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LES GEOLIERS EN BRETAGNE AU XVIIIème siècle

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Les geôliers ont une situation qui n'est pas à envier. Ils sont responsables de la garde de leurs prisonniers. En cas d'évasion causée par leur négligence, ils peuvent être emprisonnés et mis aux fers (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 120). Ils sont forcés d'être toujours en éveil ; leur vie même n'est pas toujours en sûreté (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 127). Ils sont perpétuellement exposés à la haine de leurs prisonniers, à la défiance des juges, au mépris du public. Pour compenser tous ces inconvénients, ils n'ont que de bien minces avantages. Ils ne reçoivent pas de gages. Ils jouissent de certains privilèges qui varient suivant les localités. A Saint-Aubin-du-Cormier, le geôlier a la jouissance de deux pièces de terre d'un revenu annuel de 12 livres (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 115). A Lesneven, il est exempt du service de la milice bourgeoise, de guet et de capitation (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 112). A Morlaix, il est exempt de garde et de logement des gens de guerre (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 112). A Ploërmel, il est dispensé de toute charge et imposition (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 113). A Quimper, il est exempt du service de la milice bourgeoise, du logement des gens de guerre, de la fourniture des lits pour les casernes. Il a même le droit de débiter à son profit, sans payer ni devoirs ni octroi, quatre barriques de cidre (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 113). Les geôliers, à ces avantages, ajoutent leur logement et les profits qu'ils tirent des frais de geôlage, de l'entrée et sortie des prisonniers de police, de la location des chambres particulières aux prisonniers pour dettes, de la délivrance des extraits de registre d'écrou. Mais dans les petites prisons, il n'y a pas de chambre particulière ; la délivrance des registres d'écrou est nulle ; le bénéfice de l'entrée et sortie des prisonniers de police se réduit à peu de chose. Le profit des droits de geôlage est compensé par la nécessité de fournir la paille et l'eau aux prisonniers. « La rétribution du geôlage ne vaut pas à Ploërmel plus de 10 sous par jour. Les fournitures, souvent, excèdent le salaire, surtout pour les prisonniers qui ne passent qu'un jour et une nuit dans les prisons, tels que les déserteurs qu'on mène à leur régiment et les filles de mauvaise vie qu'on amène au dépôt de mendicité. La paille fournie à ces prisonniers de passage ne peut servir qu'une fois, et il est évident qu'un geôlier qui n'a qu'un sou par jour par prisonnier ne peut pas vivre de son état » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 125).

Souvent les geôliers sont forcés d'entretenir à leurs frais les fers des prisonniers criminels. Presque toujours ils sont forcés de fournir plusieurs mois d'avance la solde des prisonniers à la charge du roi. Ils sont ensuite remboursés au moyen d'exécutoires sur le Domaine. Mais ils ont à payer les frais de ces exécutoires, qui s'élèvent à 24 livres par an (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 111). A Carhaix, en 1769, le geôlier est un pauvre diable qui n'a pas assez de ressources pour avancer de ses deniers la solde des prisonniers. « Il fait, pour leur nourriture, l'avance des sommes que des personnes bienfaisantes et charitables veulent bien lui prêter, sur quoi le même geôlier sollicite et obtient de temps en temps des exécutoires qui ne sont payés qu'après le visa du premier président du Parlement ». Il prend le pain « chez les boulangers les plus obligeants et qui se prêtent le plus à en attendre le paiement » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 107). Il est impossible à des geôliers si mal payés d'avoir à leur service un guichetier. Ce sont leurs femmes et leurs enfants qui font l'office de guichetiers et les aident dans leur service. La plupart d'entre eux cumulent plusieurs petits emplois. Le geôlier de Guérande a la garde des mesures pour les grains vendus au marché. Il reçoit « 1 liard par mesure de chaque pochée, ce qui peut aller à 6 ou 7 sous par marché ». Il y a deux marchés par semaine (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 110). Le geôlier de Carhaix est héraut de la communauté et tambour ordinaire de la ville. Il lui serait impossible de vivre sans ces deux derniers emplois. S'il ne craignait de les perdre, il abandonnerait le métier de geôlier (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 107).

Ce métier est si ingrat, si peu lucratif, que personne ne veut s'en charger. A Lannion, en 1769, personne ne consent à prendre la ferme des prisons : les juges sont forcés de nommer un geôlier d'office (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 110). A Saint-Brieuc, les juges sont un moment réduits à faire garder la prison par des cavaliers de la maréchaussée et les huissiers. « La difficulté de trouver des geôliers force le tribunal de permettre enfin au concierge de la prison la vente de quelques barriques de cidre. Mais le produit en est si mince que le geôlier menace journellement de quitter son emploi ». Le local où il a établi son débit est d'ailleurs bien incommode : c'est une salle où les juges sont obligés de passer en robe en se rendant à leurs audiences (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 115).

