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L'IMPÔT FONCIER EN FRANCE et en BRETAGNE

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Des origines de l'impôt ; de l'impôt foncier en France ; de son développement ; de son assiette ; du cadastre ; de la répartition jusqu'en 1880.

I. — Les questions qui préoccupent le plus vivement aujourd'hui le monde agricole sont incontestablement celles qui concernent l'économie rurale et les intérêts généraux du travail cultural. Et les agriculteurs, dévoués à leur industrie, qui consacrent si courageusement tous leurs efforts à son développement, aiment à voir ces questions faire l'objet de sérieux examens par les Associations agricoles, où l'enseignement des principales notions de la science agronomique s'unit à l'enseignement de la pratique et forment, par une heureuse alliance et le contact des idées, la lumière nécessaire pour éclairer la voie qui conduit au progrès.

Le devoir de ces Associations est de donner à ce progrès une ardente impulsion en montrant au cultivateur que son industrie, si longtemps reléguée au dernier rang des industries humaines, a conquis le droit d'occuper parmi elles la première place et d'obtenir la protection et la sollicitude incessantes des pouvoirs publics. Elle est la base nécessaire de la prospérité d'un peuple ; et quand ses mouvements sont paralysés par le poids exagéré des charges et que son développement s'arrête, on voit immédiatement aussi s'arrêter le développement des forces et de la grandeur de l'Etat.

La première préoccupation d'un Gouvernement est donc de soutenir et d'encourager le cultivateur dans sa lutte de chaque jour contre la nature. Car l'agriculture est la seule industrie qui, outre les charges publiques qu'elle supporte comme les autres, rencontre sur sa route tous les obstacles de la nature qu'aucune force humaine ne peut détourner ou vaincre. Et, quand le cultivateur n'a pas la pensée que la main tutélaire du Gouvernement collabore à sa tâche il se désespère dans son impuissance à lutter contre ces obstacles élevés par l'Etat ou par la nature.

Or, le principal obstacle provenant des institutions d'un peuple, est, sans contredit, la charge de l'impôt, quand elle dépasse la mesure supportable par le contribuable. Et si les obstacles de la nature, intempéries, grêle, sécheresse, inondation, qui viennent détruire les espérances du cultivateur, sont au-dessus des forces des pouvoirs publics, il n'en est pas ainsi des obstacles provenant des charges de l'impôt qu'il dépend toujours d'eux de modérer ou d'augmenter.

Il était donc opportun d'inscrire au programme du Congrès la question de l'impôt, qui est la plus agitée à notre époque, et de rechercher dans ses origines la légitimité de l'impôt, son assiette et son développement. Et dans les considérations que je vais avoir l'honneur de vous soumettre, je m'abstiendrai de toute critique sur la situation actuelle de l'impôt en France.

 

II — Dans tous les Etats, Messieurs, la charge de l'impôt est impopulaire et l'objet des ardentes récriminations des contribuables. Malheureusement c'est une charge nécessaire, sans laquelle une nation ne pourrait se maintenir, ni vivre.

L'impôt constitue un prélèvement opéré chaque année sur les biens des citoyens d'un Etat pour faire face aux dépenses générales que son Gouvernement est tenu de faire dans l'intérêt public, pour la sécurité du peuple et le développement de la puissance nationale.

Un peuple, constitué en corps de nation, comme la France, a nécessairement des besoins généraux et des besoins particuliers à satisfaire.

En ce qui concerne les intérêts particuliers de chaque citoyen, c'est à lui d'y pourvoir sans demander à autrui autre chose que le respect de ses droits reconnus par les lois du corps social. Mais les charges nécessaires pour sauvegarder les intérêts généraux de l'Etat, pour le protéger contre les incursions du dehors, pour faire rendre à chacun bonne et impartiale justice, pour entretenir et constituer un personnel administratif suffisant, pour faire respecter les lois, créer des voies de transport, assurer la liberté individuelle et l'ordre public, doivent être supportées par tous les membres du corps social et être reparties entre eux dans la proportion des ressources de chacun.

C'est de cette nécessité qu'est née l'origine des impôts d'Etat et que découle la légitimité de leur établissement. Et aux adversaires de tout impôt public, on peut répondre par les faits du passé et opposer les traditions de tous les peuples.

 

III. — Dans l'antiquité, comme dans les temps modernes, tous les peuples, réunis en corps de nations, ou même en agglomération réglée, ont reconnu la nécessité et la légitimité de l'impôt prélevé sur chacun pour maintenir l'harmonie et la sécurité dans l'Etat ; et aussi que cet impôt fût perçu par le pouvoir gouvernemental, placé à la tête de la nation, avec la mission souveraine de maintenir chaque citoyen dans la possession de ses droits et dans la pratique de ses devoirs.

Si d'éminents économistes ont émis la prétention que l'impôt, même quand il est consenti par le peuple qui le paie, est illégitime et constitue une violation de la propriété, ils ont dédaigné de prendre en considération que, comme le dit J.-B. Say, la nécessité de maintenir le corps social justifie en tous pays la levée de l'impôt ; qu'il est juste que chaque habitant contribue aux charges de l'Etat d'une partie de son bien pour assurer la conservation du reste ; et que ce n'est qu'alors que les contributions excèdent la somme indispensable pour la sécurité de la société qu'il est permis de les considérer comme une spoliation.

En outre, il est incontestable que l'impôt équitable représente la part que l'Etat, mandataire de tous, a le droit de revendiquer dans la richesse nationale en échange de sa collaboration à l'oeuvre de la production par les soins et la sollicitude qu'il apporte à protéger le travail national. En effet, dit Rossi, l'action du Gouvernement est un moyen indirect de production ; et Vauban proclamait, avec raison, qu'un Etat ne peut se soutenir si ses sujets ne le soutiennent.

Ce sont là les véritables principes de la légitimité de l'impôt qu'il est utile de faire comprendre aux masses populaires qui le supportent et qui, ayant la conscience de cette légitimité, ne s'insurgent contre sa perception que quand ces principes de modération et de juste répartition sont violés par les pouvoirs publics.

Si j'ai dit que ces principes de nécessité et de légitimité d'une contribution générale levée sur le peuple, ont été admis dès l'antiquité, le témoignage de l'histoire vient confirmer mes paroles en nous montrant, à l'origine de toute agglomération de peuple en corps de nation, l'institution d'un impôt comme élément obligatoire de sa constitution.

Mais l'impôt a varié de nature et de quotité suivant les peuples et les temps. Cependant c'est sous forme de dîme qu'il a existé le plus longtemps. Que n'a-t-on pas dit contre la dîme, que la passion ou l'esprit de parti a considérée comme une invention de la féodalité, et même de nos Gouvernements monarchiques ? Or, la Dîme, aussi ancienne que le monde, n'a jamais été qu'un mode de recouvrement de la contribution due par chaque membre du corps social.

Alors que les monnaies ou autres signes métalliques des échanges n'existaient pas encore, ou bien étaient très rares, la dîme consistait dans un prélèvement fait en nature sur les produits du travail. Ce mode de perception de l'impôt fut le plus naturel et le plus facile, car les habitants, ayant tous sous la main les produits de la terre et de l'industrie, pouvaient, sans gêne, acquitter l'impôt en remettant à l'Etat la portion contributive de leurs produits. Et cette contribution avait un caractère d'égalité et de proportionalité entre les contribuables qu'il serait difficile de retrouver dans les répartitions modernes ; car elle n'était, pour chacun, qu'une part égale des produits qu'il retirait de son travail : soit le dixième, soit le vingtième, soit le cinquième, suivant les nations. Alors le mot dîme ne signifiait pas que la contribution fût du dixième, mais bien une quotité en nature, d'après la fixation des usages ou des lois.

Ce mode de répartition de l'impôt avait un caractère d'équité incontestable qu'on serait heureux de retrouver aujourd'hui, attendu que le contribuable ne donnait qu'une quotité de produits ; de sorte que, s'il récoltait peu il donnait peu, et l'Etat supportait ainsi sa part de perte dans les mauvaises années ! L'histoire nous montre l'impôt de la dîme établi jusque chez les sauvages. Il consistait dans une portion, prélevée par le chef, des produits de la chasse, de la pêche et de la terre.

Chez les Hébreux, la dîme était aussi le mode de recouvrement de l'impôt. Ce fut même chez eux que l'usage de payer le clergé par des dîmes en nature prit naissance.

Il était interdit aux Lévites, chargés du gouvernement religieux, de posséder des biens. Et leurs ressources alimentaires consistaient dans le prélèvement d'une dîme en nature sur les bestiaux et les grains des membres des tribus. « Toutes les dîmes de la terre, dit le Lévitique, chapitre 25, soit de semence de la terre, soit des fruits des arbres, appartiennent au Seigneur » c'est-à-dire, à Dieu représenté par ses Lévites.

La dîme, dit le chapitre 8 du livre des Rois, est un impôt prescrit comme une redevance due par le peuple ; et il écrit, au chapitre 18 du livre des Nombres, que le Seigneur dit aux peuples de la tribu de Lévi : qu'il leur donnait toutes les dîmes d'Israël pour le ministère religieux qu'ils remplissaient au tribunal d'alliance, et que, lorsqu'ils auraient reçu ces dîmes, ils devaient en offrir les prémices, c'est-à-dire la dixième partie, au Seigneur.

Enfin, on lit au chapitre 31 du livre 2 des Paralipomènes, que le roi ayant ordonné au peuple de Jérusalem de donner aux lévites la part qui leur était due afin qu'ils pussent se livrer tout entiers à la loi de Dieu, les enfants d'Israël leur offrirent la dîme de tout ce que porte la terre en blé, vin, huile, miel.

La dîme a donc été l'une des premières formes de l'assiette de l'impôt.

La seconde paraît avoir été un système de capitation et de corvée.

Dans les derniers temps de la Judée, on trouve, en effet, chez les Hébreux, où le signe métallique des échanges avait paru moins rare, la trace d'un impôt d'un demi-sicle, qui atteignait tout homme âgé de 20 ans.

L'impôt de la corvée, dont l'origine paraît être la construction du temple de Salomon, consistait, pour tout homme valide, à donner quelques journées de travail aux entreprises d'intérêt général.

Mais si, dans ces temps primitifs, on ne trouve pas la trace des controverses économiques de protection et de libre-échange, on y voit apparaître l'origine de l'impôt de douane, dans les droits dont les successeurs du roi David frappèrent les chevaux et les toiles importées en Judée par l'isthme de Syrie.

Dans les autres parties de l'Asie, l'impôt consistait aussi dans la dîme en nature des produits de la terre.

On sait que dans les premiers âges de la Grèce, où les fonctions publiques n'étaient point rétribuées, où les armées ne recevaient pas de soldes, les revenus des terres sacrées et les offrandes volontaires suffisaient aux dépenses publiques, et dispensaient d'établir un système d'impôt.

Mais quand Sparte et Athènes furent devenues des centres de civilisation et de gloire militaire, l'établissement de contributions publiques devint obligatoire.

