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Napoléon III et son voyage à Brest, en Bretagne (en 1858).

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LA MER. BREST. 9 août. La mer. — Brest. — Entrée en rade. — Manifestation populaire. — 10 août. Visite aux principaux établissements et à l'arsenal. — 11 août. Promenade en rade. — Défilé des couples Bretons. — 12 août. Départ pour Quimper.

C'était un imposant spectacle que le départ de cette escadre, longtemps saluée par les batteries de Cherbourg, puis sillonnant avec majesté une mer calme et tranquille, au milieu du silence de la nature qui avait remplacé le bruit des détonations et des vivat. Le temps était favorable : le soleil dardait ses rayons sur le cortége magnifique des vaisseaux français, une brise fraîche et légère en tempérait l'ardeur. A la sortie de la passe à l'ouest de la digue, en entrant en pleine mer, les navires avaient pris leur position de marche dans l'ordre suivant. En tête, la frégate l'Isly, formant l'avantgarde ; puis le vaisseau-amiral la Bretagne, ayant à bord le vice-amiral Romain Desfossés, et commandé par le capitaine de vaisseau Pothuau ; le pavillon tricolore semé d'abeilles, flottant au grand mât de ce beau vaisseau, indiquait la présence de Leurs Majestés Impériales. A droite, à cinq cents mètres, marchait l'Eylau, à gauche, à pareille distance, s'avançait le Donawerth, ayant à bord le contre-amiral Lavaud et commandé par le capitaine de vaisseau de La Roche-Kerandron ; un peu en arrière, mais moins séparés, suivaient les avisos l'Ariel à droite, et le Pélican à gauche. A trois cents mètres derrière, venaient à droite l'Arcole, au centre la Reine-Hortense, à gauche le Napoléon. L'Ulm et l'Austerlitz avaient quitté la rade la veille et devaient rallier l'escadre en vue de l'île d'Ouessant.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

La prière à bord.

Après avoir doublé le cap de la Hogue, l'escadre suit une ligne droite dans la direction d'Aurigny, aperçoit le triple feu des Casquets, et descendant vers le sud-ouest, laisse à gauche les îles anglaises de Guernesey et de Jersey. Le nuit tombe, et, sur tous les vaisseaux, un roulement de tambour se fait entendre. Aussitôt, la population maritime tout entière monte sur le pont, les malelots se rangent de chaque côté faisant face à la dunette ; ils répondent à l'appel ; et, sur la dunette, l'aumônier, entouré, de l'état-major du vaisseau, récite la prière du soir, à laquelle répond tout l'équipage. Il y a quelque chose de grandiose et de solennel dans cette invocation courte, mais expressive, faite à la chute du jour, au nom de ces laborieux et intrépides marins, au Maître suprême des destinées. Les ombres de la nuit qui s'épaississent, les feux aux couleurs variées qui s'allument, les signaux dont le sifflement interrompt de temps en temps le silence des flots en paix ; le ciel sans bornes au-dessus de la tête, l'Océan sans limites sous les pieds, et entre ces deux immensités, la voix de l'homme s'élevant et semblant dire à l'Eternel, comme la légende bretonne : … 0 Dieu ! protégez-moi ! Ma barque est si petite et votre mer si grande !

Au milieu de cette scène imposante, la présence des Augustes Hôtes de l'escadre qui s'associent pieusement à l'élan commun, sur le vaisseau qui porte César et sa fortune : tout cela réuni dans un seul cadre, impressionne fortement les heureux témoins de cet émouvant tableau, et n'en laisse aucun de sang-froid.

La nuit.

La nuit resplendissante d'étoiles favorise le voyage ; de distance en distance, les lumières étincelantes des phares signalaient le voisinage des côtes de Bretagne. Aux premières lueurs du jour, l'île de la Vierge que borde le littoral du Finistère est aperçue au loin, et bientôt, le soleil dissipant la brume matinale, éclaire les récifs qui entourent Ouessant, dont le cortége impérial fait pour ainsi dire le tour avant de se diriger vers l'entrée béante de la rade de Brest.

Pendant leur séjour sur la Bretagne, Leurs Majestés, dont tous les instants sont consacrés au bien de la France, ont su, comme de coutume, utilement employer les loisirs de la navigation. L'Impératrice, vaillante autant que gracieuse, a voulu se mettre au courant de tous les détails si compliqués d'un vaisseau de guerre : accompagnée des officiers de l'état-major, Sa Majesté est descendue dans les entre-ponts, a visité les batteries, s'est enquise des moindres choses, et a laissé les matelots sous l'impression de la bienveillante affabilité avec laquelle elle daignait souvent leur adresser la parole. A sa demande, l'amiral commandant en chef a levé toutes les punitions encourues par les marins de l'escadre, et le télégraphe aérien qui, du vaisseau amiral, transmet les ordres aux autres vaisseaux, a arboré le joyeux signal de l'amnistie. Pendant ce temps, l'Empereur se livrait, avec l'amiral ministre, à l'étude sérieuse de diverses questions intéressant le département de la marine : et, avant l'entrée en rade, un décret imperial, signé en mer et annoncé à l'escadre, accordait un supplément de solde aux chefs de hune et aux gabiers. Inutile de décrire les acclamations par lesquelles les matelots ont accueilli ce nouveau témoignage de la sollicitude impériale.

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Entrée en rade.

