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LES ANGLAIS A QUIBERON EN 1746.

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Le 15 Octobre 1746 au matin, plus de cinquante navires anglais s’alignent dans la baie de Quiberon et s'empare de la presqu'île de Quiberon. L’amiral anglais Lestock somme la presqu’île de se rendre sans condition et menace de tout mettre à feu si le moindre anglais est tué. La riposte française, face à près de 6.000 soldats anglais, est alors pratiquement inexistante. L’ennemi a une volonté de brûler, piller, violer. Au Roch-Priol, le prieuré de Saint Clément et ses quatre métairies sont incendiés. Les chapelles de Lotivy, Saint Pierre et Saint Julien sont saccagées et profanées. Dans l’église de Locmaria, les trois cloches, les fonds baptismaux, le tabernacle sont emportés et les registres paroissiaux sont lacérés. De grands ravages sont effectués dans les ports de Quiberon.

Pendant que les anglais se livrent au pillage, la contre-attaque s’organise sur le continent sous les ordres d'Olivier de Kermellec. A défaut de délivrer la presqu’île, l’objectif premier est d’éviter une incursion des anglais sur le continent. Dans une dernière exaction, les Anglais mettent encore le feu à Saint Julien le Vendredi 21 Octobre 1746. Le Dimanche 23, les anglais retournent à Houat. Le 24, ils attaquent Hoedic. Le 26, ils libèrent plusieurs prisonniers faits dans ces îles, où ils ont débarqué près de 2.000 soldats. Dans les nuits qui suivent, craignant une attaque de Belle-Ile, près de 600 français armés, dont les troupes du duc de Rohan, traversent les coureaux jusqu’au Palais. Mais le soir du 28, l’escadre britannique met cap sur l’Angleterre.

Presqu'île de Quiberon (Bretagne) : le fort de Penthièvre.

L'attaque de Lorient par les Anglais en 1746 a fait l'objet de nombreuses relations contemporaines publiées en partie dans divers bulletins ou revues et résumées dans un chapitre de l'Histoire de Bretagne de M. Barthélemy Pocquet du Haut-Jussé.

Les détails sur la descente à Quiberon, qui eut lieu immédiatement après, sont moins connus. Les lignes qui suivent ont pour objet d'exposer cet épisode, d'après les relations et la correspondance conservées aux Archives de la Guerre et de la Marine, à partir du moment où les Anglais abandonnèrent l'attaque de Lorient.

Le vendredi 7 octobre 1746, dans l'après-midi, la batterie anglaise installée près du village de Kerniel (Carne) pour bombarder Lorient tirait ses derniers coups et son personnel rejoignait le corps de débarquement déjà en marche pour la baie du Pouldu, où l'amiral Lestock, voyant venir la tempête, l'attendait avec impatience. Les Anglais ne se doutaient pas qu'à ce moment même, le conseil de défense de la place délibérait sur la capitulation et que, la nuit venue, le marquis de l'Hôpital, commandant le régiment de dragons portant son nom, devait sortir de la ville pour apporter l'acte de reddition au général Saint-Clair. Les derniers éléments de l'arrière-garde anglaise purent entendre un bruit confus de sonneries et de batteries de tambour, mais ils ne surent pas distinguer que Lorient battait la chamade [Note : D'après une relation des Archives de la Marine qui doit être attribuée à M. de Ravenel, commandant de la marine au Port-Louis, la chamade ne fut sonnée que par les dragons et la cavalerie, alors que les milices, ayant mal compris l'ordre donné, ou influencées par des gentilshommes de la province, battaient la charge].

Le rembarquement des Anglais dans la baie du Pouldu, rendu difficile par l'état de la mer, ne fut terminé que dans l’après-midi du dimanche 9 octobre. Le comte de Volvire, maréchal de camp, qui commandait pour le roi en Haute-Bretagne [Note : La Haute-Bretagne, comme subdivision de commandement militaire, comprenait les diocèses de Rennes, Dol, Saint-Malo, Nantes et Vannes. Les autres évêchés formaient le commandement de Basse-Bretagne sous les ordres de M. de Coëtmen à Brest] et, à ce titre, exerçait le commandement supérieur à Lorient, n'avait fait suivre les troupes anglaises que de très loin, un essai de poursuite ayant abouti à une débandade des milices ; il ne fut certain de l'évacuation de la côte que dans la matinée du 10. Ce jour-là, à dix heures du matin, il faisait partir en hâte pour Versailles M. de l'Hôpital pour rendre compte au roi de la délivrance inespérée de Lorient et lui faire un récit bien présenté des événements : « Cet officier, écrivait-il, a agi avec la plus grande distinction » (Archives de la Guerre, vol. 3.188, pièce 87) ; les dragons avaient eu cependant une attitude peu brillante [Note : Voir la relation de M. de Montigny, subdélégué de l'intendance de Lorient : « Les cavaliers et les dragons ne conviennent pas ; ils sont trop jaloux de leurs chevaux et ce que nous avons vu dans cette occasion nous prouve combien peu on doit compter sur eux ». — Voir aussi la relation Pontvallon-Hervouët (bulletin de la Sociéte Polymathique, 1860), la lettre du maire de Lorient (Revue de Bretagne, 1910). Les dragons de l'Hôpital s'étaient en outre très mal conduits à l'égard des populations rurales, en particulier à Guidel : « L'horreur et l'abomination, écrit un Vannetais, M. Alano-Querthomas, y ont été portées jusque dans le lieu saint »], ayant mal soutenu les gardes-côtes désemparés, et le fait d'avoir été porteur de la capitulation ne constituait pas précisément une action d'éclat pour leur colonel.

Le comte d'Argenson, ministre de la guerre, ne pouvait d'ailleurs être induit en erreur sur la réalité des faits ; car il avait précédemment reçu des avis de M. de Volvire ne dissimulant point l'affolement des autorités militaires de Lorient et, en particulier, la copie d'une lettre adressée le 9 par cet officier général à M. Pontcarré de Viarme, intendant de Bretagne, alors qu'on n'était pas encore certain du rembarquement des Anglais, lettre qui provoqua la réponse-ci-après :

« M. de Viarme vient de m'envoyer, Monsieur, par un courrier, la copie de la lettre que vous lui avez écrite en date du 9 de ce mois à trois heures de l'après-midi. Sa Majesté était déjà instruite que les Anglais étaient décampés de devant Lorient pour regagner leurs vaisseaux et elle s'était flattée qu'une pareille démarche de leur part, accompagnée de l'abandon de l'artillerie dont ils s'étaient servis pour attaquer Lorient, aurait rétabli entièrement la confiance que votre arrivée et votre présence avaient paru ranimer. Mais ce que Sa Majesté ne saurait s'imaginer que vous n'ayez pas fait, c'est que, dans l'instant même que vous avez reconnu que les Anglais avaient décampé, vous n'ayez pas fait monter à cheval tous vos dragons et le régiment d'Heudicourt, sans en excepter un seul homme, pour les poursuivre, les harceler et les déterminer par là à perdre la plus grande partie ou même la totalité de leurs troupes, s'ils s'étaient obstinés à rester. Sa Majesté n'imagine pas que les colonels des corps que vous avez sous vos ordres ne vous aient pas sollicité eux-mêmes de les envoyer après l'ennemi, à la poursuite duquel ils pouvaient se faire tant d'honneur, dont il faut qu'ils aient perdu le sentiment pour ne pas désirer avec ardeur une pareille commission qui devait être aussi glorieuse pour eux qu'utile à l'Etat. C'était même là le moyen de contenir et de rassembler le corps de six mille hommes que vous avez fait marcher et il n'est pas vraisemblable que leur défection eût été aussi considérable et aussi prompte s'ils avaient eu à leur tête les troupes de cavalerie et de dragons qui sont à votre disposition .....

Le roi n'admet aucune distinction entre évacuer Lorient ou capituler pour cette place ; tout ce qui tend à la remettre au pouvoir de l'ennemi lui paraît également honteux et Sa Majesté m'ordonne de vous marquer que c'est le cas de se défendre jusqu'à la dernière extrémité et que ce n'est qu'en cédant à une force absolue qu'on peut se laisser enlever un pareil poste. Tous les pourparlers de convention et de capitulation qu'on n'a cessé de tenir depuis la descente des Anglais ont été le vrai moyen de les encourager dans leur entreprise et le roi avait espéré que, vous une fois arrivé, Monsieur, il n'en serait plus question. Quelle humiliation en effet que le message dont M. de l'Hôpital a été chargé en dernier lieu et que malheureusement on ne saurait ensevelir dans l'oubli. Si l'Anglais en a connaissance par ses espions, qu'il est difficile de ne pas lui supposer, n'est-ce pas un motif bien décisif pour lui de revenir devant vos murs, surtout s'il sait, comme je le crains fort, que vos dispositions ne sont pas changées depuis son départ ? Sa Majesté m'ordonne, Monsieur, de renvoyer promptement le courrier de M. de Viarme, en vous marquant qu'il n'est point ici question de délibération, d'assemblée publique, ni de considération politique, mais qu'étant chargé de la défense du pays, vous devez tenir bon contre toutes les représentations qui vous seront faites pour vous engager à composer pour Lorient, et qu'il est honteux si, comme les bourgeois s'en vantent, il y a des militaires qui soient les premiers à vous conseiller de prendre un pareil parti … » (A. G. vol. 3.153, pièce 232).

Cette verte semonce est datée du 12 octobre.

D'autre part, en même temps que le bulletin de victoire apporté par M. de l'Hôpital, le ministre recevait plusieurs relations émanant de militaires et de civils bien placés pour tout savoir [Note : Les ministres avaient alors beaucoup de correspondants officieux, militaires ou fonctionnaires en sous-ordre, écrivant en dehors de toute voie hiérarchique, ou civils sans mandat se faisant informateurs volontaires. Les ministres, ne manquaient jamais de répondre à ces correspondants, en les remerciant de leurs avis et les invitant à continuer leurs bons offices], entre autres de M. de Montigny, subdélégué de l'intendance à Lorient, qui écrivait : « Si le Seigneur n'avait pas combattu pour nous envoyer des vents de sud-ouest le jeudi 6, qui ont épouvanté l'ennemi, il eût été sans coup férir maître la ville » (A. G. vol. 3.188, pièce 91) ; — de M. Houvet, commissaire des guerres, qui terminait sa lettre par ces mots : « C'est la main de Dieu seule qui les a fait abandonner Lorient dans le temps qu'on allait les prier très humblement de vouloir bien s'en saisir » (A. G. vol. 3.188, pièce 92) ; — de M. Fonfaye, lieutenant de l'artillerie au Port-Louis.

Cette documentation très complète ne pouvait laisser de doute sur l'attitude pitoyable des autorités militaires de Lorient. Aussi ne peut-on lire sans stupéfaction la réponse faite le 14 octobre à M. de Volvire par le comte d'Argenson, après que le roi eut reçu M. de l'Hôpital :

« Le roi a appris avec tant de satistaction, Monsieur, la nouvelle que vous lui avez envoyée par M. le marquis de L’Hôpital de l'embarquement des Anglais, dont on doutait toujours ici, jusqu'à ce qu'on en eut appris par vous la confirmation, que Sa Majesté, pour vous marquer le gré qu'Elle vous sait de ce que vous avez fait pour ranimer le courage des milices et des habitants de la province et pour conserver un établissement aussi considérable que celui de la Compagnie des Indes à Lorient, a bien voulu vous accorder le grade de lieutenant-général. Cette distinction était due à l'important service que vous venez de rendre à l'État, et Sa Majesté, pour donner des marques de satisfaction à ceux qui ont concouru sous vos ordres, honore en même temps du grade de brigadier M.. Deschamps [Note : M. Deschamps était lieutenant du roi au Port-Louis ; il avait déployé beaucoup d'activité pour mettre sa place en état de défense et pour convoquer les milices gardes-côtes et bourgeoises. Etant resté au Port-Louis, il n'avait participé en rien aux décisions prises à Lorient, qu'il avait signalées, en les déplorant, dans ses lettres au ministre] et fait chevaliers de Saint-Louis M. le marquis de l'Hôpital, le Sr de Vincelle [Note : M. de Vincelles s'était occupé du rassemblement des milices], ingénieur, et le Sr. Jouenne de Losrière [Note : M. Jouenne avait eu le commandement d'un détachement de milices], lieutenant de la maréchaussée de Bretagne ... » (A. G. vol 3.153, pièce 235).

