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LES PRÉPARATIFS D'UNE INVASION ANGLAISE

ET LA DESCENTE DE HENRI III EN BRETAGNE (1229-1230)

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A la fin de l'année 1228, un groupe de nobles normands et angevins demandèrent à Henri III d'attaquer et de récupérer ses terres situées en France, tandis que Pierre Mauclerc, veuf d'Alix de Bretagne et qui gouvernait le comté de Bretagne pendant la minorité de son fils Jean, entra ouvertement en révolte contre Louis IX en faisant allégeance au roi d'Angleterre. Les préparatifs militaires anglais furent lents et le débarquement d'Henri III et de son armée en Bretagne n'eut lieu qu'en mai 1230, après les vaines tentatives de Richard de Cornouailles, frère du roi et son lieutenant en Aquitaine. La campagne ne rencontra pas beaucoup de succès et l'armée se replia. Finalement Henri III signa une trêve avec Louis IX en 1234 et rentra en Angleterre sans avoir rien obtenu.

On sait que les Plantagenets ont attendu plus de cinquante ans avant de reconnaître par un acte solennel les conquêtes de Philippe-Auguste. Depuis les premières années du XIIIème siècle jusqu'en 1259, ils ont été constamment en guerre avec la France. Ne pouvant se résoudre à ratifier la perte de leurs possessions continentales, trop faibles pour les reprendre, trop fiers pour acheter la paix au prix d'un humiliant abandon, ils n'ont traité qu'en désespoir de cause, après de longs et inutiles efforts. Pour reprendre la Normandie, le Poitou, l'Anjou, le Maine, il aurait fallu gagner des batailles, et la victoire ne se décida jamais que pour la France. Henri III, roi d'Angleterre, et ses sujets mirent longtemps à se rendre compte qu'ils devaient renoncer à la revanche ; sous Philippe-Auguste, au temps de son fils et de saint Louis, ils laissèrent traîner les hostilités, guettant les occasions, préparant des armements qui n'aboutissaient pas toujours, attaquant la France, puis se retirant sans avoir rien obtenu, parfois battus et toujours malheureux. Après chaque prise d'armes, comme on ne pouvait rester indéfiniment en guerre ouverte, on faisait une trêve, conclue pour un temps plus ou moins long, et souvent, quand elle arrivait à son terme, on la renouvelait, faute de pouvoir mieux faire.

L'expédition de 1230 est l'une de ces tentatives faites par le fils de Jean Sans-Terre pour remettre la main sur les anciens domaines de sa famille. Elle n'a pas été plus heureuse que les autres, et pourtant les circonstances dans lesquelles la France se trouvait alors semblaient favorables au roi d'Angleterre.

Louis IX sortait à peine de l'enfance ; la régente Blanche de Castille employait son génie et les ressources de la couronne à défendre le pouvoir royal contre le mauvais vouloir ou l'inimitié déclarée des grands vassaux. Quelques mois à peine après l'avènement de son fils, elle avait dissous, aux traités de Vendôme, une coalition soutenue par les Anglais, à la tête de laquelle se trouvaient Thibaud, comte de Champagne, Hugues de Lusignan, comte de la Marche, et Pierre de Dreux, auquel était dévolue la garde de la Bretagne pendant la minorité de ses enfants. Mais ce premier succès n'avait pas été suivi d'une paix durable : bientôt Blanche avait dû déjouer un complot des barons, qui voulaient se saisir de son fils, puis marcher en plein hiver, avec le roi, contre le comte de Bretagne et lui enlever de force le château de Bellême. Elle venait de mettre fin à la guerre des Albigeois et de recevoir au traité de Paris la soumission du comte de Toulouse, quand les grands, se sentant impuissants à l'attaquer de face, prirent le parti de ruiner, pour l'affaiblir, ceux qui lui restaient fidèles. Le vaincu de Bouvines, Ferrand de Portugal, comte de Flandre, que Blanche avait tiré de prison, et le comte de Champagne, qui, depuis 1227, était passé du parti des révoltés à celui de son jeune maître, étaient alors les principaux soutiens de la couronne ; on résolut de briser leur puissance. Après avoir, avec une obstination pleine de perfidie, forgé de toutes pièces une légende d'après laquelle Thibaud de Champagne aurait été l'amant de la reine, les ennemis de Blanche passèrent de la calomnie à la violence ouverte et se coalisèrent pour déposséder son protégé. L'oncle du roi, Philippe Hurepel, comte de Boulogne, était à la tête de ce parti, que composaient avec lui le duc de Bourgogne et le comte de Nevers, les comtes de Saint-Pol et de Guines, le sire de Coucy, le comte Robert de Dreux, ses frères le comte de Mâcon, l'archevêque de Reims et Pierre Mauclerc, comte de Bretagne, l'irréconciliable et redoutable ennemi de la reine Blanche. Prétendant dépouiller le comte de Champagne au profit de sa cousine la reine Alix de Chypre, ils se disposaient à se jeter sur ses États au moment où finit là trêve qui depuis quelque temps avait été rétablie entre l'Angleterre et la France.

Cette trêve, conclue d'abord en 1227 pour une année, avait ensuite été prorogée jusqu'au 22 juillet 1229. C'est avec impatience que Henri III en voyait approcher le terme, car il comptait bien mettre à profit, pour reprendre l'héritage de ses pères, la guerre civile qui allait commencer en France, le mécontentement des Normands, l'humeur inquiète et turbulente des Poitevins et surtout les rancunes du comte de Bretagne. Une fois décidé à faire contre la France un grand effort, le roi d'Angleterre poussa ses préparatifs en homme qui se disposait à conquérir pour le moins deux ou trois provinces. Tout d'abord, comme prélude aux actes de guerre, on vit reparaître en Angleterre ces mesures rigoureuses qui, à chaque reprise d'hostilités, interrompaient les relations commerciales d'une rive à l'autre de la Manche.

Dès le 5 juillet, Henri III avait écrit à tous les vicomtes ou shériffs de son royaume et à plusieurs de ses baillis de s'opposer à ce qu'aucun marchand étranger séjournât en Angleterre, avec ses biens et ses marchandises, après la Sainte-Madeleine (22 juillet). Ceux qui resteraient passé ce délai devaient s'attendre à être arrêtés et dépouillés (Shirley, Royal and other historical letters illustrative of the reign of Henry III (collection du Maitre des Rôles), t. I, p. 353-354 ; 5 juillet 1229). Le 17, les baillis de Dunwich et de quatorze autres ports situés sur la Manche et sur la mer du Nord furent informés que la trêve allait être finie et que déjà des barques et des vaisseaux français, réunis sur les côtes ennemies, se préparaient à faire la course ; défense était faite aux vaisseaux anglais de passer la mer ; tous les bâtiments étrangers en séjour dans les ports anglais devaient être arrêtés et gardés jusqu'à nouvel ordre, sans excepter ceux qui venaient de la Gascogne (Shirley, t. I, p. 354 ; 17 juillet 1229). Des instructions de teneur analogue furent promulguées le 20 juillet (Record office. Close rolls ; 13ème année de Henri III, n° 39, membr. 7 in dorso ; 20 juillet 1229 : « Rex ballivis portus de Sorham, » etc.) ; puis, le 25, la sévérité de ces mesures se relâcha en faveur des marchands étrangers, à l'exclusion des Français ; le maire et les vicomtes de Londres furent invités à les laisser aller (Shirley, p. 355 ; 25 juillet 1229). Le lendemain, 26 juillet, Henri III écrivit aux vicomtes des comtés de Dorset, Norfolk, Suffolk, Essex, Lincoln, Kent, Sussex, Southampton , Devon et Cornouailles pour leur annoncer l'envoi de commissaires royaux, avec le concours desquels ils auraient à faire arrêter tous les vaisseaux rencontrés dans leurs ports ; on devait s'assurer qu'ils s'y trouveraient à la quinzaine de la Saint-Michel, prêts à partir dans la direction que le roi leur ferait désigner. Pour chaque comté, une liste, rédigée en double expédition, devait porter l'indication de tous les vaisseaux, du nombre de chevaux que chacun pouvait contenir et des noms de leurs patrons [Note : Shirley, t. I, p. 356 ; 26 juillet 1229. Cette circulaire fut corroborée, le même jour, par une autre, qui se trouve, comme la première, dans les rôles des lettres patentes : Patent rolls, n° 37, membr. 5 r° : « Rex omnibus ballivis et aliis de portubus maris, » etc. La Saint-Michel étant le 29 septembre, la quinzaine de cette fête, visée dans l'acte, tombait le 13 octobre].

Le 27 juillet, le roi fit savoir à Renouf, comte de Chester et de Lincoln, à tous ses comtes et barons, évêques et abbés, que, sur l'avis de ses vassaux et de certains amis qu'il avait outre-mer, il avait résolu de se trouver à Portsmouth à la quinzaine de la Saint-Michel pour s'embarquer ; il les convoquait à s'y rendre tout équipés, chacun avec un nombre donné de chevaliers (Shirley, t. I, p. 356-357 ; 27 juillet 1229). Quels étaient ces amis d'outre-mer ? A coup sûr Pierre de Bretagne, probablement aussi des nobles poitevins et, sans aucun doute, un certain nombre de chevaliers et d'armateurs normands. Nous verrons souvent, au cours de ce récit, que le roi d'Angleterre considérait comme siens les marins de Dieppe et de Barfleur [Note : Record office. Patent rolls, 13ème année de Henri III, 37, 3 r° ; 4 octobre 1229 : le roi convoque à Portsmouth, pour son expédition, les patrons et marins de Barfleur ; même convocation adressée à ceux de Dieppe]. A l'ouest de la Normandie, la riche famille des Paynel avait montré, lors d'une révolte encore toute récente, qu'elle était bien plutôt anglaise que française ; elle se disposait à le prouver de nouveau. Parmi ceux qui bientôt allaient passer la mer avec le roi d'Angleterre, on trouve Eustache de Mortain, évidemment un Normand [Note : Roberts, Excerpta e rotulis finium (1216-1272), t. I, p. 191 ; 17 décembre 1229 : « Rex concessit Eustachio de Moretoin, » etc]. Enfin, comment ne pas tenir pour un ami des Plantagenets ce Richard de Harcourt qui, le 25 juillet 1229 [Note : Close rolls, 39, 6 r° ; 25 juillet 1229 : « Licentia ducendi duos palefridos in partes transmarinas »], se fait donner la permission exceptionnelle de faire amener d'Angleterre en France deux palefrois, et qui, un peu plus tard, le 21 juin 1232, était reçu avec égards à Douvres, d'où il devait se rendre auprès du roi Henri [Note : Close rolls ; 16ème année de Henri III, 43, 8 r° ; 21 juin 1232 : « Pro Ricardo de Harecurt ». L'acte stipule que ce seigneur est « de Normannia »] ? La conquête de Philippe-Auguste, les violences de Lambert Cadoc et la dureté des agents royaux avaient laissé en Normandie des souvenirs tenaces, et l'on ne doit pas oublier que, dans ce pays encore mal habitué à son nouveau sort, plus d'un seigneur se trouvait à la fois vassal des deux couronnes. Il en était de même du clergé, et nous en sommes réduits à nous demander dans quelle mesure Blanche de Castille aurait pu compter, par exemple, sur l'abbé Guillaume de Fécamp, qui tenait comme tel des terres en Angleterre , et dont Henri III ratifia l'élection le jour même où finit la trêve avec la France (Patent rolls, 37, 5 r° ; 22 juillet 1229 : « De abbate de Fiscampnis »).

Pendant l'été, en exécution des circulaires expédiées le 26 juillet, un certain nombre de navires anglais furent autorisés à quitter les ports, entre autres Winchelsea, Portsmouth, Yarmouth, Sandwich, contre la promesse de se retrouver à Portsmouth à l'époque où la flotte devait se réunir [Note : Winchelsea. Close rolls, 39, 6 in dorso ; 28 juillet 1229. — Ibidem, 6 r° ; 5 août 1229. — Ibid., 5 r° ; 2 septembre 1229. - Portsmouth. Close rolls, 39, 6 r° ; 1er août 1229. - Sandwich. Ibid., 5 r° ; 31 août 1229. - Yarmouth. Ibid., 6 r° ; 2 août. — Ibid., 10 août 1229]. Les contingents fournis par certaines villes étaient considérables, si l'on en juge par le petit port de Dunwich, qui promit de mettre à la disposition du roi quarante bons vaisseaux, bien armés, montés par de bons pilotes et de bons équipages (Close rolls, 39, 4 r° ; 10 septembre 1229 : « De navibus de Dunewic[io] »). Les côtes de la Manche n'étaient pas seules mises à contribution, ainsi que nous l'apprend un mandement adressé au connétable de Bristol (Close rolls, 39, 4 r° ; 12 septembre 1229 : « De navibus arestandis que XVI equos ferre possunt. Mandatum est coustab[ulario] Bristoll[ie], » etc). Toutes ces opérations s'effectuaient avec ordre et promptitude, et, le 20 septembre 1229, Guillaume Talbot, Geoffroy de Lucy, Gautier de Burgh et Gautier de Brackley furent envoyés à Portsmouth pour prendre livraison des bâtiments qui devaient s'y rassembler (Patent rolls, 37, 4 r° ; 20 septembre 1229 : « Rex assignavit Willelmum Talebot, » etc).

