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PIERRE MAUCLERC et le conflit politico-religieux en Bretagne au XIIIème siècle.

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I. Pierre Mauclerc, duc de Bretagne. Causes du conflit entre le duc et l'épiscopat breton. Importance stratégique de Nantes. Premières difficultés à ce sujet. — II. Conflit fiscal. Arguments de l'évêque nantais. — III. Les bans et assises. — IV. Bulles contre le duc : 20 avril 1218 (sommation de réparer ses torts), 28 juin 1218 (confirmation de l'excommunication et interdit), 7 décembre 1218 (excommunication papale). — V. Capitulation de Pierre Mauclerc. Bulles du 2 avril 1219 et du 28 janvier 1220. Enquête royale sur le ban du sel. — VI. Nouveau conflit soulevé au sujet des fortifications de Rennes (1225). L'évêque de Rennes lance contre le duc une excommunication que le pape confirme. — VII. Extension du conflit aux évêchés de Tréguier et de Saint-Brieuc. Dîmes inféodées et tierçage. — VIII. Assemblée de Redon. Ligue des barons. Sept évêques excommunient le duc. Bulle de Grégoire IX, invocation du bras séculier royal (29 mai 1228). Autre conflit au sujet des fortifications de Nantes. — IX. Pierre Mauclerc fait la paix avec Rome (30 mai 1230). — X. Appel du duc au Saint-Siège contre l'évêque de Rennes et contre l'évêque de Saint-Malo dont il a occupé militairement la cité. Essai de solution générale par le pape. — XI. Querelle de la régale de Nantes. Le faux traité d'Angers de 1231. — XII. Charte de Louis VI 1139. Charte d'Hoël (1148). Enquête de 1206. — XIII. Les ducs perçoivent la régale malgré les protestations de l'épiscopat. — XIV. Recours de l'évêque Robert à Rome. Son transfert. — XV. Jean Ier le Roux, fils de Pierre Mauclerc, refuse le serment de défendre les libertés ecclésiastiques et dénie à la bulle du 30 mai 1230 son caractère perpétuel. Départ de Pierre pour la croisade. — XVI. Conclusion.

Une ère de conflits célèbre entre les ducs de Bretagne et l'Eglise s'ouvre avec l'avènement de Pierre Mauclerc, pour ne s'apaiser, sur la plupart des points, qu'au temps de son successeur, Jean le Roux. Le surnom de Mauclerc, bien que forgé après coup, équivaut à un programme. Il évoque plusieurs générations de lutte ardente entre la féodalité et l'épiscopat. Le règne de ce prince en fut l'épisode le plus tapageur. Il convient donc d'éclairer les origines de ce duel et d'en définir le champ.

Ce n'est pas uniquement ni même principalement à la juridiction ecclésiastique que Pierre Mauclerc s'en prit. M. Paul Fournier a montré en quelques lignes lapidaires [Note : Les officialités au Moyen Age (1861), p. 94-97] comment l'Eglise ayant adopté dans ses tribunaux la procédure du droit romain, cette raison écrite inspira aux justiciables une confiance telle que spontanément ils affluèrent devant ses juges et ses notaires. Là gisait la cause profonde du dissentiment. La féodalité, comme la royauté, se vit menacée de dépossession. Mais en dehors de ces circonstances générales, le litige breton a un aspect particulier, c'est essentiellement un conflit de pouvoirs. Le règne de Pierre Mauclerc succédait en Bretagne à une longue période d'anarchie ; ce capétien essaya de restaurer ou plutôt d'instaurer en Bretagne le régime féodal tel qu'il l'avait vu fonctionner en France sous la forte main de son maître Philippe-Auguste, mais tel, je veux dire si rigoureux, que les Bretons ne l'avaient pas encore connu jusque là. Plus précisément Pierre Mauclerc prétendit exiger des taxes des sujets épiscopaux, construire des forteresses même en territoire d'Eglise, choisir ou du moins agréer les évêques, percevoir la régale. Ce n'est qu'en second lieu et pour faire pression sur le clergé breton qui se rebellait, qu'il prétendit lui enlever le tierçage, ou jugement des morts, et lui interdire la revendication des dîmes inféodées avec l'espoir qu'en délivrant les Bretons de ces charges et de ces troubles pécuniaires, il se concilierait la faveur des masses nobles et roturières.

I. — Pierre Mauclerc descendait de sang royal. Son grand-père, Robert de Dreux, était frère du roi Louis VII. Né en 1187 ou peu après, il fut d'abord, s'il faut en croire les historiens, destiné à la carrière ecclésiastique et suivit les leçons des maîtres de l'Université de Paris. Et l'on explique son surnom de Mauclerc par clerc défroqué. Quoi qu'il en soit, Pierre fut un prince lettré et poète comme son ami Hugues de la Ferté-Bernard, comme son allié le comte Thibaud de Champagne. Armé chevalier, ainsi que son frère Robert, par le roi Philippe-Auguste, le jour de la Pentecôte (17 mai 1209), le roi l'imposa comme mari à l'héritière de Bretagne. L'élection royale laisse supposer chez le jeune chevalier des qualités peu communes de bravoure, d'activité et d'intelligence. Il est vraisemblable que Pierre répondait à la confiance et à la sympathie du monarque par une docilité respectueuse qui le disposait à chercher en lui le modèle de sa conduite. Presque tous les traits de la politique anti-cléricale, ou prétendue telle, de Mauclerc se retrouvent en effet dans celle du roi. Rappelons-nous ce que fut celle de Philippe-Auguste, d'après Luchaire : évêques chassés de leurs sièges et privés de leurs régales, diocèses occupés et rançonnés, mesures contre la justice de l'Eglise, impôts extraordinaires, service d'ost et tout le devoir féodal exigés, construction de la Tour de Sulli malgré l'évêque d'Orléans, appui à l'opposition féodale contre la juridiction ecclésiastique. Or, dans tout ce programme, rien qui ne puisse s'appliquer au disciple comme au maîtres [Note : LUCHAIRE, dans LAVISSE, p. 214, et Philippe-Auguste (1881), p. 144, 146. Sur la réputation d'anticléricalisme de Philippe-Auguste, voir LECOY DE LA MARCHE, La société au XIIIème siècle, p. 101].

Il est inutile de revenir à nouveau sur les causes générales qui indisposaient les seigneurs contre le clergé. En faisant du serment une cause d'attribution au for ecclésiastique, les officialités menaçaient d'englober dans leur ressort la masse des litiges féodaux. Le seigneur n'aurait plus rien été que le bras exécutif à la volonté du clergé. Innocent IV et les canonistes contemporains en vinrent à admettre une sorte de dévolution des causes civiles au Saint-Siège en cas de déni de justice des cours laies [Note : A.-J. CARLYLE, Développement de la théorie de l'autorité pontificale en matière temporelle chez les canonistes de la seconde moitié du XIIIème siècle, traduction de G. LE BRAS, dans la Revue historique de droit (1926), p. 595, 607]. Plutôt que de se laisser dépouiller et avilir, la noblesse féodale se ligua, et sur ce terrain elle marcha de concert avec le pouvoir royal. Mais Pierre Mauclerc avait en outre des raisons particulières d'entrer en lutte avec son épiscopat.

Ses fiançailles avec la duchesse Alix de Bretagne, l'hommage lige qu'il prêta au roi pour ce fief, la mort de son beau-père Gui de Thouars, enfin son mariage, événements qui se succédèrent en quelques mois [Note : MORICE, Preuves de l'Histoire de Bretagne, t. I, c. 107, 822, 824], ne firent de lui que le chef nominal de la Bretagne (1213). L'autorité ducale y était depuis la mort de Conan III, pour ne pas remonter plus haut, excessivement affaiblie. Minorités, tutelles, gouvernements de femmes, domination de l'étranger, absence des princes, tout contribuait à diminuer le pouvoir. L'autorité des ducs évanouie fut naturellement relevée, je ne dis pas usurpée, par les barons et par les évêques. Pierre, que Philippe-Auguste envoyait en Bretagne pour régner et gouverner, devait fatalement entrer en conflit avec eux.

Ce conflit ne pouvait éclater en aucun lieu plus tôt ni plus violemment qu'à Nantes. Cette ville, après avoir possédé longtemps une dynastie de comtes particuliers dont la famille fournissait aussi des évêques à la cité, vint, par la mort sans postérité du comte Mathias (1104), se réunir au duché de Bretagne.

Or, Pierre Mauclerc, à la différence des anciens ducs ses prédécesseurs, avait de fortes raisons d'ordre stratégique de s'établir à Nantes. Depuis que Philippe-Auguste avait conquis la Normandie, la Bretagne, tant qu'elle resterait vassale soumise de la France, ne pouvait que se sentir en toute sécurité de ce côté. C'était désormais par la Guyenne et le Poitou que les envahisseurs anglais attaqueraient la France. Venant du sud de la Loire, c'était sur la Loire qu'ils devaient être arrêtés. Les rois de France résolurent de leur barrer la route en construisant les châteaux de la Roche-au-Moine et d'Angers, Pierre Mauclerc en fortifiant Nantes se faisait l'auxiliaire de cette politique.

Philippe-Auguste était tellement possédé de cette idée qu'en 1206 il essaya de mettre la main, lui-même, sur cette cité et qu'en 1213 il en fit un poste de défense. En 1214 Jean sans Terre, comme pour légitimer les appréhensions du roi, lança une attaque directe contre Nantes.

Déjà Gui de Thouars, sans doute à l'instigation de Philippe-Auguste, avait entrepris de défendre cette ville par la construction d'un retranchement. Ayant occupé le verger épiscopal et des terres capitulaires, il convint avec l'évêque de lui verser, à titre d'indemnité, une rente de sept livres sur le droit d'esmage. Le chapitre en reçut une de quatorze livres sur les revenus de la prévôté [Note : Octobre 1207. MORICE, Preuves, t. I, c. 809. LA BORDERIE, Recueil, n° LXXIV et notes. L'esmage était une taxe sur le sel entrant au port de Nantes qui fut perçue jusqu'à la fin de l'Ancien régime. GUILLOTIN DE CORSON, Grandes seigneuries (Bull. de la Soc. archéol. de Nantes, t. XL), p. 69. En 1446, cc droit était de 3 s. 9 d. par bateau chargé de six muids de sel et double si le sel venait de Poitou. Eu 1678, il frappait en outre les harengs, sardines, blé et vin (L. MAÎTHE, La seigneurie des évêques de Nantes dans le Bull. de la Soc. archéol. de Nantes, t. XXI, p. 69)]. Les travaux furent probablement continués par Pierre dès son avènement. La campagne de Jean sans Terre, son attaque de Nantes en 1214 les firent pousser avec la plus grande activité. Quelques maisons furent détruites. En réparation le jeune duc s'obligea à verser 11.000 sous, soit 550 livres. Comme garantie du paiement de ce capital considérable, il engagea à l'évêque les revenus de son riche domaine de Guérande. Quand Jean sans Terre vint assiéger La Roche-au-Moine, Pierre Mauclerc vola au secours de la forteresse royale avec ses sujets et ceux de l'évêque [Note : L'évêque, en 1248, réclamait encore de ce chef une indemnité (MORICE, Preuves, t. I, c. 935 ; LOBINEAU, Histoire de Bretagne, t. I, p. 208). Certains ont confondu ici La Roche-au-Moine avec la Roche-sur-Yon, où ce siège est inconnu (P. MARCHEGAY, Les anciens seigneurs de la Roche-sur-Yon, Revue des Provinces de l'Ouest, août 1854)] Tels furent les premiers contacts, les premiers froissements entre le pouvoir ducal et les évêques de Nantes. Mais à l'origine, ce fut sous l'action de nécessités financières, et non pas à l'occasion des fortifications de Nantes, que naquit un conflit vite porté à l'état aigu.

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II. — Si l'étendue et la puissance d'un gouvernement se mesurent à ses ressources pécuniaires, c'est aussi à l'occasion des levées du fisc qu'infailliblement s'élèvent les contestations entre pouvoirs voisins dont les attributions respectives ne sont pas nettement délimitées.

