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Napoléon III et son voyage de Paris à Cherbourg (en 1858).

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DE PARIS A CHERBOURG. 3 août. — Départ de Saint-Cloud. — Mantes. — Évreux. — Lisieux. — Caen. 4 août. — Bayeux. — Carentan. — Valognes.

Depuis longtemps les populations de Normandie et de Bretagne se préoccupaient du voyage que devaient faire au milieu d'elles LL. MM. l'Empereur et l'Impératrice. A une époque où la France agitée par les orages révolutionnaires, demandait au Prince énergique qu'elle avait élu, le repos et la stabilité, la Normandie avait déjà eu l'honneur d'être visitée dans plusieurs de ses villes par le Chef de l'État ; et à Cherbourg même s'était fait entendre la voix puissante qui, en proclamant la nécessité de fortifier le pouvoir à l'intérieur, adressait à l'Angleterre des paroles de paix que la politique impériale devait plus tard si noblement confirmer [Note : Discours du Prince Louis-Napoléon, du 6 septembre 1850, t. III, p. 154, OEuvres de Napoléon III, Paris, Amyot, 1855]. Maintenant il s'agissait d'inaugurer à la fois le chemin de fer de Paris à Cherbourg et les grands travaux du port militaire, commencés depuis tant d'années ; aussi la Normandie avait hâte de revoir le Souverain qui avait tant fait pour l'achèvement de ces oeuvres gigantesques ; il lui tardait de saluer la gracieuse Compagne de l'Empereur, l'auguste Mère du Prince Impéral. — En Bretagne, les populations étaient profondément remuées ; un certain doute avait tout d'abord accueilli l'annonce de la visite impériale : les vieux défenseurs de la monarchie étaient si peu habitués aux faveurs des Souverains ! Mais quand il fut impossible de douter, une allégresse qu'on ne peut décrire éclata de toutes parts ; les villes préparèrent à l'avance les splendeurs d'une réception digne des Hôtes illustres que devaient venir, et il n’est si humble hameau qui, pour le jour impatiemment attendu, n’organisât ses pompes rustiques et ne tressa ses champêtres couronnes.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

3 août. — Départ de Saint-Cloud.

Le mardi 3 août, jour fixé pour le départ, le train impérial, qui se compose de quatre wagons décorés avec art et disposés de manière à rendre moins pénible aux Augustes Voyageurs le long trajet qu'ils doivent parcourir, avait amené de la gare principale à la grille du parc réservé de Saint-Cloud, les principaux administrateurs de la compagnie du chemin de fer de l'Ouest. MM. le comte de Chasseloup-Laubat, Ch. Laffitte, Simons, Gervais, Benoist d'Azy, Dailly, président et membres du conseil d'administration ; de La Peyrière, directeur, Cholat, chef de l'exploitation ; Ferot chef du mouvement général, et plusieurs ingénieurs et inspecteurs de la compagnie, devaient, selon l'usage, accompagner Leurs Majestés pendant leur voyage sur la ligne du chemin de fer de l'Ouest. Avant dix heures du matin, la suite de Leurs Majestés prend place dans les divers salons du Train, et biéntôt les voitures imperials amènent aux wagons d'honneur l'Empereur et l'Impératrice : le Prince Impérial avec Mme la comtesse de Montijo, sa grand'mère était venu conduire ses Augustes Parents, qui ayant pris successivement entre Leurs bras l'Enfant de France, Lui ont prodigué, au moment du départ, les témoignages de Leur tendresse. Avant de monter en wagon, l'Empereur a reçu les hommages des membres de la compagnie du chemin de fer, et a adressé à plusieurs d'entre eux les plus bienveillantes paroles ; puis le train est parti aux vivat poussés par la foule qui, derrière la barrière du chemin de fer, assistait à cette scène imposante.

Leurs Majestés étaient accompagnées de :

S. Exc. le maréchal Vaillant, ministre de la guerre, grand maréchal du Palais,
S. Exc. le maréchal Magnan, commandant en chef la division supérieure et l'armée de Paris,
S. Exc. Mme la princesse d'Essling, grande maîtresse de la Maison de l'Impératrice,
M. le général Niel aide de camp de l'Empereur,
M. le général Fleury, premier écuyer, aide de camp de l'Empereur,
M. le marquis de Chaumont-Quitry, député au Corps légistatif, chambellan de l'Empereur,
M. le vicomte de Lezay-Marnezia, chambellan de l'Impératrice,
Mme la comtesse de Labédoyère,
Mme la comtesse de Lourmel, dames du Palais de l'Impératrice,
M. le baron de Bourgoing, écuyer de l'Empereur,
M. le capitaine Brady,
M. le marquis de Cadore, lieutenant de vaisseau, officiers d'ordonnance
M. Mocquard, chef du cabinet de Sa Majesté,
M. Jobert de Lamballe, médecin de l'Empereur.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne. Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.
 