Le système prohibitif mis en vigueur depuis la reprise des hostilités était en somme assez arbitraire. Un vaisseau de Bayonne, plein de marchandises provenant de Bordeaux et de la Réole, est arrêté à Portsmouth parce qu'on croit que sa cargaison vient de la Rochelle, et l'on finit par le relâcher (Close rolls, 39, 4 r° : « De nave de Baiona deliberanda »). On saisit, puis on restitue à des commerçants de Londres (Close rolls, 39, 5 r° : « Pro Willelmo Joymer de Londoniis »), à un habitant de Berwick (Close rolls, 39, 5 r°), à un autre sujet du roi d'Écosse (Close rolls, 40, 19 r° ; 28 décembre 1229 : « De quadam nave deliberanda ..... navem Benedicti Scoti, » etc.) des sacs de laine et diverses denrées ; on va jusqu'à confisquer provisoirement un vaisseau qui venait d'apporter à Henri III des cadeaux envoyés par le roi de Norvège (Close rolls, 40, 19 r° ; 28 décembre 1229 : « De quadam nave deliberanda .... et in qua transmissa fuerunt domino regi exennia a rege Norwegie, » etc.). Des bateaux pris sur les côtes de Poitou par Savary de Mauléon sont amenés à Dunwich, puis remis en liberté, mais sous condition de venir se joindre à la flotte royale lors du prochain passage (Close rolls, 39, 5 r° ; 9 septembre 1229 : « Mandatum est Savarico de Malo Leone, » etc.). On arrive, par tous ces procédés d'une honnêteté plus ou moins contestable, à constituer à Portsmouth une force navale qui, au moment décisif, se trouva insuffisante et qui pourtant devait être considérable ; après le 19 septembre, Guillaume Talbot et ses trois collègues commencent à distribuer à divers seigneurs, pour leur traversée, les bâtiments dont ils ont besoin (Close rolls, 39, 4 in dorso ; 19 septembre 1229 : « Mandatum est Willelmo Talebot, » etc.).

Pendant tout le temps que durent ces préparatifs, alors que les relations sont presque entièrement suspendues entre l'Angleterre et les pays voisins, certains privilégiés continuent, en vertu de permissions délivrées par Henri III, à se livrer au commerce par mer, et, dans cette catégorie, on relève, non sans étonnement, les noms d'un certain nombre de Français, presque tous normands : un marchand de Gisors (Patent rolls, 37, 6 r° ; 16 juillet 1229 : « Johannes Sachevin, mercator de Gysort. » — « Simon Cabot, mercator Parisiensis. »), un autre de Paris, des Rouennais (Patent rolls, 37, 2 r° : « Walterus Blundel, mercator de Rotomago. »), des marins de Barfleur avec six vaisseaux (Patent rolls, 37, 5 r° ; 29 juillet 1229 : Barfleur), des Dieppois, hommes de l'archevêque de Rouen (Patent rolls, 37, 4 r° ; 5 septembre 1229 : « Rex probis hominibus Rothomagensis archiepiscopi de Depa. »). Deux vaisseaux de Dieppe, chargés de marchandises qui appartiennent à ces derniers, après avoir été saisis, l'un à King's-Lynn, l'autre à Sandwich, sont relâchés contre la promesse ordinairement exigée de se retrouver à Portsmouth à la quinzaine de la Saint-Michel (Close rolls, 39, 5 r° ; 2 septembre 1229 : « De navi Willelmi de Senvall., et Hugonis Seman de Depe. »).

Le moment décisif approchait. Le 17 septembre, Henri III prit des mesures pour que, de tous les comtés voisins, les marchands de comestibles et de fourrages se rendissent à Portsmouth pour y apporter le pain, le vin, la bière, la viande, le foin, l'avoine et tous les approvisionnements nécessaires. Pour mieux assurer les subsistances de l'armée, il décida que jusqu'à son départ aucun marché ne se tiendrait dans la region (Shirley, p. 357). Pensant probablement que la charité lui porterait bonheur, il se montrait généreux envers les hôpitaux (Close rolls, 39, 4 r° ; 20 septembre 1229 : don à l'hôpital de Douvres). Le 15 octobre et les jours suivants, on le trouve à Portsmouth (Close rolls, 39, 2 r° ; 15, 17, 18 octobre : lettres datées de Portsmouth) ; il y séjournait encore le 19 et le 24 du même mois, quand il accorda en quantité à ceux qui s'étaient mis en route avec lui pour aller outre-mer des lettres de sauvegarde concernant leurs hommes, leurs terres, biens, revenus et possessions (Patent rolls, 37, 2 in dorso : une lettre de protection du 24 octobre et 43 autres du 19). Mais il était trop pressé ; sa patience allait être mise à l'épreuve.

Celui qui se chargea de faire remettre à l'année suivante l'expédition de France fut précisément ce comte de Bretagne, avec l'appui duquel on espérait la mener à bonne fin. Pierre de Dreux avait décidément jeté le masque ; le rôle de vassal mécontent ne lui suffisait plus ; il se posait résolument en ennemi de la France. Sans aucun doute, ses premières tentatives pour faire venir les Anglais en Bretagne ne datent pas d'alors ; le rédacteur des Grandes Chroniques de France le représente allant, peu avant le siège de Bellême, proposer à Henri III une descente sur le continent (Historiens de France, t. XXI, p. 104). Il ne semble pas que Mauclerc soit venu en Angleterre avant ce siège, qui nous paraît avoir eu lieu en janvier 1229, mais l'auteur des Grandes Chroniques a pu confondre des propositions écrites, que le comte de Bretagne aurait faites à cette époque, et les entrevues qu'il eut en octobre avec le roi d'Angleterre. Le fait de son arrivée à Portsmouth n'est pas contestable [Note : Cf. Annales de Wintonia (Annales monastici, éd. Luard, t. II, p. 85) et d'autres], et l'on doit ajouter qu'il y débarqua dans des circonstances vraiment graves.

Henri ne songeait plus qu'à prendre la mer ; il se trouvait à la tête d'une grande armée, oû l'on remarquait, à côté des Anglais, beaucoup de chevaliers irlandais, écossais et gallois. Mais, au dernier moment, on s'aperçut que les vaisseaux réunis dans le port étaient loin de suffire à tant de monde. Alors le roi s'emporta contre le grand justicier Hubert de Burgh, l'appela « vieux traître, » l'accusa d'avoir tout fait avorter pour cinq mille marcs que la reine de France lui avait payés. Il s'oublia jusqu'à tirer l'épée contre son ministre, mais fut retenu à temps par le comte de Chester et les autres assistants.

On en était là, quand Mauclerc entra dans le port, le 9 octobre. Sans doute quelques jours se passèrent encore dans l'hésitation, mais le comte de Bretagne eut bientôt fait de persuader à un jeune prince inconséquent et irrésolu que la saison était trop avancée, qu'il valait mieux attendre au printemps suivant. On congédia l'armée ; Hubert de Burgh et le roi se réconcilièrent pour quelque temps (Roger de Wendover, éd. Hewlett, t. II, p. 378-380, et, d'après lui, Mathieu de Paris, Chronica majora, éd. Luard, t. III, p. 191-192), mais Henri III lui garda rancune, et bientôt il devait, dans des circonstances dramatiques, lui reprocher d'avoir empêché son premier projet d'invasion en France (Roger de Wendover, t. III, p. 33 ; Chronica majora, t. III, p. 222).

Dès le 26 octobre, Henri III avertit ses vassaux que Mauclerc était venu lui faire hommage pour la Bretagne, que, se conformant à l'avis du comte de Bretagne et à celui de ses barons, il avait remis l'embarquement au dimanche après Pâques (14 avril 1230) (Shirley, t. I, p. 358-359. Cf. Annales de Theokesbiria, Ann. monastici, t. I, p. 73). La trahison de Pierre de Dreux restait entière, quoique l'effet en fût reculé ; les historiens des deux pays sont tous d'accord pour lui attribuer l'invasion que Louis IX et Blanche de Castille eurent à repousser en 1230. En attendant, il recevait le prix de son odieuse conduite ; pendant l'hiver, le printemps et l'été, on lui rendit successivement tous les revenus et les fiefs qu'il avait perdus en Angleterre, comme sujet de Louis IX, notamment son comté de Richemont [Note : Close rolls, 40, 15 r° ; 6 février 1230 : « Pro Petro comite Britannie. » — Ibid., 25 février 1230 : « Pro comite Britannie de scutagio. » — Ibid. : « Rex concessit Petro comiti Britannie finem duarum marcarum, » etc. — Ibid., 13 r° ; 2 avril 1230 : « Pro comite Britannie de finibus factis cum rege, » etc. — Roll 40, 8 r° ; 27 avril 1230 : vassaux du comte de Bretagne. — Ibid., 6 r° ; 16 juin 1230 : « De honore Richemundie. » — Ibid., 5 r° ; 13 juillet 1230 : « Pro comite Britannie. »], et, le 21 mai, nous voyons Henri III lui donner, dans un acte daté de Nantes, ce titre de duc que le roi de France ne lui reconnaissait pas (Close rolls, 41, 8 r° : « Rex Ranulfo comiti Cestrie et Lincolnie salutem. Sciatis quod reddidimus Petro duci Britannie, » etc.).

Les Anglais, fidèles à leurs habitudes, laissèrent reprendre pour quelque temps le commerce maritime : le 2 novembre, des ordres furent adressés dans ce sens aux baillis de divers ports (Close rolls, 40, 23 in dorso ; 2 novembre 1229). A défaut de trêve, c'était un adoucissement à l'état de guerre. Blanche de Castille avait devant elle quelques mois pour s'occuper de ses sujets, en attendant d'avoir à se porter au-devant des ennemis. Elle ne perdit pas un instant : c'est, selon toute apparence, à ce moment qu'une partie de l'Anjou fut occupée par les troupes royales ; en tout cas, le roi se trouvait à Saumur au mois de janvier (Layettes du Trésor des chartes, II, 2037). Pierre Mauclerc, au comble de la fureur, n'avait plus aucun ménagement à garder ; le 20 janvier, il fit porter au roi, par un Templier, une lettre conçue dans les termes les plus insolents, en tête de laquelle il s'intitulait duc de Bretagne et comte de Richemont. Après avoir rappelé tous ses griefs, dénis de justice, prise de Bellême, saisie de ses domaines angevins, il signifiait à Louis IX qu'il ne se considérait plus comme son vassal, se retirait de son hommage et entendait par cette déclaration lui adresser un défi (Cette pièce est publiée par du Cange, dans les observations qui font suite à l'édition de Joinville, p. 44-45).

La guerre, conséquence inévitable d'une aussi arrogante provocation , ne devint sérieuse aux confins de la Bretagne qu'à l'arrivée des Anglais. En prévision de cet événement redoutable, Blanche de Castille cherchait à diminuer le nombre des ennemis qu'elle allait avoir à combattre.

En février 1230, le Dauphin d'Auvergne et son petit-fils Robert, depuis longtemps en lutte avec la couronne , conclurent avec Louis IX un traité qui les faisait rentrer dans l'hommage royal (Layettes du Trésor des chartes, II, 2038-2041). La réconciliation de cette maison avec la couronne enlevait au roi d'Angleterre un des alliés sur lesquels il aurait pu compter. La maison de France gagnait du terrain dans le voisinage des provinces occupées par les Anglais, et c'est comme relevant du duché d'Aquitaine qu'Archambaud, vicomte de Comborn, l'abbé de Saint-Martial de Limoges et l'abbé d'Uzerche faisaient hommage au roi, en lui jurant fidélité, ainsi qu'à sa mère et à ses frères [Note : Le Nain de Tillemont, Histoire de saint Louis, t. II, p. 51-52 ; du Tillet, Recueil, t. II, p. 174. Lettre de Raimond, abbé de Saint-Martial ; Archives nationales, reg. J.J. 26, fol. 213 v°, col. 1 ; 26 mars 1230].

Les Anglais ne perdirent pas leur temps pendant l'hiver ; ils firent tout pour mener à bonne fin leurs projets d'invasion. A partir de novembre 1229, on les voit reprendre une à une toutes les mesures déjà mises en vigueur en vue de l'expédition qui avait été projetée pour le mois d'octobre. Une fois de plus on se met à réquisitionner dans les ports de l'Angleterre tous les vaisseaux, en ne les laissant aller que contre la promesse d'être revenus, soit à Pâques-Closes, dimanche de la Quasimodo (14 avril 1230) [Note : Close rolls, 40, 23 r°; 6 novembre 1229 : « De quadam coga. » — Ibid., 22 in dorso; 7 novembre : mandement au vicomte de Cornouailles et à plusieurs autres], soit surtout à Pâques-Fleuries, jour des Rameaux (31 mars) (Close rolls, 40, 17 in dorso; 30 janvier 1230 : « De navibus arestandis. »). Les vicomtes recommencent à faire l'inspection des ports, pour y dresser, comme pendant l'automne précédent, avec le concours d'envoyés royaux, la liste des vaisseaux sur lesquels on peut compter et de leurs patrons. Les étrangers , tout comme les Anglais, font les frais de cette nouvelle entreprise. A King's-Lynn on décharge, pour s'assurer du bateau qui les porte, les marchandises appartenant à un commerçant de Staveren en Frise (Close rolls, 40, 23 r°; 8 novembre 1229 : « De mercandisis deliberandis. »). Les Templiers de la Rochelle ont un de leurs vaisseaux arrêté à Portsmouth ; on ne le laisse aller qu'après avoir fait jurer au frère du Temple qui le monte et à l'équipage de rentrer dans ce port à la fête des Rameaux, pour prendre part à l'expédition de France (Close rolls, 40, 16 r° ; 4 février 1230 : « De securitate navis quod veniet usque Portesmue. ») ; exemple doublement curieux : il fallait qu'on eût bien besoin de se procurer des transports pour mettre la main sur un bâtiment appartenant aux Templiers, ces banquiers du monde chrétien ; et, d'autre part, leur influence devait être bien grande pour que Henri III les laissât venir de la Rochelle, avant-garde de la France contre ses possessions de Gascogne. En février, en mars, en avril, la même disposition est prise en ce qui concerne des bateaux de Bayonne (Close rolls, 40, 16 r° ; 4 février : « De securitate navis ; » vaisseaux de Bayonne et de Dieppe), de Dieppe, d'Abbeville (Close rolls, 40, 15 r° ; 25 février 1230 : « De navibus permittendis abire per securitatem ; » deux vaisseaux d'Abbeville), de Bruges (Ibid., 14 r°; 9 mars : « De quadam coga deliberanda per securitatem. »), sans compter un vaisseau porteur de marchandises chargées à Berwick , en Écosse , et saisies à King's-Lynn (Ibid., 14 r°, 13 mars). Hugues de Vivonne part en mission pour le continent ; le roi lui donne « une bonne nef pour son passage, » mais en s'assurant qu'on fera son possible pour revenir en temps utile à Portsmouth (Ibid., 13 r° ; 19 mars 1230 : « Pro Hugone de Vivone. »). On n'en finirait pas s'il fallait énumérer tous les vaisseaux qui sont pris et relâchés à cette condition. Le 24 février, les barons des Cinq-Ports reçoivent un mandement prescrivant la concentration des vaisseaux à Portsmouth (Patent rolls, année 14, 39, membr. 5 r° ; 24 février 1230) ; le 2 avril, Thomas de Hemmegrave est chargé d'envoyer au rendez-vous général tout ce qui se trouve dans les ports des comtés de Norfolk et de Suffolk (Close rolls, 40, 13 r° : « De Thoma de Hemmegrave. »). Pendant ce temps, le roi d'Angleterre se tient en communication avec ses alliés d'outre-mer ; des envoyés de Savary de Mauléon repassent en Bretagne au mois de février (Ibid., 16 r° ; 5 février 1230 : « Pro nunciis Savarici de Malo Leone. »), tandis que les gens de Dieppe et de Barfleur sont de nouveau convoqués (Patent rolls, 39, 6 r° ; 1er février 1230 : « De navibus de Depe et de Barbeflé. »).

