|
Bienvenue ! |
LES ÉCOLES ET LES MÉDECINS EN BRETAGNE au XVème SIÈCLE |
Retour page d'accueil Retour page Histoire de Bretagne
Il est difficile de se rendre compte avec exactitude du nombre et de la situation des écoles en Europe au moyen âge. L'Etat ne s'occupait point de l'instruction publique, dont il abandonnait le soin aux particuliers et à l'Eglise. Les différentes écoles étaient entièrement indépendantes. Elles avaient des revenus réguliers, que grossissait la rétribution des écoliers, et qui suffisaient largement à l'entretien des maîtres. La Bretagne n'avait pas d'Université. Les jeunes gens qui voulaient compléter leur instruction allaient achever leurs études aux Universités de Paris ou d'Angers. C'est ainsi que le 7 septembre 1487, François II autorise deux clercs, maître Mathurin Baczart et maître Pierre Ducélier « de aller étudier hors le pays et duché de Bretagne, et avec eux porter or et argent vitailles et autres choses pour eux nécessaires » [Note : Archives de la Loire-Inférieure. Reg. de la chancell. 1487, folio 261, verso].
On voit avec bonheur le duc Jean V, en 1434, accorder une pension de 10 livres à un écolier du pays de Rennes, Jean Eudes, « pour lui aider à se tenir ès écoles à Paris, pour le bon rapport fait au duc de son engin » [Note : Act. de Brest, II, 1259]. La plupart des jeunes gens qui allaient si loin pour s'instruire, étaient des clercs âgés de vingt à trente ans. C'étaient des étudiants, plutôt que des écoliers. En général, ils se plaçaient comme pensionnaires chez un bourgeois ou chez l'un des docteurs de l'Université dont ils suivaient les cours [Note : Arch. nat. J. J. 219, folio 102, verso]. François II essaya en 1460 de donner à la Bretagne un grand établissement qui manquait à son duché. Il fonda l'Université de Nantes et assura aux professeurs une dotation annuelle de 200 livres [Note : Arch. de la Loire-Infér. Reg. de la chancellerie 1486, folio 152, verso]. Son but était d'assurer ainsi à la jeunesse bretonne ce que nous appellerions de nos jours l'instruction supérieure.
Quant à l'instruction primaire et secondaire, elle était moins répandue au XVème siècle qu'au XIXème. Il ne faut pas croire cependant qu'elle fût négligée. Le seigneur, pour administrer ses domaines, le marchand, pour tenir ses comptes, le gentilhomme pauvre et le bourgeois ambitieux, pour exercer quelque fonction lucrative dans le notariat ou la judicature, avaient besoin de s'instruire. Les notables de chaque paroisse pouvaient devenir fabriqueurs et trésoriers. Ils avaient des recettes à noter, des dépenses à enregistrer. Il leur était nécessaire d'apprendre à écrire. Aussi les illettrés sont rares dans la noblesse, la bourgeoisie, et parmi les paysans qui possèdent quelque aisance.
On peut distinguer en Bretagne, au XVème siècle, trois sortes d'écoles. Ce sont d'abord les écoles ecclésiastiques. Chaque diocèse a la sienne. A Nantes, l'école épiscopale dépend du sous-chantre de la cathédrale, qui a pour attribution de tenir une école d'enfants, auxquels il enseigne le chant, la musique, l'alphabet, le psautier et les matines. Il a le droit de la faire diriger par les autres chantres, et de prélever sur eux un salaire. Il peut interdire aux autres maîtres de la ville de tenir des écoles semblables à la sienne, et confisquer les livres qui leur permettraient d'empiéter sur ses droits [Note : Rev. de Bret. et de Vend. juin 1876, l'Université de Nantes, ses origines, par M. Maître, archiviste de la Loire-Inférieure]. A Dol, la maître-écolerie attachée au chapitre occupe un grand espace de terrain, et d'importants immeubles estimés au prix de 419 livres bretonnes [Note : Arch. de la Loire-Infér. Reg, de la chancellerie, 1480, folio 182, recto].
Nous trouvons. ensuite les écoles, paroissiales. Il y en avait dans toutes les provinces de France [Note : Arch. nat. J. J.. 218, folio 1, recto]. La Bretagne n'en était pas plus dépourvue que les pays voisins. Leur existence est prouvée par un document curieux que nous avons recueilli dans les archives de M. le comte de Goesbriand, au manoir de Kerdaoulas. « Aujourd'huy en jugement comparut et fut présant Auffroy de Goazbriand, de nom, et comme tuteur et garde de Jehan, Geffroy et Pierres, enfans de feu Jehan Jagu, lequel dist et signiffie à la court de céans, qu'il a la garde des personnes desdicts mineurs, et les tient et gouverne de vivres et de vestements, et vont à l'escolle chaque jour, et un clerc avecques eulx, dont il a une grand charge et coustage, et supplia à ceste court de luy ordonner somme certaine, pour en faire dessus la levée desdits mineurs, et de ce que luy sera ordonné, lui bailler relacion, pour lui valoir où mestier en aura. Sur quoy, après que la court de céans fut suffisamment informée par plusieurs tesmoings dignes de foy du donné entendre dudict Goazbriand ès noms, luy fut assigné de l'assentiment des assistants en ladicte court, pour ainsi tenir lesdicts mineurs et leur clerc, la somme de quatre tonneaulx de froment dessus la levée d'iceulx mineurs eschue à la Saint-Michel derraine, et ung tonnel de froment dessus la levée précédente, qui font cinq tonneaulx de froment, à les avoir pour cette présente année, sauff à faire raison du plus ou du moins, ainsy que la court verra estre expédient pour ung aultre temps. Et de ce demanda ledict Goazbriand avoir relacion, qui luy feut baillée présentement, pour luy valloir et servir où métier en aura. Faict ès généraux plaids de Guingamp le 21e jour de novembre, l'an MCCCCXLI. — Henry PASSE ».
