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LIGNE DE DEFENSE BRETONNE : PORHOET — MERDRIGNAC — LA CHÉZE

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PORHOET — MERDRIGNAC — LA CHÉZE.

I.

Nous avons étudié en détail la première ligne de défense de la Bretagne vers le nord, le Penthièvre. Nous nous contenterons d'un coup-d'œil général sur la deuxième ligne, formée du Plou ou Pou-trez-Koat, souvent traduit dans les chartes du moyen-âge par Pagus trans sylvam. Ce « pays au-delà des bois, » au-delà du massif de forêts qui séparait le versant de la Manche du versant de l'Océan, va nous montrer le vrai Breton de l'intérieur, le Breton de la montagne, et complétera ainsi notre étude des anciens jours.

Ce Pou-trez-Koat, devenu peu à peu Porhoët, est mentionné dans une charte donnée à l'abbaye de Redon, la 20ème année de l'empire de Louis-le-Débonnaire, Nominoë régnant en Bretagne ; ce qui, pour le dire en passant, montre que Nominoë, bien qu'il se fût déclaré roi, reconnaissait la suzeraineté de l'empereur carlovingien. Deux fois nous y lisons le nom de Poutrecoët. L'évêque Ermor en était mactiern : qu'on veuille bien remarquer ceci : le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel réunis dans une même main (Act. de Bret. I, 269).

Deux ans après, un autre mactiern voit un excellent cheval appartenant à un prêtre. Pour se procurer le cheval, le mactiern donne une terre — les terres étaient alors moins rares que l'argent. — Plusieurs mactierns se portent témoins au contrat, et, parmi eux, cet Ermor « episcopus in pago Pordcoët » (Act. de Bret. I, 271).

Un peu plus tard, sous le règne de Charles-le-Chauve, une femme nommée Roiant-Dreh établit sa noblesse par sa généalogie. Puis, considérant que les nobles peuvent disposer de leurs biens comme ils l'entendent ; qu'ils peuvent adopter qui ils veulent ; se trouvant sans protecteur par la mort de ses fils, elle adopte Salomon, à qui elle ne donne que le titre de prince. Elle veut que, elle morte, il ait la pleine propriété des biens de la défunte, sauf ce qu'il lui plaira de donner aux filles de celle-ci : on voit qu'à cette époque l'hérédité ne constituait pas un droit absolu. Cet acte était dressé « in pago trans sylvam » (Act. de Bret. I, 331).

Le « dimanche 8 des calendes de février de l'an de Notre-Seigneur 878, la fin du monde étant proche », Loiesvalon donne à l'abbaye de Saint-Sauveur, où repose les corps des saints, une propriété rurale et ses colons. Cette propriété est située au « plou de Caroth, in pago Pouirocoet » (Act. de Bret. I, 304).

Ainsi, dans le cours du IXème siècle, voilà le Porhoët nommé de quatre façons différentes ; mais formant toujours un grand pagus, avec ses mactierns, ses plous, ses ker. En taillant ses divisions et subdivisions ecclésiastiques, Nominoë se préoccupa plus des besoins politiques de son temps que des anciens groupes de population. Alain Barbetorte, au contraire, paraît s'en être beaucoup rapproché, en tracant ses grands commandements militaires.

Au reste, nous reviendrons sur ces détails géographiques. Bornons-nous en ce moment à dire que le Poutrecoët limitait le Penthièvre au sud.

Après la mort du héros qui venait de rendre à son pays son autonomie, et de lui donner cette organisation militaire qu'on a nommée la féodalité, la Bretagne se trouva partagée en trois grands commandements, avons nous dit, le comté de Rennes, celui de Nantes et celui de Cornouailles. Le chef du premier de ces groupes, Conan-le-Tort, avait placé à la tête d'une de ses subdivisions un de ses fils, Guethenoc : c'est le premier qu'on cite parmi les vicomtes du Porhoët.

Le cartulaire de Redon nous le montre prenant part à plusieurs actes importants des premières années du XIème siècle. Ainsi il est un des témoins de la donation de Belle-Isle à cette abbaye, par le comte Geoffroy, autre fils de Conan-le-Tort. « Pour ses crimes sans nombre, » dit-il avec humilité, il fait de riches aumônes au Mont-Saint-Michel. L'évêque de Vannes, au contraire, le cite pour ses bonnes œuvres, avec son fils Goscelinus ou Josselin, dont le nom fut donné au château commencé par Guethenoc (Act. de Bret. I, 356, 360, 381, 382. — Guethenoc avait épousé Alarem de Cornouailles. Ceci est à noter pour la suite des sires de Porhoët).

Josselin porte le titre de vicomte à partir de l'acte de fondation de l'abbaye de Saint-Georges de Rennes, en 1031. Jusque vers 1074, il figure dans un trop grand nombre d'actes pour que nous en fatiguions le lecteur. Nous citerons seulement la fondation du prieuré de Saint-Cyr de Rennes ; une donation faite à Mont-Altor, où il prend le titre de vicomte de Rennes ; la fondation qu'il fait lui-même du prieuré de Sainte-Croix à Josselin ; enfin, la constitution d'un tribunal où il va rendre la justice au nom du comte Conan II (Act. de Bret. I, 369, 372, 375, 395, 405).

Nous n'avons guère trouvé autre chose qui méritât d'être signalé, touchant ces nouveaux chefs du Poutrecoët. Et pourtant ils durent prendre une part active à la conquête de l'Angleterre, puisqu'ils y reçurent des terres étendues.

Ceci n'empêcha pas, quelques années après, Heudon [Note : Nous avons adopté cette orthographe de très-anciens actes, pour éviter toute confusion entre ce prince et le chef du Penthièvre portant le même nom dans le même temps], fils de Josselin, de s'allier au comte de Montfort contre Guillaume-le-Conquérant et le duc de Bretagne, Hoël. Au moment où celui-ci croyait tenir Heudon et ses montagnards bloqués dans leurs rochers, ils s'en étaient dégagés, avaient enveloppé, battu et fait prisonnier le pauvre duc. Cet habile fait de guerre et la pieuse magnificence d'Heudon-le-Vieil, comme on le désigne habituellement, l'ont fait qualifier, dans les actes du temps, d'illustrissime.

En 1092, il établit une fondation à Sainte-Croix de Josselin pour sa femme Anne, qui reposait dans ce prieuré (Act. de Bret. I, 462, 480.— Parmi les barons et voisins qui ont signé à l'acte de fondation , nous citerons « Conan de Moncontour »). Heudon laissa plusieurs fils qui paraîtront dans notre récit. L'aîné, Jostho ou Josselin, appela les moines de Marmoutiers dans la cella de son château, et fonda ainsi le prieuré de Saint-Martin. Nous avons déja montré plus d'une fois que dans cette société, naguère bouleversée et si agitée encore, le clergé régulier était presque seul apte à ramener l'ordre moral, par l'étude et l'enseignement. La noblesse bretonne faisait donc preuve d'intelligence en semant de tous côtés ces prieurés, sous la surveillance des grandes abbayes ; en plaçant près du castrum, expression de la force matérielle, ces établissements religieux, force morale, qui prêchait aux peuples l'obéissance et le respect.

