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Napoléon III et son voyage à Rennes (en 1858).

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A RENNES. Le 19 août : Réception à Rennes. — Ovation faite par le clergé. Le 20 août : Banquet breton. — Discours de l'Empereur. — Revue des troupes. — Visite de l'hospice Napoléon III — Bal. Le 21 août : Départ pour Saint-Cloud. — Au revoir !

A quatre heures, l'antique capitale de la Bretagne ouvrait ses portes à ses Souverains.

Située au confluent des deux rivières l'Ille et la Vilaine, Rennes qui fut jadis une cité romaine, puis la résidence des rois et des ducs de Bretagne, et enfin le siége du parlement, possède maintenant une Cour impériale et des Facultés académiques, et est encore le centre des études et de la justice pour la Bretagne. La ville est grande ; les rues du centre sont belles et bien bâties, les faubourgs sont tortueux, mal bâtis, et présentent l'aspect de la misère. Il y a dans Rennes huit belles églises, un palais de justice monumental, et de magnifiques promenades. Henri IV visita cette ville en 1598.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

Depuis deux cent-soixante ans, aucun Souverain n'avait franchi le seuil des portes de Rennes ; et la population dévouée au Gouvernement Impérial, parce qu'elle est religieuse et amie de la paix, avait été réjouie en apprenant que le voyage de Napoléon III en Bretagne devait se résumer dans un séjour au milieu d'elle. Le département tout entier s'était donné rendez-vous dans ses murs, et le 19 août, à quatre heures, quand le canon a tonné, une grande et profonde émotion s'est manifesté dans la foule nombreuse qui était groupée le long des rues et des places que devait traverser le cortège ; on évalue à plus de soixante mille le nombre des Bretons d'Ille-et-Vilaine, accourus au devant de Leurs Majestés Impériales. En ce moment, aux salves d'artillerie les majestueuses sonneries des huit églises ont joint leurs volées sonores : les clairons disséminés dans toute la longueur du parcours impérial, ont commencé leurs joyeuses fanfares, les tambours ont battu aux champs, la joie populaire a éclaté en cris de vive l'Empereur !

En dehors de la ville, au lieu dit le Rond-Point, s'élevait un gigantesque arc de triomphe ; c'est là que s'est arrêtée la voiture impériale ; c'est là que les principales autorités de la ville s'étaient réunies pour recevoir Leurs Majestés. Le préfet s'est approché, et a prononcé le discours suivant :

« SIRE,
Toutes les populations du départament d'Ille-et–Vilaine se sont réunies dans la ville de Rennes pour manifester publiquement leur dévouement à Sa Majesté l'Empereur, à l'Impératrice, et à Son Altesse le Prince Impérial.
Toutes ces populations, Sire, je suis heureux de Vous en donner l'assurance, sont animées des sentiments d'affection et d'attachement qui ont éclaté de toute part à Votre entrée dans le département à Saint-Servan et à Saint-Malo. Votre Majesté reconnaîtra, aujourd'hui comme hier, les habitants du département d'Ille-et-Vilaine, aux mêmes sentiments et aux mêmes acclamations.
Votre Majesté retrouvera également dans Rennes les représentants de la Bretagne, qui se sont tous donné rendez-vous dans cette ville pour renouveler à l'Empereur et à Sa Majesté l'Impératrice l'expression de leur fidélité.
Tous les dévouements que Vous avez trouvés sur Votre passage, depuis le commencement de Votre voyage, se sont concentrés à Rennes et se résument en ce moment dans une seule acclamation, et j'ai l'espoir que l'Empereur pourra constater que si les départements déjà traversés n'avaient pas eu l'honneur de l'initiative de ces grandes fêtes dynastiques, le département d'Ille-et-Vilaine aurait pu commencer, comme il peut aujourd'hui couronner ces mémorables manifestations du dévouement des populations de l'Ouest à la Dynastie Napoléonienne »
.

M. le comte de Léon, maire de Rennes, accompagné du conseil municipal, a présenté à l'Empereur les clefs de la ville, et a dit à Sa Majesté :

« SIRE,
Une immense acclamation a salué Votre arrivée sur les côtes armoricaines, et s'est prolongée des bords de la Manche aux rivages de l'Océan. Trois événements solennels signalent cette marche mémorable et seront inscrits aux fastes de l'histoire : Cherbourg, Brest et Rennes, où, pour résumer et couronner Leur voyage, Vos Majestés appellent auprès d'Elles et convient à Leur table, dans le palais des Parlements et des États, les représentants de la Bretagne entière. Vous allez daigner, Sire, franchir les portes de notre cité. Par cette même porte de l'Ouest, durant sept siècles, nos ducs souverains firent leur entrée solennelle dans leur ville capitale : ils y étaient sacrés et couromnés dans notre église cathédrale, comme les rois de France à Reims. Depuis que, par les liens de l'hymen, la Bretagne s'est donnée librement à la France comme une épouse à son époux deux grands monarques auront visité notre cité : Henri IV, de chère et glorieuse mémoire, et Napoléon III, bras puissant de la Providence qui retient l'Europe suspendue sur l’abîme révolutionnaire.

MADAME,
Digne Compagne de Votre illustre Époux, naguère Vous avez révélé à la France le calme et l'intrépidité de Votre âme, maintenant Vous essuyez les fatigues d'un long voyage pour visiter nos foyers. On aime, Madame, à voir tempérer ainsi l'éclat du diadème par la gracieuse image de la bienfaisance et des tendres vertus, car s'il appartient au génie de subjuguer les imaginations, il est donné à la beauté de charmer les coeurs. Aussi, aujourd'hui, Sire, Madame, comme au temps de nos États provinciaux, de nombreuses députations accourent de tous les points de notre presqu'île, afin que, dans cette dernière étape, du sein de sa vieille capitale, la voix de la Bretagne proclame sa reconnaissance envers Vos Majestés pour Leur gracieux voyage, et son admiration pour le Souverain qui a su rendre à la France, l'ordre, la gloire et son antique prépondérance sur les destinées du monde.

Vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! ».

L'Empereur a répondu avec bienveillance à ce discours, et a daigné serrer la main de l'honorable maire de Rennes. Pendant ce temps, la Société d'horticulture et la corporation des jardiniers, s'approchant, bannière en tête, a offert à l'Impératrice un remarquable bouquet de fleurs de luxe, et le cortège a repris sa marche.

A l'entrée de Rennes, une immense avenue dont les grands arbres forment un berceau prolongé, se présente tout d'abord : entrée grandiose, splendide, en rapport avec la pompe de l'imposant cortège qui traversait cette belle promenade du Mail. En tête s'avançait la musique du régiment d'artillerie en garnison à Rennes : ce régiment lui-même suivait, puis, après une escorte formée par un escadron de hussards, Leurs Majestés étaient conduites dans une calèche découverte, et accompagnées des hauts dignitaires de la Cour dans six autres voitures. Dans les allées latérales du Mail, une foule immense considérait avec une curiosité respectueuse cette marche solennelle, et faisait entendre les cris les plus enthousiasies. La haie était formée par les diverses compagnies des sapeurs-pompiers de la ville et du département, les médaillés de Sainte-Hélène, les nombreuses corporations ouvrières, parmi lesquelles on remarquait les bannières des tanneurs, des forgerons, des maçons, des charpentiers, des doreurs, des jardiniers, des plâtriers, etc., etc., la Société de secours mutuels, avec son riche étendard, et la troupe de ligne.