Cette pièce nous montre que dans les grandes familles on ne se bornait pas à envoyer les enfants aux écoles, on leur donnait en outre un clerc pour les diriger. Ils avaient ce que nous appellerions un répétiteur. Les grands seigneurs faisaient instruire leurs enfants chez eux, et entretenaient des précepteurs qui faisaient partie de leur maison. Le vicomte Jean de Rohan, qui joua un si triste rôle dans la guerre de Bretagne, avait eu pour précepteur Bernard Le Guidec, docteur en théologie, auquel il assigna une pension de 100 livres sur la recette de Landerneau. Jean Auchier, maitre d'école du seigneur de Léon, fils aîné du vicomte de Rohan, recevait 30 livres de gages, sans compter sa nourriture et son entretien [Note : Arch. de la Loire-Infér., E 190].
Les villes de Bretagne ont des écoles régulièrement organisées, et qui semblent avoir été suivies par une jeunesse nombreuse. Les plus florissantes sont celles de Rennes, Nantes et Vannes. Leur régime est l'externat. Les enfants vivent ainsi dans leur famille. En se rendant à l'école, ils se réunissent, dissertent avec leurs camarades, répètent et répandent les nouvelles, commentent les derniers événements politiques, dont ils ont entendu parler chez leurs parents. En un mot, ils s'occupent de politique, comme font quelquefois les écoliers du XIXème siècle [Note : Arch. de la Loire-Infér., E 192, déposition de Guill. de Forest et de François Le Saulx].
La ville de Tréguier avait un collège véritable, fondé en 1325 par Guillaume Coatmohan, qui avait assuré des bourses aux étudiants pauvres [Note : Actes de Bret., II, 1787]. Mais les écoles les mieux tenues et les plus florissantes étaient celles de Rennes. En 1492, l'assemblée municipale résolut de les réunir et de faire construire un vaste édifice pour les y placer. La ville acheta le terrain nécessaire. La construction, suivant l'usage, fut mise en adjudication et adjugée par les miseurs à Michel Maignée, au prix de 719 livres. Les travaux commencèrent immédiatement. Mais les maîtres d'école se réunirent et déclarèrent à l'assemblée que les bâtiments que l'on allait construire étaient insuffisants pour le nombre de leurs élèves. La ville tint compte de leurs réclamations, et dépensa 1070 livres au lieu de 719. Citons ici la pièce la plus importante de ce remarquable épisode :
« Comme par avant ces heures ait esté par les officiers et habitans de ceste ville de Rennes dellibéré et ordonné estre faict et édiffié en ceste ville une maison pour tenir les escolles, et par l'estat de la ville ordonné deniers pour les y employer, le lieu pour faire laquelle maison ait esté advisé au lieu et plasseix des vieilles monnoyes, près la chapelle Sainte-Martin, et le devis d'icelle maison faict et ordonné, et sellon iceluy baillé à Michel Maignée, pour faire et édiffier à certains termes et prix auquel il soit demouré comme derrain rabattant à la chandelle estaincte, et que depuis tout ce, et en commenczant icelle maison, aît esté trouvé par aucuns des maistres tenant en ceste dicte ville les escolles, que icelle maison ne seroit assez longue, eu esgard au nombre des maistres, queulx chacun jour assistent à monstrer ès dictes escolles, et que il seroit requis la faire de plus grand longueur que n'est ledict devis de dix piés, et que de ce ils ayent faict raport à messire Guy Paysnel, seigneur de Vaufleury, lieutenant de monseigneur le cappitaine : En ce jour, sur les édiffices se sont compareus ledict seigneur de Vaufleury, Jehan Guéhenneuc, l'un des connestables de ceste dicte ville, Jehan Baud, Guillaume Marie, Gilles Bourgneuf, Pierre Boisguérin et aultres plusieurs demourans en ladicte ville, maistre Thomas Royer, dom Guillaume Guillart, maistres desdictes escolles, et chacun, et empuis avoir veu et visité le commencement dudict œupvre, en présence dudict Michel Maignée, et trouvé que de faict il falloit croistre la longueur d'iceluy de dix piés, oultre ledict devis dudict édifice, a esté ordonné et commandé audict Michel Maignée faire ledict édiffice de dix piés de longueur plus que ne se montent ledict devis et baillée luy faicte ; par ce que a esté ordonné audict Michel Maignée estre payé par les miseurs de ceste ville, et sur les deniers d'icelle, oultre le pris auquel il a pris les édiffices, à l’esquipolent, pié pour pié que il augmentera, oultre les deniers que il avoit de salaire pour ledit édiffice, sauf à luy rabattre à esgard de gens en ce congnoessants la creusée et faczon d'une cave que il devoit faire en cedict édiffice, que a esté regardé n'y devoir estre faicte. Quelle augmentation du poyement sera, veu ledict édiffice, calculée et apurée par quatre des notables gens de ceste ville se congnoessant en édiffice, et l'oultre plus du poyement que feront lesdicts miseurs, oultre le pris convenu par la première baillée, quel sera apuré ainsy que dessus, vauldra auxdicts miseurs rapportant cestes présentes. Faict et expédié le vingt et uniesme jour de novembre, MCCCCXCII [Note : Archives de Rennes. liasse 46].