Cependant les abords de la rade célèbre où va mouiller l'escadre s'annoncent et se dessinent ; on longe le cap Finistère, on laisse à gauche l'île de Sein, où les druidesses de la vieille Armorique pratiquaient leur culte mystérieux ; et bientôt, l'Ulm et l'Austerlitz, ayant rallié les onze navires qui composent l'escadre, changent leur ordre de marche, et, se disposant en fille, pénètrent, la Bretagne en tête, dans le passage du Goulet, pour se déployer en ligne de bataille dans cette immense rade dont la nature a doté Brest. A peine l'ancre est-elle jetée, que les dix-huit forts qui protégent la rade font entendre trois salves de toute leur artillerie : les vaisseaux de la rade continuent cet imposant salut, et, au moment où l'Empereur et l'Impératrice, qui avaient été reçus à bord de la Bretagne par le vice-amiral Laplace, préfet maritime, et son état-major, sont descendus dans le canot impérial, l'escadre tout entière y répond encore par trois détonations qui retentissent au loin. Le canot d'honneur, qui conduit Leurs Majestés à terre, est une embarcation très-élégante à galerie, blanc et or, surmontée de quatre génies qui soutiennent la couronne impériale en forme de dôme : il servit autrefois à l'Empereur Napoléon Ier, lorsqu'à Anvers il visita son escadre de l'Escaut.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

Rien de plus majestueux que le spectacle offert en ce moment de tous côtés : en rade, avec l'escadre impériale, la frégate l'Ardente, le vaisseau-école le Borda, la Thétis, frégate-école des mousses, la Somme, le Coligny, corvettes à vapeur, une autre corvette portant le pavillon russe ; de nombreux bâtiments de transport et des navires de commerce sillonnent les flots et élèvent dans les airs leurs mâts pavoisés. En face, la ville de Brest présente ses murailles, son vieux château, ses monuments disposés en amphithéâtre ; sur les coteaux, sur les falaises, sur les rochers, partout où le regard peut se poser, des milliers de spectateurs sont groupés, et à mesure que le canot impérial s'avance vers le port, ces fourmilières de populations se remuent, s'agitent, se lèvent, et saluant de leurs chapeaux, de leurs mouchoirs, de leurs bras tendus et de leurs cris d'enthousiasme, semblent frémir d’impatience.

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Brest.

C'est au milieu de ces démonstrations impossibles à décrire que les Augustes Souverains de la France posent enfin le pied, sur le sol breton.

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C'est dans l'arsenal, dans ce port militaire, orgueil de la France et envie du monde entier, que débarquait Leurs Majestés Impériales, Elles sont reçues par le préfet maritime, le préfet du Finistère, le général Anfrey, comandant le département, le sous-préfet de Brest, les corps d'officiers de marine et de l'armée de terre, et les autorités maritimes. Les ouvriers du port, groupés devant leurs ateliers, l'infanterie de marine et les équipages de la flotte formaient la haie, et saluaient des cris de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! l'arrivée de Leurs Majestés. En sortant de l'arsenal, l'Empereur et l'Impératrice ont été reçus par les autorités civiles, judiciaires et administratives, en tête desquelles se trouvaient le conseil municipal et le Maire qui, en présentant à l'Empereur les clefs de la ville a dit à Sa Majesté :

« SIRE,

Il existe pour les magistrats municipaux des situations où la parole devient impuissante à traduire les sentiments et laisse l'expression de la pensée bien au-dessous des mouvements du coeur. En présence de Vos Majestés je me sens dans cette situation. Je voudrais Vous exprimer toute la joie répandue par Votre visite au milieu de la population brestoise. Je voudrais Vous dépeindre combien chacun s'estime heureux d'obtenir une faveur si haute et si longtemps désirée, et pas une phrase suffisamment explicative de l'allégresse publique ou de mes sensations personnelles ne s'offre à mon esprit. Mon embarras s'explique naturellement, Sire : par quels mots retracerais-je Vos efforts constants pour le repos, la grandeur, et la prospérité de la France ? par quelles locutions pourrais-je rendre la prudence et la fermeté de Votre politique ramenant l'ordre, au sein du pays, élevant la gloire de nos armes à la hauteur des plus grands triomphes du premier Empire, et rouvrant pour les intérêts moraux et matériels d'une grande nation toutes les sources de fecondité, abondantes comme elles ne s'étaient jamais montrées ? Dans le spectacle émouvant d'un grand génie en lutte avec les difficultés et les périls d'une reconstitution dynastique, nous avons vu la Providence Vous couvrir constamment de son égide, le peuple Vous départir huit millions de suffrages ; Vous êtes devenu tout à la fois l'Elu de la grâce divine et de la volonté nationale. Aujourd'hui c’est, un devoir pour quiconque est le moindrement imbu de religion et de patriotisme de Vous consacrer sans réserve, sa gratitude son dévouement et son admiration.

« Permettez-moi donc, Sire, de Vous manifester les dispositions de l'esprit public dans la ville de Brest par un acte en rapport avec sa reconnaissance pour Vos bienfaits. Recevez les clefs de la capitale maritime de Votre Empire. Jusqu'à ce jour, jamais Souverain ne l’avait encore honorée d'une visite. Entrez-y au milieu d'une foule impatiente de Vous accueillir et d'acclamer un nom à jamais inscrit sur tant de choses utiles et grandioses. Quand Vous aurez apprécié, par Vous-même, Sire, les avantages du port de Brest, Votre sollicitude s'étendra plus bienveillamment encore sur une localité si pleine de richesses propres à développer Votre puissance navale, si pourvue de ressources nécessaires à l'accroissement du commerce de la France avec le monde entier.