En sortant du Mail, on arrive sur une belle place où existe un calvaire, objet de la vénération des habitants ; près de ce monument religieux, à la porte de l'École d'artillerie, avait été disposé mi arc de triomphe militaire, dont la légéreté faisait un heureux contraste avec les lourds canons et les mortiers employés à la construire ; à peine Leurs Majestés l'ont-Elles franchi, que se présente la façade monumentale de la cathédrale de Saint-Pierre, à l’entrée de laquelle s'élevait, sur des colonnes richement ornées, un portique de velours rouge semé d'abeilles d'or, dont les draperies flottantes étaient couvertes de l'écusson et des initiales impériales.

Leurs Majestés mettent pied à terre : Mgr Godefroy Saint-Marc, évêque de Rennes, revêtu d'une chape de drap d'or, ayant la mître précieuse émaillée de diamants et la crosse à la main, s'est avancé vers les Souverains, accompagné de Mgr de La Hailandière, ancien évêque de Vincennes, de Mgr Robiou de La Tréhonnais, ancien évêque de Coutances, chanoine de Saint-Denis, suivi de ses, vicaires généraux, du chapitre et des curés de la ville. Leurs Majestés ayant pris place sous le dais, Sa Grandeur Leur a offert l'eau bénite et l'encens, et les a haranguées en ces termes :

« SIRE,
Après les fêtes grandioses de Cherbourg et les magnificences maritimes de Brest ; après cette suite non interrompue d'ovations populaires que Vous ont offertes les mâles enfants de l'Armorique aux pieds de leurs calvaires de granit, au sein de leurs forêts de chênes, que pourrait faire à son tour l'ancienne capitale de la Bretagne, qui fût digne de Vous et d'elle, si ne n'est une grande manifestation civile et religieuse servant comme de couronnement à ce voyage vraiment triomphal que vient de faire Votre Majesté en parcourant cette belle portion de Son Empire, jusqu'ici si peu favorisée de la présence de ses Souverains ? C'est ce qu'a pensé le digne magistrat qui gouverne en Votre nom le département d'Ille-et-Vilaine, et ce qu'a également compris l'évêque qui a en ce moment l'honneur insigne de Vous recevoir à l'entrée de son église.

Il convenait en effet, Sire, à cette illustre cité, jadis le chef-lieu de la plus belle province de France, et qui conserve encore, sur trois millions d'âmes, la triple suprématie de la justice, des lettres et des sciences, d'appeler dans son sein toutes les notabilités des cinq départements pour offrir à Votre Majesté l'hommage du départ, pour recueillir avec un religieux respect quelques-unes de ces paroles simples et sublimes qui tombent si naturellement de Ses lèvres, et dont le retentissement se fait sentir dans l'univers entier.
Il convient surtout au clergé de ce diocèse, l'un des plus catholiques du monde et où les traditions de foi et de moeurs antiques se sont le mieux conservées, de venir en cette circonstance, pour lui solennelle, Vous offrir un tribut de gratitude et de prières, à Vous, Sire, l'héritier du trône du restaurateur de notre sainte religion en France, à Vous, le soutien de la papauté au XIXème siècle ; à Vous, de tous les monarques français, depuis saint Louis, le plus dévoué à l'Église et à son oeuvre de civilisation et de progrès véritables au milieu des enfants des hommes, c'était là notre premier devoir envers Vous comme catholique et comme Français, et que nous sommes heureux veuillez le croire, de Vous rendre en ce jour.

Mais il en était encore un autre plus doux peut-être à Votre coeur tant dévoué à la France, que nous avions à Vous offrir comme prêtre, et qui devait donner à cette manifestation religieuse sa véritable signification et pour ainsi dire son caractère propre. Je veux parler du loyal et dévoué concours que Votre Majesté trouvera toujours près du clergé de ce département, pour L'aider à réaliser les grandes pensées de bonheur et de gloire qu'Elle a conçues pour notre chère patrie. Oui, en venant avec tant d'empressement entourer ici votre trône, c'est comme si nous voulions Vous dire :

Sire, Vous avez entrepris la plus grande chose qui soit au monde, celle de replacer sur sa base l'édifice social qui chancelle de toutes parts ; à cette oeuvre si difficile et si belle, Vous avez convié tous les honnêtes gens, tous les bons Français tous ceux à qui les noms de religion, de famille et de patrie, font encore vibrer le coeur ; à cet appel ne pouvait faire défaut le clergé catholique, lui qui a reçu la mission divine de guérir les peuples. Quant à nous, Sire, nous y répondons aujourd'hui aux pieds des saints autels, avec toute l'énergie de notre coeur breton : laissant à ceux dont le royaume est de ce monde le soin de diriger les choses de la terre pour ne nous occuper que des intérêts du Ciel, nous nous efforçons de payer notre dette au pays et à Votre Majesté, en prêchant au troupeau que nous devons nourrir de la parole de la vie, l'obéissance aux lois, le respect de l'autorité si affaiblie parmi les hommes, la reconnaissance due au Prince qui, après Dieu a sauvé la France et le monde civilisé peut-être, d'un cataclysme universel, et pour prix de ce grand ministère nous ne demandons ni les richesses ni les honneurs, mais uniquement l'humble pouvoir de préserver nos pieuses populations des dangers d'une civilisation nouvelle que bientôt va leur arriver de toutes parts, et qui, si elle n'avait pour résultat que de leur procurer des jouissances qu'elles ne connaissent pas, ne les rendrait ni meilleures ni plus heureuses.

Mais c'est assez ; trop peut-étré, retenir Votre Majesté au seuil de cette cathédrale. Entrez donc, Sire, dans cette église si riche de souvenirs, où, pour la première fois, nos fiers aïeux virent immoler la pacifique hostie 0 la place des victimes humaines qu'offraient à Teutatès ses cruelles prêtresses, où siégèrent avec tant de sainteté les Amand et les Melaine, où saint Yves rendit la justice, où nos ducs venaient recevoir la couronne, où s'agenouilla Henri le Grand au jour où il daigna, lui aussi, visiter notre ville.

Venez, Sire, quinze cents prétres, accourus de tous les points de ce vaste diocèse, Vous attendent dans ce temple pour y prier de coeur et d'âme pour Vous, pour Votre Auguste Épouse et pour Votre Impérial Enfant, après Vous l'espoir de la France, le Dieu par qui règnent les rois et qui fonde à son tour, à son gré, les Dynasties nouvelles. Quant à l'évêque qui a l'honneur de Vous adresser la parole, ses sentiments de dévouement et de respect Vous sont connus, Sire, et plus d'une fois Votre Majesté a bien voulu les agréer avec bonté. Cependant Elle lui permettra de Vous en renouveler ici le tout sincère hommage en présence de son clergé et de son peuple, et de Vous dire qu'ils sont ceux d'un franc et loyal Breton.