Ici encore c'est sous forme de dîme qu'on opéra cette innovation. Mais quand Solon porta la main sur la réforme de la législation athénienne, ou plutôt des usages, il y ajouta un impôt de quotité. Le peuple, ayant été réparti en quatre classes, suivant le degré de fortune, fut grevé d'un impôt qui avait le caractère d'impôt progressif, de façon que le contribuable riche payait, proportionnellement, plus que celui qui l'était moins ; et que le contribuable de la quatrième classe, qui avait un revenu inférieur à deux cents mesures de produits liquides ou secs, ne payait rien.

Pour les trois autres classes, l'impôt consistait en une portion déterminée de ces produits.

En Egypte, la dîme était également le système de l'impôt ; mais il y était plus lourd qu'ailleurs, puisque la dîme consistait en un prélèvement du cinquième des produits. Dans les premiers siècles de l'Espagne, la dîme est encore la forme de l'impôt ; mais elle y était modérée, et ne comprenait que le vingtième des produits.

C'est sous les Romains que les impôts multiples commencent à être établis.

Sous les rois, la contribution imposée au peuple fut un impôt de capitation que le Gouvernement, une fois que les ressources dont il avait besoin étaient fixées, répartissait par tête entre tous les citoyens, sur les riches comme sur les pauvres. Cependant, le roi Servius réforma ce système injuste de répartition de l'impôt, par trop égalitaire, pour adopter le système créé en Grèce par Solon.

A l'avènement de l'empire romain, où les charges publiques augmentaient chaque jour, le Gouvernement se trouva dans l'obligation de créer de nouveaux impôts.

Alors se précise la perception de l'impôt foncier qui, sous le nom de sens, frappait la propriété immobilière à raison d'une taxe fixe par arpent de terre.

Puis l'on voit apparaître un impôt sur les personnes habitant les cités et sur les colons qui ne payaient pas le sens ; c'était l'origine de l'impôt personnel.

Enfin les gouvernements romains établissent, successivement : un impôt sur l'exportation et l'importation des marchandises ; un impôt sur les mutations des biens ; un impôt sur les objets de consommation, qui était l'impôt indirect de ces époques éloignées ; un impôt sur l'étalage des marchandises dans les marchés ; un impôt sur les mariages ; un impôt sur les sépultures.

On voit déjà que l'augmentation des impôts et des charges publiques d'une nation est en raison directe de son ambition militaire et de sa passion de conquêtes territoriales.

Mais nous trouvons, aussi, dès cette époque, l'origine de beaucoup d'impôts que nous supportons encore.

On a pu croire que ces Romains qui, certainement, avaient pratiqué dans les Gaules, après leur conquête, leur système d'impôts, l'avaient légué aux rois francs, quand ils abandonnèrent le pays.

Il n'en fut rien. Et ce système disparut avec l'occupation romaine.

D'après Montesquieu, il n'exista pas, sous les premiers rois francs, de système organisé d'impôts. Il en résulta que, pendant les premiers siècles de notre histoire, la levée des impôts, nécessaires aux rois et aux chefs de province, fut arbitraire, sans organisation légale, et dépourvue du caractère de proportionnalité qui la justifie.

Sous l'empire de cette multiplicité d'Etats dans l'Etat, de cette féodalité qui n'était qu'une république aristocratique et autoritaire, chaque province possédait ses moeurs, ses usages et ses coutumes particuliers, qui différaient d'une province à l'autre, et fixait l'assiette de l'impôt suivant ses propres besoins.

Il ne pouvait donc pas y avoir un système national d'impôt, ni même un système fixe et saisissable pour chaque seigneurie. La dîme des produits fut encore une forme de perception de l'impôt.

Mais, les progrès de la civilisation, dont le rayonnement avait été éclipsé pendant les premiers siècles du moyen-âge, reparurent de nouveau et s'affirmèrent, peu à peu, sous la marche du temps, et sous l'influence des doctrines évangéliques.

L'impulsion du mouvement moral et politique qui en résulta poussa le pouvoir central dans la lutte qui devait aboutir à l'unité de la France, par la soumission des Etats provinciaux à l'autorité souveraine et reconnue du roi.

Cette constitution laborieuse de l'unité nationale, à laquelle chaque siècle apporta sa pierre, entraîna comme conséquence la nécessité d'établir un système d'impôt, dont l'assiette et la répartition reposassent désormais sur les prescriptions de la loi afin de faire disparaître les inégalités choquantes qui caractérisaient les systèmes féodaux et mécontentaient le peuple.

Dès le XIème siècle, on voit les cités faire de grands efforts dans ce sens, soit pour arriver à l'égalité de tous les citoyens devant les charges publiques, soit pour conserver les libertés qu'elles possédaient ou reconquérir celles qu'elles avaient perdues.

L'arbitraire et les privilèges féodaux dans cette répartition des impôts furent les grands mobiles qui les poussaient à revendiquer la constitution des communes.

Les Romains avaient laissé, dans les villes gauloises, les souvenirs de l'organisation de leurs municipes et de leurs libertés. C'est à cette source que les agglomérations populaires allèrent puiser les éléments de leurs aspirations politiques et administratives, qui se manifestèrent, d'abord dans les provinces méridionales, et ensuite, dans les autres contrées de la vieille Gaule. Elles pensaient qu'avec la constitution des communes elles seraient plus fortes pour obtenir la justice dans la répartition des impôts.

Le roi Louis Le Gros encouragea ce mouvement d'émancipation, en même temps qu'il imposait des limites et des règles aux justices seigneuriales. Et c'est à l'ombre de son autorité protectrice que les villes, déjà constituées en corps communal, s'affranchirent des entraves apportées à leurs développements ; et que celles qui ne l'étaient pas se constituèrent en communes.

Ces communes, dotées de droits importants qu'elles avaient fait consacrer et reconnaître par des actes écrits sous le nom de Chartes, furent, pour le pouvoir central, l'une des principales forces dont il se servit pour ranger sous son autorité les gouvernements provinciaux et constituer l'unité de la France.

 

IV. — A partir de cette époque, où un troisième ordre politique est engendré sous le nom de Tiers-Etat, comprenant le peuple et la bourgeoisie, la répartition des impôts devient plus équitable et mieux accueillie par le peuple qui, désormais, y prend part.

Mais, si cette grande amélioration de l'existence du peuple, si son intervention dans l'administration de la commune, eurent pour résultat de rendre plus juste la répartition des charges publiques, elles ne pouvaient pas avoir pour effet d'en dispenser les communes. Car les guerres incessantes, qu'à ces époques les rois étaient obligés de soutenir contre les Etats provinciaux d'une part et contre les incursions des étrangers, tels que les anglais, d'autre part, nécessitaient la levée de fréquentes contributions publiques. Et, alors, l'impôt général sur le peuple n'était point encore l'objet d'une levée annuelle régulière, et il n'était demandé que lorsque les besoins l'exigeaient. Dans ce cas, il était fixé par le Gouvernement, mais réparti, entre les contribuables, par eux-mêmes, divisés en groupes qu'on appelait : pays d'élection, pays d'Etats, et pays de réunion.

C'est ainsi qu'en 1149, sous le roi Louis le Jeune, un impôt fut levé pour faire face aux désastres d'une croisade. Il fut fixé non à la Dîme du dixième, mais à celle du vingtième du revenu de chacun, y compris les membres du clergé.

En outre de cet impôt général, qui ne venait frapper le peuple que dans les occasions pressantes, il supportait les redevances annuelles que lui imposaient ses relations de tenancier envers son propriétaire ou seigneur. Mais c'était ici plutôt un fermage qu'un impôt, bien que, dans les éléments qui composaient cette redevance, il y eut encore trace des anciens abus.

C'est pour en prévenir le retour que le roi Saint-Louis détermina avec soin dans ses établissements les cas où ces redevances pouvaient être exigées par le seigneur, et les éléments dont elles seraient composées.

Le roi Philippe le Bel, pour se conformera l'esprit de ce grand mouvement populaire qui avait produit l'affranchissement des communes, réunit en 1303, sous le nom d'Etats généraux, les trois ordres de la nation : la Noblesse, le Clergé et le Tiers-Etat, pour obtenir d'eux, comme représentant le pays, l'autorisation de percevoir directement les impôts sur les habitants des fiefs appartenant aux seigneurs, et de créer les impôts sur les importations, la circulation des marchandises, la consommation du sel, etc. Le seigneur ne conservait que le droit de percevoir ce qui était considéré, ainsi que je l'ai signalé, comme revenus de ses terres seigneuriales.

Le Gouvernement reconnaissait donc, dès cette époque éloignée, le droit de la nation d'accorder ou de refuser, par la voix de ses représentants légaux, les impôts qu'elle devait payer.

Mais il y avait toujours absence d'organisation d'un système permanent d'impôts publics, chaque demande de subsides n'ayant pour objet qu'une contribution provisoire, destinée à cesser avec les causes qui l'avaient motivée. La nécessité de constituer un régime permanent d'impôt annuel s'imposait de plus en plus à fur et à mesure que se formait l'unité nationale.

Aussi le roi Charles VII appliqua-t-il à cette organisation financière du royaume ses plus ardentes sollicitudes.

 

V. — Par ordonnance du 23 septembre 1443, il sépara l'administration du Domaine royal de celle de la Taille, des Aides et des autres subsides. Il s'attacha à mettre dans la gestion financière l'ordre et le contrôle. Il fut ordonné que les revenus du Domaine royal seraient versés dans la Chambre du Trésor sur quittance des trésoriers du roi, et que tous les autres revenus de l'Etat seraient perçus et distribués par un Receveur général des finances, siégeant à Paris. Qu'une Chambre de contrôle, sous le nom de Chambre des Comptes serait instituée et chargée de vérifier les comptes du Receveur général qui devrait lui présenter des états détaillés des dépenses.

On voit ainsi paraître l'origine de la Cour des Comptes.

Il fut établi des Receveurs particuliers chargés de recouvrer les impôts, qui avaient pris un caractère de permanence, à la charge de rendre compte de leur gestion, deux fois par an, sauf le Receveur des Aides qui devait établir et présenter ses comptes au contrôle trois fois par an.

Et Charles VII, en posant ainsi les bases de son système financier, dont notre système actuel a conservé les grandes lignes, proclamait par ses ordonnances des 10 février et 12 août 1445 : « que l'égalité serait scrupuleusement observée entre ses sujets dans la répartition des contributions et frais qu'ils supportaient pour leur dépense et celle du Royaume ».

C'est donc, Messieurs, à partir du XVème siècle que la France commence à posséder un système financier d'impôts, s'appuyant sur le contrôle sérieux d'une juridiction administrative rationnelle et répressive et que les diverses branches des contributions publiques, si confuses sous l'empire de la Féodalité, se précisent et apparaissent dans une nomenclature où se rangent, sous leur dénomination séculaire, les impôts conservés par la Monarchie, après en avoir banni ceux que leur caractère d'arbitraire et d'oppression avait rendus odieux au peuple.

J'indiquerai, tout à l'heure, les noms et la nature de ces différents impôts, qui furent pratiqués pendant les XVIème et XVIIème siècles.