Pour suffire aux dépenses que nécessitent de tels armements, Henri III joint aux ressources de son trésor les subsides qu'il demande au clergé d'Angleterre (Aide demandée au chapitre de Sarum : Vetus registrum Sarisberiense alias dictum registrum S. Osmundi episcopi, éd. Jones, t. II, 1884, p. 117 ; 3 février 1230. Close rolls, 40, 13 in dorso ; 7 avril 1230 : lettre aux archevêques et évêques d'Angleterre), aux bourgeois de ses villes (Roger de Wendover, t. II, p. 383, et, d'après lui, Mathieu de Paris, Chronica majora, t. III, p. 194 : aide demandée aux bourgeois de Londres), et l'argent provenant de marchandises confisquées sur les sujets du roi de France, « venus d'Arras ou d'autres villes de ses domaines » (Close rolls, 40, 14 r° ; 4 mars 1230 : « De arestandis catallis de partibus transmarinis. »).

Le roi d'Angleterre avait décidé que deux ports seulement, Douvres et Portsmouth, seraient affectés au passage (Patent rolls, 39, 2 in dorso ; 7 mai 1230 : le roi d'Angleterre rappelle cette disposition à Geoffroy de Lucy et à d'autres) ; c'était là le seul parti qu'il convint de prendre pour éviter une dispersion dangereuse ; au surplus peu de ports étaient assez vastes pour renfermer une grande flotte. C'est presque uniquement à Portsmouth qu'allaient se réunir les forces navales et l'armée destinées à la guerre de Bretagne.

Les historiens ne disent pas à quel nombre d'hommes montaient les troupes que Henri III allait emmener en France, mais on sait, par les rôles de ses lettres patentes conservés aux archives d'Angleterre, que, le 20 avril 1230, quelques jours avant de mettre à la voile, il accorda des lettres de protection à trois cent quatre-vingts vassaux prêts à partir avec lui, et qu'un certain nombre d'entre eux avaient amené à l'armée d'autres chevaliers (Patent rolls, 39, 4 in dorso ; 20 avril 1230). Dans l'automne qui suivit, le roi d'Angleterre, se trouvant à Nantes, fit remettre à beaucoup de ceux qui l'avaient accompagné le droit (scutagium) dû en raison des fiefs de chevaliers qu'ils tenaient de lui ; la liste de ces ordres de paiement fournit plus de cent cinquante noms (Record office. Chancery, Miscellaneous rolls ; scutage rolls, n° 11/5). C'est encore de Nantes que sont datées des lettres de protection délivrées à divers seigneurs qui étaient venus en France, soit avec le roi, soit avec Richard de Cornouailles, soit en compagnie du comte de Chesters (Patent rolls, 38, 7 r° ; 28 mai 1230 : « De protectione. » — Ibid. ; 2 juin : autre lettre de protection). D'autres obtinrent pendant la durée de leur service un répit pour le paiement de certaines dettes (Close rolls, 41, 8 r° ; 31 mai : répits accordés à Jean de Neville et autres. — Ibid., 7 r° ; 10 juin. — Ibid. ; 28 juin) ou se firent accorder que les Juifs auxquels ils avaient emprunté ne pourraient, jusqu'à leur départ de l'armée, accumuler les intérêts des sommes qu'ils leur avaient avancées (Close rolls, 41, 8 r° ; 21 mai 1230 : « Pro Waltero de Langetone; » et autres. — Ibid., 7 r° ; 25 juin : même faveur à Gautier de « Codardville. »). Les sergents et les arbalétriers levés aux frais de la couronne furent embarqués sous la conduite de nobles et de clercs du rois (Record office. Liberate rolls, 492, 4 ; 2 avril 1230 : « Liberate pro servientibus et balistariis. »). D'ailleurs, tout désireux qu'il fût de partir à la tête de forces imposantes, Henri III, pour ne pas trop dégarnir ses États, n'emmena pas tous ceux qui avaient été convoqués à Portsmouth ; c'est ainsi que quelques-uns d'entre eux furent laissés à la garde de l'Irlande (Close rolls, 40, 15 in dorso : mandement au justicier d'Irlande).

Quant à la composition de la flotte, nous la connaissons à peu près, grâce à l'ordre avec lequel les rois d'Angleterre faisaient tenir leurs archives. Il ne s'agissait pas d'un de ces voyages lointains, comme, par exemple, le pèlerinage de Terre Sainte, pour lesquels on avait recours aux flottes des puissances étrangères, nolisées en masse, ainsi que cela se faisait dans les contrats passés, pour les croisades, avec les républiques de Pise, de Gênes, de Venise. Pour traverser la Manche, qui était peu large et bien connue de ses marins, Henri III avait dans son royaume les ressources nécessaires, non pas assurément qu'il y eût alors une flotte d'Angleterre capable à elle seule de suffire au transport d'une grande armée. Le prédécesseur de ceux qui dominent aujourd'hui sur les mers avait bien en propre quelques vaisseaux, mais ils étaient sans doute assez peu nombreux. L'un d'eux, la Grande-Nef (Magna Navis), est assez souvent nommé dans les rôles des lettres closes et des lettres patentes ; à l'époque où le roi d'Angleterre se préparait, pour la première fois, à passer en France, il ordonna aux barons des Cinq-Ports de faire venir à Portsmouth, à ses frais, les marins qui devaient en composer l'équipage (Patent rolls, 37. 2 r° ; 12 octobre 1229). Le 11 mai 1230, alors que la flotte anglaise avait déjà passé la Manche, la Grande-Nef était encore en arrière ; Henri III écrivit à Étienne de Segrave, l'un de ceux qui gouvernaient l'Angleterre en son absence, d'en avoir bien soin et de veiller à ce qu'elle ne pérît pas faute d'être gardées (Close rolls, 41, 8 r° ; Dinan, 11 mai 1230 : « De Magna Nave domini regis. »). On ignore si elle rendit des services dans la campagne de 1230 ; au début de l'année suivante, le roi fit couper du bois de construction dans la forêt de Porchester pour la remettre en état (Close rolls, 42, 17 r° ; 14 février 1231 : « De maeremio ad reparationem Magne Navis. »), et des charpentiers furent chargés de la réparer (Close rolls, 16 r° ; 11 mars 1231). Un an plus tard, il est de nouveau question de l'armer (Close rolls, 43, 15 r°). Celui qui en avait le soin était « garde de la Grande-Nef et des galéese, » (Shirley, Royal letters, p. 351 : « Rex Jeremie custodi Magne Navis et galearum. ») car Henri III avait des vaisseaux, affectés, sans aucun doute, aux communications avec l'Irlande, les côtes d'Angleterre et les pays d'outre-mer. Les « gardes des galées, » chargés de veiller au bon fonctionnement de ce service, recevaient souvent l'ordre de mettre un ou deux de leurs navires à la disposition des envoyés royaux ou du sénéchal de Gascogne, quand il se rendait dans son gouvernement (Close rolls, 40, 13 r° ; 31 mars 1230 : « De duabus galiis liberandis Willelmo Talebot. » — Ibid. ; 28 mars 1230 : « De quadam galia, » etc. — Patent rolls, 38, 8 ; 12 mai 1230 : « De quadam galia domini regis, » etc. — Close rolls, 39, 9 r° ; 31 mai 1229 : « Pro Henrico de Trubleville. »).

Il fallait bien autre chose pour embarquer des milliers d'hommes, de chevaux, des approvisionnements de toute sorte, et nous avons vu qu'on avait alors recours, en temps de guerre, à la levée en masse des bateaux marchands, comme à la confiscation arbitraire des bâtiments étrangers ramassés dans les ports anglais. Tous ces transports improvisés, de provenance fort diverse, ne devaient pas être, tant s'en faut, de même tonnage ; il est seulement certain que, dans beaucoup de cas, on tenait à ce qu'ils pussent contenir au moins seize chevaux (Close rolls, 39, 3 in dorso ; 27 septembre 1229 : mandement aux baillis de King's-Lynn. — Close rolls, 40, 13 r° ; 25 mars 1230 : « De navibus faciendis venire usque Portesmue. »). En septembre 1229, un bateau de Florence, qui n'avait pas cette dimension, fut autorisé à sortir du port de Shoreham (Close rolls, 39, 4 r° ; 18 septembre 1229 : « Pro mercatoribus de Florentia. ») ; deux Florentins et deux Bolonais furent laissés libres de louer dans ce même port une barque, à condition qu'elle ne fût pas de taille à porter seize chevaux (Close rolls, 39, 3 r°; 26 septembre 1229 : « Pro quibusdam mercatoribus Bolonie. »). Les bateaux de pêche et les navires marchands qui se trouvaient dans ce cas étaient ordinairement relâchés (Close rolls, 40, 19 r° ; 28 décembre 1229 : vaisseau qui ne peut pas contenir seize chevaux. — Ibid., 14 r° ; 14 mars 1230 : « De nave prioris de Ormesby. » — Ibid., 13 r° ; 2 avril 1230 : « De navibus deliberandis que ferre non possunt XVI equos. »). En octobre, le roi fit donner à une dame noble, pour elle, sa suite, ses montures et ses bagages, « une petite nef capable de contenir sept ou huit chevaux » (Close rolls, 39, 2 in dorso ; 10 octobre 1229 : mandement aux baillis de Shoreham pour la dame de Wanneville, sœur de Guillaume de Chanteloup). On ne voulait pas, à ce qu'il semble, s'encombrer de bateaux aussi petits.

Le nombre des navires réunis à Portsmouth devait être très élevé. Le roi d'Angleterre, arrivé en Bretagne, délivra, de Dinan, une quantité de lettres patentes autorisant des capitaines à s'en retourner. L'un des documents dans lesquels ces lettres sont réunies et analysées fournit les noms de plus de deux cent vingt patrons, anglais pour la plupart, quoique quelques-uns soient de l'Empire, de Bologne, de Staveren en Frise (Patent rolls, 38, 9 r° ; Dinan, 9 mai 1230). Une seconde liste mentionne soixante-dix bâtiments, dont beaucoup proviennent de France, ou, pour mieux dire, de la Flandre, de la Normandie, de la Gascogne. Le petit port de Barfleur fournit à lui seul neuf bateaux ; Saint-Valery (En Caux, sans doute), Caen, Bernières-sur-Mer, Ouistreham sont également représentés, ainsi que Berneval, entre Dieppe et le Tréport, Leure, à l'emplacement actuel du Havre, et le Pollet (Patent rolls, 38, 8 r° ; 10 mai 1230). Cette énumération ne comprend pas tous les vaisseaux qui furent congédiés après le passage en Bretagne, et, d'autre part, Henri III a dû maintenir à sa disposition une partie de la flotte. On peut dès lors se faire une idée des forces navales qu'il avait réunies. Le roi ne profita même pas, à son départ de Portsmouth, de toutes les ressources dont il pouvait disposer ; après avoir été à court au mois d'octobre, on avait maintenant trop de vaisseaux. Les gens de Dunwich, qui avaient offert quarante bateaux, étaient autorisés à n'en fournir que trente (Close rolls, 40, 16 r° ; 6 février 1230 : vaisseaux de Dunwich). Le 30 avril, Henri III déclara, en renvoyant trois patrons anglais, qu'il avait des vaisseaux en nombre suffisant (Close rolls, 40, 8 in dorso ; 30 avril 1230 : « Quia alias naves habuimus ad sufficienciam. »), et, le 1er mai, il faisait valoir cette raison, la meilleure de toutes, pour permettre à cent trente-trois capitaines de s'en retourner chez eux (Patent rolls, 39, 3 r° ; 1er mai 1230 : « De licentia navium post transfretationem regis. »). Cet exemple fut suivi, après le départ du roi, en mai, en juin, par son ministre Étienne de Segrave (Close rolls, 40, 6 r° ; 10 mai 1230 : « De nave permittenda abire. » — Ibid. ; 17 mai 1230 : « De navibus deliberandis. » — Ibid. ; 8 juin : « De nave deliberanda per sacramentum. »).