Et Vous, douce et gracieuse Princesse, qui avez voulu connaître les Bretons et faire à leur glorieuse patronne un pieux pèlerinage, Vous dans les veines de qui coule le sang des Dominique et des Thérèse, sur le front de Laquelle brille un je ne sais quoi qui gagne tous les coeurs et dont la vie se passe à faire des heureux, pourriez-Vous être oubliée dans ce concours d'hommages et de prières ? Non, non ; venez, un trône Vous est élevé près de celui de Votre Époux, à cette place où pria jadis Anne de Bretagne, celle que nos paysans appellent encore la bonne duchesse, qui fut l'épouse du Père du peuple, l'idole de ses sujets, avec laquelle Votre Majesté a tant de traits de ressemblance par la grâce et la bonté ».

Pendant que l'évêque disait ces paroles, Leurs Majestés l'écoutaient avec une attention profonde. L'Empereur, après avoir de la manière la plus affectueuse, remercié le prélat de ses bons sentiments s'est félicité de l'accueil que Lui a fait pendant son voyage le clergé de Bretagne. Il a dit que la pratique religieuse, nécessaire à tous les hommes, l'était davantage encore à ceux que Dieu a chargés du soin de présider aux destinées des nations. Il a demandé à l'évêque et au clergé le secours de leurs prières, et en terminant Il a dit à Mgr Saint-Marc :

« Je ne sais si Je dois ici faire connaître toute Ma pensée ;  mais ce que Je puis vous dire, Monseigneur, c'est que si un archevêché à Rennes peut vous être agréable, je suis heureux de vous l'offrir ».

A ces paroles de Sa Majesté, les évêques et les chanoines ont fait entendre les cris les plus enthousiastes de vive l'Empereur ! et aux accents de l'orgue, les Augustes Voyageurs ont été conduits processionnellement au sanctuaire. La cathédrale avait été somptueusement décorée : au fond du choeur on avait placé les armes impériales dans un faisceau de drapeaux, de chaque côté les armes des cinq évêques de Bretagne et celles du chapitre de Rennes. De longues bannières de velours cramoisi pendaient le long des murs : de chaque côté du transept, on voyait les écussons du Pape Pie IX, de l'Empereur, de Mgr Saint-Marc et de la ville de Rennes. Devant le choeur, on avait préparé une estrade recouverte en velours rouge et surmontée d'un dais qui descendait de la voûte.

Dans les chapelles latérales, sur des gradins disposés en amphithéâtre plus de douze cents prêtres avaient pris place.

Après le chant du Te Deum et du Domine salvum, le cortège impérial s'est rendu, à l'hôtel de la préfecture en traversant les belles rues du centre de Rennes : sur son passage se tenaient les députations des communes rurales, les maires, les corps municipaux, les délégués des comices agricoles, et des milliers de personnes. Les rues étaient pavoisées, et aux croisées garnies de spectateurs, les dames agitaient leurs mouchoirs et saluaient de leurs gestes empressés et respectueux l'Auguste Souveraine dont les sourires répondaient à ces témoignages d'enthousiasme.

La Préfecture est située sur une place plantée d'arbres, appelée la Motte : cette petite promenade était encombrée par la foule, et c'est avec peine que la voiture a pu se frayer un passage à travers les flots pressés de la multitude. Reçues au bas du perron par Mme Féart et les dames de la ville, Leurs Majestés sont entrées dans les salons où une députation de jeunes filles a offert des fleurs à l'Impératrice. Mlle de Léon, fille du maire, a dit :

« MADAME,
Charmées de Votre bienveillant accueil, les jeunes filles de la Bretagne ne parlent plus que de la bonté et de la bienfaisance de Votre Majesté.
ll nous tardait d'avoir à notre tour, Madame, le bonheur de Vous voir, de Vous exprimer nos vœux pour notre jeune Prince Impérial, et de Vous offrir, dans cette dernière ville de Votre gracieux voyage avec l'hommage de notre reconnaissance, et ces fleurs et nos coeurs »
.

A leur tour, de jeunes paysannes, élégamment vêtues, ont offert à Sa Majesté des corbeilles de fleurs et de bruyères. Dans l'une de celles-ci était une perdrix grise et dans l'autre devait être une perdrix rouge, qui, peu d'instants avant la présentation, s'était envolée à tire-d'ailes, au grand désespoir de la députation.

L'impératrice a daigné accepter gracieusement ces divers hommages.

A la réception des autorités, M. le premier Président de la Cour impériale a dit :

« SIRE,
Votre Cour Impériale de Rennes, composée de magistrats qui peuvent tous se dire Bretons par droit d'affection, et qui le sont presque tous par la naissance et par la famille, apporte avec empressement et avec bonheur à Votre Majesté l'hommage de son respect et de son dévouement. C'est avec une profonde gratitude que nous saluons, sur cette terre que nous aimons et où Votre Majesté vient de promener un de ces regards qui sont déjà des bienfaits, l'Empereur dont nous distribuons la justice souveraine, le Prince qui porte si dignement le poids d'un si grand nom et d'une si grande destinée. Les sentiments qui nous animent sont ceux qui partout sur Son passage viennent de faire une si puissante, une si expressive explosion. Ces populations qui se précipitaient tout entières à la rencontre de Votre Majesté et qui se pressaient en foule autour d'Elle, appelaient, il y a dix ans, le neveu du grand Empereur au secours de la fortune de la France. Un règne glorieux et bienfaisant tout à la fois a commandé leur reconnaissance et leur admiration. Elles étaient prêtes pour l’ère nouvelle et féconde qui s'est offerte devant elles, et pour cette fête continue qui devançait Votre Majesté et qui l'a suivie. Ces âmes honnêtes et fortes, dont l'enthousiasme sincère a si vivement éclaté, ont emporté des impressions profondes d'où sortiraient au besoin d'énergiques dévouements et qui ne laisseront pas périr dans ces contrées la puissance des traditions et des solidarités de famille.

Respectueusement soumis aux disciplines salutaires, mais indépendants par le caractère et par le coeur, les fils de cette terre de franchise et de foi peuvent se donner, parce qu'ils s'appartiennent, et ils ne se donnent point à demi ni pour un jour.