Quant à Vous, Madame, Vous avez entouré le trône de trop d'actions charitables, de trop de qualités précieuses et de charmes naturels pour ne pas rencontrer sur le sol armoricain, où le culte de la loyauté est traditionnel, toute la profonde et respectueuse affection dont Vous devez être l'objet. La Providence en Vous accordant un Fils, n'a pas seulement voulu flatter Votre coeur d'Impératrice et sourire, à Votre tendresse de Mère, elle a prétendu faire aimer davantage, par tout un peuple, Celle dont le bonheur de famille devenait un gage de sécurité pour l'avenir de la France, et dont les vertus bienfaisantes avaient déjà su contraindre les plus malheureux à la bénir. Laissez-moi Vous dire avec toute l'effusion et la simplicité de la franchise bretonne : Madame, nous Vous aimons du plus profond de nos âmes. Pour l'Empereur, pour Votre Majesté et pour le Prince Impérial, en toutes circonstances, les habitants de la vieille Armorique sauront avoir des coeurs et des bras.

Vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince impérial ! ».

L'Empereur a répondu qu'Il désirait depuis longtemps visiter la ville de Brest ; qu'Il était heureux de l'accueil splendide qu'on Lui faisait et qu'il espérait, pendant son séjour, pouvoir résoudre plusieurs questions d'un grand intérêt, et dont Il s'était occupé avant son départ.

Mlle Bizet fille du maire, a ensuite offert à l'Impératrice, une corbeille de fleurs, et, prenant la parole au nom de ses compagnes, elle s'est exprimée en ces termes :

« MADAME,
Tous les âges doivent s'empresser d'accueillir avec transport Votre Majesté. — Permettez-donc à celles qui viennent à peine d'entrer dans la vie de Vous offrir leurs hommages respectueux. Par Vos exemples, Vous nous initiez à la pratique de la bienfaisance, Vous ouvrez nos coeurs aux délices de la charité chrétienne, aux désirs des bonnes oeuvres ; Vous nous préparez à remplir la véritable mission de la femme dans le monde, celle de soulager les infortunes honnêtes en partageant avec elles tout ce que le devoir permet d'offrir. Soyez heureuse autant que Vous êtes bonne, et, qu'en échange de Vos bienfaits, la Providence ne cesse jamais de Vous combler des siens. Tels sont nos voeux pour l'Empereur, pour Votre Majesté et pour le Prince Impérial »
.

Entrée de Leurs Majestés.

Après avoir refusé, dans des termes bienveillants, de se servir de la belle calèche que la ville mettait à Leur disposition, Leurs Majestés sont rentrées dans Leur voiture, où ont pris place LL. Exc. le grand maréchal du palais et l'amiral ministre de la marine. Le maréchal Baragney d'Hilliers, les dignitaires de la Cour, les officiers supérieurs et les principaux fonctionnaires suivaient dans d'autres voitures. Le cortége s'est dirigé vers l'église Saint-Louis, au milieu d'une haie formée par les sapeurs-pompiers, les élèves du lycée impérial, les médaillés de Sainte-Hélène, les députations des communes, l'infanterie de ligne et les douaniers. La longue rue suivie par Leurs Majestés était décorée avec un goût exquis ; des mâts vénitiens, reliés entre eux par des guirlandes de verdure et de fleurs qui formaient comme un berceau au-dessus de l'Empereur et de l'Impératrice, l'ornaient dans toute son étendue. Les maisons étaient tapissées de drapeaux et d'étendards, et un peuple innombrable, au milieu duquel on reconnaissait les costumes pittoresques de la Basse- Bretagne, ne cessait, avec une émotion visible, d'acclamer Leurs Majestés et de faire entendre des vivat pour le Prince Impérial.

Réception à l'église.

A la porte de l'église, Mgr Sergent, évêque de Quimper et Léon, assisté de ses vicaires généraux, de Mgr. Sauveur, prélat romain, du curé de Brest et qe nombreux ecclésiastiques, ayant offert à Leurs Majestés l'eau bénite et l'encens, Leur a adressé discours suivant :

« SIRE,

La Bretagne est heureuse et fière de l'honneur qu'elle reçoit.

Cette noble province avait depuis plusieurs siècles fixé l'attention des Souverains. Jamais cependant elle n’avait obtenu le témoignage d'estime et d'affection que Votre Majesté lui accorde aujourd'hui.

Chrétiens et laboureurs, les Bretons Vous remercient de Votre amour pour la religion et des encouragements que Vous donnez à l'agriculture ; ils ont applaudi quand un bras puissant a remis la pyramide sur sa base. Ils ont admiré le génie qui, après avoir conçu et dirigé une guerre lointaine, imposait sa sagesse aux congrès et leur dictait la paix.

Ils ont, été remplis de vénération en voyant une charité intrépide se précipiter au milieu des inondations, et secourir les populations désolées.

Sire, les enfants de l'Armorique, trempés pour les travaux et les périls, ne se contentent pas de donner à Vos armées de braves soldats et à Vos flottes des marins que toutes les nations admirent, ils fournissent en même temps à l'Église de dignes prêtres, d'excellents missionnaires. Votre Majesté ne saurait faire un pas dans leur pays sans rencontrer d'héroïques souvenirs et toutes les fois qu'Elle mettra en eux sa confiance, Elle reconnaîtra la vérité de ce que disait un de leurs chevaliers lors du passage de Marie Stuart à Morlaix : Jamais Breton ne fit trahison ».

« MADAME,

Votre gracieuse présence rappelle à ce peuple sa chère duchesse, dont le royal époux était aussi le Père du peuple. Une voix éloquente autant que respectée avait appris à la France que Vous étiez catholique et pieuse, Vos bonnes oeuvres le lui redisent chaque jour. La vieille patrie de Jeanne de Penthièvre et de Jeanne de Montfort se connaît en courage et en dévouement. Elle a tressailli au récit de la fermeté que naguère Vous avez déployée dans une douloureuse circonstance. Toutes ses sympathies, Madame, et, tous ses voeux Vous sont acquis. Elle priera Dieu de Vous protéger toujours, de bénir l'Empereur et de veiller sur Votre Fils bien-aimé, afin qu'il se rende, comme nous l'espérons, digne de Ses grandes destinées ».