Par le même courrier, le ministre remerciait M. de Montigny de sa relation ; en se réjouissant de l'heureuse issue de l'événement, il ajoutait : « Il y avait cependant lieu de présumer qu'on leur aurait opposé plus de fermeté » [Note : A. G. vol. 3.153, pièce 240 — le comte d'Argenson avait d'abord écrit : « S. M. avait cependant compté... » mots rayés ensuite sur la minute].

On voit que la conviction intime du ministre n'était pas changée et il semble qu'en récompensant généreusement les chefs peu méritants de la place Lorient, le roi avait peut-être cédé à certaines influences, mais bien plutôt voulu, par ces grâces éclatantes, accréditer dans l'opinion publique l'idée d'un vrai succès et étouffer ainsi tout souvenir, effacer toute trace de l'humiliante capitulation portée au camp ennemi. Dans la même, intention, le comte d'Argenson s'empressait de faire connaître la retraite des Anglais au maréchal de Saxe, qui commandait en Flandre, en ajoutant  « Cette nouvelle est trop intéressante pour ne pas la rendre publique et même la faire passer dans le camp des ennemis ». En somme, par ses lettres du 14 octobre, le ministre faisait ce que nous appelons aujourd'hui, un communiqué [Note : Il est à remarquer que les Anglais, dans leurs relations, ne font aucune allusion à l'offre de capitulation du 7 octobre, dont ils durent cependant avoir connaissance plus tard. Ils ne pouvaient s'en prévaloir, ayant lâché trop tôt la partie, Par contre, ils prétendent que l'expédition de Lorient ne fut qu'une diversion faite en vue de provoquer un détachement de l'armée de Flandre et, comme ce résultat fut obtenu, ils concluent à un succès. — C'est ce que peut appeler le communiqué anglais].

Le 11 octobre, d'ailleurs, s'était livrée en Flandre la bataille de Raucoux, précédée de quelques jours par la prise de la ville et des châteaux de Namur (19 et 30 septembre), succès qui furent célébrés par des Te Deum solennels dans tout le royaume. Les bulletins de victoire étaient donc à l'ordre du jour.

Malgré sa promotion au grade supérieur, M. de Volvire ne reconquit pas pour cela la confiance du ministre. Il fut maintenu en Bretagne ; mais, en raison de la réorganisation du commandement dans la province, il n’eut plus que des situations en sous-ordre ou des sinécures. [Note : En octobre 1747, le duc de Penthièvre écrivait : « M. de Volvire continuera à être employé, ayant besoin de son traitement ; mais je me charge de lui faire entendre qu'il ne fera aucune fonction ». M. de Volvire avait eu à cette époque des attaques d'apoplexie].

Dès la réception de la nouvelle de la descente des Anglais, reçue à Versailles dans la nuit du 4 au 5 octobre [Note : Portée par M. de Gouandour, enseigne de vaisseau, aide-major de la marine au Port-Louis, parti le 2 à cinq heures du soir], le roi avait en effet décidé le départ immédiat pour la Bretagne d'un détachement de l'armée de Flandre, composé de 20 bataillons d'infanterie, d'un régiment de dragons et de deux régiments de cavalerie, ainsi que d'un état-major comprenant M. de Contades, lieutenant-général, et MM. De Coëtlogon et de Saint-Pern, maréchaux de camp. Le commandement supérieur dans la province était dévolu à M. de la Fare, lieutenant-général, qui ne devait rejoindre que plus tard. L'arrivée des troupes en Bretagne ne pouvait avoir lieu, vu la distance à parcourir, que dans le courant de novembre [Note : Etat des troupes envoyées en Bretagne. Régiments d'infanterie : La Couronne, 3 bataillons ; Royal-Vaisseaux, 3 ; Bercy, 1 ; Beauvaisis, 1 ; Wittmer, 3 ; Seedorf, 3 ; Bulkeley, 1 ; Care, 1 ; Dillon, 1 ; Rooth, 1 ; Berwick, 1 ; Lally, 1. Total : 20 bataillons. — Cavalerie : Du Rumain, 4 escadrons ; Chabrillan, 4. — Dragons : Asfeld, 5 escadrons].

L'escadre anglaise, contrariée par les vents de la partie sud qui soufflaient en tempête, ne put appareiller de la baie du Pouldu avant le matin du mercredi 12. Comme elle était mouillée à demi-portée de canon de la terre, le conseil de guerre de Lorient eut l'idée d'établir sur la côte une batterie de 18 ou de 24 pour canonner les vaisseaux ennemis, ce qui offrait de grandes chances de succès et peu de risques, l'artillerie des navires ballottés par la grosse mer n'étant pas en mesure de riposter efficacement. Le matériel était déjà attelé et prêt à partir, quand M. de Volvire, toujours pusillanime, fit arrêter le mouvement. Il craignait de provoquer une nouvelle descente faite dans le but d'enlever la batterie, bien qu'une pareille tentative fût considérée par les marins comme irréalisable, vu l'état de la mer (Relation des Archives de la Marine, B4 58, pièce 33).

Le 12, l'escadre anglaise appareilla. On la vit cingler au large de Groix et de Belle-Ile, puis entrer dans la baie de Quiberon en doublant les Cardinaux, à l'est de Hoedic. Un vaisseau resta à la traîne, et on put espérer un moment qu'il était échoué ; mais on le vit partir à son tour et, rejoindre le gros de la flotte en défilant entre les îles et le continent. En appareillant, plusieurs bâtiments durent abandonner leurs ancres, qui étaient munies de bouées pour en repérer l’emplacement. Ces bouées et leurs orins furent relevés plus tard par les soins de la marine du Port-Louis [Note : Ces orins firent l'objet d'un conflit entre la marine et l'amirauté de Vannes qui les revendiquait comme épaves, conflit qui fut tranché en faveur des marins par le ministre, M. de Maurepas., Le commandant de la marine au Port-Louis voulait utiliser ces cordages pour fourrer les cables de l'estacade tendue entre la citadelle et le rocher de la Jument, barrant l'entrée de la rade (Arch. Marine, B3 446, folio 195)].

Le jour même où les Anglais quittaient la baie du Pouldu, le vaisseau du roi de France l'Ardent, de 64 canons, qui faisait partie de l'escadre du duc d’Enville, envoyée sur les côtes d'Acadie et qui en avait été séparé par une tempête, se voyant pris en chasse par plusieurs vaisseaux anglais, vint se réfugier sous Belle-Ile. M. de Colombo, qui commandait ce navire, ayant une grande partie de son équipage sur les cadres, malade du scorbut, demanda au gouverneur de Belle-Ile, M. de Saint-Sernin, de lui envoyer des marins, afin qu'il puisse manoeuvrer ; 80 matelos furent mis bord. Mais le jeudi 13, l'Ardent, n'ayant pu réussir à se placer sous le canon de l'île, fut rejoint et attaqué par quatre vaisseaux anglais et, après un combat qui dura jusqu'à la nuit, fut contraint de s'échouer vers la pointe de la presqu'île de Quiberon. Il continua la lutte dans cette position, portant le plus de canons qu'il pouvait sur le bord qui battait le large. A bout de munitions, il fut évacué la nuit par l'équipage et les officiers qui gagnèrent la terre « avec la chemise sur le corps », laissant malheureusement à bord 40 malades intransportables.

M. de Chauvry, commissaire des classes à Vannes, s'occupa de faire retirer du navire échoué le matériel utilisable et put ainsi recouvrer 250 fusils et 50 sabres qui furent distribués aussitôt aux gardes-côtes de Quiberon, qui étaient presque sans armes.

Pendant les journées du jeudi 13 et du vendredi 14, la flotte anglaise louvoya pour atteindre le mouillage de Quiberon, où elle jeta l'ancre dans la soirée du dernier jour. En observant ses mouvements, on crut distinguer une menace pour le littoral de Rhuys et M. de Volvire fit alerter l'arrière-ban de la noblesse qui, après avoir marché au secours de Lorient, avait été renvoyé à Vannes, pour s'opposer à toute tentative dans les parages du Morbihan.

Ces mouvements de la flotte anglaise étaient observés en particulier par M. Dondel père, ancien président au présidial de Vannes, de sa propriété de Kergonano en Baden ; le 15 octobre, il envoyait l'avis suivant, au comte d'Argenson :

« Monseigneur, vous avez été exactement instruit de ce que vient d'arriver à Lorient et de l'attaque du vaisseau l'Ardent échoué à la côte de Quiberon vis-à-vis-de Belle-Ile. La position dans laquelle je me trouve en ce moment à la campagne, paroisse de Baden, entre les deux bras de mer de Vannes et d'Auray, m'a fait penser, Monseigneur, que je pourrais être le seul à pouvoir vous rendre compte des derniers mouvements de l'escadre anglaise. Hier matin. 14, je la vis paraître à la voile et comme elle paraissait venir du côté du Croisic, nous nous flattâmes pendant quelque temps que ce pourrait être quelque convoi français ; mais on fut désabusé le soir, lorsque, malgré le vent favorable pour continuer sa marche vers le sud-ouest, cette escadre se fixa en formant une longue chaîne. Dans la baie de Carnac entre Quiberon et la pointe de Port-Navalo, de la presqu'île de Rhuys. Ce matin, les mêmes vaisseaux sont réunis et quelques-uns d'entre eux paraissent fort près de la côte de la paroisse de Carnac, comme s'ils voulaient y tenter une descente. Voilà, Monseigneur, la situation des choses à ce moment dix heures du matin ; c'est de 3 à 6 lieues par mer que j'observe le tout de chez moi… » (A. G. vol. 3.188, pièce 117).

Le ministre recevait en même temps des informations de M. Senant, premier président au présidial de Vannes, que donnait des détails sur la menace dirigée contre Rhuys :
15 octobre 1746.
« … J'ai appris ce matin, Monseigneur, que hier, à dix heures du matin, les ennemis mirent à la mer environ 200 chaloupes chargées d'une prodigieuse quantité de monde, que deux de ces chaloupes approchèrent de la côte de Saint-Jacques, devant laquelle la flotte était mouillée à moins de la portée de mousquet, qu'on ne tira point sur elles à cause du mauvais état des batteries et de la mauvaise qualité de la poudre, que ces chaloupes se retirèrent, sans insulter la côte, que la flotte mit à la voile à trois heures et fut jeter l'ancre entre le Fogeo et Quiberon, près de Saint-Gildas. On vient de me dire qu'elle forme une chaîne devant Quiberon et qu'il paraît qu'elle veut nous couper toute communication avec Belle-Ile ... » (A. G. Vol. 3.188, pièce 120).