Aussi l'épiscopat se montrait-il partout favorable à ces actes de piété. Lorsque, en 1108, Josselin donna au prieuré de Saint-Martin l'église du château, Benoît, évêque d'Alet, s'empressa de sanctionner cette donation. Avec l'assistance de ses frères, Guihenœus, Geoffroy et Alain, il confirmait à ses moines un passagium ou bac, non loin du castrum de Lohoiac (Act. de Bret. I, 511. 515, 521, 524).

Jostho ou Josselin, tantôt peul tantôt avec l'assentiment de ses frères, continuait ses aumônes. Vers 1115, se sentant prés de mourir, il prit le froc et donna à ses confrères toutes ses valeurs mobilières, bijoux, argent, etc. Geoffroy et Alain y virent un acte de captation et attaquèrent le testament. Les moines transigèrent : moyennant un magnifique vase d'or que leur avait laissé Jostho et 10 sous d'épingles à un jeune frère de ce dernier, ils gardèrent le reste du legs. Les aumônes des princes de Porhoët n'en continuèrent pas moins ; elles furent confirmées, en 1129 et 1130, par Jacques, évêque de Vannes, et par Donoald, évêque d'Alet.

A la mort de son frère aîné, Geoffroy prit le commandement du fief, mais toujours assisté d'Alain. Malgré les démêlés dont il vient d'être question, les actes du temps qualifient Geoffroy d'homme pieux. En effet, sentant la mort approcher, vers 1118, il appela près de lui le vicomte Alain, ses principaux barons et bourgeois, reçut devant eux l'habit monacal, les derniers sacrements et s'endormit doucement dans le Seigneur (Act. de Bret. I, 530, 539, 561).

Bien qu'il ne fût que le troisième ou quatrième fils d'Heudon-le-Vieil, Alain figure près du chef du Porhoët dans presque toutes les pièces considérables de ce temps. Il paraît avoir été l'homme de cette génération, et avoir fait en Angleterre une de ces grandes fortunes territoriales que la guerre donnait assez souvent alors.

Parfois les deux frères étaient désignés sous le titre de proconsuls en Porhoët Cependant le moment approchait où le second, « l'illustre vicomte du château de La Noë, » allait se séparer de la souche commune pour fonder le fief et la famille qui devait jeter un grand éclat sous le nom de Rohan.

A ce moment même, dans la branche aînée, naissait un homme hors ligne, un homme de fer, dont le patriotisme, la valeur politique et militaire ne furent égalées que par sa tenacité. Nous voulons parler de Heudon, deuxième du nom, fils du vicomte Geoffroy.

On se souvient que le duc Conan III, voulant écarter du trône Hoël, qui avait passé jusque là pour son fils, le désavoua en mourant. C'était sans doute dans cette pensée qu'il avait choisi à sa fille Berthe un époux capable de défendre la couronne qu'il lui destinait.

Son premier choix fut heureux : nous avons précédemment montré ce qu'était Alain-le-Noir, son premier gendre. Alain mort, le duc ne réussit pas moins dans le choix d'un second époux pour sa fille : celui-là fut Heudon de Porhoët.

A la mort du duc Conan, en 1148, la Cornouailles et le pays nantais ne tinrent pas compte de la déclaration du duc défunt et acceptèrent Hoël pour chef. Le reste de la Bretagne reconnut au contraire, pour légitimes héritiers de la couronne ducale, Berthe et son mari , Heudon.

Celui-ci se montra plus soucieux de bien gouverner la partie de la Bretagne qui s'était donnée à lui que de s'emparer de la part de son beau-frère. Ce fut dans cette période de calme qu'il fonda l'abbaye de Lantenac, en 1149 (Anc. Ev. IV, 230. — Act. de Bret. 552, 554, 557, 604).

Mais bientôt Berthe se plaignit de n'avoir pas assez de part dans le gouvernement ; elle accusa Heudon de vouloir frustrer le fils qu'elle avait eu d'Alain-le-Noir ; bref, elle alluma la guerre entre son frère et son mari. Heudon et Hoël se rencontrèrent dans les plaines de Rezé, en 1154 : dans cette sanglante bataille, Heudon resta vainqueur. Il usa de sa victoire avec modération et laissa à Hoël le comté de Nantes.

Cependant le fils du premier lit de Berthe, Conan, avait grandi en Angleterre. Il en revint, et, grâce à la popularité qui s'attachait à la mémoire de son père, il se fit un parti redoutable dans cette turbulente noblesse. Maître de Rennes par surprise, il vit s'opérer en sa faveur un de ces revirements trop fréquents dans l'histoire. Heudon fut abandonné de tous, et capturé par Raoul de Fougères, qui devait être bientôt son plus fidèle allié. Celui-ci toutefois le laissa peu après s'évader de prison, en 1156 (Chron. B. Mich. de Monte ap. D. Luc d'Achéry, et D. Mor. I, 130, 131).

Dans cette révolution, le Porhoët avait été ravagé et Josselin, son chef-lieu, incendié. Heudon se réfugia prés du roi de France, qui connaissait sa valeur militaire, et lui donna le commandement d'une armée, dirigée contre le comte de Mâcon. Le prince breton battit ce dernier, le fit prisonnier et d'un seul coup finit cette guerre.

Heudon, devenu veuf, avait prit femme dans la maison de Léon, et était venu à bout de se tailler un fief dans le Broërec, au pays vannetais. Mais il n'entendait pas se laisser oublier dans son vieux Porhoët : en 1164, il donnait à son prieuré de Josselin des droits sur la ville, le port et un passage de Vannes [Note : Act. de Bret. I, 616, 623, 624. — Au reste, Heudon faisait encore parfois acte de suzeraineté en Porhoët. Ainsi, en 1165, nous le voyons, entouré des barons et bourgeois de ce pays, prononcer une sentence dans un procès entre l’abbaye de Saint-Jacut et les fermiers de celle-ci à La Trinité. (Ibid. 683).].

Ce fut alors qu'il organisa cette ligue contre laquelle le faible duc Conan ne crut pouvoir se défendre qu'en appelant à son secours le roi d'Angleterre, Henri II, à qui il avait déjà livré une des clefs de la Bretagne. En traitant du pays de Dinan, nous avons résumé cette lutte splendide, à laquelle il ne manqua que plus d'entente entre les chefs ; cette force de cohésion qui fit toujours défaut à la féodalité. Encore fallut-il près de cinq ans au despote anglais, avec sa nombreuse armée, avec tous ses moyens de corruption et d'intimidation, pour réduire successivement le Léon, le Dinannais, le pays de Fougères.