MANTES.

Le train impérial s’est embranché à Asnières sur la ligne de Rouen, dont toutes les gares avaient été remarquablement pavoisées par les soins de la compagnie depuis la station de Maisons-Laffitte et vers onze heures dix minutes, il s'est arrêté à Mantes, station où la ligne de Rouen se bifurque avec celle de Cherbourg. Un arc de triomphe s'élevait au point d'intersection des deux voies ferrées. A la gare, sous une tente richement décorée, avait été disposée une estrade pour Leurs Majestés, et de chaque côté s'étaient groupés en amphithéâtre plusieurs milliers de spectateurs : l'avenue conduisant à la tente impériale était bordée de trophées formés d'attributs relatifs à l'exploitation du chemin de fer. Ces trophées étaient ornés d'écussons aux armes impériales, et de faisceaux de drapeaux.

Leurs Majestés ont été reçues par M. de Saint-Marsault, préfet de Seine-et-Oise, M. le général Dubreton, commandant le département, le sous-préfet et le maire de Mantes. S. Exc. M Baroche, président du conseil d'État, a présenté à l'Empereur et à l'Impératrice les membres du conseil, général de Seine et Oise qu'il présidé : puis les divers corps constitués de l'arrondissement ont eu l'honneur de saluer Leurs Majestés.

Des jeunes filles vêtues de blanc ont offert des fleurs à l'Impératrice qui les a accueillies avec les paroles les plus gracieuses. L’Empereur s'est entretenu quelques instants avec les administrateurs de la compagnie de l'Ouest, et s'est fait rendre compte des travaux de l'embranchement. Les sapeurs-pompiers, les médaillés de Sainte-Hélène et les députations des communes formaient une haie que Leurs Majestés ont traversée pour se rendre à Leur wagon au milieu des plus vives acclamations.

ÉVREUX.

Vers midi et demi, on aperçoit dans la vallée de l'Iton, entre deux rangs de collines à pentes rapides, le clocher gothique de la cathédrale d'Évreux, et le train, avant d'arriver à la station, domine quelques instants le parc et l'emplacement du château de Navarre, résidence de l'Impératrice Joséphine après l'acte politique qui la fit descendre du trône où elle avait partagé, avec tant de grâce et de majesté, la plus puissante couronne du monde. Quelques instants après, l'Empereur et l'Impératrice étaient reçus, au milieu des acclamations d'une foule immense, par le corps- municipal d'Évreux, ayant à sa tête le maire qui a prononcé le discours suivaut :

« SIRE,
La Cité de Joséphine et d'Hortense salué avec enthousiasme la présence de l'Empereur et de Son Auguste Compagne. Ses portes s'ouvrent avec respect ; ses coeurs s'élancent avec joie.

Nous devons à Votre Majesté le Chemin de fer qui Vous amène et nous met, pour Vous servir de plus près, aux portes de Votre capitale ; une garnison de cavalerie fière de Vous escorter, et heureusement placée au centre de nos produits agricoles ; un Lycée impérial, où les contemporains de notre Enfant de France seront élevés dans l'amour de l'Empereur et de Sa Dynastie.

Notre Navarre, fidèle à la mémoire, d'une Impératrice vénérée, gardant aussi une des fraîches pages de Votre enfance, pieusement détachée du livre d'or de Votre vie, accueille avec amour son autre Béarnais, que Dieu devait faire si fort et si grand pour le salut et pour la gloire de la France ; Votre aïeule bénit le fils, qui plaça près de lui sur le trône les grâces et la charité d'une autre Joséphine.

Illustres Voyageurs, que Dieu Vous garde et Vous protége ! Placés à la première étape, sur Votre route triomphale, nous le prions avec ferveur, au cri national de : Vive l'Empereur ! Vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! ».

L'Empereur a répondu que les souvenirs évoqués par le maire allaient droit à son coeur. Sa Majesté a daigné ajouter qu'Elle prenait un vif intérêt à tout ce que touche à la prospérité de la ville d'Évreux.