Au fur et à mesure que le royaume s'agrandissait, ses besoins militaires et économiques augmentaient et les questions financières étaient sans cesse examinées et discutées pour perfectionner, dans la mesure du possible, le régime des impôts.

Malheureusement ce perfectionnement qui, à la lumière du contrôle financier désormais entré dans les règlements administratifs, avait fait de réels progrès, fut un instant paralysé par les abus de pouvoir de Fouquet, surintendant des finances sous Louis XIV. Mais ce roi, aussi absolu pour faire respecter les droits du peuple et pour punir ses oppresseurs que pour maintenir les droits de la couronne, inspiré par le ferme et vertueux Colbert, examina les plaintes des contribuables, reconnut les honteuses exactions du surintendant des finances et de ses agents, et s'empressa d'y mettre bon ordre en faisant arrêter Fouquet qui, par décision de la chambre de justice du 20 décembre 1664, fut condamné à un banissement perpétuel et à la confiscation, au profit de l'Etat, de son immense et scandaleuse fortune. Tous les agents qui avaient participé à cette spoliation des contribuables, pendant que le roi était occupé à ses conquêtes, furent destitués et punis. Et tous les offices de finances qui étaient héréditaires, furent supprimés.

« Nous avons résolu, disait Louis XIV, tant pour satisfaire à la justice et pour marquer à nos peuples combien nous avons en horreur ceux qui ont exercé sur eux tant d'injustice et de violence, que pour en empêcher à l'avenir la continuation, de faire punir exemplairement tous les auteurs et complices des crimes énormes de péculat qui ont épuisé nos finances et apauvri nos Provinces ».

Aussi les complices de Fouquet rendirent au trésor des sommes qui dépassaient cent millions de livres.

Après ce coup d'Etat financier, réparateur, le sage Colbert fut appelé à la direction générale des grands intérêts économiques et financiers de la France.

Sa première préoccupation fut d'améliorer le régime financier de l'Etat, de manière à diminuer les contributions publiques et à garantir au peuple leur juste répartition.

Son système consista :

A réduire les dépenses qui n'étaient pas absolument nécessaires et à faire recouvrer et verser exactement dans la caisse du trésor public tous les revenus de l'impôt, sans exception ni privilège.

A faire cesser les fraudes de la perception.

A faire les classes privilégiées, dispensées de l'impôt, y contribuer comme les autres citoyens.

A diminuer progressivement l'impôt de la taille et de la gabelle pour arriver à soulager les contribuables des campagnes.

A augmenter les produits des impôts indirects, non par l'accroissement des tarifs, mais par leur abaissement, au contraire, pour donner à la consommation une impulsion plus ardente, entraînant sûrement un accroissement de recettes ; et par la suppression de tout privilège.

A protéger le peuple contre les entreprises de la chicane et de l'usure.

A donner à l'agriculture cette source de toute vraie richesse, une réelle protection par l'enseignement des meilleurs méthodes de culture et d'élevage et en la garantissant contre les abus du fisc.

A empêcher le chômage et la détresse qui atteignent les classes laborieuses et productives, plus utiles à l'Etat que les classes stériles.

A multiplier et mettre en bon état de viabilité les voies de transport nécessaires à la communication des peuples.

A encourager par des subventions la création de toute industrie propre à entretenir la vie du commerce et une marine marchande nombreuse et puissante, capable de répondre aux besoins croissants des importations et des exportations.

Voilà, comment un véritable homme d'Etat et de Gouvernement, laisse des traces glorieuses de progrès et de génie à son passage dans les affaires publiques quand il sait allier la sagesse, la fermeté et la probité de l'âme à la science et à la souplesse de l'esprit.

Et, en voyant ce grand patriote, ce coeur enflammé par le désintéressement, la vertu et l'honneur, uniquement préoccupé de mettre l'ordre et la lumière dans le dédalle de l'administration générale du pays, on sent que la Providence l'avait fait naître pour placer un grand ministre à côté d'un grand roi.

L'application de ses idées économiques fut la sauvegarde du royaume et du peuple.

Au souvenir des guerres et des conquêtes faites par Louis XIV et de l'éclat qu'il sut donner, en même temps, au développement des connaissances artistiques, littéraires et scientifiques de l'esprit humain, on serait porté à croire que la France était accablée d'impôts ?

Or, les contributions publiques pour l'année 1660 de cette monarchie, ne s'élevèrent pas au-dessus de 90 millions de francs, et dans ce total, l'impôt de la taille (impôt foncier), le plus lourd pour les paysans, ne dépassa pas 46 millions.

La science de Colbert fut elle condamnée par le résultat, quand, abaissant les tarifs des impositions indirectes, il en espérait, comme je l'ai dit, une augmentation de produits.

Nullement.

Dès l'année 1661, ces impôts, qui étaient affermés à des particuliers, trouvèrent preneurs et furent affermés avec 3 millions de francs de bénéfice sur les baux précédents.

L'année suivante ces bénéfices s'élevèrent à 4 millions.

Colbert avait donc pressenti dès cette époque cette vérité économique, qu'en fait d'impôts indirects la modération des tarifs produit l'augmentation des recettes.

En présence des budgets fantastiques des Gouvernements modernes, il est intéressant, Messieurs, de connaître ceux dont une monarchie conquérante et guerrière, comme celle de Louis XIV, pouvait se contenter.

Pour l'année 1661 les revenus perçus s'élevèrent à 84,222,096 livres.

Pour l'année 1662 ils s'élevèrent à 87,587,807 livres.

De l'année 1661 à l'année 1663, pour se conformer au désir de dégrèvement exprimé par Colbert, l'impôt de la taille fut diminué de 3 millions et l'impôt sur le sel de trois livres par minot (mesure de 100 livres). Or, ces dégrèvements, si bien accueillis par les contribuables, eurent pour effet de faire augmenter les recettes de plus d'un million et demi et de les porter pour l'année 1663 à la somme de 88,906,002 livres.

En 1664, il y eut un nouveau dégrèvement d'un million et demi, les recettes n'en augmentèrent pas moins et s'élevèrent à 89,243,319 livres.

Et c'était, Messieurs, avec de pareils budgets que la monarchie, la plus illustre des temps modernes par ses entreprises militaires, matérielles et morales, faisait face à ses dépenses.

Mais elle avait un Colbert !

Colbert ne bornait pas son patriotisme à trouver le moyen de dégrever le peuple sans diminuer les revenus de l'impôt. Fidèle à son système, ci-dessus indiqué, il s'attachait, en même temps, à diminuer les dépenses.

En 1661, les dépenses obligatoires avaient été de 57 millions et demi ;

En 1664, il les avait réduites à 35 millions et demi ;

Et en 1665, à la somme de 39.800,000 livres.

Jusqu'en 1671, le budget de cette monarchie n'avait jamais dépassé 100 millions par an. Mais après la mort de Colbert (1683), les dépenses de guerres, plus fréquentes, dépassèrent les anciennes ressources et obligèrent le Gouvernement à créer de nouveaux impôts, ou bien à se procurer de l'argent par d'autres moyens. Après l'administration financière si paternelle de Colbert, on ne pouvait songer à augmenter les impôts sans soulever les protestations du peuple.

Alors ses successeurs firent ce qui était encore peu connu, et surtout peu pratiqué, et ce qui est devenu, sur une plus grande échelle, le système funeste de liquidation financière de nos jours : ils liquidèrent le déficit par un emprunt.

L'emprunt fut désormais la voie suivie pour aligner le budget. Et les gouvernements se succédèrent sans retrouver un Colbert. Avec lui avaient disparu les traces de sa sagesse, de sa prudence et de sa science.

Mais les grandes lignés de son système économique et financier lui avaient survécu dans l'esprit des hommes d'Etat.

Après sa mort, les impôts ne couvrant plus les dépenses, et les emprunts étant souvent difficiles à trouver ; quelques impôts nouveaux prirent rang parmi les anciens. Ainsi, l'impôt du vingtième, qui avait été créé, à titre provisoire, le 14 octobre 1710, pour un besoin pressant, fut rendu permanent par édit royal du mois de mai 1749. Cependant, jusqu'à 1789, les impôts ne dépassèrent pas les forces de la nation, et les récriminations du peuple étaient dirigées surtout contre l'injustice de leur répartition qui, malgré les réformes successivement faites, laissaient encore de côté beaucoup de privilégiés dispensés de l'impôt, et contre les liens qui, malgré l'émancipation du servage, les attachaient encore au propriétaire seigneurial.

C'est dans le but de faire cesser ces récriminations et de connaître les besoins du peuple, que le roi Louis XVI convoqua la réunion des Etats généraux, dont j'ai signalé déjà la composition. Ils se réunirent à Versailles le 5 mai 1789.

 

VI. — Quels étaient, à cette époque, Messieurs, les divers impôts que payait le peuple, et contre lesquels, surtout la dîme, tant de récriminations se sont élevées et tant d'encre a été dépensée ?

Différaient-ils de ceux que nous supportons à notre époque de lumière et de liberté ?

Je suis obligé d'affirmer, Messieurs, qu'il n'y aguère de différence que dans les dénominations et dans la quotité, qui n'est pas en faveur des impôts modernes.

Permettez-moi donc d'établir devant vous une comparaison de ces impôts. Ce parallèle aidera à couper court aux allégations passionnées qui sont, sans cesse, sur les lèvres de l'esprit de parti.

Comme j'ai eu l'honneur de le dire déjà, personne ne peut nier la nécessité ni la légitimité d'un impôt public, pas plus pour le passé que pour le présent. Et nous devons proclamer, au contraire, avec les plus éminents hommes d'Etat, fidèles à la voix de la conscience et de la raison, qu'un Gouvernement ne peut encourir aucun blâme, à cet égard, que lorsqu'il engage des dépenses qui ne sont pas commandées par l'intérêt général, et ont pour résultat d'augmenter la levée des impôts.

Avant 1789, les contributions publiques demandées au pays par l'ancienne monarchie se divisaient en cinq branches principales, et ne dépassaient pas les nécessités indiquées par l'intérêt général.

Elles consistaient :

I. — En impôt qu'on peut appeler direct, comprenant :
1° La dîme, qui formait la rétribution du clergé ;
2° La taille réelle, qui formait l'impôt levé sur la propriété foncière ;
3° La taille personnelle, qui formait le tribut levé sur les biens mobiliers ;
4° La capitation, ou imposition par tête, qui frappait chaque personne, selon son rang, son travail ou ses facultés ;
5° Le vingtième, qui formait un tribut d'abord provisoire sur le revenu de chaque contribuable, pour un besoin pressant de l'Etat, puis qui devint permanent ;
6° La corvée, qui consistait en journées imposées aux contribuables, pour l'ouverture et l'entretien des chemins publics, canaux, rivières et transport des matériaux pour construction des monuments publics ; et, dans les fiefs, pour cultiver les terres du seigneur qui l'avait imposée comme prix de la concession du fond de terre accordée au corvéable quand elle était attachée à ce fond de terre même ; et comme condition de l'émancipation du servage, quand elle était attachée à la personne.