Quant à Heudon, sa couronne perdue, son honneur odieusement outragé dans la personne de sa fille, criaient toujours vengeance au fond de son cœur. Aussi, longtemps après que tous ses compagnons avaient déposé les armes et accepté le gouvernement de Geoffroy d'Angleterre, mari de la jeune duchesse Constance, Heudon tenait toujours. Souvent vaincu, traqué, dépouillé, il reparaissait au moment où on s'y attendait le moins, tantôt sur un point, tantôt sur l'autre du Porhoët, du Broërec ou d'une partie de la Cornouailles. Cette chouannerie anticipée ne cessa que quand Rolland de Dinan.

Nommé grand-justicier de Bretagne, remit chaque homme et chaque chose à sa place. Le Porhoët fut rendu à Heudon, qui dut s'en contenter, tout en conservant son titre de comte (Lob. I, 149, 153, 154, 155, 157, 163, 169. — D. Mor. Pr. I, 656, 705).

Heudon eut un seul fils, qui n'avait guère de commun avec son père que le nom. Nous ne savons de lui que des dons à divers monastères [Note : Anc. Ev. III, 235 ; — IV, 282. — Entre autres choses, il légua aux moines de Saint-Martin de Josselin son corps, pour être inhumé parmi eux]. Cependant, il dut prendre part à l'insurrection des seigneurs bretons contre la dynastie française des de Dreux. Ce qui nous le donne à penser, c'est qu'une charte des archives de Kerguehennec nous l'a montré abandonnant au vicomte de Rohan, pro bono servitio, toute la paroisse de Mohon, tout le bois dont il aurait besoin dans la forêt de Lanoée, plus le droit d'y entretenir cent porcs et autant de bœufs. Un tel cadeau, pour un grand service rendu par l'allié de Pierre Maucierc en 1221, a bien pu payer un rapprochement entre le duc et le « fils du comte, » titre que prenait toujours cet Heudon.

Ce dernier ne laissa que trois filles : l'aînée, Marguerite, avait épousé Guillaume de Fougères ; la seconde, Aliénor, fut mariée en secondes noces à Pierre de Chemillé ; la troisième, Jeanne, à Olivier de Montauban. Avant de voir ce que devint le Porhoët, ainsi tombé en quenouille, jetons un coup d'œil sur le passé de cette glorieuse famille de Fougères, qui en eut la principale part.

Il nous souvient d'avoir vu le nom d'un Auffred ou Alfred de Fougères au bas d'une charte donnée par le comte Geoffroy Ier au chapitre de Rennes, dans les premières années du XIème siècle.

Quelque cinquante ans plus tard, Main confirme une restitution d'église, restitution faite par sein père Alfred et son aïeul Main. Il agit de concert avec sa femme Adélaïde et son fils Mainon. Cette charte, outre le sceau du donataire, porte ceux des comtes Conan et Heudon, et d'un certain Mainon, fils de l'évêque.

Peu après, Mainon de Fougères été mort, et sa veuve fondait, près de son château, le prieuré de la Trinité, fondation confirmée ensuite par son petit-fils. Bientôt Saint-Florent et Marmoutiers se disputèrent ce prieuré, que le célèbre Marbode, évêque de Rennes, adjugea enfin à la seconde de ces abbayes, on 1096 [Note : Act. de Bret. I, 368, 410, 423, 488, 489. — Dans ce dernier acte sont nommés les « anciens et les nouveaux deniers de Rennes, » ces popelicani que nous avons discutés précédemment. - (Anc. Ev. III , Prolég. CCXXXVI)].

Les monastères nous ayant presque seuls transmis leurs actes, nous ne savons guère, même des très-anciennes maisons, comme celle de Fougères, que leurs œuvres pies. Toutefois, nous sommes assurés que celle-ci resta attachée au comte de Rennes ; qu'elle prit une part brillante à la lutte contre Eude de Penthièvre, à la conquête de l'Angleterre et à la croisade avec Alain Fergent.

Le XIIème siècle, pour lequel les documents sont plus nombreux, nous montre les seigneurs de Fougères dignes de leur haute réputation de bravoure, de patriotisme et de piété. C'est d'abord ce Raoul, un des héros de la première croisade, qui fonde, en 1112, l'abbaye de Savigné. N'espérant pas, dit-il, obtenir le ciel par ses propres mérites, il rassemble en communauté les ermites de sa forêt, hommes simples d'esprit, qui prieront sans cesse, non-seulement pour lui et les siens, mais aussi pour ses amis, pour ses barons et en général pour tous ses fidèles vivants ou morts. Il lance ensuite les plus violentes imprécations contre ceux qui oseraient s'opposer à ses aumônes, approuvées par sa femme et ses fils.

Puis, en 1143, un autre Raoul de Fougères, au moment de partir pour la Terre-Sainte, fait de nouvelles aumônes à l'abbaye de la Sainte-Trinité de Savigné. Il est en cela assisté de ses frères, Fransgal, Guillaume et Robert ; et de ses fils, Juhel et Guillaume.

En 1150, Henri, « par la grâce de Dieu, sire de Fougères, » sentant la mort venir, rassemble autour de lui, dans sa forêt, ses fils, ses clercs, ses barons, bon nombre de ses bourgeois et paysans. Là, dans cette sorte de cour plénière où toutes les conditions sociales sont réunies, il fonde l'abbaye de Rillé et demande solennellement à sa femme la permission de se faire moine. Ses fils, tout en pleurs, déposent sur l'autel, avec le psalterium de maître Hamon de Saint-Hilaire, la charte qui est l'expression des dernières volontés de leur père et qui consacre les aumônes de leurs aïeux [Note : Act. de Bret. I, 525, 588, 605, 606, 607. — Dans ces engagements, auxquels on voulait donner une grande solennité, on déposait divers objets sur l'autel ; mais rarement, comme ici, un instrument de musique. En voyant ce sire de Fougères tenir sa cour dans sa forêt, comment ne pas se rappeler qu'il était grand forestier des comtes de Rennes. (Ibid. 682)].

Mais nous arrivons à la période la plus glorieuse de l'histoire de ce fief. Nous avons vu le jeune Raoul, fils de Henri, se laisser entraîner, avec la plupart des jeunes seigneurs de son âge, dans la conspiration qui détrôna Heudon de Porhoët et faire celui-ci prisonnier, en 1156 [Note : Nous ne rapporterons pas toutes les pieuses aumônes de Raoul de Fougères ; mais nous constaterons que sa notoriété était telle qu'il fut un des seigneurs à qui le pape Adrien IV adressa un bref relatif à l'église de Dol. (Act. de Bret. I, 627)]. Il dut vivement regretter son erreur, quand il vit Conan IV, qu'il avait tant aidé à monter sur le trône, se jeter dans les bras des Anglais.

Et, en effet, huit ans après, il acceptait le legs plein de périls que Jean de Dol lui avait fait en mourant : il se chargeait de défendre la personne et les biens d'Iseult, fille de ce dernier. Le duc et ses alliés d'outre Manche ayant attaqué Dol et Combour, ces deux places ne succombèrent qu'après une belle défense de Raoul de Fougères (Ch. D. Mich. de Mont. ap. D. Luc d'Ach. — D. Mor. I, 131, 132. 627, 629).