Bien longtemps, Madame, aux veillées des hameaux, comme dans les entretiens des cités, ils rediront la visite de l'Auguste Souveraine, dont ils connaissaient la bonté inépuisable et l'héroïque courage trop cruellement éprouvé, que les flots d'une mer radieuse ont déposée sur ces rivages dans tout l'appareil de la suprême grandeur, et qui, daignant se montrer heureuse Elle-même du bonheur qu'Elle apporte, laisse sur sa trace, tous les coeurs pénétrés de reconnaissance et d'enchantement. Pendant le cours de cette longue route, dans les fêtes des villes et dans les fêtes des campagnes, autour de ces autels vénérés où S'est agenouillée Votre Majesté, que de précieux souvenirs ont été avidement recueillis dans toutes les mémoires ! Ils y seront religieusement gardés par la foi bretonne, et, ils s'y trouveront encore présents pour rajeunir les affections populaires, lorsque, dans un long avenir, et pour régner sur les enfants de nos enfants, le Fils que la France accueillait, il y a deux ans, par une immense acclamation d'espérance et de joie, montera sur le trône relevé et affermi par Son Père. Sire, il n'est aucun de nous qui ait oublié les belles paroles par lesquelles Votre Majesté, dans une occasion solennelle, définissait le caractère du magistrat. Dans l'accomplissement du devoir de nos charges, elles sont toujours présentes à notre pensée, et ce serait notre encouragement, et notre récompense, s'il nous était permis d'espérer que Votre Majesté, veut bien compter sur le loyal et fidèle concours de sa Cour impériale de Rennes et des tribunaux de ce vaste ressort ».

L'Empereur a répondu par des paroles pleines de bienveillance pour la Cour impériale de Rennes, et en particulier pour l'éminent magistrat qui la préside.

Le recteur de l'Académie de Rennes, en présentant à Sa Majesté l'administration et le corps enseignant des sept départements qui composent le ressort : inspecteurs de l'Académie, les facultés, l'école de médecine, les proviseurs des lycées, les directeurs des écoles normales primaires, s'est exprimé ainsi :

« SIRE,
Les fonctionnaires de l'administration de l'enseignement à tous ses degrés dans l'académie de Rennes viennent des divers points de nos sept départements prier Votre Majesté et notre Auguste Souveraine de daigner agréer leurs dévoués et respectueux hommages.

Tous sont heureux de Vous témoigner que dans les chaires les plus élevées de nos facultés et de nos lycées, de même que sous le toit de nos modestes écoles rurales, Votre Majesté retrouverait partout les vives sources de l'esprit chrétien, le respect du principe d'autorité dont Elle est la personnification éclatante et providentielle. C'est à préparer les générations fortes et dévouées, dignes de porter un jour les destinées du pays que Votre règne, Sire, fait si grand entre les nations, dont l'héritier de Votre nom et de Votre trône perpétuera la gloire, que l'Université, guidée par un ministre éminent, consacre ses plus vigilants et ses plus chers efforts, fière de répondre à l'auguste confiance qui élevait hier encore la dignité de ses maîtres par un sentiment plus profond de sa responsabilité et de ses devoirs devant la religion, le Prince et la patrie !

Votre Majesté a pu voir, Sire, dans Sa marche triomphale sur cette terre mère des mâles vertus dont la foi et la fidélité à ses Souverains resteront des symboles, si la jeunesse bretonne, qui acclame avec un si naïf enthousiasme Napoléon III, l'Impératrice et le Prince Impérial, a appris, dans nos écoles à comprendre les bienfaits et la grandeur de Votre règne, à aimer Votre Dynastie si intimement unie à tous les intérêts de sécurité, de grandeur politique, de gloire des sciences et des lettres et d'avenir social de la France ».

Le Président du tribunal civil de Rennes a dit à l'Empereur :

« SIRE,
Les membres du tribunal civil de Rennes viennent Vous présénter leurs respectueux hommages et Vous exprimer le désir qu’ils ont de Vous seconder, autant qu'il dépend d'eux dans l'accomplissement de la tâche difficile que Vous Vous êtes proposée.

Ils croient le faire en continuant de rendre avec zèle et avec un religieux dévouement au culte de la loi cette impartiale justice que les révolutions n'altèrent ni ne modifient.

Ils espèrent justifier ainsi le témoignage de confiance dont Vous les avez honorés, quand, conservant dans notre constitution actuelle une des précieuses conquêtes faites par nos pères lors de l'immortelle révolution de 1789, Vous avez maintenu inamovibles sur leurs sièges des magistrats institués par des Gouvernements antérieurs au Vôtre.

Croyez, Sire, que la compagnie que je préside, n’a rien tant à coeur que de Vous prouver en toute occasion son dévouement à Votre Auguste Personne, et qu'elle ne cessera d'y employer tous ses efforts ».

Le Président du tribunal de Montfort a prononcé le discours suivant :

« SIRE MADAME,
J'ai l'honneur de présenter à Vos Majestés le tribunal de l'arrondissement de Montfort. Sire, nous avions espéré un moment que Vos Majestés auraient honoré de Leur passage le chef-lieu de notre arrondissement. Vous eussiez trouvé là, Sire, comme dans toute la Bretagne, une population simple, grave, profondément religieuse, dont Vous avez conquis l'amour et la reconnaissance, par les immenses bienfaits qu'elle a reçus de Vous ; car Dieu aidant, Sire, Vous avez sauvé la France et protégé la religion ; Vous avez rendu la sécurité au foyer domestique; Vous communiquez aux magistats la force nécessaire pour le maintien de l'ordre et l'exécution des lois ; Vous nous donnez enfin à tous la liberté de bien faire, seule liberté dont l'homme qui pense doive se montrer exclusivement jaloux. Pardonnez-moi, Sire, en finissant, un souvenir qui m'est personnel. J'ai souvent envié à mon père l'honneur qu'il eut d'être appelé au sacre de Napoléon Ier et de prêter en ses mains un serment de fidélité qu'il a gardé toute sa vie. Aujourd'hui, Sire, ma bonne fortune égale la sienne, puisqu'il m'est donné de saluer l'héritier légitime du grand homme, aussi grand que lui par ses oeuvres, la nouvelle Joséphine, aussi bonne, aussi belle que l'Impératrice Votre aïeule de si douce mémoire, et de déposer aux pieds de Vos Majestés, l'hommage d'un dévouement qui ne faillira pas. Vive l'Empereur ! Vive l’Impérairice ! vive le Prince impérial ! »
.
Avant le dîner, où assistaient les principaux fonctionnaires, Leurs Majestés, s'étant rendues sur le balcon de la préfecture, ont été, à diverses reprises, l'objet de l'enthousiasme de la population qui se pressait sur la Motte. Le soir, la ville entière était illuminée, et un brillant feu d'artifice était tiré au champ de Mars : des jeux publics et des spectacles gratuits avaient été organisés sur le Thabor, et une foule nombreuse circulait pendant la nuit presque entière.

20 août.

Dans la matinée du lendemain, l'Empereur a travaillé avec M. de Léon, maire de Rennes, et avec plusieurs chefs de service. Il a reçu également M. Le Tarouilly, président de la Chambre de commerce, que avait remis la veille à Sa Majesté l'adresse suivante :

« SIRE,
La Chambre de commerce de Rennes, qui doit sa récente création à Votre haute et infatigable sollicitude, est heureuse d'être admise à Vous présenter aujourd'hui, avec le tribut de sa reconnaissance, l'hommage de son respectueux dévouement à Votre Majesté, à l'Auguste Compagne, aussi bonne que belle, que Vous vous êtes choisie, au Prince Impérial, l'espoir de Votre Dynastie.