Les travaux commencés par Michel Maignée en 1492, furent achevés en 1493. Le 13 janvier 1494, l'assemblée municipale les fit examiner par une commission, qui s'adjoignit des maçons, des charpentiers et des couvreurs, pour tout observer en détail. L'œuvre fut déclarée « renable », et les miseurs reçurent ordre de payer à l'entrepreneur une somme de 1070 livres bretonnes, valant près de 40,000 francs en monnaie de nos jours.
La rareté et la cherté des livres étaient un grand obstacle au développement de l'instruction. En 1481, en une seule année, les livres de grammaire achetés pour le seigneur de Léon coûtèrent 16 livres, 2 sous, 6 deniers, qui vaudraient 720 francs de nos jours [Note : Archives de la Loire-Inférieure, E 190]. Le seigneur de Léon avait à peine dix ans. Aussi les bibliothèques constituaient un luxe réservé aux couvents et aux grands seigneurs. Il n'y avait pas, comme de nos jours, des libraires dans toutes les villes. Les livres ne se répandaient que par le colportage. Les libraires, comme les autres marchands, parcouraient les foires et les marchés avec leur cargaison. Quand ils ne partaient pas eux-mêmes en campagne, ils envoyaient leurs commis à leur place. En 1480, au mois de juin, un libraire, maître Guillaume Touzé, expédia une cargaison en Basse-Bretagne. Il la confia à un aventurier de Cornouaille appelé Guillaume Delépine. Ce dernier devait parcourir pendant deux ans les évêchés de Vannes, Cornouaille, Léon, Tréguier et Saint-Brieuc. Il emportait des livres pour une valeur de 500 livres, soit 18,000 francs de nos jours. Il s'engagea à rendre compte de ses opérations tous les six mois et à livrer à Touzé l'argent qu'il aurait reçu. Son patron lui assurait à titre de salaire vingt écus par an. Delépine se mit en campagne, et vendit rapidement un grand nombre de livres. Il encaissa de belles recettes. Mais il négligea d'en rendre compte à Touzé. Il fallut mettre les officiers de justice à ses trousses pour l'arrêter [Note : Arch. de la Loire-Infér. Reg. de la chancell., 1480, folio 180, verso].
La Bretagne possédait au XVème siècle un grand nombre d'hôpitaux et d'institutions charitables. On comptait deux hôpitaux à Rennes, deux à Nantes. Il n'était pas de ville qui n'eût au moins une maison destinée aux malades. Les maladreries étaient encore plus nombreuses que les hôpitaux. Le savant archiviste de la Loire-Inférieure, M. Léon Maître, en a compté quinze dans le seul évêché de Nantes. Malgré tous les secours que la charité offrait aux malades, les épidémies étaient fréquentes et désastreuses. Il n'y a pas d'année où le gouvernement ne soit forcé d'accorder des dégrèvements de rouages aux paroisses dévastées par la peste. En 1462, il fallut dégrever toutes les paroisses de l’archidiaconé de Porhoët. « Nous avons été et suymes dûment acertenés, disait le duc, que le cours et pestilence de la maladie d'épidémie a tellement regné, et encore regne es mectes et endroits d'icelui archidiâconé, que le peuple y est fort diminué et amoindri » [Note : Arch. de la Loire-Infér. Reg. de la chancell., 1462, folio 119, verso]. La même année, le population de Rennes est décimée par un fléau qui met en fuite les habitants aisés [Note : Arch. de la Loire-Infér. Reg. de la chancell., 1462, 7 novembre]. En 1467, la mortalité est si grande dans la paroisse de Cléden-Cap-Sizun qu'il faut accorder aux habitants un dégrèvement pour dix ans [Note : Arch. de la Loire-Infér. Reg. de la chancell., 1467, folio 117, verso]. En 1464, une autre, épidémie sévit à Rennes et force les fermiers des revenus municipaux de demander une réduction sur le Prix de leurs fermes [Note : Arch. de la Loire-Infér. Reg. de la chancellerie, 1464, folio 21, recto].