L'embarras qu'éprouve le tribunal de Saint-Brieuc est commun à tous les tribunaux de la province, même aux juges des juridictions seigneuriales. « On ne trouve maintenant que des misérables qui veuillent prendre la place de geôlier, écrit en 1769 le subdélégué d'Antrain, pour l'espoir de leur logement seulement, gens par conséquent en lesquels on ne peut avoir aucune confiance, et qui souvent pillent les prisonniers, ou même se laissent gagner par eux et leur procurent l'évasion » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 106). On ne trouve « pour occuper des places si désagréables et si peu lucratives, écrit en 1784 le subdélégué de Ploërmel, que des particuliers souvent plus criminels que ceux à la garde desquels ils sont constitués » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 125). En 1752, le geôlier de Dinan « est un coquin de premier ordre, écrit un officier de dragons. Il fait des prisons un lieu public où règne tout le désordre et le libertinage imaginables. Il est connu du public que ce misérable excite les dragons qui sont chez lui à tout ce qu'il y a de plus monstrueux, en leur donnant même les mains pour les y porter » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 2463). Le geôlier des prisons seigneuriales de Lézardrieux fait évader, pour une bouteille de vin, les canonniers gardes-côtes emprisonnés pour infraction à la discipline militaire (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 2500). A Lesneven, en 1774, le geôlier Sébastien Corre « fait de la prison une espèce de cabaret. Il laisse entrer la femme de Ruban pour coucher avec son mari, qui est détenu sous l'accusation de différents vols » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 123). En 1784, les juges de Ploërmel, pour avoir un geôlier sur lequel ils puissent compter, sont forcés de lui promettre un traitement annuel de 100 livres (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 125).

Primitivement, les geôliers avaient une situation acceptable et même lucrative dans les grandes villes, comme Rennes, Nantes, Brest, ou dans les prisons importantes, comme celle de Fougères. Ces places étaient même tellement recherchées, que quelques-uns des titulaires les firent ériger en offices, dont ils acquirent la propriété héréditaire moyennant finance payée aux parties casuelles. C'est ce qui arriva pour les prisons de Nantes et de Fougères. Ce fut une nouvelle source d'abus. A Nantes, Dupont de Grémont acquiert l'office de geôlier au prix de 3.200 livres. Après sa mort, ses héritiers le vendent à Tessier, en 1719, au prix de 7.320 livres. Tessier lui-même a pour héritier le sieur Verger, qui n'exerce pas son office, mais qui se réserve le plus clair des bénéfices. Il garde pour lui la jouissance d'un appartement qui dépend de la prison et rapporte 600 livres par an. Il abandonne les menus profits au véritable geôlier (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 112).

A Fougères, pendant longtemps la place avait été avantageuse, parce que la prison était encombrée de faux-sauniers, dont l'entretien était à la charge des fermiers généraux. Ces prisonniers payaient donc 3 sous par jour pour droit de geôlage. Au XVIIIème siècle, les lignes de gabelle furent reculées sur les réclamations des Etats de Bretagne. La prison de Fougères cessa d'être employée pour recevoir des faux-sauniers : le geôlier perdit le plus clair de ses revenus (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 121). Il lui reste cependant une source de profits qui n'est pas à dédaigner : ce sont les emprunts de territoire des seigneurs qui n'ont pas de prison sur leurs fiefs et qui envoient leurs détenus dans la prison du roi. Les emprunts de territoire rapportent 600 livres par an au geôlier (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 109). Son office a été payé 2.070 livres aux parties casuelles. Il appartient à la dynastie des Guilloux. Jean Guilloux, le premier du nom, fait argent de tout. La nuit, il laisse sortir, moyennant finance, les prisonniers confiés à sa garde. Beaucoup ne reviennent plus (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 36). Cependant il affecte le plus grand zèle, le plus grand attachement à ses devoirs.

En 1757, il demande pompeusement l'autorisation de construire à ses frais une salle d'interrogatoire plus convenable que le cabinet informe où les juges sont forcés de procéder à cette opération. Il meurt l'année suivante, sans avoir pu profiter de l'autorisation qui lui avait été accordée (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 120). Il a pour successeur son frère Jean-Mathurin, deuxième du nom de Guilloux. Celui-ci, comme son frère, laisse évader les prisonniers plus souvent que de raison. Plus d'une fois aussi les juges sévissent contre lui et le condamnent aux fers, sans corriger ni son penchant à l'ivrognerie, ni sa fanfaronnade. Il harcèle l'intendant et le garde des sceaux de réclamations verbeuses, dans lesquelles il expose le mauvais état de la prison, l'impossibilité d'empêcher les effondrements et les évasions. On envoie à Fougères ingénieur sur ingénieur pour examiner l'état des lieux ; on multiplie les réparations. On entoure la prison d'un mur solide ; on refait l'appartement du geôlier.