II. — En impôts indirects et de monopole comprenant :
1° Celui sur le sel, ou gabelle ;
2° Celui sur le tabac, après son introduction en France ;
3° L'impôt spécial sur les alcools ;
4° Les taxes sur les Jurandes et maîtrises, ou corps des arts et métiers, constitués en corps d'industries privilégiés, ayant chacun le monopole de son métier, ce qui entravait la liberté du travail ; monopole qui fut aboli, ou du moins largement modifié par Edit du roi Louis XVI, du mois de février 1776, où on lit ces paroles qu'il est bon de signaler :
« On a été jusqu'à avancer que le droit du travail était un droit royal ; nous nous hâtons de rejeter une pareille maxime. Dieu, en donnant aux hommes des besoins, en leur rendant nécessaire la ressource du travail, a fait du droit de travailler la propriété de tout homme ; et cette propriété est la première, la plus sacrée et la plus imprescriptible de toutes ».

Voilà comment parlait un roi qui aimait son peuple, et qui le prouvait par ses actes.

Du reste, ce monopole n'avait été institué et maintenu, entre les mains des patrons, que dans un but fiscal, et à cause des impôts qu'ils payaient à l'Etat sous forme de taxe.

III. — En impôts indirects, dit à l'exercice, comprenant :
1° Les aides ou droits sur les boissons et autres denrées déterminées, transportées et vendues à l'intérieur, sur le passage des ponts, etc. ;
2° Les droits d'inspection aux boucheries ;
3° Les droits sur la fabrication des cartes à jouer.

IV. — En impôt de circulation, comprenant :
1° Les droits à la sortie et à l'entrée du royaume sur les marchandises ;
2° Les droits de traite à l'intérieur, pour circulation d'une province à une autre ;
3° Les droits d'entrée et de sortie des villes sur marchandises ;
4° Les droits de place sur les marchés.

V. — Et en impôt fiscal, comprenant :
1° Le droit de contrôle, imposé sur les actes et transactions ;
2° Le droit de centième denier, sur les biens des successions ;
3° Le droit sur le papier marqué, dit formule ;
4° Le droit de Greffe, sur les procédures devant les tribunaux ?
5° Le droit d'insinuation des actes et transactions.

Voilà, sauf quelques impôts particuliers dérivant des relations de seigneurs à tenanciers, et que les réformes de Colbert et de Louis XVI avaient dû laisser subsister, quelles étaient les contributions mises à la charge du pays par l'ancienne Monarchie.

S'il y eut autant d'impôts divers que de provinces, avant l'abaissement de l'autorité féodale, et les réformes financières, que j'ai signalées, les forces qui entraînèrent les provinces à se fondre dans l'unité nationale, avaient, en même temps, ramené les impôts vers le but désiré, qui était leur classement rationnel, suivant la nature de chacun, et leur restriction à la quotité nécessaire aux besoins de l'Etat.

Ces impôts, dont jeviens de rappeler le classement, étaient-ils exagérés, vexatoires ou fantaisistes ?

Ils n'étaient pas exagérés, puisqu'en 1786, malgré les frais considérables de guerres, de conquêtes, ils ne dépassaient pas 800 millions ! Et nous allons voir qu'ils étaient commandés par l'intérêt de l'Etat, comme ceux que nous supportons actuellement.

En effet, est-ce que la dîme, qui remonte aux premiers âges du monde, n'était pas la légitime rémunération du clergé, qui ne recevait pas d'émoluments des Gouvernements, et qui n'avait pas alors le budget des cultes ? Est-ce qu'elle n'était pas aussi le pain des pauvres ?

Est-ce que, quand le décret de l'Assemblée nationale du 4 août 1789 supprima les dîmes, il ne stipula pas : « qu'en retour de cette abolition, on devrait aviser à subvenir d'une autre manière à la dépense du culte divin ; à l'entretien des ministres des autels ; au soulagement des pauvres ; aux réparations et reconstructions des églises et presbytères ; et des séminaires, écoles, hôpitaux, pour lesquelles ces dîmes étaient affectées ? ». Est-ce que ce n'était pas changer le nom de l'impôt sans le supprimer ?

Est-ce que l'impôt de la taille réelle n'existe pas encore aujourd'hui, sous le nom plus moderne, mais aussi plus lourd d'impôt foncier ?

Est-ce que l'impôt de la taille personnelle n'existe pas encore aujourd'hui, sous le nom plus français, de contributions mobilières ?

Est-ce que l'impôt de capitation n'existe pas toujours sous le nom de contribution personnelle ?

Est-ce que l'impôt du vingtième n'existe pas également aujourd'hui sous le nom de décime de guerre, accru de plus de moitié, puisqu'il s'élève à deux dixième et demi sur les droits de mutations, d'enregistrement, de greffe, d'hypothèque, etc ?

Est-ce que la corvée obligatoire n'existe pas encore sous le nom moins brutal de prestations en nature ?

Est-ce que l'impôt de gabelle sur le sel n'existe pas de nos jours quoiqu'il ne s'afferme plus comme une maison, sous le nom de droits de Régie ?

Est-ce que l'impôt de gabelle sur le tabac, dont l'Etat s'est constitué le fabriquant et le marchand, n'est pas toujours vivant sous le même nom de Régie des tabacs, et n'atteint pas un taux exagéré ?

Est-ce que l'impôt sur les alcools, avec exercice et vérification n'existe pas toujours sous le nom d'impôts indirects ?

Est-ce que l'impôt assis sur le monopole des jurandes et des maîtrises, n'existe pas encore aujourd'hui sous les noms de contribution de patente et de taxe des brevets d'invention ?

Est-ce que ce brevet lui-même ne constitue pas un privilège et un monopole, comme celui des maîtrises abolies ?

Est-ce que l'impôt des aides sur les boissons en général n'existe pas en France, plus lourd que jamais, sous le nom de droits réunis qui font partie des impositions dites indirectes ?

Est-ce que les taxes d'inspection des boucheries n'existent pas toujours sous le nom de droits de visites ?

Est-ce que l'impôt sur la fabrication et la vente des cartes à jouer, n'existe pas toujours sous le même nom ?

Est-ce que les impôts d'importation et de circulation des marchandises n'existe pas encore sous le nom de droits de douane ?

Est-ce que l'impôt sur les denrées et marchandises, à leur entrée dans les villes et marchés, n'existe pas aussi sous le nom d'octroi ?

Est-ce que l'impôt d'étalage, perçu dans les foires et marchés, n'existe pas toujours sous le nom de droits de place ?

Est-ce que l'impôt de contrôle, sur les actes et transactions, qui était très minime, n'existe pas toujours, grandement augmenté, sous le nom de droits d'enregistrement ?

Est-ce que l'impôt sur le papier marqué n'existe pas encore, beaucoup plus élevé, sous le nom de papier timbré ?

Est-ce que l'impôt de greffe, dans toute procédure devant un tribunal, n'existe pas également, sous le nom de droits de greffe ?

Est-ce que l'impôt de l'insinuation pour les actes qui en étaient passibles n'existe pas encore sous le nom de droit d'hypothèque ?

Est-ce que les autres impôts de détails, de minime importance, ne sont pas largement dépassés aujourd'hui par ceux que nous subissons sous les noms de taxes des chiens, taxes des chevaux et voitures, taxe du permis de chasse, impôt sur la fabrication du papier, impôt du timbre pour quittance, impôt sur les allumettes, dont le monopole est mis en gabelle et affermé, impôt sur les billards, taxes sur les poids et mesures, impôt sur les places dans les chemins de fer, impôt contre les loueurs de voitures, taxe spéciale sur les revenus des corporations religieuses, impôt sur le revenu des valeurs et actions industrielles, etc. ?

Ces considérations démontrent qu'à chaque époque, les Gouvernements ont des nécessités spéciales, et que l'ancienne Monarchie, qui eut à soutenir, pendant de longs siècles, des luttes gigantesques pour former la France, ne mérite pas les incriminations haineuses dont, trop souvent, on l'accable pour son système d'impôts publics, puisque nous en retrouvons, de nos jours, la triste existence, notablement aggravée, malgré les réformes politiques, morales et civilisatrices qui avaient fait de la France la première nation du monde !

Il est temps que l'homme impartial et sincère ne confonde plus l'ancienne France monarchique avec la féodalité créée et dominée par des chefs barbares qui ne reconnaissaient pour droit que la force brutale, et que le christianisme, cette grande école de moralisation et de liberté, après une lutte séculaire, finit par conquérir à la civilisation, et par rendre digne de gouverner les peuples.

 

VII. — Mais ce ne fut qu'au mouvement réformateur politique, social et financier de 1789 que la France dût la première organisation générale et unitaire d'un système d'impôt, apportant précision et stabilité dans son vote et dans sa répartition. Car, jusque là, ainsi que nous l'avons remarqué, si les impôts publics avaient déjà été réduits et classés, le vote en était laissé aux conseillers de la Couronne en l'absence des Etats Généraux.

Aussi, en présence des lumières que la marche de la civilisation avait répandues dans les esprits, comme le prouve le rayonnement intellectuel du XVIIème siècle, les hommes d'Etat étaient surpris de l'absence d'un système méthodique fixe pour la répartition de l'impôt, et le ministre de Louis XVI, en ouvrant l'assemblée des notables, qui précéda la convocation des Etats Généraux, ne craignit pas de dire, en examinant la diversité des impôts publics, « que cette dissonnance était digne des siècles barbares ou d'anarchie, compliquait l'administration, interrompait son cours, et multipliait partout les frais et les désordres ».

Et le roi, lui-même, dans la déclaration qu'il fit devant les Etats Généraux, le 23 juin 1789, plaça la réforme du système d'impôts en tête des réformes qu'il indiquait comme urgentes.

Pour cette réforme importante l'impulsion vint donc de la Couronne.

L'Assemblée nationale s'empressa de prendre en considération le voeu royal, et par son décret du 4 août suivant elle décida que, tout en autorisant la perception des anciens impôts, elle abolissait tous les privilèges réels et personnels en matière de subsides, et que la perception s'en ferait sur tous les citoyens et sur tous leurs biens de la même manière et dans la même forme.

Et par un autre décret du 7 octobre suivant, elle décida que toutes les contributions et charges publiques, de quelle que nature qu'elles soient, seraient supportées proportionnellement par tous les citoyens et par tous les propriétaires à raison de leurs biens et facultés.

C'était là poser les principes du système qu'elle projetait, mais elle ne le fondait pas. Aussi, par l'article 1er du titre 5 de sa Constitution du 3 septembre 1791, cette assemblée décida que les contributions publiques seraient délibérées et fixées chaque année par le Corps Législatif et ne pourraient subsister au-delà de la session suivante, si elles n'étaient pas expressément renouvelées.

On pouvait donc attendre une prompte solution de l'organisation financière, la plus urgente de toutes, dans un pays qui veut être fort.

Malheureusement, les tragiques événements qui remplirent de terreurs et de sang les années qui suivirent cette constitution, firent ajourner indéfiniment cette utile réforme.

Ce ne fut qu'en l'an VII, que le calme revenu permit aux pouvoirs publics de donner satisfaction aux dispositions de la Constitution de 1791.

