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Les rivalités entre la Bretagne et le gouvernement français au XVIème siècle.

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§ Ier.
Ainsi, à l'époque de la réunion définitive, la Bretagne conservait encore ses priviléges : la province ne s'était pas donnée à la France par entraînement, par affection ; elle n'avait pas été vaincue, accablée, à la suite d'une lutte malheureuse : sa susceptibilité était grande ; aussi dut-elle être vivement blessée des atteintes portées à ses franchises par le gouvernement français. La conduite des derniers Valois, dans leurs rapports avec la Bretagne, ne servit qu'à entretenir les regrets du passé et les craintes pour l'avenir.

Après plusieurs ordonnances contradictoires de Louis XII et de François Ier, Henri II s'occupa de régulariser, un sens favorable à la royauté française, les institutions judiciaires de la province : il commence par introduire en Bretagne la vente des offices de judicature ; cette importation étrangère devait être d'autant plus mal reçue. A la place du Conseil et de la Chancellerie, il établit quatre siéges présidiaux : à Rennes, Nantes, Vannes et Quimper (mars 1552) (Act. de Bretagne, t. III, col. 1084). L'année suivante, le Parlement le Bretagne est definivement organisé. Les considérants de l'ordonnance sont curieux et significatifs : La justice a été fort mal rendue jusqu'alors : elle s'immortalise ; elle tourne plus à l'oppression qu'au bien et soulagement de ses sujets : si une cause dure un an aux autres Parlements, elle se traîne pendant douze années au Parlement de Bretagne ; puis, il y a bien des abus, soit par cumul de charges incompatibles, soit par appels trop fréquents, etc., etc. C'était la vérité ; mais partout l'on voit percer l'intention évidente de calmer le mécontentement des Bretons, et de prévenir leurs regrets. Le Parlement de Paris, la grande Cour royale, française par excellence, doit servir de modèle au nouveau conseil, pour tous ses règlements, usages, formes, etc. Le roi établit donc, par son édit de Mars 1553, de sa grâce spéciale, pleine puissance et autorité royale (les Etats ne sont pas même consultés), un Parlement composé de deux chambres, siégeant l'une à Rennes, en août, septembre, octobre ; l'autre à Nantes, en février, mars et avril (Act. de Bretagne, t. III, col. 1103, 1110).

Pour être plus sûr de l'esprit et du dévouement des membres, il fait entrer dans la composition de la Cour plus de Français que de Bretons : ainsi, les quatre présidents sont Français ; seize conseillers sur trente-deux, l'un des deux avocats-généraux doivent être non originaires, leurs appointements même sont plus considérables que ceux des Bretons. « Pour bien des raisons (et il est facile de les deviner) écrivait le duc d'Etampes, gouverneur de la province, il est très-requis qu'il y ait des Français, et principalement de la Cour du Parlement de Paris au Parlement de Bretagne (10 octobre 1560) » (Act. de Bretagne, t. III, col. 1256). Dès 1554, Henri Il nomme vingt nouveaux conseillers, dont six originaires et quatorze Français (Dict. de Bretagne, par Ogée, introduction, p. 183. Nouv. Édition). Plus tard, sous les fils d'Henri II, le même systême sera suivi, lors de la création d'une chambre des Enquêtes en 1557, de la chambre de la Tournelle en 1575, de la chambre des Requêtes en 1581. Ainsi, l'ordonnance de 1575 porte que les deux présidents et sept conseillers sur douze seront non originaires du pays ; celle de 1581, que les deux présidents et quatre conseillers sur huit, seront Français (Act. de Bretagne, t. III, col. 1197, 1419, 1459).

La langue française, qui n'était ni parlée, ni comprise dans une grande partie de l'ancien duché, est substituée au latin dans la rédaction de tous les actes judiciaires (Daru, Histoire de Bretagne, t. III, p. 272).

Ces innovations, bonnes en elles-mêmes et d'ailleurs justifiées par l'intérêt du royaume, devaient froisser bien des susceptibilités bretonnes ; beaucoup n'y voyaient que la perte de leur nationalité, que la preuve de leur dépendance.

L'établissement du Parlement fut une nouvelle cause de rivalité entre les deux villes les plus importantes de la province, Nantes et Rennes. Sans doute, il est impossible au gouvernement, même le plus sage, de satisfaire toutes les pretentions locales ; mais, dans cette affaire, comme dans beaucoup d'autres, les Valois devaient montrer une insigne maladresse, une véritable incapacité administrative, qui devait nécessairement blesser tout le monde. Voilà pourquoi quelques détails ne seront pa inutiles. L'ordonnance de 1553 avait voulu prévenir toute rivalité, en établissant les deux sessions ; mais la justice ne pouvait pas être ambulatoire sans de graves inconvénients ; les plaideurs comme les magistrats réclamèrent, et les deux cités, au lieu d'être satisfaites, furent toutes deux mécontentes : les tergiversations du pouvoir, en entretenant leurs espérances, ne firent qu'irriter le mécontentement. Les Nantais demandent les deux sessions ; leurs députés à Paris doivent agir secrètement et intéresser les personnages influents par des présents [Note : Entre autres présents curieux, dont les comptes se retrouvent dans les archives de la ville, on voit 4 lamproies à M. le garde-des-sceaux, 2 à M. le duc d'Étampes, 2 à M. de Gié, etc., etc.]. La ville de Rennes en est informée et se hâte de réclamer la protection et l'intervention du duc d'Etampes (11 février 1554). Alors les Nantais s'assemblent aux Cordeliers (22 février), et députent Geffroy Drouet, chargé cette fois de solliciter ouvertement : ils font des offres magnifiques, de grandes promesses, vantant naturellement la supériorité en toutes choses de leur ville sur Rennes; c'est une sorte de vente aux enchères : les députés de Nantes doivent offrir mille livres de plus que la somme donnée par les Rennais.

Un édit du roi ordonne de prendre l'avis des États ; rien n'est négligé des deux côtés pour obtenir une sentence favorable. Enfin, malgré l'éloquence de maître Chopin, avocat de Nantes, les États se prononcent en faveur de Rennes.