Cette défense fut telle que le roi d'Angleterre comprit que pour vaincre la ligue qui lui barrait le chemin, il fallait venir prendre lui-même la direction des opérations en Bretagne, et commencer par le fief de Fougères. Raoul ne l'attendit pas. Après avoir mis son castrum en état de défense, et pendant que ses alliés délibéraient, il marcha fièrement au-devant de son terrible ennemi.

Ce fut un début digne de cette lutte magnifique d'un petit peuple défendant vaillamment son indépendance coutre le plus puissant monarque de l'Europe. Raoul avait fait le désert dans un rayon de quatre lieues autour de Fougères. Il en défendit les approches avec non moins de vigueur et d'habileté que le corps de la place. Après la plus belle résistance, la ville fut emportée d'assaut, pillée et rasée, en 1166.

Raoul n'en continua pas moins la guerre. Il avait été le premier à la commencer, il fut des derniers à poser les armes. Les Anglais le trouvèrent devant eux partout où il y eut une résistance sérieuse. Il défendait encore, avec son énergie ordinaire, la tour de Dol en 1173.

Après lui tombèrent successivement les sires de Léon, de Dinan et de Porhoët. Avec ces mâles caractères, la Bretagne sembla s'éteindre ; et le vainqueur put y promener insolemment ses vengeances et son immoralité.

Le nom de Fougères disparaît alors presque complètement des chartes de ce temps : on craignait, semblerait-il, qu'il ne reveillât les colères du despote anglais. Nous voyons toutefois un Etienne de Fougères chapelain du roi Henri II — triste charge, à coup sûr, même pour tout autre qu'un membre de cette noble famille. Il se déclarait évêque de Rennes, « tel quel , » talis qualis.

Raoul de Fougères reparaît en 1190 et 1194. A cette dernière date, il confirme les dons faits par ses ancêtres et par lui-même à l'abbaye de Rillé. Il était donc rentré dans la possession de ses biens, ce qui est peu surprenant, puisque Henri II était mort, ainsi que son fils Geoffroy, et que Constance était duchesse de Bretagne (Act. de Bret. I, 659, 662, 672, 714, 724, 738, 797, 813, 818, 869, 872).

Ce fut en 1204 que Guillaume de Fougères épousa Marguerite de Porhoët ; mais Heudon vivait encore en 1231. Guillaume l'avait précédé au tombeau, et le fief de Fougères était venu à Raoul, qui s'était vigoureusement jeté dans l'insurrection contre Pierre de Dreux. Longtemps après la défaite de Châteaubriant, Raoul de Fougères tenait encore, puisque, en 1230, Mauclerc s'engageait par un traité secret avec le vicomte de Rohan à ne pas faire, sans l'assentiment de ce dernier, la paix avec Raoul (Act. de Bret. I, 727, 874, 881).

Cette paix ne fut assurée qu'en mars 1239, par le traité d'Angers. Raoul de Fougères reconnut la suzeraineté du duc, qui était alors Jean-le-Roux ; mais tous ses droits féodaux lui furent garantis [Note : Parmi ces droits, nous remarquons ceux contre les juifs. (Ibid. 968)]. Il avait porté un coup mortel à ce hideux droit de bail, qui laissait tout orphelin noble sans revenu, sans appui, sans guide, sans éducation, par cela même hors d'état, à sa majorité, de s'équiper et de remplir ses devoirs militaires. Le bail fut partout bientôt transformé en un simple impôt, le rachat, qui se payait lorsque le fief changeait de main.

Le partage de la succession d'Heudon III donna lieu à des débats qui se prolongèrent de 1235 à 1248. Enfin, après plusieurs remaniements, le Porhoët resta partagé en deux fiefs principaux : le Porhoët proprement dit et la seigneurie de La Chèze. Le reste fut divisé en trois lots, dont deux furent attribués à la branche aisée, et le troisième partagé entre les deux cadettes [Note : Act. de Bret. I, 890, 901, 907, 912, 916, 917, 919, 933].

Le Porhoët étant ainsi disloqué, ce qui en garda le nom, avec le château de Josselin pour tête [Note : Aussi ce fief est il désigné sous le nom de Château-Josselin] et la forêt de Lanoée, fut annexé à la seigneurie de Fougères et en suivit les vicissitudes. Nous les résumerons très-succinctement.

Dans l'histoire générale du Penthièvre, nous avons montré ce fief venant, en 1238, par Yolande, fille du duc Pierre de Dreux, à Hugues XI, dit le Brun, comte de La Marche et d'Angoulême. Leur fils, Hugues XII, épousa Jeanne, héritière de Raoul de Fougères, lequel avait hérité du Porhoët par Guillaume de Fougères, mari de Marguerite, la fille ainée de Heudon III.

Hugues XII et Jeanne eurent un fils, Hugues XIII, qui mourut sans enfant, en 1303. Son frère Guy, en hérita. Il n'eut pas d'enfant non plus ; et, circonvenu par les intrigues du roi de France, Philippe-le-Bel, il légua à ce dernier le Porhoët, avec tous ses biens, en 1307. Toul amoindri qu'il était, le Porhoët était encore un beau fief, puisque, à l'ost de 1294, il devait dix chevaliers (Act. de Bret. I, 927, 1070, 1110).

Nos actes de Bretagne contiennent une lettre de Philippe-le-Bel où ce monarque cherche à justifier cette donation, sept ans après, en la présentant comme l'expiation d'un crime de lèse-majesté (Ap. D. Mor. 1251). Quel était ce crime ? Nous n'en avons trouvé de trace nulle part, à moins que ce roi, qui s'entendait si bien à exploiter la justice à son profit, ne fit allusion à la révolte de Poitiers, laquelle remontait déjà à soixante-douze ans [Note : On se souvient que Hugues X de Lusignan, bisaïeul de Guy, avait bravé saint Louis à Poitiers, en 1242, et que, sous l'incitation de sa femme, veuve de Jean-sans-Terre, il avait refusé tout hommage au roi. Mais cette affaire était depuis longtemps arrangée].

Béatrix de Bourgogne, veuve de Hugues XIII de Lusignan, jouissait de l'usufruit du Porhoët à titre de douaire ; mais Philippe-le-Bel, comme propriétaire du fonds, en devait l'hommage au duc de Bretagne. Ne voulant pas accepter cet acte de soumission et ne pouvant se décider à abandonner ces beaux domaines, il les passa à son fils Charles, qui prit alors le titre de « comte de La Marche, de Bigorre, sire de Crécy et de Fougière ». C'est ainsi qu'il fit hommage au duc en 1316.

En montant sur le trône sous le nom de Charles-le-Bel, celui-ci attribua ces biens à son cousin Philippe de Valois, lequel devenu roi, les céda à son fils Jean, et celui-ci à son oncle Charles, comte d'Alençon. Les fils de ce dernier, comtes du Perche et d'Alençon, échangèrent avec Olivier de Clisson, en juillet 1370, le Porhoët contre d'autres biens [Note : Act. de Bret. I, 1263, 1264, 1350, 1351, 1353, 1369, 1640.— La douairière du Porhoët affermait ce domaine 300 livres, dans la première moitié du XIVème siecle].