Et c'est à partir de cette époque, Messieurs, que commence l'organisation du système d'impôt, qui, perfectionné suivant la marche du temps, existe encore aujourd'hui ; et c'est aussi par quelques considérations sur ce système que je finirai cet entretien.

 

VIII. — Le législateur de l'an VII, placé en face de l'ancien système financier qui divisait l'impôt public en plusieurs branches, avait à adopter cette division ou à la modifier. Il sentit qu'il ne pouvait pas adopter l'opinion de nombreux économistes du XVIIIème siècle (Les Physiocrates) (qui prétendaient que l'impôt doit être unique, et frapper seulement la propriété immobilière comme source exclusive de revenus) parce que l'activité et le travail de l'homme n'ont pas seulement pour objet la production du sol, mais encore celle du commerce, celle de l'industrie, et celle de toute autre source de produits.

Il comprit donc qu'il était de la plus stricte équité, dans une oeuvre qui concernait tout un peuple, et pour que tous les citoyens contribuassent aux charges communes de l'Etat, non seulement de répartir ces charges entre eux, en proportion des ressources de chacun, mais de rechercher et d'atteindre ces ressources partout où l'on peut en trouver la manifestation.

C'est par ces motifs que l'impôt général fut divisé en deux branches principales, à savoir :
1° En impôt direct, comprenant lui-même plusieurs branches.
2° Et en impôt indirect.

C'était placer l'agriculture, au lieu de la gréver de l'impôt unique, sur le même pied que les autres industries ; maintenir entre elles l'égalité devant la charge de l'impôt et lui permettre de devenir, par sa prospérité, la seconde providence du pays quand les autres sources de revenus sont taries par des catastrophes nationales, des guerres, ou des perturbations sociales.

Cette classification en deux branches principales était aussi rationnelle que conforme à la nature des choses.

En effet, les impôts directs sont assis directement sur l'objet imposé, parfaitement déterminé, tels qu'un immeuble, un mobilier, une personne. La cote de l'imposé est nominativement inscrite à son nom sur les rôles et recouvrée aussi directement contre lui.

L'impôt indirect, au contraire, fut ainsi nommé parce qu'il n'atteint qu'indirectement l'imposé qui le paie. Cet impôt frappe sur la fabrication, l'importation, la vente des objets de consommation, tels que : les boissons, le sel, le tabac, le sucre. Or, comme l'impôt qui grève ces objets n'est point demandé par l'agent des recouvrements, directement au consommateur, il se trouve compris dans l'objet acquis ; et c'est en achetant cet objet que le consommateur le paie indirectement et sans le savoir.

Il résulte de cette différence qui caractérise les deux natures d'impôt du système français, que l'exagération de l'impôt indirect est moins blamable, sauf l'impôt du sel, que celle de l'impôt direct, attendu que le consommateur peut toujours se dispenser de le payer en n'achetant pas l'objet qui en est grevé.

Voilà les raisons de la division des impôts en deux classes principales distinctes.

Mais quel est le mode d'assiette de ces impôts ?

Sur cette question s'élevèrent encore entre les économistes de grandes controverses, qu'il serait trop long de rappeler ici et qui durent toujours.

En principe et en équité l'impôt ne peut être assis que sur le revenu que le contribuable retire de l'objet imposé, quelle qu'en soit la nature. Car comme l'a dit le grand économiste, J.-B. Say, « les revenus, quelle qu'en soit la source, constituent seuls la matière imposable parce qu'ils renaissent incessamment ».

Et la conséquence légale et juste de ce principe c'est que, quand la chose imposée ne produit plus de revenu, elle doit être dégrevée de l'impôt pendant la vacance. De sorte que, comme l'impôt, sous ses variétés diverses constitue les seules ressources de l'Etat, ce dernier voit ses recettes diminuer, et la gêne l'envahir aussitôt que les terres restent sans fermiers, les maisons sans locataires et l'industrie et le commerce sans mouvement.

Aussi, le premier devoir d'un Gouvernement qui veut vivre prospère, puissant et honoré, consiste-t-il à protéger l'agriculture, le commerce et l'industrie, en atténuant sans cesse le poids des contributions publiques.

Les impôts directes dont je m'occupe exclusivement en limitant mes considérations à l'impôt foncier, furent établis, à savoir :
1° L'impôt des patentes par la loi du 1er Brumaire an VII ;
2° L'impôt foncier par celle du 3 Frimaire de la même année ;
3° L'impôt des portes et fenêtres par celle du 4 du même mois ;
4° Et l'impôt personnel et mobilier par celle du 3 Nivôse de la même année.

C'est donc cette loi du 3 Frimaire an VII qui a établi les bases sur lesquelles on devait asseoir la répartition de l'impôt foncier.

Elle ordonne, d'abord, que cette répartition serait faite par égalité proportionnelle sur toutes les propriétés foncières, à raison de leurs revenus nets et imposables, sans autres exceptions que celles qu'elle détermine, pour l'encouragement de l'agriculture, et pour l'intérêt général de la société en ce qui concerne les rues des villes, les places publiques, les chemins, etc.

Sous le titre II elle dispose que cette répartition sera faite par le Corps Législatif entre les départements ; par les administrations départementales entre les cantons ; par les administrations municipales de canton entre les communes de leur circonscription ; et par des répartiteurs entre les contribuables.

Sous le titre VI elle dispose que, pour évaluer le revenu imposable des terres labourables on estimera le produit brut, en le calculant sur les quinze années antérieures à l'évaluation, dont on aura retranché les deux plus fortes et les deux plus faibles, et dont il sera la moyenne ; et que le revenu imposable serait cette année commune, ou ce produit moyen, dont les répartiteurs déduiraient les frais de culture, de récoltes et d'entretien, pour avoir le revenu net imposable.

Elle règle l'évaluation dans les mêmes termes, pour toutes les natures de propriétés, sauf en ce qui concerne le calcul du revenu moyen qui diffère pour chacune d'elles, elle dispense d'impôt, pendant trois ans, toute nouvelle construction, moins le terrain occupé par elle.

Cette loi très étendue est un véritable code d'organisation de l'impôt, qui règle minutieusement tout le mécanisme nécessaire à l'assiette, à la répartition et au recouvrement des impôts publics. Mais si le code était complet l'application en restait difficile.

En effet, Messieurs, comment repartir, avec une juste proportionnalité, un impôt qui grève chaque maison, chaque parcelle de terre et de pré, chaque parcelle inculte, si les répartiteurs n'ont pas sous les yeux la contenance de ces terres, leur nature, leur valeur vénale, leur revenu moyen et celui des maisons ?

Or, à défaut d'une visite des lieux que ne peuvent faire des répartiteurs, le cadastre seul et ses accessoires pouvait remplir ces conditions. Mais il a été longtemps attendu et trente années ont à peine suffi pour l'accomplir.

En l'absence de cette base d'appréciation, la répartition de l'impôt, laissée à l'arbitraire des répartiteurs, manqua pendant de longues années du caractère d'égalité à laquelle ont droit les citoyens devant les charges publiques. Aussi, tous les gouvernements qui se succédèrent, depuis l'an VII, insistèrent-ils auprès des législateurs pour que cette lacune fut comblée. « On n'a rien fait en France pour la propriété, disait le premier Consul, en 1799 ; et celui qui fera une bonne loi sur le cadastre méritera une statue ! ».

« L'objet du cadastre, disait Merlin, est d'ôter l'arbitraire dans l'imposition des charges publiques, d'introduire une proportion convenable dans leur répartition, et de prévenir tout abus dans leur perception ».

Enfin, par arrêté du Gouvernement du 20 octobre 1803, la confection d'un cadastre fut ordonnée pour toute la France, par masses de cultures.

Mais on comprit que ce mode de procéder n'atteignait pas le but qu'on se proposait, qui était l'égalité dans la répartition de l'impôt, ou la proportionnalité dans son assiette ; et l'on reconnut qu'un cadastre parcellaire, contenant les indications dont je parlais tout à l'heure, pouvait seul répondre à la nécessité d'introduire, dans la répartition de l'impôt, une règle rationnelle de justice et de vérité.

Ce fut, Messieurs, par l'article 10 de la loi de Finances du 15 septembre 1807 que la confection d'un cadastre parcellaire fut ordonnée. Et ce fut aussi, à partir de ce moment, que la grande et belle opération du cadastre français entra dans la voie réellement pratique d'exécution.

En 1820, onze mille deux cent quarante-cinq communes (11,245) étaient cadastrées, comprenant une étendue de quatorze millions deux cent vingt-six mille cinquante et un (14,226,051) hectares. Mais ce travail précipité fut très défectueux et dut être révisé et reformé. Et comme cette imperfection était due aux événements et troubles politiques qui avaient assombri les dernières années de l'Empire, le calme, l'ordre et l'ardeur de toutes les initiatives qui signalèrent le retour de la Monarchie furent des conditions excellentes pour donner à la confection indispensable du cadastre une nouvelle et fructueuse impulsion.

La loi de finance du 31 juillet 1821 ne l'oublia pas. Par les articles 20, 21 et 22 elle décida qu'à partir du 1er janvier 1822 les opérations de confection du cadastre seraient circonscrites dans chaque département ; qu'en conséquence, les Conseils Généraux pourraient voter, chaque année, pour cet objet, des impositions dont le montant ne pourrait pas excéder trois centimes additionnels à la contribution foncière ; qu'indépendamment des centimes votés par les Conseils Généraux, il serait créé, chaque année, un fonds commun destiné à venir en aide aux départements qui ne trouveraient pas dans leurs ressources particulières le moyen de subvenir à toutes les dépenses que les opérations cadastrales exigeraient et à être réparti, pour le surplus, entre les départements en proportion des fonds votés par les Conseils Généraux et que le compte de toutes ces recettes et dépenses spéciales serait soumis annuellement à l'appréciation des Conseils Généraux par les préfets. On voit apparaître là l'esprit pratique d'hommes d'Etat vigilants et le principe d'une sage décentralisation.

S'ils dédaignaient la maxime politique d'autrefois : diviser pour régner, ils consacraient la maxime économique, moderne et vraie : diviser le travail, décentraliser l'administration pour réussir promptement dans des oeuvres nationales aussi colossales que la confection du cadastre.

Mais, en attendant l'achèvement de cette longue opération, le gouvernement de la Restauration sentit qu'il était de son devoir d'apporter des améliorations, dans la mesure du possible, à l'assiette et à la répartition de l'impôt. Et c'est à cette préoccupation qu'on doit, avant l'entière confection du cadastre, le premier travail sérieux ayant pour but de donner une juste base à cette répartition.

L'article 1er de l'ordonnance royale rendue à cet effet le 3 octobre 1821 est ainsi conçu :
« Les baux et les actes de vente qui doivent servir à la rectification des contingents des arrondissements et des communes dans la contribution foncière, seront pris dans la période de 1812 à 1821 exclusivement ».

Ainsi, n'ayant pas le cadastre, on prendrait, pour cette rectification et par voie d'enquête, les baux et les actes de vente, dans chaque localité, pour base du travail.

