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ÉTUDE SUR LE COMPLOT BRETON DE 1492

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Par son mariage avec la duchesse Anne (6 décembre 1491), le roi Charles VIII venait de réunir la Bretagne à la France et de clore cette série de guerres qui, depuis quatre ans, désolaient notre pays si profondément divisé entre le parti breton, le plus nombreux, et le parti français, le plus puissant. On était alors au mois de décembre 1491.

Après ce double événement, qui eut de si heureux résultats pour la fortune de la France, le roi s'appliqua, sans arrière-pensée, à mettre le parti breton en honneur : il confia le gouvernement de la province à deux des plus fidèles de la reine, promoteurs et négociateurs du mariage royal : Jean de Châlon, prince d'Orange, alors gouverneur de Rennes, qu'il fit, son lieutenant-général ; et Philippe de Montauban, chancelier de Bretagne, qu'il confirma dans cette charge en augmentant ses attributions. Le roi négligea le vicomte de Rohan, Jean II, placé, la veille encore, à la tête de ses armées, ainsi que le maréchal de Rieux qui avait déplu à la duchesse en cherchant à la marier au sire d'Albret.

M. de la Borderie pense que le complot breton naquit de ce changement dans la politique du roi de France, et que le vicomte Jean II, qui croyait avoir droit à la première place, en fut l'âme.

La France étant alors en guerre avec l'Angleterre, on s'explique aisément que des Bretons mécontents aient cherché, pour être désagréable à Charles VIII, l'appui de Henri VII, qui gouvernait alors le royaume insulaire. Le complot a cependant dû naître avant que ce changement de politique ait été bien accusé : à peine au lendemain du mariage de la duchesse, on commence, en effet, à en trouver les traces ; tandis que, dans le milieu où vivait l'instigateur du complot, on ne connut que dans le courant de mars 1492, le remplacement du vicomte de Rohan par le prince d'Orange, dans le gouvernement de la Bretagne [Note : Le prince d'Orange ne reçut que le 2 novembre 1492 le titre définitif de gouverneur de Bretagne], ainsi, que la disgrâce des de Rieux, des d'Avaugour, des de Laval, etc. ; et ce fut à cette même époque que les commandants des places de Brest et de Morlaix crurent qu'ils étaient menacés dans leurs fonctions (Lettre XVIII du 27 mars).

La première partie des documents publiés par le savant bibliophile forme un groupe de trente-deux pièces ; cette partie, fort incomplète de la correspondance échangée entre quelques mécontents et la cour d'Angleterre, ne comprend que les documents remis au prince d'Orange par la personne qui dut lui révéler le complot [Note : Quelques documents sont sans importance, et il n'en existe aucun du capitaine Carreau, qui commandait à Brest. La date du n° V est fautive, car le 11 janvier 1492 était un mercredi et non un vendredi, et le mariage royal ayant été fêté bruyamment à Rennes, le 13 décembre, on ne pouvait l'ignorer en Angleterre au mois de janvier. Le correspondant breton du roi d'Angleterre pouvait, deux semaines après le départ de sa lettre, recevoir une réponse du monarque]. Les premières lettres écrites par celui qui, dès l'origine, en eut tous les fils, et correspondait directement avec Henri VII, n'ont point été recueillies.

La lettre qui ouvre la série des documents publiés fut écrite dix-huit jours après le mariage de Charles VIII, c'est-à-dire le 24 décembre 1491 ; adressée par Lord Willoughby, sénéchal de l'hôtel du roi d'Angleterre, à maître Pierre Le Pennec, qui avait été conseiller et maître des requêtes du duc François II, et que la correspondance qualifie, tantôt de commissaire, et tantôt d'aumônier, elle fait connaître l'envoi d'un religieux chargé de renseigner Le Pennec et de recueillir ses déclarations.

Le second document fut écrit deux jours plus tard, par le valet de chambre du roi d'Angleterre ; il annonce la réception de lettres que Le Pennec lui avait adressées par un porteur et qui manquent malheureusement à la collection, car l'ancien conseiller y tenait déjà l'engagement qu'il avait pris pendant son récent séjour de l'autre côté de la Manche, engagement dont le second document ne fait pas connaître les termes, mais qui consistait evidemment à servir les intérêts anglais dans notre pays, sous le prétexte de server les nôtres.

Au nom du roi Henri VII, le valet de chambre loue beaucoup Le Pennec de ce qu'il continue à être bon et vrai Breton, et lui certifie que si la fortune le trahit dans la mission que lui est confiée en Bretagne, où ses services sont des plus utiles, il sera bien reçu en Angleterre.

Il y avait alors à la cour du roi Henri un seigneur breton, Olivier de Coëtlogon, qui avait été chargé de nombreuses missions diplomatiques, par Anne de Bretagne et qui, suspecté de comploter contre la France, fut disgracié par Charles VIII. Henri VII cherchait à se l'attacher par des promesses, mais Olivier déclarait ne pas vouloir le servir sans un congé de la Reine. Tant qu'il ne connut pas sa disgrâce, il repoussa les avances du roi d'Angleterre, c'est lui qui l'affirme ; mais à la nouvelle qu'il avait été destitué, sans savoir pourquoi, écrivait-il à Le Pennec, des offices qu'il tenait de la duchesse (Lettre du 4 février 1492), il se mêla au complot. Il paraît avoir eu toute la confiance de Henri VII en cette affaire, et parmi les documents publiés, l'un des plus importants lui est attribué.