L'Empereur a répondu qu'Il se félicitait, à son arrivée en Bretagne, d'être reçu par un clergé aussi recommadable que le clergé breton, et qu'Il allait se joindre à lui pour demander au Ciel de continuer sa protection à la France, et de seconder les efforts de tous ceux qui travaillent au bien du pays.

Leurs Majestés sont entrées ensuite dans l'église sous le dais porté par les membres de la fabrique : le clergé du diocèse assistait presque tout entier à cette imposante cérémonie. Un Domine salvum et un Tantum ergo ont été chantés avec un ensemble remarquable par les artistes de la Société chorale de Brest, et la bénédiction du saint sacrement a été donnée par l'évêque. Leurs Majestés se sont ensuite dirigées vers la préfecture maritime, dont la façade était ornée avec magnificence. Partout sur Leur passage Elles ont reçu les plus ardents témoignages de la joie et de l'affection des populations bretonnes.

Manifestations populaires sur le champ de Bataille.

Entrées à la préfecture, Leurs Majestés ont paru sur la terrasse du jardin qui domine le champ de Bataille : des milliers de spectateurs et des députations bretonnes, en défilant par cantons, maires et curés en tête, dans l'allée qui borde la terrasse, ont fait entendre à plusieurs reprises les cris de vive l'Empereur ! Vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! C'était un spectacle émouvant que celui de celle multitude, s'agitant comme la mer sur la vaste place qu'elle encombrait, et donnant les marques les plus expressives de son enthousiasme pour les Illustres Visiteurs de la Bretagne. La satisfaction la plus vive brillaint aussi sur le visage de Leurs Majestés, qui saluaient avec effusion : l'impératrice, dont la beauté et l'expression d'angélique douceur excitaient l'admiration de la foule, répondait par de gracieux sourires aux hommages empressés des populations, et il semble qu'à Son approche les vivat pour le Prince Impérial redoublaient, comme si cette foule eût voulu réjouir le coeur de la Mère en faisant des voeux ardents pour la conservation du Fils. Le soir, après le diner, quand, à la clarté des illuminations, Leurs Majestés ont paru de nouveau sur la terrasse du jardin, ces mêmes démonstrations se sont renouvelées, et on peut dire que le peuple de Brest inaugurait dignement le voyage impérial en Bretagne.

Réceptions.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

Avant le diner de Leurs Majestés, les présentations officielles ont eu lieu. On y remarquait l'amiral baron Grivel, le baron de Lacrosse et le comte de Mesonan, sénateurs ; les députés du Finistére,  Mgr. l'évêque et son clergé, des officiers généraux, tous les maires de l'arrondissement, la plupart en costume national, et un nombreux concours de fonctionnaires de tous ordres venus de tous les points du département. Pendant la réception, le président du tribunal de Brest a adressé à l'Empereur le discours suivant :

« SIRE,

Les magistrats du tribunal de Brest, ses avocats, ses avoués et ses officiers, s'empressent d'apporter à l'Empereur et à l'Impératrice l'hommage de cette vieille loyauté bretonne qui n'est, aujourd'hui que le patriotisme du bon sens, du devoir et de la reconnaissance.

La Providence, Sire, en Vous accordant un fils, Vous a signalé au monde comme le continuateur d'une Dynastie qui ne doit pas périr.

Par cette faveur insigne elle a voulu récompenser en Vous l'homme de tous les succès et de toutes les gloires. C'est assez dire qu'elle protége toujours la France.

Sans doute, Sire ces souvenirs du passé qui pendant si longtemps se sont identifiés avec nos traditions nationales, sont encore de nobles et pieuses reliques, et nous les respectons.

Mais lorsque le doigt de Dieu Vous désigne aussi manifestement aux acclamations et à la reconnaissance des peuples, il faut bien, Sire, après tant d'orages, que nous ayons foi dans l'étoile de Votre destinée.

Voilà pourquoi de cette terre lointaine où Votre présence est un si grand événement, nous reportons désormais nos voeux, nos sympathies et nos espérances sur ce jeune Prince Impérial qui doit, apprendre de Vous à illustrer encore la couronne de la France et l'aigle des Napoléons ».

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10 août.

Le lendemain matin, une foule considèrable circulait de bonne heure dans les rues de la ville : la joie, l'animation, la gaieté la plus vive brillaient sur tous les visages de ces Bretons aux costumes variés, qui recevaient pour la première fois l'honneur d'une visite impériale. C'est vers la préfecture maritime que se portait surtout la population, avide de saisir le moment de la sortie de Leurs Majestés, pour contempler Leurs traits augustes et Les saluer, comme la veille, de ses acclamations chaleureuses. Pendant la matinée, l'Empereur a reçu en Son cabinet plusieurs chefs de services, et S'est livré avec eux à l'examen des questions d'intérét général qui avaient déterminé Son voyage. Pour donner une idée de l'attention scrupuleuse avec laquelle Sa Majesté étudie ce qui peut être utile aux pays qui ont l'honneur de Sa visite, mentionnons que, dans la matinée du 10 août, Elle S'est longuement entretenue avec M. de Kerjégu, membre du conseil général, de l'amélioration de la voierie vicinale et rurale dans le Finistère, dont Elle a daigné suivre le tracé sur la carte. Avec le même conseiller général, qui a conservé la meilleure impression de cette longue audience, Sa Majesté voulut bien S'enquérir de ce que concerne l'achèvement du canal de Nantes à Brest, et lui faire pressentir à cet égard une décision favorable. Enfin, Elle daigna promettre de visiter le lendemain les travaux gigantesques du pont Napoléon III, qui doit relier les deux rives de la Penfeld.