A ce moment, l'Empereur et l'Impératrice sont entrés dans la gare transformée en salon, où se trouvaient MM, le général Gudin commandant la division, Janvier de La Motte, préfet de l'Eure, le général Delarue, commandant le département, dont Elles ont reçu les hommages. Puis Leurs Majestés sont montées dans leur voiture attelée de quatre chevaux et conduite à la Daumont : cinq autres voitures suivaient la calèche impériale, Le cortége a traversé pour se rendre à la préfecture, une grande partie de la ville, au milieu des cris répétés de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! Sur le passage, les sapeurs-pompiers d'Évreux et des autres villes du département, les médaillés de Sainte-Hélène, les députations des communes avec leurs bannières, et une multitude innombrable, Les saluait à l'envi, de leurs, acclamations : les rues étaient ornées de mâts vénitiens, les maisons pavoisées, et la façade de la préfecture tendue aux couleurs nationales et aux armes de l'Empire. On remarquait à l’entrée de la ville une pyramide formée de produits de l'industrie métallurgique du pays ; elle servait de piédestal au buste de l'Empereur et portait cette inscription : A NAPOLEON III, LES OUVRIERS DE L’EURE.

Plus loin, des attributs de l'agriculture, formaient décoration, et un arc de triomphe grandiose s'élevait sur le parcours du cortége.

Arrivées à la préfecture au milieu des témoignages expressifs de l'enthousiasme universel, de nombreux corps de musique venus des points extrêmes du département faisant entendre l'air national de la Reine Hortense, Leurs Majestés ont été reçues sur le perron principal par les membres du conseil général, conduits par S. Exc. M. Troplong, président du Sénat, premier président de la Cour de cassation : Elles sont ensuite entrées dans le salon d'honneur, où les autorités, de divers ordres ont été présentées. Mgr de Bonnechose archevêque de Rouen, M. Franck-Carré, premier président de la Cour impériale, M. Massot-Regnier, procureur général, Mgr Devoucoux évêque d'Évreux, MM. Lefebvre-Duruflé, le marquis de Croix, sénateurs, et les députés du département, ont été admis, à la tête des corps constitués ; à présenter leurs hommages à Leurs Majestés. Après les présentations officielles, l'Impératrice a reçu une députation de jeunes filles qui ont complimenté Sa Majesté et Lui ont offert des fleurs, et l'Empereur s'est occupé de diverses questions intéressant l'agriculture et l'industrie locales. Puis Leurs Majestés ont daigné accepter une tente en coutil vert et chamois, produit, de l'industrie ébroïcienne, offerte au Prince Impérial par les fabricants d'Évreux. A Leur retour à la gare, les mêmes acclamations qui Les avaient accueillis à l'arrivée, ont salué les Augustes Voyageurs, et le train a repris sa route, longtemps suivi par les démonstrations enthousiastes d'une foule immense.

A Bonneville, à Conches, siége des forges importantes qui avaient fourni des décorations à Évreux, à Beaumont, à Bernay, les abords des gares étaient couverts par les populations des communes voisines, qui semblaient s'être donné rendez-vous pour saluer le rapide passage de Leurs Majestés. Tous ces groupes étaient porteurs de bannières, de drapeaux ; on remarquait au milieu d'eux quelques uniformes de vieux soldats de l'Empire, des, curés en habit de choeur, des maires en écharpe, et souvent le bruit des tambours du village se mêlait aux acclamations dont Leurs Majestés étaient l'objet.

LISIEUX.

A quatre heures environ, le train s'arrêtait à Lisieux, première étape de Leurs Majestés dans le beau département du Calvados ; et à la gare du chemin de fer, où avait été préparée une salle de réception, le général comandant la division, M. Tonnet préfet du Calvados, M. Mégard, premier président de la Cour impériale de Caen, et M. Rabou, procureur général, le général Chatry de Lafosse, commandant le département, le sous-préfet et le maire de Lisieux, attendaient l'Empereur et l'impératrice à la tête des autorités civiles, judiciaires et administratives de l'arrondissement, quelles s'était joint un nombreux clergé. Reçues aux cris enthousiastes d'une foule nombreuse, que pouvait à peine retenir la haie formée par les sapeurs-pompiers les députations communales et les médaillés de Sainte-Hélène, Leurs Majestés se sont placées devant le dais élevé dans le salon de la gare, et après les présentations officielles, après l'hommage d'un bouquet offert à l'Impératrice par Mlle Fauque, fille de l'adjoint au maire, au nom de ses compagnes, Elles ont voulu parcourir les rangs du peuple. On ne peut se faire une idée des acclamations qui s'échappaient de toutes les poitrines émues de la noble confiance avec laquelle les Souverains Se mêlaient aux groupes préssés des spectateurs, et c'est au milieu de l'expression de la reconnaissance populaire que Leurs Majestés sont remontées en wagon, se dirigeant vers Caen, où Les attendait une réception splendide.

CAEN.