Nous venons de prononcer un nom illustre, qui clot dignement la liste des successeurs du grand comte Heudon : celui-ci a d'ailleurs plus d'un trait de ressemblance avec Olivier de Clisson. Nous ne résumerons pas la vie très-connue de ce dernier [Note : Le meilleur résumé de cette vie si mouvementée est l'excellent article que M. Levot, bibliothécaire de la Marine et président de la Société académique de Brest, lui a consacré dans sa Biographie Bretonne] ; mais nous donnerons quelques traits de cette haute figure, non d'après tel ou tel portrait plus ou moins fantaisiste, mais d'après ses actes, d'après nature.

Pour comprendre le caractère chevaleresque, impétueux, irascible, hautain, froidement implacable d'Olivier de Clisson, il faut se rappeler les circonstances qui dominèrent son enfance. Il n'avait que sept ans lorsque son père, sur une vague accusation de complot, fut juridiquement assassiné par le roi de France, Philippe de Valois. Contre toute justice, et, ce qui était plus rare alors, contrairement aux lois de la chevalerie, Olivier de Clisson, le père, fut saisi sur le terrain inviolable d'un tournois [Note : La lice de ce tournois, auquel le roi l'avait convié, était un lieu d'asile, un lieu d’asile, un véritable minihy, comme un disait en Bretagne]. Il fut décapité aux halles de Paris, le 2 août 1343. Son corps fut pendu aux gibets de Montfaucon, et sa tête exposée sur une des portes de Nantes, Quatorze autres gentilshommes, dont la culpabilité n'était pas plus démontrée, furent immolés avec lui. Les monarchies ont eu leurs Terreurs aussi bien que les républiques : cette mesure était, paraît-il, destinée à frapper d'épouvante les chevaliers qui auraient été tentés de quitter la bannière de Charles de Blois pour celle de son compétiteur.

Jeanne de Belleville, femme du supplicié, n'avait montré jusque là qu'une nature douce et timide, toute consacrée à l'éducation de ses deux fils, dans un château près d'Hennebont. A l'annonce de ce crime politique, elle conduit ses deux enfants en présence de la tête de leur père, et leur fait jurer de le venger. Se mettant elle-même à la tête de 400 de ses vassaux, elle surprend plusieurs châteaux dont elle égorge tes garnisons, et commence contre Charles de Blois une guerre de détail, sans pitié ni merci.

Traquée par celui-ci d'une part et par le roi de France de l’autre, elle vend ses bijoux, achète un navire et continue sur mer son inplacable vengeance. Après de nombreux combats maritimes, enveloppée par plusieurs vaisseaux, elle se jette dans un canot avec ses deux enfants et trois serviteurs. Pendant six jours, à la merci des flots, elle voit son plus jeune fils mourir de faim dans ses bras ; enfin, elle parvient à gagner Hennebont, où elle est accueillie par Jeanne de Montfort, cette autre héroïne si redoutable aux Français.

Ces deux femmes se lièrent d'une amitié qui ne se démentit plus. La première voulut que le jeune Olivier partageât les jeux et les études de son fils Jean, dont il avait l'âge, et avec qui il fut en partie élevé à la cour d'Angleterre.

La fierté du jeune Olivier eut-elle à souffrir de cette situation subalterne ? Nous ne savons, mais il est sûr qu'il y puisa une haine profonde contre les Anglais ; ses alliés naturels pourtant contre le roi de France.

A peine rentré en Bretagne, sa bravoure sans bornes, son activité infatigable, son esprit chevaleresque, sa munificence, sa jeunesse, sa beauté, le placèrent bien vite au premier rang des partisans de Montfort. Mais celui-ci, se sentant moins bien doué que le compagnon de son enfance, souvent brusqué par lui, le prit en aversion, et sa jalousie s'accrut encore, quand il reconnut chez sa femme un sentiment tendre pour Clisson.

A toutes les causes qui avaient rapidement donné à celui-ci une position élevée, vint se joindre bientôt l'influence de la fortune. Il avait reconquis à la pointe de l'épée une partie de son patrimoine ; il réclama fièrement le reste au roi de France, ou plutôt au régent qui fut plus tard Charles V et qui tint à honneur de réparer l'iniquité de son grand-père. Le premier mariage d'Olivier avec Catherine de Laval et les dons de Jean de Montfort, qui savait dissimuler près de ceux dont il avait besoin, assurèrent à Clisson une fortune considérable.

La cause de Montfort avait triomphé à la bataille d'Auray. Clisson y commandait le corps d'armée opposé à Du Guesclin. Après des prouesses merveilleuses, il y perdit un œil. Il se jeta avec plus de furie sur les bataillons ennemis, déjà ébranlés, et les poursuivit longtemps dans leur déroute. Il revenait couvert de sang, quand il entendit le nouveau duc de Bretagne attribuer à Chandos tout le succès de la journée. Il en fut vivement froissé et refusa d'approcher ses lèvres de la coupe ducale, qui avait été d'abord présentée à l'Anglais. A peu de temps de là, il s'emparait du château de Gâvre, donné par le duc à Chandos, et en emportait les pierres à son château de Blain, disant que jamais Anglais ne serait son voisin.

L'héritier présomptif du trône d'Angleterre lui ayant adressé des représentations à ce sujet, Clisson lui répondit par un cartel. Le duc Jean IV, après avoir épuisé tous les moyens de conciliation, se rendit maître des ruines de Gâvre et de Chantoceau, que Clisson retenait malgré le traité de Guérande. C'en fut assez pour ranger l'irascible Breton dans le camp de Jeanne de Penthièvre.

Charles V saisit cette occasion pour l'attirer à sa cour et lui donner un commandement dans ses armées. Clisson d'ailleurs était de plus en plus repoussé par la politique toute anglaise et peu loyale de Jean de Montfort. Dès qu'il eut prit rang dans les armées françaises, il se mit en rapport avec Du Guesclin, avec qui il se lia bientôt de la plus étroite amitié. Cette liaison alla même jusqu'à la fraternité d'armes.

Tout orgueilleux, tout susceptible qu'il fût, Clisson reconnut toujours la supériorité de Du Guesclin, et se contenta du rôle de lieutenant du connétable. Il fit ainsi les campagnes de Bretagne, d'Aquitaine, de Champagne, de Picardie et d'Auvergne. Ce fut dans cette dernière que Du Guesclin mourant remit à son frère d'armes l'épée de connétable, et lui dit en le fixant : « Le roi saura la donner au plus digne ». Charles V mourut deux mois après Du Guesclin et ne put remplir le vœu de celui-ci ; mais un des premiers actes du gouvernement de Charles VI fut d'élever Clisson à la dignité de connétable, en novembre 1380 (Act. de Bret. II. 296).