Nous ne poursuivrons pas cette énumération. Il nous serait facile de multiplier les exemples. Ceux que nous venons d'indiquer suffisent pour montrer le déplorable état sanitaire des populations du XVème siècle. Pour résister aux fléaux qui venaient les atteindre, leurs ressources étaient dérisoires. Les médecins ne faisaient point complètement défaut ; mais ils étaient rares, et souvent fort ignorants. Les grands seigneurs avaient généralement un médecin attaché à leur service. Ils lui assuraient de 40 â 100 livres de gages. Comme il avait en outre « bouche à cour » et le droit de consacrer son temps au service des petites gens du voisinage, le médecin d'un grand personnage avait en somme une situation assez brillante. Le duc François II, à qui ma mère avait inspiré le goût des sciences et des études libérales, attira plusieurs médecins en Bretagne. Il les établissait dans les villes, en leur assignant une pension sur les revenus municipaux. Ils étaient médecins titulaires du duc. Mais ce n'était là qu'un titre honorifique, analogue à celui que briguent parfois certains négociants, qui s'intitulent volontiers fournisseurs de tel ou tel souverain. Ces médecins n'étaient pas au service du duc, mais de la ville ou le duc leur ordonnait de fixer leur résidence. Pour les retenir en Bretagne, François II les comblait de faveurs. En 1468, il assura à maître Mathieu Brigault une prébende de chanoine à Auray pour soigner les malades de l'hôpital de cette ville [Note : Arch. de la Loire-Inf. Reg. de la chancellerie, 1467, f° 2., v°]. En 1488, il autorisa un médecin de la ville de Nantes, maître Nicolas Vépret à, exporter en France par la Loire, soixante muids de sel, sans payer aucun droit de douane [Note : Arch. de la Loire-Inf. Reg. de la chancellerie, 1488, folio 185, verso]. Les médecins obtenaient également de lui l'exemption des tailles et des fouages, du guet et de la garde des portes [Note : Arch. de la Loire-Inf. Reg. de la chancellerie, 1473, folio 133, recto]. En 1488, effrayé du nombre des pestiférés qui encombraient à Nantes les hôpitaux, voyant que la ville refusait de prendre un médecin à ses gages, il y appela un étranger Arthur Savaton et lui assigna d'office une pension annuelle de 50 livres sur les revenus municipaux. L'assemblée de la ville n'accepta qu'avec hésitation ce surcroît de dépense. Elle ratifia le mandement du duc, mais en faisant des réserves. En 1490, elle défendit au miseur de payer dorénavant les gages de Savaton [Note : Léon Maître, Hist. des Hôpitaux de Nantes, Ch. XVI].
La ville de Rennes se montra moins économe, ou plutôt plus intelligente que celle de Nantes. Elle tenait d'ailleurs le premier rang à la tête des villes de Bretagne. Plus peuplée et plus riche que Nantes, ainsi que le prouvent les mandements relatifs à la répartition de l'aide qui dans les villes remplaçait les fouages [Note : Entre autres, Arch. de la Loire-Inf. Reg. de la chancellerie, 1466, folio 65, verso], la ville de Rennes avait une industrie active, de grandes fabriques de drap [Note : Archives municipales de Rennes, liasse 65], et un commerce étendu avec la France, l'Espagne et les Pays-Bas. Les notables qui composaient l'assemblée municipale étaient de riches négociants, habitués à parcourir les grandes foires de France et des Pays-Bas, pour assurer un débouché aux produits de leurs manufactures. Ils avaient l'esprit cultivé, l'intelligence ouverte aux intérêts moraux de la ville. Nous avons montré tout à l'heure avec quel soin ils s'occupaient des écoles. Ils veillaient de même au bien-être de la population, à l'assainissement des rues. Le service de la voirie était mis chaque année en adjudication par les miseurs. L'adjudicataire s'engageait à parcourir trois fois par semaine les rues avec deux tombereaux pour ramasser les immondices [Note : Arch. de Rennes, v. les reg. des miseurs]. Pour prix de ce service, il recevait de la ville une indemnité qui variait de 25 à 40 livres.
Les bourgeois de Rennes avaient à leurs gages un rebouteur et deux médecins. Le rebouteur était Guillaume Bernier. Les gages n'étaient que de 3 livres par an, comme le montre la pièce suivante :
« En la congrégation et assemblée des officiers, bourgeois et habitants de ceste ville de Rennes, ladicte assemblée faicte ce jour en la maison de Vincent Le Valloys, pour disposer de l'estat et ordonnance des deniers de ladicte ville pour ceste présente année, s'est présenté Guillaume Bernier, adoubous des membres mal mis, quel a remonstré auxdicts officiers et bourgeois certaine promesse de recongnoissance d'aucun poyement et salaire pour résider en ceste dicte ville et subvenir aux personnes qui nécessairement ont à besoigner de l'aide et mestier dudict Guillaume, dont il n'a eu, et ne luy a esté faict aucune recongnoissance requérant sur ce le pourveoir à l'esgard de mesdicts seigneurs. Pourquoy a esté ordonné à Vincent Lesage et Thomas Lebreton, à présent miseurs de ceste dicte ville, poyer et bailler présentement audict Guillaume Bernier la somme de soixante solz, en attendant lui faire certaine ordonnance à l’estat des deniers de ladicte ville. Le onziesme jour d'apvril, avant Pasques, l'an 1499 [v. s.] » [Note : Arch. de Rennes, liasse 338].
