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DROITS HONORIFIQUES ET PRÉÉMINENCES DANS LES ÉGLISES ET CHAPELLES EN BRETAGNE.

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Les droits honorifiques, les préséances et toutes les prééminences en général tirent leur origine de l'organisation hiérarchique de la société et de l'ambition des hommes, naturellement avides d'honneurs et de distinctions. La subordination des individus et des classes sociales, qui constituait une des lois fondamentales de la féodalité, a developpé, d'une manière inconnue jusqu'alors, l'importance des droits honorifiques ; ils s'exerçaient avec une émulation manifeste, non seulement dans les réunions profanes, mais encore dans les cérémonies religieuses. Le désir de paraître aux premiers rangs dans l'église et la recherche de certains honneurs rendus par le clergé amenèrent, entre les seigneurs et les gentilshommes, des querelles parfois ridicules, dans un lieu d'où les invectives et les violences auraient dû être à jamais bannies.

Pour connaître parfaitement l'esprit de cette époque, il convient de tenir compte, dans le cadre de la vie paroissiale, à côté des manifestations d'une religion très sincère, des prétentions humaines. Nous nous bornerons ici à rappeler quelle fut la nature des prééminences dans les églises, aujourd'hui trop peu connues, jadis si vivement recherchées ; nous verrons en même temps à quels fâcheux incidents, à quelles compétitions, au sein des paroisses rurales, pouvaient donner lieu ces recherches.

I.

Différents auteurs se sont intéressés à la question. Certains, comme Loyseau, Bacquet, Chenu, Basnage, les canonistes français, Lamoignon, La Paluelle, en ont parlé au cours de traités généraux de droit ; d'autres en ont fait l'objet d'un travail particulier. Parmi ces derniers, il importe de signaler : Maréchal, Corbin, de Ferrière, du Perray et Guyot.

Charles Loyseau (1565-1627) regardé comme un des plus grands jurisconsultes de son siècle, fut le premier à traiter des droits honorifiques dans son ouvrage Des Seigneuries [Note : Le recueil des ouvrages de Charles LOYSEAU, édité en 1701, contient six traités. Le Traité des Seigneuries est le second de ce recueil]. « Jusque-là, dit-il, la matière des honneurs d'église était laissée à la cabale des gentilshommes qui l'accommodaient à leur ambition et aux lois de la force plutôt qu'aux règles de la justice ». L'Eglise avait accordé des privilèges en échange des bienfaits et en reconnaissance de la puissance publique ; mais, de fait, aucun droit canonique n'en fixait les dispositions et les coutumiers des provinces restaient muets à leur sujet. Après Loyseau dont les maximes font foi, Mathias Maréchal rédigea un Précis généralement estimé et auquel puisèrent largement les juristes jusqu'à la fin du régime seigneurial. De 1615 à 1643, Maréchal a vu se succéder les huit premières éditions de son Traité des droits honorifiques des seigneurs dans les églises. La réputation de cet ouvrage se maintint longtemps encore puisqu'en 1772, paraissait sa vingtième édition, sensiblement augmentée, en deux volumes in-12 [Note : La Bibliothèque Nationale possède plusieurs éditions du traité de Mathias MARESCHAL avocat au Parlement, conseiller au conseil souverain de Dombes. Nous avons particulièrement étudié celles de 1623 et de 1772. La première porte le titre de : Traité des droits honorifiques des Seigneurs ès Eglises, 5e édition, revue et augmentée de plusieurs notables arrêts et curieuses remarques. Dédié à Mlle de Montpensier. Paris, chez Jean Mestais, imprimeur. Ratifié par les docteurs en théologie de la Faculté de Paris. — La dernière édition donnée par Sérieux (Cheron, à Paris) et augmentée d'un grand nombre d'observations et de plusieurs autres traités, comprend deux forts volumes in-12]. Au fur et à Mesure des réimpressions, il devenait plus considérable par suite d'additions successives. Simon (1697), Danty (1700), de Clugny (1735), de Roye (1760), Serieux (1772) y joignirent leurs observations et l'exposé des principes nouveaux, déterminés par une jurisprudence qu'influençaient les considérations de personnes et que développaient continuellement les dispositions locales. Mais si les questions traitées se sont multipliées par suite de l'examen des usages particuliers des paroisses, c'est à tort que plusieurs auteurs ont établi, comme droit universel, les arrêts de certains parlements.

Dans Germain Guyot se trouve l'analyse la plus détaillée du nouveau droit, tel qu'il est admis au milieu du XVIIIème siècle. Son ouvrage est intitulé : Observations sur le droit des patrons et des seigneurs de paroisse aux honneurs dans l'église (1751). Nous serons appelé à y revenir fréquemment [Note : Observations sur le droit des patrons des seigneurs de paroisse aux honneurs dans l'église et sur la qualité du seigneur sine additio, c'est-à-dire seigneur purement et simplement de tel village, par Maître Germain-Antoine GUYOT, avocat au Parlement. A Paris, chez Binnet, 1 vol. in-4°, 1751. Avec une préface de Boucher d'Argis. — En outre, nous avons consulté sur le même sujet les ouvrages suivants : Claude DE FERRIÈRE : Des droits de patronage, de présentation aux bénéfices, de préséance des patrons, des droits honorifiques ..... dans les églises, Paris, 1686, 1 vol. in-4°. — Jacques CORBIN : Traité des droits de patronage honorifiques et autres en dépendant, Paris, 1622, 2 vol. in-12. — Michel DU PERRAY : Traité des patrons et curés primitifs, 1721. — RENAULDON : Traité historique des droits seigneuriaux, 1765. — Pour la Bretagne, citons Bertrand D'ARGENTRÉ et Pierre HÉVIN dans leurs Coutumes Générales.].

Sur le droit des patrons et sur les honneurs mêmes, la jurisprudence bretonne semble avoir obéi aux règles proposées par les auteurs dont nous venons de parler ; leur opinion est invoquée, tant par les officiers des justices présidiales, que par les avocats du Parlement de Bretagne : c'est elle que nous allons exposer, sans prétendre qu'elle réponde toujours, quand elle met en cause les origines, à des réalités historiques. Cependant, il est un point sur lequel la prudence bretonne différait du droit commun. Cette différence est fondée sur l'ordonnance de 1539, particulière au duché de Bretagne.

La cause première des droits honorifiques est la fondation et la dotation de l'église. Beaucoup de paroisses trouvent leur origine dans ce fait qu'un grand nombre de seigneurs riches et puissants voulurent manifester leur piété et témoigner de leur sollicitude envers leurs sujets, par l'érection, sur leur domaine et du consentement de l'évêque, d'un édifice destiné au culte.. Dans un sentiment bien naturel de gratitude et aussi pour exciter les fidèles à suivre cet exemple, l'Église déféra au fondateur, ou patron, des prééminences spéciales et le droit, pour lui et ses successeurs, de présenter l'ecclésiastique qui devait desservir la nouvelle paroisse [Note : Patron, en droit canon, signifie : avocat, intercesseur, médiateur, protecteur. C'est celui qui a fondé, construit et doté l'église, ou une autre maison pieuse. — « La marque univoque qui dénote la possession certaine du patronage est la présentation à la cure » (LOYSEAU). C'est aussi le sentiment des auteurs qui viennent après celui-ci, cependant cette doctrine est surtout vraie pour les laïcs, car les ecclésiastiques sont parfois curés primitifs sans être collateurs. — Sur ce sujet, les meilleurs auteurs ont employé un terme pour un autre : il est utile de préciser ici la signification des termes. La juridiction épiscopale qu'on appelle l'« Ordinaire » donne la provision sur la présentation du patron laïque ou ecclésiastique. Cette provision s'appelle institution et non collation. Celle-ci est le droit de nommer directement à un bénéfice et l'action de conférer ce bénéfice. Les communautés séculières ou régulières ont la collation des bénéfices de droit commun et les particuliers la présentation seulement.]. Afin de doter la fondation, le seigneur prélevait, sur les revenus de sa terre, une part pour le titulaire, ou bien établissait en sa faveur de nouvelles dîmes.

Avec le temps, les familles des fondateurs disparurent ou cédèrent aux évêques leur droit de présentation au bénéfice. Si bien que dès le moyen âge, la présentation laïque, en Bretagne comme ailleurs, est extrêmement rare. Cependant, il est nécessaire de faire remarquer que, d'une part, le fondateur séculier n'a pas nécessairement la présentation au bénéfice et que, d'autre part, celle-ci serait-elle abandonnée à l'évêque, les autres droits attachés au patronage restent entiers au fondateur [Note : « Ne s'ensuit pas que quiconque est fondateur, et conséquemment patron, ait la nomination et collation, ou bien la simple nomination du bénéfice car les fondateurs séculiers ne l'ont point régulièrement, sinon qu'ils en aient fait expresse réservation du consentement de l'évêque. Qu'encore que la nomination et provision du bénéfice soit délaissée à l'évêque, les autres droits ne laissent d'appartenir au patron lay et lui demeurent entiers » (MARÉCHAL, chap. Ier)], Ces considérations peuvent servir de fondements aux prétentions d'un grand nombre de patrons de possession immémoriale. Et d'ailleurs, les prérogatives de vrai patronage étaient acquises à celui qui rebâtissait une église ou chapelle complètememnt ruinée, ou tout au moins agrandissait, de plus du double, l'édifice primitif [Note : « Celui qui a réparé ou augmenté et en partie doté une église ne peut être purement dit patron, sinon qu'estant de fond en comble ruinée, il l'eut entièrement rebastie ou bien qu'il l'eust augmentée de batimens et dotée de plus qu'elle n'était. Auquel cas le premier fondateur et dotateur ou ayant cause ne perd son titre, qualité de patron et droits honorifiques en dépendant, mais le deuxième restaurateur et dotateur aura et jouira de pareils honneurs que le premier, immédiatement après lui. Que si l'église ou chapelle qui avait été bastie, non toutefois dotée par son fondateur, a été entièrement ruinée et démolie et soit réédifiée par autre, le restaurateur sera le seul patron » (MARÉCHAL, chap. Ier ). « Le patron qui a bâti une église a la préséance et les honneurs sur celui qui l'a dotée » (FORGET)].

D'autres fois, c'était à quelque collège ou prieuré que les paroisses devaient leur création et, dans ce cas, les religieux s'y réservaient les mêmes prérogatives que les fondateurs laïques. Les patronages ecclésiastiques eurent, en outre, une origine beaucoup moins régulière et moins conforme aux règles canoniques. A la suite des relâchements qui se produisirent dans la discipline ecclésiastique, les chefs des diocèses se virent contraints de confier de nombreuses paroisses à l'administration du clergé régulier et quand, vers la fin du XIIème siècle, les religieux durent céder la place, ils ne s'éloignèrent qu'en retenant la perception des dîmes et la présentation des titulaires, s'octroyant ainsi le privilège principal des vrais patrons. Enfin, de nombreuses paroisses tombèrent en patronage par leur annexion à des établissements ou à des fonctions ecclésiastiques.

Nous n'entrerons pas plus avant dans la question des patronages ecclésiastiques, notre étude se bornant aux patronages laïques et aux droits qu'ils comportent.

Par rapport aux paroisses qui avaient comme collateur le pape ou l'évêque, les paroisses à patronage laïque ou ecclésiastique étaient en assez forte minorité [Note : D'après les Pouillés des XVIème et XVIIème siècles, tirés des manuscrits de la Bibliothèque Nationale, le diocèse de Rennes n'aurait compté que sept cures à présentation laïque (dont une par le roi) ; — celui de Saint-Malo, six (dont une à l'alternative de l'abbé de Saint-Jacut) ; — celui de Vannes, six (dont une par le roi et une autre par le commandeur de Saint-Jean) ; — celui de Nantes, quatre (dont une par le roi, une autre par le commandeur de Saint-Jean et une autre par une communauté de ville) ; — celui de Dol, trois (dont deux par le commandeur de la Guerche) ; — celui de Tréguier, quatre ; — celui de Saint-Brieuc, une. Il n'apparait pas qu'il y en eût dans les diocèses de Cornouaille et de Léon (Cartulaire de Redon, par A. DE COURSON, 1863). M. Luco, qui a travaillé sur d'autres sources, fait savoir que dans la circonscription diocésaine de Vannes, sur 239 paroisses et trêves, il n'y avait que 40 paroisses ou trêves réservées à la présentation d'établissements séculiers et réguliers et 3 seulement à la présentation laïque (Locmalo, au seigneur de Guémené ; Lorient, érigé en 1709, au roi ; et Saint-Laurent de Grée Neuve au seigneur de Beaumont, jusqu'en 1790). Toutes les autres sont à l'alternative du pape et de l'évêque (Pouillé du diocèse de Vannes, 1908, p. 21 à 36)] ; on peut donc s'étonner qu'il y eût tant de seigneurs qui, dans leurs déclarations, se plaisaient à faire étalage des prééminences généralement réservées aux patrons et même s'intitulaient tels.

A défaut de fondateur, l'Eglise accordait les mêmes honneurs, sinon les mêmes droits, au haut justicier du lieu, en considération de la puissance publique que représentait ce seigneur et afin d'engager celui-ci à prendre l'église paroissiale sous sa protection. Cette protection de l'autorité séculière pouvait avoir l'occasion de s'exercer pour conserver les biens de l'église, maintenir la décence et le bon ordre dans les lieux saints et régler les manifestations extérieures qui accompagnaient certaines fêtes ou cérémonies religieuses.

Dans ses Observations, Guyot se livre à une savante discussion sur la valeur du titre de seigneur de la paroisse. Seul, dit-il, peut être considéré comme tel celui qui a la justice immédiale sur les habitants et plus spécialement sur le sol où l'église est bâtie [Note : « Il faut conclure qu'entre deux hauts justiciers dans une paroisse, celui-la est seigneur de la paroisse et possède tous les droits honorifiques qui a la justice du sol de l'église ; les autres peuvent tout au plus se dire seigneurs en partie, mais certains arrêts jugent qu'on ne peut se dire seigneur en partie si on n'a point part à la justice du sol de l'église. La qualité de seigneur en partie n'appartient qu'à ceux qui sont portionnaires de la haute justice de la paroisse » (GUYOT)].

Quant au seigneur dominant, il ne peut prétendre aux prérogatives dans l'église que s'il n'a au-dessous de lui, dans la paroisse, aucun vassal dans la situation qui vient d'être indiquée et exerçant la haute justice sur le lieu [Note : « Il est certain que le seigneur dominant n'a pas les droits honorifiques... » (GUYOT). « Le haut justicier du lieu où l'église est bâtie a seul après le patron les droits honorifiques » (DE ROYE)]. Guyot soutient que dans le cas contraire, le vassal est en droit de faire enlever le banc ou les armoiries que le dominant aurait fait placer dans l'église à son détriment. Et de fait, nous voyons ce droit revendiqué au cours d'un gros procès qui s'est déroulé durant la seconde moitié du XVIIème siècle, entre le comte de Porhoët et le seigneur de Callac. Des jugements et des consultations d'avocats intervenus alors, il reste une précieuse documentation sur la matière qu'il nous paraît intéressant de rappeler ici. Toutefois avant d'aborder l'examen de ce procès, et pour mieux le comprendre, il est utile de s'arrêter un instant à l'ordonnance de François Ier, à laquelle il a déjà été fait allusion.

Le 15 août 1539, le roi, en vue de mettre fin, en Bretagne, à des débats trop fréquents et à des contestations continuelles, ordonna qu'aucun de ses sujets, de quelque condition qu'il fût, ne pourrait prétendre à une autorité ou prérogative quelconque à l'intérieur d'un édifice du culte, s'il n'était patron fondateur et s'il ne pouvait en « informer promptement par lettres ou titres de fondation ou par sentences et jugemens donnés avec connaissance de cause ». En outre, le roi interdisait désormais tout procès ayant pour motif des droits honorifiques et menaçait de graves amendes les contrevenants. L'ordonnance souleva une « grande rumeur » dans la province où, presque partout était suivi un usage beaucoup moins strict ; si bien que le souverain, dans une déclaration du 24 septembre de la même année, dut décider que l'ordonnance n'aurait pas d'effet rétroactif et que les possessions actuelles seraient maintenues.