Il fallait des voitures pour transporter au lieu d'embarquement l'argent et le matériel. Pendant l'été de 1229, Henri III avait fait mettre en état un certain nombre de charrettes qui se trouvaient dans le château de Winchester (Close rolls, 39, 5 r° ; 22 août 1229 : mandement au vicomte de Southampton). Au mois d'avril suivant, on amena par charrois de ce château à Portsmouth le trésor du roi, ses vêtements et ses bagages (Liberate rolls, 492, 2 ; 14 avril 1230 : « Contrabreve de cariando thesauro et hernesio regis usque Portesmue. » — Ibid. ; 10 avril : « Liberate de denariis deferendis ad regem usque Portesmue, » etc. — Ibid. ; 30 avril : « Liberate de denariis mittendis ad regem. » — Close rolls, 40, 11 r° ; 14 avril 1230 : « De denariis mittendis ad regem usque Portesmue. »). On fit venir aussi l'argent qui se trouvait en Irlande, entre les mains du justicier de cette île et du trésorier de Dublin (Close rolls, 40, 8 r° ; 27 avril 1230 : mandement à Richard de Burgh, justicier d'Irlande). On avait à la Tour de Londres un dépôt d'armes, d'arbalètes montées sur bois ou sur corne (Close rolls, 39, 2 r° ; 11 octobre 1229 : « De balistis liberandis. »), de carreaux (Close rolls, 39, 9 r° : « De quarellis liberandis Henrico de Trubleville. ») ; c'est là qu'on allait les prendre à destination de l'armée. Un magasin d'arbalètes et de carreaux se trouvait aussi à Porchester (Close rolls, 40, 13 r° ; 2 avril 1230 : « De balistis liberandis W. Talebot, » etc.). Des arbalètes neuves furent envoyées au château de Douvres, qui, en cas de guerre, était spécialement exposé (Close rolls, 39, 2 r° : « De balistis liberandis. »), et celles qui s'y trouvaient déjà furent inspectées et remises à neuf (Close rolls, 39, 9 r° : « De reparatione balistarum, » etc). On dirigea sur Portsmouth des approvisionnements en vins (Vins. Close rolls, 40, 8 r° : « De vinis cariandis ad regem. » — Ibid., 11 r° : « De navibus faciendis venire usque Portesmue. »), en blés (Blés. Close rolls, 40, 10 r° : « De blade emendo ad opus regis. »), et beaucoup de plomb, destiné, sans doute, à lester les navires (Plomb. Close rolls, 40, 11 r° : « De navibus faciendis, » etc. — Ibid., 7 r° : « De plumbo recepto apud Portesmue. »).

Tout porte à croire que les bagages personnels du roi étaient considérables ; il donnait l'exemple du luxe et ne se privait de rien de ce qui pouvait rehausser l'éclat de la majesté royale. C'était un homme habitué au faste. A cet égard, les heaumes dorés qu'il portait (Close rolls, 46, 7 r° ; 16 juillet 1235 : « De galeis datis. ») ne prouvent pas grand'chose, puisque saint Louis, si modeste dans ses goûts, en avait aussi ; mais il paraît avoir eu, même en campagne, de la vaisselle d'argent. Au moment de partir, il se rappelle que ses coupes et ses bassins sont restés en arrière, et il écrit à l'évêque de Carlisle, son trésorier, de lui envoyer sans retard le coffre scellé qui les contient (Close rolls, 40, 10 r° ; 19 avril 1230 : « De quodam coffino mittendo ad regem. »). Il lui commande un manteau royal en diapre blanc ou en drap de soie de cette couleur, avec une couronne, un sceptre et un bâton royal en argent doré, sans oublier les sandales et les gants destinés à compléter ce costume de parade (Close rolls, 40, 11 r° ; 14 avril 1230 : « Pro quodam regali faciendo ad. opus regis. »). A quoi pouvait lui servir tout cela, si ce n'est à se faire solennellement reconnaître ou couronner dans cet héritage d'outre-mer qu'il allait reprendre au petit roi de France et à Blanche de Castille ? Henri Plantagenet triomphait à l'avance ; il avait oublié Jean Sans-Terre et se voyait déjà, comme son aïeul, maître de toutes les provinces françaises que baignent la Manche et l'Océan. C'était aller trop vite en besogne.

L'armée anglaise s'était réunie vers la fête de Pâques, à Reading (Roger de Wendover, éd. Hewlett, t. II, p. 383, et, d'après lui, Mathieu de Paris, Chronica majora, t. III, p. 194) ; une assez petite distance la séparait de Portsmouth. Arrivé dans cette ville, Henri III, au moment de partir, visita les pauvres et les malades, baisa des lépreux et leur fit de larges aumônes [Chronicon Nicolas Trivetti (d'Achery, Spicilegium, in-folio, t. III, p. 190)] ; ces actes d'humilité extérieure étaient comme le prélude obligé de son orgueilleuse entreprise. Le 30 avril, on s'embarqua (Roger de Wendover ; Mathieu de Paris) ; le 1er mai, fête de saint Philippe et de saint Jacques, on mit à la voile. Le lendemain, Henri III, ayant avec lui seulement une trentaine de vaisseaux, s'arrêta pour la nuit à l'île de Guernesey, afin de donner un peu de repos, au milieu d'une traversée pénible, à l'une de ses sœurs, qui l'accompagnait [Note : Tous les faits relatifs à la traversée et au débarquement des Anglais nous sont connus par Roger de Wendover et Mathieu de Paris, et surtout par deux lettres, l'une de Nicolas Nevil et de ses compagnons à Raoul, évêque de Chichester et chancelier d'Angleterre, l'autre du comte Richard, frère de Henri III, à Gautier, évêque de Carlisle (Shirley, Royal and other historical letters, t. I, p. 364-365, et p. 361-363)]. Le vendredi 3 mai, il prit terre à Saint-Malo, avec Guillaume le Maréchal, comte de Pembroke, les comtes de Hereford et de Glocester. Le justicier d'Angleterre Hubert de Burgh, le comte de Chester et de Lincoln, le comte de Huntingdon, Philippe d'Aubigny et quelques autres seigneurs étaient arrivés dans ce port la veille au soir. Ce n'était là qu'une faible partie de l'armée anglaise : le gros de la flotte, ayant à sa tête le comte Richard, frère de Henri, s'était séparé à Guernesey des vaisseaux qui accompagnaient le roi. Richard, comte de Ferrers, le connétable de Chester et presque tous ceux qui allaient envahir la France débarquèrent, dès le jeudi 2 mai, au port de Saint-Gildas, dont nous ignorons l'emplacement exact, mais qui, selon toute apparence, se trouvait sur la côte septentrionale de la Bretagne, à quelque distance de Lannion et de Morlaix [Note : Record office. Close rolls, 41, 8 r° : « Tunc transferant se versus duo castra comilis Britannie, que sunt prope portum qui vocatur Sanctus Gildasius, quorum unum vocatur Lanniun et alterum Muntrelès. ». Ce port de Saint-Gildas ne peut donc pas étre identifié avec Saint-Gildas de Ruis, situé près du Morbihan]. Henri III, dès qu'il eut appris leur arrivée, leur ordonna de marcher à sa rencontre dans la direction de Lamballe, leur donna rendez-vous à Dinan et leur envoya des voitures destinées au transport de son trésor.

Pierre Mauclerc se trouvait alors à la frontière de l'Anjou, prêt à s'opposer à la marche de Louis IX, qui était encore en terre française et s'avançait vers Angers. Dès qu'il eut appris l'arrivée de son puissant allié, il se rendit en toute hâte à Saint-Malo, où il arriva le 6 mai. Le 7, le roi d'Angleterre et le comte de Bretagne eurent une conférence (Lettre de Nicolas Nevil ; Shirley, t. I, p. 364-365). La plupart des vassaux bretons étaient alors d'accord avec Pierre ; beaucoup firent hommage à Henri III et lui prêtèrent serment de fidélité, tandis que le comte lui livrait ses villes fortes et ses châteaux. Cependant la noblesse du pays n'était pas tout entière dévouée à cette mauvaise cause ; le propre beau-frère du comte, André de Vitré, tenait ouvertement le parti du roi de France [Note : Roger de Wendover, t. II, p. 384, et Mathieu de Paris, t. III, p. 194-195. André de Vitré avait épousé Catherine, fille cadette de Constance de Bretagne et de Guy de Thouars, sœur de la comtesse Alix et belle-sœur de Mauclerc. Plusieurs documents intéressant ce seigneur se trouvent réunis dans un vidimus conservé aux Archives nationales (AA. 60, dossier 1544) ; je dois l'indication de cette pièce à l'aimable obligeance de M. Campardon]. La fidélité de ce seigneur et de plusieurs autres, qui se préparaient à la résistance, importait fort à Blanche de Castille et à son fils ; dès le début des hostilités, ils avaient en Bretagne quelques sujets fidèles, en attendant le jour où tous ceux qui craignaient ou détestaient Pierre Mauclerc allaient se retourner contre lui.

Henri III ne se proposait pas de rester longtemps sur les bords de la Rance, ni de la franchir pour attaquer immédiatement la Normandie. Il devait tout d'abord marcher vers l'Anjou, d'où le roi de France avait expulsé le comte de Bretagne, vers le Poitou, dont la noblesse toujours remuante et prête à tourner semblait disposée à rappeler les Plantagenets, ses anciens maîtres. Son séjour à Saint-Malo fut de courte durée. Le 4 mai, il data de cette ville des lettres autorisant les Templiers de la Rochelle à communiquer librement avec ses États au moyen de leurs vaisseaux la Templière et la Buzarde (Record office. Patent rolls, 38, 9 r° ; 4 mai 1230 : « De licencia concessa veniendi in terram et potestatem domini regis. »). Il s'y trouvait encore le 5 et le 7, lorsqu'il donna des sauf-conduits à plusieurs des vaisseaux qui l'avaient suivi ; deux d'entre eux, la Bride et la Dameise, étaient de Barfleur (Patent rolls, 38, 9 r°). Avant de se mettre en route, il accorda des lettres de protection et de sauvegarde à la ville de Saint-Malo et à ses habitants, qui reçurent la permission de commercer en Angleterre (Patent rolls, 38, 9 r° ; 7 mai : « De protectione. »). Puis il partit (8 mai) pour Dinan, où il comptait se rencontrer avec sa mère, la reine Isabelle. Son intention était de passer ensuite à Nantes, pour essayer de gagner à sa cause le mari de cette princesse, le comte de la Marche et d'Angoulême, Hugues X de Lusignan. Nicolas de Moles fut envoyé en avant pour conférer avec eux (Lettre de Nicolas Nevil), tandis que, le 9 et le 10 mai, Henri III congédiait la plus grande partie de sa flotte ( Patent rolls, 38, 8 r° et 9 r° ; 9 et 10 mai 1230). Le 11, il était encore à Dinan (Lettre de Nicolas Nevil : « usque Dinant, in occursum….. matris suæ, quæ illuc erat ventura die sabbati sequenti. » Close rolls, 41, 8 r°) ; il ne fit que passer à Bécherel (12 mai) (« Teste rege apud Becherel, XII die maii ; » Close rolls, 41, 8 r°), ne s'arrêta que deux jours à Rennes (13-14 mai) (Rennes, 13 mai ; Close rolls, 41, 8 in dorso. — 14 mai ; Patent rolls, 38, 8 r°, en bas), traversa Bain (15 mai) (Patent rolls, 38, 8 r°, en bas : « Teste rege apud Bay[n]. ») et parvint à Nantes ; il allait y perdre six semaines (17 mai-30 juin) (Arrivée à Nantes, 17 mai ; Close rolls, 41, 8 r°. — Lettre datée de Nantes, 30 juin ; Patent rolls, 38, 6 r°).

En attendant l'entrée en ligne des grandes armées, les hostilités se poursuivaient à la limite des pays occupés par les Français et les Anglais. Savary de Mauléon, qui tenait pour le roi d'Angleterre, faisait la guerre aux habitants de la Rochelle, fidèles au roi de France. Le 26 mai, Henri III écrivit de Nantes à ses baillis et à ses féaux de ne pas s'opposer aux prises que pourraient faire sur les Rochelois les gens de cet infatigable batailleur (Patent rolls, 38, 7 r° ; 26 mai). Mais les grandes opérations militaires se faisaient attendre ; Henri se préparait lentement. Le 7 juin, il demande à Pierre Mauclerc vingt mille carreaux qu'il a déposés dans le château de Rennes (Close rolls, 41, 7 r° ; 7 juin). En mai, en juillet, en août, en septembre, il se fait envoyer de l'argent. Il écrit d'abord à son chancelier, l'évêque de Chichester, et à son ministre Étienne de Segrave, de lui faire parvenir pour la Trinité tout le numéraire disponible, soit à Nantes, soit à Saint-Gildas, port situé non loin de Lannion et de Morlaix, si l'on ne peut remonter la Loire (Close rolls, 41, 8 r° ; 11 mai). Puis il est question (1er juillet) de trois mille marcs destinés à Mauclerc (Close rolls, 41, 7 r° ; 1er juillet 1230). Une partie du trésor royal est amenée par mer à Lannion et confiée d'abord à Philippe d'Aubigny, puis, le 8 août, à Gautier de Brackley (Close rolls, 41, 5 r° ; 8 août). A la fin du même mois, Henri III parle encore de ce trésor (Close rolls, 41, 4 r° ; 24 août), et des lettres du 1er septembre nous apprennent qu'il était alors déposé à Nantes (Close rolls, 41, 3 r° ; 1er septembre). Dans toute cette guerre, les Anglais ont beaucoup dépensé pour faire peu de chose. Il ne semble pas, d'ailleurs, qu'on leur ait envoyé d'Angleterre des renforts considérables ; ceux qui, comme Jean et Gérard Talbot, rejoignirent leur prince en Bretagne, étaient isolés (Close rolls, 40, 5 r° ; 17 juillet : « Pro Johanne et Gerardo Talebot. »). Selon toute apparence, Henri III avait emmené avec lui presque toutes les forces dont il pouvait disposer ; c'était en Bretagne, en Normandie, surtout en Poitou, qu'il pouvait trouver de nouveaux soldats.