M. Sénant, en sa qualité de premier président et sénéchal du présidial, s'attribuait les fonctions de commandant pour le roi à Vannes, en l'absence du gouverneur, M. de Lannion, et, à ce titre, avait déjà déployé son zèle en prenant diverses, mesures lors de l'attaque de Lorient, tant pour organiser des courriers entre Vannes et le Port-Louis, que pour la défense de la rivière du Morbihan et de la presqu'île de Rhuys, et surtout pour assurer la subsistance des troupes rassemblés dans la région [Note : Il avait en outre fait mettre l'embargo sur des navires hollandais se trouvant à Vannes]. Ayant servi six ans dans l'armée, comme il le rappelait, il pouvait se targuer d'une certaine compétence militaire [Note : Un autre Vannetais, M. Alano Querthomas, se faisait l'informateur bénévole du gouvernement en envoyant régulièrement des bulletins à M. de Machault, contrôleur général des finances, lequel était d'autre part en correspondance suivie avec MM. de Volvire et Deschamps. (Arch. Nat. H, 570)].

Ce stationnement des Anglais dans la baie de Quiberon faisait redouter une nouvelle descente, soit à Quiberon, soit à Belle-Ile. Le mouvement d'embarcations signalé vers Rhuys n'avait été sans doute qu'une feinte pour attirer de ce côté les forces de la défense.

La presqu'île de Quiberon était alors défendue par des milices gardes-côtes, formées de paysans mal armés, sans instructions ni discipline militaires, sous les ordres de M. du Penhoët, capitaine général, et par de mauvaises batteries, mal approvisionnées [Note : La défense du littoral dépendait alors de deux départements, les batteries et la milice garde-côte étant rattachées à la marine, tandis que les places fortes et les autres troupes relevaient du Ministre de la Guerre. Ce partage d'attributions était peu favorable au bien du service et on y renonça en 1759, en pleine guerre de Sept Ans ; la défense des côtes fut alors entièrement attribuée au département de la guerre. Cette solution a été maintenue jusqu'en 1920, époque à laquelle on a cru bon de revenir au système abandonné sous Louis XV]. Aucun renfort n'y avait encore été envoyé quand, le samedi 15, le général Saint-Clair fit sommer le capitaine général de rendre la presqu'île à discrétion, ne voulant pas lui laisser le temps de prévenir M. de Volvire et ajoutant que, s'il y avait, un seul Anglais tué, il mettrait tout à feu et à sang. Devant ces menaces et malgré les adjurations de leur chef, les milices se débandèrent en jetant leurs armes ; les batteries furent abandonnées.

Le corps anglais put alors descendre à terre sans obstacle et occuper toute la presqu'île, jusqu'à l'isthme qui la joint au continent. Les Anglais travaillèrent de suite à former leur camp et à fortifier la hauteur située à l'entrée de la péninsule, armant les retranchements avec les canons des batteries évacuées. L'occupation de Quiberon leur assurait la libre jouissance de la rade, où leur flotte pouvait braver la mauvaise saison et constituait une menace permanente pour les îles et tout le littoral.

Après avoir débarqué, les Anglais trouvèrent dans le bourg des malades nombreux provenant du vaisseau l'Ardent. Le général Saint-Clair fit porter un message au lieutenant du roi au Port-Louis, lui demandant de faire prendre ces malades par des chariots et d'envoyer un commissaire qui en donnerait quittance.

Le transport de ces malades de Quiberon au Port-Louis fut effectué, non par des chariots qu'on ne put rassembler en nombre suffisant, mais par des chaloupes envoyées par M. de Ravenel, commandant de la marine au Port-Louis. Le commissaire chargé du convoi, le Sr Bourhiec, écrivain de la marine, fut reçu avec beaucoup de politesse par le général anglais, qui le fit manger avec lui, mais l'interna rigoureusement jusqu'à l'achèvement des transports. Ceux-ci, qui exigèrent plusieurs voyages, se terminèrent le 19, ramenant 81 matelots. Quant à ceux qui, en raison de leur état, n'avaient pu être débarqués de l'épave, ils avaient été lamentablement submergés, le bâtiment, à la basse mer, s'étant renversé « en sorte qu'on lui vît la quille ».

Le 15 octobre, arrivait à Lorient, venant de Paris, le chevalier Olivier de Kermellec-Penhoët, porteur de lettres pour les autorités militaires ; cet officier jouissait de la confiance particulière du ministre, qui le présentait en ces termes à M. de Volvire [Note : Etat des services du chevalier de Kermellec-Penhoet : 1712-1713, sous-lieutenant au régiment d'Angoumois, combat de Denain, sièges de Douai, du Quesnoy, de Bouchain, de Fribourg. — 1714, lieutenant même régiment. — 1719, la Seu d'Urgel. — 1726, capitaine même régiment. — 1733, siège de Kehl. — 1734, siège de Philipsbourg. — 1742, campagne de Bohême et Bavière. — 1742-1746, campagne en Allemagne et sur le Rhin. — 1743, lieutenant-colonel. — 1745, commandant un régiment de grenadiers royaux en Alsace et Lorraine. « Cadet qui n'est riche, n'ayant que la cape et l'épée » (D'après les archives administratives de la guerre)] :

9 octobre 1746.
« Le roi avait accordé, il y a quelque temps, à M. de Kermellec, un des bons officiers qu'il ait à son service pour faire la guerre et que Sa Majesté avait mis à la tête d'un de ses régiments de grenadiers royaux, la permission d'en lever un qui ne doit être composé que de Bretons tels que lui et je l'avais mandé, il y a quelques jours, pour venir régler avec moi l'arrangement de cette nouvelle troupe. Il vient d'arriver et je le fais partir à l'instant pour aller joindre avec des lettres de service en sa qualité de colonel. C'est un homme intelligent et dont vous pourrez tirer une grande utilité pour ameuter, discipliner et donner de la confiance aux hommes, que vous avez à votre disposition. Il est aussi plus capable que personne de harceler les Anglais, de les désoler dans leurs communications, en un mot de contribuer par tous les moyens imaginables à la destruction d'un corps dont il n'en devrait pas revenir un. Quand vos affaires seront terminées, il songera alors à la formation de sa nouvelle troupe dont j'augure on ne saurait mieux pour le service du roi ... » (A. G. vol. 3.153, pièce 220).

Aussitôt arrivé, M. de Kermellec fut mis à la tête du détachement formé pour secourir Quiberon [Note : Son état-major comprenait M. de Bouziguel, major du régiment de l'Hôpital, et le chevalier de Marbeuf, son parent] ; mais il était trop tard pour défendre la presqu'île. Le 17 octobre, M. de Kermellec rendait compte au ministre de la situation devant Quiberon :

CARNAC, 17 octobre, 11 h. du matin,
« J'ai eu l'honneur de vous écrire que j'étais arrivé à Hennebont, ne pouvant passer à Lorient parce qu'il était trop tard. Je suis arrivé le 14 [Note : Date à rectifier ; il faut lire le 15 ; car la lettre précédente écrite d'Hennebont est du 14. D'autre part, la prise de Quiberon est certainement du 15] et ai remis votre lettre à M. de Volvire. Je lui dis en arrivant qu'il convenait de prendre de grandes précautions pour Quiberon, et il donna l'ordre à 2.000 hommes d'y marcher pour renforcer 700 hommes qui y étaient. Mais Quiberon a été pris le 14 [Note : Date à rectifier ; il faut lire le 15 ; car la lettre précédente écrite d'Hennebont est du 14. D'autre part, la prise de Quiberon est certainement du 15] à neuf heures du matin sans tirer de notre part un seul coup de fusil ; les ennemis ont seulement tiré 4 coups de canon. Les paysans ont abandonné un vieux gentilhomme qui y était. Je passai de Lorient au Port-Louis où j'ai remis votre lettre à M. Deschamps que j'ai trouvé au lit malade. A mon retour du Port-Louis, M. de Volvire m'ordonna d'aller à Quiberon avec 230 dragons de l'Hôpital, 8 compagnies de cavalerie du régiment d'Heudicourt, 50 archers de la maréchaussée et 140 gentilshommes de la noblesse de Vannes et de Quimper.

Avant mon départ, M. de Volvire apprit que les Anglais étaient maîtres de la presqu'île et m'ordonna également de partir et de me placer dans la partie la plus convenable pour arrêter leurs progrès et empêcher les contributions. J'envoyai ordre aux troupes de prendre poste à Plouharnel, j'y arrivai à quatre heures le 16 et ne trouve personne de rendu. Je vais à Carnac et je trouve le vieux gentilhomme qui avait ramassé ce qu'il avait pu de paysans et y avait pris poste. J'y ai attendu les troupes et je les ai postées à La Trinité, à Locmariaquer, à Kerlois, à Carnac, à Plouharnel, à Erdeven et je me tiens à Carnac.

La flotte des ennemis est mouillée depuis la pointe de Carnac jusqu'à Quiberon et y est en sûreté contre tous les vents, à l'exception d'un violent vent du nord-ouest qui pourrait les incommoder. Les ennemis ont retranché la pointe de terre qui est le seul endroit par où l'on puisse aller à eux. Ils y ont placé du canon qu'ils ont trouvé dans l’île ; cette langue de terre est seulement large de 20 toises. Si les ennemis la coupent, ce qui peut être fait en une demie journée, entre deux marées, cela fera une île parfaite et un fort bon poste. Je ne trouve pas qu'il soit possible avec des paysans de hazarder cette attaque, qui sera même bien difficile avec de bonnes troupes ; il y a plus d'une demie lieue à défiler sous le feu de leur armée navale. Les Anglais ont débarqué toute leur infanterie et l'ont partagée en petits corps dispersés dans toutes les parties de l’île.

Ils ont brûlé le vaisseau de guerre l'Ardent qui y avait échoué et toutes les barques et bâtiments des malheureux insulaires qui ne vivaient que de ce commerce. Si les ennemis s'écartent de cette partie pour quelque entreprise, j'essaierai l'attaque de l’île, mais je ne promets pas de réussir » (A. G. vol. 3.188, pièce 127).

De son côté, le président Dondel continuait son rôle de guetteur à Kergonano et écrivait à la même date du 17 :

« Depuis ma dernière lettre de samedi, j'observai le même jour la descente des Anglais entre Quiberon et Carnac. Ce fut sans coup férir des deux côtés. Vous serez instruit des détails de cet événement qui laisse à nos ennemis non seulement la disposition de la batterie et des munitions du lieu, mais encore de l'artillerie du vaisseau l'Ardent échoué sur cette côte à la suite d'un combat. Pour me retrancher donc à ce que je vois, je continue à vous rendre compte, Monseigneur, que ce jour 17, dix heures du matin, huit vaisseaux de l'escadre ennemie se sont détachés pour aller soit vers l'abbaye de Prières, le Croisic, ou l'entrée de la Loire. Si les troupes réglées, dont on publie l'arrivée, ne se rendent pas incessamment, les batteries de Port-Navalo et de Locmariaquer, gardées de la même façon que celles de Quiberon, tomberont avec autant de facilité entre les mains des ennemis et tout ce qu'on doit craindre entraînera le sort des villes maritimes voisines ......
Les vaisseaux qui s'étaient détachés ce matin de l'escadre anglaise sont revenus en partie la rejoindre l'après-midi. Les ennemis, en se fortifiant d'une muraille et de différentes batteries, travaillent à couper l'isthme ....
La victoire (Raucoux) que j'apprends me fait, Monseigneur, d'autant plus de plaisir que mon fils aîné me mande que M. le marquis de Voyer et son régiment s'en sont bien tirés.
Il paraît encore quelques vaisseaux ennemis à la rade du Pouldu, près de Lorient »
(A. G. vol… 3.188, pièce 132).