Ainsi donc, l'autorité et la préséance dans l'église étaient attribuées au fondateur par un droit singulier et exprès.

D'Argentré donne à l'ordonnance de 1539 une signification rigoureuse en réservant les droits de patronage au fondateur, à l'exclusion de tout autre. Hévin pose pour maxime que le haut justicier d'une église en est présumé fondateur, qu'il peut y mettre ses armes, s'il n'y a point d'autre patron. Les auteurs étrangers à la Bretagne se sont partagés entre ces deux opinions ; il semble toutefois que le sens le plus large a prévalu et que, dans son application, les prescriptions souveraines n'ont servi qu'à consacrer l'usage déjà établi, mais qui tendait à être faussé par le grand nombre des prétentions injustifiées : le fondateur a le droit mais non pas le droit exclusif et les honneurs lui appartiennent de préférence à tout autre [Note : Contrairement à ce que pense Maréchal, l'ordonnance n'a pas été appliquée dans tout le royaume. En dehors de la Bretagne, elle n'a été adoptée que par le Parlement de Normandie, et il semble que dans cette province elle ait été observée au sens exact de ses termes. Le patron seul y jouit des droits honorifiques, tellement qu'a défaut même du patron, le seigneur haut justicier n'en jouit point (GUYOT)].

Dans sa déclaration faite, en 1682, pour le terrier de Bretagne, Marguerite de Rohan, parmi les privilèges de la maison de Rohan, fait mention des « droits de patronage, bancs, tombes, enfeus, sépultures, armoiries, écussons... et autres droits de fondateurs » pour toutes les églises paroissiales et succursales de ses fiefs. Même, elle étend son autorité sur les maisons presbytérales.

Ces prétentions, contraires aux principes que nous venons d'énoncer, ne purent être admises par les commissaires de la réformation et la princesse fut déboutée, « attendu qu'elle n'avait communiqué aucun titre au soutien de sa déclaration ». [Note : Déclaration du duché de Rohan. Arch. Loire-Inférieure, B 1998]. Mais les ducs de Rohan étaient de puissants seigneurs ; ils présidaient la noblesse des Etats et jouissaient de toutes les faveurs de la Cour. Louis de Rohan qui, en 1684, avait hérité de la princesse Marguerite, n'eut pas de répit avant d'avoir fait rapporter la sentence des commissaires du roi ; le 2 avril 1692, il obtenait un arrêt qui déboutait maître Charles Bougis, chargé par S. M. de poursuivre la réformation de son domaine, et maintenait l'appelant dans les droits de sa déclaration de 1682 [Note : Sentence du Parlement de Bretagne, du 2 avril 1692. Arch. d'Ille-et-Vilaine, série B (procédures)].

C'est dans ces sentiments que quelques années plus tard, le même Louis de Rohan, comme comte de Porhoët, engagea un procès avec le marquis de Guémadeuc, seigneur de Callac, en Plumelec. Il exigeait que ses armes fussent placées en supériorité dans toutes les églises paroissiales et chapelles de son fief, tandis que Guémadeuc s'y opposait en soutenant que le titre de suzerain ne lui donnait point ce droit au préjudice des fondateurs ou des justiciers immédiats.

Guémadeuc, gouverneur de Saint-Malo, était un esprit éclairé qui ne se laissa pas intimider et montra dans la défense une énergie digne d'éloges. Il s'adressa aux plus célèbres avocats du Parlement de Paris Champion, Issaly, Favières, d'Aramont, Doremnieulx... à qui nous devons toute une série de consultations [Note : Copie des Consultations d'avocats au sujet de la prétention de M. le duc de Rohan…, Bibl. municipale, Nantes, ms. fr. 1729].

Leurs conclusions, d'ailleurs conformes à la jurisprudence de la cour de Rennes, peuvent se résumer dans cette thèse : les droits honorifiques d'église font partie du fief et sont acquis au vassal, en vertu de l'investiture, aussi bien que les autres droits du fief. Quand le suzerain est servi de son fief par la foy et l'hommage, par la reddition d'aveu et les autres devoirs ordinaires, il est certain que le vassal est maître absolu de son fief et que le suzerain ne peut pas davantage prétendre aux droits utiles ou honorifiques du fief de son vassal que le vassal n'est en droit d'usurper ceux de son suzerain. Le ressort permet seulement de connaître des appellations interjetées de la juridiction inférieure.

D'Argentré a doctement établi dans le cinquième de ses Consilia que les suzerains sont mal fondés à faire apposer leurs armes et leurs ceintures funèbres (litres) dans les églises des fiefs mouvants d'eux, quand même aucun autre seigneur n'en aurait ; à plus forte raison, lorsque leurs vassaux sont en possession de droits réguliers. Or, des actes authentiques prouvent que le marquis de Guémadeuc a toujours joui de prééminences d'église à Plumelec ; il est patron fondateur de l'église et haut justicier de la paroisse, double titre en sa faveur. Dans un aveu remontant à un siècle et qui constitue un acte obligatoire entre le comte de Porhoët et le baron de Callac, les premières prérogatives réclamées par les seigneurs de Callac sont spécialement mentionnées ; en outre, le marquis de Guémadeuc possède des procès-verbaux attestant que ses prédécesseurs ont réédifié le chœur de l'église vers 1510 et ceux-ci, avant cette réédification, avaient déjà tous les droits honorifiques des fondateurs [Note : Aveu du 15 décembre 1600, portant que les seigneurs de Callac sont fonciers et supérieurs, sous le duc de Rohan, de la paroisse, du cimetière et de l'église de Plumelec, dont le chœur et chancel est prohibitif à tous autres et ont droit, de double ceinture, tant en dedans qu'en dehors du chœur et de la nef. — Acte du 21 juillet 1510, portant que les habitants de Plumelec, assemblés à l'issue de la messe, ont reconnu que le seigneur de Callac avait droit prohibitif de sépulture dans le chœur de l'église, d'armoiries, ceintures et lisières ; que c'est à lui de réédifier et d'entretenir l'église comme ses prédécesseurs l'ont fait].

Par ailleurs, le duc de Rohan ne peut tirer prétexte, ni avantage, de l'arrêt du 2 avril 1692 qui le maintient dans le droit de sa déclaration de 1682. La décision de la cour de Rennes n'engage que les parties, c'est-à-dire le duc de Rohan et le roi et ne peut être invoquée que pour les églises situées sous la juridiction directe du premier. Ce jugement servirait plutôt contre le demandeur, puisqu'il prononce que le roi, comme suzerain, ne peut prétendre aux premiers droits honorifiques dans l'étendue du duché de Rohan et du comté de Porhoët.

Nous ne possédons pas malheureusement la décision en dernier ressort de la justice ; quoi qu'il en soit, nous avons suffisamment démontré de quel côté était le droit.

Le seigneur de Callac ayant refusé d'obéir à l'assignation du comte de Porhoët, celui-ci donna l'ordre d'enlever « par voie de fait » les armes de Guémadeuc placées en supériorité, dans les vitraux du chœur, afin d'y mettre les siennes propres, bien que l'écusson de Porhoët n'eût jamais encore figuré dans l'église de Plumelec. Mais, bientôt après, une sentence, en contradiction avec la première, condamna le duc de Rohan à retirer ses armoiries et à rétablir l'écusson des seigneurs de Callac (tiré des Consultations déjà citées).

Nous avons insisté sur le débat Rohan-Guémadeuc parce qu'il est caractéristique de ceux que provoque le régime seigneurial ; du haut en bas de la hiérarchie féodale les titulaires de fiefs se livrent à des empiétements, généralement au préjudice des seigneurs inférieurs, et les représentants de la justice ne sont pas sans mérite quand ils maintiennent le droit malgré les intrigues qui s'exercent autour d'eux. Nombreux sont les cas semblables à celui de Plumelec où le suzerain tente d'imposer de force et par intimidation ses armoiries, ou son banc, dans'une église de sa mouvance [Note : Nous en trouverons des exemples plus loin. — Il faut convenir que les hésitations de la justice autorisaient souvent les prétentions des suzerains. Bien que la qualité de fondateur et les droits honorifiques afférents soient reconnus au Seigneur du Cambout, en Plumieuc ; en 1666, la duchesse de Rohan s'adresse à des hommes de loi pour savoir quelles peuvent être ses prééminences comme suzeraine. Ceux-ci répondent qu'elle a droit de mettre sa lisière au-dessus de celle du Cambout et ses armes en supériorité dans les vitres (Cambout, Arch. des Côtes-du-Nord, E 1585). Dans bien des fiefs, cette opinion est admise, bien que contraire aux vrais principes du droit en la matière].

On peut s'expliquer maintenant comment — bien que le patron laïque n'ait presque jamais été maintenu depuis l'origine dans l'intégrité de ses droits — il est exceptionnel qu'une église paroissiale, ou une chapelle, soit patronnée par un ou plusieurs seigneurs s'intitulant, avec plus ou moins de raison, « fondateurs et prééminenciers ». Ils se fondent sur la part prise par eux aux reconstructions, sur l'extension des privilèges au haut justicier du lieu, ou bien, ils usurpent purement et simplement leur titre.

Le patron et le haut justicier jouissent, pour ainsi dire, des mêmes honneurs : la première place à l'église, c'est-à-dire le privilège d'avoir banc et sépulture au chœur, — la recommandation aux Prières publiques, l'encensement et l'eau bénite par distinction, la litre ou ceinture funèbre, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Ils ont encore le premier rang pour l'offrande, le baiser de paix, la distribution du pain bénit, la procession et autres manifestations religieuses. Cependant, dans l'ordre des premières prééminences, il existe une distinction notable entre les droits reconnus à ces deux prééminenciers. Comme bienfaiteur originel, le patron, outre la présentation au bénéfice, peut être reçu solennellement en procession lorsqu'il fait sa première entrée dans l'église dont il est fondateur et, en cas d'infortune grave, demander des aliments sur le revenu de l'église.

Toutefois, si le patron ou, à son défaut, le haut justicier du lieu, peut seul légitimement prétendre aux droits honorifiques proprement dits, d'autres personnes, à cause des juridictions qu'elles exercent dans la paroisse, à cause simplement de leur titre ou de leur office, ou seulement en qualité de bienfaiteurs, ont droit à certaines prééminences en réalité, ne sont que des préséances pour prendre le pas, après le patron, à l'offrande, à la procession ou autre cérémonie du culte et pour recevoir l'eau sainte et le pain bénit après lui. Par opposition aux premières prééminences, ou grands honneurs, certains auteurs ont appelé ces prérogatives : les honneurs moindres ou honneurs secondaires. Ces prééminenciers qui ne peuvent invoquer que la considération de leur fief, de leur fonction ou de leur personne, jouissent cependant de places privilégiées dans la nef ou le transept, et les grands honneurs leur sont reconnus dans les chapelles de leur fondation.

Pour éviter la confusion et le désordre, le rang entre les personnes prétendant à quelque distinction était réglé par la jurisprudence, suivant une hiérarchie des pouvoirs et des dignités. Mais la règle ne prévalait pas toujours devant l'orgueil de certains seigneurs.

De Roye qui résume ses prédécesseurs dont les considérations sur ce chapitre sont parfois fort longues et diffuses, établit, ainsi la hiérarchie laïque à l'intérieur de l'église : le patron qui est le fondateur, — le haut-justicier qui a souffert qu'en sa justice l'église ait été bâtie, — le seigneur du fief, si la haute justice et. le fief n'appartiennent pas au même seigneur [Note : Maréchal consent à reconnaitre les premières prééminences au seigneur du fief « au dedans duquel l'église est bâte », s'il n'y a pas de patron ou de haut justicier en la justice duquel l'église a été construite. On peut rapprocher cette opinion de celle de Loyseau, qui énonce que lorsqu'il n'y a d'autre justice supérieure que celle du roi, le moyen et bas justicier qui a l'église dans son fief peut se qualifier seigneur de la paroisse et jouir des honneurs de l'église ; cependant, quelque longue que soit la possession du moyen et bas justicier, celle-ci ne peut préjudicier aux droits du roi], — le bienfaiteur (il s'agit évidemment d'un fidèle qui a fait de grandes libéralités ou augmenté la dotation de l'église), — le magistrat ou officier du ressort, parce qu'il exerce l'autorité publique à laquelle sont soumis même les gentilshommes, — le gentilhomme ayant un fief dans la paroisse, — le gentilhomme sans fief.

Parmi les gentilshommes sans fief, le gentilhomme qui a quelque bien fonds dans la paroisse, passe avant celui de ses pairs qui ne possède rien ou qui n'est que locataire, pour la raison que le premier est présumé contribuer à la dîme de l'église. Celui qui est pourvu d'une charge, d'une dignité, d'un office, précède celui qui est seulement noble et, pour obeir à la maxime : tout gentilhomme est noble, tout noble n'est pas gentilhomme, le simple gentilhomme de race précède l'anobli. A défaut d'autre titre ou prérogative, les plus jeunes doivent déférer et céder le pas aux plus âgés ; ceci trouve surtout son application lorsqu'il y a plusieurs enfants mineurs dans une même maison.

Toujours à propos des simples gentilshommes, Maréchal dit : « D'aucuns rendent les honneurs au plus assidu, ce qui n'est pas une bonne police ; d'aucuns partagent les honneurs en donnant à l'un l'eau bénite, à l'autre l'offrande ; au premier le pain bénit, au second l'encens... ; en d'autres lieux on partage les honneurs par année... ». A n'en pas douter cette façon de procéder par dispersion des honneurs devait exciter encore davantage les convoitises et rendre la tâche du clergé fort épineuse.

Les femmes participent aux droits honorifiques de leurs maris et les enfants à ceux de leur père; mais, tandis que les femmes et les enfants du patron suivent immédiatement, leur mari et père, les femmes et enfants des autres seigneurs prennent rang parmi les femmes. Cependant, de Roye s'écarte de cette opinion de Maréchal en affirmant que si une femme est capable d'être patronne, elle ne peut toutefois avoir banc dans le chœur et doit ne marcher qu'en tête des femmes.

Hormis ces participants réels de la seigneurie, le seigneur ne peut subroger personne à ses droits. On a vu en l'absence du seigneur et de sa famille, des « valets » et « chambrières », assis dans le banc seigneurial, se faire présenter l'eau bénite, apporter les premiers le pain bénit, même la paix à baiser en cérémonie. Loyseau s'élève contre cet abus insigne, aussi absurde, pense-t-il, que si le valet voulait représenter son maître au lit nuptial.

Cependant, le premier officier de la haute justice du lieu peut tenir à l'église la place du seigneur et recevoir, comme participant à l'exercice des droits de la seigneurie, les honneurs dus au titulaire. Certains auteurs estiment que, même en la présence du seigneur, les juges qui réellement représentent la puissance publique, ont, pour les honneurs secondaires, le pas sur tous les autres habitants de la paroisse quels qu'ils soient [Note : « Le seigneur n'a plus que la qualité personnelle et honorifique du justicier ; la qualité du magistrat, non plus que l'office, ne réside véritablement en la personne des seigneurs, mais en celle des juges » (LOYSEAU). « Je tiens, quant à ces droits de simple préséance, que les juges, gradués ou non, le lieutenant, en son absence, le procureur fiscal, le seigneur étant absent ou présent, doivent jouir de ces honneurs moindres avant tous autres de la paroisse, quels qu'ils soient, après le patron et le haut justicier, leurs femmes et enfants. Un haut justicier dans et non de la paroisse, vis-à-vis du juge du territoire de l'église, n'est qu'un simple habitant dans la justice d'un autre » (GUYOT). — « Après le patron et le haut justicier, le pas à l'offrande et à la procession est dû aux juges du seigneur de la paroisse et ensuite aux gentilshommes et seigneurs de fiefs » (SIMON)].