Les gages des médecins étaient plus élevés que ceux du rebouteur. En 1472 les deux médecins de la ville sont maître Gilles Touraud et maître André Lefranc. Le premier reçoit 60 livres de pension. Le second, quoique pourvu du titre de docteur, n'a que 40 livres. Le duc ne tarda pas à les prendre nominalement à son service. Il assigna même à deux autres médecins, Thomas Lecomte et Jean Gaillard une pension de 60 livres sur les revenus de la ville. Les miseurs refusèrent de payer cette pension sur un simple mandement du duc. L'assemblée de la ville confirma la décision de François II, et adressa aux miseurs une ordonnance de payement. Rennes eut ainsi quatre médecins à ses gages. Ils étaient tenus de résider dans la ville. Ils pouvaient pratiquer dans les environs, mais à condition de ne jamais s'absenter tous ensemble. Deux d'entre eux devaient toujours se trouver à la disposition des habitants. Ils ne pouvaient s'éloigner sans l'autorisation des magistrats. Comme ils étaient étrangers, on leur accordait régulièrement deux mois chaque année pour vaquer à leurs affaires et faire un voyage dans leur pays [Note : Pour tous ces détails, arch. de Rennes, liasses 337 et 338].
Un de ces médecins, Thomas Lecomte, était normand. Il allait souvent à Rouen. Ses fréquents voyages finirent par inquiéter le gouvernement breton, qui se demanda si ce n'était pas un espion qui trahissait la Bretagne au profit du gouvernement français. Le 20 décembre 1486, François II ordonna aux habitants de Rennes de le casser aux gages et de le remplacer par Jean de la Roche. L'assemblée municipale obéit. Thomas Lecomte fut révoqué. Mais il ne tarda pas à revenir à Rennes. Il se justifia complétement, réfuta toutes les accusations portées contre lui, et recouvra sa pension. Jean de la Roche se trouva à son tour lésé dans ses intérêts. C'était cependant un homme de mérite. A la fois médecin et chirurgien, il avait acquis la confiance des bourgeois. Il s'était créé dans la ville et dans la banlieue une clientèle importante. Il avait montré du dévouement et s'était signalé dans une épidémie. Sa réputation était si bien établie qu'en 1487, quand éclata la guerre civile, il fut désigné pour soigner les malades de l'armée du duc de Bretagne. Nous publions ici une pièce assez curieuse, comprenant la liste des drogues que Jean de la Roche et ses confrères se firent envoyer de Rennes pendant la campagne :
En suyvent les espèces de médecines et drogueries prinses de Michel Carré pour maistre Guillaume Lebel, maistre Jehan de la Roche, maistre Guillaume de St-Lô, pour porter à l’ost :
4 livres bazilicon ....... 20 sous.
demi-livre
dyarnoron ....... 2 sous 6 den.
4 onces mastic ....... 6
sous 8 den.
2 livres empilaient de Jérimys ....... 10 sous.
2
livres miel ....... 20 den.
2 livres terbentine ....... 10 sous.
2 livres miel rosat
....... 5 sous.
2 livres blanc
rasi ....... 10 sous.
4 onces ongant fust ....... 15
deniers.
4 onces aloués ....... 5 sous.
4 onces
enssans ....... 20 deniers.
2 livres cire ....... 7
sous 6 den.
2 livres gratia dei ....... 10 sous.
1 livre
dyaquilon ....... 5 sous.
3 pintes huile rosat ....... 10
sous.
5 livres volarienne ....... 8 sous 4 den.
1 livre
apostolorum ....... 5 sous.
demi-livre catholicon ....... 10 sous.
demi-livre yerapigra
....... 6 sous 8 den,
demi-livre
benedicta ....... 6 sous 8 den.
une livre et demye pilules de
plusieurs sortes…… 6 livres.
2 livres métredat ....... 15 sous.
2
livres métredat ....... 15 sous.
1 livre sucre
candyt ....... 15 sous.
1 livre pénide ....... 8 sous 4
den.
1 livre réglisse ....... 20 deniers.
1 livre
anys ....... 2 sous 6 den.
Ordei librœ IV ....... 3
sous 4 den.
Sirupi violarum. libr. III ....... 15 sous.
Sirupi Eudiœ
libr. I ....... 15 sous.
Sirupi Buglossæ libr. I ....... 15
sous.
Sirupi cappily veneris libr. I ....... 10 sous.
4 livres
allemandes ....... 10 sous.
4 livres Sium ....... 16
sous.
Somme, 21 livres, 5 sous, 5 deniers [Note : Archives de Rennes, liasse
11].