Dans la lutte qui s'ouvrit entre la puissance ducale et celle de l'évêque de Nantes, la thèse de celui-ci, à défaut d'un contrat de pariage, tel qu'il en existait ailleurs, s'appuyait sur des arguments plus solides que de simples traditions orales ou des coutumes séculaires. L'Eglise nantaise possédait un témoignage écrit de ses prétentions dans le Chronicon Namnetense, oeuvre composée vers l'an 1050. On y mentionnait une charte d'Erispoé, roi de Bretagne, confirmée par Charles le Chauve, et octroyant à l'évêque de Nantes la moitié du tonlieu ou taxe levée sur les marchandises entrant dans le port (857). A une date moins reculée se lisait un témoignage plus explicite : Alain Barbetorte, à la suite de l'expulsion des Normands, transporta le siège de son gouvernement à Nantes (vers 940), et fit don de l'évêché à Hoctron. Celui-ci, voulant savoir quelle avait été l'étendue de ses domaines avant l'occupation normande, interrogea les rares survivants de l'ancien clergé, quatre chanoines. Ils rapportèrent que « toute la ville de Nantes [Note : Il est curieux de noter que Le Baud, traduisant le Chronicon, s'est refusé à faire entrer ce passage dans son texte et a résumé rapidement cette déposition. Voir aussi LESNE, Histoire de la propriété ecclésiastique en France, t. II, fasc. 3, p. 712] avait été au pouvoir de l'évêque, avec toutes les églises au dedans et au dehors... dans un périmètre de cinq lieues autour des murs de la cité, avec les îles de la Loire et la pêche comprises dans ces limites... ; que le tiers de ces revenus appartenait au chapitre ». La Chronique ajoute qu'Alain Barbetorte réduisit sensiblement la propriété de l'évêque, car le tonlieu, qui lui appartenait pour moitié, fut désormais divisé en trois parts entre le duc, l'évêque et les vicomtes ou seigneurs. La ville épiscopale subit le même partage. Quant aux terres du comté nantais, et qui étaient également propriété de l'évêque, elles furent distribuées aux compagnons du duc Alain, à l'exception de quelques paroisses (Ed. MERLET, p. XXXIX, XLV, LXIV, 44-48 et 93-96). Cette déposition des quatre chanoines pesa lourdement sur les destinées de l'Eglise nantaise. Jamais depuis les évêques n'oublieront cet âge d'or où Nantes n'avait eu d'autre maître qu'eux. Sous Gui de Thouars, et lorsqu'en 1206 Philippe-Auguste occupa Nantes, il essaya par une enquête de préciser sur certains points les pouvoirs respectifs des autorités ducale et épiscopale [Note : La tierce part attribuée par Alain Barbetorte à certains de ses vassaux fut laissée dans l'ombre,mais ne disparut point : en 1446, neuf seigneurs intervenaient au partage de l'esmage. L. MAÎTRE, La seigneurie des évêques de Nantes, dans le Bull. de la Soc. arch. de Nantes, t. XXI, p. 69]. Elle établit qu'aucune « assise » ne pouvait être faite à Nantes sans l'assentiment de l'évêque (MORICE, Preuves, t. I, c. 802). Ainsi, au dire de l'évêque, appuyé sur des titres sérieux, le principe qui dominait les rapports des pouvoirs publics à Nantes était la « seigneurie commune » de l'évêque et du duc. Aucune ordonnance ne pouvait donc être prise que d'un commun accord, aucun denier levé qui ne fût déposé dans la caisse commune. De même à Saint-Malo l'évêque et le chapitre étaient, chacun pour moitié, coseigneurs de la ville.

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III. — Pierre Mauclerc n'était pas pour se plier à cette quasi-tutelle de la crosse. Ayant besoin pour ses vastes projets militaires de sommes considérables, il ordonna qu'elles fussent levées en son seul nom, d'abord par un ban, c'est-à-dire par un ordre ou édit publié, crié, émanant de l'autorité ducale, puis par des assises, c'est-à-dire par une délibération prise dans une assemblée, que celle-ci soit la cour féodale du duché ou, ce qui eût été une habile manœuvre, celle des bourgeois de Nantes [Note : Les bourgeois de Nantes étaient pourvus dès cette époque de la personnalité civile et dotés, au moins à l'occasion, d'un organe capable d'agir en leur nom, ce qui leur permit, quelques années auparavant, de racheter de la duchesse Constance le droit de banvin].

Le sujet de ces ordonnances n'est pas indifférent. Le duc imposait trois monopoles : il interdisait de vendre aucun bois que de ses forêts, aucun pain que de sa farine — c'est-à-dire sortant de ses moulins — aucun sel que de ses salines. Cette dernière prohibition était un coup droit porté à l'évêque, propriétaire d'un domaine à Guérande, la seconde vise probablement la création de fours et de moulins banaux. L'ensemble de ces mesures mettait en la main du duc un moyen de coercition contre l'évêque, une sorte d'excommunication matérielle et alimentaire qu'il pourrait opposer à l'excommunication spirituelle. On voit, en effet, à cette époque, des seigneurs en lutte avec le clergé interdire à celui-ci l'usage des moulins, des fours et des fontaines [Note : En 1193, à Arras ; en 1246, à Béziers ; en 1269, Hugues de Lusignan. P. FOURNIER, Les officalités au Moyen Age, chapitre II]. Il ne faut pas toutefois exagérer la portée de cette interprétation, puisque les monopoles n'atteignaient que les denrées vendues et laissaient l'évêque et son clergé libres de s'approvisionner dans leurs propres domaines. Il n'était pas touché au banvin dont jouissait l'évêque. A ces bans le duc ajouta bientôt une maltôte ou taxe sur les marchandises apportées au marché, à raison de deux ou trois deniers par charrette ou sommier.

Bans, assises, maltôte, sous aucune forme l'évêque ne voulut accepter la prétention ducale. Sa résistance, soutenue vraisemblablement par l'opinion publique, fut absolue, la contrainte du duc violente.

A en croire les plaintes répandues par l'évêque de Nantes devant le saint Père, il fut la victime d'une véritable persécution où la petite guerre se mêlait au brigandage. Les agents ducaux ravagèrent ses terres, brûlèrent les maisons de ses sujets. A leur tête deux officiers se distinguaient par leur zèle, Alain le Fauconnier et Guiomar de Servon. Ayant fait irruption la nuit, à main armée, dans le manoir épiscopal, ces chefs de bande y dérobèrent sept chevaux sur lesquels ils se promenèrent fièrement pendant un an et demi aux yeux de tout le pays. Ce premier assaut remonte au début de 1217 ou à la fin de 1216. Ils poussèrent ensuite jusqu'à Sucé, domaine charmant que possédaient les évêques sur une courbe de la rivière d'Erdre et qu'ils gagnaient de Nantes en remontant le cours de ses eaux larges et tranquilles (Abbé P. GRÉGOIRE, Histoire de Sucé, 2ème éd., 1922, p. 254). Ce séjour de repos fut impitoyablement troublé, le petit bourg brûlé, son moulin à vent, quatre moulins à eau non loin de Nantes, ainsi que le faubourg des moulins de Barbin sur l'Erdre, qui était au chapitre [Note : Il s'agit des quatre moulins de Barbin, sur l'Erdre, appartenant à l'évêque. GUILLOTIN DE CORSON, Grandes seigneuries (Soc. archéol. de Nantes, t. XL), p. 56], incendiés et ruinés. Le duc affecta de bannir ces officiers trop zélés. L'un d'eux, que le pape dit étranger au duché, arrêtait et emprisonnait les clercs, fracturait les églises. Les personnes des ecclésiastiques n'étaient pas plus respectées que leurs biens. Les sujets de l'évêque étaient arrêtés et rançonnés, des clercs frappés et incarcérés. Au clergé requérant humblement le duc de lui assurer la même protection qu'il avait jurée aux Juifs de ses terres [Note : Ce fait est inconnu de l'historien des Juifs à Nantes, M. Léon BRUNSCHVICG, Les Juifs à Nantes, 1890. Il y avait une rue de la Juiverie, l'existence d'un sénéchal des Juifs est attestée en 1234] à son avènement, Pierre répondit que l'évêque et les clercs se défendissent eux-mêmes. Quant à lui, il était très bien gardé. Et l'on chuchotait qu'il avait menacé de représailles ceux qui nuiraient aux prétendus bannis.

Toute cette agitation ne nous est connue que par la relation de l'évêque, exposé partial dans lequel il faut faire la part de l'exagération et dont bien des articles prouvent seulement que le duc fit appliquer ses ordonnances manu militari. Les clercs appelaient rançons les taxes qu'on leur extorquait ; et comment le duc aurait-il pu imposer des banalités sans occuper et au besoin détruire les moulins des récalcitrants, arrêter les contribuables réfractaires, au risque de blesser, à l'occasion, mortellement les rebelles ?

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IV. — L'évêque était alors Etienne de la Bruière [Note : Aliàs de Bruières. Gallia, t. XIV, col. 819. Hist. littéraire, t. XVII, p. 404. On ne connaît de lui que des statuts synodaux. Les chroniques annaux disent qu'Etienne était mirae simplicitalis (MORICE, Preuves, t. I, c. 110)]. Dès son accession au trône épiscopal il avait eu à plaider contre Gui de Thouars devant le métropolitain de Tours. Cette fois il porta sa plainte plus haut, à Rome. Après avoir lancé contre le duc une excommunication inutile, il obtint du pape Honorius III une commission enjoignant au duc de réparer ses torts (20 avril 1218). Le choix des commissaires apostoliques n'était jamais laissé au hasard. Recrutés presque toujours parmi les ecclésiastiques les plus distingués, leurs noms étaient souvent suggérés par l'impétrant lui-même. En l'occurence le pape tourna ses yeux vers l'Eglise du Mans et désigna l'évêque de cette cité, Maurice, en compagnie du chantre de son chapitre et de l'un de ses chanoines, Juhel de Mathefelon. L'évêque Maurice, récemment sacré, austère, brûlé de zèle, passait des nuits en prières et partageait ses jours entre la prédication et les œuvres de miséricorde [Note : Actus pontificum, p. p. BOSSON et LEDRU, 1902, p. 484. Gallia christ., t. XIV, c. 392. Il avait été sacré en juin 1217 et fut promu à Rouen en 1231]. Quant à Juhel de Mathefelon, d'une illustre famille angevine, sa carrière fit de lui successivement un écolâtre, un archevêque de Tours, puis de Reims, siège sur lequel il s'acquit une grande renommée pour la sagesse de ses statuts [Note : ANSELME, Hist. généal., t. II, p. 6. Hist. littéraire, t. XVIII, p. 411. La bulle du 20 avril 1218 est aux Regesta Honorii papae III, p. p. PRESSUTI, Regesta Honorii III (1888-1895), n° 1246. L'évêque y est appelé Hamelin, par erreur, car Hamelin était démissionnaire depuis 1214. Gallia, t. XIV, c. 393, 394. MORICE, t. I, c. 835].

Contre ces commissaires apostoliques Pierre Mauclerc se défendit très habilement, par une contre-attaque, si l'on ose ainsi s'exprimer. Ayant su que l'évêque envoyait ses doléances à Rome, il y dépêcha de son côté des émissaires qui se firent bons avocats de sa cause. Ils soutinrent que l'excommunication épiscopale avait été fulminée « sine rationabili causa ». La curie les écouta avec bienveillance et le pape, entrant dans leurs vues, lança une nouvelle bulle (juin 1218), laquelle prescrivait à trois nouveaux commissaires de relaxer le duc, sous caution toutefois, de la censure encourue [Note : PRESSUTI, Regesta Honorii III, n° 1550. Bulle sans date, mais elle figure au registre vatican entre une bulle du 13 juin 1218 et une du 20. Elle débute ainsi : « Nobilis vir Petrus dux Britanniae exposuit conquerendo. ». C'est le seul acte où Honorius III donne à Pierre le titre de duc. Aurait-on reproduit par inadvertance l'intitulé de la plainte du duc ?]. Les délégués apostoliques étaient cette fois des sujets du duc présumés favorables à sa cause : l'évêque de Rennes, Pierre de Fougères, ex chancelier du duc Arthur (Gallia, t. XIV, c. 762), l'abbé cistercien de Boquien et l'abbé bénédictin de Quimperlé [Note : En 1214, Pierre Mauclerc avait délaissé amiablement à l'abbaye de Quimperlé le vetus castrum extra villam qu'elle revendiquait (L. MAÎTRE, Documents inédits sur Quimperlé dans Bull. de la Soc. archéol. du Finistère, 1882)]. Leur intervention fut d'abord heureuse : un compromis fut élaboré par eux, conclu même entre les parties. Mais il ne fut pas exécuté. Car le duc, se faisant illusion sur la gravité des censures apostoliques, continua d'occuper sans scrupule le temporel de l'évêque de Nantes.

Celui-ci, dépouillé de ses biens, avait dû s'enfuir. Ayant excommunié le duc et jeté l'interdit sur les terres ducales de son diocèse, il se réfugia auprès de son métropolitain, l'archevêque de Tours, Jean de Faye, que le pape invita à subvenir à ses besoins (25 juin 1218) [Note : PRESSUTI, Regesta Honorii III, n° 1467. Gallia, t. XIV, c. 179]. Vu son dénuement le pape l'exempta du vingtième imposé pour la croisade et permit à deux de ses chanoines, ses compagnons d'infortune, de percevoir les revenus de leurs bénéfices, malgré le défaut de résidence auquel ils étaient contraints (1er décembre 1218, 4 janvier 1219) [Note : PRESSUTI, n° 1720 et 1786]. Sur ces entrefaites, l'archevêque confirma pour son compte l'excommunication lancée par Etienne et réunit un concile provincial qui excommunia, une fois de plus, Pierre Mauclerc.