Tant à cause de la dignité royale dont ils sont revêtus que de la juridiction supérieure dont ils exercent les fonctions, Maréchal place les officiers des justices royales avant les grands bienfaiteurs et les seigneurs féodaux. Mais il a soin d'ajouter que, dans ce cas, le patron et le haut justicier cèdent leurs droits seulement par courtoisie et bienséance. Les officiers des cours souveraines précèdent également les prééminenciers ordinaires. Quant au roi, il est réputé patron de toutes les églises catholiques de son royaume et a droit d'obliger le clergé à venir au-devant de lui en procession ; bien mieux, comme fondateur principal des églises cathédrales, il peut contester à l'évêque la juridiction supérieure sur l'église épiscopale [Note : En 1620, le Chapitre de Cornouaille contesta à l'évêque la mouvance de la cathédrale de Quimper, fondé sur ce que, d'après le droit commun, le roi se trouvait fondateur principal de toutes les églises cathédrales et que, dès lors, la juridiction de l'évêque ne pouvait S'y étendre (Mémoires de la Société d'Emulation des Côtes-du-Nord, 1887)].

II.

En discutant le droit de banc, Loyseau déplore de voir « journellement la noblesse entrebattre pour cette pomme de discorde que le diable a jetée parmi elle pour troubler les cérémonies religieuses ». C'est que dans l'église, rien tant que le banc et la sépulture ne suscite d'âpres chicanes.

En droit, tous les sièges de l'église doivent être publics, hormis le banc propre du patron et du haut justicier ; en fait, le grand nombre des seigneurs, petits et grands, qui se partagent les revenus féodaux de la paroisse, réussissent à obtenir une place réservée. Les uns établissent un banc à queue sur l'emplacement de la sépulture de leur seigneurie ; d'autres introduisent, dans le haut de la nef ou près d'un pilier, un siège individuel et portatif qu'on appelle « escabeau » ; d'autres encore apportent un simple « carreau » [Note : Le banc à queue est une espèce de coffre, avec dossier et accoudoir, où peuvent prendre place plusieurs membres d'une famille. Il peut être fermé au moyen d'une serrure. Sa caractéristique est d'être privatif et permanent. — L'escabeau, avec ou sans accoudoir, est un siège bas, sans bras et généralement sans dossier. Les hommes s'en servaient volontiers parce qu'il était facile à déplacer et transportable. — Le carreau est un coussin carré dont on se sert pour s'asseoir ou s'agenouiller. — Ces meubles d'église, quand ils sont la propriété des gentilshommes sont « armoyés », plutôt plus que moins. Dans l'église de Guimarec, le sieur de Kerjan-Pastour a contre le pilier du côté de l'épitre, un banc dont le dossier est armorié de trois écussons (1677)].

Cependant, le droit de sépulture ne donne pas, de lui-même, le droit de banc et réciproquement le droit de banc n'implique pas nécessairement le droit de sépulture (LOYSEAU).

Le chœur de l'église est considéré; pour les privilèges honorifiques, comme le domaine prohibitif du patron et du haut justicier. Du côté le plus honorable, celui de l'évangile, et face au maître-autel est placé le banc armorié du patron et fondateur ; celui du haut justicier est, à la même hauteur du côté de l'épître [Note : « N'y a régulièrement que les vrays et actuels patrons qui soient fondés d'avoir banc à queue et clos, tombeau et sépulture au chœur ». « Les bancs et sépultures d'autres seigneurs au chœur ne peuvent préjudicier au vray patron ». « Le haut justicier, à défaut de patron, a son banc au chœur ; dans ce cas, le moyen ni le bas justicier ne l'y peuvent mettre et s'ils sont plusieurs hauts justiciers, l'un aura son banc du côté droit, l'autre du côté gauche, vis-à-vis, non plus haut, ou qu'ils soient à queue l'un de l'autre si l'un des côtés est occupé ». (MARÉCHAL appuie cette opinion sur plusieurs arrêts.) — L'autorité du texte : « sedet ad dextera Dei patris », tiré du symbole des apôtres, a fait considérer comme le côté le plus honorable, celui de l'évangile. — « Je dis que le haut justicier a droit de banc au chœur, comme le patron, mais après celui-ci ». « S'il n'y a qu'une place dans le chœur, le haut justicier a la place la plus honorable dans la nef, ou, s'il veut, il peut faire agrandir le chœur à ses frais » (GUYOT)]. Les enfeus de ces prééminenciers : tombes plates, tombes élevées sur le pavement du chancel, ou niches funéraires pratiquées dans la muraille, ont leur place dans le sanctuaire. Les mêmes seigneurs souvent possèdent un oratoire qui s'ouvre sur le chœur, ou bien une chapelle privative très rapprochée du chanceau [Note : L'exiguïté primitive du chœur a fréquemment obligé les fondateurs à agrandir le sanctuaire a leurs frais ou à se construire une chapelle particulière].

On voit ainsi que le patron fondateur qui, à l'origine, a seul accès au chœur, partage les honneurs du sanctuaire avec le haut justicier. A vrai dire, dans la plupart des paroisses, le justicier est présumé fondateur ; il tient lieu de véritable patron et reste le seul haut prééminencier.

Au patron, de même qu'au justicier, appartiennent les vitraux du chœur. Ils y font figurer leurs armoiries en éminence, principalement dans la maîtresse vitre du chevet où ils se plaisent à étaler les alliances de leur maison [Note : Dans la maîtresse vitre — comme dans le chœur en ce qui concerne les bancs, les sépultures et les chapelles privées, — le côté droit, ou de l'évangile, est toujours réservé au patron ou fondateur]. Les diverses combinaisons des remplages de style flamboyant ou renaissance en sont parfois chargées. Seulement, à titre de tolérance, le suzerain et d'autres seigneurs de la paroisse peuvent aussi y apposer leur écu.

Fançois Bouyn, seigneur de Bains, maître ordinaire en la Chambre des comptes qui, en 1677, dresse pour le roi un état des droits honorifiques dans les églises du ressort de Morlaix, relève douze écussons dans la maîtresse vitre de Lanmeur [Note : Dans les autres vitres du chœur de Lanmeur, François Bouyn ne relève pas moins de 31 armoiries], quatorze dans celle de Saint-Jean-du-Doigt, seize dans celle de Plougasnou..., etc. [Note : Revue historique de l'Ouest, 1885 et 1886. Réformation des domaines de Morlaix et de Lanmeur, par P. DE LISLE DU DRENEUC, d'après un document de la Bibliothèque du Cercle Louis XVI, à Nantes]. De nos jours, on peut admirer dans l'église de la Roche-Maurice un magnifique spécimen de la verrerie du XVIème siècle, où le seigneur fondateur et justicier occupe avec ses alliances les quatorze soufflets du vitrail principal. Par ailleurs, nous reproduisons le vitrail de chevet de l'ancienne église de Mûr, d'après une peinture de Dupont (1718). On y trouve, en supériorité, les armes du haut justicier fondateur, et au-dessous celles des autres justiciers de la paroisse par qualité et dignité de fief [Note : Archives de la paroisse de Mûr. Relevé en couleur joint, au procès-verbal des droits honorifiques de la dite église, fait par les officiers de la cour de Pontivy aux fins de restauration et agrandissement, décidés par le général de la paroisse, le 13 février 1718. Pour l'identification des armoiries, se reporter au travail de R. LE CERF, Une paroisse bretonne. Mûr et ses trêves, Anger, Guingamp. 1905].

L'écusson du fondateur se voit souvent, en outre, sur le retable du maître-autel. D'ailleurs, comme pour mettre sa signature sur les différentes parties de l'édifice dont il est patron, il grave ses armes, en peinture et en bosse, tant à l'intérieur, dans le « boisage » (principalement sur les entraits et les sablières), aux clefs de voûte, sur les piliers, aux culs-de-lampe, dais, bénitiers..., etc., qu'à l'extérieur, au-dessus du porche et des portes, au chevet ainsi qu'aux pignons du transept, sur les contreforts, dans l'encadrement des baies, sur la face principale de la tour du clocher..., etc.

Si le chœur est réservé, par contre la nef et le transept sont abandonnés à l'ensemble des paroissiens. D'après les actes que nous avons étudiés [Note : En dehors des archives départementales, nous avons puisé notre documentation à la source des fonds seigneuriaux inventoriés successivement par MM. DE L'ESTOURBEILLON et DU HALGOUET Sous le titre d'Archives des Châteaux Bretons. Cette dernière source sera indiquée simplement par le nom du château auquel appartient le fonds], ces parties de l'église semblent être à la libre disposition des fabriciens et du corps politique des habitants. Les bancs et sépultures placés hors du sanctuaire sont consentis par celui-ci en reconnaissance de bienfaits à l'église ou de services rendus à la paroisse ; ils font aussi l'objet de cessions, moyennant soit une somme en capital, soit une rente annuelle. Il va sans dire que toutes les classes sociales, indistinctement, peuvent bénéficier des bancs et tombes accordés dans ces conditions.

Même en l'absence de titres prouvant que les seigneur sont en possession immémoriale, il est permis de présumer, à l'aide des documents qui subsistent, que l'octroi des prééminences a été la conséquence d'un bienfait ou d'une vente. Cette règle, comme nous le verrons, s'applique également aux concessions de chapelles privées ou d'autels particuliers.

A Riec, les seigneurs de la Porte-Neuve jouissent de prééminences généralement réservées à des fondateurs (enfeus, armes en supériorité, litre), à raison des services anciennement rendus à la paroisse par un titulaire de ce fief et des dons répétés de ses successeurs. Charles Morillon avait en effet obtenu, du duc de Bretagne et du roi de France, d'importantes réductions sur les tailles et les fouages en faveur des paroissiens ; il avait, en outre, fait de riches cadeaux en ornements et vases sacrés et cédé une pièce de terre dont profitaient le recteur et la fabrique. Après lui, un autre seigneur de la Porte-Neuve construisit à ses frais deux chapelles qui augmentèrent considérablement la superficie de l'église. Tous ces bienfaits sont énumérés dans un acte prônal de 1510 qui confirme les prééminences consenties par les paroissiens [Note : Archives de la Porte-Neuve, en Riec, Acte pronal…… par A. DE BREMOND D'ARS (Société Archéologique du Finistère, XV, 1888). — Dans un autre cas, les paroissiens traduisent leur gratitude par une somme d'argent, comme à Pédernec où le sieur de Runengoff reçoit 120 livres en considération des services qu'il a rendus pendant le siège de Guingamp en 1591, Documents pour servir d l'histoire de Pédernec, par E. GALMICHE (Société d'Emulation des Côtes-du-Nord, 1921)].

A une époque sensiblement postérieure (1646), en reconnaissance d'une grosse dépense engagée par la dame de la Barillère dans la reconstruction de l'église de Mouzillon, le corps politique de la paroisse cède à cette dame une parcelle du cimetière pour y édifier une chapelle privée qui donnera sur le chœur, du côté de l'évangile. Installée en si bonne place, la dame de la Barillère fit mettre sa litre autour du chœur et, avec le consentement tacite des habitants, s'attribua une large part des honneurs privatifs du patron. Celui-ci ne semble pas avoir fait opposition, sans doute se sentait-il coupable de n'avoir pas contribué comme fondateur et gros décimateur aux travaux de l'église [Note : La vie communale et paroissiale en Bretagne, par Léon MAÎTRE (Revue des Questions Historiques, janvier 1911). — Il convient, cependant, d'observer que le bienfait seul ne suffisait pas, dans tous les cas, pour l'obtention du titre de fondateur et patron et de la jouissance des grands honneurs. Les seigneurs du Chaffault et de la Moricière étaient en compétition pour les prééminences du chœur de l'église de Saint-Philibert de Grandlieu. Le premier soutenait être grand bienfaiteur pour avoir, lui et ses prédécesseurs, donné le presbytère et le cimetière, des ornements armoriés, des vases sacrés, fait 500 livres de rente de fondation…… ; le second réclamait ce titre pour avoir rebâti à ses frais le chœur et le clocher, réparé le carrelage, blanchi les murs, fourni des ornements et des parements d'autels…… Cependant, le procureur du roi de la sénéchaussée de Nantes fit remarquer que les parties se querellaient, suivant le proverbe, « sur la chape de l'évêque ». car l'église dépendait d'un prieur relevant du roi ; ni l'un ni l'autre des plaideurs ne pouvait occuper le rang de fondateur et jouir des premières prééminences (1633). (Prééminences de l'église de Saint-Philibert de Grandlieu, par Léon MAÎTRE, Société Archéologique de Nantes, 1908)].

Ailleurs, Jean de Kerverien soutient qu'il possède deux bancs dans l'église d'Allaire, « en récompense des bienfaits » consentis à cette église par ses prédécesseurs (1659) [Note : Arch. du château de Trédion, ms. 1934].

Dans le chœur de l'église de Saint-Philibert de Grandlieu, le seigneur de la Morinière possède une tombe « tolérée » par les paroissiens à cause de la part que ce seigneur a prise à la réédification du chœur et du clocher (1633) [Note : Prééminences de l'église de Saint-Philibert].

Les cessions onéreuses sont infiniment plus fréquentes que les concessions gratuites, du moins aux derniers siècles du régime. La vente des bancs et des lieux de sépulture (tombe simple ou caveau funéraire) devient un véritable trafic au profit de l'église ; elle se fait par accord de gré à gré ou par voie d'enchères.

Le 29 septembre 1680, au prône de la messe dominicale de Pédernec, en vue de « l'augmentation du bien et revenu de la fabrique », le général de la paroisse procède à la dernière adjudication, à la chandelle, de sépultures dans l'église. Claude de Rosmar, seigneur de Runegoff, se porte acquéreur d'une tombe près de l'autel du Rosaire, moyennant 20 livres de principal. En même temps, il achète un if du cimetière pour 3 livres 17 sols. Une autre tombe est adjugée à missire Yves Stephnon pour 18 livres et une rente perpétuelle de 3 livres (Documents pour servir à l'histoire de Pédernec).

Cette famille de Rosmar de Runegoff n'avait pas moins de dix tombes à Pédernec, tant dans sa chapelle seigneuriale du Rosaire que dans les autres parties de l'église, consenties, depuis le XVème siècle, par différents contrats avec les paroissiens [Note : Documents pour servir à l'histoire de Pédernec. — « 2 boisseaux froment et 12 deniers », pour un enfeu de deux tombes (acte de 1430) ; « 1 renner froment », pour deux pierres tombales (acte de 1522) ; ...., etc.].

Dans la même église, Thomas Denise sieur de Colledo, suivant un accord du 20 mai 1463, s'engage à deux boisseaux de rente annuelle pour deux pierres tombales.

A la Croix-Helléan, le 20 novembre 1507, le seigneur de la Ville-Briand achète le droit d'un banc à queue, moyennant 5 sols de rente (Arch. du château de Penhoët). Une déclaration du 4 juin 1551, apprend que le seigneur de Pengréal possède dans l'église de Plumieuc un enfeu de neuf tombes, pour lequel il doit 2 sols de rente et, dans l'église de la Trinité, un enfeu au chanceau qui l'oblige à 10 sols de rente annuelle (Arch. du château de Penhoët).

Pour la possession de deux enfeus, le seigneur du Curru verse chaque année 12 deniers monnaie à la fabrique de Milizac (2 janvier 1512) et 5 sols tournois à N.-D. de Saint-Renan (30 juin 1595) (Arch. du château du Grégo, ms. 1611 et 1680). Le sieur de Rosangaret Cation doit une rente d'un quartier d'orge à l'église de Locquirec pour un banc armorié (1677) (Réformation des domaines de Morlaix et de Lanmeur). La maison du Boschet est tenue à un devoir de 10 sols de rente annuelle vis-à-vis de la fabrique d'Allaire qui lui a concédé un droit d'enfeu (1659) (Arch. du château de Trédion, ms. 1934)..., etc.