Aussitôt, Olivier s'appliqua à réorganiser l'armée française, à y ramener l'ordre et la discipline. Il montra bientôt qu'il savait conduire les armées, non moins que les former. Trois fois il soumit les Flandres ; et Paris ayant voulu se révolter, fut rapidement remis à la raison. Mais, chose curieuse, celui qu'on a surnommé le Boucher, tant il tuait sur le champ de bataille, gagna la reconnaissance des Parisiens par l'indulgence qu'il montra après leur soumission, et le palais que le roi lui avait donné fut nommé l'Hôtel de la Miséricorde.

Cette âme généreuse ne connaissait pas la haine après le combat, sauf toutefois contre l'Angleterre. Il obtint d'organiser contre elle la formidable invasion de 1385. Il choisit Tréguier pour son principal centre d'armement : il quitta ce port avec 72 navires, sans compter ceux qui portaient un camp barraqué de 3,000 pas de diamètre ; le tout se fit presque entièrement à ses frais.

On sait comment la tempête d'une part, et de l'autre la coupable connivence des oncles du roi avec le cabinet anglais, firent échouer l'entreprise. Clisson, navré mais non découragé, arracha au roi la permission de recommencer l'entreprise. Mais Jean IV la fit avorter de nouveau, en attirant le connétable dans le guet-apens de la tour de l'Hermine. Quand Olivier eut échappé à son déloyal ennemi, le faible Charles VI avait changé, et Clisson ne trouva que froideur à la cour de France. Il voulut alors rendre son épée de connétable, mais le roi refusa de la reprendre.

Olivier envoya un cartel au duc Jean IV, qui n'y répondit pas. Le connétable, de plus en plus exaspéré, rentra en Bretagne en 1387, et reprit plusieurs des places que le duc lui avaient enlevées. Mais le roi étant intervenu, les deux adversaires consentirent à se soumettre à son arbitrage.

Nous avons raconté les luttes mêlées de trêves qui continuèrent entre le duc et le connétable jusqu'en 1392, où un misérable, chassé de la cour, Pierre de Craon, se chargea d'assassiner le connétable. A la sortie d'une fête donnée par le roi, Clisson, sans armes, fut attaqué par une troupe bien armée, et fut laissé pour mort dans la rue Culture-Sainte-Catherine. L'assassin trouva un refuge près du duc de Bretagne.

Le roi, indigné, marcha contre celui-ci ; mais la démence de l'infortuné Charles VI se déclara, et le gouvernement de la France tomba aux mains des ducs de Bourgogne et de Berri, dont Clisson s'était fait des ennemis mortels, en s'opposant à leurs dilapidations. De plus, ses richesses tentaient leur cupidité.

Ils le traduisirent devant le Parlement de Paris, qui le condamna par défaut à une énorme amende, et on voulut lui faire rendre l'épée de connétable. « Le roi me l'a donnée, répondit-il ; je ne la rendrai qu'à ma mort ». Quant à l'amende, il s'en souciait peu, derrière ses créneaux de Josselin.

Jean IV voyant Clisson abandonné par la France, jugea le moment opportun pour l'attaquer. Le connétable se défendit avec sa vaillance ordinaire, et soutint trois ans la guerre, aidé de ses seuls vassaux. Enfin, la paix fut signée le 19 octobre 1395.

Quatre ans plus tard, Jean IV mourut, après avoir nommé Clisson tuteur de ses enfants et Gardien de la Bretagne. Cet hommage rendu à la loyauté d'un ennemi est le plus bel éloge qu'on en puisse faire. Nous avons raconté, au précédent volume (Histoire Féodale et Militaire, I, 24), comment il faillit tuer sa fille Marguerite, qui n'avait pas craint de lui proposer une trahison.

Le 22 mars 1401, il arma chevalier le jeune Jean V et lui remit intégralement la couronne ducale. Pendant six ans encore, il donna aux enfants de Montfort un appui dévoué ; ce qui fut payé de la plus noire ingratitude. Le jeune duc, qui n'avait au cœur aucun sentiment élevé, fit ou laissa accuser de magie et de maléfices son vieux tuteur, lorsque celui-ci mourant était hors d'état de se défendre. Jean V fut aussi impitoyable pour le vieux guerrier à qui il devait tout, qu'il fut lâche plus tard quand il tomba aux mains de sa fille. Si la duchesse de Penthièvre et la vicomtesse de Rohan ne s'étaient empressées de verser 100,000 livres au fisc ducal, le Preux des Preux serait mort en prison.

Cette honte fut épargnée à la maison régnante des Montfort. Après tant de vicissitudes, tant de combats, tant de gloire, Olivier de Clisson put enfin mourir en paix ; et chargea son ami et compagnon fidèle, Robert de Beaumanoir, de reporter au roi l'épée de connétable [Note : Nous avons dit un mot du testament d'Olivier de Clisson ; nous relèverons ici quelques-uns de ses legs les plus curieux. Il avait conservé le goût de la mer, où avait commencé sa vie aventureuse il avait plusieurs navires, il en légua un à Olivier du Chastel. Ses fourrures, ses houppelandes et toute se garde-robe passèrent à des parents et amis. Un de ses jacques ou cottes d'armes de Gallice fut donné à Charles de Dinan, sire de Châteaubriant. A Robert de Beaumanoir, il laissa 4,000 liv. et son petit cheval blanc préféré. Son paisible bidet grison servit de monture à maître Amaury de La Motte , et sa haquenée fauve à l'évêque de Saint-Brieuc. Ses six meilleurs chiens furent pour le duc d'Orléans ; son milan, avec le cheval monté par le fauconnier, pour son gendre, le vicomte de Rohan].

 

II.

Le dernier acte d'Olivier de Clisson nous ramène à parler des Beaumanoir, dont le nom est un des plus retentissants de l'histoire de Bretagne, et dont le fief de Merdrignac est le premier en Porhoët.

Dans une enquête de 1478, nous avons lu : « Et dépose le témoing que le sire et dame de Chasteaubriant , à cause de la terre et seigneurie de Merdrignac, de Lahardouinaie et de la forest de Chastellou, sont hommes et subjets du dit vicomte de Rohan, à cause de sa dite comté, obéissant au jugement de sa cour, et se délivrant aux pletz de Porhoët , à congé de personnes et menées ».

Nous avons publié une charte de Boquen qui montre ce fief de Merdrignac tout constitué au milieu du XIIème siècle. Il était alors aux mains d'un G. de Merdrignac, qui avait un fils du nom de Robert et un petit-fils nommé Guinaman. Outre son domaine principal, il en avait un autre en Saint-Careuc, et de plus il possédait la forêt de Catalun [Note : Anc. Ev. III, 229.— Nous pensons que c'est à ce Merdrignac et à son fils Robert que se rapporte une charte éditée par les Bénédictins, et classée par eux à une époque qui nous paraît trop récente. (D. Mor. I, 1141)].