Sire, l'Europe comme la France, devançant la postérité, admire tout ce que Vous avez déployé d'habileté et de sagesse dans l'art plus difficile que jamais de gouverner ; Vous avez raffermi l'ordre, rétabli la confiance, sources fécondes du crédit et de la prospérité agricole et commerciale ; Vous avez maintenu ferme, élevé haut le drapeau et l'influence de la nation.

Telles sont les causes de ces acclamations qui accompagnent partout Vos pas sur cette noble terre de Bretagne, toujours reconnaissante du bien fait à la patrie.

Que peut-il enfin manquer à Votre gloire de Souverain ?

Que manque-t-il à Votre bonheur d'époux et de père ?...

Sire, Vous venez étudier nos voeux et nos besoins. Permettez-nous donc un mot des intérêts que nous représentons.

C'est à Votre impulsion puissante qu'est due la prompte exécution des chemins de fer français ; c'est à Votre initiative féconde qu'il faut faire remonter le développement de l'esprit d'association, et tant d'institutions de crédit, qui, malgré de regrettables excès, ont donné l'essor à l'industrie, au commerce, à l'agriculture.

Nous avons foi en Votre amour du progrès et des grandes choses ; nous avons confiance en Votre équitable impartialité, comme en Votre discernement si juste et si ferme. Nous sommes donc pleins d'espérances pour l'avenir de la Brétagne.

Déjà Votre volonté, presse l'exécution des chemins de fer que nous attendons depuis si longtemps, et nous Vous en remercions.

Mais l'oeuvre n'est pas complète pour Votre légitime ambition.

Vous avez vu, Sire, et constaté par Vous-même les ressources territoriales et maritimes de la Bretagne, les incomparables avantages de ses grands ports ; Vous voudrez les utiliser au profit de la France, dont les établissements transatlantiques concentrés dans ses ports feraient la force et la richesse, en même temps qu'au profit de cette province, qu'ils viendraient féconder et régénérer ; Vous voudrez fonder chez nous l’industrie ! .

Cette grande oeuvre est digne de Vous : en assurant la prospérité de ce petit royaume devenu si éminemment français, elle vous vaudra la reconnaissance de ses trois millions d'habitants ».

M. Le Tarouilly a eu l'honneur de parler à l'Empereur de tout, l'intérêt que mérite l'industrie des toiles rurales, et d'appeler de nouveau Sa haute bienveillance sur la question des paquebots transatlantiques et sur la grande importance qu'il y aurait de les établir en Bretagne, c'est-à-dire soit à Lorient, soit à Brest.

Sa Majesté a écouté M. le président de la Chambre de commerce de Rennes avec l'intérét qu'Elle prête à de telles questions. L'Empereur a daigné exprimer à M. Le Tarouilly Ses idées relativement à l'amélioration de la navigation de la Vilaine dans la traverse de Rennes. Malheureusement, Sa Majesté n'a pu répondre favorablement en ce qui concerne les paquebots transatlantiques. Cette grande entreprise est actuellement fixée par une loi, et il ne faut pas songer à la détourner de ses ports d'attache.

M. Le Tarouilly a eu l'honneur d'entretenir encore Sa Majesté de la question des chemins de fer bretons, et a reçu les plus sympathiques réponses concernant cet objet.

Pendant ce temps avait lieu au Thabor le banquet des maires. Malgré l'incertitude du temps, plus de deux cents maires et adjoints s'étaient assis à une table dressée dans la grande avenue de cette belle promenade : la cordialité et l'entrain régnaient pendant tout le repas ; des toasts ont été portés à l'Empereur ! à l'Impératrice ! au Prince Impérial ! au Préfet d'Ille-et-Vilaine ! et ces honorables magistrats se sont rendus sur la place du Palais, où devaient arriver Leurs Majestés.

Banquet breton.

En effet, pendant toute la matinée, des milliers de spectateurs s'étaient massés sur l'immense place où s'élève le magnifique palais de justice de Rennes, et ils ne se lassaient pas d'attendre. Les divers corps qui la veille, avaient fait la haie sur le passage impérial, se disposaient à prendre leurs rangs ; et au palais, où allait avoir lieu tout à l'heure cette réunion imposante des envoyés de toute la Bretagne, les fonctionnaires en costume, les délégués des cinq départements, les hauts dignitaires invités entraient successivement et admiraient l'élégante somptuosité avec laquelle ce bel édifice avait été orné.

A l'entrée, autour des statues de Gerbier, Lanjuinais La Chalotais et Toullier, jurisconsultes bretons, avait été disposé un délicieux parterre, entouré de grands orangers ; la majestueuse façade était tapissée d'écussons aux initiales impériales et de faisceaux de drapeaux. Le spacieux véstibule était décoré par des draperies de velours rouge rehaussé d’or, et le vaste escalier, recouvert de tapis, était bordé de fleurs. La salle des Pas-Perdus, dont les magnificences avaient encore été augmentées, était la salle du banquet : une table de trois cent soixante couverts se développait dans la vaste enceinte ; elle était servie avec un luxe digne des Hôtes Illustres qui devaient s'y asseoir.

A onze heures précises, le cortège impérial s'est mis en marche : en tête, précédés d'un escadron de hussards, s'avançaient les piqueurs de Sa Majesté ; L'Empereur et l'Impératrice venaient ensuite dans Leur voiture de gala, attelée de six chevaux richement caparaçonnés, dont les rênes étaient tenues par six valets de pied en grande livrée ; des piqueurs suivaient la caliche impériale. Après un détachement de cavalerie venaient six voitures de la Cour conduites à la Daumont : elles portaient S. A. la Princesse Napoléone Baciocchi, le grand maréchal du Palais, le maréchal Baraguey d'Hilliers les généraux aides de camp de Sa Majesté, les dames du Palais, les chambellans, le chef du Cabinet de l'Empereur et les officiers du Palais. Au moment où Leurs Majestés descendaient de voiture devant la porte principale, une acclamation unanime a retenti, les cris de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! ont été poussés par la foule et plusieurs fois répetés avec une vivacité et un enthousiasme supérieurs encore à la réception de la veille.