Il était cinq heures quand le convoi s'est arrêté à la gare de Caen. Dans la grande salle d'attente, Leurs Majestés ont trouvé réunis tous les corps constitués. Elles ont été immédiatement conduites sous un dais, de velours brodé d'or, où le maire a présenté à l'Empereur les clefs de la ville, en Lui adressant le discours suivant :

« SIRE,

Au nom de la ville de Caen, nous avons l'honneur de Vous offrir ce symbole de notre fidélité et de notre dévouement.

Nous prions Votre Majesté d'agréer aussi l'expression de notre reconnaissance.

Depuis le jour où Napoléon Ier toucha ces mêmes clefs de ses mains glorieuses, de grands projets ont été conçus pour l'extension et les facilités de nos rapports maritimes, pour la mise en communication de nos rivages avec les départements de l'Ouest et du Midi ; mais c'est surtout à Votre Majesté que nous devons la possession des avantages qui ne faisaient que nous apparaître en espérance.

Grâce à Votre volonté puissante, le canal de Caen à la mer est enfin ouvert à notre commerce, et bientôt le chemin de fer du Mans va réaliser, sous une autre forme, les bienfaits que l'on promettait depuis si longtemps à notre contrée, en étudiant la canalisation de l'Orne supérieure et la jonction de notre fleuve avec la Loire.

Et si notre cité s'assainit et s'embellit ; si des monuments dont nous sommes fiers échappent à leur ruine ; si le temple fondé par Mathilde doit revêtir son antique beauté et rivaliser, comme aux anciens jours, avec cet autre temple qui, non loin, sert, de tombe au conquérant de l'Angleterre, nous le devons encore, Sire, à la faveur aux encouragements que trouve auprès de Votre Gouvernement nos sacrifices nos efforts.

Ainsi le Souverain que nous avons le bonheur de recevoir dans nos murs n'est pas seulement pour nous l'Élu de la nation, le Prince auquel la France est redevable de sa sécurité et du nouvel éclat de nos armes : c'est aussi son bienfaiteur que notre population intelligente va saluer par ses acclamations.

Et Vous, Madame, dont l'arrivée au milieu de nous était l'objet de si vifs désirs, daignez agréer aussi nos profonds hommages.

En quelque lieu que paraisse Votre Majesté sur le sol français, partout on salue avec respect l'Auguste Épouse de l'Empereur, la Mère Auguste du Prince Impérial. Partout on salue avec amour la femme gracieuse entre toutes les femmes, que le Ciel semble avoir placée sur le trône de France, pour en faire personnification la plus élevée et la plus touchante de la bienfaisance et de la charité.

A tous ces titres, Madame, nulle part Votre Majesté n'exerce plus d'empire sur les coeurs que dans la ville de Caen. Jamais nous n'avons été plus véritablement les interprètes du sentiment public, qu'en déposant à Vos pieds ces hommages de respect et d'amour ».

Sa Majesté a répondu par quelques paroles flatteuses à la fois pour la ville de Caen et pour son premier magistrat. Puis une députation de douze jeunes en robes blanches et en ceintures vertes, s’est approchée, et l'une d'elles, Mlle Guillard, fille d'un des adjoints au maire, a présenté à l'Impératrice un bouquet et une corbeille renfermant une parure de dentelles de fabrique indigène : cette parure se compose de deux volards de dentelle noire, d'une berthe et d’un magnifique châle ; dus à la fabrique renommée de M. Violard, de Courseulles. Elle a dit à Sa Majesté :

« MADAME,

Nous sommes heureuses d'avoir été choisies pour saluer la bienvenue de Votre Majesté. Daignez agréer, avec ces fleurs l'hommage de nos sentiments les plus respectueux, les plus vifs et les plus tendres.

Que Votre Majesté veuille bien agréer encore, comme souvenir un peu plus durable que ces fleurs, un travail des mains de nos ouvrières, un produit de l'industrie qui fait vivre tant de familles, objet de Votre auguste sollicitude ».

Les présentations des autorités ont eu lieu ensuite : on remarquait MM. Le général de Grouchy et le marquis de Croix, sénateurs, le baron de Vincent, conseiller d'État et les députés du département ; Mgr Didiot, évêque de Bayeux et Lisieux, à la tête d'un nombreux cortége d'ecclésiastiques ; le conseil général, conduit par M. le comte d'Houdetot, député ; la Cour impériale, les professeurs des Facultés en robes et les principaux fonctionnaires du département. Au moment où le consul anglais passait devant Leurs Majestés, il a remis à l'Empereur l'adresse suivante, revêtue des signatures d'un grand nombre de ses compatriotes :