D'ailleurs, en exploitant la vanité et l'orgueil du public, les paroissiens font argent de tous les honneurs. A Orvault, ils accordent à Françoise Pastourel, veuve de Michel de Clisson, l'autorisation de mettre ses armes dans un vitrail de la nef et la recommandation aux prières nominales, contre l'engagement d'une rente de 20 sols 6 deniers (6 mars 1627) [Note : Combat de Mouvance, par le baron DE WISMES (Société Archéologique de Nantes, 1902)].

Comme on peut s'en rendre compte, la valeur des rentes est extrêmement variable ; celles-ci sont fixées d'après des considérations qui nous échappent actuellement. Cependant, qu'il s'agisse d'un banc ou d'une tombe, l'emplacement était d'autant plus recherché qu'il se rapprochait davantage du chœur ou du maître-autel.

Bien que toutes les concessions de cette nature ne touchent qu'au temporel de l'église, dans bien des cas le contrat est confirmé ou homologué par l'évêque [Note : Confirmation par les paroissiens de Riec des prééminences du seigneur de la Porte-Neuve, revêtue de l'approbation de l'évêque de Quimper ; 10 mars 1510 (Soc. Archéol. du Finistère, 1888). — Cession d'une pierre tombale et d'un banc par les paroissiens de Pédernec à Jean de Rosmar, sous réserve d'obtenir « décret, permission et licence de R. P. en Dieu l'évêque de Tréguier » ; 16 juin 1535 (Soc d'Emul. des Côtes-du-Nord, 1921). — Concession de banc, escabeau et enfeu à Sarzeau, à Jean Botrel, seigneur de Lesuet, homologuée par l'évêque de Vannes ; 17 avril 1548 (Bibl, Nat., dossiers bleus 114, Botrel). — Ratification par l'évêque de Saint-Brieuc de la reconnaissance faite par les paroissiens de Plumieuc des premières prééminences de l'église paroissiale et du titre de fondateur, en faveur du seigneur du Cambout ; 37 février 1507 (Arch. des Côtes-du-Nord, E 1585) ].

En ce qui concerne les bancs, Loyseau distingue la coucession ordinaire faite du consentement des seuls marguilliers et qui correspond à un simple usage à vie, de la concession par lettres consentie par les habitants en corps [Note : Dans la première catégorie, peut se ranger la concession d'un banc en faveur d'écuyer Pierre Bonnier, seigneur de la Coquerie « en considération de sa personne » pour en jouir par lui seulement ; 11 février 1594 (Arch. du château de Trédion, ms. 1696)]. La sépulture temporaire existait également. Mais toute concession par l'assemblée des paroissiens et à prix d'argent, est faite à perpétuité et consentie au preneur pour ses héritiers, et ses successeurs résidant dans la paroisse [Note : « Je conclus partant, que quelque longue possession qu'on dit d'un banc, elle ne sert de rien sans titre. Et quand il y a permission par écrit des marguilliers, encore est-elle révocable à toujours pour ce qu'ils ne peuvent obliger l'église sans le consentement universel des paroissiens. Toutefois, si elle est donnée par argent au profit de l'église, il faut rendre l'argent avant d'ôter le banc. Mais si elle est donnée par les habitants en corps avec le curé, elle n'est révocable qu'en vertu de lettres et en cas de lésion » (LOYSEAU). — « Les bancs des paroissiens à eux concédés moyennant bienfaits, leur doivent être conservés et à leurs enfans résidans en la paroisse » (MARÉCHAL)]. Les privilégiés peuvent renoncer à leurs droits et, par ailleurs, le banc ou la sépulture, devenu libre de possesseurs par suite d'un défaut d'usage prolongé, revient à l'église.

Une autre qualité essentielle des prééminences dans les églises, c'est de n'être transmissibles qu'avec le fonds auquel elles sont jointes ; elles ne peuvent être cédées sans le corps ou une bonne part du fief, ni détachées de la seigneurie. Les seigneurs supérieurs qui, de leur plein droit, créent des privilèges d'église en faveur d'un vassal ou qui transportent à un tiers les privilèges qui leur appartiennent, outrepassent les facultés légales. Il y a là un des abus qui se rencontrent souvent à cette époque [Note : « Les seigneurs se trompent fort quand ils baillent des lettres ou permissions à quelqu'un de leur village pour avoir des rangs et des bancs en l'église » (LOYSEAU)].

Sur ce point, nous trouvons le duc de Rohan en infraction avec la loi. Au château de Pontivy, le 22 novembre 1608, il... signe un acte de bienfait en faveur du sieur de la Coudraie. Après l'énoncé de diverses donations, cet acte autorise le dit de la Coudraie à mettre un banc au chœur de l'église paroissiale de Noyale, sur les tombes et l'enfeu de la maison de Kerboutier [Note : Donations faites par Henri duc de Rohan à M. de la Coudraie, sénéchal d'Hennebont, en reconnaissance des soins que celui-ci a pris pour la composition de l'histoire de la Maison de Rohan ; 22 novembre 1608 (Bibl. Nat., ms. 22343)]. La métairie noble de ce nom était aux mains de La Coudraie et, sans doute, ne possédait pas jusque-là de banc dans l'église paroissiale. Ailleurs, un autre titulaire du duché de Rohan, pour un motif qui nous échappe, vend au sieur Beauquin un droit de banc dans l'église de la Ferrière (Arch. du Morbihan, Fonds Rohan-Chabot, L 7).

Dans l'église de Plélo se déroule toute une suite de tractalions entre seigneurs de la paroisse sur les droits honorifiques attachés à leurs seigneuries. Ce sont des échanges, des ventes, des accommodations réciproques découlant d'un procès. Julien Collot, seigneur de la Villesolon, cède à Toussaint Botherel, seigneur de la Villegeffroy, une tombe située au chœur de l'église pour la somme principale de 40 livres. De l'avis des avocats de Rennes, appelés en consultation, l'acte était sans valeur, — « la vente des droits honorifiques détachés qui sont hors le commerce des hommes, n'étant pas permise » — et nul en sa forme pour avoir été extorqué à un mineur ; le prix dérisoire le disait assez (27 mars 1642) (Arch. du château de Trégranteur, ms. 838).

Non moins illégal, semble avoir été l'accord intervenu quelques années auparavant entre le même seigneur de la Villegeffroy et Olivier de Quélen, seigneur de Saint-Bihy. On dirait un échange de parcelles de leur domaine entre deux voisins. Quélen transporte à Botherel tous ses « droits, fonciers » dans l'église de Plélo ainsi décrits : « entre la tombe enlevée dudit Botherel et du costé dextre du marche-pied du grand autel, depuis l'endroit de la chaire du recteur, tout le long de la première arcade dudit costé, jusque un pied près du second pilier dudit costé dextre... ». En retour, Botherel abandonne à Quelen ses propres droits (27 février 1612) (Arch. du château de Trégranteur, ms. 818).

Tout au plus, un seigneur pouvait-il confier l'objet de ses prérogatives, ou les donner, en jouissance provisoire, à un autre seigneur. Le vicomte René de Rohan agit de la sorte lorsque, ayant chargé un des gentilshommes de sa maison, le seigneur de la Salle, de rétablir en l'église de Ménéac la litre de Rohan et un banc aux mêmes armes, il « baille » celui ci « en garde », pour qu'en son absence et à l'avenir personne ne porte préjudice à ses droits (13 mai 1542) [Note : Mandement du Vicomte de Rohan aux paroissiens de Ménéac (Arch. d'Ille-et-Vilaine, E 148). Il y avait en Ménéac une seigneurie de la Salle].

De concessions en concessions, trop de bancs, d'escabeaux, d'accoudoirs s'établissent dans les églises ; la circulation en est souvent gênée et la bienséance en est offensée. Un seigneur a parfois autant de bancs qu'il possède en sa main de fiefs dans la paroisse et cette ambition des privilèges gagne la classe bourgeoise et aisée des campagnes [Note : A l'encontre de ce que l'on pense généralement, les droits honorifiques ne sont pas le privilège exclusif de la noblesse. « Peuvent les autres gentilshommes, voire les roturiers, avoir bancs, sièges, accoudoirs, tombeaux et sépultures dans la nef de l'église paroissiale et construire chapelle au costé de la nef » (MARÉCHAL)].

Poussés progressivement par le flot montant, les bénéficiaires de privilèges, ceux-là qui sans être les premiers dans la hiérarchie honorifique avaient pu également subvenir aux besoins de l'église parce qu'ils tenaient des revenus dans la paroisse, se trouvèrent parfois blessés dans leur dignité personnelle. De la nef où ils occupaient les premiers rangs, ils eurent bientôt fait de déborder sur le chœur ; mettant à profit l'absence du patron ou du justicier du lieu, usant peut-être de leur autorité pour imposer silence aux habitants, ils usurpent, quand l'occasion s'en présente, la place la plus honorable dans l'église ou tout au moins une part des prérogatives de supériorité.

On ne peut expliquer autrement l'encombrement de bancs et de tombes levées dans le chanceau de certaines églises à la grande gêne des officiants qui doivent avec ordre et révérence assurer les cérémonies liturgiques [Note : Dans le ressort de Morlaix, à Lanmeur, il y a 18 bancs, tant au chœur que dans la nef, certains sont ruinés et sans possesseurs. Bien qu'il n'y ait pas de fondateur à Guimarec (Guimaëc), on compte 4 bancs au chœur et 11 dans la nef. A Plougasnou, il y a 6 bancs au chœur etc (Etat des prééminences, par F. BOUYN, 1677)]. « Dans les villages, rapporte Loyseau, les gentilshommes et ceux qui veulent le devenir, s'attribuent par audace des bancs où des places dans le chœur, pour eux, leur femme et leur famille, comme dépendant de leur terre et affectés pour jamais à icelle, et, dans les villes, les femmes de médiocre qualité se font faire des bancs dans la nef ou dans les chapelles ; que si par après quelqu'un y entreprend, c'est, une grosse querelle ou un fâcheux procès ». Et Maréchal rappelle les causes d'un procès qui donne une idée exacte de ce qui dut se produire dans un grand nombre de paroisses aux XVème et XVIème siècles. Un gentilhomme, ayant quitté son banc qui était dans la nef de l'église et près du sanctuaire, avait pris place au chœur avec un carreau portatif, sous prétexte que les paysans s'introduisaient eux-mêmes dans le chœur et qu'un autre gentilhomme avait déjà empiété sur ce terrain réservé. Ici le seigneur fondateur s'aperçut à temps de la fraude, cependant il semble que le premier gentilhomme ne perdit pas l'avance qu'il venait de gagner ; il resta dans le chœur, mais sur un rang légèrement inférieur à celui du prééminencier supérieur. Dans une autre affaire qui se déroule devant la cour présidiale de Vannes, la dame de Deil, en Allaire, raconte comment son voisin, le seigneur de Coueslé ayant fait enterrer son père, ancien notaire et greffier, dans la partie basse du chœur de l'église, où il n'y avait jusque-là aucune sépulture, s'empara quelque temps après d'un accoudoir portatif à l'usage du recteur et le plaça sur la tombe en question. Le seigneur de Coueslé ne s'en tint pas à cet accès dans le chœur, il mit ses armes timbrées dans un vitrail et les fit graver en outre sur la croix processionnelle, anciennement offerte par les seigneurs de la Boncelaye (acte de 1659) [Note : Arch. du château de Trédion, ms. 1195. Il est vrai que le seigneur de Coueslé répondit à ces allégations en accusant la dame de Deil d'avoir usurpé également tous ses droits honorifiques, — Dans cet ordre d'idées, les exemples d'usurpations sont très fréquents. Nous pouvons citer encore un arrêt du Parlement de Rennes qui condamne Maurice de Rosmar, seigneur de Kercadiou, à enlever le banc qu'il a placé dans l'église de Goudelin, du côté de l'évangile, à renoncer au titre de patron de ladite église et aux tombes prohibitives situées près du maître-autel. Un conseiller du Parlement est désigné pour présider sur les lieux à l'exécution de la sentence et doit obliger le seigneur de Kercadiou à rétablir un banc à coffre dont il a privé le clergé de la paroisse ; 9 mai 1633 (Arch. particulières de M. Galmiche)].

Bien plus libéralement encore, les paroissiens accordent le droit de sépulture dans l'église. Les demandes se présentent particulièrement nombreuses et ils peuvent difficilement s'opposer à ce désir pieux, qui remonte à l'origine de la chrétienté, d'être inhumé aux pieds des autels ou le plus près possible des reliques d'un saint personnage. « On peut être en possession de sépulture, même au chœur, sans en induire d'autres honneurs » (GUYOT) ; cependant, les patrons et hauts justiciers ont droit de s'opposer à ce que tout autre soit inhumé dans cette partie de l'église.

Bien des églises se trouvaient entièrement pavées de tombes particulières [Note : L'église de Lanmeur est « entièrement pavée » de tombes prétendues par différents particuliers. « Est à remarquer — dit le commissaire du roi, en parlant de Plougasnou — que nous n'avons fait que la description des écussons et bancs et tombes enlevées et non des tombes plates estantes prétendues par différents particuliers; ladite église n'étant pavée d'autres pièces, il nous aurait fallu consommer un trop long temps pour en faire estat ». (Etat des prééminences, par F. BOUYN, 1677)]. Cet état de choses n'était pas sans inconvénient. Les pierres tombales d'inégales, dimensions et d'assises mal établies offraient un pavement très irrégulier, peu favorable à l'établissement des chaises et des bancs publics [Note : « En 1750, le général de la paroisse de Saint-Houardon, voulant obvier à l'irrégularité du pavé de l'église, ordonne à ceux qui ont des concessions de tombes, de fournir de nouvelles pierres tombales ; si celles qui existent se trouvent rompues ou de trop petite dimension, elles devront être réduites à six pieds de long sur deux de large ». (La mort en Cornouaille et en Léon, par P. PEYRON, Bulletin Association Bret., 1918)], et le manque de profondeur des fosses pouvait occasionner des exhalaisons malsaines. Durant le XVIIIème siècle, plusieurs arrêts interdirent d'enterrer dans les églises, mais les fidèles n'en tinrent pas toujours compte. [Note : En 1719, parut un arrêt du Parlement de Bretagne défendant d'inhumer personne désormais dans les églises et chapelles, sauf les évêques et ceux qui avaient un droit d'enfeu établi].

Les premiers prééminenciers et les seigneurs soucieux de l'honneur de leur maison, affectaient à telle ou telle de leur seigneurie un caveau qui, dans le chœur ou les chapelles particulières, prenait la forme soit d'une tombe plate, soit d'un enfeu enclavé, sous une voûte, dans la muraille [Note : Les enfeus datent surtout du XVIème siècle. Ils étaient généralement sous arcade ménagée dans le mur de l'avant-chœur, du transept ou d'un bas-côté de la nef et surmontés d'une accolade]. La tombe « enlevée » était réservée à un personnage marquant de la famille. Les seigneurs plus modestes se contentaient, dans la nef ou le transept, d'une simple dalle portant gravé un écusson ou une inscription.

Aujourd'hui dans les édifices religieux qui remontent à l'époque que nous étudions, les enfeus voûtés dans la muraille ont subsisté en partie, mais les tombes levées qui gênaient la circulation, ont presque toutes disparu ; les débris des gisants qui les ornaient ont trouvé un refuge dans nos musées départementaux lorsqu'ils ne sont pas restés ensevelis sous les herbes folles du cimetière où ils sont abandonnés. Quant aux pierres sépulcrales des tombes basses, souvent richement sculptées, elles ont été, à peu d'exceptions près, inexorablement détruites ou retournées pour constituer un nouveau pavement. De ces tombes plates, on trouvera quelques curieux exemplaires, du XIIème au XVIIIème siècle, dans l'étude de M. le chanoine Le Mené sur les Sépultures dans le Morbihan |Note : Bulletin de la Société Polymathigue du Morbihan, 1908, fasc. II]. Pour réparer un oubli de cet auteur qui a omis de donner un type de tombe levée, nous mentionnons ici la tombe de messire Guillaume de Rosmadec conservée de nos jours dans la belle chapelle collégiale de N.-D. de la Cour, paroisse de Lantic.