Leurs Majestés ont été reçues par M. le comte de La Riboisière, sénateur, président du conseil général ; par M. le premier président Boucly, par le préfet et le maire. Au moment de Leur entrée dans la salle du banquet, applaudissements et les vivat ont éclaté de toutes parts. Elles se sont présentées au grand balcon, d'où l'on apercevait plus de dix mille personnes réunies sur la place et s'agitant comme une véritable mer humaine : aussitôt cette multitude a fait entendre d'une seule voix de nouvelles acclamations, qui ont redoublé d'intensité lorsque l'Impératrice, en se rendant gracieusement aux voeu qui l'appelaient, a failli tomber en glissant sur une marche du balcon dissimulée par un tapis. Au haut de la table ont pris place l'Empereur, l'Impératrice, la princesse Baciocchi, le comte de La Riboisière, Mgr l'évêque, le premier président, les maréchaux, le général de division, et les principaux dignitaires de la Cour et des fonctions publiques. Plusieurs sénnateurs, les anciens évêques de Vincennes et de Coutances, les députés des départements de la Bretagne, les préfets, les maires des principales villes, les présidents, vice-présidents et secrétaires des conseils généraux, les présidents des tribunaux et les procureurs impériaux, les délégués cantonaux, les sous-préfets d'Ille-et-Vilaine, et un nombre considérable de notabilités provinciales, assistaient à ce banquet, que composait ainsi l'élite de la Bretagne. Toutes les parties et cette vaste province y avaient leurs représentants, et tous étaient animés du même amour pour le Monarque Illustre autour duquel ils étaient réunis, pour l'Auguste Mère de l'Enfant de France, dont ils célébraient à lenvi les louanges.

Au dessert, le comte de La Riboisière, qui était assis à côté de l'Impératrice, après avoir demandé à Sa Majesté la permission de lui adresser quelques paroles de remerciement au nom de la Bretagne, a prononcé le discours suivant :

« SIRE,
Il appartenait au, conseil général d'Ille-et-Vilaine siégeant dans l'antique capitale de la Bretagne, de remercier Votre Majesté de l'honneur qu'Elle lui fait en visitant ses départements.
La présence de Votre Auguste Compagne, de l'Impératrice qui pare le trône de tant de grâce et de beauté, vient ajouter à notre bonheur et à la reconnaissance dont nous Vous apportons la respectueuse expression.
Privée pendant plusieurs siècles de la présence de ses Souverains et des bienfaits qui marchent avec elle, notre population, en saluant Votre Majesté sur le sol breton, voit s'ouvrir une ère nouvelle de grandeur et de prospérité.
Sire, Vous avez visité nos côtes, nos ports, nos cités, nos champs, Vous avez vu, Vous avez deviné nos besoins de ce moment ; nous nous reposons du soin d'y pourvoir sur Votre auguste sollicitude.
Napoléon Ier pacifia nos contrées, sa main puissante cicatrisa les plaies de la guerre civile ; Napoléon III versera sur nous tous les bienfaits de la paix de la civilisation.
La Dynastie, Impériale pouvait seule dompter l'anarchie, rendre à la religion et à la morale leur influence, à la France sa sécurité et sa grandeur ; aussi nulle part l'avènement providentiel de Votre Majesté à l'Empire n'a été plus unanimement acclamé que sur la noble terre de Bretagne.
Nos populations viennent de protester de nouveau de leur fidélité et de leur amour pour Votre personne. Toujours franches dans la manifestation de leurs sentiments et constantes dans leurs affections, elles resteront à jamais, Sire, ce que Vous venez de les trouver, dévouées à Votre Majesté et à Son Auguste Dynastie.
Vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! »
.

Ces cris ont été longtemps répétés par la nombreuse assistance.

Discours de l'Empereur.

Puis il s'est fait un grand silence. Chacun comprenait qu'un grand événement allait s'accomplir, que l'Empereur allait dire à la Bretagne ce que le monde entier a lu depuis avec cette admiration et ce respect qu'impose la parole puissante de Napoléon III.

Alors, au milieu de l'émotion générale, tous les convives étant debout et tournés vers l'Empereur, Sa Majesté, d'une voix vibrante et admirablement accentuée, a dit :

« MESSIEURS,
Je suis venu en Bretagne par devoir comme par sympathie. Il était de Mon devoir de connaître une partie de la France que Je n'avais pas encore visitée. Il était dans Mes sympathies de Me trouver au milieu du peuple breton, que est avant tout monarchique, catholique et soldat.

On a voulu souvent représenter les départements de l'Ouest comme animés de sentiments différents de ceux du reste de la nation. Les acclamations chaleureuses qui ont accueilli l'Impératrice et Moi dans tout Notre voyage démentent une assertion pareille. Si la France n'est pas complétement homogène dans sa nature, elle est unanime dans ses sentiments. Elle veut un gouvernement assez stable pour enlever toutes chances à de nouveaux bouleversements ; assez éclairé pour favoriser le véritable progrès et le développement des facultés humaines ; assez juste pour appeler à lui tous les honnêtes gens, quels que soient leurs antécédents politiques ; assez consciencieux pour déclarer qu'il protégé hautement la religion catholique, tout en acceptant la liberté des cultes ; enfin, un gouvernement assez fort par son union intérieure pour être respecté comme il convient dans les conseils de l'Europe ; et c'est parce que, Élu de la nation, Je représente ces idées, que J'ai vu partout le peuple accourir sur Mes pas et M'encourager par ses démonstrations.

Croyez, Messieurs, que le souvenir de Notre voyage en Bretagne restera profondément gravé dans le coeur de l'Impératrice et dans le Mien. Nous n'oublierons pas la touchante sollicitude que Nous avons rencontrée pour le Prince Impérial dans les villes et dans les campagnes, partout les populations s'informant de Notre Fils comme du gage de leur avenir.

Je vous remercie, Messieurs d'avoir organisé cette réunion qui M'a permis de vous exprimer Ma pensée, et Je termine en portant un toast à la Bretagne si honorablement représentée ici.

Que bientôt son agriculture se développe, que ses voies de communication s'achèvent, que ses ports s'améliorent, que son industrie et son commerce prospèrent, que les sciences et les arts y fleurissent ; Mon appui ne leur manquera pas ; mais que tout en hâtant sa marche dans les voies de la civilisation, elle conserve intacte la tradition des nobles sentiments qui l'ont distinguée depuis des siècles. Qu'elle conserve cette simplicité de mœurs, cette franchise proverbiale, cette fidélité à la foi jurée, cette persévérance dans le devoir, cette soumission à la volonté de Dieu qui veille sur le plus humble foyer domestique comme sur les plus hautes destinées des empires !

Tels sont Mes voeux, soyez-en, Messieurs, les dignes interprètes ».

Il est impossible de décrire l'effet produit sur les auditeurs par cette mâle parole ; ce langage allait droit au coeur des représentants de ce peuple, que son Souverain définissait si nettement et si admirablement par ces trois mots : « Monarchique, catholique, soldat ». Aussi c'est au milieu des applaudissements et des cris de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! que ce discours a été prononcé, et les dernières paroles de Sa Majesté ont été suivies d'une immense acclamation qui semblait poussée par la Bretagne tout entière, loyale et croyante.

Après le banquet, Leurs Majestés, accompagnées de M. le premier président et de M. le procureur général, ont visité les salles des audiences du palais, dont aucun autre palais de justice en France n'égale la magnificence. Puis Elles sont retournées à la préfecture en grande pompe, suivies par les démonstrations les plus expressives de l'enthousiasme de la foule qui semble croître d'heure en heure.