A Sa Majesté Impériale l'Empereur des Français.
« SIRE,

Sujets de Sa Majesté Britannique dans le département du Calvados, nous désirons nous joindre au peuple français pour offrir à Votre Majesté nos sympathies les plus respectueuses et les plus sincères. Nous ne pouvons regarder, la visite que notre bien-aimée Souveraine doit rendre à Votre Majesté à Cherbourg que comme un sûr garant de l'avenir, surtout quand, au milieu des deux flottes armées, les deux grandes nations vont en tendre les cris de paix consacrés par la présence de leurs illustres têtes couronnées. Nous désirons que nos deux pays s'estiment et s'aiment mutuellement, et qu'ils imitent l'exemple de leurs deux Augustes Souverains. Nous formons aussi des vœux pour Sa Gracieuse Majesté l'Impératrice des Français, et nous Lui offrons, avec nos très-profonds respects, l'assurance de notre admiration de toutes Ses vertus.

Que Dieu conserve Leurs Majestés impériales ainsi que le jeune Prince, leur héritier, au bonheur de la France et du monde entier.

Fait à Caen, ce 29 juillet 1858 ».

(Suivent les signatures).

L'Empereur, s'adressant en langue anglaise au consul de Sa Majesté Britannique, l'a remercié avec affabilité.

Les réceptions terminées, Leurs Majestés ont pris place dans les voitures de la cour, et, accompagnées de leur suite, se sont dirigées vers la préfecture. Soixante jeunes gens, appartenant aux premières familles de Caen, précédaient à cheval la voiture impériale, servant ainsi d'escorte d'honneur aux Augustes Hôtes de la ville. Sur le long parcours de la gare à la préfecture, la haie était formée par les députations des communes rurales, les sapeurs-pompiers de Caen et du département, un bataillon de douaniers, les enfants des écoles et des établissements religieux, et une foule immense, évaluée à plus de cent mille personnes, qui ne cessaient de saluer Leurs Majestés par les cris les plus enthousiastes. Toutes les maisons, sans exception, étaient pavoisées : des décorations du meilleur goût, des emblèmes, des inscriptions se faisaient remarquer de toutes parts entre autres, l'attention se fixait sur une croix entourée d'oriflammes placée sur une tourelle gothique, sous laquelle était écrit : IN H0G SIGNO SPERAVIT NAPOLEO ET VICIT, allusion ingénieuse au labarum du premier empereur Chrétien. Sur l'une des places que le cortége devait traverser, de chaque côté d'un arc de triomphe monumental, deux fontaines jaillissantes du plus bel effet avaient été improvisées : sur les tours de toutes les églises, flottaient des oriflammes et des étendards, et pendant ce parcours triomphal, le canon tonnait, les cloches sonnaient à toute volée, et les musiques militaires exécutaient l'air de la Reine Hortense. A l'arrivée à la préfecture dont la façade était ornée de trophées, de drapeaux et d'écussons aux initiales et aux armes impériales, Leurs Majestés ont mis pied à terre, et l'Empereur a passé devant tous les maires du département, qui étaient rangés dans la cour d'honneur : aux acclamations des jeunes élèves du lycée impérial, qui avaient tout à l'heure retenti à l'entrée du cortége, ont succédé les saluts enthousiastes des représentants des communes. Immédiatement après, Leurs Majestés ont reçu dans les salons les femmes des principaux fonctionnaires.

Pendant ce temps, une foule immense stationnait sur la vaste place qui s'étend devant l'hôtel de la préfecture, et à chaque instant les rues voisines vomissaient des flots de peuple qui, par un de ces prodiges que peuvent seuls réaliser les grands enthousiasmes populaires, parvenaient à se placer devant le palais impérial, et semblaient, par les cris de vive l'Empereur ! vive l'impératrice ! plusieurs fois répétés, solliciter la présence des Augustes Visiteurs. Bientôt l'Empereur et l'Impératrice, comme pour satisfaire l'impatience de la foule, ont paru au balcon de la préfecture : les acclamations ont redoublé avec une énergie impossible à décrire, et pendant que Leurs Majestés, répondaient par des saluts à ces sympathiques démonstrations, ces milliers de bras se levaient, agitant des chapeaux, des mouchoirs, des fleurs même, et ces milliers de voix ne cessaient de redire avec une chaleur toujours nouvelle les cris nationaux de vive l’Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! Leurs Majestés avaient depuis quelque temps quitté le balcon, que ces cris retentissaient encore.