Jean de la Roche fut d’ailleurs malheureux dans cette campagne. Ses bagages furent capturés par les troupes françaises. Lui-même fut fait prisonnier, et forcé de payer une forte rançon. Enfin, au retour de Thomas Lecomte, il perdit sa pension. Le 23 juillet 1488 il se présenta devant l'assemblée des bourgeois et rappela ses services. Il s'est marié à Rennes, et y demeure, exerçant la médecine et la chirurgie. Il s'est signalé par son dévouement pendant plusieurs épidémies, « dont plusieurs des habitants des parties d'environ et dudict lieu sont de luy bien contents ». L'année dernière « és mois de novembre et de décembre, du commandement des officiers et bourgeois, il est allé et fut envoyé à l’ost et armée du siège de La Chèze, pour servir de médecine et cirurgie, où il dépensa beaucoup de son bien, et pour ce que là ne trouvoit des apothicaires pourvus de drogues nécessaires à la science et vocacion, il prit chemin à s'en venir à ceste ville pour en avoir et emporter audict ost, et en son dict retour fut prins avecques plusieurs autres à Malestroit par les François, et destroussé de tout le bien qu'il avoit, et oultre tout ce, mis à grand tanzcon, quelle luy a convenu poyer, et pour ce faire, se endebter à plusieurs personnes, vers lesquelles il n'est pas encore quicte. Et encore à présent lesdicts officiers et bourgeois luy ont fait commandement d'aller en toute diligence à l’ost et armée généralle de Bretaigne allant à Foulgères, pour en jecter les François et les combattre ; lequel véaige ledict maistre Jehan a dict et remonstré luy estre impossible faire sans quelque ayde et subvencion, supliant et requérant estre receu aux gaiges et pensions par vertu du mandement du duc, et au parsus luy estre faict provision au bon plaisir des officiers et bourgeois, offrant véaiger et servir ainsi qu'il leur plaira lui commander et ordonner » [Note : Archives de Rennes, liasse 337].
L'assemblée municipale assigna a Jean de la Roche une pension annuelle de 40 livres, valant 50 livres tournois, 1,500 francs en monnaie de nos jours. Sa pension devait courir à dater du 2 février 1488. Les mireurs reçurent ordre de lui payer immédiatement le semestre échu. Cette pension ne formait d'ailleurs qu'une faible partie des profits de maître Jean de la Roche. Il employa avantageusement son séjour à Rennes, et acquit une fortune respectable, comme le prouve la requête suivante , qu'il adressa en 1494 à l'assemblée :
« A mes très honorez sieurs et messeigneurs les auditeurs de la Chambre des comptes de Rennes.
Supplie très humblement votre humble subject, maître Jehan de la Roche, médecin et cirurgien, demourant en votre ville de Rennes, exposant que au temps du vivant de feu louable, de bonne mémoire, le duc François que Dieu absoille, il demouroit près la rue St-Michel, ès forbourgs de Rennes, près bonne Nouvelle ; en laquelle il avoit quatre maisons, et les meilleures qui feussent en celle rue, lesquelles, pour doubte du siége que l'on disoit apposé devant ceste dicte ville, furent de nuyt par les Allemands brullées ; dedans lesquelles perdit tout le petit de biens meubles qui luy estoient demourés, et en ce eut dommaige de plus de 2,000 escus, tant pour la perte de ses dictes maisons, que de son bien meuble qui y fut brullé. Mesme remonstre ledict suppliant que, durant les guerres qui ont eu cours en ce pays et duché, il a esté par vous contrainct suyvre l'armée de cedict pays et duché de Bretaigne par tous les lieux où elle a esté, tant à Nantes, Redon, La Chêze, Vennes, St-Aulbin et aultres lieux, pour servir en l'art de médecine et cirurgie, où il a servi, sans en avoir esté nullement récompensé, par l'espace de troys ans et plus ; en quoy il a eu et porté dommaige à la valeur de plus de 500 livres : car il fut prins prinsonnier des gens de Monseigneur de Rohan, avecques lesqueulx lui cousta, comprins sa defferre, 300 escus et plus, et dont plusieurs desous ont congnoissance. — Item, remonstre ledit suppliant qu'il est chargé de femme et grand nombre d'enfants, et le bien qu'il avoit pu amasser tout le temps de sa vie, pour la substentacion de il, sa femme et enfants par les manières susdictes, il a perdu, et en oultre s'est grandement endetté à plusieurs personnes, n'a de quoy se pouvoir acquicter, ne substenter sesdicts femme et enfants, si par vous ne luy est subvenu. — Desquelles pertes, vostre dict suppliant n'a osé par avant ces heures vous en faire remonstrance ne oppression donner, obstant les guerres et grandes affaires et nécessités qu'il congnoissoit estre sur les deniers de ceste ville. — Qu'il vous plaise à tout ce que dessus avoir esgard, en considérant que lesdictes pertes que a soutenues et portées, et à présent porté encore et faict de jour en oultre votre dict suppliant à vous servir ou faict de médecine et cirurgie, et lui impartir de votre grâce quelques deniers, pour ce de quoy avoir maison pour soy habiter, ou aultrement, votre dict suppliant, sa femme et enfants sont à jamais destruicts et réduicts à toute povreté, combien que par avant le temps de la guerre, il eût de coustume de bien et honnestement sellon son personnaige et estat, vivre. Et il priera Dieu que vous doint bonne vie et longue, et paradis à la fin. Amen. » [Note : Arch. de Rennes, liasse 338].
L'assemblée municipale fut touchée de cette requête. Elle accorda à maître Jean de la Roche une indemnité de dix livres. Cette indemnité nous paraît dérisoire. Mais il est probable que la misère du savant docteur était moins grande qu'il ne le prétendait. Au XVème siècle, quiconque avait une grâce à demander, ne manquait jamais d'exagérer sa détresse. L'administration bretonne était habituée à ces exagérations. Elle agissait en conséquence.