Revue.

L'Empereur et l'Impératrice Se sont rendus ensuite sur le champ de Mars, où étaient rangés en bataille le 8ème régiment d'artillerie monté, le 2ème bataillon de chasseurs à pied, un bataillon du 57ème de ligne, un escadron de hussards, un escadron de gendarmerie à cheval et de nombreuses compagnies de sapeurs-pompiers. Les médaillés de Sainte-Hélène en très-grand nombre et les diverses corporations qui s'étaient portées au-devant de l'Empereur à Son arrivée à Rennes, garnissaient un des cotés du champ de Mars, et plus de soixante-dix mille spectateurs couronnaient les talus qui le terminent. Le plus beau soleil éclairait l'immense assemblée.

L'Empereur était à cheval, à la tête d'un nombreux et brillant état-major, parmi lequel on remarquait les maréchaux Baraguey d'Hilliers et Vaillant, les généraux Niel, Duchaussoy, de La Motte-Rouge, Fargeot, Bousquet, et des officiers supérieurs de plusieurs armes. L'Impératrice suivait en calèche découverte conduite à la Daumont, ayant à ses côtés S. A. Mme la Princesse Baciocchi ; M. le général Fleury, premier écuyer, accompagnait à cheval Sa Majesté, ainsi que M. le vicomte de Marnézia, son chambellan. D'autres voitures suivaient celles de Sa Majesté. A l'entrée sur le champ de Mars de ce brillant et imposant cortège, il y a eu dans l'armée et dans le peuple un moment d'enthousiasme qu'on ne saurait peindre : des salves d'artillerie se faisaient entendre, les musiques militaires jouaient l'air de la Reine Hortense, les tambours battaient aux champs, les clairons sonnaient leurs fanfares, des milliers d'étendards portés par les populations s'inclinaient et se relevaient pour s’incliner encore, et cent mille voix répétaient avec énergie les cris de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial !. C'était une manifestation du département tout entier, consacrant une seconde fois à la face du Ciel et devant l'Europe, l'Empire des Napoléons que ses votes presque unanimes avaient contribué à élever.

Après la revue, l'Empereur a distribué plusieurs décorations, et le défilé a eu lieu. Après les corps militaires, les médaillés de Sainte-Hélène, ayant à leur tête le vieux général Thuillier en grand uniforme, et le colonel de Freslon de Saint-Aubin, ont passé devant Leurs Majestés en Les saluant avec une joie que était partagée par les Augustes Souverains. Après eux venaient les médaillés de Crimée et de la Baltique. A l'aspect de ces jeunes gens, dont quelques uns sont glorieusement mutilés, l'Impératrice n'a pu retenir son émotion, et a dit à M. le maire de Rennes, qui-était auprès d'elle : « Voici les vétérans de Mon Fils ! ». Les maires du département, quelques-uns accompagnés de leurs femmes, ont succédé aux médaillés de Grimée, et au moment où la population elle-même se précipitait derrière les corps municipaux pour passer auprès de Leurs Majestés, l'Empereur S'est avancé vers elle, l'Impératrice a suivi, et bientôt Leurs Majestés, sans escorte, sans gardes, mêlées, confondues avec la foule, ont ainsi traversé toute la longueur du champ de Mars, au milieu d'un enivrement dont il est difficile de se faire une idée.

Après la revue, Leurs Majestés se sont rendues à l'hôpital Napoléon III, situé dans l'un des quartiers les plus éloignés de la ville. Elles y étaient attendues par Mgr l'évêque, plusieurs centaines d'ecclésiastiques, le maire, l'administration des hospices, les membres du bureau de bienfaisance, douze religieuses hospitalières cloîtrées, et toutes les communautés non cloîtrées de la ville de Rennes ; les présidentes des salles d'asile et de la Maternité, s'étaient jointes à cette nombreuse réunion pour recevoir l'Impératrice, leur Auguste Patronne. Accueillies avec un véritable enthousiasme, Leurs Majestés ont remarqué avec quelle animation le clergé s'empressait de Les saluer de ses vivat. Après avoir prié à la chapelle et visité l'établissement, l'Empereur abordant l'évêque, l'a remercié de l'accueil dévoué que Lui était fait par les prêtres, et l'a félicité de diriger un clergé comme le sien. « Nulle part, a dit Sa Majesté, Je n'en ai rencontré de meilleur ». L'Empereur s'est ensuite avancé au milieu des ecclésiastiques, dont il a traversé familièrement les rangs, en leur témoignant la plus grande déférence. Tous agitant leurs chapeaux, se sont écriés de nouveau avec le plus vif enthousiasme : Vive la Dynastie impériale ! vive l'Empereur ! vive le Sauveur de la France !

De cet établissement, l'Empereur et l'Impératrice Se sont rendus à l'arsenal, où un arc de triomphe d'un caractère sévère avait été dressé ; puis au polygone de l’artilierie où l'Empereur a examiné les travaux de batterie. L'Empereur, à plusieurs reprises, a témoigné sa satisfaction au colonel de Roujoux et aux artilleurs et chasseurs du 2ème bataillon, venus pour simuler l'attaque et la défense de ces ouvrages. Quatre batteries montées ont exécuté des manoeuvres de campagne, pendant que les batteries de mortiers et d'obusiers lançaient avec une précision remarquable des bombes et des obus. Cette visite de Leurs Majestés au polygone a duré près de trois heures.

Bal.

Le soir, le vaste hôtel de ville ouvrait ses salons à des milliers d'invités au bal splendide offert à Leurs Majestés Impériales. La façade, dont on admire avec raison le style pur et gracieux, était décorée de trophées, d'écussons, de drapeaux, d'oriflammes de diverses couleurs. La niche au fond de laquelle on voyait autrefois une statue en bronze de Louis XV, formait une grotte pittoresque, au pied de laquelle s'étendait, entre les deux pavillons, un tapis de verdure et un délicieux parterre. Les salles intérieures étaient resplendissantes : la principale, dite des concerts, blanc et or, portait aux quatre angles, en bas-reliefs, et supportées par des cariatides, les armes des quatre villes de Bretagne suivantes : Rennes, Nantes, Brest et Saint-Malo ; sur la frise se déployait en lettres d'or la longue liste des bretons illustres : Du Guesclin, Duguay-Trouin, Olivier de Clisson, Chateaubriand, Abeilard, d'Argentré, Toullier, Duparc-Poulain, du Chastel, comte de Richeinont, de Penhouet, Lamotte-Piquet, La Bourdonnaye La Chalotais, Lamennais, Mme de Sévigné, Le Sage, Maupertuis, Jacques Cartier, Gerbier. Le plafond était couvert de peintures allégoriques du meilleur goût.

C'est dans cette salle qu'était disposé le Trône Impérial, en face duquel un orchestre occupait une élégante tribune. Dans les autres salons, un second orchestre avait été installé ; partout, l’ornementation était à la fois remarquable par sa magnificence et le bon-goût qui y avait présidé. L’botel de ville de Rennes était dans cette soirée comparable aux plus belles résidences impériales.