Mais une sanction partant de plus haut allait seule venir à bout de l'opiniâtreté du duc et faire plier son orgueil. Honorius III, éclairé de nouveau dans un sens favorable à l'évêque de Nantes, s'en prit d'abord à Guiomar de Servon et à Alain le Fauconnier qu'il fit proclamer excommuniés dans toute la province de Tours (25 juin 1218) [Note : PRESSUTI, n° 1501. BOUQUET, Hist. de France, t. XIX, p. 662, et incomplète dans MORICE, Preuves, t. I, c. 835]. Puis il remonta des serviteurs au maître. Sur des plaintes itératives de l'évêque, le pape manda aux commissaires nommés par la bulle du 20 avril précédent (l'évêque du Mans, le chantre de sa cathédrale et le chanoine Juhel de Mathefelon) de publier dans la province de Tours l'excommunication lancée contre le duc par l'évêque de Nantes et l'archevêque de Tours. L'interdit, qui accompagnait l'excommunication devait s'étendre à toute sa terre même en dehors de l'évêché de Nantes, autrement dit à toute la Bretagne (28 juin 1218) [Note : PRESSUTI, n° 1492. Arch. du Vat., Registrum vaticanum, t. IX, fol. 277]. Cependant, comme l'autorité de l'apostoile était prudente et longanime, il se garda bien de fulminer une excommunication hâtive. Dans une longue lettre d'une rhétorique onctueuse, sinon très habile, il se borna à éclairer le duc sur les châtiments qui le menaçaient : « Notre cœur compatit non seulement avec l'évêque que tu as exilé, mais avec toi qui t'exiles toi-même de la patrie céleste... Ouvre des yeux clairvoyants sur le piège qui menace tes pas et reconnais, lorsqu'elle te frappe, la main que tu méconnais lorsqu'elle te flatte. ». Si le duc ne venait pas à résipiscence, il encourrait confirmation par le pape de l'excommunication archiépiscopale et ses sujets seraient déliés du serment de fidélité (31 juillet 1218) [Note : PRESSUTI, Regesta Honorii III, n° 1561. BOUQUET, Hist. de France, t. XIX, p. 662]. Pierre, n'ayant fait parvenir au Saint-Siège ni excuse ni défense, les archevêques de Sens, de Tours, de Bourges et de Rouen furent bientôt chargés de fulminer contre lui l'excommunication papale (7 décembre 1218) [Note : PRESSUTI, n° 1725. BOUQUET, t. XIX, p. 674].

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V. — Mais des circonstances favorables permirent à Pierre Mauclerc d'esquiver ce coup redoutable. Voici comment : A la suite de la mort de Simon de Montfort sous les murs de Toulouse (25 juin 1218), le pape venait d'obtenir que le prince Louis, fils de Philippe-Auguste, partît à la tête d'une croisade contre les Albigeois (19 novembre 1218). Les croisés se mirent en marche le 16 mai 1219. Or Pierre Mauclerc était des leurs. En vue de ce concours, le pape condescendit à effacer provisoirement les fautes du duc, et lui fit espérer la relaxe de l'excommunication s'il promettait de payer une amende pour ses atteintes aux libertés ecclésiastiques et de fournir caution d'ester à droit dans les questions litigieuses (2 avril 1219) [Note : PRESSUTI, Regesta Honorii III, n° 1991. BOUQUET, Hist. de France, t. XIX, p.680. P. PIOLIN, Hist. de l'église du Mans, t. IV, p. 289. Gallia, t. XIV, c. 147]. Mais la croisade ne fut pas brillante. Et, en décembre de la même année, Pierre Mauclerc était rentré en Bretagne [Note : PETIT-DUTAILLIS, Histoire de Louis VI, p. 196, 202], sans avoir su tirer parti à temps de ce voyage pour obtenir une absolution définitive. Entre temps, l'évêque s'était rendu à Rome en personne. Quant au duc, une fois de retour, il y avait dépêché deux représentants, le chevalier Olivier, peut-être Olivier de Casson, muni du mandat de plaider ou de composer, et l'abbé de Redon, Jean, lequel n'avait reçu pouvoir que de composer. Le pape désigna comme auditeur de la cause l'un de ses conseillers les plus réputés, le cardinal Thomas de Capoue [Note : FABRICIUS, Bibliotheca, t. I p. 279-285. CIACCONIUS, Vitae pontificum, c. 648. Le texte porte : Th. tituli Sanctae Sabinae. D. Morice a imprimé par erreur H. au lieu de Th., d'où l'erreur de Travers, p. 342, qui identifie ce cardinal avec Hugues de Saint-Cher. Celui-ci fut en effet titulaire de Sainte-Sabine, mais seulement à partir de 1244. Son prédécesseur depuis 1210 était Thomas de Capoue. V. EUBEL, Hierarchia catholica, p. 46]. Ce lettré, diplomate de confiance du Saint-Siège, réussit à mettre les parties d'accord sur une transaction tout à l'avantage de l'évêque : les trop fameux bans, les assises, la maltôte seraient abolis, les libertés de l'église nantaise rétablies dans le statu quo ante ; le régaire, ou seigneurie temporelle, rendu à l'évêque, les revenus touchés à titre de dîmes, de tailles ou exactions quelconques restitués ; Alain le Fauconnier paierait pour torts causés par lui 9.000 sous, et des gages seraient remis à l'évêque, en garantie de cette somme, par l'abbé de Redon, avant la Noël suivante ; le duc contraindrait Alain et ses complices à subir la pénitence corporelle que lui infligeraient les juges apostoliques pour avoir osé frapper des clercs, crime dont le pape, dans sa lettre précédente, s'était réservé l'absolution ; avant toute absolution le duc devait verser une indemnité de 500 livres. Quelques autres articles énuméraient certaines réparations pécuniaires dues pour des torts antérieurs. Le duc devait restituer à l'évêque les revenus du domaine ducal de Guérande qui lui avaient jadis été constitués en gage et que, dès le début de la présente querelle, Pierre Mauclerc avait ressaisi. Les décisions antérieures devaient également être respectées en ce qui concernait les nouveaux fossés et le marchix, ce long faubourg de Nantes où l'évêque avait son pilori et qui avait été incendié [Note : GUILLOTIN DE CORSON, Grandes seigneuries (Soc. archéol. de Nantes, t. XL), p. 57] (28 janvier 1220) [Note : PRESSUTI, n° 2312, BOUQUET, t, XIX, p. 692. MORICE, t. I, c. 840, mutilée].

Le duc ratifia sans enthousiasme la condamnation apostolique. Etait-il retenu par un interdit que tous les religieux de son duché ne respectaient point ? Les moines de Saint-Melaine de Rennes se firent relever par Honorius III de la suspense qu'ils avaient encourue pour avoir célébré l'office divin durant l'interdit général (27 janvier 1223) [Note : PRESSUTI, Regesta Honorii III, n° 4220. Gallia, t. XIV, Instr. c. 167], qui, à la vérité, avait été de courte durée. Il y a lieu de croire, comme on le dira plus loin, que les bénédictins de Redon n'avaient pas plus strictement observé l'interdit que ceux de Rennes.

Pierre Mauclerc essaya d'abord de se dérober en se couvrant de l'autorité royale. Il provoqua une enquête pour rechercher et déterminer les droits respectifs des deux parties en litige sur la taxe du sel, objet d'un des bans incriminés et l'un des plus fructueux. Le résultat ayant été favorable au duc (24 mai 1220) [Note : D. MORICE, Preuves, t. I, c. 846], celui-ci aurait pu tabler sur ces témoignages pour contester la bulle. Sous la pression des événements, c'est-à-dire de la guerre que lui fit alors Amaury de Craon, secondé par le comte de Vendôme, il préféra se soumettre précipitamment (2 août 1221), afin que, en paix avec l'évêque, il pût disposer de toutes ses forces pour écraser ses adversaires, ce qu'il fit en effet sous les murs de Châteaubriant, le 3 mars 1222. Auparavant, dès le lendemain de la Chaire de saint Pierre, le 2 août 1221, il avait signé l'engagement d'exécuter la décision apostolique du 28 janvier 1220 et désigné comme experts estimateurs des réparations à accorder, trois ecclésiastiques nantais : l'archidiacre Josselin, le doyen du chapitre R. de l'Espine, et le trésorier Thomas [Note : MORICE, Preuves, t. I, c. 846 : « In crastino cathedrae B. Petri ». La Borderie et Travers placent cet acte au 23 février mais, selon GIRY, Manuel de diplomatique, p. 305, c'est à Antioche que la Chaire se célèbre le 22 février, en Occident, le 1er août]. Le premier d'entre eux, au moins, avait partie liée avec Mauclerc. Tout en cédant sur les questions de principe, celui-ci se ménageait donc une application bénigne de la sentence pontificale.

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VI. — Pierre Mauclerc ne s'était soumis qu'à contre-cœur à la décision pontificale du 28 janvier 1220. La protection dont le pape Honorius III couvrait l'évêque de Nantes, la faveur qu'il manifestait à son égard en le chargeant de missions diverses [Note : 2 avril, 1218, 8 janvier 1222. PRESSUTI, n°s 1208 et 3702], contribuaient à en imposer au duc.

Un temps il se contint. Même certaine cérémonie put faire illusion. Le 24 novembre 1225, lors de la dédicace de la nouvelle église des Cisterciens de la Villeneuve, au diocèse de Nantes [Note : Chron. brittanicum. MORICE, Preuves, t. I, c. 108, à la date de 1223, par erreur, vu sa place. C'est l'avis des Historiens de France, t. XVIII, p. 331. La Villeneuve est à deux lieues de Nantes, en la commune de Bignon], les corps de la duchesse Constance, de son mari Gui de Thouars, de leur fille Alix, femme de Pierre Mauclerc, y furent inhumés. Tous les évêques de Bretagne réunis, sauf celui de Dol, formaient un cortège imposant, douze abbés cisterciens, autant que la Bretagne en comptait — non compris l'abbé de la Villeneuve — se joignaient à eux. Enfin des barons présents la chronique a cité quelques-uns en tête desquels le vieux et rusé vicomte de Thouars, Aimeri, frère de Gui., Amauri de Craon, sénéchal d'Anjou, etc. Pierre Mauclerc n'est pas nommé. Y assista-t-il ? On a peine à croire qu'il n'ait pas été présent lors de la translation des restes de son épouse, de celle qui lui avait apporté le duché, morte quatre ans plus tôt, le 21 octobre 1221. Les Cisterciens étaient ses amis. Redouta-t-il de se trouver en face d'un synode d'évêques hostiles ? Peut-être.

Pierre, au mois de décembre suivant, séjournait à Thouars. Là il se retrouva avec le vicomte Aimeri, Amauri de Craon, Hugues de Lusignan, comte de la Marche et quelques seigneurs poitevins. Ils scellèrent ensemble une requête adressée au roi Louis VIII contre les excès des clercs. A les entendre, ils avaient invoqué la justice du Saint-Siège dont ils n'avaient pu tirer que de vaines paroles. Ils acceptaient que le roi en conférât avec le cardinal de Saint-Ange, Romain, alors légat et tout-puissant à la cour, et qu'il l'invitât à régler le conflit [Note : TEULET, Layettes, n° 1734. PETIT-DUTAILLIS. Louis VIII, p. 402, catalogue n° 302]. Les termes sont trop généraux pour qu'on puisse préciser la part des griefs du duc de Bretagne ni en conclure que le conflit, beaucoup plus grave que le premier et qui allait le mettre aux prises avec l'épiscopat de la province, fût déjà soulevé.