André Lefranc, un des médecins de la ville de Rennes, mourut en 1500. Il eut pour successeur maître Simon Bényon, maistre ès arts , et licencié en médecine. Le 5 avril 1505, l'assemblée de la ville se trouvait réunie au logis du chancelier Philippe de Montauban. Le procureur des bourgeois exposa « que puis trois ans en czà, à la savance de chacun desdicts présents, estoient morts et décédés plusieurs grands et notables personnages, tant de justice que aultres, par l'occasion de soudaines maladies leur entrevenues, et si à icelles eust esté donné remède promptement, peut-estre que fussent encore en vie, et que, par fortune et aultre, plusieurs maladies peuvent entrevenir de jour en aultre, à la grand confusion de l'honneur et estat d'icelle ville, laquelle, de mémoire d'homme n'a esté ès temps passés si mal pourvue de médecins y résidants, que n'est à présent ; et que de ce avoit et a esté par plusieurs et réitérées fois faict remonstrance en plain conseil de ladicte ville ; et en icelle estre à présent un notable et bon personnaige, très expert en ladite science de médecine, nommé Thomas Leforestier, quel par plusieurs fois de paravant ces heures, pour aucunes maladies dangereuses qui estoient et sont advenues à plusieurs grands et notables des nobles et bourgeois de ladicte ville, par leur mandement estoit venu, et a faict de grands secours auxdits personnaiges malades, auxquels on espéroit peu de vie, queulx sont encore vivants ; qu'est approuvé et expérimenté le grand bien et sçavoir de luy en ladicte science ; plus que ledict maistre Thomas, sur la remonstrance luy faite, que la pluspart de mesdits sieurs les bourgeois désiroient qu'il prit sa résidence continuelle en ceste dicte ville, pour le bien et utilité de la chose publique d'icelle ; à quoy avoit respondu ledict maistre Thomas que de toute son affection il desiroit faire plaisir et service aux bourgeois de ladicte ville, et que, si le plaisir de mondict seigneur le cappitaine, des nobles et bourgeois d'icelle estoit luy donner quelque bonne pansion et honneste par chacun an, pour l’entretienement de sa personne, femme et famille, il feroit voulontiers sa résidence continuelle en ceste dite ville, luy baillant semblablement un logeix en maison honorable, selon son estat. Pareillement disoit ledict procureur, que messieurs du chapitre de Rennes, auxquels par aucuns desdicts bourgeois avoit de ce que dessus esté parlé, estoient contents donner audict maistre Thomas quelque bonne somme pour subvenir et aider à l'ordonnance qui lui seroit faicte par les seigneurs de ladicte ville, et que, sur tout ce, le bon plaisir de mesdits seigneurs feust pourveoir à ce, et en ordonner ainsy que verront estre utile pour la préservation du bien et utilité du faict public de ladicte ville » (1).
L'assemblée municipale assigna à Thomas Leforestier, à condition de résider continuellement à Rennes, 100 livres de gages et 15 livres pour son logis, « oultre ce que par messeigneurs de la justice de ladicte court de Rennes, mesdicts seigneurs de chapitre, et aultres nobles et bourgeois luy sera donné. ». Il dut promettre et s'engager par serment « à servir deument ladicte ville, comme bon médecin doit faire, ne partir ne aller hors ladicte ville et neuf paroisses d'icelle, sans le congié et licence de mesdicts seigneurs le capitaine, officiers et bourgeois d'icelle, soit par temps de peste on aultrement. Et en oultre, en cas qu'il y aura quelque notable personnaige de ladicte ville malade, il ne se absentera aucunement que il ne le puisse venir et visiter chacun jour et mesme se sera absent de ladicte ville et neuff paroisses ès mois de septembre et mars, et aura deux des aultres mois en l'année pour aller en aucunes ses affaires, à Rouen ou ailleurs ».
Thomas Le forestier mourut en 1508. Sa veuve reçut de la ville une indemnité de 30 livres pour retourner en Normandie. Leforestier eut pour successeur un médecin piémontais, Jacques Detours, qui entra au service de la ville moyennant une pension de 72 livres par an [Note : Arch. de Rennes, liasse 338].
La ville de Rennes, par le soin qu'elle prenait de se pourvoir de médecins, était une exception en Bretagne. La plupart des assemblées municipales se contentaient de barbiers-chirurgiens, qui remplaçaientles médecins comme dans bien des villages les maréchaux-ferrants remplacent les vétérinaires. Les barbiers avaient d'ailleurs un mérite. Moins grands seigneurs que les médecins, ils ne se bornaient pas à prescrire des remèdes, ils en dirigeaient l'application ; ils s'approchaient des malades, et les soignaient avec dévouement. Ils finissaient par acquérir une certaine expérience pratique, qui n'était pas à dédaigner [Note : Maître, Hist. des Hôpitaux de Nantes, Ch. XII]. Ils étaient organisés en corporation , et jaloux de leur privilège, comme le prouve un mandement adressé en 1486 par François II, « aux séneschal, bailly et lieutenants de Quimper-Corentin de la part des maistres barbiers et cyrurgiens tenant leur oupvrouer de barberie et cyrurgie en ladicte ville, de faire prohibition aux aprantis de non lever oupvrouer en ladicte ville sans leur congié et licence » [Note : Arch. de la Loire-Inf. Reg. de la chancell., 1486, f° 14, v°].