Pour montrer comment le Ministre accueillait ces informations officieuses, il paraît intéressant de donner sa réponse, datée du 29 octobre :

« J'ai recu, Monsieur, les lettres que vous avez pris la peine de m'écrire le 15 et 17 de ce mois et je vous remercie de votre attention à m'informer de tous les mouvements des Anglais dont vous avez été témoin pendant leur descente à Quiberon. Continuez je vous prie, à m'informer, avec confiance et amitié, de tout ce qui se passera dans la province.
La cavalerie n'ayant pas donné dans la dernière affaire, vous n'avez pas sujet d'être inquiet pour vos enfants.
Soyez persuadé que je m'emploierai avec plaisir pour tout ce qui pourra vous en faire et que c'est avec les sentiments les plus sincères que je suis pour toujours, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur »
(A. G. vol. 3.153, pièce 305).

A la nouvelle de la descente des Anglais à Quiberon, le comte d'Argenson écrivit à M. de Volvire :

18 octobre 1746.
« J'ai reçu, Monsieur, vos lettres des 12, 14, 15, de ce mois. Voici une nouvelle occasion d'exercer votre zèle et votre fermeté dans le nouveau grade que Sa Majesté vous a accordé. Elle ne doute, pas que vous ne concouriez avec MM. de Contades, de Coëtlogon et de Saint-Pern à faire repentir les Anglais de la grande entreprise qu'ils viennent de former. Le peu de succès de la première doit avoir fait connaître au pays combien de pareils projets sont téméraires. .
Il n'est question en effet que de bien employer les moyens que vous avez à votre disposition et d'en tirer plus d'utilité qu'on ne l'a pu faire dans le premier moment de trouble et dans la confusion.
Je suis très aise que Kermellec soit arrivé à temps pour que vous lui ayez confié le commandement des forces que vous avez rassemblées pour marcher sur Quiberon. Je suis sûr qu'il en tirera meilleur parti que personne, connaissant ses talents, ses ressources et sa volonté ... »
(A. G. vol. 3153, pièce 248).

Le duc de Rohan, qui devait commander l'arrière-ban de la noblesse, apprenant les événements, était parti de Paris et, à son passage le 16 à Rennes, avait reçu la nouvelle de la descente à Quiberon. Il avait aussitôt continué son voyage sur Vannes ; le 18, il arrivait à Auray, où la noblesse se trouvait rassemblée, et en prenait le commandement.

Le ravitaillement des troupes réunies entre les rivières d'Etel et d'Auray était dirigé par M. Houvet, commissaire des guerres, puissamment secondé par M. du Menez-Lezurec, sénéchal et maire d'Auray. M. Houvet rendait compte en ces termes de la situation :

« … M. de Kermellec, excellent officier, commande les troupes qui font une chaîne autour de cette gorge (l'entrée de la presqu'île) pour empêcher les Anglais de se répandre dans la grande terre, et celles qu'il a placées, dans les endroits où l'on pouvait craindre qu'ils ne fissent descendre des troupes par mer. Je suis commissaire, trésorier, boucher, boulanger, M. le duc de Rohan arriva hier matin avec 150 à 180 gentilshommes, un grand nombre d'anciens et braves officiers et d’autres qui, sans avoir servi, paieront très bien de leur personne ; mais j’en vois qui seraient en vérité aussi bien chez eux qu’ici, à nous consommer des provisions de vivres et de fourrages.

Nous nous sommes endettés, M. du Menez et moi, de plus de 30 mille livres. Si je ne l'avais pas ici, la tête me tournerait et je ne sais comment la sienne peut résister aux détails immenses auxquels il se livre toujours avec le même zèle dans ce temps de confusion... » (A. G. vol. 3188, piècè 139).

On attendait pour le 19 à Vannes la noblesse du comté nantais, comprenant 180 gentilshommes, dont deux tiers bien montés et armés, avec 250 domestiques armés, de quoi former deux escadrons sous les ordres de MM. de la Blottière et de Juigné.

Le 18 octobre, lettre de M. de Kermellec.
18 octobre 1746, Camp de Carnac.
« J'ai l'honneur de vous exposer que les vaisseaux anglais sent toujours mouillés dans la baie de Quiberon au nombre de 43 vaisseaux dont 31 gros vaisseaux ; les ennemis sont campés dans l’île, leur camp dans un angle dont la base regarde l'entrée de l'île, ils y ont placé du canon en amphithéâtre et ils ont remué de la terre. Nos troupes consistent dans 6 compagnies de dragons qui sont à Carnac, 8 compagnies de cavalerie du régiment d'Heudicourt à Erdeven, 840 hommes de milice garde-côte ou bourgeoise d'Auray à Plouharnel, un bataillon de milice bourgeoise de Rennes à Kerlois un autre bataillon de Rennes à Le Genès et Saint-Colomban et 1200 hommes, dont partie de la capitainerie garde-côte d'Auray ou détachements des paroisses, à Locmariaquer, à la Trinité et Crach, voilà le complet, si tout y est. Mais il y a une furieuse désertion ; je les harangue, je fais ce que je puis, mais, il y a une timidité qui dépasse toute imagination. Si les ennemis sortaient de leur île, je pourrais les aguerrir petit à petit, leur donnant quelque curée ; mais ils ne sortent pas. Il me faudrait quelques troupes réglées de soutien ; les mêlant avec des paysans, cela pourrait faire quelque, chose... » (A. G. vol. 3188, pièce 114).

Nouveau compte rendu le lendemain :
CARNAC, 19 octobre 1746.
« J'ai eu l'honneur de vous écrire hier et j'ai celui de vous marquer aujourd'hui que j'ai été ce matin reconnaître la position des ennemis dans l'île de Quiberon. Ils ont deux batteries qui se croisent sur l'entrée de l’île, qui est une langue de terre large de 20 toises ; il m'a paru que la longueur de cette langue qui la sépare de la falaise peut être de 120 toises ; dans les grandes eaux, cette langue est presque couverte. Du côté de l'est (de la presqu’île) qui est la partie la plus facile à aborder, ils y ont une ville de tentes qui me paraît tenir toute l'étendue de l’île. Du côté de l'ouest, où est la grosse batterie, il y paraît des tentes pour la valeur de deux bataillons, sans cependant que l'on puisse juger de la profondeur. Il n'y a que 29 vaisseaux, grands ou petits, mouillés à l'est de Quiberon. Il y a cinq petits vaisseaux mouillés vis à vis le Port Navalo et 8 gros qui sont à la voile. J'apprends dans le moment que le feu est en trois endroits de l’île de Houat ; je crains pour elle, cela annonce que les ennemis veulent attaquer ou bloquer Belle-Ile. Si nous avions dans le pays 20 bataillons de troupes réglées et un régiment de dragons de plus cela remettrait le coeur à nos paysans qu'on ne tient presque plus et qui désertent. Il est vrai que j'ai ici, je crois, les plus timides ; car on ne les peut maîtriser, je fais ce que je puis pour les contenir. Le pire de tout cela est qu'ils sont commandés par des paysans, gens peu propres à leur inspirer des sentiments, au lieu qu'en Basse-Bretagne la noblesse les commande... » (A. G. vol. 3188, pièce 150. M. de Kermellec était originaire du pays de Léon).

Le 20 octobre, la place du Port-Louis voit arriver son gouverneur titulaire, le marquis de Rothelin, maréchal de camp, qui n'y résidait pas habituellement. Son arrivée était opportune, le lieutenant du roi, M. Deschamps, étant tombé gravement malade. A son arrivée, il écrivit au ministre.

AU PORT-LOUIS, 20 Octobre 1746.
« Je suis arrivé, Monseigneur, aujourd'hui à cinq heures du soir au Port-Louis, un peu fatigué de mon voyage, mais au reste en assez bonne santé. Je comptais avoir besoin de rassurer les esprits alarmés de la descente des Anglais. Mais il me paraît que la présence de duc de Rohan a produit un bon effet, je l'ai trouvé à Auray, qui n’en est qu'à cinq lieues, à la tête de 300 gentilshommes de la province, tous très zélés pour le service du roi ; il en attend encore 150. Il m'a fait deux représentations que je communiquerai ce matin à M. de Volvire à Lorient où je compte me rendre à midi pour prendre de concert avec lui les partis les plus utiles pour mettre le pays en sûreté : l'une est qu'il demande des fusils pour la plupart des gentilshommes qui, malgré leur bonne volonté, sont très mal armés et à qui il compte faire faire le même service que les mousquetaires qui serviront à pied ou à cheval, suivant les besoins ; l’autre est de leur donner la paye de mousquetaire jusqu'à l'arrivée des troupes ; et cela me paraît assez juste, y ayant beaucoup de pauvres [Note : Plusieurs lettres formulent les mêmes plaintes concernant les difficultés qu'éprouvait la noblesse pauvre à supporter les charges résultant de la convocation. « Certains gentilshommes, écrit M. de Carné-Trécesson, doivent, au bout de quelques jours, emprunter pour pouvoir vivre ou rentrer chez eux » ; on réclame pour eux l'étape, la route et le fourrage]. Il leur a persuadé de se mettre par compagnie de 50 hommes et de se nommer des officiers, afin de leur faire observer la discipline.

Il me paraît que l'objet principal doit être d'empêcher les ennemis de pénétrer ni à Lorient ni au Port-Louis, et de les contenir jusqu'à l'arrivée des troupes. Nous ferons notre possible, M. de Volvire, le duc de Rohan et moi pour remplir cet objet. Nous avons en avant un M. de Kermellec, qui est un gentilhomme de la province d'une grande réputation, que occupe un poste à deux lieues et demie d'ici entre Auray et Quiberon ; il y a 5 ou 6.000 hommes de milices gardes-côtes et nos deux régiments de troupes réglées... » (A. G. vol, 3188. pièce 154).

Un bulletin transmis par le duc de Rohan donne le résultat d'une reconnaissance :

AURAY, 20 octobre,
« On a été hier reconnaître les ennemis à la portée du fusil ; ils continuent à se fortifier dans la presqu’île de Quiberon. Les ouvrages qu'ils ont fait pour fermer l'entrée de la presqu'île sont très élevés ; mais il paraît qu'ils ne sont que de sable trié et couvert de goëmon, qui est une herbe qui croît au bord de la mer. Ces ouvrages sont garnis de canon dans des embrasures...

Sur les huit heures, on a vu 17 chaloupes se porter du côté de la petite île de Houat ; quelque temps après, on a vu de la fumée dans cette petite île, d'où l'on juge que les ennemis y ont mis feu et s’en sont imparés » (A. G. vol. 3188, pièce 156).

L'île de Houat était alors défendue par une tour avec batterie circulaire, construite par Vauban [Note : Cette tour, ainsi que l'ouvrage similaire d’Hoedic, avait été attaquée sans succès en 1696 par une flotte anglo-hollandaise], dont la garnison comprenait 36 hommes de la milice de Mayenne détachés de Belle-Ile, sous les ordres du Sr Beauvais, capitaine. L'armement se composait de 8 canons de fer (c'est-à-dire de fonte de fer). Le capitaine avait reçu gouverneur de Belle-Ile l'ordre de n'écouter aucune proposition de l'ennemi, avant qu'il y eût une brèche praticable. Malgré ces instructions, le fort se rendit le 20 octobre après avoir subi le feu de deux vaisseaux de ligne qui dégrada le haut de la tour, et tiré 4 ou 5 coups de canon.