Le point de départ de ces nouveaux démêlés est à Rennes. La question débattue est connue indirectement. L'évêque, au dire du pape, se plaignait de torts faits tant à lui qu'à son chapitre « sur leurs hommes et leurs possessions » et « sur certains revenus » [Note : AUVRAY, Lettres de Grégoire IX, n. 2192]. Quelques années plus tard le duc se trouvait redevable à l'évêque et au chapitre de Rennes de 1.200 livres pour destruction d'églises et pour l'aumônerie ou Hôtel-Dieu [Note : 10 novembre 1231. LA BODERIE, Recueil, p. 175, n. 105]. Ceci fait supposer que le litige n'avait pas un motif différent de celui qui allait troubler Nantes : la construction de nouveaux murs de défense. Cette cause est tout à fait en harmonie avec la politique générale du duc à cette date. Elle se trouve établie pertinemment par un texte qui relate que le duc entreprit en même temps la construction ou la réfection des châteaux de Rennes et de Saint-Aubin-du-Cormier [Note : Chroniques de Vitré, publiées à la suite de l'histoire de Le Baud, p. 41. D. MORICE, Preuves, t. I, c. 903. On attribue à Pierre les Fossés Gahier creusés autour d'une partie de la ville de Rennes (OGÉE et MARTEVILLE, t. II, p. 463. P. BANÉAT, Le vieux Rennes, p. 17). Dès les premières années de son règne, Pierre avait fait construire un manoir dit de l'Aumône, dans le Verger-au-Comte et creuser l'Etang du Comte près de l'abbaye de Saint-Sulpice-lés-Rennes (Cartulaire, p. p. Dom ANGER, Mém. de la Soc. arch. d'Ille-et-Vilaine, t. XXXIV, p. 179, charte de 1216 et p. 180, 220, confirmation en 1316)], ce dernier destiné à couvrir le comté de Rennes, insuffisamment défendu par les forteresses de Vitré, de Fougères, de Dol et de Combourg dont aucune n'était en sa possession. A la différence de ce qui s'était passé à Nantes, c'était maintenant contre la France que cette ligne de fortification s'élevait. L'influence des barons poitevins qui, depuis un demi-siècle, faisaient leur fortune de la rivalité entre la France et l'Angleterre, avait pu induire Pierre à pratiquer cette avantageuse politique de bascule. Celle-ci était d'autant plus facile à Pierre Mauclerc que l'Angleterre le sollicitait depuis longtemps et l'amena à conclure un traité d'alliance précisément en 1225, le 19 octobre [Note : La Borderie n'a pas assez montré les préliminaires de l'alliance anglo-bretonne avant 1225 : dès le 12 août 1215, Jean sans Terre promettait de restituer à Pierre Mauclerc tout ce qui lui appartenait en Angleterre. Cependant Pierre resta fidèle à la France, il suivit Louis en Angleterre (fin de l'été 1216), y était encore le 18 septembre 1217. Louis VIII lui restitua ses domaines anglais qui furent perdus, une fois de plus, lors de l'échec de ce prince. Henri III rendit à Pierre une partie du comté de Richemont en 1218. (RYMER, t. I, part. I, 1739, p. 76) et le 5 mai 1225 (PETIT-DUTAILLIS, Louis VIII, p. 98, 120, 269). Sur l'attitude cynique des barons poitevins, voir ibid., p. 237-244, la clause de soumission du vicomte de Thouars : « ... à moins que le roi d'Angleterre ne puisse le débarrasser d'une façon ou d'une autre du roi de France »].

Il est fort probable que le duc, le jour où il fit confirmer par sa cour féodale les privilèges qu'il accordait à la ville de Saint-Aubin-du-Cormier, voyant se grouper autour de lui, à Nantes, soixante-trois barons ou chevaliers (17 mai 1225) [Note : MORICE, Preuves, t. I, c. 854], crut que sa politique serait suivie indéfectiblement par tous ses sujets. Que lui importait dès lors l'opposition d'un évêque ? En cela il commit une lourde erreur de psychologie.

L'évêque de Rennes, Josselin de Montauban, ne laissa pas envahir sa terre sans résister. Il excommunia le duc et jeta l'interdit sur le comté de Rennes. En outre il obtint du pape Grégoire IX, qui venait de succéder à Honorius III (le 19 mars 1227), une bulle confirmant cette excommunication. Le pape eut soin d'en confier l'exécution à trois ecclésiastiques étrangers au duché : à l'évêque du Mans, le grave Maurice, déjà juge en l'affaire de Nantes ; puis à deux chanoines du Mans également recommandables, Robert de Domfront et Geoffroy de Laval.

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VII. — Ce n'est pas que ces trois sages personnes aient négligé de faire entendre au duc les sévères menaces apostoliques. La crainte même de voir délier ses sujets du serment de fidélité n'opéra point. Si l'interdit antérieurement fulminé pour défendre Nantes n'avait point été rigoureusement observé, pourquoi celui-ci le serait-il davantage ? Non seulement Pierre ne céda pas à l'évêque de Rennes, mais son hostilité s'étendit à ceux de Tréguier et de Saint-Brieuc. Le premier, Etienne, était en butte à toutes sortes de contradictions de la part du duc et de son clergé. Quant à son voisin, l'évêque de Saint-Brieuc, c'était le vénérable Guillaume Pinchon, le seul saint breton, avec saint Yves, qui ait été régulièrement canonisé. Ses hagiographes sont plus prolixes en éloges de ses vertus ou en récits de miracles qu'en détails historiques sur son existence. Formé à la saine doctrine, il ne transigeait pas sur les principes. Les trois prélats de Saint-Brieuc, de Tréguier et de Rennes se virent donc également punis par la perte de leurs temporels. Ils s'exilèrent en lançant l'excommunication contre le duc et l'interdit sur ses terres situées dans leurs diocèses. Ce fut un dur temps pour l'église bretonne.

Grégoire IX assure que les fidèles mettaient une sorte d'empressement diabolique à léser la juridiction de l'Eglise. Pour eux c'était faire leur cour au duc. En revanche, lorsque les ecclésiastiques qui avaient accompagné les évêques fugitifs tentaient de poursuivre leurs ouailles rebelles devant les commissaires apostoliques ou le métropolitain, le duc et ses baillis se vengaient d'eux en arrêtant leurs parents jusqu'à ce qu'ils eussent renoncé à leur action. Ce caractère populaire de la lutte s'explique. Le duc, conseillé peut-être par des clercs, avait eu l'idée funeste d'élargir le débat, de prendre de son côté l'offensive contre un épiscopat qui, tant à Rennes qu'à Nantes où un nouveau conflit éclatait à ce moment, entravait la défense militaire du duché et la construction de places fortes dont le besoin était pressant. Il éleva donc contre l'Eglise des prétentions qu'il croyait de nature à lui concilier la sympathie de ses sujets. Celles-ci avaient pour objet les dîmes inféodées et le tierçage ou jugement des morts.

La première question était agitée de longue date. Depuis Grégoire VII l'église considérait les dîmes possédées par des seigneurs laïques comme une usurpation perpétrée à son détriment. Le concile de Latran, en 1179, dans une formule ambiguë, en interdisant aux personnes laïques de les céder, paraissait en tolérer la sécularisation, tout en affirmant que les fidèles ne les détenaient que « cum animarum suarum periculo » [Note : Can. 19. Au XIIème siècle, un seigneur donne à l'abbaye de La Vieuville une dîme qu'il tenait d'héritage (MORICE, Preuves, t. I, c. 647). Il y a de nombreux cas semblables]. Il y eut en fait, jusqu'à la fin de l'Ancien Régime des dîmes inféodées et jusqu'à la même époque, des tentatives de revendication ecclésiastique.

Le tierçage est moins connu. Il consistait en une part prélevée par les curés sur les biens mobiliers d'un paroissien décédé : un tiers si le mort ne laissait ni épouse ni enfants, un neuvième s'il en laissait. On en cherche l'origine dans une mesure prise par Conan III en un synode provincial que présidèrent à Nantes le légat Gérard d'Angoulême et l'archevêque de Tours (1127). Au nom de la stricte justice, le duc renonça dès lors à recueillir la succession mobilière de ses sujets, maris ou femmes [Note : A. DIEUDONNÉ, Hildebert de Lavardin, p. 214. Il date la lettre d'Hildebert de la fin de 1127. Une bulle du pape confirma la réforme (MORICE, Preuves, t. I, c. 554). LA BORDERIE (Histoire de Bretagne, t. III, p. 41, n. 2), traduit la phrase d'Hildebert d'une façon différente et, selon moi, inexacte]. Cet impôt successoral était sans doute une marque de servage. Les serfs, en acquérant ainsi, grâce à l'Eglise, le droit de transmettre leurs meubles à leurs enfants (on ne parlait pas des immeubles qu'ils exploitaient sans en être propriétaires) auraient vu alors cette même Eglise dont la juridiction s'étendait aux matières testamentaires, retenir pour soi une part de ladite succession, sous prétexte que le mourant ne pouvait pas ne pas avoir voulu disposer d'une certaine portion de son bien pour le salut de son âme. Ce droit ne choquait point en pratique. En Bretagne, du moins depuis que l'Eglise avait perdu ses dîmes, il était admis qu'elle levait des taxes à l'occasion des réceptions de sacrements. Mais la théorie s'en accommodait mal, d'où quelque embarras dans les formules conciliaires. Le IVème siècle, concile de Latran (1215), en condamnant les prêtres qui prélevaient des taxes sur les enterrements et les mariages, ajoute qu'il faut conserver les pieuses coutumes : « pias consuetudines praecipimus observari ». Mais comment distinguer les bonnes coutumes des autres ? Quelques Pères, d'esprit pratique, firent insérer un canon plus net qui interdisait aux laïques de revendiquer les dîmes et les mortuaria. Le mortuage n'était autre que le tierçage. Donc avant Pierre Mauclerc, le IVème siècle, concile de Latran avait lié la question des dîmes et celle du tierçage.

Aux yeux des héritiers le tierçage, bien qu'il fût un allègement de la condition antérieure, apparut bientôt comme un impôt onéreux, voire odieux. Pierre Mauclerc exploita ce sentiment.

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VIII. — Le duc assembla sa cour à Redon, lieu particulièrement bien choisi. Outre en effet que l'abbaye était aisément accessible des deux versants de la province, elle était gouvernée par un partisan avéré du duc, l'abbé Jean. C'était un lieu ecclésiastique mais un lieu exempt de la juridiction de l'ordinaire. Depuis plusieurs années on y respirait un air peu favorable à l'épiscopat. Les évêques de Rennes, de Dol, de Saint-Malo, de Saint-Brieuc et de Tréguier lançaient contre les religieux de graves accusations. D'abord ils n'avaient point payé la décime pour la croisade, faute grave, dont le pape, à la vérité, les avait absous (3 mars 1221. PRESSUTI, Regesta Honorii III, n° 3145). Mais plus méchamment encore, les moines avaient rompu avec les traditions de leur Ordre, ils se mêlaient d'affaires, professaient des mœurs faciles, fermaient la porte aux visiteurs apostoliques, bref, selon une formule devenue classique, ils étaient à réformer « tam in capite quam in membris ». Répondant à la plainte de ces prélats, le pape avait ordonné une enquête (2 octobre 1224. PRESSUTI, n° 5116 et t. II, p. LVI, n° 70). J'en ignore les résultats. Mais avec quelle joie secrète durent être accueillis et le duc et les seigneurs réunis autour de lui ! En présence de l'auditoire qu'il avait réuni, Pierre Mauclerc fut éloquent et persuasif. Il se présenta comme persécuté par l'Eglise, il amena l'assemblée à faire cause commune avec lui. Unanimement il fut décidé de refuser à l'Eglise et toute restitution de dîme et le paiement du tierçage. Les seigneurs bénéficieraient du premier article, leurs sujets du second. Comme l'Eglise, prévoyait-on, se défendrait par l'excommunication, on décida de n'en tenir aucun compte. Un serment solennel scella le pacte. La ligue formée entre les seigneurs présents fut étendue, par le ministère des baillis du duc, à tous ses officiers et vassaux.

Devant cette campagne, les évêques de Rennes, de Saint-Brieuc et de Tréguier, du fond de leur exil, virent se joindre à eux leurs collègues de Saint-Malo, de Dol, de Vannes et de Léon. Celui de Saint-Malo ne devait pas tarder à souffrir en sa propre cité des travaux stratégiques de Pierre Mauclerc. Celui de Dol était un trop haut seigneur pour ne pas attirer la foudre ; dès l'avènement de Pierre, il avait été en procès à la cour ducale au sujet de sa juridiction, puis au sujet du devoir d'ost [Note : En 1215 : le duc n'étendra sa juridiction sur Dol qu'en cas de déni de justice (MORICE, Preuves, t. I, c. 827). Il réserve ses droits d'ost qui étaient de dix chevaliers (Enquêtes de 1226 et de 1294. MORICE, Preuves, t. I, c. 857 et 1111)]. Quant à l'évêque de Vannes, ordinaire de Redon et traditionnellement en procès avec cette abbaye exempte, il était inévitable de le voir élever la voix en même temps que ses frères opprimés (Gallia christ., t. XIV, c. 953). Il n'est pas ici question de l'évêque de Nantes qui ne manquait pas de reproches à adresser au duc, mais qui n'eut peut-être pas la possibilité matérielle de se concerter avec ses confrères, ni de celui de Quimper dont ultérieurement nous indiquerons les tendances favorables au duc capétien.