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Visite au quartier et à l'hôpital de la Marine.

A une heure, l'Empereur et l'Impératrice se rendaient en voiture au quartier de la Marine, accompagnés des ministres de la guerre et de la marine, et suivis d'un nombreux cortége. Le quartier de la Marine est un édifice monumental avec pavillon carré au centre, devant lequel se trouve une vaste place d'Armes entourée d'arbres : la caserne contient dix-huit cents hommes d'infanterie de marine et quatre cents artilleurs. A leur arrivée, Leurs Majestés ont été reçues par l'état-major, et les troupes d'infanterie et d'artillerie de marine rangées en bataille. Après la revue et la distribution des décorations par l'Empereur, les troupes ont défilé devant Leurs Majestés aux cris répétés de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! — Du quartier de la marine, le cortége impérial s'est dirigé, toujours suivi d'une foule immense, vers le bel hôpital de la marine, dit de Clermont-Tonnerre : les administrateurs, le corps médical, les religieuses de la Sagesse attendaient à la porte principale les Augustes Visiteurs, qui out parcouru presque toutes les salles de cet immense hospice. En passant devant les lits, l'Empereur s'arrêtait pour adresser aux malades des paroles d'encouragement ; et l'Impératrice, avec cette grâce et cette bonté qui La caractérisent, S'informait particulièrement de la position des jeunes mousses blessés à bord, leur adressait à tous quelques consolations, et déplorait l'espèce de nécessité qui forcé ces jeunes enfants à se livrer dès le bas âge à de périlleux exercices. On a entendu Sa Majesté dire au ministre de la marine, avec un véritable accent de douleur : « Combien il est triste, monsieur, de voir pendant le service autant d'hommes blessés par accident ! ».

En quittant les salles, l'Empereur a promu ou nommé dans la Légion d'honneur plusieurs des administrateurs et des médecins de l'hospice, et Sa Majesté a voulu Elle-même remettre la croix et la médaille à un officier et à un soldat blessés dans leur service.

Leurs Majestés ayant témoigné le désir de voir la chapelle, y ont été reçues par M. l'abbé Coquereau chanoine de Saint-Denis, aumônier en chef de la flotte, assisté de M. l'abbé Lucas, aumônier ; M. Coquereau a prononcé le discours suivant :

« SIRE, MADAME,

En sortant de ma paroisse flottante, ce m'est une grande joie de recevoir sur le seuil de cette chapelle Vos Majestés Impériales.

Sous Vos pas, Sire, les améliorations sérieuses naissent, comme sous les Vôtres, Madame, l'allégement à bien des douleurs et boutes les douces espérances.

Cette petite chapelle, Sire, est un rude calvaire à gravir pour nos pauvres blessés, et son exiguïté ne permet pas à près de douze cents de nos chers malades de trouver sous ses voûtes trop étroites le repos et les consolations dont ils ont tant besoin.

Votre Majesté est ici ; tout se réparera, j'en ai la confiance, et la prière cette prière que Dieu exauce toujours, la prière de celui qui souffre ici-bas et de ces saintes religieuses si dévouées, montera reconnaissante vers Dieu, et redescendra en larges bénédictions sur Vous, Sire, sur Vous, Madame, et sur cette tête si chère et si gracieuse de l'Impérial Enfant ».

Sa Majesté a répondu en ces termes :

« Oui, Monsieur l'aumônier en chef, Je laisserai ici, ainsi que vous le demandez au nom de tous, les traces de Mon passage, et Je donnerai des ordres pour que cette chapelle, trop étroite, soit agrandie ; bien heureux des vœux que formeront pour Moi, pour l'Impératrice et pour Mon Enfant, les prières partant de cœurs dévoués et de bouches plus nombreuses. ».

Visite à l'arsenal.

Après avoir prié devant l'autel, Leurs Majestés ont quitté l'hôpital, où Leur visite laissait les plus douces impressions, et Se sont rendues à l'arsenal, où le préfet maritime, suivi des autorités supérieures et des chefs de service, a présenté à l'Empereur les clefs de ce vaste établissement militaire et naval. Sur les vergues des six vaisseaux de ligne et des nombreux navires de guerre mouillés dans le port de Brest, les équipages ont salué sept fois des cris de vive l'Empereur ! la présence du Souverain ; puis Leurs Majestés ont traversé à pied la place du Magasin général, le pont flottant qui conduit de Brest à Recouvrance, et ont visité les grands ateliers des machines-outils. Dans tout ce trajet, les troupes de la marine, les équipages de la flotte, les ouvriers du port et les nombreux spectateurs ne cessaient de faire entendre les plus vives acclamations.

Ayant gravi le plateau des Capucins, Leurs Majestés sont entrées dans un immense atelier de fonderie, où Elles ont assisté à la curieuse opération du coulage d'un balancier et d'une hélice. En sortant, Elles ont pris place sous une tente élevée sur le plateau, d'où la vue s'étend sur l'ensemble du port ; de cette hauteur, on apercevait, à un kilomètre environ, les roches de Kerliverzen, où doit être creusé un nouveau bassin. Une mine, chargée de 10 000 kilogrammes de poudre, avait été disposée dans cette montagne : au signal donné, le feu a été mis et, après quelques minutes d'attente, la mine a éclaté presque sans bruit, lançant à plus de cinquante pieds en l'air un cube énorme de terrain qui est retombé en se pulvérisant comme une cascade de terre. Aussitôt après, l'Empereur et l'Impératrice, remontant dans Leur canot le cours de la Penfeld, se sont rendus à la Ville-Neuve, où de vastes forges revivifient chaque année plus de 1 200 000 kilogrammes de vieux métaux. En quittant la Ville-Neuve, Leurs Majestés sont montées dans Leurs équipages et sont rentrées en ville par la belle route de Saint-Renan. « Les cris répétés de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Imperial ! partout où Leurs Majestés passent et s'arrêtent, dit l'Océan, journal de Brest, se renouvellent chaque fois avec un enthousiasme si vrai et si vif, qu'il se communique à tous avec une ardeur visiblement agréable à Leurs Majestés ».