A ce moment, la situation de Pierre Mauclerc n'était pas mauvaise ; le mouvement d'opposition dans lequel allait bientôt être entraînée la noblesse bretonne ne s'était pas encore prononcé. En juin, Mauclerc s'entendit avec le vicomte de Rohan (D. Morice, Histoire de Bretagne, Preuves, t. I, col. 869 ; juin 1230). D'autre part, Henri III s'efforçait de le réconcilier avec l'Église. Les évêques de Rennes, de Saint-Brieuc et de Tréguier, que Pierre avait dépouillés et réduits à s'expatrier, avaient autrefois prononcé contre lui des sentences d'excommunication et d'interdit, et, le 29 mai 1228, Grégoire IX à son tour avait ordonné à Maurice, évêque du Mans, et à deux de ses chanoines de publier à nouveau cette condamnation (Potthast, Regesta pontificum romanorum, 8196). Sans doute l'évêque du Mans et ses deux collègues étaient encore, au printemps de 1230, au nombre des adversaires avec lesquels Pierre pouvait avoir à compter, car le roi d'Angleterre leur écrivit, de Rennes, une lettre assez orgueilleuse. Il leur envoyait l'abbé de Cleeve, chargé de leur faire une communication dont nous ignorons la nature, avec pouvoir d'en appeler, disait-il, « si par hasard, ce qu'à Dieu ne plaise, ce que nous ne voulons croire, vous vous avisiez d'agir contre notre droit, notre intérêt et celui de nos gens » (Patent rolls, 38, 8 r°; Rennes, 14 mai 1230. Les deux chanoines nommés, avec l'évêque du Mans, dans la bulle du 29 mai 1228, sont : « P. de Domfront et G. de Lavalle ». Henri III, dans sa lettre, les appelle Robert de « Damfrunt » et Geoffroy de « Daunval ». Il s'agit sans doute ici des mêmes personnages, et l'on aura mal transcrit les noms). Cet avertissement était sans aucun doute destiné à préserver Mauclerc contre des rigueurs semblables à celles dont il avait été l'objet. Bientôt le pape se radoucit : le 30 mai, il enjoignit à trois commissaires apostoliques de relever le comte des sentences naguère fulminées contre lui par les évêques de ses États, et de promulguer cette absolution (Potthast, Regesta, 8560 ; 30 mai 1230). Le roi d'Angleterre pouvait espérer que toute la Bretagne allait se trouver d'accord avec Pierre contre le roi de France.

En Normandie, Henri III était sûr de trouver plus d'un allié. Foulques Paynel, dont Blanche de Castille avait récemment châtié la révolte, s'adressa aux comtes de Bretagne et de Chester pour leur proposer des conditions qu'ils transmirent au roi d'Angleterre. Le 26 juin, Henri lui écrivit qu'il acceptait ces conditions, le prenait à son service et le priait de venir le trouver au plus tôt (Patent rolls, 38, 6 r°; 26 juin 1230 : « Pro Fulcone Paynel. ». Un autre Normand est nommé à la suite de cette pièce : « Radulfus Normannus habet litteras de protectione, » etc). En réponse à cette invitation, Foulques Paynel et son frère Guillaume, qui étaient, dit-on, passés en Bretagne avec soixante chevaliers, poussèrent le roi d'Angleterre à la conquête de la Normandie. Le justicier Hubert de Burgh ayant détourné son maître de cette entreprise, ils demandèrent deux cents chevaliers, avec lesquels ils se faisaient fort de mettre les gens du roi hors de leur pays. Mais Hubert protesta qu'en cédant à cette sollicitation le roi Henri ne ferait qu'envoyer ses chevaliers à la mort, et l'affaire en resta là (Roger de Wendover, t. III, p. 5, et, d'après lui, Mathieu de Paris, t. III, p. 197). Peut-être les Paynel n'avaient-ils pas tort, dans leur intérêt, de prêcher les résolutions hardies. Ils connaissaient les sentiments flottants et incertains que le souvenir d'une conquête encore récente et les obligations contradictoires du système féodal entretenaient chez beaucoup de Normands. C'était une situation bien difficile que celle de ces seigneurs ecclésiastiques et laïques dont un grand nombre était placé sous l'hommage de deux souverains ennemis. Plus d'un devait être aussi embarrassé qu'Isabelle de Crèvecœur, abbesse de la Trinité de Caen, sujette de Louis IX, et en même temps astreinte à venir trouver le roi d'Angleterre, pour lui rendre le service qu'elle lui devait en raison de ses domaines anglais ; le 16 juin, Henri lui accorde un répit jusqu'à la Saint-Michel, en considération de la guerre qu'il fait au roi de France (Close rolls, 41, 7 r° ; 16 juin 1230 : « Pro abbatissa de Cadamo. »). Avant l'expiration de ce délai, Isabelle s'exécute et se rend en Bretagne, pour se soumettre envers l'ennemi de Louis IX à l'accomplissement de ses devoirs (Close rolls, 41, 3 r° ; 16 septembre 1230 : « Pro abbatissa de Cadamo. »). Pendant que les Français et les Anglais se battent en Bretagne et en Poitou, les marins de Dieppe, de Barfleur, de Caen, de Rouen , de Quilleboeuf continuent à être tolérés dans les ports anglais [Note : 1° Gens de Dieppe. Close rolls, 40, 6 r° ; 28 juin 1230. — Patent rolls, 38, 4 r° ; 30 juillet 1230. — Close rolls, 41, 6 r° ; Tonnay, 11 juillet. 2° Gens de Barfleur. Patent rolls, 39, 6 r° ; 4 février 1230. — Patent rolls, 40, 7 r° ; 4 novembre 1230 : « De licentia et conductu navium. » — Close rolls, 43, 19 r° ; 4 novembre 1231 « De nave deliberanda. » — Patent rolls, 41, 2 r° ; 28 septembre 1232 : « De protections burgensium de Barbeflé. ». 3° Rouennais. Patent rolls, 39, 8 r° ; 10 novembre 1229 : « De licentia mercatoris. » — Close rolls, 40, 5 r° ; 14 juillet 1230 : « De nave deliberanda. » — Ibid., 2 r° ; 5 octobre 1230 : « De navibus deliberandis. » — Close rolls, 42, 21 r° ; 12 novembre 1230 : « De nave deliberanda. ». 4° Caen et Dieppe. Close rolls, 40, 5 r °; 3 juillet 1230 : « De navibus deliberandis. ».« Kileboeu in Normannia. » Close rolls, 40, 5 r° ; 4 juillet 1230 : « De nave deliberanda. »]. Il est vrai que les sujets du comte de Flandre jouissent le plus souvent des mêmes facilités. Malgré la fidélité de Ferrand au roi de France, le commerce de l'Angleterre avec ses États avait trop d'importance pour qu'on ne s'efforçât pas de le sauvegarder.

Sans aller jusqu'à prétendre, avec un historien du temps, que les grands vassaux de la couronne de France avaient traité avec le roi d'Angleterre (« Cum rege Anglorum Henrico foedus ineunt. ». Willelmi chronica Andrensis ; Monumenta Germaniæ historica, Scriptores, t. XXIV, p. 770), on peut affirmer que, même en présence de l'invasion étrangère, leurs sentiments à l'égard de Blanche et de Louis IX étaient restés fort tièdes. On allait voir bientôt dans quelle mesure il était possible de compter sur eux. Il est probable que le comte de Boulogne et plusieurs des grands confédérés contre Thibaud de Champagne étaient venus se ranger sous la bannière royale pour marcher contre les Anglais [Note : Philippe Mousket dit formellement que le comte de Boulogne vint à l'armée royale (V. 27988) ; il est d'accord en ce point avec la chronique de Saint-Médard de Soissons (d'Achery, Spicilegium, in-4°, t. II, p. 794 ; in-fol., II, 491)]. En tout cas, Louis IX et sa mère [Note : « Mais li rois et la roïne Blanche sa mère les desfendirent si bien que il l'en convint raler en Engletière sans riens faire » (Chronicon Hanoniense quod dicitur Balduini Avennensis ; Monumenta Germaniæ, t. XXV, p. 451)] se trouvaient à la tête d'une grande et belle armée, quand, dans les premiers jours de mai, ils s'avancèrent vers Angers [Note : Pendant toute la durée de la campagne, les Anglais, quoi qu'on en ait dit, ne furent jamais en possession de cette ville, qui fut dès l'abord le quartier général du roi de France. L'erreur a été commise par des historiens anglais (Roger de Wendover, II, 384. — Flores historiarum, éd. Luard, t. II, p. 199). L'itinéraire de Henri III dément leur assertion]. A côté de gens incertains ou aux sentiments ouvertement hostiles, Blanche avait dans cette armée quelques grands seigneurs d'une fidélité sûre. Les plus illustres étaient : le vieux roi de Jérusalem, Jean de Brienne, aussi dévoué que brave [Note : Willelmi Chronica Andrensis ; Monumenta Germaniæ, Scriptores, XXIV, p. 770. — Archives nationales, KK. 1064, fol. 272 v°, et du Chesne, Histoire de la maison de Montmorency, Preuves, p. 92], le comte de Flandre, le comte de Champagne, qui figurent, avec les comtes de Nevers, de Blois, de Chartres, de Montfort, de Vendôme, de Roucy, avec Mathieu de Montmorency et plusieurs autres, sur l'acte de la condamnation prononcée contre Mauclerc (Layettes du Trésor des chartes, II, 2056). On y chercherait en vain les noms de Philippe Hurepel et de ses amis, qui, sans doute, avaient dès ce moment abandonné le roi. Tandis que beaucoup d'autres se disposaient à déserter, s'ils ne l'avaient déjà fait, Ferrand de Portugal et Thibaud de Champagne [Note : Aubry de Trois-Fontaines, Monumenta Germaniæ, Scriptores, XXIII, p. 926 : « Nullus autem tam fideliter juvit regem Francie, sicut comes Campanie, ut dicitur, contra regem Anglie. »] restèrent tant qu'ils purent, malgré les dangers dont leurs fiefs étaient menacés, si préoccupés de leur rôle à l'armée royale qu'ils se disputèrent le commandement de l'avant-garde et de l'arrière-garde. Le 8 juin, ils mirent fin par un arrangement à ce différend [Note : Charte de Thibaud : Archives nationales, KK. 1064, fol. 279 v° ; d'Arbois de Jubainville, Histoire des comtes de Champagne, t. V, n° 2037. — Charte de Ferrand ; d'Arbois, 2037 bis ; 8 juin 1230].

Dès le début des hostilités, le comte de la Marche, malgré ses attaches avec les Plantagenets, fut considéré par les Anglais comme gagné aux intérêts du roi de France. On avait pourtant le droit de le classer parmi ceux dont les sentiments étaient les plus incertains : c'est avec lui que Blanche de Castille s'entendit tout d'abord. Au mois de mai 1230, par le traité de Clisson, la reine de France et son fils renouvelèrent l'accord qui avait été passé entre eux et lui, en 1227, au traité de Vendôme [Note : Traité de Clisson, 30 mai 1230 ; Teulet, Layettes du Trésor des chartes, II, 2052]. La comtesse elle-même , quoiqu'elle fût la mère de Henri III , accepta pour sa part, au mois de juin, les conditions auxquelles son époux venait de souscrire (Layettes, 2068 ; juin 1230). En même temps, des négociations se poursuivaient entre la reine de France et les seigneurs poitevins. Bientôt, ce fut le vicomte de Thouars Raimond qui, au camp près des Ponts-de-Cé, fit hommage au roi pour les domaines angevins et poitevins de sa famille (Layettes, 2060, charte du vicomte de Thouars. La charte de Louis IX est dans le registre JJ. 26 des Archives nationales, fol. 346 r°, col. 2). Il reçut la promesse d'une rente de cinq cents livres tournois, payable jusqu'au moment où il aurait recouvré son château de Mareuil (Layettes, 2061 ; JJ. 26, 346 r°, col. 1-2). Guy de Thouars, seigneur de Tiffauges et neveu du vicomte Raimond, devint en même temps, à la requête de son oncle, l'homme lige de Louis IX (Layettes, 2062). Raimond, par un acte daté de Thouars, au mois de mai, avait prié le roi et la reine de transporter à son vassal Robert de Maulevrier une rente de cinquante livres à prendre sur les revenus qu'ils lui avaient constitués (Layettes, 2055 ; Thouars, mai 1230). Louis IX déclara, au camp des Ponts-de-Cé, qu'il ratifiait ce don (Layettes, 2063). Blanche de Castille pouvait se flatter d'avoir anéanti, par ces traités, une partie des espérances que les Anglais fondaient sur la noblesse de l'Ouest.

Il ne pouvait être question de ramener le comte de Bretagne ; on le frappa. L'armée royale était sous les murs d'Ancenis, occupée, sans doute, au siège de cette ville, quand Blanche fit prononcer par ses prélats et ses barons la condamnation solennelle de Mauclerc. L'archevêque de Sens, les évêques de Chartres et de Paris, les comtes de Flandre, de Champagne et de Nevers, tous les grands seigneurs et les officiers de la couronne présents au camp français déclarèrent que Pierre, pour ses forfaits envers le roi, était, par leur jugement, déchu du bail de Bretagne, qu'il exerçait en attendant la majorité de son fils. En conséquence, les barons bretons et ses autres vassaux étaient déliés de leur hommage et de leur serment de fidélité (Layettes, 2056). Le roi, en notifiant cette sentence aux barons de Bretagne, leur rappela qu'eux et leurs ancêtres avaient toujours été fidèles au royaume et soucieux de son honneur ; il les mit en demeure de se rattacher à lui et leur promit que, s'ils restaient dans leur devoir, ils auraient lieu de s'en louer (Archives nationales, AA. 60, dossier 1544. Vidimus de pièces relatives à André de Vitré, 5ème charte au camp devant Ancenis ; juin 1230). Parmi tous ceux auxquels était adressée cette déclaration, André de Vitré fut sans doute le premier à ratifier la condamnation que venaient de prononcer les prélats et les barons français. Il fit hommage lige pour ses fiefs de Vitré et de Marcillé, tout en réservant les droits qu'auraient à leur majorité les enfants de Pierre de Dreux, Jean et Yolande, héritiers de la Bretagne. En revanche, le roi lui inféoda cinq cents livrées de terre, qui devaient lui être assignées, soit en Normandie soit en Anjou, lui assura des dédommagements au cas où ses domaines lui seraient enlevés, en tout ou en partie, au cours de la présente guerre, promit de venir au secours de ses châteaux, s'ils étaient assiégés. Le connétable Mathieu de Montmorency jura sur l'âme du roi que son maître ne ferait pas la paix avec Pierre de Dreux sans l'assentiment d'André, et ne signerait avec le roi d'Angleterre aucun traité qui fît tomber le sire de Vitré dans l'hommage de ce prince. Mathieu prêta le même serment au nom de la régente (Charte du roi, Layettes, II, 2057, et Archives nationales, AA. 60, 6ème pièce. — Charte d'André de Vitré, Layettes, 2058, et Archives nationales, JJ. 26, fol. 236 r°, col. 2). André de Vitré, à son tour, promit de recevoir le roi de France et ses gens dans ses châteaux « à grande et à petite force, » et de les y laisser, s'il le fallait, jusqu'au jour où les hoirs de Bretagne, arrivés à l'âge de vingt et un ans, auraient rempli leur devoir de vassaux (Layettes, II, 2059).