La ville de Nantes, qui refusait de payer les gages d'un médecin, avait un barbier chirurgien attaché à l'hôpital de St-Clément. Cette fonction était exercée en 1473 par Robin Launay « à la charge d'iceulx malades visiter et panser, et leur pourveoir des choses médicinales et curables pour le faict de leurs maladies ». Le duc François II, par ordonnance du 22 octobre 1473, l'exempta « de toute taille, dons, emprunts, guet, surguet, garde des portes , et de tous autres subsides et subventions personnelles queulconques ». Il l'autorisa même à vendre en détail vingt pipes de vin sans payer d'impôt [Note : Arch. de la Loire-Inf. Reg. de la chancell., 1473, folio 433, recto].
Comme la ville de Nantes, bien des grands personnages, au lieu d'un médecin, avaient un barbier à leur service, et le menaient avec eux à la guerre, ainsi que le prouve la pièce suivante : « A messieurs les bourgeois de Rennes et à leur bon conseil. Supplie très humblement votre très-humble serviteur Jacques Langlays, du pays d'Angleterre exposant que, comme il fut de la maison de monseigneur d'Escalles et de sa compagnie, il fut prins à la journée de St-Aulbin à prinsonnier, et a poyé sa ranczon, et fut blessé en dix-sept lieux de son corps, recors de Estienne Bourgrays barbier qui le panse, et n'est, pas guéri encore de sesdictes playes, lequel n'a point d'argent ne aucun gaige pour poyer sondict barbier, et pour s'entretenir pour ses despens, et aussi pour s'en retourner à son pays. Qu'il vous plaise en charité luy faire aucune aulmosne, pour luy ayder à vivre, pour poyer et contenter sondict barbier, et pour s'en retourner à son pays d'Angleterre. Et ledict suppliant priera Dieu qu'il vous doint bonne vie et longue, et paradis à la fin ». La ville de Rennes lui accorda une gratification de 50 sous [Note : Arch. de Rennes, liasse 3].
Si les barbiers faisaient concurrence aux médecins, les barbiers eux-mêmes avaient à lutter contre la concurrence des bonnes femmes. Elles régnaient sans partage et tenaient de doctes conférences dans les petites villes. Elles dissertaient sur les cas les plus difficiles. Pour elles, la médecine n'avait aucun secret ; elles connaissaient des remèdes infaillibles pour tous les maux. Pour les bien connaître, transportons-nous un instant en l'année 1464 dans la ville de Lamballe, capitale de la seigneurie de Penthièvre.
Là vivent honorés et respectés Thibaud Gaudin et sa femme. Leur fille Jeanne, « qui n'estoit, ne fut onques mariée, fut grosse d'enfant. Et comme elle fut avant son terme d'enfanter, craignant la honte et déshonneur du monde, que pour ce elle acquéroit, désirant très affectueusement faire son cas secret, elle céla et teut à sesdicts père et mère estre grosse, disant que elle avoit une apostume et aultre maladie secrète, dont elle n'avoit congnoissance pour ce que elle estoit intrinsèque. Et sur ce, sadicte mère, insciente sadicte fille être grosse, cuidant que elle eust aultre maladie dedans le corps, se conseilla avec la femme d'ung nommé Geffroy Gaultier, quelle de paravant avoit esté malade d'apostume et enfleure, et luy demanda comme elle s'en estoit guérie ; quelle luy respondit que ung nommé Jehan Hersart, barbier, l'avoit pansée, et l'avoit saignée du pié en l’eau, et par ce luy estoit sa maladie allégée. Après laquelle response, cette mère qui affectoit la santé de sa fille, convoyta la faire saigner, et pour ce que fut advertie par aultres femmes que ung baing luy estoit bien propice paravant ladicte saignée, affin de esmouvoir les mauvaises humeurs, et les esvacuer par ladicte saignée, ladicte mère, ne pensant en aucun maléfice, mais seulement à la santé de sa fille, fist baigner icelle fille avecques une sienne cousine nommée Jehanne Josset. Et néantmoins, après ledict baing, la fist saigner du pié en l'eau par ledict Hersart. Laquelle fille obéissant à ce que sa mère lui faisoit faire, craignante luy despiaire, et luy taisant estre grosse, rendit bien pou de sang, et fut par l'espace de quinze jours ou environ fort malade à cause d'icelle saignée, et après enfanta une fille morte, ne sceut pour quelle cause, fors que elle doubtoit que ce fut par moyen de ladicte saignée, et par moïen d'une choiste que elle fit d'un solier, au val du degré, en portant du lin audict solier : après laquelle choiste elle rendit incontinent ledict enfant, et présume plus que aultrement que ladicte choiste en fut principale cause ».
Le procureur de Lamballe, averti du fait, fit arrêter la mère et la fille, et leur intenta un procès criminel. Elles restèrent trois ans en prison. L'affaire aurait été grave pour elles, si le duc ne leur avait accordé une lettre de rémission [Note : Arch. de la Loire-Inf. E 200].
(Ant. Dupuy).
© Copyright - Tous droits réservés.