Cette ordonnance chargeait, pour atteindre son but, la Direction générale des contributions directes de relever les prix de ces actes, dont le résultat, pour chaque canton, devrait être soumis à une Commission composée, suivant l'article 19 de la loi déjà citée du 31 juillet 1821, du Maire et d'un propriétaire de chaque commune, assistés par l'inspecteur et le contrôleur des contributions directes qui auraient opéré dans le canton. Et elle décidait que, quand ce travail serait terminé pour tous les cantons du département, il serait soumis à une seconde commission spéciale formée de conseillers généraux, de conseillers d'arrondissement et de notaires qui, après examen, arrêteraient le tableau de la répartition ainsi rectifiée.

Cette manière provisoire de rectifier l'évaluation des revenus fonciers pour chaque commune au moyen des prix de location et de ventes immobilières, sans donner à cette évaluation un caractère d'exactitude complète, permit au moins d'approcher de la vérité, et d'attendre sans trop de récriminations la confection définitive du cadastre, que la situation prospère des finances de l'Etat permettait de ne plus interrompre.

Nous devons remarquer, en effet, Messieurs, que le budget de 1822, que contient cette loi du 31 juillet 1821, ne demandait aux contribuables du pays qu'une somme de huit cent quatre-vingt-neuf millions deux cent dix-sept mille sept cent quarante-cinq francs (889,217,745) ; et qu'elle accordait à ces contribuables, si éprouvés par les longues guerres qu'ils avaient subies,
1° un dégrèvement de 19,617,229 francs sur la propriété foncière de 52 départements ;
2° et un second dégrèvement de 7,733,906 francs s'appliquant à la propriété foncière de tous les départements de France, et ce, à partir du 1er juillet 1821.

Cette manière patriotique de gérer les affaires de l'Etat apporta un grand soulagement à l'agriculture qui commença à reprendre courage.

Pendant plus de vingt années encore les opérations cadastrales ne s'arrêtèrent plus.

Dans la période qui s'écoula depuis l'année 1822 à 1830, il fut révisé et cadastré, suivant toutes les règles de l'art et constatation sur les lieux, une étendue superficielle de quatorze millions quatre-vingt-treize mille quatre cent neuf hectares de terre. Et pour que les ressources ne manquassent pas à cette gigantesque opération, le Parlement, par la loi financière du 2 août 1829, avait ajouté deux centimes additionnels nouveaux aux trois centimes antérieurement votés. Aussi, depuis 1830 à 1850, il fut cadastré vingt millions sept cent six mille cinquante-quatre hectares de terre, formant le reste de la superficie de la France.

Et la Commune ou la chaîne du Géomètre tomba pour la dernière fois sur le sol pendant cette opération fut celle de Leyvaux, département du Cantal, cadastrée en 1850.

Ce travail est incontestablement le plus important, le plus étendu et le plus indispensable qu'aient accompli les Gouvernements qui se sont succédé en France depuis l'an VII.

Mesurer chaque parcelle du sol de la Franc e; en lever le plan, en classer la valeur en revenu imposable et la qualité ; en indiquer la nature et la situation ; indiquer le nom de chaque propriétaire actuel, constituait une oeuvre qu'on eût jugée inexécutable ; elle a cependant été accomplie. Et c'est grâce au cadastre, aux matrices cadastrales et aux rôles qui en ont été la suite, que nos administrations financières doivent de pouvoir apporter aujourd'hui, dans la répartition de l'impôt entre les citoyens, la justice et l'égalité.

Mais, dit-on, comment une évaluation donnée à une parcelle, à une maison en 1830, par exemple, peut-elle encore servir de base à cette répartition en 1885, alors qu'elles ont peut-être triplé de valeur ?

Il est incontestable, en effet, que les évaluations en revenu de la propriété foncière, telles quelles ont été inscrites au cadastre, ne répondent pas aujourd'hui à la valeur en revenu de cette propriété qui a largement augmenté. Mais si elle a augmenté pour une parcelle, dans une commune, est-ce qu'elle n'a pas augmenté pour les autres parcelles dans la même proportion ?
Est-ce que, par ce fait, le principe d'égalité de traitement entre les parcelles ne subsiste pas toujours ?

Est-ce qu'il ne suffît pas, pour avoir le revenu actuel d'un immeuble, de constater la proportion, dans chaque commune ou dans chaque canton, dont le revenu a augmenté depuis le cadastre et de lui appliquer cette augmentation en multipliant le revenu cadastral par deux, s'il a doublé ; par trois, s'il a triplé ; etc. ?

C'est ce qu'ont pensé, avec raison, les pouvoirs publics ; et c'est le mode adopté par la direction des contributions directes pour l'assiette des impôts, et la nouvelle évaluation des revenus.

Une fois le cadastre établi, et l'évaluation de la propriété foncière consignée dans ses colonnes, elle a considéré ces résultats comme invariables, et les prend chaque année pour base de la répartition en les augmentant fictivement de l'augmentation constatée.

Mais, comment arriver à constater cette proportion d'accroissement ?

Par les moyens que l'administration des contributions employés dans les deux opérations de révision cadastrales que je vais avoir l'honneur de rappeler devant vous.

Elle ne pouvait pas procéder autrement, sans refaire le cadastre, au moins de dix en dix ans ; ce qui, tant au point de vue du travail matériel qu'au point de vue de la dépense, ne serait pas possible.

Aussi, sans touchera l'économie si admirablement ingénieuse du cadastre et de ses dérivés, a-t-elle trouvé un mode de procéder très rationnel, lui permettant de reviser, de temps en temps, l'assiette de l'impôt, par voie d'augmentation fictive du revenu inscrit au cadastre, ainsi que nous allons le voir.

 

IX. — Aux termes de la loi de finances, du 7 août 1850, le parlement décida qu'aussitôt après sa promulgation, le Gouvernement devrait prendre des mesures pour qu'il fut procédé, dans un bref délai, à une nouvelle évaluation des biens territoriaux. Et par une autre loi du 11 juin 1851, un crédit de 400,000 fr. fut ouvert dans ce but. C'est 400,000,000 qu'il eût fallut si l'on avait procédé par réfection du cadastre.

L'administration se mit à l'oeuvre. Mais reviser les évaluations des revenus territoriaux par circonscription d'arrondissement, comme en 1821, lui parut un moyen défectueux pour arriver à un bon résultat, à une exactitude à laquelle le cadastre, alors terminé, permettrait de prétendre.

Elle résolut, en conséquence, de faire cette révision des contingents par voie d'enquête et par commune, par le seul emploi de ses inspecteurs départementaux et de ses contrôleurs.

Ce fût encore là une bonne application du principe de la décentralisation.

Que cherchait-on, en effet ?

Uniquement à constater, pour chaque commune, la quotité d'augmentation survenue au revenu foncier de chaque nature de terre, depuis le cadastre, et consigné au cadastre.

Or, ces fonctionnaires ayant, dans ce cadastre, la valeur inscrite en revenu foncier des différentes natures de terrain par hectare, n'avaient plus besoin, en se transportant dans chaque commune, que d'y prendre note, auprès des administrations municipales et des personnes compétentes, du degré d'augmentation ou de diminution générale du revenu de chaque nature de terre ; de contrôler ces données par l'examen et la ventilation des prix des baux et des ventes d'immeubles, et de faire le résumé des résultats pour arriver à obtenir cette quotité cherchée d'augmentation ou de diminution très voisine de l'exactitude mathématique, et cela, sans aborder la tâche impossible de la réfection du cadastre. C'est ce qui fut fait en 1851.

A partir de l'achèvement de cette révision par voie d'enquête, l'administration des Finances eut en mains les moyens rationnels de fixer la base équitable de la répartition de l'impôt d'après le revenu foncier actuel. Car, en ajoutant au revenu cadastré, et qui reste invariable, l'augmentation ou la diminution survenue depuis le cadastre, et constatée par l'enquête, elle obtenait le revenu actuel vrai. Cette nouvelle évaluation fut faite avec beaucoup de soin.

 

X. — Malgré cette manière ingénieuse d'arriver à la constatation du revenu foncier qui varie suivant la marche du temps, tout en respectant l'invariabilité de ce revenu cadastré, la réfection totale du cadastre par la visite et l'estimation nouvelle de chaque immeuble n'en resta pas moins vivante dans les préoccupations des pouvoirs publics. La dépense seule en arrêtait l'exécution. Mais c'est une opération qui se réalisera.

Voilà où en étaient les questions de remaniement des bases de la répartition de l'impôt foncier quand les désastres de la guerre de 1870 vinrent fondre sur la France.

Mais, quand l'orage eût disparu, et qu'à la lueur du calme et du recueillement qui lui succédaient, apportés par la conclusion de la paix, la pauvre France put mesurer l'étendue de ses désastres et des sacrifices qu'elle était contrainte de demander aux contribuables pour les réparer, elle comprit qu'il y avait obligation de créer des impôts.

Comme toujours, Messieurs, ce fut encore vers les revenus territoriaux et les ressources de l'impôt direct que se tournèrent les regards attristés des pouvoirs publics. Je dis attristés, car si les hommes qui prirent si patriotiquement alors la responsabilité du pouvoir, voyaient, dans la prospérité de l'agriculture une source où ils pouvaient puiser encore, quand tous les ressorts de la machine économique industrielle et commerciale étaient arrêtés, ils sentaient en même temps que cette source se tarirait vite après de telles épreuves et que l'agriculture succomberait sous le poids de ses charges nouvelles ! Mais il fallait trouver 10 milliards ! Aussitôt les questions de cette réfection totale du cadastre, avec visite et estimation nouvelle des parcelles ; d'augmentation des impôts directs, de péréquation, etc., reparurent sur la scène politique. Le Parlement devint l'écho de ces agitations financières et de ces théories utopiques sur l'impôt, qui retentissaient, par des prédications ardentes, depuis un demi-siècle, dans toutes les sphères de l'économie sociale.

En présence de ce débordement de systèmes impraticables dont chacun avait la prétention de doter la France, en ruinant le peuple qui travaille, le Parlement resta calme en face des nécessités budgétaires, et sut se maintenir dans la voie du droit, de la justice et de la raison pour marcher à la recherche de ressources immédiates, sans écraser, par une surcharge de contribution en capital, l'agriculture qui ne s'en fut pas relevée.

Cette clairvoyance des hommes d'Etat fut un éclatant témoignage de leur patriotisme et de leur profonde sollicitude pour laisser vivre l'agriculture.

Ce ne fut qu'en 1874, alors que le sol de la patrie était libéré de l'invasion allemande, que le Parlement, par sa loi du 5 août, se préoccupa de la révision des bases de répartition de l'impôt et décida que le Gouvernement devrait présenter, dans la loi de finance de 1876, un projet de nouvelle répartition du principal de la contribution foncière entre les départements, et que la contribution des patentes continuerait de supporter quarante-trois centimes par franc de taxe additionnelle extraordinaire. Car, si l'on n'avait pas prélevé sur la fortune publique les 10 milliards perdus dans la guerre, et si l'on avait procédé par voie d'emprunt public pour les payer, il fallait au moins, demander aux impôts le paiement annuel des intérêts. Une loi du 22 mars 1874 avait déjà décidé que les parcelles cadastrées, sous des dénominations diverses, comme terres incultes et improductives, et qui ont été, depuis, mises en culture, seraient évaluées et cotisées.

