignol, fut faite de 1699 à 1702, et payée 1.550 livres (6.200 fr. environ de l'époque), plus 1.200 livres pour la couleur. — Celle de la crypte de l'Église de Brélévenez, près de Lannion (Côtes-du-Nord, aujourd'hui Côtes-d'Armor), date, semble-t-il, du XVIIIème siècle.

L'Église Saint-Sauveur, à Rennes, et celle du même nom, à Dinan (Côtes-du-Nord), l'Église Notre-Dame-du-Roncier, à Josselin (Morbihan), et celle de Carnac (Morbihan) ont des Chaires en fer forgé et doré. Le rude métal,. rougi au feu et assoupli sur l'enclume, s'est, sous le marteau, étiré en longs rubans et transformé ensuite en réseaux compliqués. La plupart de ces Chaires sont du XVIIIème siècle, époque où abondent les belles ferronneries. Celle de Notre-Dame-du-Roncier et celle de Carnac, très remarquables, furent exécutées par un serrurier de Josselin, nommé Roussin. Celle de Dinan date du XIXème siècle.

***

Les Clôtures du Chœur et les Jubés méritent une attention spéciale.

Les Clôtures du Chœur formaient dans les églises, d'après un usage très ancien, une sorte de grand paravent, de pierre ou de bois, plus ou moins plein ou évidé, qui séparait de la nef, dévolue aux fidèles, le chœur, réservé au clergé, et où le prêtre officiait. Dans ce sanctuaire clos, qui enfermait, au Maître-Autel, le Saint-Sacrement, et qui était comme l'âme même de l'Église, les Stalles des chantres étaient comprises.

Selon un autre ancien usage, la nef était, un peu avant le chœur, traversée par une grande poutre, dite « Poutre de Gloire », sur laquelle s'élevait, au centre, un grand Christ crucifié, encadré parfois des Croix des deux Larrons ou de statues de saints personnages, notamment la Vierge et Saint Jean.

La conjonction des Clôtures du Chœur et des Poutres de Gloire a produit les Jubés, qui en ont fondu les principaux éléments, augmentés d'une petite tribune où l'on accède par un escalier, simple ou double. Afin de dégager la perspective d'ensemble des Eglises et d'en unifier les lignes architecturales, en même temps que pour une communion moins distante du prêtre et des fidèles, quantité de Jubés ont été abattus, un peu partout, au cours du XVIIIème siècle, en des pertes d'art irréparables. Ainsi ont été sacrifiés, en Bretagne, les Jubés des Cathédrales de Dol et de Saint-Pol de-Léon, et celui de l'Église Sainte-Croix, à Quimperlé, en pierre blanche de Taillebourg, et de la Renaissance, dont il subsiste de beaux débris.

Les Poutres de Gloire sont devenues assez rares Dans l'Église de Lampaul-Guimiliau, on en trouve une, de la seconde moitié du XVIème siècle, semble-t-il, qui s'emboîte dans des gueules de Goules. Outre le Crucifix et les Statues de la Vierge et de Saint Jean qu'elle porte, y sont sculptés, sur ses deux faces latérales, des épisodes de la Passion (Jardin des Oliviers, Flagellation, Couronnement d Épines, etc.). Deux Anges tiennent, sous la grande Croix, un calice où coule le Précieux Sang. Une autre Poutre de Gloire traverse l'Église de Locmaria, près de Quimper ; elle porte, à son centre, un Christ en robe. Une autre très fruste, subsiste dans l'humble Chapelle d'Argantel, au Roselier, près de Saint- Brieuc (Côtes-du-Nord, aujourd'hui Côtes-d'Armor).

Les Jubés sauvés sont plus nombreux. Celui de la Chapelle-Église du Folgoët (Finistère) est, et c'est le seul, exécuté en granit de Kersanton [Note : Les carrières qui fournissent le granit, dit de Kersanton, au grain très fin, où ont été taillées les plus belles sculptures des Églises et des Calvaires bretons, sont situées vers la côte Sud de la Presqu'île de Plougastel-Daoulas (Rade de Brest), sur les bords de la Rivière de l'Hôpital-Camfrout et sur le territoire de Logonna-Daoulas]. C'est un ouvrage admirable, du XVème siècle et du style flamboyant. Trois arcades sont coiffées de pignons aigus, aux lignes souples, et richement ornementés. L'arcade centrale découvre, au delà d'elle, le Maître-Autel. Les deux autres, à droite et à gauche, abritent deux Autels secondaires, destinés à recevoir les prières des fidèles.