Si nous n'avons pas le commencement de la correspondance de Le Pennec, nous savons du moins par les lettres du roi d'Angleterre qu’il était attaché à ce monarque avant l’année 1492, qu'il le renseignait sur les personnages et les choses de Bretagne et qu'il en avait reçu la mission de s’attacher les hommes par des promesses. Dans une de ces lettres, celle du 5 janvier, le roi lui annonce qu'il met à sa disposition une certaine somme d'argent ; il l'autorise à entretenir le capitaine qui commande la place de Brest, promettant de reconnaître le service qui lui sera rendu, et lui envoie divers sauf-conduits, dont un « pour l’omme que savez, dit le roi, en la matière que le requérez.... désirons grandement lui faire plaisir et nous employer en tout ce que peut être à son bien, honneur et profit » (Lettre du 25 janvier 1492, page 18).

Un mois plus tard, un homme de confiance du roi, qui disait avoir rencontré Le Penne à Lannion, pendant un court voyage en Bretagne, lui adressait une longue instruction dont Henri VII avait indiqué les termes et que nous résumons ci-après : [Note : Cette lettre est attribuée à de Coëtlogon et doit, en effet, provenir de lui. Mais il cherche à se cacher en parlant de lui, à la fin, à la troisième personne et énonçant que celui qui écrit avait vu récemmment Le Pennec à Lannion. De Coëtlogon n'avait pas quitté l'Angleterre, et l'homme de Lannion devait être son envoyé.]

1° Si le capitaine qui commande à Brest veut bien servir le roi, il recevra 500 livres de rente par héritage, 5.000 écus d'or comptant, une charge au moins équivalente à celle dont il est muni et des entretiens dont il aura lieu de se féliciter.
2° Le Pennec doit converser le moins possible avec les gens, dans l'intérêt de sa préservation.
3° S'il lui est possible de le faire sans danger, il cherchera à gagner au service du roi divers personnages indiqués sous des noms de convention ; et au sujet du plus important d'entre eux, le roi assure qu'il le tient en grande estime et le prouvera s'il se rallie à son parti. En ce qui concerne certaines autres personnes, il n'est pas nécessaire de les presser à se déclarer avant le temps convenable.
4° Il devra entretenir de bonnes paroles les gentilshommes et les archers disposés à le suivre : « Affin qu’ilz puissent tousjours demeurer bons Bretons, car il a bien esperance que le temps viendra bien brief que celui de Bretaigne à qui le droit du pays appartient, par le moien de ses vroys amys et bons parans le recouvrera, et ceulx que ce sont montrez et declerez vraiz et loyaulx Bretons seront relevez et mis hors de la captivité des Françoys, et a intencion davantaige de les faire rémunérer particulièrement chascun, selon qu'il aura congnoissance de sa bonne loyaulté, condignement selon qu'ilz auront desservy. Mais je vous advertis que vous prenez de grans charges, et principallement puisque avez à faire à tant de gens. Et si vous faillez à saigement vous conduyre, vous devez tenir pour asseuré que estes en très grant dangier de vostre personne, car vous n'avez pas faire à bestes endormies ».

L'auteur de cette missive la termine ainsi :
« Sur toutes choses de rechief, je vous advertiz que prenez garde à vostre affaire et à la conduicte de voz ouvraiges, car les choses me semblent estre trop plus dangereuses que ne les estimez. Et incontinent que aurez veu cestes lectres, mectez les ou feu, de paour que quelque jour ilz ne soient trouvées  » (Le Complot breton, lettre XIII du 27 février 1492, p 18).

Du principal acteur, Le Pennec, les documents imprimés ne contiennent jusqu'ici qu'un mémoire sans date que M. de la Borderie croit antérieur au 25 février, mais que la comparaison de son dernier paragraphe avec le second paragraphe de la lettre XVIIème nous fait présumer de la fin du mois de mars. Quoi qu'il en soit, il permet de constater qu'au moment où il fut écrit, Le Pennec avait des relations avec un seigneur de Coëtongar, des environs de Morlaix, et qu’il lui confiait des missives du Bois de la Roche. Ce fait a son importance pour vérifier certains points de la déclaration que fit Caëtongar, à la fin de l'année, pour obtenir sa mise en liberté.

La première lettre de Le Pennec est du 9 mars 1492 et elle est adressée au capitaine Carreau qui commandait la place de Brest. Ces deux personnages se connaissaient et déjà ils avaient échangé plus d'une correspondance. Dans celle-ci, le commissaire prévient le capitaine que la Cour de France trame son remplacement dans le commandement qui lui est confié ; il lui rappelle, en le flattant, qu'il veut lui être utile, que son bien et son honneur sont en ses mains, et le prie, s'il veut bien l'entendre, de lui envoyer un homme sur que l'on puisse absolument compter.