La tour d'Houat en 1746 (Bretagne).

Les Anglais incendièrent et pillèrent les maisons de l'île et enlevèrent les bestiaux. L'église fut mise à sac, les ardoises enlevées, les fermes de la charpente rompues.

Le lendemain, une frégate se présenta au port du Palais, à Belle-Ile, ramenant la petite garnison faite prisonnière.

Les pourparlers échangés à cette occasion entre M. de Saint-Sernin, lieutenant général, gouverneur de Belle-Ile, et l'amiral anglais font l'objet de la letre suivante du gouverneur :

BELLE-ILE, 25 octobre 1746
« … Le 20 de ce mois, l'amiral Lestock fit sommer un capitaine du bataillon de milice de Mayenne que j'avais mis dans la tour de l'île d'Houat avec 36 hommes, 8 canons de fer et les munitions de guerre et de bouche nécessaires et lui fit tirer quelques coups de canon de deux vaisseaux qu'il fit venir à proximité de cette tour. Ce capitaine s'est rendu quatre heures après prisonnier de guerre avec son détachement ; le lendemain cet amiral me l'envoya par une frégate et m'écrivit une lettre polie. J'ai l'honneur de vous l'envoyer avec la réponse que je lui ai faite qui est aussi fort polie ; un capitaine des troupes qu'ils ont de débarquement, qui, à ce que l’on m'a dit, est un ingénieur, me la rendit. Il y en avait une seconde qu'il jugea à propos de supprimer ; je n'imagine pas ce qu'elle pouvait contenir.

Le discours que je lui fis, je crois, le déconcerta ; il était décent, mais tous les termes dont je me servis étaient hauts et marquaient beaucoup de fierté et tels qu'il convient à quelqu'un qui a un grade supérieur et qui sert le plus grand Roi du monde. Ce discours fit une grande impression à tous les officiers de la garnison qui l'entendirent, joint à ce que j'ai refusé de recevoir le détachement de la tour d'Houat, qui n'avait pas exécuté les ordres que je lui avais donnés pour se mieux défendre.

La frégate qui portait ces prisonniers de guerre et le capitaine qui était chargé de la lettre de l'amiral Lestock arriva, avec un vent arrière, plus près que la portée du canon de la citadelle, avec un pavillon blanc ; mais il était si petit que je ne le discernai pas bien, ce qui me détermina à lui faire tirer 30 à 40 coups de canon, joint à ce que j'étais de méchante humeur ce jour-là. Elle s'arrêta, mit sa chaloupe à la mer avec un pavillon blanc ; le capitaine entra dans le port ; on cessa de tirer, on lui banda les yeux et il fut conduit chez moi. Il ne voulut manger que du fruit et des gaufres et but plusieurs coups de vin de Cap-Breton blanc. Il le trouva bon et me dit que son amiral l'aimait beaucoup.

Le lendemain 22, je lui en envoyai 4 douzaines de bouteilles, avec deux paniers de fruits et une lettre obligeante. Ce fut M. de Vaugimont, capitaine de dragons, que je chargeai de la lui porter, conduit par huit matelots les plus entendus que j'aie trouvés, pour remarquer les vaisseaux de cette flotte ; je donnai à M. de Vaugimont plusieurs lettres que j'avais reçues qui faisaient le détail de l'action du 11 de ce mois [Note : Bataille de Raucoux], en Flandre, pour que, si l'amiral lui demandait des nouvelles, il les y fit voir. Ce que j'avais prévu arriva, il les lut toutes ; il ne savait pas non plus que le château de Namur fût rendu. Il m'écrivit la lettre que j'ai l'honneur de vous envoyer avec la copie de la mienne et m'envoya trois douzaines de bouteilles de vin des Canaries et deux douzaines d'arraque pour faire du punch. Il rendit à M. de Vaugimont, capitaine de dragons dans l'Hôpital, toutes sortes d'honneurs. L'on dit qu'ils ont des malades sur cette flotte et font courir le bruit qu'ils viendront à Belle-Ile, qu'ils ont 8.000 hommes de troupes de débarquement. Je les attends, car je ne puis aller les chercher et j'espère que je les en ferai repentir... » [Note : A. B. vol. 3188, pièce 218. L'annexe ci-après reproduit les lettres échangées entre les deux chefs ennemis, à la fois très dignes et très courtoises].

Certaines relations mentionnent une sommation faite à Belle-Ile par l'escadre anglaise et repoussée par le gouverneur. La correspondance de ce dernier et des autres officiers de l’île ne relève rien de semblable. Il est probable que c'est la venue à Belle-Ile du parlementaire anglais qui aura donné lieu, sur le continent, à cette fausse information. Il convient de remarquer d'ailleurs que le parlementaire, M. Watson, supprima, d'après le récit du gouverneur, une des deux lettres qu’il portait ; c'était peut-être une sommation, qu'il s'abstint de présenter, impressionné par l'attitude énergique de M. de Saint-Sernin [Note : Il y a lieu de noter que M. Watson était un ingénieur, et le choix d'un ingénieur comme parlementaire donne à penser qu'il avait aussi mission d'apprécier la force de résistance de la place].

Devant Quiberon, le 21 octobre, la situation n'était pas modifiée. A cette date, M. de Kermellec informait le Ministre de l'incendie du village de Saint-Julien et de l'établissement d'une nouvelle batterie à l’entrée de la presqu'île. Il annonçait l’envoi par le premier ordinaire d'un plan d’attaque que le Ministre l'avait pressé de préparer.

Le 22, il écrivait : « Monseigneur, j'ai relu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire du 18 ; il serait bien malheureux pour moi, si, malgré les peines que je me donne, je passais pour ne pas répondre à la confiance que vous et M. de Volvire m'avez donnée. Mais je n'ai pas le talent de faire l'impossible. Je vous ai marqué qu'avec le monde que j'ai ici, il ne me serait pas raisonnable d'attaquer Quiberon et je crois faire beaucoup si je puis parvenir à empêcher que les ennemis ne s'étendent en pleine terre et ruinent le pays. C'est pour remplir cet objet, que j'ai mis ma droite à Erdeven et ma gauche à Locmariaquer, la noblesse à Auray, à portée de se porter de l'un ou de rautre côté de la rivière d'Auray et de Crach. Je ne dors ni nuit, ni jour, et tout le monde sait que j'y vais de tout mon cœur ; il me faut cent fois redire la même chose et encore souvent cela n'est pas exécuté ou l'est de travers.

Dans toute la capitainerie garde-côte d'Auray qui doit faire 2.000 hommes, il n'y a que deux gentilshommes. Leur raison est qu'ils ne veulent pas se mettre à la tête de gens qui les quitteront au premier coup de fusil et qui les déshonoreront et on ne les sort pas de là. Cela est bien différent en Basse-Bretagne, la noblesse ne fait aucune difficulté pour se mettre à la tête de leur paroisse, mais comme les Anglais menacent également toutes les côtes, chacun veut garder son terrain pour n'être pas ruiné.

Je crois vous avoir parlé dans mes précédentes lettres de l'importance de Quiberon. Les ennemis peuvent y former un bon établissement et s'y soutenir abrités de tous les vents et s'empareront aisément de l'île d'Houat, et de l'île d'Hœdic, et de Belle-Ile et, si on leur donne le temps de s'accommoder, ils en feront un second Gibraltar et adieu le commerce de la Bretagne. Ceci est bien plus important que Lorient, où jamais ils ne pourront faire un établissement solide.

Il y a deux façons d'attaquer l'île de Quiberon, la première par un coup de main en suivant le projet que vous trouverez ci-joint, la deuxième en règle… ».

Le projet de coup de main prévoyait la formation de trois colonnes ; la colonne de droite, venant d'Erdeven, devait attaquer la presqu'île en suivant la côte ouest ; la colonne du centre, parlant de Sainte-Barbe, aurait à établir une demi-parallèle avec des fascines et deux batteries pour contrebattre celles de l'ennemi ; la colonne de gauche partirait de Plouharnel, suivrait l'estran sur la côte est de l'isthme et de la presqu'île, en opérant avant le jour pour éviter le feu de la flotte anglaise. L'attaque du centre se déclencherait aussitôt que commenceraient les attaques d'aile. Enfin des chaloupes ou cache-marées partis des ports à l'ouest amèneraient des troupes vers le sud-ouest de la presqu'île, où l'ennemi pouvait avoir pris moins de précautions.

L'attaque en règle devait comprendre :
1° une parallèle formée à l'extrémité de l'isthme vers le continent;
2° des batteries pour démonter celles de l'ennemi ;
3° une sape double dans l'isthme ;
4° deux boyaux rejoints par une parallèle, d'où les troupes marcheraient à l'attaque. M. de Kermellec demandait pour faire l'attaque 12 bataillons et 100 dragons au delà des forces dont il disposait (A. G. fonds divers, carton XVIII).

Ces projets étaient étudiés avec soin et témoignent de la science militaire et de l'expérience de leur auteur. Mais il n'y eut pas lieu de les mettre à exécution, car, le jour même où M. de Kermellec les rédigeait, il pouvait annoncer la retraite des Anglais. Les dernières troupes se rembarquèrent le 22 à deux heures de l'après-midi. Un détachement fut aussitôt envoyé pour occuper la presqu'île.

Le 23, M. de Kermellec donne les détails de la journée précédente :

CARNAC, 23 octobre 1746.
« … Les ennemis firent hier sur toute la ligne la démonstration de m'attaquer et profitant d'un bâtiment français qu'ils avaient rançonné et auquel ils avaient ordonné d'entrer dans la rivière [de Crach], ils firent soutenir cela par deux autres vaisseaux qui sondaient partout devant la côte de Kerlois, dans le temps qu'ils apprêtaient tous leurs vaisseaux. M. le duc de Rohan arriva ici dans le même temps avec sa noblesse ; je lui écrivais de se rendre, je le regarde comme envoyé du ciel. Je fis toute ma dispoition pour le bien recevoir. J'envoyai deux compagnies de grenadiers que j'ai formées dans les milices bourgeoises de Vannes renforcer le poste de la Trinité. Je n'avais pas perdu de vue l’île de Quiberon, car comme je savais que la garde de cavalerie qui les avait observés pendant la nuit et celle de dragons étaient rentrées, j'ordonnai à un capitaine du régiment d'Heudicourt de marcher avec 40 maîtres et à la garde ordinaire de 30 maîtres de les soutenir et d'approcher le plus près qu'il lui sera possible des premiers postes des ennemis et d'observer leurs manoeuvres, de me rendre compte et de charger leur arrière-garde, s'ils voyaient qu'ils retiraient leurs postes et pensaient à la retraite. Cet ordre fut donné à huit heures du matin et tous les chevaux avaient ordre d'être bridés. J'engageai M. le duc de Rohan à envoyer 20 gentilshommes à Crach et envoyai ordre à la noblesse de Nantes qui est à Vannes de se tenir prête pour tomber du côté du Port-Navalo ou de Rhuys, au cas que les ennemis voulussent descendre sur cette côte. Dans cette situation, M. de Goézac, de ces gens qui étaient allés examiner leur conduite, vint à toutes jambes nous amener un paysan en croupe derrière lui de l'île de Quiberon. Ce paysan, voyant tous les préparatifs des Anglais, s'était échappé de l’île et courait m'en annoncer la nouvelle. J'envoyai un détachement de dragons avec 300 hommes de la garde-côte prendre poste dans Quiberon. Les ennemis travaillaient à emmener le canon trouvé dans l'île ; comme ils virent advancer les troupes, ils le laissèrent et s'embarquèrent. Ils ont laissé 4 pièces de canon à l'entrée de l'île et 16 dispersées dans différentes batteries ; ils ont pris dans l'île 60 tonneaux de grains dont cependant ils ont été obligés de laisser une partie, beaucoup de lard, de viande et de la poudre et des balles. Ils n'ont point retiré les canons du vaisseau l'Ardent ; ils y ont mis le feu, mais il n'y a de brûlé que ce qui était hors de l'eau et on pourra reprendre le canon qui est au nombre de 64 [Note : D'après certaines correspondances, les Anglais avaient enlevé les canon « de fonte » (c'est-à-dire de bronze) de l'Ardent. — Selon un autre témoignage, ces canons auraient fondu lors de l'incendie du bâtiment et le feu aurait été mis contre les ordres du commandement anglais]. Les ennemis sont toujours en ligne au nombre de 33 vaisseaux, ils appareillent et ont cargué leurs chaloupes, ce qui me fait penser qu'ils n'en veulent pas. Ils ont toujours 3 vaisseaux à la pointe de l'île d'Houat, dont les gens du pays prétendent qu'il y en a un qui a touché, car ils travaillent à l'alléger.