Le patronage d'une chapelle privée dans l'église s'acquiert comme celui de l'église paroissiale elle-même, c'est-à-dire par fondation et dotation [Note : Arthur Le Courhin, seigneur de la Ville-Briand, et Françoise Le Clerc, sa femme, obtiennent l'autorisation de construire une chapelle joignant le chanceau de l'église de la Croix-Helléan parce qu'ils ont abandonné aux paroissiens un cinquante de terre, devant servir à l'agrandissement du cimetière. Enquête du 17 août 1514 (Arch. du château de Penhoët). — Charles Encoignard des Viviers, chanoine de Coutances, déclare, dans son testament, ériger à ses frais une chapelle dans l'église des Pères Récollets de Saint-Germain-en-Laye afin que cette chapelle serve de sépulture pour ses parents et les chapelains du roi, ses successeurs, 4 novembre 1721 (Arch. du château de Grégo, ms. 152). — Yves de Guer, du consentement des paroissiens et du recteur, fait construire, entièrement à ses frais, les chapelles Saint-Nicolas et Saint-Jean de l'église de Riec. Acte de 1510 (Société Archéologique du Finistère, XV, 1888) — Pour avoir contribué à la reconstruction de leur église, les paroissiens de Mouzillon autorisent la dame de la Barillère a se bâtir une chapelle donnant sur le chœur. Procès de 1646 (La Vie Communale)] et le patron d'une chapelle a les prééminences et toutes les prérogatives que le fondateur de l'église a dans cette église. Il va sans dire que la fondation doit être consentie et autorisée par les paroissiens [Note : « Il faut permission pour construire oratoire ou chapelle dans l'église ». « Ce ne peut être que par concession ou permission du seigneur ou de ceux à qui le droit de concéder appartient comme en aucunes églises, les chapitres ou marguilliers ». « La permission est présumée par une très longue possession » (MARÉCHAL). Il semble que la permission du seigneur — il s'entend du patron — était exigée dans le cas seulement où la chapelle devait ouvrir sur le chœur. — « On eut assez des chapelles du sanctuaire et du transept tant que les fondations pieuses ne se multiplièrent pas, mais, grâce aux fondateurs généreux, les chapelles devinrent d'un revenu meilleur, le clergé et les paroissiens se décidèrent à établir des chapelles dans la nef ; on en créa au fur et à mesure des fondations pieuses et des inhumations riches. Les chapelles latérales furent ajoutées régulièrement ou irrégulièrement et à différentes époques » (Architecture Religieuse, par C. ENLART)]. Une chapelle privative lorsqu'elle a été bâtie hors de l'enceinte primitive de l'église et ajoutée à celle-ci [Note : La chapelle est présumée telle quand elle figure dans une aile ou lorsqu'elle a sa voûte propre ; mais si elle est sous la grande voûte de la nef ou du transept, elle n'est pas considérée comme tout à fait particulière, ayant été publique à un moment (LOYSEAU)], peut être close d'un balustre, ou d'une clôture de bois, et fermée à clef. La chapelle édifiée dans ces conditions reste à perpétuité attachée à la seigneurie du fondateur [Note : Les curés et marguilliers ne peuvent priver d'une chapelle une famille sous prétexte que celle-ci ne réside pas dans la paroisse et que l'église ne peut aliéner à perpétuité, même en lui conservant sa sépulture. Si, toutefois, il ne paraît aucun fondateur, la chapelle appartient au curé et à la fabrique qui se trouvent en droit d'en disposer à la manière la plus avantageuse de l'église » (GUYOT)].

Cependant, pour honorer des bienfaits spéciaux, lors de la construction, ou postérieurement, les chapelles de l'église peuvent être concédées en jouissance perpétuelle à une seigneurie qui y établit ses armoiries, ses sépultures et son banc. Ce sont souvent de simples autels accolés aux piliers ou aux bas-côtés de l'église qui sont ainsi donnés en jouissance à des confréries ou à des particuliers.

Il paraît opportun de montrer ici avec quelle solennité les prééminenciers prenaient possession de leurs droits honorifiques.

A la suite d'une récente acquisition, aux fins de se faire reconnaître comme seigneur de Launay-Mûr dans tous les droits réels et honorifiques de cette seigneurie, le comte de Noyan délègue à Mûr M. Haraut de Launay.

Accompagné de deux notaires, dont l'un fait partie de la cour supérieure de Pontivy, le sieur de Launay se présente, le 19 avril 1741, à la demeure du recteur de Mûr. Il fait connaître l'objet de sa mission ; le recteur après avoir déclaré n'avoir aucun moyen d'empêchement, se rend à l'église, revêt surplis, étole, chape et, suivi des prêtres de la paroisse dont l'un porte la grande croix d'argent et l'autre le bénitier, il va recevoir sur le seuil de l'entrée principale, les envoyés de M. de Noyan. Ceux-ci répètent à haute et intelligible voix, tant en français qu'en breton, « attendu la multitude de peuple qui est accourue au son des cloches », l'objet de leur venue, Saisissant l'aspersoir, le recteur en bénit M. de Launay et les assistants, puis lui présente la croix à baiser. La procession se forme et rentre dans l'église au chant du Veni Creator ; une messe est dite pour l'heureuse prospérité du comte et de la comtesse de Noyan et suivie du chant du Te Deum ; on constate ensuite les droits du seigneur dans l'église ; acte est pris des écussons existant dans la maîtresse vitre qui sont ceux de la seigneurie nouvellement acquise ; enfin on procède à la reconnaissance d'une chapelle prohibitive à la seigneurie de Launay-Mûr, sise du côté de l’épître. On y relève les armoiries des vitres, l'existence d'un enfeu levé..., etc. Après l'accomplissement des formalités requises, acte est dressé en due forme et signé du recteur, des autres prêtres, des notaires et des procureurs du seigneur (Une paroisse bretonne, par R. LE CERF).

***

Les prétentions des suzerains à la supériorité de l'église, l'accès au chœur de seigneurs qui n'ont pas un droit reconnu, les usurpations de bancs, d'armoiries, de sépultures, la possession des chapelles privées, sont les causes les plus fréquentes de procès. Pour éviter ceux-ci, les seigneurs procèdent à des prises de possession minutieuses dans lesquelles est décrite la place exacte des bancs, des armoiries, des tombes et, s'il y a lieu, des lisières armoriées ; ils réclament des habitants assemblés en corps, la reconnaissance détaillée de leurs droits ; en cas de restauration ou d'agrandissement de l'église, ils exigent des procès-verbaux de leurs marques honorifiques et le relevé en peinture des vitraux ; se font délivrer des lettres royales de maintenue, de sauvegarde ou de réintégrande [Note : Délibération des paroissiens de Plumieuc, qui reconnaissent les prééminences du seigneur du Cambout comme fondateur et dotateur de l'église paroissiale ; 27 février 1507 (Arch. des Côtes-du-Nord, E 1585). — Acte prônal du 3 mars 1510, par lequel les paroissiens de Riec confirment à Yvon de Guer, seigneur de la Porte-Neuve, du Parc et de Kerimel, les prééminences dont ses ancêtres jouissaient dans l'église paroissiale (Arch. de la Porte-Neuve, Soc. Archéol. du Finistère, 1888). — Les habitants de Plumelec, assemblés, reconnaissent au seigneur de Callac le droit de sépulture dans le chœur, d'armoiries et de lisière... dans leur église ; 21 juillet 1510 (Bibl. de Nantes, ms, fr. 1729) — Le général de la paroisse de Milisac reconnaît pour le présent et l'avenir que le seigneur du Curru possède, au pignon de La chapelle Saint-Yves, un enfeu sous arcade et une baie sise au dit pignon ; 2 janvier 1512 (Arch. du château du Grego, ms. 1611). — Lettres patentes de François Ier de maintenue et sauvegarde, en faveur de Michel de Bellouan, pour les enfeus, bancs, accoudoirs et armoiries que celui-ci possède en l'église de Ménéac ; 27 août 1533 (Arch. de Bellouan). — Lettres de Henri III confirmant les droits et privilèges de Loys de la Vallée, seigneur de Lescouet, dans l'église de Plumieuc ; 15 décembre 1551 (Arch. du château de Penhoët). — Acte de réintégrande, rétablissant la dame de la Villeaudon en possession de ses droits dans l'église de Plélo ; 27 mai 1587 (Arch. du château de Trégranteur, ms. 812). — Aux commissaires du roi, le marquis de Locmaria, seigneur de la paroisse, demande un décerné acte pour une carte figurative de toutes les armoiries des vitraux de Plongasnou, dressée en 1619 (Bibl. Louis XVI, Nantes, Acte de 1677). — Délibération du général de la paroisse de Sulniac, reconnaissant la supériorité et les droits honorifiques du seigneur de Boblay ; 15 août 1627 (Arch. du château de Trédion, ms. 853). — Procès-verbal par un conseiller au présidial de Vannes des droits prééminenciers du seigneur des Ferrières dans les églises de Sulniac et de la Vraie-Croix le 16 février 1630 (Arch. du château de Trédion, ms. 854). — Procès-verbal des prééminences et droits honorifiques appartenant aux seigneurs de Kerlès et de Kerlaouenan dans les églises de Landrevarzec et de Quillinen, avec un relevé en peinture de toutes les armoiries ; 1648 (Soc. Archéol. du Finistère, 1898), ....... etc., etc.]. Malgré tout l'arsenal des garanties et des non préjudices, la vanité des anciens titulaires, l'ambition des « parvenus » font éclater les querelles. Les uns, avec raison, veulent maintenir leurs droits, les autres aspirent, coûte que coûte, aux honneurs et ne se font aucun scrupule d'empiéter même sur les prérogatives des véritables fondateurs. Ce sont alors des « combats de prééminences » qui ne le cèdent en rien aux joutes les plus ardentes. Le duel singulier par lequel débute un conflit se développe parfois jusqu'à une conflagration générale. L'incendie un moment localisé, gagne tout l'édifice et chaque privilégié fait des prodiges pour sauver ce que lui a concédé la coutume, l'usage ou la complaisance des paroissiens. Il n'est pas rare que l'exaltation aboutisse à des voies de fait sur les personnes et à la détérioration des objets par lesquels se manifestent les prérogatives.

A chaque instant, il est question d'armoiries brisées dans les vitraux, de lisières lacérées, de bancs mis en pièces, de sépultures violées. La justice ecclésiastique fulmine des excommunications, le duc de Bretagne, ou le roi, lance des condamnations sévères : peines morales et sanctions matérielles ne semblent guère intimider les malfaiteurs stipendiés [Note : L'official de Léon excommunie le seigneur de Coetmeur, sa femme et ses adhérents, accusés d'avoir déplacé et brisé, dans l'église de Treouergat, une pierre tombale appartenant à Jean de Langueouez ; 16 juillet 1424 (Arch. du château du Grégo, ms. 1866). — Ordonnance de l'officialité de Saint-Malo prescrivant de poursuivre et condamner des malfaiteurs qui avaient brisé des écussons à La Croix-Helléan ; 20 février 1501 (Arch. du château de Penhoët). — La dame de Kermoguer, maintenant ses droits dans l'église de Moëlan, le seigneur de la Porte-Neuve, qui les conteste, envoie à Moëlan des complices qui arrachent et lacèrent la lisière armoriée de la dite dame. Le Conseil du roi dut envoyer des commissaires pour faire rétablir la lisière par le seigneur de la Porte-Neuve ; 1494 et 1495 (Arch. de la Porte-Neuve, Soc. Archéol. du Finistère, 1885). — Pour les procès sur la matière, nous renvoyons aux fonds seigneuriaux des Archives départementales. Quelques-uns de ces procès ont été publiés dans les Bulletins des Sociétés savantes locales, on en trouvera mention au cours de cette étude ; il serait trop long de les rapporter ici]. Certains poussent l'audace et l'acharnement jusqu'à l'extrême.

De notoriété publique, les seigneurs de Cadoudal étaient fondateurs et premiers prééminenciers de Plumelec. Cependant, une nuit, toutes leurs armoiries sur verre furent brisées. Le duc François II de Bretagne, dûment informé de la possession séculaire de Bonabes de Cadoudal, mit alors son fidèle vassal sous sa sauvegarde. Néanmoins, les malfaiteurs inconnus renouvelèrent leur méfait, « derechef » par force « rompant et abattant » les armes remises en place ; et qui plus est, un nommé Olivier de Bénazé eut l'impudence de défier la justice souveraine et de proclamer publiquement que chaque fois que reparaîtraient, dans les vitres, les armes de Bonabes de Cadoudal, elles seraient abattues... « quel cas est escandaleux, dit le mandement ducal, de mal exemple et digne de grande punition ». François II donna l'ordre à ses officiers de « reasseoir » les armes de Bonabes de Cadoudal et signifia que ceux qui se livreraient à de nouvelles voies de fait seraient frappés d'une amende de cent marcs d'argent. (1er juillet 1474) [Note : Bibl. Nationale, ms. 8269. — Peut-être est-il permis de supposer que ces violences étaient encouragées ou suggérées par les seigneurs de Callac ; nous avons déjà vu que ceux-ci se disaient également fondateurs de l'église de Plumelec. Dans la suite, ces deux seigneuries furent réunies dans la même main, et les jalousies de voisinage cessèrent par le fait même].

Dans la paroisse de Le Quiou, une bande, conduite par Colin du Breil et François de Beaumanoir, s'attaque au banc armorié d'Eustache de Hingant seigneur du Hac qui, lui aussi, s'est mis sous la sauvegarde du duc de Bretagne. Ces hommes sortent le banc dans le cimetière, lui coupent les pieds et, au jour du marché de Bécherel, le transportent dans cette ville, distante de plus de deux lieues. Là, ils font bannir qu'on vienne voir « hacher les armes du seigneur du Hac » et, à heure fixe, mettent le banc en pièces. Le duc fit assigner les délinquants à ses prochains plaids pour s'entendre condamner comme « infracteurs de sauvegarde ». (16 novembre 1479) ; mais sans doute ils firent défaut [Note : Bibl. Nationale, ms. 8269. — Le, duc faisait toujours procéder par commissaires spéciaux à des enquêtes par témoins et à des informations en due forme pour connaitre les droits exacts du plaignant ; et, s'il y avait opposition, il ajournait les opposants à comparaître].

A La Croix-Helléan, des hommes aux gages d'un voisin jaloux, s'en prennent à toutes les marques honorifiques de Jean de Quelen seigneur du Broutay. Dans les vitres, ils brisent les armoiries ; sur la pierre, ils martèlent les écussons ; ils arrachent les armes brodées sur le « bougrain » qui garnit le maître-autel (1501) (Arch. du château de Penhoët).

Des seigneurs se trouvent qui, à l'instar de certains oiseaux printaniers, s'installent de force dans les meubles de leurs commensaux. Il faut alors recourir à toute l'autorité de la loi pour les faire déguerpir. Le sergent de la cour de Ploërmel est obligé de se transporter dans l'église de Plumieuc, afin de sommer, de par le roi, Jean de Rohan du Gué-de-Lisle de « vuider » l'escabeau du seigneur de Cambout et de restituer le siège à son véritable possesseur, (5 mars 1507) [Note : Arch. des Côtes-du-Nord, E 1585]. Dans La vie communale, M. Léon Maître a fait le récit de l'énergique défense à main armée dans l'église du Châtellier que méditèrent René et Guillaume de la Vieuxville pour s'opposer à l'ensevelissement du seigneur du Châtellier dans le chanteau qui leur était prohibitif. « Ils firent porter derrière le maître-autel des arbalètes, des garots, des matras, des ciseaux, des javelines, en un mot tout un arsenal et donnèrent l'ordre à plusieurs métayers et serviteurs de porter de la paille dans l'église afin d'y demeurer couchés toute la nuit comme dans un corps de garde ». Des invectives violentes et des menaces de mort furent proférées de part et d'autre. Cependant, la bataille finit sans effusion de sang, parce que les amis du défunt se décidèrent à transporter le corps de l'église du Châtellier dans celle de Saint-Germain-en-Coglais, mais s'ils avaient affiché autant d'opiniâtreté que les autres dans la défense de leurs prétentions, il est certain que l'église aurait été profanée par une lutte terrible (1513) [Note : Revue des Questions Historiques, 1911. La vengeance de la partie évincée se réduisit à une plainte pour réparation des blasphèmes proférés dans l'église et du port des armes dans le saint lieu. Il y eut saisie des biens des métayers, qui n'évitèrent la prison qu'en prenant la fuite. Les La Vieuxville furent compris dans une amnistie à condition toutefois qu'ils viendraient dans l'église du Châtelier pieds nus, un cierge à la main, et qu'ils feraient amende honorable à Dieu au moment de l'élévation de la messe paroissiale].