Bal.
Le soir, l'Empereur et l'Impératrice se sent rendus dans les voitures de gala au bal offert par la ville de Brest : sur le parcours impérial, les rues étaient éclairées à giorno. Une salle immense et splendidement décorée contenait plusieurs milliers d'invités. Autour de la salle, huit gradins s'élevant en amphithéàtre étaient garnis de dames ; au-dessus avaient été disposés deux étages de tribunes séparées par des tentures de velours rehaussé d'or, et remplies de spectateurs. Au fond, sur une estrade, s'élevait, sous un dais de velours rouge, le trône de Leurs Majestés. L'accueil fait aux Souverains à leur entrée dans la salle a été une véritable ovation. Quand l'enthousiasme a enfin permis à l'orchestre de se faire entendre, le quadrille impérial s'est ainsi formé :

L'Empereur, dansant avec Mlle Bizet, fille du maire.

L'Impératrice et M. Bizet, maire.

L'amiral Hamelin, ministre de la marine, et Mme La Place.

Le vice-amiral La Place et Mme la baronne Richard, femme du préfet du Finistère.

Le contre-amiral Pénaud, et Mme Gouin, femme du président du tribunal civil.

Le général Anfry et Mme Pénaud.

M. Conseil, député, et Mme de Labédoyére, dame du palais.

Le préfet du Finistère avec la femme du receveur général, Mme Gasson, l'une des filles du maréchal duc d'Isly.

S. A. Mme la princesse Baciocchi assistait au bal ainsi que les marèchaux Vaillant, Baraguey d'Hilliers et duc de Malakoff.

Après le quadrille impérial, cinquante jeunes couples bretons se tenant par la main ont fait leur entrée dans la salle, et, précédés du hautbois et du traditionnel biniou, ils ont défilé devant le trône de Leurs Majestés en Les saluant des cris de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince impérial ! proférés avec un élan et une énergie qui prouvaient assez que ces acclamations partaient du coeur. On remarquait parmi eux les costumes les plus riches et les plus élégants du Finistère : une variété originale, une opulente simplicité en faisaient comme le cachet. Les hommes portaient presque tous les bas de couleur, les soulier plats à large boucle d'argent, ces culottes larges et battantes célèbres en Bretagne sous le nom de bragou-brass, qui avaient fait donner par les Romains à cette partie de la Gaule le surnom de Braccata ; des grandes vestes à basques brodées d'or, ou des vestes courtes, serrant les hanches ; grand gilet historié à triple rang de boutons d'or ou d'argent, et, en main, le chapeau à larges bords entouré d'un ruban d'argent, et, pour la circonstance, paré de banderolles aux couleurs nationales. Le costume des femmes était remarquable de richesse ; il est difficile de décrire leurs coiffures que diffèrent par canton et quelquefois par commune, comme dans presque toute la Bretagne. Cependant, le plus souvent, c'était un échafaudage de dentelles parfaitement dressé, soutenu par des coiffes d'étoffe brochée ; ou bien de petits bonnets ronds sillonnés par des fils d'or ou d'argent qui retenaient au-dessus du cou les longs cheveux de la jeune fille ; ou bien encore de ces coiffures indescriptibles qui rappellent la forme de quelques-uns de ces coquillages épars sur les grèves armoricaines. Les robes ou cotillons étaient le plus souvent en brocart rouge ou en fine laine de la même couleur, rehaussée de bandes dorées ; les tabliers en soie ou en dentelle, avec une bavette que recouvre la poitrine et sur laquelle brillaient les bijoux domestiques, les vieux souvenirs de la famille, ces reliquaires vénérés, ces croix d'or, ces cœurs d'argent transmis de génération en génération.

Leurs Majestés ont paru prendre un vif plaisir à considérer ces curieux costumes, et l'air de joie et de franche gaieté qui brillait sur tous les visages ; avant de quitter la salle, les couples bretons ont exécuté, au son du biniou, les danses du pays, danses légères, sautillantes, parfaitement mesurées, et se sont livrés aux plus expressives démonstrations d'enthousiasme pour l'Auguste Personne de Leurs Majestés.

Avant de remonter en voiture l'Impératrice a bien voulu accepter un élégant album que Lui a présenté le maire de Brest ; il contenait les portraits à l'aquarelle des paysans bretons, en grand costume traditionnel, dessinés par M. Caradec, artiste distingué. M. le maire y a joint l'hommage poétique suivant :

MADAME,
Sous le poids des grandeurs, si Votre âme affaissée
Parfois cherche un repos qu'exclut le décorum,
Aux bords armoricains portez Votre pensée ;
Revenez parmi nous en ouvrant cet album.
De nos francs Bas-Bretons revoyez les visages.
Aux ardeurs du soleil brunis dans leurs travaux.
La gloire du pays les vit à tous les âges
Travailleurs dans les champs, braves sous les drapeaux.
Quand le soir du labeur a fermé la carrière
Et, les ramène heureux au chaume hospitalier,
Votre nom vénéré se mêle à la prière
Qui, pour monter au ciel , part de l'humble foyer.
Vous êtes du logis l'auguste protectrice ;
Ils bénissent les dons tombés de Votre main ;
Tous, le coeur plein d'amour, voient en l'Impératrice
L'ange consolateur qui les suit en chemin,
A leur pieux respect laissez une espérance ;
Celle qu'ils revivront dans Votre souvenir :
Vous aimer.... c'est avoir de l'amour pour la France !
Vous aimer... c'est aimer le Dieu qu'il faut bénir !