Des historiens modernes [Note : Entre autres Le Baud, Histoire de Bretagne, in-folio, 1638, p. 231, et Chroniques de Vitré (à la fin du même volume), p. 40], sur la foi d'un texte qui semble perdu, ont raconté qu'après ce jugement la reine Blanche envoya Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris, auprès des vassaux bretons, pour leur en faire part et traiter avec eux. Le fait est fort probable, mais il n'est pas vrai que tous les grands seigneurs de Bretagne se soient ralliés, dès ce moment, à la cause royale. L'armée française, maîtresse d'Ancenis, s'avança vers Oudon, situé à quelque distance, sur la rive droite de la Loire, et s'en empara ; puis on investit Champtoceaux, en face d'Oudon, sur la rive gauche. Les défenseurs de cette place se rendirent ; ils apportèrent leurs clefs au roi, qui leur fit grâce [Note : Ces deux sièges ont été racontés par Guillaume de Nangis, Vie de saint Louis (Histor. de France, XX, p. 318), Chronique (éd. Géraud, t. I, p. 180), et d'après lui par les Grandes chroniques de France, dites Chroniques de Saint-Denis (Histor. de France, XXI, p. 106 ; éd. Paulin Paris, in-12, t. IV, p. 239), puis par Guillaume Guiart. Roger de Wendover (éd. Hewlett, t. II, p. 384) parle avec dédain de ce fait d'armes : « Quoddam debile municipium Hodum appellatum obsedit. ». Cf. Mathieu de Paris, éd. Luard, t. III, p. 195].

L'occupation d'Oudon et de Champtoceaux était un assez modeste succès, mais Blanche de Castille, abandonnée en pleine guerre par une partie de ses vassaux, ne pouvait, en ce moment, rêver de grandes victoires. Dans une situation aussi grave, c'était beaucoup que de ne pas reculer. Les nobles coalisés contre Thibaud de Champagne, au moment où le roi les avait convoqués à venir combattre les Anglais, avaient fait une trêve qui devait durer jusqu'à l'octave de la Saint-Jean (1er juillet). A l'approche de ce terme, et à l'expiration des quarante jours pendant lesquels ils devaient au roi le service militaire, ils prirent congé de Louis IX, et, malgré tous ses efforts et ses prières, retournèrent à leurs guerres privées. Le roi, qui se disposait à faire un nouveau siège, dut tout abandonner pour suivre ses barons, les surveiller et sauver, si possible, le comte de Champagne. Il rétrograda en Anjou, puis reprit le chemin de l'Ile-de-France [Note : Lettre de G. de Wulward à l'évêque de Chichester (Shirley, t. I, p. 377-378); Roger de Wendover, t. III, p. 1 ; Philippe Mousket, y. 27988 ; Chronique de Saint-Médard de Soissons (d'Achery, Spicilegium, in-4°, t. II, p. 794 ; in-fol., 491)] ; avant la fin de juin il fut à Paris (Archives nationales, JJ 26, fol. 207, n° 145 bis). Pierre Mauclerc reprit l'offensive, se mit en devoir d'assiéger Vitré (Lettre de G. de Wulward). Henri III avait entre ses mains Geoffroy de Lusignan, seigneur de Vouvant et de Mervent en Vendée ; il lui rendit la liberté moyennant la cession temporaire de ces deux places (Lettre de G. de Wulward) ; Aimery de Thouars, dont Aimery de Lusignan était le vassal, se porta garant de sa fidélité et se mit lui-même au service de Henri III (Patent rolls, 38, 6 in dorso ; Rymer, éd. de 1816, p. 196). Une trentaine de chevaliers, entre autres Hervé et Pierre de Volvire, avaient été faits prisonniers, soit par les Anglais soit par Pierre de Bretagne. Le roi d'Angleterre les élargit, après s'être assuré de leur fidélité [Note : Lettre de G. de Wulward. — Patent rolls, 38, 6 r° ; 18 juin 1230 : « Pro Herveo de Volurio et aliis militibus, de eorum deliberatione. » — Hommage d'Hervé de Volvire, Rymer (1816), p. 197, d'après les rôles des lettres patentes, 38, 6 in dorso]. La fortune allait-elle tourner ? Le sénéchal anglais Raoul Fitz-Nicolas avait-il raison de croire que la plupart des seigneurs poitevins étaient gagnés au parti de son maître ? Un autre Anglais, qui, dans une lettre à l'évêque de Chichester, donne, sur tous ces événements, de précieux détails, va jusqu'à déclarer que déjà l'on espère ramener à son maître le comte de la Marche (Lettre de G. de Wulward). Le moment semblait venu pour Henri III de pousser en avant et de marcher droit en pleine France. Il s'en garda bien : savait-il seulement ce qu'il voulait faire ? En ce moment même on l'appelait en toute hâte du côté de la Gascogne, où régnait le désordre (Geoffroy de Beauchamp à Henri III ; Shirley, Royal Letters, I, p. 367-368).

Le roi d'Angleterre pouvait être assez rassuré sur les dangers d'une expédition en Gascogne. Il avait en Poitou de nombreux amis ; d'autres pouvaient être gagnés ; sans plus tarder, il se mit en rapport avec les seigneurs poitevins. Presque aussitôt après son arrivée à Nantes, il s'était déclaré prêt à ratifier une convention que son frère Richard avait passée avec Guillaume Maingot, seigneur de Surgères (Patent rolls, 38, 7 r° ; 23 mai 1230 : « Pro Willelmo Maingo Pictavensi. » — Guillaume Maingot était seigneur de Surgères en avril 1247 et prêta hommage comme tel au comte Alphonse de Poitiers ; J. de Laborde, Layettes, t. III, 3592) ; il l'appela auprès de lui et lui fit avoir, comme garantie, avec ses lettres patentes, une lettre de Pierre Mauclerc. Guillaume accepta les ouvertures qui lui étaient faites, et bientôt (2 juin 1230) Henri III fit savoir qu'il lui avait inféodé un revenu annuel de cent marcs d'argent, à percevoir en attendant d'avoir recouvré les biens qu'il avait perdus au service de la couronne d'Angleterre (Patent rolls, 38, 7 r° ; 2 juin 1230 : « Pro Willelmo Mayngo. Feodum. »). En même temps (3 juin), il conclut avec Guillaume l'Archevêque, sire de Parthenay, un arrangement aux termes duquel ce seigneur devait tenir de lui un fief qui avait jusqu'alors relevé du comte de la Marches (Patent rolls, 38, 7 r° ; 3 juin 1230 : « Pro Willelmo Archiepiscopi. ») ; à la fin de l'été , Guillaume reçut de Henri III une rente viagère de cinq cents marcs (Patent rolls, 38, 3 r° ; 15 septembre 1230). D'autre part, la délivrance de Geoffroy de Lusignan, seigneur de Vouvant et de Mervent, avait donné lieu à des négociations qui montrent combien était alors active la diplomatie anglaise (Patent rolls, 38, 7 r° ; 6 juin 1230. — Ibid., 6 in dorso, et Rymer, p. 197. — Autres actes du 2 et du 8 juin relatifs aux chevaliers de Geoffroy de Lusignan ; Patent rolls, 38, 7 r°). Le 14 juin, Henri avait donné à Gérard, vicomte de Brosse, un sauf-conduit pour venir traiter avec Guillaume le Maréchal comte de Pembroke (Patent rolls, 38, 6 r° ; 14 juin 1230 : « De conductu. »), puis il lui accorda une trêve de trois semaines à dater du dimanche 23 juin (Patent rolls, 38, 6 r° ; 25 juin 1230) ; le terme en fut reporté d'abord au 21 juillet (Patent rolls, 38, 6 r° ; 12 juillet : « De treugis prolongatis. »), puis indéfiniment reculé, sauf au roi d'Angleterre à la dénoncer quatre jours à l'avance (Record office ; Chancery, Miscellaneous rolls, 14, 1 ; 30 juillet 1230). Une lettre, par laquelle le vicomte de Brosse fut averti que cette trêve ne devait pas durer au delà du 23 septembres [Note : Miscellaneous rolls, 14, 1 ; 6 septembre 1230 (Rymer, p. 198). Dans une lettre datée de Nantes, le 23 septembre, Henri III signifia au vicomte de Brosse que la trêve conclue avec lui ne devait pas durer au delà du 28 (Rymer, p. 198)], prouve qu'il resta étranger aux hostilités pendant la marche des Anglais sur Bordeaux et leur retour vers la Bretagne.

Lorsque Henri III, en traversant le Poitou, s'avança dans la direction de la Gironde, ce qui se passa entre lui et les seigneurs du pays montra que, de ce côté, le terrain était fort bien préparé pour les Anglais. Dans le courant de juillet et d'août, la plupart des vassaux poitevins s'arrangèrent de leur mieux avec l'ennemi de leur véritable souverain, et alors se vérifia l'exactitude de ce que Raoul Fitz-Nicolas avait écrit le 8 juin au chancelier Raoul Nevil, évêque de Chichester : « Je crois que le roi, nostre sire, aura le plus grand nombre des seigneurs du Poitou, qui viendront à son service, tels que Geoffroy de Rancon, Renaud de Pons, Itier de Barbezieux, Robert de Sablé, Aimery de Rochechouart, Aimery de Thouars et Benoît de Mortagne. Grâce à eux, le roi pourra chevaucher en sécurité par la terre de Poitou jusqu'en Gascogne, et, s'il le faut, s'en retourner ensuite en Bretagne » (Shirley, Royal letters, t. I, p. 370-371 ; 8 juin 1230).

Peu après avoir passé la Loire, Henri III s'engagea envers Renaud de Pons à lui restituer son château de Cognac dès qu'il aurait pu s'en rendre maître, à lui donner une rente en attendant, à ne pas faire, sans son consentement, de trêve avec le roi de France ou le comte de la Marche (Patent rolls, 38, 6 r° ; 5 juillet 1230 : « Pro Reginaldo de Pontibus. »). La bonne harmonie fut durable entre le roi d'Angleterre et ce seigneur, puisque le sénéchal de Gascogne eut ordre (21 août) de remettre trois de ses vassaux en possession de biens qu'il avait saisis (Close rolls, 41, 4 r° ; 21 août 1230 : « De catallis deliberandis. »). Cinq jours plus tard, Henri fit payer à Renaud de Pons le jeune sept cents marcs, à son fils Geoffroy cent marcs, à ses conseillers cent autres marcs, à deux de ses chevaliers des sommes d'argent concédées à titre de fiefs (Close rolls, 41, 4 r° ; 26 août 1230 : « De denariis thesauri domini regis, liberandis baronibus Pictavensibus. »). Le 11 juillet, Henri III notifie que Hugues de Tonnay lui a confié, pour un an, son château de Tonnay-Charente, afin d'y mettre garnison, et que ce château lui a été livré le 4 juillet (Patent rolls, 38, 6 r° ; 11 juillet 1230 : « De castro de Taunay. »). Le 12, une rente de cinq cents livres est assurée à Guillaume de Mauzé, s'il vient à perdre, au service du roi d'Angleterre, les domaines qu'il possède dans les environs de Niort (Patent rolls, 38, 6 r° ; 12 juillet 1230 : « Pro Willelmo de Mausyaco. Feodum. »). Le même jour, des rentes sont données, en considération de leur hommage et de leurs services, à six autres nobles poitevins (Patent rolls, 38, 6 r° ; 12 juillet 1230 : « Pro Audoeno de Berbechy et aliis. Feoda. »).

Le 20 juillet, à Plassac, Henri III s'entend avec Itier de Barbezieux et lui promet d'entretenir à ses frais, à Barbezieux, soixante chevaliers, cent sergents à cheval et vingt arbalétriers, sous les ordres de Henri de Trubleville, sénéchal de Gascogne (Patent rolls, 38, 6 r° ; 20 juillet 1230 : « Apud Plessacum. »« Conventio facta inter dominum regem et Iterium de Berbezillo. »). Des conventions sont passées, moyennant des inféodations de rentes ou d'autres concessions, le 17 juillet avec Geoffroy de Pons, Geoffroy et Benoît de Mortagne (Patent rolls, 38, 6 r° ; 17 juillet 1230) ; le 2 août avec Robert de Sablé (Patent rolls, 38, 4 r° ; 2 août 1230) ; les 5 et 19 août avec Aimery, vicomte de Rochechouart, et son fils (Patent rolls, 38, 4 r° ; 5 août. — Ibid. ; 19 août) ; le 19 avec Geoffroy de Rancon, seigneur de Taillebourg (Patent rolls, 38, 4 r° ; 19 août : « Pro Galfrido de Rancon. »). Enfin, le 26 août, de Luçon, Henri délivre une série de lettres patentes concernant les paiements qui doivent être faits, sur son trésor, à treize nobles du Poitou (Close rolls, 41, 4 r° ; 26 août 1230 : « De denariis thesauri domini regis, liberandis baronibus Pictavensibus. »). Pour subvenir à ses dépenses, il fait des emprunts à des Bordelais, à un bourgeois de Dax, à un bourgeois de Bayonne, à d'autres encore, au nombre desquels se trouve l'évêque de Bazas (Patent rolls, 38, 7 r°).