Et s'il fallait revenir sur les abus et les spoliations de supérieur à inférieur, nous serions tentés de nous laisser entraîner à de trop nombreuses citations. Malgré tous les égards qu'a pour eux la justice, les seigneurs suzerains sont parfois mis en demeure de renoncer à des prérogatives indûment exercées.

A la suite d'un procès devant le Parlement de Bretagne, la duchesse de Penthièvre procuratrice de Gilbert de la Tremoïlle seigneur de Plélo, délaisse au seigneur de Kergommart les prééminences au chanceau de l'église de Plélo, prétendues jadis par les ducs de Penthièvre (1er Octobre 1588) (Arch. du château de Trégranteur, ms. 813). Dix ans plus tard, Gilbert de la Tremoïlle se voit de Saint-Bihy, nouveau obligé d'abandonner à un autre de ses vassaux, le seigneur de un escabeau placé par sa mère sur l'enfeu de Quelen, joignant les degrés du maître-autel (7 juillet 1599) (Arch. du château de Trégranteur, ms. 814). Dans ces deux transactions, le suzerain se ménageait cependant une place, en imposant aux seigneurs de Kergommart et de Saint-Bihy l'obligation de mettre leur escabeau à sa disposition au cas où il viendrait à l'église de Plélo ; le banc devait, en outre, porter les armes de Plélo au-dessus de celles des possesseurs.

En 1638, le Parlement de Paris condamna le seigneur de Coëtquen à enlever ses armes qu'il avait fait mettre, depuis peu, dans l'église de Pleudihen, pour céder la place au seigneur de La Touche-aux-Bécasses, reconnu comme fondateur (Bibl. municip. de Nantes, ms. fr. 1729).

Les paroissiens qui auraient dû avoir comme principal souci de respecter les droits de chacun, ne sont pas eux-mêmes à l'abri de tous reproches. Quand ils restaurent ou reconstruisent l'église, ils négligent de rétablir les marques de prééminences qui existaient dans l'ancien édifice ; ou bien, à cette occasion, ils accréditent trop facilement les prétentions de nouveaux seigneurs dans la paroisse, quand ceux-ci veulent supplanter les véritables ayants droit [Note : Arrêt de la cour de Porhoët condamnant le général et les paroissiens de La Croix-Helléan à replacer dans l'église paroissiale les bancs à queue et accoudoir qui y avaient été mis par le seigneur de la Ville-Briend et à l'en laisser jouir moyennant la rente annuelle que le dit seigneur avait coutume de payer ; 20 novembre 1507 (Arch. du château de Penhoët). — Procès entre le seigneur de Kérazan et le seigneur du Rusquet. Ce dernier, à la suite de la reconstruction du pignon de la chapelle Saint-They Cléden-Cap-Sizun, se plaignait qu' « on avait fait novalité dans ladite chapelle » ; 1615 (Soc. Archéol. du Finistère, 1910). — Les paroissiens de Sulniac, en, reconstruisant le pignon oriental de leur église, ont négligé de replacer dans ce pignon les armoiries du seigneur de Molac ; 7 mai 1633 (Arch. du château de Trédion, ms. 859). — Maréchal dit formellement que les tombeaux et sépultures ruinés avec l'église peuvent être rétablis avec l'église et que « les armoiries et écussons doivent être replacés en cas de reconstruction »].

Plus loin, il sera parlé des charges qui incombent aux seigneurs supérieurs de l'église ; mais dès maintenant, on voit que les paroissiens ont l'entretien de l'église, le droit de concessions honorifiques en dehors du chœur et, par ailleurs, ils délibèrent en assemblée générale sur les affaires les plus diverses touchant l'édifice [Note : Par accord avec les paroissiens de Sulniac et moyennant cent livres, les seigneurs des Ferrières obtiennent d'abandonner la chapelle « d'à bas » pour prendre la chapelle « d'en haut » de l'église paroissale ; 18 juillet 1630 (Arch. du château de Trédion, ms. 855). — Le général de la paroisse de Josselin délibère sur le déplacement des pierres tombales de l'enfeu de Maugremieu, nécessité par la construction d'un nouvel autel et d'un rétable ; 12 août 1696 (Arch. du château de Trégranteur, ms. 81). — Le 13 février 1718, le général de la paroisse de Mûr s'assemble et délibère sur l'opportunité de procéder à la réparation de l'église et à son agrandissement (Arch. paroissiales de Mûr). — Etc....]. C'est la conséquence évidente d'un droit de propriété réel sur le sol et l'église elle-même. Par contre, les prérogatives du patron et du justicier découlent d'un droit éminent fondé, d'une part sur le bienfait de dotation, d'autre part sur la possession du fief sur lequel l'église est bâtie.

III.

Les concessions faites par les paroissiens dans leur église et les procès entre seigneurs nous ont écarté légèrement du sujet immédiat de notre étude ; il convient maintenant de revenir à l'examen des honneurs les plus considérables — majores honores — reconnus aux prééminenciers supérieurs.

Après le droit de banc, de sépulture, d'oratoire, la litre a été un des privilèges les plus recherchés.

La litre était une sorte de frise funéraire que l'on peignait intérieurement et extérieurement sur les murs d'une église lorsque le seigneur patron de cette église mourait. L'usage de cette décoration paraît avoir pris naissance à la fin du moyen âge. On la laissa d'abord subsister une année après le service funèbre, puis s'établit la coutume de la renouveler seulement lorsque survenait un nouveau décès, de sorte que certaines églises portaient perpétuellement cette parure de deuil.

En parlant d'une église, « lisière » ou « ceinture » est synonyme de litre. Celle-ci était constituée par une bande noire, d'un pied et demi de large, ou deux au plus, sur laquelle se détachaient, de distance en distance, les armoiries du seigneur et divers emblèmes funéraires [Note : « La litre patronale ne doit point être plus large de deux pieds ; celle des princes est de deux et demi. Sur celle des princes, les armes et écussons peuvent être peints en distance de deux toises de douze pieds, mais celles des autres seigneurs doivent être plus éloignées quand on veut garder la décence. Les nobles d'origine seuls ont droit à l'écu et aux armes timbrées » (MARÉCHAL). — A notre connaissance, les litres peintes sont extrêmement rares en Bretagne, tandis qu'on trouve parfois des lisières sculptées dans les chapelles rurales. En Normandie, au contraire, les litres peintes sont assez fréquentes]. Parfois, la litre est devenue un motif de sculpture, sur bois ou sur pierre, couronnant les murs intérieurs et extérieurs de l’édifice, qu'il soit chapelle rurale ou église paroissiale ; la lisière ainsi comprise est un emblème seigneurial de fondation ou de patronage.

Nulle part, dans les coutumes écrites, si ce n'est dans celles de Tours et de Loudun — qui d'ailleurs sont les seules à traiter d'une façon explicite des prééminences d'église — on ne parle de la litre. C'est dire que les règles qui ont présidé à son application ont varié énormément. Ici, on s'en tient au principe de la supériorité exclusive du patron en lui reconnaissant le droit de litre, privativement à tout autre [Note : La Peyrère, Basnage, Danty, de Roye. Ce dernier est particulièrement sévère. En parlant du haut justicier, il s'exprime ainsi : « n'a point droit de litre au dedans parce que l'église ne lui appartient pas, mais au patron (remarquons en passant cette opinion que l'église appartient au patron) ; n'avait autrefois point droit de sépulture dans le chœur, du moins maintenant ne doit-il pas être enterré près du grand autel ; n'a point droit d'être encensé ; s'il y en a plusieurs, doivent s'accorder entre eux pour une seule litre... »] ; là, on l'admet en même temps pour le justicier et le patron ; ailleurs, s'il n'y a pas de fondateur, et pourvu que le nombre de deux lisières ne soit pas dépassé, on accorde ce privilège aux deux seigneurs les plus notables dans la hiérarchie féodale, qu'ils soient moyens ou hauts justiciers.

Parfois, le patron doit limiter sa lisière à l'intérieur de l'église, tandis que le justicier déroule la sienne sur les murs extérieurs [Note : DESPEISSES dans ses Droits seigneuriaux, LAMOIGNON dans ses Arrêts, PALU parlant de la Coutume de Tours, TRONÇON parlant de la Coutume de Paris, soutiennent ce point de vue] ; d'autres fois, l'un et l'autre usent des mêmes droits, à condition toutefois que le justicier ait sa ceinture au-dessous de celle du patron [Note : DE FERRIÈRE, GUYOT..., etc. ].

Maréchal dicte la règle suivante qui est celle que nous voyons appliquer en Bretagne : après le patron, le droit d'apposer et faire peindre la litre appartient uniquement au seigneur haut justicier ; pour l'un comme pour l'autre, la lisière est tant au dedans qu'au dehors et tout autour de l'église. En concurrence de ces deux seigneurs, la litre du justicier est placée au-dessous de celle du patron.

En outre de la litre patronale ou grande litre, il y a la petite litre qui se place dans une chapelle de fondation particulière appartenant à un gentilhomme ou à une personne de qualité, avec la réserve que la lisière du seigneur féodal de la chapelle ne s'étende pas au delà des limites de celle-ci et ne figure qu'à l'intérieur.

Néanmoins, le patron de l'église principale peut-il comprendre la chapelle en question dans son droit de ceinture, de sorte que sa litre vienne au-dessous de celle du seigneur particulier ? Question souvent débattue et jamais définitivement tranchée. Loyseau n'est pas de cet avis s'il s'agit d'une chapelle bâtie hors de la grande voûte de l'église ; chaque patron, d'après lui, a son district propre. Guyot penche vers cette opinion.

Quand il se trouve deux coseigneurs de haute justice du lieu, celui qui est seigneur de la portion la plus considérable doit mettre sa litre au-dessus de celui qui a la moindre portion. Ce qui semble généralement admis, c'est qu'il ne peut, eu aucun cas, y avoir plus de deux litres dans l'église [Note : « Il ne se trouve point, ou peu, de paroisses où il n'y ait concurrence d'un patron laïc, d'un seigneur haut justicier, d'un moyen ou d'un bas justicier séparément et qu'un autre soit seigneur du fief. Toutefois, le cas arrivant, on ne voit point plus de deux litres peintes autour de l'église, l'une du patron, l'autre du haut justicier ou bien du haut justicier et du seigneur de fief » (MARÉCHAL). — « Ne pourra y avoir dans l'église, ou au dehors, plus de deux litres en méme temps » (LAMOIGNON)].

Notons qu'il existait encore une ceinture funèbre faite d’étoffe ; elle s'appliquait, sur les parois intérieures de l'église et était assez communément employée dans les villes pour les obsèques des gentilshommes sans qualité dans la paroisse et celles des personnes notables.

A l'instar des villes, bien des églises de villages et des chapelles usaient de cette dernière décoration pour honorer les défunts à l'occasion d'un enterrement ou d'un service solennel. Plus simplement, dans les paroisses de campagne, on se contentait souvent de faire litre aux piliers on au-dessus du banc du défunt. Telles ceintures funèbres ne restent point après l'année de l'obit ; après le service de bout de l'an, la draperie revient à la fabrique pour en disposer, par les marguilliers, à son profit. Le patron et les seigneurs qui ont droit à la grande litre ne peuvent s'opposer à ces honneurs.

La pratique de mettre une église en deuil fut considérée par le clergé de certains pays comme un abus et même quelquefois, comme un scandale, par exemple lorsque les armoiries représentaient des objets peu décents. On trouvé, en effet, dans Le Pédagogue chrétien, imprimé en 1671, la formule que les missionnaires proposaient à la signature des patrons et seigneurs d'églises. La pièce est rare ; Luzel en a donné le texte intitulé : « Acte de déclaration de plusieurs gentilshommes chrétiens sur l'abus des litres et ceintures. funèbres .... ». Ceux-ci promettent de faire supprimer les peintures indécentes dont eux-mêmes ou leurs prédécesseurs auraient « souillé » les églises... sans toutefois déroger à leurs droits. Il y est question de motifs héraldiques tels que : tigres, lions, léopards, dragons, satyres, et, « jusqu'à de sales nudités et autres spectacles horribles ». Luzel ajoute que les missionnaires avaient peut-être raison dans la forme, mais péchaient par défaut de mesure (Soc. Archéol. du Finistère, XII, 1885).

Trévédy dit que les jurisconsultes eux-mêmes protestaient vivement contre l'usage « de faire porter à la maison de Dieu des marques profanes et séculières de la noblesse des morts » (Soc. Archéol. du Finistère, XII, 1885). Entre autres, Denisart qualifie cet usage de « très indécent » et Maréchal qui traite la même question bien avant lui, se plaint du manque de discrétion de certains gentilshommes qui font peindre leur litre sur des images saintes et des croix marquant la dédicace des églises. L'auteur s'élève contre toutes ces prétentions « fastueuses, vaines, ridicules et indignes d'un chrétien ». « Il faut, continue-t-il, de la décence, tant pour la sépulture que pour les autres honneurs mondains qu'on recherche pour satisfaire la vanité des vivants plus que pour soulager les défunts ». Le Père Maunoir eût applaudi à ce langage.

Les difficultés soulevées par le droit de litre ne sont pas rares. M. Léon Maître a rappelé un procès qui dura un demi-siècle, causé par la légère solution de continuité d'une lisière peinte dans le chœur de l'église de Mouzillon. Le privilège de la litre était d'autant plus ambitionné, qu'il était limité et réservé aux deux premiers prééminenciers, comme d'ailleurs le droit aux prières nominales, à l'encens, et à l'eau bénite.

La prière nominale est la distinction accordée, au patron et au haut justicier seuls, d'être désignés nommément au prône et recommandés aux prières des fidèles. Cependant, cette prérogative ne peut empêcher le desservant de la paroisse de recommander publiquement aux prières les autres bienfaiteurs de l'église ou les fondateur d'anniversaires le jour de cet anniversaire [Note : Les bienfaiteurs et fondateurs d'anniversaires peuvent et doivent être recommandés aux prières le jour qu'on annonce la célébration de leur fondation ou anniversaire. — On voit, dans certaines paroisses, avant que commence la grand'messe dominicale, l'officiant se transporter sur la tombe ou l'enfeu des seigneurs fondateurs pour y réciter des prières. Ces prières ne font pas partie des honneurs d'église, mais sont l'objet de fondations spéciales des patrons ou justiciers pour leurs défunts].

L'encensement se fait les jours de fêtes solennelles, excepté. lorsqu'il y exposition du Saint-Sacrement, et a lieu à la grand'messe et aux vêpres. A la messe, le curé se plaçant sur les marches de l'autel et se tournant vers le banc, ou la chapelle, du patron d'abord, du justicier ensuite, les encense, « même leur femme et leurs enfants ». A vêpres, après le Magnificat et l'encensement ordinaire de l'autel, la même formalité est renouvelée ; mais, cette fois, l'officiant se transporte devant le banc, ou dans la chapelle de l'ayant droit [Note : L'encensement a été ainsi réglé par différents arrêts dont le plus connu est celui du Parlement de Paris, rendu au profit du seigneur de Tallemay, le 11 juillet 1696 (MARÉCHAL)]. Dans certaines paroisses, les seigneurs se contentent d'être encensés par les enfants de chœur.