11 août. — Visite au pont Napoléon III.

Dès huit heures du matin, le lendemain, l'Empereur, accompagné du grand maréchal du Palais, ministre de la guerre, de l'amiral ministre de la marine, du maréchal Baraguey d'Hilliers, du préfet maritime et de ses aides de camp, s'est rendu sans escorte et presque incognito à bord de l'Elorn, pour visiter les travaux exécutés dans la rade, et principalement ceux du Portzic. Sa Majesté s'est occupée en particulier de l'emplacement possible d'un port de commerce à Brest, dont plusieurs hommes intelligents et dévoués du pays désirent depuis longtemps la création. A son retour dans le port, Sa Majesté a remonté la Grand'Rue jusqu'au haut de la rue de Siam, où Elle était attendue par M. le préfet du Finistère, M. le sous-préfet, M. le maire, M. le baron de Lacrosse, sénateur, président du conseil général, M. de Kerjégu, président du conseil d'administration du pont Napoléon III, M. Odry, ingénieur, M. Le Tessier de Launay, entrepreneur du pont. L'Empereur a parcouru à pied la nouvelle voie qui conduit à la passerelle du pont, et Sa Majesté a daigné exprimer aux ingénieurs sa satisfaction sur la grandeur du projet et la hardiesse de l'exécution. Les ouvriers de la ville et les sapeurs-pompiers s'étaient rendus spontanément sur le passage de l'Empereur, pour témoigner une fois encore à Sa Majesté, par leurs chaleureuses acclamations, la reconnaissance qu'ils éprouvaient pour les bienfaits et les largesses que dans la journée précédente Leurs Majestés avaient répandus sur la ville.

Après cette visite, l'Empereur est allé sur le champ de Bataille passer en revue le 7ème régiment d'infanterie de ligne, un escadron du 6ème hussards et une compagnie de canonniers vétérans, et Il y a distribué quelques récompenses. L'Impératrice, qui était sur la terrasse du jardin à recevoir une députation de Morlaix, descend, sous un soleil ardent, rejoindre l'Empereur, et assister au défilé. Aussitôt la foule, comprenant tout ce que cette démarche de Sa Majesté avait de bienveillant, a salué l'Impératrice des plus chaleureuses acclamations.

Réception des députations morlaisiennes.

La rentrée à l'hôtel de la préfecture maritime, l'Empereur a reçu des députations de la ville et de l'arrondissement de Morlaix, qui venaient exprimer tout le regret qu'éprouvaient les populations de l'arrondissement de n'être pas visitées par Leurs Majestés Impériales. Le maire de Morlaix prenant la parole au nom de toutes les députations, a prononcé le discours suivant :

« SIRE,

Heureux d'une faveur qui adoucit ses regrets de n'avoir pu posséder Votre Majesté, l'arrondissement de Morlaix Vous offre par notre organe l'hommage de son amour et de sa reconnaissance. Profondément touches de la sollicitude qui Vous a porté à venir étudier par Vous-même les vœux et les besoins de la Bretagne, nos énergiques et loyales populations s'attacheront de plus en plus au Souverain qui a sauvé la France ; à l'Impératrice, sa noble et gracieuse Compagne dont la charité est si touchante ; au Prince que Dieu dans sa bonté a bien voulu accorder à Leurs prières.

Sire, il est bien doux pour nous le moment où nous pouvons dire à Votre Majesté que nous L'aimons et qu'Elle peut toujours compter sur nos coeurs et sur les bras de Ses fidèles Bretons ».

L'Empereur a répondu qu'Il regrettait vivement que le temps Lui manquât pour visiter la ville de Morlaix, mais que pendant Son séjour à Brest, Il s'était occupé des intérêts des populations morlaisiennes, et qu'Il était très touché de l'empressement que toutes les communes de l'arrondissement avaient mis à se porter sur Son passage. Après ces paroles, les députations ont défilé dans cet ordre : le sous-préfet, le tribunal civil, le tribunal de commerce, la chambre de commerce, le maire de Morlaix les adjoints, le conseil municipal, les maires, les conseillers d'arrondissement, les députations de la Société d'agriculture de Morlaix et des comices agricoles de Saint Thégonnec, Landivisiau, Plouzévédé, Plouescat, Saint-Pol de Léon, Lanmeur et d'autres cantons.

Promenade en rade.

Vers deux heures, l'Empereur et l'Impératrice, accompagnés de leur suite, sont allés visiter la belle promenade du cours d'Ajot, d'où l'oeil plane sur l'ensemble de la rade ; le château, dont les tours gigantesques dominent l'entrée du port ; ce bâtiment considérable renferme à la fois une caserne ; une prison et un pénitencier militaire. Leurs Majestés Se sont ensuite rendues à la mer, et, au moment où Elles allaient S’embarquer, une femme en deuil portant dans ses bras un enfant de cinq ans, a franchi la haie faite par les troupes et s'est précipitée aux pieds de l'Empereur. C'était la veuve d'un soldat de Crimée, laquelle Sa Majesté fait depuis l'année dernière une pension sur Sa cassette : elle venait ainsi exprimés sa reconnaissance. L'Empereur l'a relevée avec bienveillance, l'Impératrice a caressé son petit enfant, et la foule émue de cet incident où se révélait encore la bonté de Leurs Majestés, a fait entendre un cri unanime de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince impérial !