Unis par le malheur, les sept évêques que nous venons de désigner excommunièrent le duc. Ils ne pouvaient faire moins contre un pareil attentat. Grégoire IX accueillit leurs plaintes dans une bulle adressée aux trois commissaires apostoliques antérieurement nommés et dont il renouvelait les pouvoirs (Maurice, évêque de Nantes, Robert de Domfront et Geoffroi de Laval, chanoines). Il affirmait, reprenant les termes du concile de Latran, que le tierçage, contrairement à l'interprétation ducale, devait être compté pour « une coutume louable et introduite par la pieuse dévotion des fidèles » et, si le duc ne venait à résipiscence dans les quatre mois, il donnait mandat à ses commissaires de délier ses sujets du serment de fidélité. D'autre part, visant les religieux de Redon et autres clercs attachés à Pierre, le pape les menaçait de privation de leurs bénéfices. Enfin il écrivait au roi de France, alors sous la tutelle de Blanche de Castille, l'invitant à mettre sa puissance au service du Saint-Siège pour contraindre les rebelles à rentrer dans l'unité de l'Eglise (29 mai 1228) [Note : MORICE, Preuves, t. I, C. 861, incomplète. MARTÈNE, Thesaurus, t. I, c. 947]. La prudente reine se garda de mépriser une telle invitation.

La menace était d'autant plus grave que, à Nantes, la vieille querelle des murs et des fossés surgissait avec une acuité nouvelle. Le bruit des excès commis à cette occasion se répandit au loin et valut au duc de Bretagne un fâcheux renom d'anticléricalisme. Poursuivant la construction des murs qui devaient achever d'encercler Nantes, le duc se vit amené à démolir deux églises, celles de Saint-Clément et de Saint-Cyr [Note : Aujourd'hui Saint-Léonard (TRAVERS, p. 247). En 1248, l'évêque estime le préjudice à lui causé par ces travaux à 2.500 livres (MORICE, Preuves, t. I, c. 935). Il s'agit probablement ici, non pas des murs qui entourèrent le quartier Saint-Nicolas sur la rive droite de l'Erdre, mais de ceux qui, au nord de la ville, portèrent l'enceinte le long de l'Erdre. Leur tracé forme une excroissance qui trahit une construction postérieure à l'enceinte primitive limitée par le Bouffay, la Loire, la cathédrale et l'ancienne rue de Verdun. C'est dans cette partie là que se trouvait Saint-Cyr. Quant à Saint-Clément, cette église fut détruite pour élever un boulevard devant la porte Saint-Pierre. Voir le plan de Cacault de 1756]. Les chroniques placent ces travaux en 1226 et c'est très vraisemblable.

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IX. — La bulle du 29 mai 1228, condamnant la ligue de Redon et exigeant la soumission des rebelles dans les quatre mois, n'avait pas intimidé Pierre Mauclerc. Après l'expiration du délai prévu, le pape informé par ses commissaires s'adressa directement au duc et lança contre lui, par bulle du 14 novembre 1228, une sentence d'excommunication. Elle contenait une longue exhortation à la paix, mais le souhait du début « sanioris consilii » trahissait la nature redoutable du jugement [Note : AUVRAY, Registres de Grégoire IX, n° 231].

Cette fois Pierre Mauclerc céda, du moins en apparence. Il dépêcha un représentant en cour de Rome [Note : Il s'y rencontra avec les évêques de Rennes et de Saint-Brieuc, représentant leurs collègues bretons]. Les pouvoirs que celui-ci exhiba ne furent pas jugés suffisants pour dresser un acte de transaction en forme juridique. Mais les intentions conciliantes qu'ils manifestaient servirent de base à un accord où les clauses proposées spontanément par le duc furent complétées par quelques autres dues à la curie : tout d'abord le duc abjurerait le serment de Redon et casserait les assises et ordonnances du colloque concernant le tierçage, les dîmes inféodées et la fréquentation des excommuniés ; il paierait une indemnité, à dire de prud'hommes, pour les destructions d'églises et de cimetières ; il restituerait les amendes perçues pour défaut de service d'ost et de cour ; enfin, il cesserait de s'opposer aux legs faits à l'Eglise de terres nobles ou serviles [Note : A mon avis ces legs, malgré le texte ambigu de la bulle de 1230 (MORICE, Preuves, t. I, c. 909), ne furent pas mis en question à Redon, car la bulle de 1228 (ib., t. I, c. 861) n'en parle pas. Puis comment Pierre aurait-il pu demander aux nobles de s'opposer à ces legs, l'interdiction des legs étant une innovation de Pierre qui les indignait et constitua un de leurs principaux griefs contre lui (LA BORDERIE, Histoire, t. III, p. 327, § VI, et Nouveau recueil, enquête de 1235, p. 9 et suiv.)].

Pierre fut mécontent de l'accueil fait à son envoyé. Au surplus, la dernière clause, favorable à l'évêque de Dol lui était odieuse. Si les évêques en effet s'exemptaient des services d'ost et de cour, l'autorité ducale était gravement ébranlée. Pierre refusa donc de ratifier l'accord et tenta de parer le coup dont le menaçait le Saint-Siège, en faisant intervenir !e roi d'Angleterre. Celui-ci qui venait de descendre en Bretagne, adressa de Rennes, le 14 mai 1230, par les mains de l'abbé de Cleeve, une sorte de sommation à l'évêque du Mans et à ses collègues de ne rien faire contre son droit, son intérêt et celui de ses gens. Cette menace impérieuse détourna les foudres dont le prélat et autres commissaires apostoliques avaient été armés à l'instance des évêques bretons par la bulle du 29 mai 1228 contre la ligue de Redon (E. BERGER, Blanche de Castille, p. 171-172). Seul Juhel de Mathefelon, exécuteur du récent monitoire adressé à Mauclerc et devenu alors archevêque de Tours, lança l'excommunication contre le duc. Celui-ci ne persista point dans cette position critique. Il dépêcha un mandataire à Rome.

A nouveau le pape vit venir vers lui, comme représentant du fougueux féodal, non point un ambassadeur, mais un procureur, en bonne et due forme. Il était chargé de deux mandats réguliers : l'un l'autorisait à poursuivre la cause de son maître devant les tribunaux pontificaux et spécialement à se conformer à certaines règles de la procédure, à prêter serment de calomnie, de veritate dicenda et judicatum solvi sub ypoteca ; l'autre l'habilitait à transiger et composer et à prêter le serment d'observer la transaction ou le compromis. Pour parer à toute éventualité, à toute dénégation subséquente, le pape ordonna d'insérer copie de ces procurations dans le registre de ses lettres, et c'est ainsi qu'elles nous sont parvenues. Toutes deux sont datées de Nantes le 23 janvier 1230 (AUVRAY, Registres de Grégoire IX, n°s 464, 465). Le procureur se nommait maître Pierre Mauban. Sans doute était-ce lui qui était déjà venu l'année précédente. Le duc avait hâte que l'affaire fût conclue. Il ne protesta plus, ne fit plus de réserves. Il promettait de prêter le serment et de publier les lettres d'abrogation que le pape lui demandait. Il obtenait seulement un an de délai avant de contraindre les excommuniés, ce qui, à mon sens, signifie que dans chaque cas d'excommunication par un évêque il aurait un an pour vérifier le bien-fondé ou la régularité canonique de la censure, en référer à Rome, s'il y avait lieu, ou laisser au rebelle le temps de s'amender, après quoi il devrait le contraindre par les voies de droit, c'est-à-dire lui refuser l'accès des tribunaux et l'exclure de tout office public. Tel était le sort qui menaçait les ligueurs de Redon, s'ils ne suivaient l'exemple de leur suzerain. En outre Grégoire IX faisait appel aux sentiments de princeps catholicus de Pierre de Dreux afin qu'il se fit un devoir d'éviter personnellement les excommuniés. Si le duc refusait d'exécuter ces conditions, la commission confiée le 29 mai 1228 à l'évêque du Mans et à ses collègues [Note : Les chanoines Robert de Domfront et Geoffroi de Laval] reprendrait toute sa vigueur (bulle du 30 mai 1230). Les exécuteurs apostoliques étaient cette fois choisis en dehors de la Bretagne et même de la province de Tours ce qui garantissait leur impartialité et ménageait l'amour-propre des parties. Le pape les prit dans son entourage : c'étaient un chanoine de Trévise, Vernaccio, auditeur général à la curie romaine et futur chapelain et familier d'Innocent IV ; un dominicain, provincial de Rome, frère Jacques de Castel-Arquato ; enfin W. de S. Laudo, peut-être originaire de Saint-Lô, en Basse-Normandie [Note : Ne pas le confondre avec Guillaume de Saint-Lô. Augustin, abbé de Saint-Victor de Paris, qui vivait au XIVème siècle].

Ces trois délégués obtinrent un succès inattendu. Les satisfactions demandées au pouvoir ducal furent accordées. Alors des lettres de révocation furent solennellement publiées dans tous les lieux où l'avaient été celles d'excommunication (AUVRAY, Registres dé Grégoire IX, n° 2190).

Pierre Mauclerc, en effet, lorsqu'il signait le 23 janvier 1230 les pouvoirs des procureurs chargés de porter sa soumission à Rome, avait une arrière pensée politique. Trois jours auparavant, fier de l'appui du roi anglais, il venait d'adresser à Louis IX une lettre de défi. Dans la guerre qui allait s'ensuivre, Mauclerc voulait éviter que les difficultés religieuses vinssent l'affaiblir. Il avait calculé trop juste. L'absolution pontificale émanée de Rome le 30 mai 1230 mit quelques semaines à cheminer jusqu'en Bretagne et jusqu'aux oreilles qu'elle devait toucher. Or, dès le mois de juin l'échec de Mauclerc était consommé. Le 30 mai Louis IX avait couché au château de Clisson. Quelques jours après, le roi de France, tenant sa cour à Ancenis, déclarait Pierre déchu du bail de la Bretagne. Le plus puissant baron breton André de Vitré, beau-frère du duc, prêtait hommage au roi et cet exemple allait être suivi par la plupart des nobles bretons. Voilà où le mépris de l'excommunication avait conduit Pierre Mauclerc [Note : La Chronique de Vitré, utilisée par Le Baud, nous apprend (p. 40) que Louis IX qui investit Ancenis le 9 mai 1230, convoqua de cette ville A. de Vitré et les autres barons « qui furent absous par bulle apostolique de la foi qu'ils avaient jurée audit Pierre ». L'évêque de Paris, Guillaume d'Auvergne, avait été envoyé vers le sire de Vitré, avant le siège (dès 1229 ancien style), pour négocier cette soumission. Cependant il ne faut pas oublier que la masse des barons qui prêta hommage à Louis IX de janvier à juin 1231 nignorait certes pas l'absolution du 30 mai 1230 (LE BAUD, p. 231). Noël VALOIS, Guillaume d'Auvergne, p. 146, a cru que cette chronique de Vitré était perdue. Voir ci-dessus, l'appel fait par Grégoire IX, le 29 mai 1228, au bras séculier royal contre le duc]. Certes la haine des Anglais était pour beaucoup dans la défection des seigneurs ses vassaux, mais les censures dont le duc était frappé ne pouvaient pas être sans effet sur l'âme d'un André de Vitré, le pieux fondateur du couvent des frères prêcheurs de Nantes (En 1228. TRAVERS, Histoire de Nantes, t. I, p. 353).

Le grave conflit qui, à la suite de la provocation de Redon, avait mis le duc aux prises avec presque tout son clergé, devait paraître à jamais apaisé. Condamné pour forfaiture, dégradé, abandonné de ses vassaux, le duc Pierre avait renoncé à toutes ses prétentions, capitulé sur toute la ligne. Toutefois il ne s'abandonna pas lui-même et grâce à une énergie rare, il sut remonter du fond de l'abîme. De même que sur le terrain politique il obtenait une trêve puis un traité qui maintenait sa qualité de baillistre de la Bretagne (1234), de même sur le terrain religieux il réussissait à se rendre redoutable aux évêques en se conciliant habilement les armes romaines. Instruit par l'expérience il comprit l'avantage qu'il pouvait tirer des appels au Saint-Siège. Il retourna contre les évêques l'arme dont ils s'étaient servis contre lui. Il en fit usage notamment dans sa querelle avec l'évêque de Rennes et dans celle qu'il eut ensuite avec l'évêque de Saint-Malo.

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X. — L'archevêque de Tours, Juhel de Mathefelon, négociant la solution du conflit suscité entre l'évêque de Rennes et Pierre Mauclerc aboutit d'abord à un succès satisfaisant : les deux parties acceptèrent de faire trancher le débat par un arbitrage verbal. On ignore la teneur du « dit » prononcé, mais on en trouve la substance dans un acte où Pierre Mauclerc apparaît en dette de 1.200 livres pour églises détruites au préjudice de l'évêque et du chapitre de Rennes (Acte du 10 novembre 1231. LA BORDERIE, Recueil, p. 175). Malgré cet accord, la discussion ayant recommencé, le duc offrit de s'en remettre aux mêmes arbitres et cependant par précaution en appela au Saint-Siège. Il bénéficia de cette démarche confiante. L'évêque de Rennes qui malgré l'appel l'avait excommunié, vit délivrer contre lui une bulle qui lui ordonnait d'annuler, dans les huit jours, toute sa procédure depuis l'appel. Cette bulle disposait que l'absolution serait impartie au duc sous caution par les trois commissaires chargés de son exécution ; le principal était l'illustre Philippe Berruyer, alors évêque d'Orléans, précédemment archidiacre de Tours, fort au courant par conséquent des affaires bretonnes dans lesquelles on le voit intervenir précisément à cette date [Note : La bulle est du 8 novembre 1234. AUVRAY, Registres de Grégoire IX, n. 2192, 2193. Philippe était à Candé le 14 de ce mois, assistant l'archevêque de Tours Juhel de Mathefelon dans la nomination d'un évêque de Saint-Brieuc (Morice, Preuves, t. I, c. 863). Sa vie se trouve dans MARTÈNE, Thesaurus, t. III, c. 958., 1927 et sq.]. Il reçut pour collègues deux de ses archidiacres [Note : Le Grand Archidiacre dont la dignité était réunie au décanat depuis 1060, et un archidiacre Renault qui pourrait être celui de Sologne, vivant en 1231. F. de VILLARET, Recherches historiques sur le chapitre d'Orléans, p. 164].