Ils ont brûlé dans l’île 8 villages, dont Saint-Julien est le plus considérable, et le Port-Orange ; ils ont brûlé 12 barques ou cache-marées et toutes les chaloupes. Je ne suis pas trop fâché de cela ; car cela leur apprendra une autre fois à se mieux défendre.

Je crois qu'il, est important de faire faire un fort dans cette île, de peur qu'il ne prenne envie aux Anglais d'y revenir l'année prochaine ; car je ne me rétracte en rien sur ce que j'ai dit de la bonté de cette baie ; c'est la meilleure que l'on connaisse et d'une conséquence très grande ... » [Note : A. G. vol. 3.188, pièce 191. C'est le stationnement des navires anglais à Quiberon en 1746 et plus tard en 1759 qui fit ressortir l'excellence de ce mouillage, peu pratiqué auparavant par les grands bâtiments].

Une requête présentée aux Etats de Bretagne le 14 décembre 1746 fait connaître le détail des déprédations commises par les Anglais ; elle est résumée ainsi dans les procès-verbaux des Etats (archives nationales H, 309) :

« M. de Bédée, procureur général syndic, fait rapport de plusieurs requêtes… la seconde, pour les habitants de la presqu'île de Quiberon sujets et vassaux de S. A. S. Mgr le duc de Penthièvre qui exposaient que l'escadre ennemie s'en était emparée au mois d'octobre dernier, y exerça les plus cruels ravages, que les ennemis ont pris et enlevé leurs meubles, leurs grains, leurs bestiaux et tous leurs autres effets ; qu'ils ont brûlé un des plus grands villages composant plus de 300 maisons également que le magasin servant à presser et à serrer la sardine dont Quiberon faisait un grand commerce, qu'ils ont emporté les huiles qu'on tire du poisson et plus de 200 barriques de sardines pressées, qu'ils ont ruiné les moulins, cassé et brisé les portes, les fenêtres des maisons qui n'ont pas été incendiées également que les meubles et autres effets qu'ils n'ont pas emportés, qu'ils ont pris ou brûlé plus de 50 barques ou chaloupes également que leurs filets et brûlé aussi la maison du prieuré dont M. l'abbé de Castellane est titulaire et de 4 métairies qui en dépendent qu'on venait de rétablir à neuf qu'ils ont enlevé et semé sur le sable les grains de ce prieuré, sans parler de plusieurs autres ravages ; que toutes ces pertes montaient à plus de 400.000 livres suivant un état dressé par le commissaire envoyé sur les lieux … ».

D'après une relation contemporaine, les canons abandonnés par les Anglais, qui provenaient des batteries de la côte, furent retrouvés encloués, les tourillons brisés, les affûts brûlés, les essieux rompus. L'église paroissiale du bourg avait été dévastée, le tabernacle brisé, les statues mutilées, des têtes de veaux, de moutons ou de boeufs remplaçant celles des saints.

Un article de M. Henri Céard, inséré dans le Bulletin de la Société Polymathique de 1905, donne le détail des dévastations commises à Quiberon.

Après le rembarquement du corps expéditionnaire, la flotte anglaise avait quitté le mouillage voisin de la presqu'île et était allée le 23 stationner dans les parages d'Houat.

On pouvait craindre une descente à Rhuys. Le président Sénant, toujours actif, avait, dès le 20, fait visiter le poste de Port-Navalo, où l'on n'avait trouvé qu'un seul homme au corps de garde. Il partit en poste pour Auray avec le commissaire des classes M. de Chauvry pour voir le duc de Rohan, puis pour Lorient demander à M. de Volvire les ordres nécessaires pour la mise en état de défense de la côte menacée. Il revint par Plouharnel, où il conféra avec M. de Kermellec pour la garde de la batterie de Locmariaker. Le 22, il écrivait de Vannes au Ministre de la Guerre :

« … Je visitai hier la baie du Fogeo et le poste de Port-Navalo, l'un et l'autre mal gardés et en fort mauvais état. Cette baie, qui a plus d'une demie lieue, n’a pour toute défense que huit canons dont cinq d'une livre de balles le tout placé à une pointe de cette baie. J'ai fait placer 3 canons, que j'ai pris ici et qui étaient tout ce qui nous restait, de l'autre côté de la baie. De là, j'ai été à Port-Navalo où il y a 6 canons dont 4 peuvent tirer 10 à 12 coups, les autres crèveront si on les tire … ».

« J'ai fait tracer sur cotte baie des retranchements revêtus de gazon avec des places d'armes et des traverses à peu près comme un chemin couvert » [Note : A. G. vol. 3.188, pièce 171. — Le. Ministre a écrit en annotation sur la lettre : « C'est le président de Vannes, il faut louer son zèle ». Une lettre très élogieuse du 4 novembre apporta à M. Sénant les félicitations du roi].

A ce moment, le duc de Rohan avait sous ses ordres plus de 400 gentilshommes ; les compagnies étaient formées par évêchés, les officiers élus par les compagnies ; le corps entier avait élu un état-major. 200 gentilshommes de Vannes furent envoyés à Rhuys, sous les ordres de M. de Charette, ancien officier du régiment de Bresse.

Le 23 octobre, les ressources pécuniaires pour faire face à toutes les dépenses s'épuisaient et M. Pontcarré de Viarme, intendant de Bretagne, écrivait :

« Je suis accablé de dettes, j'ai tiré sur toutes les caisses où j'ai pu savoir de l'argent. Je n'en ai pas et ne sais où en prendre. On en demande de tous les côtés ; boulangers, les bouchers et autres marchands ne veulent plus et ne peuvent plus fournir sans argent » (A. G. vol. 3.188, pièce 183).

Le 24 octobre, c'est le tour de l’île d'Hœdic d'être attaquée, ce qui fait l'objet du compte rendu suivant de M. de Kermellec :

CARNAC, 25 octobre 1746.
« La flotte anglaise mouilla hier à l'est de l'île de Houat... Sur les huit heures, quatre de leurs vaisseaux ont mis à la voile avec 13 chaloupes et sont allés sur Hoedic. Le tir du canon a commencé à une heure après midi avec beaucoup de vivacité et a fini après 3 heures. On a vu leurs chaloupes mettant à terre dans l'île, d'où l'on pense que le fort est pris, puisque depuis on n'a pas entendu tirer... Cette capture ne les mènera à rien qu'à profiter des cent boeufs ou vaches qu'ils trouveront ; car il est trop tard pour faire le siège de Belle-Ile » (A. G. vol. 3.188, pièce 207).

La défense de la tour d’Hoedic fut plus honorable que celle de la tour d'Houat ; le Sr Quéru des Chapelles qui y commandait tira 55 coups de canon, consommant toute sa poudre. Les Anglais tirèrent 200 coups. L'occupation d'Hœdic donna lieu, comme à Houat, à l'incendie et au pillage des habitations, à l'enlèvement de tous les bestiaux et à la dévastation de l'église.

Le 26, M. de Kermellec écrit :

« Les vaisseaux anglais sont à l'ancre en face l'île d'Houat ; ils envoyèrent une frégate dans la baie de Quiberon ; ils débarquèrent 62 prisonniers, y compris un capitaine et un lieutenant des milices de Mayenne qu'ils ont pris dans les îles d'Houat et d'Hœdic et qu'ils ont remis à M. de Goezac de Lesquen, major des gardes-côtes que j'ai mis dans l’île, avec 400 fusiliers de sa troupe, pour y commander, avec une reconnaissance qu'il leur a donné et la parole d'honneur de ne point servir jusqu'à ce qu'ils soient échangés.. L'aide de camp du général Saint-Clair qui les a conduits a dit qu'ils ont laissé dans les îles susdites 2.000 hommes, pour en raser les fortifications ; les prisonniers ont dit que les Anglais devaient partir aujourd'hui, à cause qu'ils manquaient vivres ... » (A. G. vol. 3188, pièce 221).

Les deux tours des îles furent minées et sautèrent les 27 et 28 octobre.

Cependant, le 24, étaient arrivés à Lorient, après arrêt à Rennes du 20 au 22 pour arrêter avec l'intendant la répartition des troupes de secours, MM. de Contades, de Saint-Pern et de Coëtlogon, désignés pour commander en Bretagne.

M. de Contades eut à s'occuper du renforcement des remparts de Lorient, qui, écrivait-il, « ne peut assurément être regardé comme une place ». M. Fléchier, nommé major de Lorient, surveillait les travaux, qui consistaient en deux contre-gardes sur les deux tours entre la porte d'Hennebont, et la petite porte ; il écrivait: « nous avons ici 2.700 gardes-côtes et la milice bourgeoise ; un moindre nombre suffirait, s'ils étaient d'une autre espèce et mieux armés ; mais ces gens-là ne le sont point » (A. G. vol. 3.188, pièce 198).

Les batteries de Gavres avaient été remises en état et réarmées, sous les ordres de M. de la Bordoière, officier de marine ; les canons furent en partie empruntés au bâtiment dit « l'Amiral » stationné au Port-Louis, et complétés par des pièces fournies par l'arsenal de la Compagnie des Indes.

Un poste fut établi à Linés, pour garder l'entrée de la presqu'île de Gâvres.

Le 26 octobre, M. de Coëtlogon fut chargé du commandement des troupes de Carnac et de Rhuys, avec M. de Kermellec comme adjoint.

Les communications de Belle-Ile avec Auray et Vannes étaient coupées par la présence de la flotte anglaise dans les parages d'Houat. On entreprit de faire passer dans la grande île des troupes, des munitions et des subsistances en les faisant partir du Port-Louis.

Des convois, furent organisés pour transporter à Belle-Ile 300 hommes de la milice bourgeoise de Rennes, plusieurs compagnies de dragons à pied et un détachement de gentilshommes de la province. Ce dernier renfort était envoyé sur la prière instante de la noblesse, et la difficulté fut de faire la désignation des élus, tous les gentilshommes se disputant cet honneur. Le duc de Rohan les départagea en désignant ceux qui se trouvaient de piquet le jour du départ et les premiers à marcher [Note : Liste des gentilshommes désignés pour Belle-Ile : Etat-major : M. de la Rivière, commandant ; de Saint-Pern du Latay, maréchal-des-logis. - Evêché de Rennes : MM. des Nétumières, Moutier, Moulige, Bénazé-Juliot, la Sauldraye, du Breil la Monneraye, la Rivière, Mesanbouin.  - Evêché de Vannes : MM. du Nesto de la Villeloge, Henri de Bohal, Castel Landaul, Castel, Catelan, Le Douaran de Trevelec, Collas du Resto, Fournier de Trelo, Guillou de Sourville, La Danay le Roy, Kado de Cournon, Garnier de la Villébré, le Voyer de la Morandaye, Quéheou, le chevalier de Pontual.  - Evêché de Quimper : MM. Peronneau, la Primaudière, Marigault, Larchantel fils. - Surnuméraires : MM. de Grénédan, Kerguezec. (A. G. vol. 3188, pièce 25.3)].