Mais d'autres influences sont plus fortes à la cour, et Henri II, par ses lettres du 25 juin 1557, accorde les deux sessions à Nantes, à la condition de payer 10.000 livres au Trésor royal et 5.000 livres à Rennes comme dédommagement.

Ainsi les esprits devaient s'habituer à ne voir, dans le pouvoir royal, qu'une machine gouvernementale soumise à des changements sans raisons, sous l'influence de l'intrigue et de la finance [Note : Registres de la ville, art. secret (archives de Nantes) ; Act. de Bretagne, t. III, col. 1197, 1199 ; Histoire de Rennes, p. 231. Travers dit que les Nantais devaient payer 100.000 livres au Trésor royal et 50.000 livres de remboursement aux habitants de Rennes, qui les avaient donnés au roi pour avoir seuls le Parlement. (Reg. de la ville, 1557, 30 nov., col. 76)].

La sentence n'était pas cependant définitive : à force d'instances et de présents, les Rennais avaient intéressé le duc d'Etampes à leur cause ; il demande de nouveau l'avis des prélats et barons réunis aux États. L'évêque de Vannes plaide en faveur de Nantes ; la baronne de Montejan et de Combourg (singulier avocat), soutient les droits de Rennes : les curieuses plaidoiries nous ont été conservées (Act. de Bretagne, t. III, col. 1253-54). Enfin, le duc, répondant aux lettres du roi, donne son avis et se prononce pour Rennes.

Alors Charles IX, détruisant l'oeuvre de son père, établit pour toujours, par un arrêt du 4 mars 1560 (1561), le Parlement dans cette ville ; les privilégiés doivent à leur tour rembourser aux Nantais les deniers que ceux-ci avaient dépensés.

L'ordonnance était rendue pour nourrir paix et amitié entre les deux villes (Act. de Bretagne, t. III, col. 1271) ; ce qui n'empêche pas Nantes de réclamer continuellement depuis lors, et d'agir pour rentrer dans ses droits. Plus tard, même au milieu des malheurs de la guerre civile, les deux villes dépensent beaucoup d'argent, entretenant à grands frais, à Paris, des hommes chargés de surveiller leurs démarches réciproques : tous les moyens sont employés. Ainsi l'on fait courir le bruit que la peste est à Rennes, dans l'espoir d'avoir à Nantes la prochaine session du Parlement. Pour se venger, les Rennais enhardis font des démarches pour obtenir également la Chambre des Comptes : ils doivent échouer ; mais la rumeur a été grande dans la ville menacée. Aussi les Nantais accusent Rennes, accusent le gouvernement ; et, quelques années plus tard, à l'époque de la Ligue, leur mécontentement devait contribuer à les jeter dans le parti de l'opposition [Note : Act. de Bretagne, t. III, col. 1341 ; registres de la ville, 1572 ; regist. secrets, notamment du 20 novembre 1580. Archives municipales de Nantes].

Les rois, depuis la réunion, avaient plus d'une fois promis de conserver la Cour des Comptes de Bretagne dans sa prééminence, autorité et puissance (Lettres de Charles VIII, de 1492 et 1496 ; de François d'Angoulème (1514), etc.) ; mais déjà François Ier et Henri II avaient plus d'une fois porté atteinte à ses droits et priviléges et excité le mécontentement. Les murmures furent plus nombreux, lorsque nos rois commencèrent à créer, sans grande nécessité, de nouvelles charges, et procédèrent à la réorganisation de cette cour de finances, désormais fixée à Nantes. Ils voulaient s'attacher un plus grand nombre de personnes dévouées dans la province, choisissaient souvent des étrangers, mais songeaient surtout à se procurer de grosses sommes d'argent. Les abus de la vénalité devaient dépasser toute limite, puisqu'on en vint jusqu'à vendre la même charge à deux ou trois acheteurs titulaires.

En 1555, Henri II établit deux nouveaux offices de maître des Comptes ; la Cour refuse d'enregistrer l'édit, mais doit céder devant l'exprès commandement du roi ; plus tard, par une ordonnance du mois d'avril 1572, Charles IX crée en une seule fois deux présidents non bretons, huit maîtres et dix auditeurs, moitié Français, moitié Bretons : le mécontentement est général (Travers, t. II, p. 435). L'édit qui établit des correcteurs (1576) n'est enregistré, avec réserves, qu'en 1583, après deux lettres de jussion.

A cette époque, où l'on cherchait d'ailleurs avec assez de raison à établir, en France, l'unité et la régularité administrative, Henri II avait prescrit, dès 1552, aux gens des Comptes de Bretagne, de se régler et gouverner à la manière des gens des Comptes de Paris. On s'était bien gardé d'obéir à ces prescriptions. En 1556, trois officiers de la Chambre des Comptes de Paris sont envoyés à Nantes, avec la mission expresse d'opérer la réforme. Vainement plusieurs des magistrats bretons protestant contre la compétence des commissaires, contre leur mandat, et demandent qu'on maintienne et sauvegarde les statuts que les ducs leur avaient donnés. Maître Michel Tamboneau et ses collègues se font obéir malgré les murmures. Vainement l'on réclame auprès du Conseil d'État ; après quatre mois d'attente, Henri II (18 oct. 1557) confirme, loue, approuve tout ce que a été fait, et veut que le nouveau réglement soit observé dorénavant de point en point : les contrevenants seront mulctès en grosses amendes pécuniaires [Note : Liv. 4 des Mandements. Voir le récit par trop dramatique de M. de Fourmont, Histoire de la Chambre des Comptes de Bretagne in- 8° ; 1854]. Je ne veux point juger le mérite de cette réorganisation, je crois même qu'elle était sage, utile, et que la Cour des Comptes n'eut pas à s'en plaindre plus tard ; mais il est certain qu'alors, comme dans toute la dernière moitié du XVIème siècle la Chambre fut dans un état de lutte continuelle contre la royauté française, défendant ses franchises, ses priviléges, ses anciens statuts contre toutes les innovations, quelles qu'elles fussent, abritant souvent ses intérêts ou ses défiances sous le drapeau respectable des vieilles libertés bretonnes ; mais souvent aussi trouvant dans les actes du gouvernement français la juste occasion de protester contre la domination des étrangers. En 1587, l'on ajoute deux nouveaux présidents, douze maîtres douze conseillers, des correcteurs, etc. ; la Chambre est comme divisée en deux camps ennemis ; les plaintes sont extrêmes ; les réclamations assaillent le gouvernement d'Henri III, qui se laisse convaincre et réduit le nombre des nouveaux officiers créés, quand les gens des Comptes ont pris l’engagement de rembourser les sommes qu'avait produites la vente des charges.