***

Aux honneurs moindres — minores honores — qui, à strictement parler, ne sont qu'une question de rang et de préséance, concourent les autres gentilshommes de la paroisse. Il faut entendre les seigneurs qui jouissent d'une qualité réelle ou personnelle dans la paroisse et, suivant une hiérarchie que nous avons donnée plus haut, ils ne peuvent prétendre à ces honneurs, qu'après le patron et le haut justicier du lieu. « Il ne s'agit en tout cela que du pas entre ceux qui n'ont point de droit, les honneurs proprement dits de l'église et ces préséances ne sont déférées à ceux qui les demandent que par bienséance .... ».

Guyot, après s'être exprimé ainsi, s'engage dans une longue discussion sur la façon de donner l'eau bénite ; soit par aspersion avec distinction, c'est-à-dire à la personne individuellement, soit par présentation du goupillon ou de l'aspersoir. Comme sur ce point s'élevaient de fréquentes contestations, l'Assemblée du Clergé, convoquée en 1665, se prononça pour l'aspersion [Note : « Sur ce qui a été remontré que les curés des villes et villages où il y a des seigneurs sont souvent inquiétés pour leur rendre les honneurs, particulièrement l'eau bénite...., la matière mise en délibération, il a été résolu, par l'avis des Provinces, que les curés feront tous les dimanches l'eau bénite, conformément au rituel et qu'après avoir aspergé l'autel et tous les ecclésiastiques étant au chœur, ils donneront par aspersion l'eau bénite aux seigneurs et dames des lieux étant en leurs bancs ordinaires » (Mémoire du Clergé, éd. 1716, t. V, p. 1470). Ailleurs, dans le même Mémoire, il est dit quie c'est « contre la forme de l'Eglise » qu'on donne l'eau bénite avec le goupillon. Ces délibérations firent l'objet d'un règlement pour tous les diocèses] ; mais cette solution n'obtint pas le succès qu'on en pouvait attendre. La jurisprudence, elle-même fort divisée, se prononce, suivant l'usage local, tantôt dans un sens, tantôt dans un autre. « Pour moi, déclare l'auteur des Observations sur le droit des patrons, au milieu des jugemens différens et des sentimens des Traités, je tiens, avec M. de Clugny, que le terme donner ne signifie pas la présentation du goupillon......, cependant l'usage de la paroisse doit être suivi pour l'aspersion ou la présentation. La possession surtout de ceux qui ont droit aux honneurs de l'église, est ce qui ordinairement et le plus sûrement décide de la façon de les déférer ; sans dire crûment, comme Ferrière, que les curés sont tenus de présenter le goupillon aux patron et haut justicier, ni, comme Simon, que l'eau bénite ne se donne que par aspersion ; je tiens que tout cela dépend de l'usage de la paroisse ou même de la province ».

Le pain bénit, ainsi que l'eau bénite, se donne avant tout autre au clergé, et ensuite, suivant le rang hiérarchique des honneurs ; cependant il ne paraît pas que, pour l'une comme pour l'autre de ces distributions, il ait toujours été tenu compte de la présence de ceux qui sont considérés comme pouvant prétendre aux honneurs moindres. Il est vraisemblable que le plus souvent, après le patron et le justicier, leur femme et leurs enfants, le pain bénit était offert à tous les fidèles indistinctement [Note : « Après le clergé, le pain bénit doit être offert au patron, sa femme et ses enfants, ensuite au haut justicier, sa femme et ses enfants et, après eux, à tous les fidèles indistinctement » (GUYOT). — MARÉCHAL déplore que « néanmoins est souvent advenu qu'aucuns des gentilshommes autres que ceux à qui les honneurs appartiennent de droit, deplaisans qu'on le (pain bénit) présentait à autres premier qu'à eux, ont battu et outragé les distributeurs, et par les autres, les mêmes distributeurs étaient menacés d'estre aussi battus s'ils faisaient le contraire ». « Ainsi — ajoute l’auteur — ces pauvres gens ne manquent d'estre battus et rebattus contre toute humanité et charité, si qu'aucun n'osait plus distribuer le pain bénit... ». Et il cite une décision du duc François de Montpensier qui, devant les disputes de deux gentilshommes, ordonna que le pain bénit ne leur serait plus offert à leurs places, mais qu'ils viendraient le prendre sur la table d'œuvre]. Et, en dehors des seigneurs auxquels les honneurs reviennent de droit, les autres gentilshommes et les officiers de la paroisse n'exercent de fait leur préséance qu'à l'occasion d'une marche en procession ou d'une cérémonie comme le baiser de paix et l'offrande à l'autel.

La distribution se fait par les bedeaux s'il y en a, sinon par les marguilliers et fabriciens en charge. Lorsqu'un officier royal ou une personne de dignité vient officiellement à l'église, les marguilliers doivent leur faire présenter le pain bénit en morceaux « distingués » et dans une corbeille spéciale.

Le fondateur peut seul faire choix du jour où il offrira le pain bénit aux paroissiens, que ce soit le jour de la fête patronale ou un autre.

Quant au haut justicier, il a, le jour de cette fête, des prérogatives plus importantes, car c'est à lui d'ordonner ou d'empêcher les réjouissances qui l'accompagnent. Des gentilshommes qui souvent n'ont aucune parcelle de juridiction dans la paroisse se disputent le privilège de « faire le cri et semonce », de « lever les quilles » ou, en Bretagne, de « lancer la soule » ; ils sont dans l'erreur, à moins que le justicier du lieu ne leur ait délégué ses droits [Note : Ni le fermier, ni le receveur, ne peut tenir la place du seigneur dans cette circonstance, car l'autorisation des réjouissances et l'ouverture des jeux sont des actes de la puissance publique qui appartient exclusivement et personnellement au seigneur de la paroisse]. Certains auteurs s'élèvent sévèrement contre les danses publiques, appelées « fêtes baladoires » et les « parties scandaleuses » qui ont lieu à l'occasion des fêtes de villages et des foires se tenant les dimanches ou fêtes chômées; ils voudraient voir les seigneurs justiciers user de leur autorité de police pour s'y opposer et faire mieux écouter les arrêts du Parlement [Note : Arrêt du 15 décembre 1665 et règlement du 3 septembre 1667 qui interdisent les fêtes publiques, appelées baladoires, et défendent la tenue des foires et assemblées les jours de grandes fêtes chômées et les dimanches].

Un abus qu'il faut encore signaler, c'est celui commis par les gentilshommes, qu'ils soient patrons ou non, qui prétendent contraindre les curés ou recteurs à changer l'heure des offices par raison de convenance personnelle. Sur les remontrances du clergé, le roi Charles IX défendit expressément l'intervention, dans ces circonstances, du seigneur temporel [Note : « Non seulement patrons et justiciers, mais même simples hobereaux et prétendus gentilshommes entreprennent jusqu'à changer l'ordre et l'heure du service, faisant avancer et plus souvent différer la messe de paroisse à des heures indues, pour les attendre, leur femme et leur famille, ce qui cause le mépris des prêtres et la débauche du peuple, principalement de ceux qui demeurent aux villages et hameaux éloignés et qui souvent sont contraints de s'en retourner sans entendre la messe. Ce qui amena l'article 3 de l'Edit de Charles IX sur les plaintes et remontrances du clergé en 1571, conçu en ces termes : Défendons très expressément aux seigneurs temporels et autres personnes quelconques de contraindre les curés ou vicaires de changer ou différer les heures du service divin ordinaires et accoutumées » (MARÉCHAL)].

Les curés et les recteurs, s'ils avaient osé, eussent formulé bien d'autres plaintes contre les seigneurs, ou du moins contre les exigences du droit féodal. L'encensement et la présentation de l'eau bénite leur paraissaient un abus d'honneurs dans la maison de Dieu et une atteinte à leur dignité ecclésiastique. Mais s'ils soulevaient un conflit de prérogatives, ils étaient invariablement condamnés [Note : « Cet honneur (l'encensement) dû aux patron et haut justicier de la paroisse a causé bien des troubles ; les curés, souvent impatients de ces honneurs, regardent comme au-dessous d'eux d'honorer par l'encens ces seigneurs. Dans ces cas, les arrêts ont condamné les curés » (GUYOT)]. Par ailleurs, les paroissiens toujours prêts à défendre leurs droits, ne permettaient pas qu'aucun fût omis.

Nous excuserions presque, aujourd'hui, le recteur qui — raconte Maréchal — aspergea d'une abondante pluie d'eau sainte la perruque toute neuve de son seigneur, pour faire sentir à celui-ci le prix des honneurs ; nous en sommes, à tout le moins, fort amusés.

Dans le même ordre d'idées, un recteur de Moëlan du commencement du XVIIIème siècle, refusa catégoriquement de se soumettre à un devoir féodal. Il était tenu, chaque année, pendant la grand'messe de Pâques, entre l'épître et l'évangile, de se rendre au banc du seigneur de Kermagoer, qui alors était une dame, afin de lui faire hommage d'une paire de gants blancs. Missire Dubois, le recteur, froissé davantage dans son amour-propre, semble-t-il, que dans ses sentiments religieux, déclara en justice qu'il était « inouy qu'un recteur interrompît le Saint Sacrifice, au jour le plus solennel de l'année et quittât l'autel avec tous les ornements sacerdotaux, comme pour aller sacrifier au Seigneur et demander les lumières du Saint-Esprit, et ce pour chercher dans l'église une dame, lui faire la révérence et lui présenter une paire de gants ». Le recteur n'avait peut-être pas tort au point de vue où il se plaçait, mais le droit de la dame de Kermagoer était formel et établi sur des titres anciens. Le procès dura une quarantaine d'années et se termina au désavantage du recteur (1703-1740).

Le plus curieux peut-être de cette affaire, est l'origine de cet hommage. Une charte du XVème siècle fart connaître que le seigneur de Kermagoer est fondateur et donateur de l'église de Moëlan et, comme tel, en possession d'être payé, dans les conditions que nous venons de voir, d'une paire de gants blancs. A défaut du devoir, le seigneur est en droit de saisir le missel servant au grand autel et de le garder jusqu'à ce que l'hommage soit rendu.

Nous n'avons pas trouvé d'autre exemple d'une reconnaissance de cette nature pour droits de fondation d'église et, bien que la charte à laquelle nous nous référons ne porte rien de plus explicite, il est permis de considérer cette obligation féodale comme un hommage pour la maison rectorale et ses coutils tenus du seigneur plutôt qu'une reconnaissance de son patronage sur l'église et le cimetière [Note : Transaction entre le seigneur de la Porte-Neuve et le seigneur de Kermagoer, relative à l'église de Moëlan, 1494 (LUZEL, Soc. Archéol. du Finistère, 1885)]. Telle est sur ce point notre opinion ; cependant nous ne pourrions établir, comme règle générale, que le patronage est purement honorifique. D'après Michel du Perray, en effet, si la réserve en a été faite lors de l'érection du bénéfice, le patron peut se faire payer un droit tous les ans pour signe de patronage (Traité de Patrons et curés primitifs, 1721).

IV.

On distingue deux sortes de patronages laïques : celui dont on jouit à cause de la famille et celui qu'on possède à cause du patrimoine. Le premier est personnel [Note : Le patronage personnel est héréditaire ou familial, c'est-à-dire qu'il peut suivre l'hérédité de la ligne directe ou être réservé aux agnats. Dans ce dernier cas, les héritiers les plus éloignés d'une famille doivent être préférés aux héritiers étrangers ou aux donataires les plus proches (SIMON). — Si le patronage est affecté à une famille et représenté par plusieurs membres d'une même famille, le patronage appartient en commun à tous et ceux-ci ne sont comptés que pour un : aussi, ils n'ont droit qu'à un seul banc dans le chœur à une seule sépulture, à une seule litre (DE ROYE)] ; le second est attaché au fief ou à la seigneurie et suit la possession (Voir : LOYSEAU, MARÉCHAL, DE FERRIÈRE, SIMON, DANTY).

Si les grands honneurs sont le privilège d'une famille, ils ne peuvent quitter la personne et dans aucun cas ne sont cessibles ; s'ils sont attachés à la seigneurie, ils sont inhérents à celle-ci et ne peuvent être transmis qu'avec l'universalité de la glèbe.

Bertrand d'Argentré, en son Conseil cinquième, tient que « celui qui possède les droits d'église ne peut permettre à un autre d'en user car ces droits sont non cessibles, sinon avec le corps du fief et seigneurie d'où ils dépendent, ou bonne part d'iceluy » (Consilium Quintum, 1605). Si le patron ne fait pas profession de religion catholique, il ne peut subroger un autre gentilhomme en ses droits ; ceux-ci ne lui sont pas contestés, cependant, même avec le titre de fondateur, il ne peut être inhumé dans l'église (MARÉCHAL, Traité des droits honorifiques).

Le transport de la majeure partie du fonds entraîne le patronage. La vente du manoir est un titre universel ; on peut même soutenir avec Hévin que les prééminences d'église sont « inséparablement attachées au château et fief dominant » (Coutumes générales, 1746, titre XVI). Tout acquéreur est en possession des droits que lui procure le fief qu'il a acquis, mais il ne peut effacer les marques de prééminences de son prédécesseur pour mettre les siennes à la place (DE ROYE).

Les femmes sont fondées à recueillir un patronage [Note : « Le droit de patronage appartient aux femelles aussi bien qu'aux mâles » (SIMON)]. L'usufruitier, ni la douairière, n'a les droits honorifiques (MARÉCHAL, Traité des droits honorifiques).

Les observations qui précèdent trouvent leur application en ce qui concerne les droits reconnus au justicier et bien qu'en principe les grands honneurs dus à ce seigneur restent à celui qui possède la justice du lieu où l'église est bâtie, il se présente des difficultés lorsque le patrimoine est divisé, soit par acte de partage, soit par vente. Pour mettre fin à des querelles interminables, la justice ne voit parfois d'autre solution que d'arranger les affaires à l'amiable sans tenir compte des règles généralement reçues. Les juges donnent à chacun des plaideurs une part aux droits ; tantôt ils divisent les honneurs ou les partagent à l'alternative, tantôt ils donnent à chacun une portion de la féodalité de l'église, tantôt ils contraignent une des parties à mettre un nouveau banc, à établir un nouvel enfeu, ou encore à construire un oratoire privé qui compenseront les privilèges laissés à l'autre seigneur.

Dans un procès entre un seigneur pour moitié de la haute justice de Pouy (baillie de Sens) et un acquéreur de l'autre moitié, il fut jugé par le Parlement de Paris que les parties auraient les honneurs de mois en mois, à l'alternative, « demeurant néanmoins que l'héritier des anciens seigneurs aurait le siège et l'oratoire de ses prédécesseurs, sauf au nouvel acquéreur de faire redresser son oratoire ou attacher un banc de l'autre côté du chœur au lieu aussi et non plus éminent que celui du premier » (20 février 1616) (MARÉCHAL, Traité des droits honorifiques). Dans un autre cas de partage de haute justice, un arrêt du Parlement de Bourgogne du 3 mars 1560, décide que l'un des titulaires aura la justice sur les places communes, y compris le cimetière, et que l'autre étendra sa juridiction sur les hommes et sujets du village, les maisons, la fontaine, le lavoir public. Au premier furent accordées les prééminences dans l'église et il fut ordonné que l'autre ferait construire une chapelle pour y placer son banc (MARÉCHAL, Traité des droits honorifiques). La terre de Beuves, relevant de Châteaubriant, déclare ses droits, le 18 juin 1663. sur une « moitié » de l'église et de la chapelle Saint-Nicolas (Arch. du château de Trédion, ms. 320). Sans doute, cette moitié a-t-elle pour origine un partage patrimonial [Note : Dans d'autres cas également, lorsque deux hauts justiciers se trouvaient en concurrence, la justice parfois ne voyait pas d'autre solution que de diviser la superficie de l'édifice où pouvaient s'exercer les droits ou de partager d'une façon quelconque les honneurs. Le différend sur les prééminences de Moëlan dont il a été plusieurs fois question ici, se termina par une transaction de la cour royale de Quimperlé qui, voulant donner satisfaction aux deux intéressés, proposa de partager en deux parties égales, de l'est à l'ouest, l'église paroissiale. Le seigneur de Kermagoer eut le côté de l'épitre et le seigneur de la Porte-Neuve, le côté de l'évangile, avec faculté d'avoir chacun respectivement dans la moitié dévolue : tombes banc et litre privatifs ; 1495 (Soc. Archéol. du Finistère, 1885). — A Mûr, un conflit éclata entre le duc de Rohan et le comte de Noyan qui prétendaient l'un et l'autre à la féodalité de l'église paroissiale et de la chapelle Sainte-Suzanne (1768). Une transaction intervint qui reconnut au premier le patronage de l'église principale et au second celui de la chapelle (Arch. de Mûr)].