C'est sur le conseil de son justicier Hubert de Burgh que le roi d'Angleterre avait décidé de passer en Poitou (Roger de Wendover, t. III, p. 6). Malgré la brouille momentanée de Portsmouth et en attendant une disgrâce irrémédiable, Hubert avait repris son influence. Quand le roi, contre son avis, eut envoyé à Rome une ambassade pour demander la nomination du cardinal Jean Colonna comme légat en Angleterre, il eut assez de crédit pour la faire rappeler (Shirley, t. I, p. 379-380). Le chapelain Richard de Saint-Jean, qui en écrivit à l'évêque de Chichester, lui apprit en même temps que leur souverain venait d'entrer en Poitou pour passer en Gascogne. Henri III s'avançait à petites journées ; il traversa Pirmil, Montaigu, Luçon, Marans, Vandré [Note : Pirmil, « Pilemil ; » Close rolls, 41, 7 r° ; 1er juillet 1230. — Ibid., 6 r° ; 2 juillet. — Montaigu ; Patent rolls, 38, 6 r° ; 2 juillet. — Luçon ; Patent rolls, 38, 6 r° ; 5 juillet. — Marans ; Ibid. ; 6 juillet. — Vandré, « Vendery; » Close rolls, 41, 6 r° ; et « Vendeny; » Patent rolls, 38, 6 r° ; 9 juillet], qu'il atteignit par un détour à l'est, ne pouvant passer sous les murs de la Rochelle. Il fut à Tonnay-Charente du 11 au 13 juillet (Tonnay-Charente, « Taunay; » Patent rouis, 38, 6 r° ; 11 juillet. — Au même endroit ; Close rolls, 41, 6 r° ; 13 juillet), à Pons du 15 au 19 (Pons, « apud Pontem; » Patent rolls, 38, 6 r° ; 15 juillet. — Au même endroit ; ibid. ; 19 juillet. Plusieurs autres documents établissent le séjour à Pons entre le 15 et le 19 juillet), ou même au 20, puisqu'à cette date et de ce lieu le sénéchal Raoul Fitz-Nicolas écrivit de la part de son maître au chancelier pour se plaindre de ce qu'on ne lui envoyait pas d'argent. Henri III , à l'en croire, aurait pu, avec des ressources pécuniaires, recouvrer une grande partie de ses domaines continentaux (Shirley, t. I, p. 382-383 ; 20 juillet 1230).

De Plassac, où ils furent le 20 juillet (Plassac, « apud Plessacum ; » Patent rolls, 38, 6 r° ; 20 juillet), les Anglais allèrent mettre le siège, le 21, devant une ville qu'on croit généralement être Mirebeau. Mais Mirebeau est fort éloignée de la Saintonge, en arrière de Niort, de Saint-Maixent et de Poitiers, qui se trouvaient alors entre les mains des Français. On n'aurait pu l'atteindre en si peu de temps, et le nom latin dans lequel on a cru la reconnaître s'applique tout aussi bien à la petite place de Mirambeau, située au sud de Plassac et dans la direction de Blaye. Cette forteresse avait dû tomber, d'une façon ou d'une autre, entre les mains de ceux qui tenaient le parti du roi de France ou du comte de la Marche. Henri III, l'ayant investie, convoqua les gens de Saint-Macaire à venir le trouver sous ses murs, au reçu de sa lettre, avec tout leur monde. Des ordres semblables furent expédiés le même jour aux habitants de plusieurs villes, entre autres Sainte-Bazeille et Bazas, aux gens des franchises de Bazadois, à Hélie Ridel, sire de Bergerac, à Bernard de Rioux, aux chevaliers et bonnes gens d'Entre-deux-Mers. Les convocations adressées aux seigneurs et aux habitants de ces divers endroits n'ont rien qui puisse étonner : tous se trouvaient assez rapprochés de la place qu'on voulait prendre. Le maire et la commune de Bordeaux sont avertis d'amener trois mangonneaux, ou deux au moins, et d'envoyer à leur prince trente mille de ses carreaux (Close rolls, 41, 6 r° (en bas) ; 21 juillet 1230 : « Teste rege apud Mirebel. »). Bernard de Rioux lui prête des machines de guerre, un trébuchet, deux tombereaux (tumberellos), deux mangonneaux, et Henri III s'engage à les lui rendre en bon état ; s'ils sont détériorés, le roi l'indemnisera de ce dégât d'après l'estimation faite par des tiers ou les achètera pour son compte (Patent rolls, 38, 4 r °; 30 juillet 1230 : « Pro Bernardo de Royl. » Ce seigneur est appelé Bernard de « Rious » dans la convocation du 21 juillet). Les gens qu'on avait appelés devant Mirambeau répondirent à la convocation royale ; Hélie Ridel s'y trouva et fit hommage, ainsi que deux autres chevaliers, Pierre de Bordeaux et Ernaud de Blanquefort (Close rolls, 41, 1 in dorso). Pendant le siège, Henri III fit savoir à Renouf de Talmont de rendre la liberté à quelques hommes de Hugues de Tonnay, qu'il avait entre ses mains, et de leur restituer leurs biens (Close rolls, 41, 5 r° : « Apud Myrebel, XXX die julii. »« De hominibus H[ugonis] de Taunay deliberandis. »). De son camp, il envoya des sauf-conduits, pour venir lui parler, au frère du vicomte de Limoges (Patent rolls, 38, 6 r° ; 26 juillet). Après une résistance de dix jours, la garnison finit par succomber aux assauts des Anglais ; elle fut faite prisonnière en voulant se retirer (Roger de Wendover, t. III, p. 6, et, d'après lui, Mathieu de Paris, Chronica majora, III, 198).

Le roi d'Angleterre, maître de Mirambeau, continua sa marche vers la Gironde. A Blaye, le 2 août, il promit à Geoffroy de Rancon deux mille marcs pour l'attirer à son service et à son hommage (Close rolls, 41, 5 r° : « Teste rege apud Bleyve, secundo die augusti. »). Au cours de cette campagne, il avait remporté un avantage plus sérieux en s'assurant d'Oléron ; il l'avait inféodée naguère au comte de la Marche (8 décembre 1226), et depuis lors Louis IX et Blanche de Castille l'avaient promise à ce prince par le traité de Vendôme. Le 21 juillet, les chevaliers et autres habitants de cette île reçurent l'ordre d'obéir au sénéchal de Gascogne Henri de Trubleville (Patent rolls, 38, 6 r° ; 21 juillet 1230) ; sur leur demande, transmise par le sénéchal, Henri leur confirma les libertés qu'ils avaient eues sous ses prédécesseurs (Patent rolls, 38, 6 r° ; 21 juillet 123). Robert de Sablé, venu à l'hommage du roi d'Angleterre, fut mis en possession des terres et fiefs que son père avait eus dans l’île (Close rolls, 41, 5 ; 14 août 1230), et d'autres fiefs y furent confirmés, au nom de Henri III, par Henri de Trubleville (Close rolls, 41, 4 r° ; 23 août : « Pro Willelmo de Rabayne. »). Le roi d'Angleterre s'y maintint, et le 16 septembre on le voit mander à Savary de Mauléon de délivrer les hommes d'Oléron, leurs vaisseaux et marchandises dont il viendrait à s'emparer (Close rolls, 41, 3 r° ; 16 septembre 1230). Ce fut pour les Anglais une conquête assez durable ; ils en restèrent maîtres plusieurs années ; une charte du 15 mai 1231 nous montre Robert de Sablé recevant la confirmation des biens qu'il avait possédés dans l'île, et dont il avait été dessaisi par le comte de la Marche (Close rolls, 42, 12 r° ; 15 mai 1231 : « Pro Roberto de Sabloil. »).

La prise d'une petite ville, l'occupation temporaire d'une île située en dehors du vrai théâtre de la guerre ne pouvaient avoir qu'une médiocre influence sur la marche des hostilités, et l'on peut se demander avec quelle intention Henri III était venu de si loin visiter Bordeaux, sa capitale française, en voyant qu'il y resta tout au plus une semaine [Note : Nous avons des actes de Henri III datés de Bordeaux les 5, 8 et 9 août 1230 ; Patent rolls, 38, 4 r° ; Close rolls, 41, 5 r°]. Rentré à Blaye le 10 août (Patent rolls, 38, 4 r° : « apud Blaviam. »), il s'arrêta dans cette ville trois jours ; il s'y trouvait encore le 12, quand il écrivit aux gens de Dax de lui faire leur service d'ost et de chevauchée à la convocation du sénéchal de Gascogne (Close rolls, 41, 5 r° ; 12 août 1230 : « De servicio domini regis ei faciendo. »). Il s'en retournait comme il était venu, à peu près par le même chemin, s'arrêtant à peine à Pons (14 août) (Close rolls, 41, 5 r°. Pons), à Saint-Georges-des-Côteaux (17 août) (Close rolls, 41, 5 in dorso. Saint-Georges), à l'ouest de Saintes, par laquelle on ne pouvait passer, parce qu'elle était au comte de la Marche, à Tonnay-Charente (19 août) (Close rolls, 41, 5 r° : Tonnay-Charente). Pendant cette seconde traversée de la Saintonge et du Poitou, l'armée anglaise dut être plus d'une fois inquiétée dans sa marche. Il est vrai que le roi de France était assez loin : parti pour Paris à la suite des vassaux qui avaient abandonné son armée, il était revenu en juillet à Saint-Maixent, d'où il accorda une charte de commune aux bourgeois de Niort (Layettes du Trésor des chartes, II, 2070 ; Saint-Maixent). Au mois d'août on le retrouve à Poitiers (Archives nationales, JJ. 26, fol. 239, n° 270 ; Poitiers), occupé sans doute à surveiller les allées et venues de ses ennemis. Mais Hugues de Lusignan, et d'autres partisans de Louis IX, étaient plus près du chemin que suivait dans sa retraite l'armée de Henri III. Le jour où les Anglais quittèrent Tonnay, Guillaume de Fouquebrune fut attaqué et dépouillé par des « malfaiteurs, » qui paraissent bien avoir été des coureurs du parti français (Close rolls, 41, 4 r°).

Le 21 août, jour de son passage à Surgères, Henri III ordonna au sénéchal de Gascogne de laisser les Templiers de la Rochelle introduire dans cette ville le fourrage dont ils auraient besoin (Close rolls, 41, 4 r° : « Pro fratribus milicie Templi de Rupella. »). Il laissait en se retirant des connétables ou capitaines dans les châteaux qu'on lui avait livrés (Close rolls, 41, 4 r° : « Rex Rogero de Butemund[ia] constabulario de Taunay. » — Ibid., 4 in dorso : « Mandatum est constab[ulario] de Vovent et Merevent..... »). De Marans, où il fut le 22 et le 23 août, il écrivit à Savary de Mauléon de faire relâcher tous les vaisseaux arrêtés par lui malgré les sauf-conduits dont ils étaient porteurs (Close rolls, 41, 4 r° ; Henri III à Savary de Mauléon. Son séjour à Marans ; 22 août, ibid. ; 23 août, ibid. Le 21 et le 22 août, il avait été à Surgères ; Close rolls, 41, 4 in dorso et r°) ; il semble en vérité qu'on ne fît pas la guerre d'une manière bien sérieuse. Du 24 août au 6 septembre, Henri III fut à demeure à Luçon (Luçon, 24 août 1230 ; Close rolls, 41, 4 r°. — Luçon, 6 septembre ; Patent rolls, 38, 3 r° ; cf. Rymer, t. I, 198. Passage à Montaigu, 9 septembre 1230 ; Close rolls, 41, 3 r°. Lettre datée de Nantes, le 12 septembre ; ibid.), et enfin, le 12 septembre, après une longue et peu glorieuse expédition, il revit Nantes.

A quoi lui avait servi cette promenade militaire ? Pouvait-il au moins se dire qu'en quittant le Poitou il laissait en bonne situation ceux qui s'étaient compromis pour lui, dont il avait acheté à bon prix le dévouement peu sûr ? Beaucoup d'entre eux devaient, après son départ, se trouver assez exposés. C'était le cas du vicomte de Rochechouart, qui, entouré d'ennemis, avait fait à grands frais environner son château de fortes murailles, de tours et d'un fossé profond. Il écrivit à Henri III qu'il serait, sans son secours, incapable de tenir, si le roi de France venait dans le pays ; il rappela dans des termes pressants ses dépenses , ses besoins d'argent, fit appel pour lui-même et pour son fils, Aimery, à la générosité de celui qui avait soulevé les Poitevins, sauf à se retirer ensuite en Bretagne (Shirley, Royal and other historical letters, t. I, p. 383-384). Nous ne savons pas si Henri III lui fit parvenir des subsides. Le roi d'Angleterre n'était plus en état de tenir la campagne; les résultats de son expédition étaient bien médiocres ; sans avoir remporté aucun avantage sérieux, sans avoir engagé d'action importante , il en était réduit à conclure une trêve partielle, en attendant l'avortement définitif de son entreprise.