Par ces documents législatifs le Parlement traçait aux hommes du Gouvernement les grandes lignes du travail qu'il exigeait. Mais ils ajournaient sans cesse de le mettre à exécution.

Enfin, par l'article 4 de la loi de finances du 7 août 1875 le Parlement réitéra son injonction et le Gouvernement déposa le projet de loi, pour une nouvelle répartition, sur le bureau de la Chambre des Députés, le 23 mars 1876.

Ce projet ne vise qu'une nouvelle répartition entre les départements, de la contribution des propriétés non bâties, le renouvellement des opérations cadastrales ; et la séparation des propriétés non bâties, c'est-à-dire les propriétés agricoles, d'avec les propriétés bâties, ou maison de villes et châteaux.

Ce projet, si ardemment sollicité parle Parlement, dort, depuis son dépôt à la Chambre par le Gouvernement en 1876, dans les cartons de ses archives. Il en est trop souvent ainsi, et rien n'aboutit.

Cependant, en présence des récriminations qui ne cessaient de s'élever contre cette indifférence parmi les économistes qui sentent, sans esprit de parti, que c'est dans l'amélioration progressive du régime financier d'un pays que réside la source la plus abondante de sa prospérité et de sa force, le Parlement laissa insérer dans la loi du 9 août 1879 un article ainsi conçu :

« Il est accordé au ministre des Finances, sur l'exercice de 1879, au-delà des crédits qui lui ont été ouverts par la loi de Finances du 22 décembre 1878, un crédit de un million de francs pour les dépenses relatives à l'évaluation du revenu foncier des propriétés non bâties, en exécution de la loi du 3 août 1875 ».

Ainsi, l'on accordait un crédit, mais on ne votait pas le projet de loi déposé par le Gouvernement.

Malgré cette singulière façon de légiférer, le ministre des Finances, nanti d'un tel crédit, s'empressa de mettre en mouvement la direction centrale des contributions directes, bien qu'elle n'eut point pour guide un cadastre revisé comme le porte le projet de loi ; et la belle opération de nouvelle répartition de l'impôt, dont je vais avoir l'honneur de vous signaler l'économie générale, fut immédiatement commencée.

C'est ici, Messieurs, que prend naissance, par des motifs que je ne veux pas critiquer, cette grave innovation qui impose une distinction entre les propriétés non bâties qui font l'objet de la révision, et les propriétés bâties qui sont laissées en dehors. Cette distinction compliquait l'opération générale ; et les hommes les plus compétents doutaient qu'elle aboutit à un résultat voisin de l'exactitude.

Mais c'est à l'oeuvre qu'on juge l'ouvrier.

Et l'impulsion que la Direction centrale sut donner à son personnel ; la compétence, l'activité et l'intelligence que ce personnel sut mettre au service de cette grande et patriotique entreprise ; et le concours dévoué qu'il rencontra de la part des municipalités, des fonctionnaires de l'administration des Domaines et des officiers ministériels donnèrent à ces doutes le plus éclatant démenti.

Si la tâche était facilitée par les travaux précédents de 1821 et de 1851, qui avaient indiqué les meilleures voies à suivre, ils n'en réalisèrent pas moins un travail bien supérieur aux points de vues de l'étendue et de l'exactitude, tout en apportant dans son exécution une vigilance inattendue.

Cette opération, commencée en 1879, était terminée avant la fin de l'année 1880.

Conduite comme en 1851, par les fonctionnaires de l'administration des contributions directes qui ont eu à visiter toutes les communes de France, à consulter les notaires et les municipalités, à visiter beaucoup de parcelles améliorées, à contrôler ces enquêtes par l'examen et la ventilation des prix de plus de cinq cent mille actes notariés, vente et baux d'immeubles, cette opération a porté sur tous les points relatifs : au revenu foncier actuel, à la contenance territoriale de la France, à la valeur vénale des propriétés non bâties, au nombre de cotes foncières, au revenu imposable, à la balance des terrains acquis et perdus par la France dans les guerres qu'elle a traversées.

Ce beau travail, résumé et coordonné par l'administration dans un volume scrupuleusement analysé par M. Gimel, homme compétent, qu'il est utile de suivre en pareille matière, contient sur la situation financière et territoriale de la France, les renseignements les plus intéressants.

 

X. — D'abord, en ce qui concerne la contenance territoriale de la France, c'est-à-dire l'étendue qui lui reste après le traité de Francfort, et ses pertes de 1870, elle a été exactement établie dans ce travail. Pour y arriver, la première opération à faire consistait à comparer nos acquisitions et nos pertes avec notre ancien territoire.

Or, en voici les résultats, en prenant pour base le cadastre tel qu'il existait au 1er janvier 1879.

La France, par ce traité de Francfort, a perdu, savoir :

1° Dans le département du Bas-Rhin 391,626 hect.
2° Dans celui du Haut-Rhin……………. 317,533 —
3° Dans celui de la Moselle……………..475,466 —
4° Dans celui de la Meurthe ……………46,650 —
5° Et dans celui des Vosges ……………. 20,339 —
Ce qui constitue une perte superficielle
du territoire français de………………… 1,251,614 hect.

Mais, d'une autre part, ce territoire, par la guerre d'Italie, s'était accru en superficie de toutes les contrées cédées à la France par l'Italie en 1859.

Ces conquêtes comprenaient :

1° La Savoie contenant une superficie
de …………………………………………………….465,485 hect.
2° La Haute-Savoie contenant une
superficie de ……………………………………384,910 —
3° Et le Comté de Nice contenant
une superficie de ……………………………….242,282 —
Total de l'accroissement de territoire
provenant de ces acquisitions …………1,091,877 hect.

Balance de cette triste comptabilité.
L'Allemagne nous a enlevé,
en superficie …………………………………. 1,251,614 hect.
L'Italie nous avait cédé, en
superficie …………………………………………1,091,877 —
Nos pertes territoriales sont donc en 1880, et depuis 1850, de cent cinquante mille sept cent trente-sept hectares ci ………………………………………. 150,737 hect.
Par suite des résultats de cette balance, Messieurs, le travail de révision dont il s'agit fixe la contenance superficielle actuelle de la France à 52,857,199 hect.
Or, faisant une distinction nécessaire entre les propriétés non bâties imposables et celles qui sont dispensées d'impôts, il porte les premières à une contenance de ................................. 50,035,159 hect.

De sorte que la partie des propriétés non bâties du sol français qui ne paie pas d'impôts, s'élève à deux millions huit cent soixante deux mille quarante hectares, ci……………………………………… 2,862,040 hect.

Pour comprendre, Messieurs, pourquoi une aussi vaste étendue de notre sol est dispensée de l'impôt qui pèse si lourdement sur le reste, il suffit de se souvenir que le sol des routes, rivières, places publiques, forêts et étangs de l'Etat, n'est pas soumis à l'impôt public.

En voyant les souffrances de l'agriculture française, beaucoup d'économistes élèvent contre elle les accusations de ne pas étendre, avec assez d'ardeur, le domaine cultural par le défrichement des terres incultes.

Le travail de révision contient des constatations qui viennent prouver l'injustice de ces reproches.

Voici l'étendue des améliorations réalisées par elle, depuis le cadastre où la nature de chaque parcelle est indiquée, jusqu'en 1880 où elle a été trouvée améliorée.

1° Les terrains qualifiés supérieurs, par ce cadastre, s'y trouvaient inscrits pour une contenance totale de ………… 668,515 hect.
L'Administration les consignant dans son travail de 1880 pour une contenance de……………. 695,929 —
Constate que 27,414 hectares ont été améliorés de façon à pouvoir passer des classes inférieures à la classe supérieure, ci ………… 27,414 hect.

2° Les terres qualifiées labourables, figurent au cadastre pour une contenance de … 25,452,452 hect.
L'Administration établissant cette contenance en 1880 à ……… 26,173,657 —
Constate, qu'ici encore, il y a 721,205 hectares qui sont passés des terres incultes dans les terres labourables ………… 721,205 hect.

3° Les prés et herbages étaient portés au cadastre pour une contenance de …… 4,804,440 hect.
L'administration constatant qu'en 1880 cette superficie est de …… 4,998,280 —
Prouve encore que 193,840 hectares sont passés des classes labourables ou incultes à celles des prairies ………………… 193,840 hect.

4° Les vignes étaient inscrites au cadastre pour une contenance de …………… 2,109,250 hect.
L'Administration les consignant dans son travail de 1880 pour.... 2,320,533 —
Constate un accroissement de contenance de 211,283 hectares qui sont passés des terres inférieures dans la classe des vignobles. 211,283 hect.

5° Les bois et forêts étaient portés au cadastre pour une contenance de ……… 8,144,718 hect.
L'administration leur trouvant, en 1880, une superficie de ………………………………….8,387,131 —
Constate donc que 252,413 hectares sont passés des terres incultes en plantations forestières 252,413 hect.

Mais dans quelles classes de terrains cadastrés ces améliorations ont elles été réalisées ? Le même travail de révision va nous le dire.

1° En effet, les terres consignées au cadastre comme landes et terres incultes, y figuraient pour une contenance de 8,108,306 hect……… 8,108,306 hect.
L'administration constatant qu'en 1880 il n'en reste plus de cette nature que…… 6,746,800 —
Il en résulte que les améliorations ci-dessus rappelées ont porté sur une étendue de 1,361,506 hect.

2° Enfin les terres cadastrées sous la désignation de cultures diverses, présentaient une contenance de ………… 747,478 hect.
L'administration ne trouvant plus en 1880 qu'une contenance en terre de cette nature, de … 702,829 —
Il en résulte que, de ce chef, 44,649 hectares ont passés dans les classes supérieures ………… 44,649 hect.

Ce résumé des transformations des terrains est tellement exact, qu'en faisant le total de ce que les diverses natures de terre ont gagné, et celui de ce que les natures inférieures ont perdu, on arrive au chiffre égal de 1,406,155 hectares.

Il est donc incontestable que pendant cette période notre industrie agricole a fait de larges progrès et donné à l'impôt public une base d'accroissement notable, en faisant passer dans le domaine de la production culturale des terres qui ne produisaient rien.

Mais ce beau travail nous montre encore bien des points noirs, dont l'existence restait ignorée au ciel de l'agriculture française.

On ne comprend pas qu'il puisse encore exister en France près de sept millions d'hectares de terrains cadastrés sous les noms de terres incultes et de landes ! Les deux tiers au moins de cette vaste étendue peuvent être convertis encore en terres productives ou en bois.

N'est-ce pas humiliant pour la France, si foncièrement agricole, de voir laisser en friche près de quatorze pour cent de son territoire ? N'est-ce pas un devoir, pour les pouvoirs publics, de faire une guerre sans trêve à cette jachère séculaire, en encourageant, par de copieuses subventions, le travail des populations rurales si envieuses de transformer ces terrains, mais impuissantes à le faire avec leurs modiques ressources ?

Il est pénible pour les coeurs français, de voir ces populations agricoles, pleines de courage et de zèle pour le travail, végéter et mourir de misère à côté de ces terres incultes, qu'avec des secours elles pourraient transformer !