Guinaman, que la collection des Blancs-Manteaux nomme Ginan Medreniac (Tome XXXXVI, 223), eut une fille, Anne, qui porta à Jean de Beaumanoir les terres réunies déjà de Merdrignac et de La Hardouinaie [Note : Anc. Ev. III, 237. — Nous ignorons l'époque précise de la réunion des deux fiefs. Le château de La Hardouinaie, aujourd'hui disparu, n'a marqué que par le drame sanglant de Gilles de Bretagne. (Ibid. 318 et suiv.)]. Avec l'assentiment de son fils Jean de Beaumanoir, elle donnait, en 1239, à Notre-Dame de Boquen, une dîme en Lescoët. Elle faisait d'autres dons à la même abbaye en 1255 ; et nous remarquons que tous les grains sont à la mesure de Merdrignac, ce qui prouve combien ce fief était ancien.

En 1269, le sire de Merdrignac et de Beaumanoir confirmait les aumônes de sa mère Anne et de son grand-père, Robert de Merdrignac (Anc. Ev. III, 246, 259). Sept ans plus tard, il mariait sa fille à Geoffroy Tournemine ; il lui donnait pour dot huit vingt livres de rente, dont le vicomte de Rohan se portait caution.

Quelques années après, en 1298, les Rohan, en querelle pour des partages, recouraient à l'arbitrage de ce Jean de Beaumanoir, chevalier. Celui-ci, par sa sagesse, mit tout le monde d'accord, « comme ami commun élu et aimable precour ». Onze ans après, il faisait le partage des biens de Iolande de Bretagne entre les enfants de cette dame (Act. de Bret. I, 1040, 1133, 1222, 1232, 1234).

Les montres de Jehan de Beaumanoir pour 1351 le présentent non comme maréchal de Bretagne, ainsi que les historiens et généalogistes l'ont répété après Le Baud, mais à la tête d'une belle compagnie de gentilshommes bretons, au service du roi de France, sous les ordres de M. de Melun. Cette année fut celle du combat des Trente, et tout semble indiquer que ce Jehan de Beaumanoir était le gouverneur de Josselin qui fit à son voisin anglais. gouverneur des Ploërmel, des représentations sur des actes d'hostilité inutiles contre les paysans des environs. Les deus capitaines s'échaufférent, et la conférence se termina par la proposition, aussitôt acceptée, d'un duel entre trente Bretons et trente Anglais.

Tout le monde sait les détails de la rencontre du chêne de Mi-Voie, tellement enflée par nos historiens que Dom Lobineau, le plus grave de tous, en fait la Bataille des Trente. La Bretagne est assez riche de sa vraie gloire pour n'avoir pas besoin de gasconades. En réalité, ce combat, où tous firent noblement leur devoir, fut une journée aussi brillante qu'inutile, comme d'ailleurs toute cette guerre, dont elle fut un des plus éclatants épisodes.

Jean de Beaumanoir passa et repassa plusieurs fois la Manche pour obtenir la liberté de Charles de Blois, captif des Anglais. Il en fut récompensé par le don des terres de Pontcallec et de Moncontour. Il épousa la fille aînée du vicomte de Rohan, sous cette condition que si ce dernier mourait sans enfant mâle, le premier-né de Beaumanoir prendrait le nom et les armes de Rohan.

C'est surtout à la sagesse de Jehan de Beaumanoir que sont dus les traités d'Evran et de Poitiers, qui restèrent sans effet par l'entêtement de Charles de Blois ou de sa femme. Après le désastre d'Auray, en 1364, son influence sauva à la comtesse de Penthièvre de belles épaves, par le traité de Guérande. Il mourut vers 1367 ; nous avons vu sa veuve, Marguerite de Rohan, porter le titre de dame de Moncontour, où elle s'était retirée.

Son fils Jehan, chevalier-banneret, fut aussi un homme distingué. Le roi de France lui donna le commandement de cent lances. Mais il s'attacha pour toujours à la fortune de Du Guesclin, qui en fit un de ses deux « maréchaux, » un de ses deux premiers lieutenants. Les montres du temps le présentent suivi de 6 chevaliers, 60 écuyers et 27 archers [Note : Act. de Bret. 1472, 1484, 1487, 1492, 1505, 1507 et suiv. 1510, 1514, 1566, 1587, 1589, 1621 et suiv. 1624, 1635. 1636, 1648, 1656, 1657].

Dans sa jeunesse, Jehan de Beaumanoir [Note : Outre les seigneuries de Beaumanoir, de Merdrignac et de La Hardouinaie, Il possédait encore le château du Guildo, si pittoresque, à l'embouchure de l'Arguenon. Il est étrange que cette forteresse si bien posée n'ait d'autre histoire que les quelques faits que nous en avons cités] était d'un caractère gai. Un témoin raconte dans l'enquête pour la canonisation de Charles de Blois, que ce prince chevauchait un jour en Poitou, ayant près de lui ce jeune chevalier. Celui-ci trouvait la route longue et voulait causer. Le prince, plus dévot qu'indulgent, voulait réciter des prières. Impatienté sans doute, il claqua son compagnon de route, en s'écriant : « Beaumanoir, Beaumanoir, prie et laisse prier pour tes défunts, car tu mourras aussi ». Ce trait nous paraît caractériser le genre de dévotion de Charles de Blois.

Après de longues guerres à l'étranger, Jehan de Beaumanoir revint en Bretagne, où l'on se flattait peut-être de ne pas le revoir. Le duc lui témoigna beaucoup de confiance, notamment en le chargeant d'une mission délicate près du roi d'Angleterre, en 1379. Mais quatre ans n'étaient pas écoulés que de mauvaises mœurs l'entrainèrent dans l'aventure où il perdit si tristement la vie.

A propos de La Hunaudaie, nous avons raconté ce drame, attristant par lui-même, par les causes qui l'amenèrent, par les conséquences qui en sortirent. On vit alors deux des plus beaux noms de Bretagne traînés dans la boue ; trois brillants chevaliers jouer des rôles dont le meilleur ne valait rien. Hélas, ce n'est pas la seule fois que nous avons trouvé, vers la fin du XIVème siècle, la fange sous les armures dorées!

Robert s'était attaché à Clisson, comme son frère à Du Guesclin. Il est nommé en tête de toutes les montres du connétable ; il prit part à toutes les révoltes de celui-ci contre le duc de Bretagne, et faillit périr avec lui dans le guet-apens du château de L'Hermine. S'il partagea les erreurs et les fautes d'Olivier de Clisson, il lui resta fidèle jusqu'à la mort, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune. Aussi le nom de Robert de Beaumanoir est-il d'ordinaire associé aux actes importants d'Olivier. Nous avons vu celui-ci mourant léguer à cet ami fidèle le soin de remettre au roi de France l'épée de connétable. Beaumanoir ne survécut pas longtemps à son illustre ami.