Le comte de la Marche, qui avait pour femme la mère de Henri III, était le négociateur désigné d'une suspension d'armes ; entre lui et son beau-fils la guerre n'avait pas été bien violente : dès le 16 juillet, Henri avait écrit aux maîtres de ses galées, à Savary de Mauléon, au sénéchal Henri de Trubleville, de laisser aller, avec leurs vins qu'on avait saisis, des marchands sujets de Hugues X (Close rolls, 41, 6 r° ; 16 juillet 1230). Lors de son passage à Pons, le 15 août, il avait à la demande du comte entamé des pourparlers avec le roi de France ; on. devait rester en paix, au sud de la Loire, du 18 août au 1er septembre. Le roi d'Angleterre pria le comte de Bretagne et les principaux de ses partisans poitevins de faire observer cette trêve, promettant de leur expliquer, quand il les verrait, les motifs qui l'avaient amené à la conclure (Close rolls, 41, 5 in dorso : « Rex P[etro] duci Britannie, » etc. Lettre datée de Saint-Georges-des-Côteaux, le 17 août, relatant les négociations entamées le 15 août). Le 26 août, il fit savoir qu'elle était prolongée jusqu'au 8 septembre (Rymer (éd. de 1816), t. 1, p. 198 ; 26 août) ; le 30, il écrivit encore à Savary de Mauléon pour lui ordonner de remettre en liberté les vaisseaux et les hommes du comte de la Marche qui étaient munis de sauf-conduits. Si le comte et ses gens commettaient des infractions à la trêve, Henri se réservait d'en faire justice en sa cour, devant laquelle Hugues voulait que ses hommes répondissent en pareil cas (Close rolls, 41, 3 in dorso ; 30 août). Apprenant que deux chanoines de Saintes ont été faits prisonniers de nuit à Saint-Pierre d'Oléron, dans une maison où ils étaient logés, le roi d'Angleterre se demande s'ils ne doivent pas être mis en liberté en raison de la trêve ; il écrit au connétable d'Oléron de leur faire avoir un délai pour le paiement de leur rançon et de lui envoyer, afin d'ouvrir une enquête, ceux qui ont opéré l'arrestation (lettre du 3 septembre) (Close rolls, 41, 3 in dorso ; 3 septembre). Trois jours plus tard il donne des pleins pouvoirs, pour régler tout ce qui concerne la trêve, à son frère Richard, à Hubert de Burgh, au comte de Pembroke, au connétable de Chester et à Raoul Fitz-Nicolas (Rymer, t. I, p. 198 ; Luçon, 6 septembre 1230).

Henri III, rentré à Nantes, y séjourna du 12 au 23 septembre (Close rolls, 41, 2 in dorso ; Nantes, 23 septembre 1230). Il retrouva la Bretagne telle qu'il l'avait laissée lors de son départ pour la Gascogne : les grands seigneurs du pays, ou tout au moins quelques-uns des plus importants, étaient encore fidèles au parti de Pierre Mauclerc. Henri III eut soin de se les attacher ; il donna ordre à ses ministres de remettre le vicomte Alain de Rohan et Henri d'Avaugour en possession des fiefs que leurs pères avaient autrefois tenus en Angleterre, et dont ils avaient été dépouillés à l'époque où Jean Sans-Terre avait perdu la Normandie [Note : Close rolls, 41, 3 r° ; 17 septembre 1230 : « Pro vicecomite de Rohan. » Ibid., 1 r° ; 14 octobre : « Pro Henrico de Avaugor. » Mandement relatif à l'hommage de ce seigneur et à la restitution de ses fiefs : Close rolls, 42, 21 r° ; 28 octobre : « Pro Henrico de la Vagor. »]. Les bonnes dispositions de la noblesse bretonne lui étaient plus que jamais nécessaires ; son armée se fondait. Les Anglais, confinés dans la péninsule, avaient beaucoup souffert de la chaleur pendant tout l'été ; la nourriture et les boissons qu'ils trouvaient dans le pays, et auxquelles ils n'étaient pas accoutumés, avaient occasionné des maladies ; les chevaux mouraient, les vivres étaient épuisés, l'argent dépensé. Les comtes et les barons, n'ayant pas occasion de se battre, se consolaient de leur inaction en faisant bombance « à la mode anglaise ; » quant aux simples chevaliers, ils en étaient réduits à vendre leurs chevaux et leurs armes pour mener une vie misérable [Note : Willelmi chronica Andrensis ; Monumenta Germaniæ, Script., t. XXIV, p. 770; Roger de Wendover, éd. Hewlett, t. III, p. 7, et, d'après lui, Mathieu de Paris, Chronica majora, t. III, p. 199]. La chevalerie anglaise était ainsi décimée sans combattre ; le roi lui-même avait été malade, et son frère Richard, atteint à son tour, n'était pas encore guéri [Note : Ex Walteri Gisburnensis cronica de gestis regum Anglie ; Monumenta Germaniæ, Scriptores, t. XXVIII, p. 637. — Lettre de Henri III à Hugues de Lusignan ; Shirley, Royal letters, t. I, p. 385 ; 29 septembre].

Au moment de quitter le Poitou, il avait annoncé son intention de repasser en Angleterre avant la Saint-Michel, envoyé des commissaires dans les ports de son royaume pour s'assurer des vaisseaux nécessaires au transport des troupes, et mandé à tous les patrons et marins de ses États de venir le rejoindre à Saint-Malo dès qu'ils auraient le vent favorable (Patent rolls, 38, 3 r° ; Mareuil, au nord de Luçon, 6 septembre 1230 : « De navibus. »). Bientôt on vit des nobles anglais demander et obtenir la permission de repasser la mer : Roger de Quincy, qui est tombé malade, est autorisé à s'en retourner, et avec lui plusieurs chevaliers de sa parente Marguerite de Quincy, comtesse de Winchester (Close rolls, 41, 3 in dorso ; 16 septembre 1230) ; la même mesure est prise en faveur de Henri de Hastings et de quelques autres (Close rolls, 41, 3 in dorso ; 17 septembre). Henri III presse son départ : fidèle à ses procédés ordinaires, il fait arrêter les vaisseaux qui se trouvent à Saint-Malo et dans les ports voisins (Patent rolls, 38, 3 in dorso ; 17 septembre : « Rex ballivis portus de Sancto Maclovio, » etc.), et le commissaire qu'il a chargé de ce soin, Robert d'Andely, s'embarque lui-même pour l'Angleterre (Close rolls, 41, 2 in dorso ; 27 septembre 1230). En même temps le roi fait savoir que l'état de sa santé ne lui permet pas de rester en France pendant l'hiver, qu'il est d'accord, sur la nécessité de son retour, avec ses barons et le comte de Bretagne. C'est au havre de Saint-Gildas qu'il compte prendre la mer (Patent rolls, 38, 3 r° ; 16 septembre 1230 : « De navibus faciendis venire usque Sanctum Gildasium. ») ; le comte de Bretagne, le comte de Chester et de Lincoln, Guillaume le Maréchal, comte de Pembroke, devront continuer la guerre (Shirley, t. I, p. 385). Une lettre du 2 octobre nous le montre encore pressant l'arrivée des navires anglais (Patent rolls, 38, 2 r° ; 2 octobre 1230 : « De navibus faciendis venire usque Sanctum Gildasium. »).

Le 26 septembre il écrit à tous ses chevaliers et sergents restés sur le continent que Guillaume le Maréchal est chargé de poursuivre les opérations militaires (Patent rolls, 38, 3 r° ; 26 septembre 1230). Il annonce sa détermination au comte de la Marche, déclare que les trois comtes ont ordre de veiller aux intérêts de Hugues X et des partisans que la couronne d'Angleterre conserve en France (Shirley, t. I, p. 385 ; 29 septembre). Henri promet des subsides et donne des garanties à ceux qu'il charge de le remplacer : le comte de Chester doit recevoir mille marcs pour soutenir la guerre (Patent rolls, 38, 3 r° ; 28 septembre 1230 : « Pro comite Cestrie. ») ; Guillaume le Maréchal pourra retourner en Angleterre au carême, s'il consent à rester jusqu'à cette époque en Bretagne pour le service de son souverain ; s'il vient à mourir auparavant, son frère Richard pourra sans contredit recueillir son héritage (Patent rolls, 38, 3 r° ; 25 septembre 1230 : « Pro comite Marescallo. »). Henri III s'engage à laisser à Pierre Mauclerc quatre cents chevaliers et cent sergents à cheval (Rymer, t. I, p. 198 ; 23 septembre), et même, d'après un historien, cinq cents chevaliers et mille sergents (Roger de Wendover, t. III, p. 7 ; Mathieu de Paris, t. III, p. 199). Le comte de Chester et Guillaume le Maréchal pourrônt attirer au service du roi d'Angleterre tous ceux qu'ils voudront, sans risquer d'être désavoués (Rymer, t. I, p. 198 ; 27 septembre), et le comte de Bretagne reçoit plein pouvoir de conclure des trêves avec le roi de France (Patent rolls, 38, 2 r° ; 8 octobre 1230 : « De treugis capiendis. »). C'est lui qui est le véritable chef du parti anglais en France ; Henri III, toujours besogneux, a recours à la générosité intéressée de cet habile et puissant allié, qui lui avance six mille marcs (Rymer, t. I, p. 198 ; 26 septembre. — Lettre du 8 octobre, relative au même sujet ; Patent rolls, 38, 2 r° : « Comes Britannie. ». Le 10 mars 1232, Henri III était encore le débiteur de Mauclerc ; Patent rolls, 41, 8 r° : « De debito quod rex debet Petro comiti Britannie. »).

Après toutes ces demi-mesures, qui devaient aboutir à un insuccès final, le roi d'Angleterre ne songea plus qu'à s'embarquer. Il ne lui restait pas autre chose à faire ; il avait choisi, pour descendre en Bretagne, le moment où presque tous les grands seigneurs de France s'entendaient pour combattre l'autorité de la reine Blanche ; or, les désordres intérieurs de la France touchaient à leur fin. Les barons avaient échoué dans leurs tentatives contre le comte de Champagne ; Blanche de Castille avait sauvé Thibaud IV, et, dès le mois de septembre 1230, le comte de Boulogne, Philippe Hurepel, avait donné l'exemple de l'obéissance en venant à Compiègne se soumettre au roi. Henri III n'avait rien su faire, alors que l'est du royaume était en feu, que les grands vassaux de la couronne désertaient en masse la bannière royale ; la vanité de ses grands projets devenait évidente, maintenant que la France était pacifiée, que l'autorité de Louis IX était consolidée par le rétablissement de la paix entre Thibaud de Champagne et ses ennemis. Il le savait fort bien quand il reprit, à petites journées, le chemin des côtes du Nord.

Parti de Nantes le 23 septembre, il fut à Redon du 24 au 29 (Redon, 24 septembre 1230 ; Close rolls, 41, 2 r°. — Redon, 29 septembre ; ibid.), à Guer le 2 Octobre (« Apud Ger; » Close rolls, 41, 2 r°), à Saint-Méen du 4 au 7 octobre (« Apud Sanctum Mevennum, » 4 octobre ; Close rolls, 41, 2 in dorso ; 7 octobre ; ibid., 2 r°.), à Jugon le 8 et le 9 (« Gygun; » 8 octobre ; Patent rolls, 38, 2 r°. — « Gygny; » 9 octobre ; Close rolls, 41, 2. r°.), à Saint-Brieuc le 10 (Saint-Brieuc ; 10 octobre ; Close rolls, ibid., 2 r°.), à Guingamp le 10 et le 11 (10 octobre ; Patent rolls, 38, 2 r°. — 11 octobre ; Close rolls, 4 1, 2. r°.), à Saint-Pabu le 11 et le 12 (« Seint Pabus ; » 11 et 12 oct. ; Patent rolls, 38, 2 r° et 1 r°, et deux lettres en faveur du vicomte Alain de Rohan ; D. Morice, Preuves, t. I, col. 871-872), à Saint-Tugdual du 13 au 18 (« Apud Sanctum Tydualum; » 13 octobre ; Close rolls, 41, 1 r°. — 18 octobre ; ibid.), à Lannion le 21 (« Lannyun ; » 21 octobre 1230 ; Patent rolls, 38, 1 r°.), à Morlaix le 22 (« Muntrelès, » 22 octobre ; ibid.), à Saint-Pol-de-Léon le 25 au plus tard (25 et 26 octobre ; ibid.) ; il se trouvait encore dans cette ville le 26. Après avoir ordonné de remettre en liberté les vaisseaux de Saint-Malo et les autres navires bretons qui avaient été saisis en prévision de son passage (Close rolls, 41, 1 r° ; 25 octobre 1230), il mit à la voile et se dirigea sur Portsmouth, où nous le retrouvons le 28 (Portsmouth ; 28 octobre ; Close rolls, 42, 21 r°.). Henri n'avait guère lieu d'être fier quand il rentra dans ce port qu'il avait quitté, quelques mois auparavant, plein d'une arrogante espérance. Sa situation était peu enviable ; celle de ses partisans français l'était bien moins encore. Aimery de Thouars, sire de la Roche-sur-Yon, ne tarda pas à lui faire savoir qu'il était en détresse (Shirley, Royal letters, t. I, p. 386). Un autre de ses fidèles, Renaud de Pons, lui écrivit que, pour se protéger contre le roi de France, il avait dépensé beaucoup d'argent à fortifier sa ville. Il lui fallait de nouveaux fonds pour mettre en état de défense Pons et Montignac ; il suppliait le roi d'Angleterre de lui venir en aide, de ne pas le laisser à la merci de ses ennemis : « La reine de France, disait-il en terminant, a déclaré, devant le comte de la Marche et Geoffroy de Rancon, qu'elle me déshéritera ou que le roi perdra la France » [Note : Shirley, t. I, p. 386-387. On trouvera dans ce même recueil d'autres lettres intéressant les rapports de Henri III avec Renaud de Pons et les seigneurs de Mortagne (p. 388, 391)].

Au moment où le sire de Pons adressa cet appel au roi d'Angleterre, il y avait encore des Anglais en Bretagne ; mais la guerre, interrompue dès l'année suivante par une nouvelle trêve, ne leur réservait que de petits succès et de grosses dépenses. Henri III était bien loin de Rouen, d'Angers, de Poitiers et de la Rochelle, qu'il avait prétendu reconquérir.

(Elie Berger).

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