La décision finale ne nous est pas plus ouvertement connue dans la querelle que fit le duc à l'évêque de Saint-Malo. La seigneurie commune de cette ville était indivise entre l'évêque et le chapitre. Sa position géographique attira l'attention du duc. C'est à Saint-Malo en effet que, répondant à l'invitation de Pierre Mauclerc, le roi d'Angleterre débarqua le 3 mai 1230. En vue d'assurer la sécurité d'Henri III, Pierre Mauclerc fit occuper le château de Saint-Malo et saisir tout ce qui dans l'enceinte de cette cité appartenait à la seigneurie ecclésiastique. Pour subvenir à l'approvisionnement de ses soldats, il y fit entasser blé, vin et autres vivres réquisitionnés sur l'habitant. Le prélat malouin, Geoffroi, justement irrité porta plainte devant l'évêque du Mans et ses collègues alors commissaires apostoliques, ce qui fait remonter l'origine du conflit à une époque postérieure à la bulle du 29 mai 1228. Lorsque les juges apostoliques citèrent le duc à comparaître devant eux, celui-ci leur répondit d'Angleterre, où il venait d'aborder le 9 octobre 1229, en leur demandant « humblement » de lui désigner un lieu sûr, ce qu'il n'estimait point trouver en France. A la vérité, une telle demande, en ce temps d'hostilité, paraît une excuse dilatoire et frivole : quel lieu en effet pouvait être également sûr au duc, aux commissaires du pape et à l'évêque de Saint-Malo ? Ce dernier quitta la Bretagne et se réfugia en Normandie avec ses chanoines. Ils étaient en détresse. Le pape invita les évêques de la province de Rouen à pourvoir à leurs besoins (26 juin 1234). Les délégués apostoliques ne prirent pas au sérieux la requête de Pierre ; ils passèrent outre et l’excommunièrent. De retour en Bretagne celui-ci renouvela sa demande et fit appel au pape auprès duquel il envoya (le 20 janvier 1230) maître Pierre Mauban. L'évêque de Saint-Malo, de son côté, fit une démarche analogue et prévenant le duc, obtint le premier une bulle répondant à ses vœux. Elle était adressée à l'abbé cistercien de Savigny, un Anglais du nom d'Etienne de Lexington qui fut délégué en 1238 par Grégoire IX pour réformer les bénédictins de Redon, et fut même élu ultérieurement abbé de Clairvaux. Le duc se défendit en réclamant pour la troisième fois la désignation d'un lieu sûr pour plaider sa cause, et interjeta de nouveau appel à Rome, infirmant ainsi d'avance la sentence d'excommunication fulminée contre lui. En effet Grégoire IX s'adressant à l'évêque d'Orléans et à ses collègues, juges en la querelle rennaise, comme nous avons dit ci-dessus, par une bulle du même jour (8 novembre 1234), cassa toute la procédure accomplie dans l'affaire de Saint-Malo depuis le premier appel du duc au Saint-Siège (AUVRAY, Registres de Grégoire IX, n° 2190).

Ces succès donnèrent libre cours à l'audace du duc. Il se sentit maître de Saint-Malo. Des citoyens ayant tenté de s'évader vers les ports voisins, il les fit saisir avec les marchandises qu'ils pensaient sauver. Mais une nouvelle protection couvrait Pierre Mauclerc, car, depuis octobre 1236, il était croisé. Dans l'espoir d'obtenir justice, le pape, sur les instances de l'évêque malouin, désigna trois nouveaux commissaires chargés de statuer en présence des parties ou de leur fixer un jour pour plaider en cour de Rome (6 février 1237. AUVRAY, Registres de Grégoire IX, n° 3465). Les commissaires étaient ce chanoine de Trévise, Vernaccio, déjà investi de pouvoirs semblables par la bulle du 30 mai 1230 contre la ligue de Redon, l'abbé de Saint-Germain-des-Prés et maître Hugues, chanoine de Pise [Note : Hugues de Pise, avocat à la curie romaine vers 1234, devint doyen de Rouen et archevêque de Nicosie en Chypre, en 1251. Sa vie a été écrite par Mas-Latrie. Revue historique, 1877, t. V, p. 69]. Cette bulle faisait mention du privilège accordé à Pierre Mauclerc comme croisé et en vertu duquel on ne pouvait le citer hors des limites de son duché ni ailleurs que devant certains juges. En fait le départ de Pierre Mauclerc pour l'Orient éteignit la querelle.

Au cours de cette procédure, Grégoire IX manifesta le désir de réviser à fond toutes les querelles que le duc avait contre son épiscopat. En 1234, Pierre Mauban était auprès du pape, et c'est à sa diplomatie que l'on attribue la délivrance des bulles qui, soit pour Saint-Malo soit pour Rennes, donnaient au duc une satisfaction provisoire. Durant ce séjour le pape désireux d'éclairer sa religion en toute impartialité, invita l'archevêque de Tours à lui faire un rapport sur sa participation dans ces divers litiges. En même temps il demandait aux évêques bretons de déléguer deux d'entre eux pour plaider leur cause à la curie. Quant au duc Pierre il avait annoncé sa venue en personne à Rome [Note : 8 novembre 1234. AUVRAY, Registres de Grégoire IX, n°s 2178, 2179].

A cette date Pierre venait de se soumettre au roi de France (novembre 1234). Henri III furieux écrivit au pape : il se plaignait de cette défection perpétrée contre la foi et l'hommage à lui précédemment jurés par le duc et violés sans qu'il eût reçu de sa part une lettre de défi ; il suppliait le pape de contraindre le félon par les censures canoniques (25 février 1235) [Note : MORICE, Preuves, t. I, c. 898]. Il est probable que le pape ne répondit pas. D'ailleurs Pierre Mauclerc envoya le défi réclamé ce qui le mettait en règle avec le code féodal [Note : BERGER, Histoire de Blanche de Castille, p. 239. C'est à cette occasion que les Anglais commencèrent à le taxer de trahison. Voir Annales de Tewkesbury, citées par Berger, ibid., et M. PARIS].

Au moment où le pape se flattait de rétablir une paix solide dans l'Eglise de Bretagne, l'infatigable Pierre Mauclerc entamait, avec la violence qui le caractérisait, une nouvelle querelle contre le siège nantais.

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XI. — Il était écrit que Pierre Mauclerc, ne vivrait en paix avec aucun évêque de Nantes. Il avait d'abord voulu accaparer la seigneurie commune et imposer des taxes sans le consentement du prélat, il avait ensuite, pour élever des fortifications, rasé deux églises. Un troisième conflit va enfin surgir qui aura pour objet la revendication par le duc du droit de régale ou jouissance de la seigneurie temporelle de l'évêché, le siège vacant. La querelle de la régale nantaise dura fort longtemps. Deux siècles après elle deviendra une arme politique entre les mains de Louis XI. Il est donc nécessaire d'en étudier l'origine.

Cet examen est d'autant plus nécessaire que la prétention des évêques de Nantes à l'exemption de la régale dérogeait au droit commun des diocèses bretons. Il est certain que le duc percevait la régale dans l'évêché de Quimper [Note : Compte de 1268, après Guy mort le 2 mai 1267 ou un peu plus tard. MORICE, Preuves, t. I, c. 1007], dans celui de Vannes [Note : En 1270 (MORICE, Preuves, t. I, c. 1007)] et dans celui de Saint-Malo [Note : Bulle d'Alexandre IV du 26 octobre 1263. Reg. ord. 424. Le duc jouissait de la régale à Rennes en 1307. Arch. de la Loire-Inf., E 68]. Le comte de Penthièvre la percevait dans les évêchés de Saint-Brieuc et de Tréguier [Note : Enquête de 1235. LA BORDERIE, Nouveau recueil et MORICE, Preuves, t. I, c. 887. Le duc fit confirmer ce droit pour son compte par l'évêque de Tréguier en 1267. MORICE, Preuves, t. I, c. 1005]. Le vicomte de Léon en jouissait dans celui de Saint-Pol [Note : Même enquête. A Rennes le duc supprima le droit de dépouille en 1075 (Du PAZ, Histoire généalogique, p. 50-51). LOBINEAU (Hist. de Bret., t. I, p. 293) cite un acte de 1307 par lequel Philippe le Bel reconnaît au duc la garde et protection des églises bretonnes. Philippe le Hardi fit une déclaration analogue en février 1279 (Arch. de la L-I., E 59). Il est dit dans l'enquête de 1235, que le duc dépouilla l'évêque de Dol de ses régales, mais il s'agit là d'une saisie du temporel, regalia, régaire, opérée du vivant de l'évêque en punition de sa soumission au roi (premiers mois de 1231). LA BORDERIE, Nouveau recueil, p. 39. Histoire, t. III, p. 320. MORICE, Preuves, t. I, c. 889. Gallia, t. XIV, c. 1053].

Un maître de l'histoire contemporaine a écrit que saint Louis, en 1231, confirma « toutes les régales » au duc de Bretagne (IMBART DE LA TOUR, Elections épiscopales, p. 459). Il s'appuie sur Marca [Note : De concordia sacerdotii, éd. BALUZE (1663), lib. VIII, cap. XXV, § VI] qui s'appuie sur Choppin [Note : René CHOPPIN, De Domaniis, 1621, p. 28. Nemo utique dubitat Britonum duces priscos habuisse vacantium custodiam ecclesiarum. Ut Andegavensi illorum fœdere cum Gallo rege cavetur hac clausula « jus regalia quod in suis ecclesiis cathedralibus habere dicitur » anno 1231] qui s'appuie sur un certain traité d'Angers signé en 1231 entre saint Louis et Pierre Mauclerc. Or ils ne signèrent cette année là, qu'une trêve à Saint-Aubin-du-Cormier, et le texte ne dit rien de la régale. A vrai dire, il en est question dans le traité de Vendôme de 1227, aux termes duquel le duc devait posséder la cité d'Angers et autres lieux, « salvis in hiis domino regi... exercitu et equitatione et regalibus... » [Note : On ne trouve rien non plus sur la régale bretonne dans les traités de 1234 par lesquels Pierre Mauclere fit sa soumission au roi. Layettes, t. II, n°s 2319, 2320], mais cela ne nous apprend rien sur la régale en Bretagne. Bien plus explicite que les traités de Saint-Aubin-du-Cormier et de Vendôme, est le faux traité d'Angers si fâcheusement utilisé jusqu'à nos jours [Note : Par exemple par Ernest TEXIER, Etude sur la cour ducale et les origines du parlement de Bretagne, 1905, p. 147, Eugène SUE, Correspondance de Sourdis, 1839, p. XXVIII]. Alain Bouchart l'a cité. Bertrand d'Argentré l'a publié (Histoire de Bretagne, éd. de 1588, f. 232). Mais ni Lobineau (T. I, p. 234), ni Lenain de Tillemont qui l'a exécuté dans les règles (Vie de saint Louis, éd. de la Société de l'histoire de France, t. II, p. 104-107), ni René Blanchart (Cartulaire des sires de Rays, t. I, p. 222, n° 79) n'ont cru à son authenticité. Son caractère apocryphe est évident. Ce faux n'est sans doute pas très antérieur au 4 mai 1456, date d'un vidimus qui annonce l'avoir retrouvé dans un manuscrit de la cathédrale de Tréguier. Il est cité en termes vagues dans une enquête de 1455 sur les droits ducaux (MORICE, Preuves, t. II, c. 1652). Il est probablement apparenté au procès-verbal des faux Etats de 1315 [Note : B.-A. POCQUET DU HAUT-JUSSÉ, Les faux Etats de Bretagne de 1315 et les premiers Etats de Bretagne (Bibl. de l'Ecole des chartes, t. LXXXVI, 1925, p. 388-406)]. Certain détail convient très bien au milieu du XVème siècle : le duc fait hommage au roi « sauf et excepté notre saint père le Pape » ; le roi l'accepte « excepté l'Eglise de Rome et son vicaire notre saint père le Pape et tous ses droits royaux », c'est à savoir le « droit de régales lequel ès églises cathédrales de son duché lui compète et appartient d'ancienneté, ainsi qu'on disait couramment la garde ou sauvegarde des susdites cathédrales et des autres églises, de gens d'Eglise, de veuves et d'orphelins » [Note : Les archives des ducs contiennent les comptes de la Régale mais la plupart sont postérieurs à la restauration de Jean IV (1380). Les documents plus anciens sont rares et paraissent avoir été victimes de la longue guerre de Succession. On possède cependant pour Rennes un acte de 1307 et pour Nantes un acte du temps d'Arthur et un de Pierre Mauclerc (Arch. de la L.-I., E 67)].