En Bretagne, le patronage réel semble avoir été seul en vigueur.

En parlant de ce droit, au chapitre II des Seigneuries, Loyseau établit que les grands honneurs ne sont pas exactement attribués à la personne, ni ne sont tout à fait réels, parce que la terre ou seigneurie n'est pas capable de les recevoir en foi ; ils sont mixtes, étant affectés à la personne à cause de la chose. Du Perray émet l'opinion que le patronage dépendant d'un domaine n'est que l'accessoire du fonds, accessoire qui suit le principal de la seigneurie, tout en restant incorporel. Hévin dans son chapitre des Fiefs insiste dans ce sens : « Les prééminences d'église ne dérivent point véritablement de la féodalité ». C'est ce qui permet d'expliquer que les anciens aveux sont très sommaires sur l'article des droits honorifiques d'église ; on n'y mentionne pas, ou exceptionnellement, les prééminences. On les a exprimées depuis que le dénombrement est devenu nécessaire et surtout depuis l'édit royal de 1539 ; mais, à cette époque, l'origine de possession s'est perdue et les déclarants, très anciennement fondés, se contentent de se porter comme fondateurs, en jouissance des honneurs qui découlent du patronage.

Fort rares sont alors les seigneurs qui peuvent appuyer leur déclaration sur un titre de fondation, sur une concession des paroissiens, comme les seigneurs de la Porté-Neuve en Riec que nous avons déjà cités [Note : Acte prônal du 3 décembre 1510 relatif aux prééminences de Riec (Soc. Archéol. du Finistère, 1888)], ou sur une dotation précise comme les seigneurs du Cambout, en Plumieuc. Ces derniers, après avoir, énoncé par le détail leurs prééminences, font savoir qu'ils tiennent ces prérogatives de leurs prédécesseurs qui ont donné à la fabrique un trait de dîme, vulgairement appelé la dîme de la Ville-Ernault, dont l'église jouit encore, valant 35 boisseaux de seigle par an (aveu du 16 juin 1549) [Note : Fonds du Cambout (Arch. des Côtes-du-Nord, E 1585)].

Nous avons dit ailleurs que l'édit de François Ier (1539) qui exigeait la preuve par titre authentique, dut être rapporté en partie ; s'il mit un frein aux abus, il ne changea rien à l'état présent des possessions. A défaut de présentation à la cure, en l'absence de titres, on rechercha la preuve dans la possession paisible et immémoriale [Note : « Les prééminences d'église se peuvent prouver par témoins ». Ordonnances de 1453 et 1535 à ce sujet. HÉVIN : Consultation 66] et dans les signes apparents conservés dans l'édifice tels que : écussons armoriés dans le chœur, aux voûtes, au chevet, au maître-autel..., ainsi que dans les autres parties de l'église.

Loyseau estime que la possession paisible est « d'un grand poids », mais toutefois qu'elle est sujette à équivoque. Avec raison, Guyot pense que les armes à la clef de voûte pourraient être une preuve plus positive car il n'est guère possible qu'elles ne datent pas de la construction de l'église. Mais des autres marques de prééminences Guyot n'induit pas le droit et la possession [Note : « A défaut de titres et de présentation à la cure, les prétendants pour se maintenir dans leur rang donnent comme preuves plusieurs signes : les armes de leurs prédécesseurs, soit à la clef de voûte, soit à la maîtresse vitre, soit sur les cloches où la qualité de patron sera gravée. Tous ces signes sont équivoques ; peu, après les avoir bien prouvés, réussissent dans leur prétention. Les armes à la clef de voûte pourraient, me semble-t-il, être une preuve plus positive ; il n'est guère possible de n'en pas induire la construction de l'église » (GUYOT)].

Sur les marques de noblesse d'Argentré émet deux avis assez contradictoires [Note : Du partage des nobles. Question XXV et Conseil V des Consilia Responsaque illustria (Paris, Nic. Buon, 1605)] ; nous retenons celui qui corrobore les sentiments des autres auteurs et qui est le plus conforme aux arrêts des cours de justice. En parlant des litres dans son Consilium Quintum, il déclare attacher peu de valeur à ces « images enfumées » qui, si elles prouvent une longue possession, ne prescrivent aucunement le droit d'autrui. « Bien plus, ajoute-t-il, elles ne sont pas des témoignages suffisants de fondation, alors qu'elles peuvent avoir d'autres origines variées, telles que : une longue prescription, le consentement de la population et d'autres causes particulières qui ne fortifient en rien les prétentions de leurs créateurs ». Ensuite, il traite de fou et d'ignorant celui qui prétend au titre de fondateur parce que, au soutien de ses droits, il fait valoir « une image opaque de noblesse dans des vitres » ou « un banc placé dans un coin de l'église » alors que, le plus souvent, on trouve jusqu'à trente sièges dans le même sanctuaire sans compter les bancs des échevins. « En vérité, on ne peut inférer du particulier au général ». Nous nous en tiendrons à cette conclusion relativement aux marques d'honneurs autres que les écussons témoins de la construction.

Sur la question des honneurs et des préséances, toutes les fois qu'il y a contestation quelconque dans le lieu saint ou action en conservation des droits, l'affaire est portée devant le juge royal le plus proche [Note : « Ordinairement la contestation sur les droits honorifiques est pour la possession ou quasi-possession dont la connaissance, entre toutes personnes, soit ecclésiastiques, soit laïques, appartient indistinctement au juge séculier privativement à tous autres » (MARÉCHAL)]. Le juge séculier seul doit connaître du possessoire en ces matières. Le curé ou recteur n'a pas qualité pour intervenir parce qu'il s'agit du temporel de l'église et non du spirituel. Lui-même, pour les honneurs, doit se conformer au droit établi et à l'usage local sinon, nous en avons vu des exemples, il y est contraint par les voies de la justice [Note : « On peut agir, pour les droits honorifiques, contre ceux qui empêchent qu'on les rende. Le seigneur de la paroisse peut assigner le curé devant le juge séculier. Parce que ce sont droits honorifiques, ils font partie de la seigneurie et le seigneur en étant en possession, celui qui l'a troublé, soit laïc, soit ecclésiastique, peut être assigné » (MARÉCHAL)]. Celui qui est troublé dans son rang doit intenter une action contre celui qui le trouble. L'action s'engage par requête et, sur cette requête, on réclame l'office du juge, au lieu de se pourvoir par complainte (Voir : LOYSEAU, MARÉCHAL, DANTY).

Les droits honorifiques entraînent-ils des obligations et des charges pour ceux qui en jouissent ? Du fait des honneurs d'église, les seigneurs sont-ils tenus de prendre part à la reconstruction ou à l'entretien de l'édifice religieux ?

Parmi les auteurs que nous avons consultés, Michel du Perray est le seul qui fournisse quelqu'éclaircissement sur la matière. Quant à la jurisprudence, sur ce point comme sur tant d'autres, elle a extrêmement varié.

En tant que prééminenciers, le patron, le justicier du lieu, ou tout autre seigneur, n'ont pour obligation que d'entretenir les objets de prééminences qui sont leur possession : chapelles privées, enfeus avec la muraille auxquels ils s'adossent, bancs, vitraux ou simplement les armoiries de ces vitraux. Et comme les gentilshommes mettent toujours beaucoup moins de zèle à entretenir leurs biens qu'à revendiquer leurs prérogatives, il faut à l'occasion leur rappeler ces devoirs.

A la requête du gouverneur de la chapelle de de Saint-Renan et des bourgeois de cette ville, les seigneurs du Curru sont assignés pour avoir à réparer et mettre en état les fenêtres et les vitres auxquelles ils prétendent à cause de leurs prééminences, tant en la chapelle de Notre-Dame qu'en l'église paroissiale, « sous peine de perdre leurs droits honorifiques et d'être condamnés aux dommages de l'édifice provenant du manque d'entretien des dites fenêtres qui sont carentes de vitres depuis cinq ou six ans » (17 janvier 1573) (Arch. du château du Grégo). Le vicaire de la paroisse de Lanmeur, en 1677, se plaint de l'état déplorable dans lequel tous les prééminenciers laissent les écussons qui figurent dans les vitraux du chœur [Note : Etat des prééminences dans les églises du ressort de Morlaix et Lanmeur] ; l'observation de ce desservant peut se répéter dans un grand nombre de paroisses [Note : Les fabriques et le général des paroissiens de Milisac reconnaissent pour l'avenir les prééminences du seigneur du Curru, sous la charge d'une rente et « l'obligation de les entretenir en valables réparations » ; 2 janvier 1512 (Arch. du château du Grégo, ms. 1611), — Les paroissiens de Riec confirment au seigneur de la Porte-Neuve les prééminences dont ses ancêtres ont joui, à la condition que le seigneur et ses successeurs « tiennent en bon état de réparations la chapelle privée où sont leurs prééminences » ; 3 décembre 1510 (Soc. Archéol. de. Finistère, 1888)].

La fondation qui est un bienfait ne peut entraîner par elle-même des charges, elle procure au contraire, dans certains cas, des bénéfices matériels à son auteur ou à ses successeurs [Note : Nous voulons parler du cas où l'église doit fournir l'entretien à son patron si celui-ci, ayant fait cette réserve lors de la fondation, tombe dans l'infortune]. Pour soutenir cette thèse, nous citerons Simon qui estime qu'il serait injuste de faire supporter les grosses réparations du chœur aux curés primitifs ou patrons lors-

Qu'ils n'ont point les dîmes et lorsqu'ils ne jouissent que de droits honorifiques. Mais tout autre est la situation du gros décimateur, qu'il soit patron ou seigneur de la paroisse. Il est tenu de subvenir à la reconstruction et aux grosses réparations de l'église. Le droit commun et la jurisprudence ordinaire ont établi le principe que, dans ce cas, le chœur est à la charge du gros décimateur et que la nef et le transept sont à la charge des paroissiens. Les dîmes étant de véritables fonds et le patrimoine des cures, si elles tombent en main étrangère et privilégiée, leur possesseur est contraint : 1° de fournir au curé « le gros » ou « la portion congrue » ; 2° d'entretenir l'église d'ornements, de croix et de calices ; 3° de réparer le chœur. Du Perray appuie son traité sur le droit canon et l'autorité de la cour de Rome ; son sentiment paraît indiscutable [Note : « C'est un bon argument contre les décimateurs qui sont obligés aux réparations du chœur et à fournir les ornemens — dit encore DU PERRAY — de conclure contre eux aux charges des portions congrues ou au supplément. S'il n'y a qu'un décimateur, il est tenu seul ; s'il y en a plusieurs, c'est un droit solidaire fondé sur les déclarations de 1686 et 1690. Comme c'est la même raison pour les ornemens et pour les réparations, ils y peuvent être contraints solidairement sauf le recours d'un décimateur contre les autres »] ; ailleurs, il ajoute que le patron laïque n'est tenu aux réparations du chœur que subsidiairement à ses dîmes inféodées.

Même si le patron n'avait pas part aux travaux, la bienséance voulait que le fondateur fût consulté sur l'opportunité de la reconstruction de l'église, mais la prétention du marquis de Carcado seigneur du Bot de s'opposer de toute son autorité à la réédification de l'église de Saint-Caradec, bien que celle-ci tombât en ruines, constitue un véritable abus. Ce n'est qu'après dix-sept années de tiraillements et de procès que ce seigneur finit par donner son consentement ; les travaux furent achevés en 1664, sans que le marquis de Carcado y eût contribué [Note : Notice sur la paroisse de Saint-Caradec, évêché de Saint-Brieuc, par l'abbé AUDO (Annuaire des Côtes-du-Nord, 1872). Le seigneur de Carcado défendit même de soumettre à l'avenir les comptes de fabrique à l'examen de l'évêque, se réservant de les voir lui-même ou de les faire examiner par les juges royaux de Ploërmel].

Il semble que dans bien des cas et surtout durant les deux derniers siècles du régime, les paroissiens ont su se passer du concours des seigneurs, fondateurs ou premiers prééminenciers. Au cours du XVIIIème siècle, des travaux de restaurations et d'agrandissements sont poursuivis à l'église de Mûr, tant au choeur que dans la nef. A aucun moment, les seigneurs prééminenciers n'interviennent, sinon pour donner leur agrément « sous réserve de leurs droits ». Les fabriciens et le général prennent toutes les décisions. Ils soldent les dépenses sur les deniers propres de l'église et des chapelles trêviales et au moyen d'emprunts à la fabrique de la riche chapelle de Sainte-Suzanne de Mûr. En outre, les habitants font les charrois et contribuent — disent les délibérations — « suivant leur pouvoir et suffisance » (Une paroisse bretonne).

S'il fallait le consentement des prééminenciers pour réparer ou démolir les parties de l'édifice où portaient les droits honorifiques, par contre, l'autorisation du général devenait nécessaire au seigneur pour qu'il pût réparer ou tout au moins, démolir sa chapelle privée [Note : Une paroisse bretonne. Le comte de Noyan, en 1788, demanda au général de la paroisse de Mûr l'autorisation de démolir sa chapelle privée de l'église paroissiale, devenue trop coûteuse d'entretien].

***

Les droits honorifiques d'église que nous venons d'étudier en nous appuyant sur les documents d'archives et sur les Traités spéciaux n'ont pas seulement un intérêt rétrospectif. La tradition en Bretagne et les usages locaux ont une telle force que, malgré les changements dans le régime des hommes et des institutions, bien des coutumes, bien des usages d'une époque qui semble périmée, subsistent ; bien des signes de l'esprit public d'autrefois persistent dans nos campagnes.

En particulier, il reste des survivances indéniables des honneurs d'église. Ne voyons-nous pas encore le seigneur de la paroisse qu'on appelle aujourd'hui le châtelain avoir son banc, armorié ou non, à l'une des places les plus honorables de l'église ? Même, dans les églises modernes, il a parfois sa chapelle privée d'où il assiste avec sa famille aux offices du culte ; des vitraux sont marqués de son écusson ou de son chiffre ; si le caveau familial a été transféré dans le cimetière c'est que les concessions dans l'église ont été définitivement supprimées.

Dans maintes paroisses, le prestige de l'ancien rang social est resté tel qu'après les membres du clergé, et avant tout autre fidèle, le pain bénit est présenté au châtelain [Note : Des usages particuliers se sont également maintenus. Nous connaissons une paroisse où, au cours de la grand'messe dominicale, un marguillier vient offrir, sur un plat d'argent, un petit pain bénit à la personne la plus notable, qu'elle soit étrangère ou de la paroisse, qui assiste à l'office. Ailleurs, l'héritier des anciens seigneurs de la paroisse est reçu par une sonnerie de cloche lorsqu'il vient pour la première fois à l'église. S'il était possible de s'enquérir de ces usages locaux, transmis depuis le régime seigneurial, il n'est pas douteux qu'on en retrouverait un assez grand nombre de nos jours] et que la famille de celui-ci figure en tête des recommandations mortuaires.

Par ailleurs, on doit voir un souvenir de l'usage de la litre dans les tentures funèbres qu'on suspend les jours d'enterrements et de services anniversaires ; aux portes et à l'intérieur des églises et sur lesquelles sent apposées les armoiries timbrées ou les initiales de la famille du défunt.

A part ces derniers qui ne dépendent plus de l'église, comme jadis, ces honneurs sont généralement justifiés par des bienfaits et par des libéralités en faveur de l'église ou de la paroisse.

(Hervé du Halgouet).

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