Les rapports du gouvernement français avec les Etats de Bretagne, principalement au sujet des impôts, n'étaient pas de nature à gagner les coeurs, à se concilier les esprits des habitants. Depuis la réunion, les trois ordres s'assemblaient assez régulièrement chaque année, quelquefois même deux fois par an sous Henri III ; mais ce n'était pas assurément pour protéger les intérêts et les libertés de la province, qu'ils étaient si souvent convoqués ; c'était pour leur demander, ou plutôt pour exiger des subsides continuels : le vote devenait obligatoire, et l'enregistrement des édits royaux une simple formalité. Vainement les députés réclamaient et invoquaient les clauses formelles du contrat d'union ; leurs plaintes étaient continuelles, parce qu'ils n'étaient pas écoutés, et le despotisme, trop souvent inhabile du gouvernement, se joignant aux malheurs de l'époque, augmentait le mécontentement et entretenait le regret du passé.

Déjà, sous François Ier et sous Henri II, les impôts étaient onéreux ; ainsi, tous les ans, ils demandaient la levée du fouage ; jadis, c'était une ressource extraordinaire dans les besoins pressants de l'État ; il devenait désormais un revenu annuel et ordinaire. En 1542, François Ier avait soumis la Bretagne à la gabelle du sel [Note : Dès 1519 les fermiers du domaine essaient de mettre un impôt sur le sel ; l'on se plaint, l'on réclame, et les États arrêtent le nouvel impôt] ; malgré certains privilèges, la province réclamait, mais inutilement, sous ce prince, sous Henri II, sous Henri III, contre cet impôt nouveau, funeste à l'agriculture (Dict. d’Ogée. Note, p. 176).

Les fils de Henri II surtout, placés dans la situation financière la plus désastreuse, sans cesse pressés par le besoin d'argent, employaient tous les moyens, même les plus mauvais, pour s'en procurer. Ainsi les gens de finances faisaient établir un impôt, qui pesait presque exclusivement sur les populations rurales : Charles IX vendait en Bretagne des fouages jusqu'à concurrence de 360.000 livres de principal (1562) ; plus tard, il aliénait jusqu'à 12.000 livres de rente (1573) : Henri III affranchissait, moyennant finances, deux feux par paroisse dans toute la province, sans préjudice des affranchissements individuels ; toutes ces mauvaises mesures faisaient retomber le poids des tailles sur la classe la plus pauvre (Dareste, Histoire de l'Administration en France, t. II, p 64).

Il serait très-long et très-difficile de rappeler tous les abus dont les États eurent à se plaindre, et les Bretons à souffrir sous les derniers Valois : quelques exemples suffiront pour faire apprécier l'époque. Le duc d'Étampes, gouverneur de Bretagne, sans consulter les États, ordonne de lever plusieurs impôts très-onéreux ; les députés font entendre de très-énergiques remontrances qui ne sont pas écoutées ; et c'est là l'occasion de longs et malheureux conflits entre les États, le Parlement, la Cour des Comptes et la Royauté, qui ne sait pas administrer. En 1567, à propos de nouveaux impôts, non consentis, les États de Vannes remontrent à Charles IX que, par le contrat de la feue reine Anne et union du duché à la couronne de France, il est expressément porté que, sans le consentèmmt des trois États, ne seront levés aucuns deniers, ni imposés aucuns nouveaux devoirs, subsides et impôts audit pays de Bretagne. Les États de Nantes, de 1569, rencontrent également que les impôts et billots sont des accords et octrois faits volontairement par les trois États.

En 1576, ils supplient Henri III de mettre en considération leurs précédentes remontrances et doléances, et d'ordonner que les pactions et accords faits au mariage de la feue Anne, duchesse de bonne mémoire avec Charles VIII, etc..... soient inviolablement observés ; qu'il ne soit dorénavant fait aucune levée de deniers sans le consentement des États ; et défense aux généraux des finances d'en faire aucun déportement, à faute de quoi les États protestent dès à présent d'injustice contre eux, et les prennent à partie pour leur faire en leur privé nom réparer le tout. Les États de Rennes, en 1578 et 1579, font des remontrances dans le même esprit et dans les mêmes termes : ce qui prouve qu'elles étaient vaines, et que les financiers continuaient de lever des impôts non consentis (Registres des États, Archives d'Ille-et-Vilaine).

A chaque instant, pour ainsi dire, les villes, surtout les plus considérables, doivent payer au roi des subventions extraordinaires, sous forme d'emprunts, qui, le plus souvent, n'étaient pas rendus : l'Histoire de Nantes peut servir d'exemple ; ainsi les humbles remontrances des bourgeois et habitants de la ville au sujet d'une somme qui leur est demandée par le roi, en 1575, sont pleines de curieux détails sur les exigences du gouvernement et les souffrances du pays ; les marchands de cette ville ont seuls perdu plus de 500.000 livres (Archives de Nantes). Au mois d'avril 1577, Henri III écrit aux villes de Bretagne et notamment à Nantes, pour demander une subvention considérable. Nantes, quoique ses finances fussent alors dans l'état le plus pitoyable, doit payer 37.000 livres pour sa part ; la ville refuse, parce que les États n'ont pas voté cet impôt ; le roi ordonne de procéder sans délai à la levée des sommes demandées : la ville persiste dans son refus, les procureurs-syndics des principals cités de Bretagne se réunissent à Rennes, les États invoqués déclarent les prétentions du roi contraires aux libertés de la province. Henri III entre en négociations, et demande un peu moins ; on se résigne, on paie. Alors il se venge d'une manière digne de son faible gouvernement : peu de jours après, dans une assemblée des nobles, bourgeois, manans et habitants de Nantes, l'évêque communique une lettre de Sa Majesté : il est très-mécontent de la mauvaise garde qu'ils font ; il sera obligé de leur envoyer quatre compagnies françaises en garnison (Travers, t. II, p. 468, 470. Archives curieuses de Nantes, par M. Vergé, p. 198).