Après le dîner, auquel Leurs Majestés avaient convié les principaux fonctionnaires de Caen et Mgr de Bayeux, Elles se sont rendues à l'hôtel de ville où un bal Leur était offert, par la rue du Musée, garnie de mâts vénitiens et éclairée à giorno. Une vaste salle, splendidement décorée, réunissait de nombreux invités qui, à l'arrivée de Leurs Majestés, se sont levés et ont fair retentir les voûtes des plus chaleureuses acclamations. Le quadrille impérial s'est formé : l'Empereur a dansé avec Mme Brard, femme du premier adjoint ; l'Impératrice avec M. Bertrand, maire de Caen ; M. le premier président Mégard avec Mme la princesse d'Essling ; S. Exc. Le maréchal Magnan, avec Mme Mégard. Au deuxième quadrille, Leurs Majestés ont de nouveau dansé au milieu des autres quadrilles, l'Empereur avec Mme la marquise de Caulaincourt, et l'Impératrice avec le général comte Gudin. Leurs Majestés, après avoir parcouru la salle et s'être successivement entretenues avec un certain nombre d'invités se sont retirées à onze heures et ont été saluées à Leur départ, tant dans la salle que par la foule qui couvrait les rues, par les plus vives acclamations.

La ville tout entière était brillamment illuminée ; on distinguait surtout la façade de l'hôtel de ville, et l'admirable disposition grâce à laquelle tous les details architectoniques de la préfecture ressortaient sous des lignes de feu. En même temps, un feu d'artifice était tiré à la prairie aux cris de vive l'Empereur ! Des danses populaires réunissaient sur la place Royale une foule immense. La population tout entière se livrait à la joie que la présence des Souverains avait répandue sur la ville.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

4 août.

Le 4 août, à neuf heures du matin, l'Empereur est sorti à pied de la préfecture et s'est dirigé vers une tente en velours vert semé d'abeilles d'or, dressée le long de la Noé. LL. Exc. maréchal Vaillant, le maréchal Magnan, les aides de camp de Sa Majesté, le préfet, le maire et M. de Cormette, directeur du haras impérial du Pin, accompagnaient l'Empereur. Depuis le matin, la place et l'avenue de la Préfecture étaient garnies d'un double rang de juments poulinières suitées, d'étalons de trois ans et de pouliches de deux ans, enfin de chevaux hongres appareillés pour l'attelage : en tout environ quatre cents tête chevalines. Tous ces échantillons de l'espèce normande ont défilé devant Sa Majesté, qui les a examinés avec intérêt et qui en a remarqué particulièrement quelques-uns. Après cette exhibition, l'Empereur est allé visiter le lycée Impérial, où les élèves, conduits par le recteur de l'Académie et le proviseur, ont exécuté en chœur le Vive l'Empereur ! de Gounod, et témoigné de leur amour pour le Prince Impérial, qu'ils sont destinés à servir un jour. De là, après avoir visité l'église Saint-Étienne, qui renferme le tombeau de Guillaume le Conquérant, et l'ancienne abbaye de la reine Mathilde, Sa Majesté est retournée à la préfecture, où l'Impératrice, dans le parc magnifique de cet hôtel, honorait de sa présence une remarquable exposition d'horticulture, au milieu des dames patronnesses, dont l'une, Mlle Girard, Lui a adressé le compliment suivant en Lui offrant des fleurs :

MADAME,

Dans ce vaste jardin plein d'ombre et de verdure,

Ou l'art, pour Vous charmer, dispute à la nature

Ses plus riches couleurs ses parfums les plus doux,

Vous nous avez permis de venir jusqu'à Vous.

Nous avions peur d'abord ; mais nous voilà, sans crainte

En voyant la bonté dans Vos regards empreinte.

Après tant de splendeurs, de dons plus précieux,

Que ce simple bouquet puisse plaire à Vos yeux !

Aux fêtes que pour Vous en tous lieux on dispose,

Les plus humbles eux-mêmes apportent quelque chose

Pour leur part des présents que Vous offrent leurs coeurs :

Le pauvre a la prière et nous avons les fleurs.

Leurs Majestés, après avoir admiré les fleurs et les fruits exposés, sont rentrées à la préfecture, où l'Empereur a décoré de sa main plusieurs fonctionnaires, et, à midi, le cortège impérial regagnait la gare du chemin de fer au bruit des salves d'artillerie et des acclamations de la foule. Au départ du convoi, plus de vingt mille personnes remplissaient les vastes prairies qui avoisinent la station : leurs cris enthousiastes de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! ont retenti. Leurs Majestés ont daigné alors, comme pour faire leurs adieux à la ville de Caen, saluer de leur wagon les populations empressées, et le train est parti pour Cherbourg.

BAYEUX.