L'heureux Guilloux en profite pour établir sur les remparts un jeu de boule, dans son appartement un cabaret, où il attire les joueurs de boule, qui comme lui sont d'incorrigibles ivrognes. La communauté, sur qui retombent les frais de réparation, accuse sa négligence. Guilloux brave le maire et les échevins. Il leur répond qu'il est propriétaire de son office et ne doit compte de sa conduite à personne. « Il est toujours dans le vin, hors d'état de remplir la place qu'il occupe, n'ayant qu'un mauvais valet pour guichetier, et souvent n'en ayant point du tout. Lui-même dort tranquillement, sans faire dans sa prison les visites prescrites à tout geôlier, tant de nuit que de jour » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 121).

La communauté finit par obtenir en 1776 la révocation de Mathurin Guilloux. Il fut remplacé par Sanson, ancien guichetier des prisons de Rennes. Guilloux, cependant, conserva le titre de geôlier, parce que son office ne fut pas remboursé, mais il eut défense d'exercer les fonctions attachées à son titre. Il se vengea de sa mésaventure en continuant un procès qu'il avait intenté au sieur Savary, qui possédait, près de la tour qui servait de prison, une partie des anciens remparts de Fougères. Savary y avait bâti une maison, en pratiquant, pour l'écoulement des ordures, un conduit le long du rempart. Guilloux força les héritiers Savary de détruire ce conduit et de raser un mur qui gênait l'appartement du geôlier (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 121).

De tous les geôliers de la province, c'est celui de Rennes qui a le plus de ressources pour gagner sa vie. Il y a toujours une cinquantaine de prisonniers pour dettes dans les chambres civiles, ce qui lui procure une moyenne de 7 livres 10 sols par jour pour le geôlage. Il n'a pas de chambre à louer, mais il dispose de deux grandes pièces à l'usage des prisonniers aisés. Ceux qui demandent à coucher dans ces chambres lui abandonnent leur solde. Il y a toujours une douzaine de prisonniers dans ce cas. Le geôlier ne tire qu'un sou par jour des prisonniers criminels. Il ne tire guère que 12 livres par an des copies de registre d'écrou. Les fermiers des devoirs et ceux des octrois le dispensent d'une partie des droits sur les boissons consommées dans les prisons, ce qui lui donne un bénéfice de 900 livres par an. Ces avantages sont compensés par de lourdes charges. Il est forcé d'entretenir quatre guichetiers à 150 livres de gages, et deux portiers qui reçoivent, l'un 72, l'autre 36 livres. Les uns et les autres sont nourris par lui. Il emploie tous les ans cinquante charretées de paille blanche, qui lui coûtent au moins 400 livres (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 114). Comme il n'y a ni puits dans les prisons, ni fontaines dans le voisinage, il est forcé d'aller chercher l'eau très-loin. Il a deux chevaux pour en faire le charroi. La nourriture des chevaux et le loyer de l'écurie lui coûtent 600 livres par an (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 128). « Il est tenu de fournir la chandelle pour faire la visite du jour et de la nuit dans toutes les chambres de la prison. Les visites de jour sont au nombre de quatre et deux la nuit. Il y a toujours un homme de garde au feu et à la chandelle, qui passe la nuit. Il est consommé par an 250 livres de chandelles qui, à 50 livres le cent, valent 125 livres. Le bois et le charbon qu'on donne à l'homme de garde, depuis la Toussaint jusqu'à Pâques, est un objet de 30 livres. Le feu, lorsque les juges viennent pendant l'hiver faire des confrontations, est un objet de 20 livres. Le geôlier paie à l'exécuteur qui présente les condamnés à la question, la somme de 120 livres par an » (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 114). Le geôlier de Quimper est moins maltraité que celui de Rennes pour ce dernier article. Il ne donne rien à l'exécuteur. Il est seulement tenu « de fournir le charbon pour les questions du feu qui sont usitées en Bretagne ». Le Domaine lui rembourse 6 livres par an, à raison de 3 livres par chacune des deux barriques de charbon employées à cet usage (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 113).

Le geôlier de Rennes est obligé d'avancer tous les trois mois la solde des prisonniers criminels. C'est une somme de 3.000 livres qu'il est obligé d'avoir toujours à sa disposition. Ses bénéfices ont bien diminué, depuis l'ordonnance de 1772 qui a mis à la charge du roi tous les prisonniers criminels qui primitivement étaient à la charge des seigneurs. Avant cette ordonnance, quand un criminel était condamné par une juridiction seigneuriale, du moment qu'il en appelait au Parlement, il était transféré à Rennes, où le seigneur devait au geôlier 3 sous par jour pour droit de geôlage. L'ordonnance de 1772 délivre les seigneurs de cette charge et assimile leurs prisonniers à tous les criminels dont la solde et le geôlage sont payés par le Domaine. Le droit du geôlier se trouve ainsi réduit de 3 sous à 1 sou par tête de prisonnier criminel venu des prisons seigneuriales. Aussi le geôlier de Rennes demande avec instance un salaire fixe qui le dispense de la nécessité d'avancer la solde des prisonniers, de payer ses guichetiers, et lui assure une juste rémunération de ses fatigues et même de ses périls (Archives d'Ille-et-Vilaine, C. 128).

Antoine Dupuy.

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