Cependant, les murmures de la province irritée deviennent plus menaçants : Henri III a peur ou veut tromper ; il rend, en 1579, un édit remarquable pour confirmer les priviléges du pays : les États pourront se pourvoir contre toutes lettres ou édits, préjudiciant aux libertés de la Bretagne. Bien plus, il fait amende honorable ; répondant enfin aux doléances, si souvent répétées, des députés, il promet de corriger tous les abus, de poursuivre toutes les prévarications ; or, il énumère lui-même plus de trente espèces d'abus ; c'est un aveu curieux des fautes et des excès du pouvoir royal : il suffit de lire cet édit, pour voir comment les franchises de la province étaient violées, et pour comprendre le mécontentement qui grandissait dans les coeurs (Act. de Bretagne, t. III, col. 1445-145). Or, les abus devaient continuer ; les plaintes sont aussi fréquentes après cette solennelle et mensongère déclaration.

En 1586, les officiers du roi veulent prendre 8.000 écus de plus sur les fouages : les États, assemblés extraordinairement à Ploërmel, en 1587, se plaignent. Le Conseil répond que les 8.000 écus ont été demandés par Sa Majesté, mais dans la délibération des États ; l'on ne peut exempter le pays d'une somme destinée aux besoins du gouvernement. Les députés, alarmés de ces prétentions singulières, envoient dans tous les diocèses, pour s'opposer aux levées illégales, qui pourraient être faites, au préjudice des droits et des libertés du pays. L'assemblée de Rennes, de 1588, fait les mêmes protestations ; mais déjà l'on touchait aux temps de la guerre civile ; le roi, sans doute, pour calmer l'irritation des esprits, accorde aux députés la plupart de leurs réclamations, sauf à laisser bientôt recommencer les mêmes abus (Act. de Bretagne, t. III , col. 1483).

Déjà, depuis plusieurs années, le gouvernement français, ennuyé de l'opposition que ses exigences rencontraient si souvent dans les États de la province, avait eu recours à un moyen plus expéditif et plus sûr ; dans l'espoir d'obtenir d'un petit nombre de personnes choisies ce que l'assemblée générale pouvait refuser, on s'adressait aux petits États : c'étaient quelques députés pris dans les trois ordres et nommés sous l'influence du pouvoir royal. La première assemblée de cette nature, dont fassent mention les registres, se tint à Rennes, en juin 1571. Charles IX demandait 300.000 livres pour payer les Suisses et autres étrangers, que l'on avait fait venir pendant les troubles ; les États ordinaires avaient refusé ce nouveau subside [Note : Lettre de M. de Bouillé aux Maire, échevins, manans et habitants de Nantes (20 mai 1571)]. Quoique les commissaires du roi n'eussent obtenu que 120.000 livres, ce succès avait engagé le gouvernement à convoquer une assemblée de même nature, en 1572, sous prétexte de racheter le domaine aliéné ; en 1573, nouvelle assemblée : on y prenait goût ; mais les députés de la bourgeoisie rejetèrent toutes les demandes et les renvoyèrent aux États ordinaires. En 1574 (26 mars), Charles IX, par ses lettres-patentes, enjoint, sans plus attendre la tenue des États, qui ne doivent se réunir qu'au mois de septembre, de convoquer, quinze jours au plus tard après la réception des présentes, sept ou huit personnes de qualité, choisies dans chacun des trois ordres, pour lever un impôt de 90.000 livres, dont il a impérieusement besoin pour l'entretien des gens de guerre, destinés à ramener sous son obéissance les sujets et les villes de son royaume, qui s'y sont soustraits (Archives de Nantes). Enfin, en 1578, l'assemblée de Rennes supplie le Roi de ne plus convoquer les petits États, qui n'avaient été inventés que pour anéantir l'autorité des légitimes assemblées.

Henri III, tout en faisant de belles promesses, n'abandonne pas cette précieuse ressource ; car il ajoute : « s'il est nécessaire de faire une levée, on assemblera une forme de petits États, pour faire ce qui sera nécessaire » (Act. de Bretagne, t. III, col. 1445-1451). Le roi se réservait le droit de les réunir à son gré, dans son intérêt, et non dans celui de la province. En 1582, le duc de Montpensier, gouverneur, écrivait à son lieutenant, M. de Fontaines, que les députés des États, prêchés et suscités par les passions de certains particuliers, étaient entrés en quelques remontrances, qui n'avaient rien de commun avec les propositions du roi ; ils ont demandé la permission de s'assembler en forme de petits États, mais elle leur a été refusée, Cet abus funeste aux libertés de la province devait durer jusqu'à la guerre civile (Préface de dom Morice, Act. de Bretagne, t. III, p. XXXI).

 

§ II.
Sous les derniers Valois, au milieu des troubles qui menaçaient par toute la France l'unité nationale et la roytauté, il aurait fallu un pouvoir ferme, énergique et juste, pour dominer et contenir toutes les ambitions frémissantes, pour prévenir ou réprimer toutes les tentatives de désorganisation. Tout au contraire, c'est un gouvernement sans franchise, sans dignité, qui ne s'appuie sur aucun principe, qui ne marche vers aucun but déterminé : c'est un pouvoir tantôt menaçant jusqu'à la brutalité, tantôt conciliant jusqu'à la faiblesse, toujours tourmenté de la manie de réglementer, et souvent froissant, par son intervention intempestive, les habitudes, les croyances, les intérêts ou les préjugés des populations [Note : Ainsi le roi intervient pour enlever aux bourgeois de Rennes le droit qu'ils avaient depuis longtemps de s'imposer eux-mêmes. Il veut réglementer les Confréries et excite le mécontentement, en permettant aux gens de métiers de travailler et de vendre librement, sans faire partie de ces associations si puissantes depuis le moyen-âge. (Histoire de Rennes, p. 212, 213)] ; d'ailleurs, toujours pressé par le besoin d'argent, mais aimant le luxe, les fêtes et les folles dépenses. Aussi, l'on ne sait aucun gré à la royauté de ses concessions et de ses réformes : le bien comme le mal, tout est suspecté ; de telle sorte que la postérité, partageant encore les préventions des contemporains, n'a pas toujours su rendre justice aux ordonnances et aux lois, souvent bien remarquables, du XVIème siècle.