Une demi-heure après, la cité épiscopale de Bayeux, célèbre par sa magnifique cathédrale dont l'origine remonte au temps de la domination des Saxons, recevait la visite de Leurs Majestés : c'est à la gare, transformée par de splendides décorations que le maire a présenté à l'Empereur les clefs de la ville et a dit ce qui suit :

« SIRE,

Nous avons l'honneur d'offrir à Votre Majesté, selon notre antique usage, les clefs de la ville de Bayeux. Daignez, ainsi que Sa Majesté l'Impératrice, Votre si gracieuse et si bienfaisante Compagne, agréer les respectueux hommages du corps municipal de la ville de Bayeux qui, au nom de la populaticin, est heureux d'offrir ici solennellement à Vos Majestés, les témoignages sincères de son dévouement et de sa reconnaissance, en Les Saluant de ses vives et chaleureuses acclamations de : Vice l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! ».

L'Empereur, après avoir pris les clefs, les a remises aux mains du maire, en lui disant « qu’Il ne pouvait les confier à de meilleures mains qu’à celles de la municipalité d'une ville dont Il connaissait depuis longtemps le dévouernent, les sages et bons sentiments ». Des cris de vive l'Empereur ! ont accueilli ces, bienveillantes paroles de Sa Majesté. Les divers corps constitués ont été ensuite admis à présenter leurs hommages à Leurs Majestés et après cette cérémonie, Mlle Jeanne Ménigot, enfant de cinq ans, fille du sous-préfet de Bayeux, s'est approchée, suivie de six dentellières en grand costume, et, avec beaucoup de grâce, elle a adressé l'Impératrice un compliment en Lui offrant une corbeille pleine de riches dentelles. Sa Majeté, admirant l'opulent costume et les majestueuses coiffures, dites bourgognes, des dentellières, a exprimé le voeu que l’on conservât précieusement la mode de ces belle et gracieuses bourgognes. Puis Elle s'est enquise avec intérêt de la situation de l'industrie dentellière qui fait la richesse et la gloire du pays. Les dentelles offertes à Sa Majesté consistaient en une garniture de mantelet, fabriquée par M. Lefébure et donnée par la ville, et un mouchoir en point de Bayeux de la même fabrique, une pointe en dentelle noire, de la maison Adolphe Pagny, ces deux derniers objets donnés par l'arrondissement.

Le cortége impérial, s'est mis ensuite en marche au milieu d'une haie formée comme dans les autres villes et des acclamations toujours chaleureuses d'une foule immense. Sous le grand portail de la cathédrale, Mgr l’évêque, en chape de drap d’or, la mitre en tête et la crosse à la main, suivi de ses vicaires généraux, de ses chanoines et de presque tout le clergé, du diocèse, attendait les Augustes Voyageurs qui ont descendu de voiture et sont entrés à l'église. L'évêque, ayant présenté l'eau bénite à Leurs Majestés, Les a successivement encensées, et Leur ayant, selon la rubrique, donné à baiser son anneau pastoral, il a prononcé le discours suivant :

« SIRE,

L'Église, habituée à voir les choses de ce monde avec les yeux de la foi, a toujours envisagé les rois et les princes de la terre comme les représentants de Dieu, les lieutenants de la Providence pour le gouvernement des sociétés humaines : c'est à ce titre que la grande et antique église de Bayeux, représentée ici par l'élite de son clergé, vient déposer à Vos pieds des hommages d'autant plus purs et plus sincères qu'ils ont leur principe dans les régions élevées de la conscience et de la foi.

Un devoir non moins impérieux, Sire, nous amène aux pieds de votre Majesté, c'est celui de la reconnaissance. Que d'autres admirent en Vous le Prince visiblement prédestiné par la Providence pour dompter l'anarchie, restaurer le pouvoir, retablir l'autorité, affranchir l'Église et Europe. Ah ! Sire, nous nous associerons de grand coeur à des éloges qui sont déjà du domaine de l'histoire. Mais au milieu de ce grand travail de réparation qui sera la gloire de Votre règne, Vous n'avez oublié aucun genre de restauration, Sire, et alors même qu'une sage réserve nous imposerait un respectueux silence, les pierres de cette basilique, sauvée par, un acte généreux et spontané de Votre volonté souveraine, Vous proclameraient à jamais le bienfaiteur de l'église de Bayeux.

Sire, nous n’avons qu’un moyen d'acquitter la dette sacrée de la réconnaissance, c'est de demander à l'Arbitre souverain, des rois et des peuples qu'il Vous soit donné d'accomplir la magnifique mission que Vous avez reçue d'en haut. Vous l'accomplirez, Sire parce que Dieu le veut ; et fort de la protection du Ciel qui Vous regarde, Vous marcherez appuyé sur cette noble Fille des Guzman, sur cet Ange de piété et de bienfaisance, que Vous avez associée à Vos destinées, et qui, placée sur le trône pour en être l'ornement, a montré, au jour de l'épreuve, qu'Elle sauraite, au besoin, en être la force et le soutien ».