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XII. — Les bulles des Papes décèlent, d'autre part, sur quels documents les évêques de Nantes appuyaient leur thèse, mais nous serons amenés, en les étudiant, à une conclusion qui ne concordera ni avec celle de la curie ni avec celle de l'évêché. On a estimé jusqu'ici que les prélats nantais avaient le bon droit pour eux et que les ducs leur firent endurer en cette occasion des sévices iniques. A notre avis les arguments employés par les évêques étaient fragiles et trompeurs, ils établissent plutôt le droit des ducs. Les pièces du procès se réduisent à deux : une charte de Louis VI (1123) et une charte d'Hoël (1148).

Par la première Louis VI confirme, à la requête de Brice, évêque de Nantes, les privilèges jadis accordés à cette église par ses prédécesseurs Charles, Clovis (ou Louis) et Clotaire (ou Lothaire), son fils, ainsi que la possession de biens qui sont énoncés. Louis VI ajoute que l'Eglise de Nantes ne dépendra de personne, sinon de sa seule autorité royale. Cet acte est-il authentique ? La question a été débattue. Pour la résoudre il faut distinguer entre l'acte confirmatif et l'acte confirmé. L'acte confirmé est un faux évident [Note : La thèse de l'authenticité est soutenue par E. ORIEUX, Charte de Louis VI (Bull. de la Soc. archéol. de Nantes, 1898) et Les biens de l'Eglise de Nantes et la charte de Louis le Gros (ibid., 1899) ; et Léon MAÎTRE, Situation du diocèse de Nantes au XIème et au XIIème siècle (Annales de Bretagne, t. XXVI, p. 492), et Etude critique sur la charte du roi Louis VI dit le Gros (Annales de Bretagne), 1587]. Quant à la confirmation par Louis VI, Achille Luchaire l'a étudiée de près et a conclu à son authenticité (Louis VI le Gros, p. CVIII, 153 et 323). Vingt-quatre ans plus tard, le diplôme de Louis VI paraît avoir été utilisé par la charte d'Hoël.

Ici l'authenticité n'est pas en discussion, mais il faut connaître les circonstances historiques pour déterminer la véritable portée de l'acte. Conan III laissa en mourant deux enfants, une fille Berte qui fut duchesse, et un fils Hoël qu'il désavoua. Celui-ci n'accepta point son exhérédation. Il se maintint plusieurs années dans le comté de Nantes. Il chercha même à se faire proclamer duc de Bretagne. Il obtint d'être avoué en cette qualité, comme succédant à son père, par l'évêque et le clergé de Nantes. Pour prix de cette complaisance, il concéda à l'évêque le droit de disposer de ses biens propres, de tester, et à son successeur le droit de recueillir tout le reste des biens épiscopaux dont la garde devait être assurée, durant la vacance, par les clercs du diocèse. Le soi-disant duc abandonnait « sevam illam et detestabilem rapacitatem quam in morte episcoporum super res ipsorum praedecessores mei fecerunt ». Ces termes qui rappellent ceux du privilège de Louis le Gros [Note : « Per rapacitatem armoricae regionis malorum hominum necnon etiam cupiditatem atque sevitiam ipsius provinciae comitum »], établissent que les ducs de Bretagne prédécesseurs d'Hoël jouissaient de tous les biens de l'évêque décédé, de ses biens mobiliers (droit de dépouille) et du revenu de ses biens immobiliers (droit de régale). Ni au XIIème, ni au XIIIème siècle, il n'est question de la régale spirituelle ou nomination aux bénéfices vacants, droit qui deviendra plus tard, aux yeux des rois de France, le principal attribut de la régale.

La générosité d'Hoël ne lui coûta guère. Lorsqu'il fut chassé en 1156, l'évêque qui l'avait salué en 1148 régnait toujours. Dans l'intervalle aucune vacance ne s'était produite. Aucune occasion par conséquent ne s'était présentée au comte Hoël d'appliquer et de subir le privilège qu'il avait octroyé. Aux yeux de sa soeur Berte l'acte de l'usurpateur Hoël était nul et non avenu. Mais un fait accompli a toujours ses conséquences. L'acte d'Hoël était en bonnes mains. On sut en tirer parti [Note : A ces précédents le duc aurait pu opposer ce passage de la Chronique de Nantes qui rapporte que cette église, ayant perdu son pasteur vers 980, demeura entre les mains du comte Guerec pendant sept ans et que, seulement après sa mort (987), un nouvel évêque fut élu (Edition MERLET, p. 120 et 128, n. 2)].

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XIII. — Pendant la suite du XIIème siècle, on ne trouve pas trace de conflit au sujet de la régale à Nantes. C'est en 1206 que la question se posa de nouveau, non pas à l'occasion d'une succession, mais du vivant d'un évêque. Le roi Philippe-Auguste ayant mis la main sur la Bretagne et venant à Nantes fit enquérir des droits respectifs de l'évêque et du comte. Sur la régale le témoignage fut formel : à la mort d'un évêque le duc prend possession du régaire et il en a les revenus tant que dure la vacance « sine tallia, aut gravamine aut aliqua exactione » ; après l'élection, le duc, à la requête du chapitre, rend les régaires au nouvel élu (MORICE, Preuves, t. I, c. 803).

Si le roi se flattait d'étouffer dans son germe les contestations en matière de régale, il se faisait illusion, c'est au contraire à partir de cette époque que le conflit éclate infailliblement à chaque vacance, — ce qui laisse à penser que l'évêque ne souscrivait pas aux conclusions de l'enquête.

A la mort de Geoffroi, son successeur Etienne de la Bruière plaida contre Gui de Thouars devant l'archevêque de Tours. Le duc prétendait au droit de lever, pendant la vacance, la collecte ou cueillette, c'est-à-dire la taille ordinaire, et ne voulait délivrer le temporel qu'après que l'évêque serait venu l'en requérir. C'était contraire aux conclusions de 1206. Après une nouvelle enquêtes [Note : Elle établit que les comtes de Nantes n'étaient que dépositaires de la régale, pendant la vacance, et qu'ils devaient rendre au nouvel élu tous les fruits perçus, sauf déduction des frais faits pour le service de l'Eglise. Guy de Thouars les rendit à Etienne. LOBINEAU, Histoire de Bretagne, t. I, p. 263. TRAVERS, Histoire de Nantes, t. I, p. 312] l'archevêque se prononça contre le duc (MORICE, Preuves, t. I, c. 930. LOBINEAU, Histoire de Bretagne, t. I, c. 262). Cette sentence fut suivie entre le duc et l'évêque d'une composition que le pape confirma. Elle maintenait le duc en possession du droit de garde (MORICE, t. I, c. 935). Mais il faut croire que ses termes n'étaient pas suffisamment explicites car, après le règne éphémère (cinq mois) de Clément, successeur d'Etienne de la Bruière, Henri, successeur de Clément, soutint une discussion sur le même objet avec le duc Pierre Mauclerc [Note : TRAVERS, Histoire de Nantes, t. I, c. 354. Ces règnes courts étaient une aubaine pour le duc. A la mort d'Etienne et de Clément il occupa les régales et de plus extorqua des sujets épiscopaux 1.400 livres en tailles et exactions indues, selon l'estimation partiale de l'évêque de Nantes en 1248. MORICE, t. I, c. 935]. Ce n'est qu'après la mort d'Henri que la question fut portée devant le Saint-Siège.

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XIV. — Henri mort [Note : Probablement le 15 octobre 1234. Gallia, t. XIV, col. 820], les chanoines procédèrent à l'élection de son successeur. La majorité porta ses voix sur l'archidiacre Josselin, ce sage ecclésiastique à l'arbitrage duquel le duc Pierre s'était remis pour terminer son premier conflit avec l'évêque de Nantes (voir ci-dessus). Mais la minorité refusa de s'incliner. L'élu est un illettré, disait-on, qui ne sait pas le latin et est incapable de prêcher en français. Une opposition surgit qui prit pour chef ou pour porte-parole un chanoine de Nantes qui était en même temps chantre du Mans, ce qui permet de l'identifier avec Pierre de Vendôme [Note : Récemment pourvu de la chantrerie, vacante par la promotion de Geoffroy de London au siège épiscopal du Mans]. Fils de ce comte de Vendôme qui naguère, en 1222, avait été l'adversaire et le prisonnier de Pierre Mauclerc, il était encore jeune puisqu'il mourut bientôt après à Bologne où il s'était rendu pour achever ses études [Note : PIOLIN, Histoire de l'Eglise du Mans, p. 287 et 353. LA BORDERIE, Histoire de Bretagne, t. III, p. 304, 307. MORICE, Preuves, t. I, p. 107-108]. Sa jeunesse explique son audace. Les antécédents de sa famille firent de sa personne le gonfalonnier du parti hostile au duc. Car cette inimitié était au fond du débat électoral.

Aucun vice de forme n'était allégué contre l'élection, mais le défaut de capacité et de vertu dont on faisait grief à l'évêque, pouvait canoniquement la faire annuler. Le pape Grégoire commit l'enquête à trois ecclésiastiques du diocèse du Mans (20 juin 1235) [Note : L'archidiacre du Passais, le chanoine Roher et l'abbé de Vaas, déjà commissaires dans les affaires bretonnes, l'un en avril 1219, l'autre en janvier 1220]. Le résultat nous en est connu par les événements. L'archidiacre Josselin ne fut point confirmé par le pape qui, ayant cassé l'élection, désigna, de son propre chef, un prélat étranger à la Bretagne, Gui Robert (1236) [Note : Le Chron. Britt. l'appelle Robert « Xanton, natione, episcopus Aquileiensis », mais il ne figure pas sur les listes des évêques ou patriarches d'Aquilée. Aubry de Trois-Fontaines dit : Guy, un évêque d'Apulie, expulsé par l’empereur Frédéric II (BOUQUET, Histoire de France, t. XXI, p. 618, 628). Les listes des sièges épiscopaux d'Apulie sont trop incomplètes pour que j'aie pu mieux l'identifier].

Le clergé nantais était hostile à ces intrusions de l'étranger. Bien longtemps auparavant, il avait rendu la vie impossible à l'évêque Airard que Grégoire VII avait envoyé pour le réformer. Robert ne fut pas plus heureux. Les prêtres des paroisses lui refusèrent le droit de procuration dû à l'occasion de ses visites pastorales [Note : Bulle contre eux, 5 décembre 1236. Gallia, t. XIV, Instr., col. 182]. Il ne fut pas accueilli avec plus de faveur à la cour ducale. Pierre Mauclerc refusant de restituer les régales, une guerre s'ensuivit entre le prélat et lui. Le duc occupa le temporel épiscopal, y leva des tailles et exactions diverses que l'évêque appelait des rançons, il perçut même les dîmes, il dépouilla le manoir épiscopal de son mobilier et vida la cave de ses tonneaux [Note : En 1248, l'évêque de Nantes estime le préjudice subi : pour les dîmes, 1000 livres, les tailles 5.000 et le mobilier, 100 (MORICE, Preuves, t. I, c. 935)]. Nommé directement par Rome le nouvel évêque ne pouvait faire autrement que de déférer à Rome le jugement de ce litige.