Les rois, entraînés eux-mêmes par les idées libérales qui s'agitaient au XVIème siècle, ou plutôt désireux de gagner la bourgeoisie et de faire oublier l'indépendance provinciale, en accordant des libertés locales, favorisent assez généralement, dans les villes de Bretagne, la formation ou le développement du gouvernement municipal. Cependant, par une foule de vexations, de tracasseries sans raison, dont se rendent coupables les agents de l'autorité royale, ils excitent trop souvent l'irritation des populations urbaines. Cette considération peut servir à expliquer le côté municipal de la Ligue, à la fin du siècle.

L'histoire de Nantes, la ville la plus considérable de la province, offre des preuves nombreuses de cette conduite impolitique. A l'époque de la réunion, elle n'avait pas encore de gouvernement bourgeois bien organisé ; mais les libertés et franchises communales étaient déjà très-anciennes. Quand Henri II vient à Nantes, en 1552, une députation des notables lui demande l'érection d'un corps et communauté de ville, avec maire et échevins, comme à Angers : le roi promit. Mais, malgré les instances souvent réitérées des Nantais, sa promesse ne fut pas tenue. François II, par lettres données à Blois en janvier 1559 (1560), accorde aux habitants le droit d'élire un maire tous les ans, et dix échevins de trois ans en trois ans, avec des privilèges semblables à ceux d'Angers et de Poitiers (Act. de Bretagne, t. III, col. 1241, 1242). Ces lettres, bien qu'enregistrées au Parlement le 30 avril, n'eurent leur exécution que cinq ans plus tard, surtout à cause de l'opposition du Prévôt, de l'Université, de la Chambre des Comptes, du Présidial, de l'Alloué, du Procureur du Roi, du Gouverneur, des deux Chapitres. Enfin, Charles IX ordonne l'établissement définitif de la Mairie nantaise ; ses lettres du 6 octobre 1564 règlent les attributions étendues de la nouvelle municipalité [Note : Archives de Nantes. — Cahiers nombreux contenant les titres de la Mairie, les droits, privilèges etc., de la Mairie d'Angers. — Cahier contenant les moyens d'opposition que formait au Conseil du roi M. René, seigneur de Sanzay, à l'installation du Maire et échevins, contenant en marge les réponses des Maire et échevins] ; en même temps, l'on institue, grâce aux efforts de l'Hospital, des juges-consuls qui, choisis par les négociants notables, doivent former un Tribunal de Commerce. Le premier maire entre, en effet, en fonctions au commencement de 1565 ; bientôt même (1578), la ville, avec la permission idu roi, achète la charge de connétable de la milice bourgeoise, et elle est, dès-lors, réunie à la Mairie (Registres secrets de la ville, 1578).

Cette administration municipale, vivant avec le peuple, et sortie de son sein, prudente et réservée, devait maintenir la concorde entre les habitants et le gouvernement. Cette milice bourgeoise, régulièrement et sévèrement organisée, devait rendre les plus grands services à la cause de l'ordre ; et, en effet, ses services furent immenses, ses fatigues, son dévouement, sans cesse renouvelés. Cependant les officiers du roi semblèrent prendre à tâche, dès le premier jour, d'opprimer ou de vexer cette bourgeoisie, qui méritait plus d'égards. Assurément les priviléges et les honneurs accordés aux maires et aux échevins ne compensaient pas les fatigues et les ennuis de leurs pénibles fonctions, surtout lorsqu'il fallait sans cesse lutter contre ces agents du gouvernement, véritables petits despotes, pleins de morgue et d'outrecuidance, qui se croyaient tout permis. L'histoire des querelles incessantes de M. de Sauzay lieutenant du Château, avec les habitants, pourrait presque fournir la matière d'un volume. « C'était, dit un historien de Nantes, l'un de ces administrateurs que la France semblait destiner à rompre les habitudes de localité, pour faire sentir le poids de l'autorité royale » (Mellinet — Histoire de la Commune et de la Milice de Nantes, t. III p. 137). De 1555 à 1580, il ne cesse pas un seul instant de témoigner aux bourgeois la haine, on peut le dire, la plus injuste, compromettant continuellement l'autorité royale et lui faisant des ennemis, et croyant sans doute lui préparer des sujets bien humbles et bien obéissants. Citons seulement quelques faits.

Dès 1555, il assujétit les habitants à un service de guet le jour et la nuit ; pour les moindres délits, il emprisonne dans la tour du Château ; ses soldats, qu'il encourage, deviennent insolents et commettent chaque jour de nouveaux excès ; il fait même traîner par eux, à travers les rues, le juge-prévôt, qui s'oppose à cette juridiction exceptionnelle et à ses abus. Les habitants se plaignent, le prévôt s'adresse au duc d'Etampes, qui ordonne de punir les soldats, mais qui laisse faire le lieutenant du château. « Si ledit Sanzay, écrit-il-même au prévôt, ne vous fait justice et raison, vous pouvez l'aller demander au roi et à M. le connestable ». Aussi M. de Sanzay recommence aussitôt ses vexations [Note : Lettres du 17 et 18 octobre 1556, à M. de Sanzay et au juge-prévôt, dans Travers, t. II, pag. 340].

En 1557, nouvelles plaintes des bourgeois ; suivant le conseil que leur a donné le gouverneur de la province, ils s'adressent au roi lui-même. « Sans aucunes charges ni informations, le sieur de Sanzay, détient les uns en prison tant qu'il lui plaist, menace les autres de leur faire perdre leur bien, et les tourmente si fort, qu'il n'y a plus marchand qui se veuille retirer audit lieu ni entendre audit trafic, ne juges audit pays qui veuille entreprendre cognoissance de ce, par dessus ledit sieur de Sanzay, homme du tout inexpérimenté au fait de la justice.... Si cela continue, ils seront contraints de quitter la ville et de se retirer ailleurs, etc. ».