On fit ainsi passer :
Dans la nuit du 27 au 28, 200 hommes de milice avec leurs officiers ;
Dans la nuit du 28 au 29, 30 gentilshommes et leurs domestiques, 100 hommes de milice ;
Dans la nuit du 29 au 30, 100 dragons à pied avec leurs officiers ;
Dans la nuit du 1er au 2 novembre, 150 dragons à pied, avec M. de l'Hôpital, colonel du régiment, embarqué sur sa demande, étant désireux de servir sous les ordres de M. de Grossolles, qui commandait les troupes à Belle-Ile.

Tous ces convois, qui comprenaient, outre le personnel, du matériel, des munitions et des vivres [Note : En particulier des farines, dont Belle-Ile manquait, les moulins à vent n'ayant pu moudre, faute de vent, jusqu'aux premiers jours d'octobre. On avait envoyé des moulins à bras qui furent trouvés insuffisants et qualifiés par les insulaires de moulins à café], arrivèrent dans l’île à bon port. Les gentilshommes furent bien accueillis par le gouverneur ; mais la milice de Rennes fut jugée indésirable ; le gouverneur écrivait : « … 18 bons fusils seulement, ni baionnettes, ni épées ; je ne puis faire usage de cette troupe ramassée de ce qu'il y a de pis dans une grande ville. Ces 300 hommes mangent beaucoup de pain dont je dois être avare, il s'en est peu fallu que je ne les aie renvoyés d’où ils venaient » (A. G. vol. 3188, pièce 192).

De son côté, M. de Menou, commandant pour le roi dans le comté nantais, avait envoyé du Croisic des officiers à Belle-Ile. Il n'était pas sans inquiétude pour la côte entre Loire et Vilaine, n’ayant que 850 hommes pour 20 lieues.

En même temps, M. Saint-Sernin, avisé que les Anglais avaient des intelligences dans l’île, prenait des mesures pour rechercher les espions, promettant 200 livres à qui découvrirait dans Belle-Ile quelqu'un qui n'en soit pas. Il expliquait dans une lettre que les Anglais pouvaient être renseignés par les prisonniers faits à Houat et à Hoedic, par des matelots de l’Ardent pris à Quiberon, et aussi par présence dans l'escadre de nombreux soldats français prisonniers de guerre, embarqués de force comme canoniers [Note : Renseignement confirmé par le témoignage d'un marin de Locmariaquer dont le bateau avait été pris par les Anglais, qui était resté détenu à bord de la flotte, puis avait été relâché sur la côte de Quiberon].

Enfin, le 28 octobre, dans la matinée, peu après qu'une explosion eût signalé la destruction de la tour d'Houat, on put voir la flotte anglaise mouillée près de cette île appareiller et se diriger vers l'ouest de Belle-Ile, les vaisseaux doublant les Cardinaux et les petits bâtiments passant par la Teignouse.

On eut des inquiétudes à Belle-Ile. Le gouverneur craignait une descente aux Grands-Sables et surveillait d'un oeil anxieux tous les mouvements de l'armée navale. A sept heures du soir, celle-ci défilait à une lieue et demie de l’île, Le lendemain 29, à sept heures du matin, il n'y avait plus en vue que quatre gros vaisseaux à sept lieues. L'alerte était passée.

Le président Dondel, toujours vigilant dans son observatoire de Kergonano, ne manqua pas d'annoncer la nouvelle au comte d’Argenson :

Kergonano, 28 octobre 1746.
« J'ai vu ce matin à huit heures les ennemis à la voile et faire différentes croisières à hauteur de l'entrée de notre Morbihan. Après avoir quitté les îles d'Houat et d'Hoedic dont ils ont détruit les fortifications, la route qui nous les a fait perdre de vue derrière la pointe de la presqu'île de Rhuys est la même qu'ils tinrent en venant dans ces parages, il y a quinze jours aujourd'hui, et peut les conduire à Belle-Ile. Plût à Dieu que ce fût pour rentrer chez eux et ne jamais revenir… ».

Il ajoutait en post-scriptum, non sans une certaine fierté civique :

« J’ai tâché, Monseigneur, de faire avec ma famille la meilleure contenance qui m'a été possible en empêchant nos voisins de s'éloigner de leur habitation par notre exemple à rester ici » (A. G. vol. 3138, pièce 266).

Une réponse du Ministre du 3 novembre remercia M. Dondel en le félicitant de son attitude.

Pendant ces événements, le duc de Penthièvre, gouverneur de Bretagne et amiral de France [Note : Il venait de prendre part à la bataille de Raucoux. Bien qu'encore très jeune (21 ans) il avait déjà de beaux états de services, s'étant distingué aux batailles de Dettingen (1743) et de Fontenoy (1745)], était parti de l'armée de Flandre pour prendre la haute direction des opérations dans la province, accompagné de M. de Nesmond, chef d'escadre. Le 25, étant en route, il apprit l'évacuation de Quiberon. Le 27, il arrivait à Rennes et en repartait le lendemain pour Vannes, emmenant avec lui M. de Viarme, l'intendant de la province. Le 29, il annonçait de Vannes la disparition de la flotte anglaise et, pour s'en assurer par ses yeux, poussait jusqu'au château de Sucinio. Le 30, il était à Lorient, où M. de Contades lui rendait compte de la situation.

Le 3 novembre, le duc alla visiter le lieu de descente des Anglais au Pouldu et inspecta les batteries du Discot (pte du Talud) et de Locqueltas. M. de Viarme qui l'accompagnait rendait compte au ministre des observations que l'étude du terrain lui avait suggérées :

« J'ai examiné moi-même aujourd'hui le lieu de leur descente, j'ai suivi toute la route qu'ils ont faite jusqu'à un quart de lieue de Lorient. Je crois pouvoir dire avec certitude qu'il y a vingt endroits, mais un entre autres, où mille hommes de bonne volonté en auraient arrêté dix mille ; mais je suis obligé de convenir qu'à la place où ils sont descendus, il était moralement impossible de les en empêcher, parce qu'il y avait trop de terrain à découvert pour se former et mettre en bataille, bien loin de la portée du fusil d'aucune espèce de retranchement » [Note : A. G. 3188, pièce 298. M. de Rothelin fit des remarques analogues quand il visita les lieux].

Le 4 novembre, le duc de Penthièvre passa au Port-Louis, qu’il inspecta, coucha le soir au château de Kergadio en Erdeven, chez M. de Goyon, exempt des gardes du corps du roi, et se rendit le lendemain, à cheval, sous la pluie, dans la presqu'île de Quiberon ; il reconnut l'emplacement d'un ouvrage à construire à l'entrée, dont M. de Kermellec avait signalé l’utilité. Il rentra ensuite, par Vannes et Malestroit, à Rennes où il devait tenir les Etats.

Pendant sa tournée sur nos côtes, le duc de Penthièvre fut invité par le roi à ouvrir une instruction sur la conduite des officiers commandant les détachements d'Houat et d’Hoedic. Le duc fit procéder aussitôt à l'enquête prescrite et chargea des informations à recueillir sur les lieux un officier d'artillerie « très intelligent » qui se trouvait alors à Lorient, concourant aux travaux de renforcement de la place. Cet officier était le chevalier de Gribeauval, alors capitaine de mineurs, qui devait acquérir la plus haute notoriété dans son arme et dans l'armée royale et dont le nom est farmilier à tous les artilleurs. M. de Gribeauval fut chargé de reconnaître les ouvrages, de noter l'épaisseur des murs, la protection contre la bombe, et d'enquêter auprès des habitants pour élucider toutes les circonstances de l'attaque et de la défense.

Les conclusions de l'enquête sont données par une lettre du ministre au duc de Penthièvre du 13 février 1747. M. Beauvais, qui commandait à Houat, convaincu de s'être conduit « en homme faible », fut condamné à un an de prison ; à l'expiration de sa peine, il devait être cassé à la tête de son bataillon. M. Quéru des Chapelles, le commandant d'Hoedic, qui avait « rempli ce qu'on pouvait attendre de lui », fut proposé pour une gratification.

Après la disparition de la flotte anglaise, la saison était déjà assez avancée et de nouvelles tentatives de descente ne paraissaient plus à craindre pendant l’hiver. D’ailleurs, les troupes réglées prélevées sur l'armée de Flandre approchaient de leur destination et étaient attendues à Rennes à partir du 10 novembre. Un bataillon du régiment de Berry, embarqué sur la Loire à Orléans, devait arriver le 8 à Nantes [Note : On n'avait pas envoyé en Bretagne de train d'artillerie. Des ordres furent donnés par le Ministre de la Marine pour que le port de Brest fournît ou fabriquât le matériel nécessaire. Un officier d'artillerie fut envoyé dans ce port pour y choisir 20 canons de fonte (c'est-à-dire de bronze) et 6 à 8 mortiers et pour y faire confectionner les affûts de campagne et les attirails correspondants].

Le duc de Penthièvre, dans ces conditions, fit procéder à la dislocation des forces assemblées, tant dans l'intérêt de la culture des terres que dans celui du trésor royal. On congédia la plus grande partie des milices gardes-côtes, ne conservant que les postes de sûreté indispensables, dont le personnel était relevé tous les cinq jours. Le régiment d'Heudicourt fut renvoyé dans ses quartiers entre Pontivy et Plouay [Note : Ce régiment quitta peu après la Bretagne, ainsi que les dragons de l'Hôpital]. Les gentilshommes passés à Belle-Ile furent ramenés sur le continent ainsi que la milice bourgeoise de Rennes. La noblesse regagna ses foyers. Avant sa dispersion, le duc de Rohan eut la satisfaction de remettre la croix de Saint-Louis au marquis de Tinténiac qui s'était distingué par son zèle et son dévouement dès les premiers jours de l'apparition des Anglais, en particulier pour faire armer les remparts de Lorient, et avait réagi de tout son pouvoir pour relever le moral des défenseurs.

M. de Kermellec, sur l'ordre du ministre, se donna à la formation du régiment de Bretons volontaires dont la création fit l'objet d'une ordonnance royale du 30 octobre 1746 ; une somme de 200.000 livres fut mise à sa disposition pour cette levée [Note : Le régiment entra en campagne dans les Flandres au printemps de 1747 et prît, non sans de graves pertes, une part des plus actives aux opérations dans les Pays-Bas, notamment devant Berg-op-Zoom. Ce fut aux environs de cette place que M. de Kermellec trouva une mort glorieuse le 30 octobre 1747].