Vers dix heures, Leurs Majestés, ayant traversé dans Leurs voitures de gala les grandes rues et les places illuminées à giorno et couvertes de monde, ont fait leur entrée dans les salons, au milieu de longues et chaleureuses acclamations. Puis le quadrille impérial s'est organisé. Il était ainsi composé :

L'Empereur et Mme de Léon.
L'Impératrice et M. le maire de Rennes.
Le comte de La Riboisière, président du conseil général, sénateur, et Mme Boucly.
M. Boucly, premier président et Mme Duchaussoy.
Le général de division Duchaussoy et Mme Féart.
M. du Bodan, procureur général, et Mme Mourier, femme du recteur de l'académie.
M. le préfet et Mme Bousquet, femme du général commandant le département.
M. Le Harivel, député, et Mme Fargeot, femme du général commandant l'artillerie.

Après le quadrille, Leurs Majestés conduites par le maire, sont allées sur le vaste balcon qui domine la place de l'Hôtel-de-Ville. Elle présentait en ce moment le plus imposant aspect. En face, le théâtre, nouvellement restauré, se dressait au milieu de colonnes de feu : de chaque côté, les maisons, tendues et pavoisées brillaient du plus vif éclat, et au centre s'agitaient des milliers de spectateurs qui couvraient à la fois la place, les rues adjacentes et tous les points d'où il était possible d'apercevoir la façade de l'hôtel de ville. A peine Leurs Majestés avaient-Elles paru sur le balcon, que les clameurs les plus chaleureuses et les plus unanimes ont salué Leur présence. Le peuple exprimait une dernière fois son amour pour les Souverains qui depuis trois semaines venaient de recueillir tant et de sincères hommages. C'étaient des battements de mains, des chapeaux, des mouchoirs agités, des drapeaux en l’air : de pareilles manifestations, venant d'un peuple calme et froid, sont la preuve la plus convaincante de l’attachement profond du pays à la Dynastie Impériale.

L'Empereur et l'Impératrice, accompagnés de S. A. la princesse Baciocchi, ont ensuite parcouru les salons au milieu de la joie universelle, et se sont reposés dans la salle du présidial où un second trône Leur avait été préparé. Après avoir assisté à un quadrille, Elles ont regagné la salle du Trône, et Se sont retirées après minuit, saluées comme au moment de Leur arrivée par les cris les plus enthousiastes de vive l'Empereur ! Vive l'Impératrice ! Vive le Prince Impérial ! Malgré l'heure avancée, la foule n'avait pas quitté les places et les rues qui conduisent à la préfecture, et le retour des Souverais à Leur résidence momentanée a été cette fois une véritable ovation.

21 août. — Départ de Leurs Majestés.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

Le lendemain, le soleil qui se levait sur la ville, devait éclairer la dernière journée du séjour de Leurs Majestés sur le sol breton : aussi dès l'aurore, la multitude empressée entourait les abords de la préfecture et se groupait de chaque côté des rues que devait traverser le cortège impérial. L'avenue de la gare, qui porte le nom de cours Napoléon III, était, dans toute son étendue décorée de mâts vénitiens, d'oriflammes et d'inscriptions de toute espèce : mais sa plus belle décoration c'était l'affluence incalculable de peuple que d'un bout à l'autre des deux voies latérales se pressait sans solution de continuité le long de la haie formée par les troupes. Pendant ce temps, à la préfecture, l'Empereur donnait des audiences, distribuait des décorations et continuait, comme la veille, de s'occuper des intérêts locaux : entres autres bienfaits que la ville de Rennes devra à Son passage, on cite la rectification d'une route importante, la rectification de la rivière et l'achèvement des quais. Après ces travaux Leurs Majestés sont montées en voiture, accompagnées des personnes de Leur suite ; et au bruit du canon, au son des cloches des huit églises de la ville, aux cris d'une foule immense, Elles Se sont lentement dirigées vers la gare où Elles ont été reçues par M. le comte de Chasseloup-Laubat, président du conseil d'administration de la compagnie de l'Ouest, ancien ministre, M. de La Peyrière, directeur, MM. du Parc et Poirée, ingénieurs en chef, et les membres du conseil d'administration, les ingénieurs et inspecteurs de la compagnie. La salle d'attente avait été décorée avec goût.

Sur les quais de la gare, Leurs Majestés ont été accueillies par la Cour impériale, les Facultés en robe, les tribunaux, les états majors des corps militaires, et les fonctionnaires de tous ordres. Au moment où Leurs Majestés venaient de monter dans le wagon impérial et s'approchaient du balcon pour remercier encore une fois les représentants des populations qui les acclamaient, une voix forte, s'élevant dans un intervalle d'acclamation du milieu des rangs de la Cour, a dit : « Au revoir ! » aussitôt, se montrant au balcon, l'Empereur a daigné répondre : « J'espère bien que ce ne sera pas pour la dernière fois ».

Et le train impérial s'est mis en marche, longtemps suivi par des cris d'enthousiasme et de regret où bien des larmes se mêlaient.

Dans le dernier trajet fait en chemin de fer sur le sol de Bretagne, malgré la pluie qui tombait par intervalles, on voyait la population des campagnes échelonnée le long des barrières du chemin de fer, groupée aux abords des gares et sur tous les points d'où elle pouvait saluer de ses acclamations le passage du train impérial.

Des paysans sortaient de leurs chaumières, tenant dans leurs bras ou à la main des statuettes et des bustes de l'Empereur Napoléon Ier, muette et éloquente manifestation de leurs sentiments.

A Vitré, où le train impérial s'est arrêté quelques minutes, l'Empereur a été complimenté par le maire, qui s'est exprimé en ces termes :

« SIRE,
Je Vous remercie de la bienveillante pensée qui Vous porte à ralentir la rapidité de Votre marche et me permet ainsi de déposer aux pieds de Votre Majesté et de S. M. l'Impératrice, l'hommage du profond dévouement des habitants de Vitré.
En saluant Vos Majestés de ses franches et énergiques acclamations, la Bretagne a voulu, Sire, Vous exprimer toute sa reconnaissance pour le Sauveur de la France, et le bienfaiteur de nos contrées de l'Ouest trop longtemps oubliées ; elle a voulu aussi remercier l'Auguste Mère du Prince Impérial, non-seulement des bienfaits que, malgré leur éloignement, Elle répand sur nos pauvres, mais encore, et surtout, d'avoir assuré la sécurité de notre avenir, en donnant un héritier à l'Empereur, un Enfant à la France.
Au seuil de la province que Vous venez de rendre si heureuse en la visitant, nous n'avons qu'un vœu à exprimer : que Vos Majestés daignent conserver un bon souvenir de la Bretagne, et que la ville de Vitré, la dernière sur Leur passage, n'ait pas la dernière place dans ce souvenir.
Vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! »
.

(J. M. POULAIN-CORBION).

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