Henri II, dans des lettres bien curieuses, reconnaît la vérité de toutes ces plaintes, et énumère les funestes résultats de la conduite de son lieutenant pour ses sujets et pour l'autorité royale ; il lui ordonne expressément de ne plus commettre de pareilles illégalités, et enjoint à la cour du Parlement de faire bonne justice. Et cependant le sieur de Sanzay ne change en rien de conduite (Act. de Bretagne, t. III, col. 1202, 1204).

Lorsque Nantes, vers l'époque de la conjuration d'Amboise, était pleine de trouble et d'agitation, le duc de Guise, dans une longue lettre au duc d'Etampes, lui dit qu'il ne faut pas se servir du comte de Sanzay pour contenir le peuple. « Je crains fort que le mal contentement que le peuple a de lui soit plus cause de les faire soulever que la crainte de ses poursuites... » (Act. de Bretagne,t. III, col. 1248).

L'irritation, encore augmentée par les querelles naissantes de la Réforme, est en effet à son comble. « Je vois qu'il y a des gens à cette heure, écrit M. de Bouillé, lieutenant-général, au duc d'Etampes, qui ne craignent plus rien, c'est une mauvaise augure quand l’on ne craint point son prince ».  Et quelques jours après : « Ceux qui jugent de loin à quelle fin peut tourner cela, disent que c'est le vrai commencement de venir à la sédition, etc. » (Act. de Bretagne, t. III, col. 1252, etc. Mellinet, Histoire de la Commune et de la Milice de Nantes, t. III, p. 164). Ainsi, déjà c'est le gouvernement lui-même qui est en cause ; c'est lui qui sera naturellement responsable des fautes et des actes tyranniques de ses agents. M. de Sanzay doit néanmoins rester toujours à Nantes ; un pouvoir occulte semble le maintenir dans la ville ; tous les gouverneurs de la province avouent l'impossibilité d'administrer avec un homme d'une humeur aussi désagréable ; la cour ne nie pas son caractère hautain et brutal ; le conseil de la commune emploie son temps à des débats continuels avec ce capitaine. Tout le monde est contre lui ; même lorsqu'il n'a pas tort, on trouve moyen de le blâmer, tant le mécontentement est général, mais il tient bon avec une admirable opiniâtreté, cherchant toujours à vexer ces Nantais, auxquels il avait juré haine et vengeance.

Au moment où l'union était si nécessaire entre les habitants et le gouvernement, les lieutenants du roi se montrent continuellement ennemis déclarés de la commune et de la milice bourgeoise. Agents de l'autorité, ils manifestent en toute occasion leur antipathie pour ces institutions de liberté qui portent entrave à leur bon plaisir ; et la royauté, suivant de funestes habitudes, ne sait pas se décider, se prononcer avec franchise et fermeté.

Par exemple, le comte de Sanzay prend plaisir à désarmer les habitants, dont, il ne cesse d'accuser la malveillance, sans motif et même sans prétexte ; il remplit la ville de soldats, pour mieux les tourmenter. En 1570, après la paix de Saint-Germain, il fait entrer deux compagnies de vieilles bandes, et M. de Bouillé, trompé par lui, ordonne de les loger chez les habitants et de les nourrir à leurs frais, malgré la résistance du Maire, malgré les prières des gens de justice et de l'évêque lui-même. Et cependant, dans une lettre au comte de Retz, il avouait que « pour comtempter ce pays, il vauldroit mieux que le roy se repose aux habitants des villes de la garde d'icelles, et qu'il en oste lesdites deux compagnies ». Les bourgeois continuaient de réclamer auprès du comte de Retz et du duc de Montpensier, gouverneur de la province, « afin qu'ils se puissent ressentir du bien de la paix, comme font par la grâce de Dieu les aultres pays ». L'affaire est portée jusqu'au roi qui donne enfin gain de cause à la ville. Les conflits recommenceront cependant bientôt après (Voir les lettres citées par Travers, t. II, passim).

En 1574, après de longs démêlés, une grande assemblée a lieu sous la présidence de l'évêque, pour pacifier la ville. Les détails de la réunion consignés dans les registres de la municipalité, montrent l'irritation des bourgeois et l'insolence des capitaines (Archives de Nantes, 5 mars 1574).