La loi votée sous le second Empire pour accélérer la mise en culture de ces terres inutiles avait été inspirée par un sentiment patriotique ; mais par l'indifférence apportée à son exécution, elle ne répondit pas à ce grand besoin social. Il faut, pour transformer ces terres, une intervention réelle de l'Etat, à l'ombre de laquelle, par les subventions accordées aux défricheurs, on puisse organiser avec ces travailleurs sans travaux, la colonisation à l'intérieur, la colonisation sur ces terres incultes et nationales.

Est-ce que la vieille Armorique qui, dans l'origine, était sans culture, n'a pas été amenée à l'état florissant où nous la voyons, par cette voie de la colonisation d'ardents défricheurs, travaillant sous les garanties du bail à convenant et à domaine congéable ? Est-ce qu'il serait difficile de trouver aujourd'hui des moyens analogues pour accomplir la destruction de cette jachère qui serait pour la France un nouvel élément de ressources et de prospérité, en même temps qu'un honneur pour le Gouvernement ?

 

XI. — Après cette digression nécessaire, je veux vous signaler les chiffres de l'augmentation constatée en 1880, et survenue au revenu des propriétés foncières non bâties de la France, depuis le cadastre.
D'après ce cadastre, ce revenu foncier s'élevait pour toute la France à …… 805,035,008 fr.
Mais, en ajoutant à ce revenu l'augmentation constatée par l'enquête et les vérifications du personnel de l'Administration sur chaque nature d'immeubles, on a trouvé que ce revenu total s'élevait en 1880 à ……… 2,645,505,565 fr.
Ce qui a indiqué une augmentation de revenu de un milliard, huit cent quarante millions, quatre cent soixante-dix mille, cinq cent cinquante-sept francs, ci ……… 1,840,470,557 fr.
Cette, constatation du rapport entre le revenu cadastré et le revenu réel, est très importante, car elle servira de guide aux experts chargés dans les ventes judiciaires, licitations et partages, pour fixer le revenu réel des immeubles. Il leur suffira de considérer le revenu cadastral comme étant le tiers du revenu réel actuel, et ils seront bien près de la vérité.

En effet, si l'on multiplie le revenu total du cadastre ci-dessus rappelé par trois, on obtient le chiffre de 2,616,363,776 francs, somme égale à la nouvelle évaluation, à quelques millions près.

Mais il ne faut pas oublier que ce revenu est celui qui s'applique à la propriété foncière non bâtie seulement. Il ne comprend pas celui des propriétés bâties ni celui des autres branches de l'activité humaine.

Le revenu total de la France est évalué par les hommes compétents à la somme de 37 milliards de francs !.

La principale préoccupation des pouvoirs publics, en faisant opérer cette grande révision des évaluations territoriales a été, évidemment, de connaître le chiffre du revenu réel pour servir à une nouvelle assiette de l'impôt. Cependant elle n'a pas laissé dans l'ombre une autre face de l'appréciation territoriale : l'évaluation de la valeur vénale de la propriété non bâtie par chaque nature de terre.

Cette partie du travail de révision est trop intéressante pour le monde agricole pour que je ne la signale pas à votre attention.

1° Les terrains de qualité supérieure, en capital, sont évalués, à savoir :
Par hectare à ……… 5,502 fr. 05
Et en totalité à…………………… 3,829,039,098 fr.

2° Les terres labourables :
Par hectare à ……… 2,197 fr. 43
Et en totalité à …………………… 57,514,810,648.

3° Les prés et herbages :
Par hectare à ……… 2,960 fr. 92
Et en totalité à…………………… 14,799,518,127.

4° Les vignes :
Par hectare à ………… 2,968 fr. 24
Et en totalité à …………………… 6,887,902,398.

5° Les bois et saussais :
Par hectare à ……… 745 fr. 13
Et pour la totalité à …………… 6,256,930,960.

6° Les landes et terres incultes :
Par hectare à ………… 206 fr. 70
Et pour la totalité à .................... 1,394,582,180.

7° Terres sous cultures diverses :
Par hectare à ………… 1,282 fr. 29
Et pour la totalité à ………………… 901,232,644.

De sorte que la moyenne par hectare est fixée à une valeur de 1,830 fr. 39.
Et la valeur vénale de la totalité ressort au chiffre de ……… 91,583,966,075 fr.

Voilà le montant de la valeur en capital, de la propriété non bâtie de la France. A quel chiffre énorme s'élèverait la valeur vénale de toutes ses propriétés immobilières, si l'on donnait l'évaluation de la propriété bâtie ! Mais, après avoir fixé le revenu total imposable des propriétés foncières non bâties, l'administration n'a pas omis le soin d'en déduire la moyenne par hectare. Il y a entre les revenus attribués à chacune des natures de terres de grandes différences.

Tandis que les terres de la première classe ou de qualité supérieure sont taxées à un revenu annuel et imposable de 166 fr. 06 par hectare, les vignes à un revenu de 129 fr. 95, les prés et herbages à un revenu de 96 fr. 67, les terres labourables ne sont taxées qu'à un revenu de 56 fr. 94 et les bois à 22 fr. 50.

Aussi le revenu net moyen ne s'élève qu'à 52 fr. 87 par hectare pour les diverses natures de terre.

Si nous cherchons maintenant à connaître quel est le chiffre de l'impôt foncier en principal par hectare, le travail d'évaluation nous le donne également, et nous montre que la contribution foncière serait très légère, si elle eut été maintenue à son principal, attendu que :

Pour les terrains supérieurs, elle n'est, par hectare, que de …………… 7 fr. 14.
Pour les terres labourables, de ……………… 2 fr. 63.
Pour les prés et herbages, de ……………… 4 fr. 53.

Mais elle est plus que doublée par les centimes additionnels, départementaux, communaux, etc.

Ainsi, obtenir une évaluation nouvelle des propriétés foncières non bâties sans recourir à la réfection du cadastre et asseoir la répartition de l'impôt sur des bases rationnelles de proportionalité et d'égalité, tel était le but que les Pouvoirs cherchaient à atteindre et qu'ils ont atteint.

 

XII. — Je terminerai ces longues considérations, par un court aperçu de l'application de ce travail de révision à nos départements bretons, pour le revenu net des terres par hectare, leur valeur vénale, et la contribution foncière en principal.
L'évaluation les portent, à savoir :

1° Pour le département d'Ille-et-Vilaine à : Valeur vénale 2,062 fr. 58 ; Revenu net par hectare 62fr 30 ; Contribution foncière 2fr. 48.

2° Pour celui des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) à : Valeur vénale 1,663 fr. 10 ; Revenu net par hectare 55fr 13 ; Contribution foncière 2fr. 18.

3° Pour la Loire-Inférieure à : Valeur vénale 1,978 fr. 66 ; Revenu net par hectare 55fr 13 ; Contribution foncière 1fr. 91.

4° Pour le Finistère à : Valeur vénale 1,252 fr. 47 ; Revenu net par hectare 42fr 39 ; Contribution foncière 1fr. 71.

5° Et pour le Morbihan à : Valeur vénale 976 fr. 02 ; Revenu net par hectare 32fr. ; Contribution foncière 1fr. 82.

Il faut remarquer que ces évaluations, pour nos cinq départements bretons sont la moyenne, pour chacune des sept natures de terre que vise le travail de révision.

Or, nous avons encore en Bretagne de larges étendues de landes et terres incultes portées dans le travail général pour un revenu de 6 fr. 12 par hectare, tandis que pour les terres labourables il est de 56 fr. 74 et pour les prés de 96 fr. 67.

Il en résulte que, en formant la moyenne de nos départements, le revenu de ces mauvaises terres a influé, en le diminuant, sur celui des bonnes, et qu'en le fixant à 62 fr. 30 par hectare pour l'Ille-et-Vilaine par exemple, on est resté au-dessous de la vérité, puisque le revenu réel des terres labourables s'y élève au-dessus de 80 fr.

Du reste personne ne doit se plaindre de cette modération dans l'évaluation nouvelle, attendu qu'elle est la base fixée pour la répartition de l'impôt entre les départements.

 

XIII. — Que devons-nous conclure des considérations que je viens d'avoir l'honneur de vous présenter sur ce grand travail de revision ?

C'est qu'au point de vue de la statistique territoriale il offre une importance de premier ordre, et qu'au point de vue de l'exactitude, dans l'évaluation des parcelles, il est arrivé aussi près de la vérité qu'il soit possible de le faire, pendant que le cadastre ne sera pas rectifié par l'estimation et la visite nouvelle de chacune de ces parcelles.

Mais cette rectification du cadastre qui, seule, permettrait de donner, à la répartition de l'impôt, une base d'une exactitude mathématique, serait elle aussi coûteuse et longue qu'on veut bien le dire ?

Je ne le crois pas.

En effet, il ne s'agit plus de refaire le cadastre, dont la partie artistique ne demande pas de modification. Il ne s'agit plus de mesurer et trianguler la surface de la France, dont toutes les parcelles n'ont changé ni de forme ni de place. Il suffit, le plan cadastrale à la. main, de visiter et d'estimer de nouveau chacune d'elles.

Or, la partie technique géométrique de la confection d'un cadastre est la seule qui exige beaucoup de temps et beaucoup d'argent, et celle que nous possédons offre une perfection suffisante pour qu'on n'y touche pas.

Il suffirait donc de parcourir de nouveau les parcelles, de constater leur valeur actuelle en capital et revenu, et de rectifier le revenu ancien porté au cadastre, en lui substituant les chiffres de la nouvelle estimation.

Si des parcelles ont été divisées par suite de ventes ou de partages, ces divisions n'ont pu en changer la forme qui figure au plan cadastral ; et les parties de ce tout, soumises à l'estimation, figureraient chacune pour son estimation spéciale, dans les colonnes de la matrice cadastrale ainsi rectifiée, sans toucher au plan.

Est-ce que cette revue des parcelles et leur estimation constitueraient un travail considérable ? Non, si l'on y procédait par voie de décentralisation bien entendu.

En constituant, dans chaque canton de France, une commission composée d'hommes compétents de chaque circonscription, qui agiraient et procéderaient à la nouvelle estimation sous la direction du contrôleur des contributions directes, on arriverait promptement au but proposé.

Après ces visites et estimations terminées, le rôle de l'administration centrale se réduirait à un travail de bureaux, pour faire aux matrices cadastrales les rectifications nécessaires. Et l'on aurait enfin, en France, une base de répartition de l'impôt, conforme à la vérité des faits, et à l'abri de tous reproches aux points de vue de la proportionnalité et de l'égalité.

Je suis donc convaincu que ce travail d'une estimation nouvelle, toujours reconnu indispensable par les pouvoirs publics et toujours ajourné à cause de la dépense, estimée à plus de trois cents millions de francs, et des longues années supposées pour son exécution ne coûterait pas un million de francs par département; et que quand la passion de la guerre aura fait place à la passion de la paix, et que le budget pourra supporter cette charge temporaire, cette amélioration économique s'imposera et se réalisera.

(M. Kersanté, 1886).

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