Les Augustes Voyageurs se sont embarqués dans Leur canot pour faire une excursion dans la rade : le temps le plus magnifique favorisait cette promenade nautique, et la rade présentait un admirable coup d'oeil. De nombreux vaisseaux pavoisés, dont les vergues étaient couvertes de matelots prêts à faire le salut impérial, des navires de toute espèce également pavoisés, des yachts, des vapeurs sillonnant la mer, des canots remplis de spectateurs, tel était l'aspect de l'immense rade parcourue par Leurs Majestés.

Le canot impérial s'est dirigé d'abord vers la frigate la Thélis qui sert d'école aux mousses. Ces enfants ont excité tout particulièrement l'intérêt de l'Impératrice, qui a retrouvé parmi eux le jeune Perret qu'Elle avait décoré d’une médaille d’or pour le courage et le dévouement dont cet enfant avait fait preuve, en ramenant au port son bâtiment éprouvé par la tempête et la maladie, et sur lequel il était resté seul. De là, Leur Majestés sont allées visiter le Borda, vaisseau-école des aspirants de marine. L'empereur a fait manoeuvrer ces jeunes gens devant Lui, et s'est enquis avec intérêt de tout ce qui a trait à leurs études et à leurs exercices. Pour témoigner Sa satisfaction de la précision avec laquelle les mouvements avaient été exécutés, Sa Majesté a daigné inviter à dîner le premier élève de l’école. Sur ces vaisseaux, les cris les plus enthousiaste ont accueilli l'arrivée et le départ de Leurs Majestés. Ayant ensuite monté sur Leur yacht la Reine-Hortense, l'Empereur et l'Impératrice ont traversé toute la rade et ont suivi la rivière de Châteaulin jusqu’au–dessous de Landévenec, pour visiter l'anse dans laquelle on réunit une partie des vaisseaux désarmés. Pendant cette promenade, Leurs Majestés ont exprimé à plusieurs reprises Leur admiration sur la beauté des paysage qui se déroulaient à Leurs yeux. Le cortége impérial, salué par une triple salve d’artillerie, est rentré à la préfecture maritime à sept heures.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

 

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

Adieux de la population.

Après le dîner, où l'Empereur avait invité les principales autorités et quelques représentants de l'industrie et du commerce de Brest et de Morlaix, Leurs Majestés se sont promenées sur la terrasse du jardin, splendidement éclairée. Une population innombrable était réunie sur le champ de Bataille : des illuminations, des jeux, des spectacles gratuits, occupaient sa curiosité. Mais aussitôt que la présence des Augustes Hôtes de Brest s'est manifestée sur la terrasse, des milliers de voix se sont élevées, et avec une insistance que le prochain départ de Leurs Majestés semblait expliquer, ont répété pendant longtemps et avec une animation tout à fait remarquable les plus chaleureux cris de vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial !. Leurs Majestés, qui remerciaient par Leurs saluts, ont paru touchées de ces témoignages si expressifs du dévouement des habitants de Brest. Après la rentrée de Leurs Majestés, les jeux publics ont recommencé, et des danses populaires, au son du biniou, se sont organisées.

12 août. — Départ de Leurs Majestés.

Le lendemain, à huit heures et demie du matin, Leurs Majestés quittaient la ville de Brest où Elles avaient trouvé une réception si sympathique et si dévouée. Heureux de cet accueil, l'Empereur laissait aux mains du maire de la ville des traces de sa munificence, et les établissements charitables se sont ressentis de la visite impériale : de son côté, l'Impératrice avait distribué des souvenirs qui seront chers et précieux aux personnes qui en ont été honorées. On racontait dans les familles des anecdotes qui prouvaient à la fois et la bonté de Leurs Majestés et l'empressement du peuple à recueillir et à répandre tout ce qui concernait les Souverains. On disait que dès le jour de l'arrivée, Sa Majesté, voulant sécher des larmes, avait obtenu de l'Empereur la grâce pleine et entière de cinq condamnés laissés au choix du procureur impérial. Enfin on considérait partout la visite des Souverains comme devant être la source et le point de départ des améliorations depuis longtemps projetées dans l'intérêt de la ville et du port.

Aussi, en sortant de la préfecture, dans leur coupé attelé de quatre chevaux, Leurs Majestés trouvaient-Elles toute la population serrée aux fenêtres et dans les rues que devait parcourir le cortège, désireuse de saluer encore une fois les Hôtes Augustes qu'elle avait accueillis avec tant d'enthousiasme et d'amour. Sur Leur passage, une double haie était formée par la troupe de ligne, l'infanterie et l'artillerie de marine ; à la porte de la ville, les équipages de la flotte étaient rangés en bataille, ayant à leur tête le vice-amiral Romain Desfossés et, son état-major. Ces braves marins ont renouvelé sur le passage du cortége impérial les acclamations enthousiastes qui avaient accueilli Leurs Majestés chaque fois qu'Elles s'étaient présentées dans la rade de Cherbourg et de Brest, ou qu'Elles étaient montées à bord des vaisseaux. On remarquait aussi un nombreux détachement de préposés des douanes, révélant par leur excellente tenue, cet esprit d'ordre et de discipline qui caractérise si éminemment l'armée.

En quittant la ville, les Souverains ont passé sous un arc de triomphe à trois arcades, construit en dehors des murs, dernier hommage de la cité à ses Hôtes bien-aimés.

(J. M. POULAIN-CORBION).

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