Le comte de Sanzay accusait le Maire et les échevins d'ignorance et d'incapacité ; il ne pouvait surtout souffrir que les maires fussent annoblis, et faisait tous ses efforts pour que ce privilége leur fût retiré ; il voyait aussi avec grand déplaisir l'institution toute bourgeoise des juges de commerce. « Les juges-consuls, disent les habitants, ont déjà expédié deux à trois mille causes, sans une seule appellation, sans qu'il en coûte aux pauvres parties ; chose contraire à la bourse des juges, advocats, procureurs et sergents, qui est ce qui les faict crier ; et se sont bandez avec ledit lieutenant contre lesditz maire, eschevins et juges-consuls ; et en sorte que tous ensemble les vouldroient voir pendre ». Ils ajoutent, ce qu'ils avaient déjà répété plus d'une fois : « Si le lieutenant avait juridiction sur les maire et eschevins, il seroit plus avantageux aux habitants de quitter la ville, car il en feroit mourir beaucoup au château de faim et de froid... Il a déjà constitué les habitants dans une mise de plus de 20.000 livres par les voyages qu'il a fallu faire à la cour pour s'y défendre de ses calomnies et autres choses, etc., etc. ». La querelle continue les années suivantes ; le comte de Bouillé, le gouverneur de la province, la cour ne savent ou ne veulent rien décider. Le comte de Sanzay était alors soutenu dans toutes ses entreprises, aidé dans toutes ses vexations par ses fils, et surtout par Aimé ou Anne de Sanzay, comte de la Magnanne [Note : Ce comte de la Magnanne est assurément le même que celui que doit jouer un certain rôle à l'époque de la Ligue ; nous le retrouverons plus tard. Partout il est donné comme fils de René de Sanzay ; cependant M. A. de Barthélemy, dans une notice sur ce personnage, dit qu'il était le frère du gouverneur de Nantes. Mais nous croyons qu'il a fait confusion, et il nous est difficile de voir le même personnage dans le sieur de Sanzay, gentilhomme de la chambre d'Henri II en 1555, et le comte de la Magnanne, qui aurait vécu jusqu'en 1624. (Anne de Sanzay, comte de la Magnanne, par A. Barthélemy. Saint-Brieuc, in-8° de 34 pages)]. Déclarés à plusieurs reprises, grandement suspects à la ville, ils avaient même plusieurs fois excité les soupçons du gouvernement. Le comte de la Magnanne s'entendait peut-être avec les calvinistes ; du moins, on l'en croyait capable. Enfin, Henri III en 1580, envoie le président Morin chargé de faire accepter un règlement déterminant les droits de chacun, mais aussi avec la mision secrète de surveiller cette dangereuse et audacieuse famille. C'est là l'objet d'une douzaine de lettres, écrites au commencement de cette année ; elles montrent que le gouvernement a évidemment le désir de ne blesser personne ; mais, si le roi engage les habitants à l'obéissance, c'est avec circonspection et faiblesse : on sent que l'autorité manque d'énergie et ne saura pas se faire respecter (2). Sanzay et son lieutenant sont mandés à la cour, mais ils ne se hâtent pas d'obéir ; enfin, le vieux comte se décide à quitter Nantes, mais il n'a pas honte de demander de l'argent à la ville : à la sollicitation du maréchal de Retz, on lui accorde 150 écus d'or, tant les habitants étaient heureux d'en être débarrassés ; déjà pour éloigner le comte de la Magnanne, on l'avait chargé d'une mission quelconque pour la cour, en lui donnant une assez belle somme d'argent (Registres de la ville, Archives de Nantes).

Presque tous les officiers du roi se montrent également durs et méprisants à l'égard des bourgeois ; ils songent beaucoup plus a leurs intérêts qu'à ceux de leurs administrés, ils ne savent que vexer et irriter, Ainsi, le comte de Martigues écrivait lettres sur lettres aux habitants de Nantes, en 1568, menaçant le maire et les échevins de sa colère, si la ville n'était pas, sur le champ, approvisionnée et fortifiée. Voici l'une de ces lettres :

« Messieurs, tout cela ne sont que des paroles, qui n'approchent quasi point des effets, et, comme j'ai été bien averti, que vous et les habitants de votre ville ne faites que peu ou point de devoir à cela, je mande à messire le sénéchal qu'il vous y contraigne tous, voyre par emprisonnement de vos personnes, et qu'il se prenne particulièrement aux plus grands, à ce que les autres y prennent exemple ; priant Nostre-Seigneur qu'il vous donne, messieurs, ce que vous désirez. – Vostre bien bon ami, Bastien de Luxembourg ». L'ironie est complète. M. de la Hunaudaye, lieutenant-général en Bretagne, n'excite pas moins de mécontentement que M. de Sanzay ; lui aussi veut, à chaque instant, faire entrer ses compagnies de soldats dans les villes de son gouvernement, faire payer ses troupes par le diocèse ; on lui résiste, il se venge en établissant des règlements plus que sévères, au sujet de la garde de Nantes ; il insulte hautement les bourgeois, disant « que ces quenailles d'habitants lui voulloient faire la loy, mais, auparavant que ce fust quinze jours, qu'il auroit ses forces, qu'il les leur feroit sentir, et les mattroit bien » (Travers, t. II p. 508-509).

Les remontrances de la ville, présentées par l'évêque, sont curieuses et pour la forme et pour le fond ; le maire, Antoine de Brenezay, prend beaucoup de précautions dans son exorde. « Au reste, comme il sçait bien que les apennaiges de son estat et charge de maire, prœter multa rei familiaris incommoda, sunt publicœ inimicitiœ et calumniœ privatorum ; tout ainsy, d'un costé, il ne désire à calumniâ plebis sese vindicare, ne quis desertam à se rei publicœ curam arbitretur ; aussi, supplie-t-il, omnes qui adstant, sibi testes esse ; que, de sa part, il ne veult dire et ne dira chose aulcune, in contumeliam et offensionem dudit seigneur de la Hunaudaye, ainsi seulement, necessitate officii coactus, etc. ».

Les excès de la Hunaudaye sont énumérés ; l'effroi ou plutôt l'irritation est dans la ville ; l'on ne poursuivra pas devant le conseil du roi, à cause des difficultés du temps ; la Hunaudaye se contente de répondre quelques vaines paroles. Bientôt, nouvelles plaintes adressées par la ville au maréchal de Retz, au duc de Montpensier, à Henri III ; les habitants le supplient de choisir plutôt pour les gouverner, le comte de Fontaines, qui, cependant, ne valait pas beaucoup mieux, comme il le montra à Saint-Malo, et qui ne songeait qu'à s'enrichir ; c'est dans cette dernière lettre que l'on peut voir l'énumération détaillée de tous les abus, de toutes les insultes dont la Hunaudaye s'était rendu coupable, et qu'il devait continuer, car il fut maintenu (Travers, t. II, p. 523, 537, 540).