Les autres Jubés bretons que nous possédons ont été sculptés dans le bois. Celui de la Chapelle Saint-Fiacre, près du Faouët (Morbihan), est un des plus célèbres. Œuvre réellement féerique, dentelle d'une infinie délicatesse, que l'artiste s'est complu à évider jusqu'aux possibilités extrêmes, toile d'araignée d'un songe d'une nuit d'été. Il appartient, comme le Jubé du Folgoët, au XVème siècle et au gothique flamboyant. A son art méticuleux se mêle une naïveté ingénieuse et charmante, Les voûtes d'ogives qui supportent la tribune se terminent, à leur base, par des Clefs pendantes, où sont accrochés, tête en bas, tels des mouches, des Anges renversés, un Marmouset, un Chat, un Singe. Des scènes et des personnages divers, comme les sculpteurs du moyen-âge en taillaient dans la pierre des cathédrales, se mêlent à l'ornementation générale. Deux amoureux, richement vêtus, semblent personnifier la Luxure et un paysan, qui cueille des pommes, le Vol ; un homme, qui tient un baril et vomit un renard, symbolise l'Ivrognerie. On reconnaît aussi : Adam et Ève, sous le pommier fatal ; des Musiciens ; le Renard prêchant les poules ; le Renard pris par les poules, et son supplice ; deux Ours dévorant un singe. Dans un Écusson est inscrite, avec la date « 1480 », la signature : « Oliv. Lœergan », de l'auteur du Jubé. Celui-ci fut ultérieurement, en 1627, peint en couleurs variées, qui ont été refaites en 1868, ét c'est sous cet aspect, qui n'est point d'ailleurs désagréable, qu'il se présente aujourd'hui.

Le Jubé de la Chapelle de Lambader (Finistère), de 1481, est, avec son escalier tournant, d'une sveltesse plus équilibrée, d'un art moins primesautier, mais plus savant. Les Statuettes des Douze Apôtres ornent son balcon. Du gothique flamboyant dans son ensemble, il commence, dans ses détails à évoluer vers l'art de la Renaissance.

Les Jubés de la Chapelle de Kerfons et de l'Église de Plounévez-Moëdec, toutes deux voisines de Lannion, ceux de la Chapelle de Rosgrand, près de Quimperlé, et qui est propriété privée, de l'Église de Locquemel et de la Chapelle de Locmaria, près de Belle-Isle-en-Terre (Côtes du-Nord, aujourd'hui Côtes-d'Armor), et de la Chapelle Saint-Nicolas, à cinq kilomètres et demi Nord-Est du Faouët, où de petits panneaux rectangulaires figurent, au Balcon, l'Histoire de Saint Nicolas, nous amènent au XVIème siècle et à la Renaissance. A la Chapelle Saint-Herbot, dans les Monts d'Arrée (Finistère), c'est la Clôture du Chœur elle-même, aux colonnettes de bois tourné, qui a reçu la grande croix de la Crucifixion et les Statues adjacentes. Dans l'Église de la Roche-Maurice (Finistère), la Clôture du Chœur porte en équilibre, à l'aide de poutrelles richement sculptées, le balcon du Jubé.

Il y a, dans tous ces pieux ouvrages, une survivance décorative unique en France.

***

Nous dirons un mot, en terminant, de ces curieuses « Roues de Fortune », dont on trouve encore des spécimens dans quelques églises et chapelles bretonnes, dans l'Église de Comfort (Finistère) par exemple, entre Quimper et Audierne, et dans la Chapelle de Rouellou, près de Saint-Nicolas-du-Pélem (Côtes-du-Nord, aujourd'hui Côtes-d'Armor). — Elles se composent d'une grande roue de charron, mobile sur un pivot central, et qui est accrochée, verticalement, à la base du plafond de l'édifice. Le cercle extérieur de la roue, que l'on fait tourner à l'aide d'une corde pendante vers le sol, est garni de sonnettes, qui se mettent alors à tinter, en un joyeux carillon. C'est, pour le fidèle, désireux d'attirer sur lui les bénédictions célestes, une façon ingénieuse et pittoresque d'appeler sur sa prière l'attention du Très-Haut. On fait encore retentir les sonnettes, durant la messe, au moment du Credo et pendant l'Élévation. Ces roues saintes, qui ont une origine très ancienne, furent, avec leurs rayons, un vieil emblème du Soleil.

On retrouve au Mexique la Roue Solaire. A Mexico, parmi les rares survivances des anciens monuments religieux aztèques, qui furent, au XVIème siècle, détruits par les conquérants espagnols, existe encore la « Pierre du Soleil ». C'est un énorme disque, d'une épaisseur d'un mètre environ, mesurant 2 m. 60 de diamètre et 8 mètres de tour. Il est orné, sur un de ses côtés, de sculptures grossières, qui représentent un Empereur aztèque, recevant la soumission d'un ennemi vaincu. Au centre de sa partie supérieure, le Soleil est figuré par une roue, dont le moyeu, d'où fusent les rais, forme une sorte de cuvette, destinée à recevoir le sang des prisonniers de guerre, ou « messagers du Soleil », qu'on y égorgeait.

Ainsi, par delà des milliers de lieues de terre et d'eau, se rencontrent les mêmes conceptions mythiques, ingénieusement enfantines de l'homme primitif.

(Paul GRUYER).

© Copyright - Tous droits réservés.