Robert obtint de Grégoire IX deux bulles successives contre le duc. La première est du 27 septembre 1236. C'est une sorte de monitoire rédigé en termes généraux et dont l'exécution était confiée à l'archevêque de Tours, Juhel de Mathefelon. L'archevêque entra en Bretagne ; il se rendit même jusqu'à l'abbaye de Landévennec où il séjournait le 10 décembre 1236 [Note : PEYRON, Abbaye de Daoulas dans le Bull. de la Soc. arch. du Finistère (1897), p. 60]. On ne possède aucune trace de sa procédure. D'ailleurs l'évêque de Quimper, s'il le vît comme il est vraisemblable, ne put que l'induire à la conciliation, car il était de race française et ses sentiments favorables à la politique ducale. La seconde bulle, en date du 3 décembre 1236, énumère avec plus de détails les griefs de l'évêque en même temps qu'elle exprime, par la bouche du pape, sa théorie sur la régale. La voici : si le duc possède pendant la vacance le droit de garde sur le temporel épiscopal, c'est pour assurer la conservation des revenus qui en proviennent, et les remettre, après déduction de ses frais, au nouvel élu. Suivant cette thèse, la perception des revenus épiscopaux opérée par le duc à son profit pendant la vacance en toute bonne foi, conformément à l'enquête de 1206, était une extorsion indue. On lui faisait un crime non seulement d'avoir levé les dîmes, ce qui en effet était abusif, mais encore d'avoir exploité les vignes et les salines, coupé les bois, pêché les poissons et pénétré par effraction dans la demeure épiscopale. Trois commissaires enquêteurs furent envoyés en Bretagne : l'évêque de Poitiers, Jean de Melun auquel furent adjoints son doyen, Geoffroi, et le trésorier de Saint-Martin de Tours [Note : MORICE, Preuves, t. I, c. 943. AUVRAY, Registres de Grégoire IX, n°s 508 et 3387. Gallia, t. XIV, col. 181]. Cette seconde bulle donnait au duc son titre de croisé. Il l'était depuis le mois d'octobre précédent. Est-ce la cause de l'indulgence du saint Père ? Le duc, en tout cas, obtint satisfaction, au moins en fait. L'évêque de Poitiers se comporta avec assez de bonté. pour mettre Pierre en confiance [Note : Quelques années après, il était invité par Pierre à sceller le testament de sa seconde femme, Marguerite de Montaigu (1244, Gallia, t. II, col. 1136)]. Quant à celui de Nantes, en 1238, il était à Rome plaidant contre le duc. Bientôt après des chanoines de Jérusalem ayant élu patriarche le cardinal Jacques de Vitry, Grégoire IX refusa de se priver d'un conseiller si utile, mais en échange fut tout heureux de lui substituer Robert qu'il nomma patriarche de Jérusalem (14 mai 1240). A cette époque précisément Pierre Mauclerc se trouvait en Palestine, effectuant sa croisade. Peu empressé de se rencontrer, là-bas, avec son adversaire le nouveau patriarche demeura quelques mois à Gênes, attendant un vent propice et ce n'est que l'année suivante, Pierre Mauclerc étant rentré en Bretagne, qu'il fit voile vers sa nouvelle résidence [Note : RAINALDI, Annal. eccles., an. 1240, note].

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XV. — Pierre Mauclerc qui n'était que garde de Bretagne, céda le pouvoir à son fils Jean le Roux lorsque celui-ci, devenu majeur, eut prêté hommage au roi le 16 novembre 1237. Son influence toutefois se fit encore sentir jusqu'à son départ pour la croisade au passage de la Saint-Jean 1239. Il laissait la situation ecclésiastique du duché assez troublée.

La première bulle qui parvint à la chancellerie de Jean le Roux vise cet état de choses. Tiraillé entre les évêques bretons qui se plaignaient des lésions subies, et le pouvoir ducal qui faisait remarquer au Saint-Siège que les censures épiscopales dérogeaient au privilège accordé par le souverain pontife à Pierre, en qualité de croisé, et à son fils, Grégoire IX se contenta de rappeler les parties en cause au respect du droit. L'archevêque de Rouen fut chargé de veiller à l'application de cette bulle (18 décembre 1237) [Note : AUVRAY, Registres de Grégoire IX, n. 3988]. Mais Jean le Roux ne s'en contenta pas et sur ses instances réitérées, une nouvelle bulle plus catégorique fut expédiée à l'évêque du Mans, Geoffroi de Loudon, pour qu'il assurât le respect du privilège apostolique [Note : 23 mai 1241. AUVRAY, Registres de Grégoire IX, n. 6029].

Jean le Roux dont le règne long de cinquante ans mit en valeur les qualités de pacifique mais aussi d'entêté, de dissimulé, d'avare, montrait alors un caractère docile à la fougueuse volonté de son père. Il faut attribuer à l'influence de celui-ci et à son exemple la ligne de conduite primitivement adoptée par Jean le Roux à l'égard du clergé.

Son geste inaugural fut significatif. Revenant de Paris où il avait prêté l'hommage [Note : Soit le 16 novembre 1237 soit peu de jours avant], il parvint à Rennes [Note : Vers le 18 novembre. La Borderie cite les textes qui autorisent ces dates (Hist. de Bret., t. III, p. 329, note, p. 336). Il les force en plaçant l'hommage le 16 et le couronnement le 18. Le Duc n'aurait eu qu'un seul jour pour faire le trajet de Paris à Rennes !], où dans une cérémonie imitée du sacre des rois et que l'on appelle d'un terme impropre son couronnement, il prit sur l'autel de la cathédrale les emblèmes purement militaires de son nouveau pouvoir : le glaive et la bannière, et reçut le serment de ses sujets. La coutume voulait que, en cette occurrence, le duc jurât de défendre les libertés de l'Eglise. Ce serment il le refusa. Etonnés, les évêques du pays qui l'entouraient, le pressèrent en vain. Sa résolution était prise. Elevé dans le respect scrupuleux de la foi jurée, il n'adhéra pas à des lois qu'il voulait modifier. C'était une déclaration de guerre. Les évêques l'acceptèrent. A part l'évêque de Quimper, fidèle aux ducs, tous portèrent leur plainte au pape qui chargea le doyen du Mans, Robert de Domfront, déjà précédemment commissaire apostolique contre le duc Pierre (Bulle du 29 mai 1228, voir ci-dessus), et le granger de Saint-Martin de Tours [Note : Sur ce dignitaire, voir NOBILLEAU, La collégiale de Saint-Martin de Tours, p. 79. Ce n'est qu'à partir de Pierre II, en 1466, que les ducs de Bretagne devinrent chanoines d'honneur héréditaires de Saint-Martin], de contraindre Jean Ier à prêter le serment accoutumé (21 avril 1239) [Note : MORICE, Preuves, t. I, c. 915]. Ils n'obtinrent rien.

Jean le Roux développant sa pensée venait en effet d'émettre une théorie ingénieuse : la bulle du 30 mai 1230, dit-il, n'a pas un effet perpétuel ; elle visait mon père, elle ne m'atteint pas. La décision papale ainsi réduite à néant, le jeune duc régla la question qu'elle avait voulu trancher. Il publia un ban qui fixait le tierçage à treize deniers comptés en plus des legs faits à l'Eglise. En outre il réglait une redevance qui n'avait pas été contestée en cour de Rome du temps de son père, le « past nuptial », que les curés prélevaient sur leurs paroissiens à l'occasion des mariages. Il le remplaçait par un droit fixe de douze deniers. A Rome ces sommes parurent dérisoires et surtout le statut ducal, en tant qu'unilatéral, fut tenu pour nul et non avenu. Par bulle du 26 janvier 1238 l'archevêque de Rouen fut invité à se faire juge dans le différend qui mettait aux prises le duc de Bretagne avec l'évêque de Nantes et les autres évêques de Bretagne [Note : AUVRAY, Registres de Grégoire IX, n. 4047]. L'année suivante deux nouvelles bulles visèrent spécialement le conflit du tierçage et ses récentes complications (27 avril 1239). Dans la première, Grégoire IX affirmait que sa volonté avait été et était encore de donner à sa bulle de 1230 un effet perpétuel. Cette confirmation était octroyée aux sept évêques qui avaient impétré la bulle contestée. L'évêque de Nantes, alors présent à Rome, fut admis à en partager le bénéfice. Bientôt après, pour plus de sûreté, un vidimus confirmatif de la « provision » de 1230 fut expédié aux évêques de Nantes et de Saint-Malo (6 juin 1239. MORICE, Preuves, t. I, c. 909). Par une autre bulle Grégoire IX condamna le nouveau tarif publié par le duc et lui enjoignit de le faire « débannir » (AUVRAY, Registres de Grégoire IX, n. 4878-4879).

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XVI. — Au moment où ces bulles parvenaient en Bretagne, Pierre Mauclerc faisait voile vers la Terre Sainte. Aussi son oeuvre bretonne doit-elle être considérée comme achevée, ce qui ne signifie pas que les buts visés par lui eussent été atteints. Sa carrière ducale mit en vive lumière les mérites et les lacunes de cet homme typique. Certes il avait de rares qualités, on ne lui dénie point une puissante intelligence, une activité débordante et du charme. Il plut à ses contemporains, du moins aux Français. Mais ses défauts diminuèrent le résultat de ses efforts. Dans sa lutte contre les évêques, nous l'avons constaté, il entreprenait trop et trop à la fois, il frappait trop fort et devait ensuite reculer sur toute la ligne. L'esprit de mesure et l'esprit de suite qui constituent le sens politique, lui étaient étrangers. Toutefois s'il ne fut pas un homme d'Etat, s'il ne sut pas consolider les résultats qu'il obtenait momentanément, tâche qui incombera à son fils, on ne peut pas lui refuser d'avoir restauré en Bretagne l'autorité ducale. C'est parce qu'il laissa un pouvoir vigoureux que les capitulations si absolues qu'il avait dû consentir sur tous les terrains où il fut en lutte avec l'autorité pontificale : dîmes et tierçage, fortifications des cités, régale, ost des seigneuries épiscopales, n'apparaissent plus aujourd'hui que comme des expédients passagers à quoi des circonstances fâcheuses le contraignirent, concessions que ses successeurs, à commencer par son fils, refusèrent d'entériner et dont ils poursuivirent pendant de longues années et non sans succès la revision et l'abrogation.

Le résultat pratique de cette longue lutte contre le clergé fut, en dernière analyse, assez vain. D'un commun accord les adversaires finirent par transiger sur la plupart des questions litigieuses. En 1259 Jean le Roux s'engage à servir régulièrement à l'évêque de Nantes la rente jadis promise par Gui de Thouars pour compenser l'occupation de son territoire par les fortifications ducales ; il jure de lui verser une autre rente pour l'indemniser de la construction de la Tour Neuve. On passe l'éponge sur la démolition d'églises reprochée à Pierre Mauclerc. De la seigneurie commune il reste un témoin, l'esmage, cet impôt commun dont le produit fut désormais placé dans une « arche » commune fermée par deux clefs possédées l'une par l'alloué de l'évêque, l'autre par celui du duc. A la suite d'un arbitrage du cardinal de Porto, se prononçant à titre privé et non pas comme délégué apostolique, la régale de Nantes fut abandonnée — momentanément — au chapitre à condition qu'il renonçât à invoquer tout autre prince que le duc pour défendre son temporel (1268).

C'est également par des accords amiables que se terminèrent d'autres querelles élevées par le duc Jean le Roux contre l'Eglise bretonne, l'une contre le sire de Clisson se prétendant vassal de l'évêque de Nantes, et l'autre contre l'abbaye de Redon soutenant, en sa qualité d'exempte, n'être pas justiciable des cours ducales. Comme les chanoines de Nantes, les moines de Redon firent la paix en renonçant à toute action intentée par eux soit en cour de Rome soit en cour du roi.

Voilà la cause fondamentale qui éteignit les conflits suscités par Mauclerc, la crainte qui inclina les ducs, ses successeurs, à la sagesse et à la conciliation. La pensée que leurs démêlés ultérieurs ouvriraient la porte du duché aux juges royaux les arrêta, les fit reculer.

Cette appréhension n'était point imaginaire. Un siècle après l'avènement de Pierre Mauclerc se produisit en effet parmi les vassaux ecclésiastiques des ducs une levée de boucliers. Evêques et abbés soutinrent avec audace qu'ils étaient pleinement indépendants du pouvoir ducal même au temporel. Or ce mouvement se déclencha à l'instigation des légistes de Philippe le Bel.

A propos de la plus bruyante des querelles cherchées par Pierre Mauclec au clergé du duché en fondant la ligue de Redon, en abolissant le tierçage (puis le past nuptial), en interdisant la revendication des dîmes inféodées, nous n'avons plus qu'un mot à ajouter. Clément V apaisa définitivement ce conflit en 1309 : le tierçage et le past nuptial furent maintenus mais tarifés, solution préconisée par Jean le Roux dès son avènement, à cette différence près que le duc voulait imposer une somme fixe et très minime, tandis que le pontife exigea des contribuables un droit sensiblement plus élevé et proportionnel à leur fortune. Les dîmes inféodées furent tolérées. Ce règlement, fruit d'une élaboration séculaire, était si prudent qu'il persista jusqu'à la fin de l'Ancien régime.

Ainsi la papauté qui avait d'abord adopté la cause des évêques, épousé leur querelle et renforcé leurs sanctions, évolua peu à peu vers une politique plus modérée qui, sans sacrifices exagérés, laissait au pouvoir civil une condition viable [Note : Ces conclusions concordent avec celles auxquelles aboutit M. Jacques Levron dans sa thèse sur Pierre de Dreux, dit Maucterc (Ecole nationale des chartes, Positions des thèses... de la promotion de 1929, p. 155 et suiv.].

(Barthélemy-Amédée Pocquet du Haut-Jussé).

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