Pour mettre Lorient à l'abri d'une nouvelle surprise, on entreprit, dès l'hiver 1746-1747, de couvrir la ville par des fortifications régulières. Ce ne fut pas sans opposition de la part des directeurs de la Compagnie des Indes qui redoutaient de voir Lorient devenir un poste militaire, avec toutes les sujétions de police imposées aux places fortes ; ils craignaient que la liberté du commerce en souffrît, et que les consignes de la place fissent du tort aux ventes de la Compagnie, en rebutant les marchands qu'elles attiraient. Le gouvernement royal décida que la Compagnie n'aurait plus, comme auparavant, à se mêler des travaux défensifs de la place ; ces travaux furent dirigés par le directeur des fortifications de Bretagne, M. Frézier ; l'adjudication eut lieu le 2 février 1747. Mais, pour ménager les intérêts de la Compagnie, le Ministre lui donna l'assurance qu'il n'avait pas l'intention de faire de Lorient une place avec garnison fixe et des ingénieurs et officiers d'artillerie permanents ; les remparts devaient être considérés comme de simples retranchements et l'état-major de la place réduit à un major.

On entreprit en même temps dans la presqu'île de Quiberon l'ouvrage dont l'emplacement avait été reconnu par le duc de Penthièvre et qui a gardé le nom de ce prince. Celui-ci offrit de payer de ses deniers ce que l'ouvrage coûterait au delà des 6.000 livres accordées par le Ministre de la Marine et de faire les avances nécessaires pour les premiers travaux. La construction fut dirigée par M. de Marolles, ingénieur en chef au Port-Louis.

Actuellement, ce qui reste des fortifications de Lorient, le fort Penthièvre et les vestiges de quelques ouvrages construits sur la plage de la baie du Pouldu matérialisent, avec le boulet anglais que l'on voit encore sur la façade de la chapelle de la congrégation à Lorient, le souvenir de la période critique que fut pour les côtes de l'évêché de Vannes le mois d'octobre 1746.

Une nouvelle apparition des Anglais eut encore lieu le 29 novembre. La frégate la Renommée, séparée de l'escadre du duc d'Enville, fut prise en chasse par plusieurs vaisseaux anglais dans les parages de Penmark. Le 30, attaquée par un vaisseau de 74 et démâtée de son grand mât de hune, elle allait être abordée, quand elle put se réfugier sous le canon du fort la Croix, de l'île de Groix, qui obligea l'Anglais à virer de bord. La frégate put rentrer à Lorient. Elle apporta la nouvelle de la mort du duc d'Enville. L'officier commandant à Groix, M. de Grondel, fut proposé pour une commission de lieutenant-colonel et une gratification de 500 livres.

Les événements d'octobre devaient avoir leur écho à l'assemblée des Etats de Bretagne qui s'ouvrit le 28 novembre à Vannes.

Des requêtes furent présentées en vue d'obtenir des secours pour les paroisses qui avaient souffert des descentes faites par les Anglais. On a lu plus haut les doléances de Quiberon ; des demandes semblables furent faites en faveur des îles d'Houat et des paroisses de Ploemeur et de Guidel. « Attendu l'épuisement des fonds », il ne fut pas possible de soulager les victimes de la guerre par voie de gratifications. Tout ce que purent faire les Etats fut de renvoyer les requêtes à la Commission intermédiaire « pour avoir égard en particulier à ces différents endroits lors de la répartition de la capitation et du dixième », et de consentir, « au cas que la province obtienne de Sa Majesté quelque diminution sur la capitation et le dixième, que la Commission intermédiaire fasse participer ces différents endroits aux dites diminutions par préférence à tous autres » [Note : Archives nationales H. 309. En conséquence la délibération des Etats, la paroisse de Quiberon fut déchargée entièrement de l'impôt du dixième et de la capitation pour les années 1747 et 1748 ; une modération d'un tiers sur les mêmes impôts fut accordée aux paroisses de Ploemeur et de Guidel].

D'autre part, les Etats prièrent le duc de Penthièvre d'employer ses bons offices auprès du roi pour obtenir l'agrément d'un régiment à M. de Tinténiac pour les services distingués qu'il avait rendus lors de l'attaque des Anglais.

Une bourse de jetons fut donnée au sieur Frogerais, député de Quimperlé, pour ses utiles services dans cette ville lors de la descente des Anglais dans la baie du Pouldu.

Ce fragment d'histoire locale n'évoque malheureusement pas de souvenirs glorieux. Il montre le danger qui menace la Bretagne, quand l'ennemi est maître de la mer et que la défense des côtes est négligée. Il faut d'ailleurs distinguer entre les événements de Lorient et ceux de Quiberon, qui se succédèrent dans le même mois. A Lorient, on ne vit du haut en bas, sauf pour la mise en action de l'artillerie, que faiblesse et confusion. Devant Quiberon, l'ordre régna et la résistance fut organisée aussi bien qu'elle pouvait l'être. Il convient de n'être pas trop sévère pour la milice garde-côte, troupeau sans armes, ni cadres ; par contre, l'on doit rendre justice aux qualités de commandement de M. de Kermellec, au concours généreux, sous les ordres du duc de Rohan, de l'arrière-ban de la noblesse, qui faisait la guerre à ses frais, à la ferme contenance du gouverneur de Belle-Ile, au zèle et à l'activité du commissaire Houvet, de M. du Menez, sénéchal d'Auray, et du président Sénant, enfin au calme vigilant du président Dondel. Tous les dirigeants firent leur devoir et grâce à leur attitude, le pays put attendre, sans trop s'inquiéter, l'arrivée des troupes réglées envoyées de Flandre.

(Colonel JUGE).

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ANNEXE.

Lettres échangées entre l'amiral Lestock et le gouverneur de Belle-Ile après la prise du fort d'Houat.

1° L'amiral Lestock au gouverneur de Belle-Ile.
A bord de la Princesse (Alice).
10 octobre 1746, V. S. [Note : V. S. veut dire vieux style. Les Anglais se servaient encore du calendrier Julien, la réforme grégorienne n'ayant été adoptée par eux qu'en 1752. La difference des dates était en 1746 de 10 jours].

Monsieur, ayant appris que le capitaine Beauvais et les gens qu'il avait sous ses ordres dans l'île de Houat étaient détachés de votre garnison, j'ai cru que vous ne seriez pas fâché de les avoir remis entre vos mains. C'est pourquoi j'ai choisi ce parti là préalablement à celui de les envoyer en Angleterre, ce qui apparemment ne leur serait pas si agréable. M. Watson, le porteur de cette lettre, vous les remettra et vous priera en même temps d'avoir la bonté de signer la quittance qu'il vous présentera de la part de celui qui a l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Richd LESTOCK
(A. G. vol. 3188, pièce 88).

2° Le comte de Saint-Sernin, gouverneur de Belle-Ile à l’amiral Lestock.
BELLE-ILE, 22 OCTOBRE 1746.

Monsieur, je suis, extrêmemnt sensible à la politese que vous m'avez bien voulu faire, en me renvoyant le capitaine Beauvais que j’avais placé dans la tour d'Houat, pour y commander, avec 36 hommes ; la défense qu'il a faite dans ce poste n'est pas conforme aux ordres que je lui avais donnés. Il sera mieux en Angleterre avec sa garnison qu'ici ; ils reviendront en France quand le roi jugera à propos de les échanger.

M. Watson m'a rendu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire et veut bien se charger de la réponse que j'ai faite ; je désire que le hazard me fournisse des occasions à mériter votre estime et celle de votre nation et à vous marquer combien j'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, SAINT-SERNIN (A. G. vol. 3188, pièce 167).

3° Le gouverneur de Belle-Ile à l'amiral Lestock.
BELLE-ILE, 23 octobre 1746.
M. Watson est parti pour retourner à votre bord étant nuit, dans une chaloupe sans voile et la mer un peu agitée, ce qui me fait appréhender qu'il ne soit pas arrivé à l'heure que vous l’attendiez. Il s'est acquitté de la commision dont vous l'aviez chargé pour la garnison qui était dans la tour d’Houat avec toute la décence et la politesse que vous pouviez exiger ; agréez, Monsieur, que je vous remercie une seconde fois. M. de Vaugimont, capitaine de dragons, se charge de vous remettre cette lettre et de vous dire le chagrin que j'ai eu que les canonniers qui étaient dans quelqu'une des batteries aient tiré sur la frégate que vous avez envoyée, qui avait arboré un pavillon blanc ; la raison qu'ils ont donnée est que souvent les corsaires des îles de Grenesey (Guernesey) en ont un de même et que d'ailleurs le pavillon n’avait pas été assuré par un coup de canon sans boulet qui est en usage dans la marine de France pour les vaisseaux de guerre ; néanmoins cette excuse n'a pas suffi pour empêcher qu’on ne les aie punis [Note : On voit que pour s'excuser des coups de canon malencontreux tirés sur la frégate parlementaire d'après ses propres ordres, ainsi qu'il le reconnaît dans sa lettre au ministre, M. de Saint-Sernin met l'incident au compte des canonniers].

L'on m'a dit, Monsieur, la punition que vous avez ordonné contre des matelots qui ont brûlé des villages à Quiberon [Note : D'après le témoignage d'un prisonnier, deux marins anglais auraient été pendus comme incendiaires. Cet exemple ne fut guère efficace] ; je n’en attendais pas moins de quelqu'un dont la réputation est aussi connue que la vôtre.

Comme vous n'êtes pas à portée d'avoir des fruits, agréez que je vous en envoie deux paniers et trois douzaines de bouteilles de vin de Graves blanc vieux, est assez rare en France cette année. J'y ajoute douze bouteilles de vin blanc de Cap-Breton que je souhaite que vous trouviez bon et que vous soyez persuadé, Monsieur, de l'estime que je fais de vous et de l'envie que j’ai de mériter la vôtre et celle de votre nation, personne n'ayant l'honneur d'être plus que moi, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur, SAINT-SERNIN (A. G. vol. 3.188, pièce 187).

4° L'amiral Lestock au gouverneur de Belle-Ile.
A bord de la Princesse.
13 octobre 1746, V. S.
Monsieur, je suis charmé d'apprendre par la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m’envoyer par M. de Vaugimont que c'était un malentendu d'un canonnier qui causa les coups de canon qu'on tira contre la frégate qui portait le pavillon blanc. Dans l'instant que je l'ai entendu, je le croyais ainsi, parce que j'étais bien assuré que la politesse de la Nation française ne permettrait à aucun dans les services militaires de Sa Majesté très chrétienne de faire donner pour une atteinte contre les droits des nations, et, par vos manières d'agir, j'ai distingué clairement que vous n'en étiez pas capable.

Je suis très mortifié que les canonniers, qui apparemment n'ont pas beaucoup d'expérience, ont été châtiés pour une erreur qui n'a pas eu de suite.

Le présent dont vous m'honorez est une marque agréable de l'honnêteté avec laquelle vous avez bien voulu agir à mon égard, aussi bien que la lettre obligeante qui l'accompagne. Permettez-moi, Monsieur, que je prenne la liberté de vous présenter quelques bouteilles de vin d'Espagne et des liqueurs pour faire du punch, tel que nous le buvons. Si M. de Vaugimont n'était pas si pressé de partir, j'aurais tâché d'avoir quelque chose de meilleur, mon allège étant si éloignée m'en empêche.

Je suis très mortifié que vous ne vouliez pas recevoir M. Beauvais avec son détachement, puisque vous comptez qu'il ne s'est pas comporté comme il aurait fallu. Le lieutenant qui commandait dans Hoedic s'est rendu aujourd'hui de même, puisqu'il n'y avait pas moyen de résister ; non plus que le capitaine, à une force si supérieure à la sienne.

Je ne doute pas, Monsieur, que vous ne méritiez en toute occasion l'estime du roi votre maître aussi bien que celui (sic) de ceux que la guerre a rendu ses ennemis. J'espère que vous vous persuaderez que je serai ravi de profiter de toute rencontre pour vous témoigner combien je suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.
Richd. LESTOCK
(A. G. vol. 3188, pièce 105).

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