Robert étant mort sans enfant, sa soeur Jeanne, par son mariage avec Charles de Dinan, porta les seigneuries de Beaumanoir, Merdrignac, La Hardouinaie et Le Guildo dans la famille de Montafilant. Nous y avons vu les quatre premiers fils de Charles mourir aussi sans enfant, et le cinquième, Jacques, laisser tous ses biens à sa fille unique, Françoise de Dinan [Note : Voir, pour les détails, Act. de Bret. II, 17, 37, 38, 100, 101, 103, 104, 218, 233, 236, 237, 280, 484 et suiv., 529, 588, 642, 643, 661, 724, 770 781, 782, 816].

Celle-ci habitait, avons-nous dit, son château du Guildo avec son premier mari, l'infortuné prince Gilles, quand il y fut arrêté par l'ordre de son frère, le duc François Ier.

Ce fut dans un autre château de sa femme, à La Hardouinaie, qu'un assassinat mit fin à son long martyre [Note : Anc. Ev. III, 318 et suiv. Du second de ces châteaux, il ne reste plus pierre sur pierre, et il en serait de même de l'autre, s'il n'avait été acheté par M. Rioust de L'Argentaye].

Françoise de Dinan, dont nous avons apprécié l'attitude à l'égard de son premier mari, porta Merdrignac, avec ses autres seigneuries, à son second mari, Guy de Laval. Elle en eut trois fils, dont le dernier, Jacques, eut Beaumanoir et La Roche-Suhart. Le fils de ce dernier, François, mourut sans héritiers, et ses terres vinrent à Jean de Laval, son neveu, dernier baron de Châteaubriant.

A la mort de celui-ci, son immense succession fut dispersée et les seigneuries dont nous nous occupons, Merdrignac, Beaumanoir, La Hardouinaie et Le Guildo, vinrent à la famille de Scépeaux, comme représentant une des branches issues de Charles de Dinan. Par le mariage de Jeanne de Scépeaux, ces biens vinrent dans la famille de Gondy.

Pour conclure avec le Porhoët, encore un mot sur ce qui en forma la principale éclipse, la seigneurie de La Chéze.

Ce nouveau fief, avons-nous dit, se composait du château, avez La Chéze, La Trinité, Saint-Samson, Plumieux, Bréhand-Loudéac, Loudéac et sa forêt [Note : Act. de Bret., I, 1672. — Nous n'avons rien à dire du passé de Loudéac. Saint Maurice y naquit, ainsi que ce maniaque, du nom de Eon de L'Etoile, dont les Bénédictins ont assez parlé pour nous permettre de ne pas nous y arrêter. Dans les environs, les Rohan poussèrent à l'établissement d'une imprimerie, comme moyen de propagande protestante. Nous avons dit le combat qui s'y livra, au commencement de la Ligue, entre le marquis de Coëtquen et son gendre, Avaugour Saint-Laurent]. Le château avait été bâti, croyons-nous, par le comte Heudon [Note : Cette forteresse joua un certain rôle dans les guerres de Bretagne. En 1381, sa garnison défit un fort parti d'Anglais, alliés de Jean IV. Dans les dernières guerres de l'Indépendance, le prince d'Orange et François II tentèrent vainement de s'en emparer sur les Rohan, en 1487. Comminge ne fut pas plus henrens en 1490. Le château fut démantelé à la suite de la Ligue. Sa principale juveigneurie fut le Gué-de-L'Isle], ainsi que l'abbaye de Lantenac, tout à côté, vers 1149.

Aliénor de Porhoët, dont il devint l'apanage après son second mariage, vers 1235, avait épousé en premières noces le vicomte de Rohan et en avait eu un fils. Cette femme, née sur les marches du trône de Bretagne et dont le front avait porté le cercle quasi-royal des Rohan, continua à La Chéze son existence princière. Son nom un peu altéré est resté dans le souvenir du peuple à l'état légendaire : Aliéno est le type de la femme dure, hautaine, mais qui finit pourtant par s'humilier devant Dieu.

En effet, les actes qui nous viennent d'elle ou de son mari, Pierre de Chemillé, sont parfois empreints d'une sévérité d'ailleurs justifiée par l'état du pays [Note : Nous citerons, entre autres, la confiscation des biens d'Olivier de Caurel, donnés à l'abbaye de Bon-Repos, en 1245. Olivier avait, de nuit, enfoncé la porte d'un vassal de La Chère et l'avait assassiné dans son lit. Il avait refusé de comparaître devant la cour du seigneur ; et les moines payaient à la famille de la victime l'amende à laquelle le meurtrier était condamné. (Dor. I, 986)]. Mais souvent aussi ce sont des aumônes aux abbayes voisines ; et, dans les dernières années de sa vie, de 1263 à 1267, ce sont des pensions à ses vieux serviteurs et l'affranchissement de toute taille pour les bourgeois de La Chéze (Act. de Bret. I, 947, 948, 989, 991, 1010).

Quant à l'abbaye de Lantenac, nous avons dit autrefois tout ce que nous avons pu recueillir du passé de cette maison, dont les archives ont disparu dans les guerres de la Ligue (Anc. Ev. III, 229 et suiv.). Si peu que nous en sachions, c'est assez pour constater que les Bénédictins accomplirent là, à côté d'une œuvre intellectuelle d'un ordre élevé, une œuvre agricole et industrielle, que ce pays serait bien en peine d'imiter aujourd'hui. A l'abri des massifs de la forêt de Loudéac, dans ces plaines que féconde le Lié, ils savaient produire le lin et le transformer en toiles, que l'industrie moderne n'a surpassées ni en durée ni en beauté.

Un soir, après une laborieuse journée consacrée à étudier les débris de verrières encore nombreux dans les environs, nous nous reposions dans l'oasis créée à Lantenac par la main des moines. Le cadre était resté le même : le calme était partout ; le soleil glissait doucement dans sa couche empourprée ; l’oiseau, par son hymne du soir, semblait continuer le cantique des disciples de saint Benoît.

Mais le cadre était vide. Plus de religieux produisant beaucoup et consommant peu. Plus de Mabillon, de Lobineau, de Luc d'Achéry, plus de congrégation de Saint-Maur.

Au milieu des décombres, nous aperçumes une tombe portant l'effigie d'une châtelaine du XIIème siècle. Sous son épais manteau de mousse, nous lûmes le nom d'Aliénor de Porhoët, dame de La Chéze. A quelques pas sur la colline, des tours ruinées traçaient l'enceinte de l'antique castrum de ce nom. C'était tout ce qui restait du château et de l'abbaye, de la force matérielle et de la force morale d'une société renversée. Elle eut sans doute ses jours de défaillance, ses fautes, ses crimes, cette société. Mais est-il bien sûr que nous ne devions que du mépris à cette époque soit-disant barbare ? Depuis un siècle qu’elle est par terre, qu'avons-nous élevé à la place ? Notre société moderne est-elle mieux hiérarchisée ? Le travail y est-il mieux organisé ? Les ambitions y sont-elles plus contenues, les grandes forces sociales mieux équilibrées ? Et à qui, sinon à cette époque, devons-nous ce qui nous reste de bon : la Foi, la Science et la Liberté !

(J. Geslin de Bourgogne et A. de Barthélemy).

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