La ville n'avait cessé de souffrir et de lutter contre ses gouverneurs, elle devait les regarder comme de véritables ennemis ; aussi, vit-elle avec douleur, vers cette époque, Henri III nommer les sieurs Cambout et de Cassion, ses lieutenants, pour commander alternativement, chacun six mois, dans la ville et le château de Nantes. De très-humbles remontrances sont adressées Henri III ; elles font voir clairement et vivement sentir les défauts de ce mode de gouvernement ; elles rappellent les droits et les libertés de la province trop souvent violés. « La première requeste que les gens des trois Estats de vostre païs et duché de Bretaigne, qui tousjours, entre aultres nations, ont révéré les coustumes antiennes, esquelles ils ont esté nouris en obéissance, présentèrent aux feus noix de très-heureuse mémoire Charles VIII, en l'an 1491, Loys XII, l'an 1498, et François Ier, en 1532, tendoit à ce que fust le bon plaisir de leurs majestez les maintenir en leurs privillaiges et cousturnes antiennes, craignant les nouvelles ; ce qui leur fust accordé, non-seulement sur leur requeste tant raisonnable, mais leur fuct promys et juré, par pacts et exprès contracts solempnels et conventions publicques » (Travers, t. II, p. 513). Le roi, après avoir suspendu l'affaire pendant quelque temps, n'obtempéra pas aux sages demandes des Nantais, et cela sans raison vraiment impérieuse, sans motif politique, par faiblesse, par incurie, ou par dédain des souffrances de la bourgeoisie [Note : Lettres d'Henri III aux habitants de Nantes et à M. de Montpensier (4 déc. 1580) ; de Catherine de Médicis aux mêmes (15 et 16 déc.) - Registres de Nantes (aux archives)].

Les rois, il faut le reconnaître, n'avaient pas accordé aux villes des libertés municipales, uniquement dans l'intérêt de leurs sujets ; c'était aussi pour obtenir plus facilement des subsides, comme jadis Philippe-le-Bel, lorsqu'il appelait les bourgeois aux grandes assemblées de la nation. Ceux-ci étaient toujours, aux yeux des rois et des nobles, la gent taillable et corvéable à merci ; et souvent, dans leur conduite, il y a un sans-gêne admirable, qui sert à expliquer comment, à la fin du XVIème siècle, là royauté parvint, à force de maladresses et de vexations, à perdre toute sa popularité.

Par exemple, le commandant général des galères se rend à Nantes, en 1560, pour surveiller les mouvements des calvinistes ; il emprunte une assez forte somme à la ville, il meurt. Le roi se charge de la dette ; puis, attendu l'épuisement de ses finances, il prie les habitants de lui faire remise entière (Act. de Bretagne, t. III, col. 1246. Travers, t. II, p. 355). En 1562, la ville, considérablement endettée, doit faire un emprunt nouveau à 8 pour 100, pour payer les soldats chargés de la défendre. En 1568, le gouverneur de Bretagne, M. de Martigues, écrit aux habitants : « Le roi a ordonné qu'une compagnie d'arquebusiers fût nourrie par eux, Sa Majesté n'ayant, pour ceste heure, moyen ni denier pour leur faire monstre ». Quelques jours après, Charles IX leur enjoint de fournir le l’ogement et la nourriture à vingt hommes : « car, à cause des grandes despenses qu'il convient faire fournir payement des estrangers, il n'est possible faire fournir argent auxdits souldarts » (Travers, t. II, p. 404-427).

En 1575, le maire et les échevins de Nantes se plaignent que les galères, chargées de protéger les navires qui entrent dans la Loire, pillent les marchandises et rançonnent les marchands. Peu après, ils s'adressent de nouveau à la Hunaudaye ; les objets même de première nécessité, blés, vins, beurre, sel, etc. sont enlevés par les soldats ; l'on demande, mais en vain, restitution ou indemnité (Archives municipales de Nantes).

Les gouverneurs et lieutenants des villes trouvent aussi moyen de lever des impôts, sans ordonnance royale et octroi des habitants, ou bien leurs troupes pillent les cités et les campagnes ; l'on entre en arrangement avec eux pour ne pas être pillé ; on paie, ou bien eux-mêmes, abusant de leur autorité, en profitent pour vexer et tyranniser de mille manières les bourgeois, et ceux-ci paient encore pour calmer les gouverneurs. La mairie de Nantes donne de l'argent à la Hunaudaye pour faire cesser les exactions de son régiment, fournit du pain et du vin aux soldats, qui vivaient à discrétion dans le diocèse, puis 100.000 rations de pain et 100 pipes de vin pour le camp devant Montaigu, etc., etc. Le capitaine de Tilly, chargé par Henri III de démolir les fortifications de cette place, refuge des calvinistes, écrit une piteuse lettre à MM. de la ville. « Il jure en parole d'honneur que, sans plus de délai ni longueur, leur province sera libérée du doubte de cette place… Puis, comme le roi ne l'a pas payé depuis six mois, — car ceux qui demandent de l'argent à la cour n'ont audience, quand ils veulent, — comme il est endetté, il demande quelque honnête gratification, dont il leur sera obligé le reste de ses jours ». La ville ne donna rien cette fois ; Montaigu ne fut pas démantelé. Quel désordre ! (Travers, t. II, p. 511, 517, 518, 526).

En septembre 1579, Nantes était pleine d'irritation ; le roi même craignait, dit-on, un soulèvement ; il venait d'envoyer un fidèle conseiller pour s'assurer des dispositions du peuple. Les habitants protestent, il est vrai, avec emphase, de leur fidélité au roi, mais aussi de leur attachement au catholicisme. Puis, ils demandent la confirmation de leurs contrats et accords faits avec Sa Majesté, l'abolition des gabelles et des nouvelles impositions, qui doivent ruiner le commerce de la ville. Le roi, pour toute réponse, ordonne de garnir de vivres le château, aux dépens du comté ; alors la municipalité arrête de former opposition aux ordres du roi (Registres de la ville).

Les temps, sans doute, étaient difficiles, les besoins de la royauté de plus en plus pressants ; mais c'est alors, surtout, que le gouvernement et ses agents auraient dû montrer, à la fois, de la modération dans leurs exigences, une juste fermeté dans leurs actes. Lorsqu'on apprenait les dépenses scandaleuses d'Henri III pour ses chiens et ses perroquets, ses prodigalités à l'égard de ses favoris, pouvait-on ne pas murmurer ? l'opposition n'était-elle pas naturelle : la résistance imminente ? Aussi, les habitants demandaient-ils la confirmation de leurs libertés, l'abolition des nouveaux impôts qui les accablaient, et déjà commençaient à se former des associations, des ligues, que n'avaient pas seulement pour but la conservation du catholicisme, niais encore la défense des vieux priviléges, des anciennes franchises de la province.

(M. Grégoire).

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