L'Empereur a répondu :

« MONSEIGNEUR,

Je suis heureux, au début de Mon voyage, d'entrer dans cette belle église qui atteste que la foi de nos pères ne trouvait rien de trop beau pour La maison de Dieu. Si J'ai pu faire quelque chose pour sa restauration, c'est avec plus de confiance encore que, dans cette enceinte vénérée, J'unirai Mes prières aux vôtres pour le salut de la France ».

Leurs Majestés ont ensuite traversé la grande nef sous le dais porté par quatre chanoines, et au chant du Domine, salvum fac imperatorem entonné par des chœurs de jeunes gens et répété par le clergé. Elles se sont agenouillées sur des prie-Dieu disposés dans le sanctuaire. Après la prière de Leurs Majestés et la bénédiction épiscopale, Elles ont visité les travaux de restauration si habilement dirigés par M. l'ingénieur Flachat. L'Empereur et l'Impératrice ont témoigné hautement leur admiration, à la vue des gigantesques travaux accomplis ; l'ingénieur avait soulevé la tour colossale de ce beau monument gothique pour la laisser, pour ainsi dire, retomber sur de nouvelles bases, Au sortir de la cathédrale, l'orchestre a chanté le Vive l'Empereur ! de Gounod, et, à l'exemple du vénérable évêque, le clergé tout entier a fait entendre d'une seule voix ce cri national dont les voûtes de la vieille basilique ont retenti. Leurs Majestés, en retournant à la gare au milieu des applaudissements et des vivat, ont passé sous un splendide arc de triomphe où on lisait : NAPOLEONI III SACRAE BASILICAE RESTAURATORI, CLERUS, AEDILES FIDELESQUE DIOECESIS BAJOCENSIS DEDICARUNT.

Le retour de Leurs Majestés à la gare a été une véritable ovation.

CARENTAN.

De Bayeux à Carentan, les populations rurales se tenaient, comme la veille, de distance en distance sur le passage du train, et ces groupes à la tête desquels les autorités locales étaient placées, se livraient à des démonstrations énergiques de joie et de dévouement. A deux heures et demie, le préfet de la Manche, qui s'était rendu à Carentan, y a présenté à Leurs Majestés les autorités de l'arrondissement. S. Exc. le maréchal Baraguey d’Hilliers, dont le commandement supérieur commence au département de la Manche, et le général de division Duchausoy, attendaient à la gare l'Empereur et l'impératrice. Les alentours du chemin de fer étaient couverts d'une multitude considérable dont les cris de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! se succédaient sans interruption. L’Empereur, donnant le bras à l'Impératrice, a parcouru les rangs des députations communes, dont les bannières offraient le plus ravissant coup d’oeil ; et le passage de Leurs Majestés au milieu de ces rangs pressés a excité de nouveau le plus grand enthousiasme. L'Empereur a ensuite examiné avec intérêt quelques types de la race chevaline du Cotentin.

VALOGNES.

Après avoir traversé des sites remarquables et des prairies luxuriantes, le train impérial s'est arrêté quelques instants à Valognes où s'élevait un arc de triomphe. Les costumes pittoresques de la Normandie semblaient s'être donné rendez-vous à cette station. Après les hommages des autorités que Leurs Majestés ont reçus à la portière de leur wagon, des jeunes paysannes ont offert une gerbe de blé, et l'une d'elles a dit à l'Impératrice :

« MADAME,
Simples filles des champs, nous n'avons pas de fleurs à offrir à Votre Majesté : nous osons La supplier d'agréer les prémices de nos moissons. Elles ont été cultivées par des bras qui seraient prêts à défendre le trône de Votre Majesté : elles sont offertes par l'amour et la fidélité »
.

Ensuite ont défilé devant le wagon impérial les députés des communes voisines et une population innombrable qui semblait heureuse et fière d'approcher d'aussi près les Augustes Voyageurs. Les champs voisins, les prairies d'alentour, les abords de la gare, étaient couverts de peuple.

De Valognes à Cherbourg, en traversant les riches campagnes de ce pays si renommé par ses productions agricoles, le convoi impérial a encore été escorté par les populations rurales qui se pressaient le long du chemin de fer ; les maires avec leurs conseils municipaux, les écoles avec leurs maîtres, les religieuses avec leurs élèves, se tenaient à quelque distance et saluaient avec leurs tambours, leurs cris et leurs gestes expressifs, les Augustes Voyageurs dont ils pouvaient à peine distinguer les traits.

A cinq heures le convoi arrivait en gare à Cherbourg.

(J. M. POULAIN-CORBION).

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