Nous n'avons pas la réponse du commandant de place, mais Le Pennec nous apprend, par sa lettre du 13 mars, qu'un messager la lui avait remise, qu'en retour il avait communiqué à ce porteur, de vive voix, beaucoup de choses qui ne pouvaient être écrites, et lui avait confié la preuve qu'il était autorisé par le roi d'Angleterre à entretenir le capitaine Carreau. Dans cette seconde massive, l'ancien conseiller engage le capitaine à ne pas se laisser surprendre et lui promet plus de biens et d'honneurs qu'il n'en eût jamais.

Le Pennec ne paraît pas avoir eu toute la tempérance de langage qui convenait à sa situation. A peine croit-il avoir vaincu les scrupules du capitaine Carreau, qu'il le met au courant de ses visées sur le commandant de la place de Morlaix, Maurice du Mené, qui, dans la pensée que la reine Anne avait l'intention de le remplacer, paraissait disposé à être l'ami, du roi d’Angleterre. Carreau avait un homme de confiance du nom de La Mothe qui joua plus tard le rôle d'instigateur et de délateur ; Le Pennec fit connaître à ce messager les noms de plusieurs personnes engagées dans le complot, et lui donna pour son maître une lettre pleine de renseignements qu'il tenait en grande partie de Maurice du Mené : le prince d'Orange venait d'être nommé au gouverment de la Bretagne et devait être en chemin avec 600 hommes d'armes et 3.500 Suisses destinés à la garde de la province ; le Comté nantais avait été distrait de ce gouvernement et confié à La Trémouille ; le vicomte de Rohan avait quitté la Bretagne vers le 12 mars, pour aller se plaindre au roi de l'enlèvement de sa « lieutenantise ; » le maréchal de Rieux partait de la cour sans aucune charge ; enfin, le comte de Laval, le baron d'Avaugour, le sire de Quintin, le baron de Châteaubriant et d'autres seigneurs venaient de perdre leurs situation au service de la France. Maurice du Mené racontait, d'après le récit de Pierre de Rohan, sire de Gié, que le prince d'Orange n'avait accepté son nouveau gouvernement que si Rohan et Rieux « vidaient le pays ; » il ajoutait que les Suisses et autres hommes d'armes qui accompagnaient le prince seraient retardés par la nouvelle que les Anglais venaient d'aborder à Calais en grand nombre (Document XVII).

Le Pennec était alors et depuis quelque temps sans nouvelles du roi d'Angleterre, et il sentait tout le danger de sa situation ; le lendemain 27 mars, il écrivait longuement et itérativement à Henri VII et lui disait : Si le roi veut prendre la place de Brest, il doit s'occuper des apprêts sans perdre de temps ; il aurait dû agir plus vite, car il aurait trouvé ses ennemis au dépourvu, tandis que maintenant le nouveau Gouverneur de Bretagne y amène une armée.

Dans cette correspondance du 27, Le Pennec donnait des nouvelles très détaillées sur les partis, sur les hommes et sur les forces armées de la province, et il annonçait que Louis de Rohan, seigneur de Rainefort et amiral de Bretagne, était disposé, avec ses navires et un certain nombre de gens de bien, à servir Henri VII soit en deçà soit au-delà de la Manche, ce que Rohan, qui avait besoin d'argent, confirmait par un billet du 28 mars joint à la lettre du 27 [Note : Cette lettre du 21 nous semble devoir être la reproduction d'un écrit antérieur qui, dans la pensée de Le Pennec, avait pu ne pas parvenir au roi].

L'ancien conseiller de François II était mécontent des lenteurs du monarque anglais, et il s'en plaignait à de Coëtlogon et à milord Willoughby ; cependant avant que la lettre du 27 mars et le billet de Rainefort eussent pu parvenir à Henri VII, il recevait l'assurance par le valet chambre du roi, assurance renouvelée six jours plus tard par de Coëtlogon, que le roi d'Angleterre s'occupait toujours de la grande affaire et allait lui adresser directement des instructions.

Toujours disposé à la prudence, de Coëtlogon ne- manque pas de faire remarque à l'ancien conseiller qu'il se livre à un trop grand nombre de gens, et il lui recommande d'être discret, dissimulé, d'écrire plus brièvement et de brûler ses lettres. Ce dernier trait suffirait à faire reconnaître l'auteur caché de la lettre du 27 février.

Les instructions si impatiemment attendues arrivent enfin contenues dans une lettre du roi datée du 5 avril. Henri VII trouve que l'entreprise sur Brest est excellente ; mais il est perplexe ; il ne voudrait prendre la place que s'il était assuré de la bien garder ; ne pouvant passer la mer avant le 8 juin, il craindrait, s'il a prenait immédiatement, de la perdre dans l'intervalle. Il voudrait donc que l'on attendit. Cependant si l'on ne pouvait différer, on le ferait savoir sans le moindre retard, en chargeant un riche armateur de Morlaix, Nicolas Coëtanlem, d'envoyer en Angleterre un de sis navires, « sous ombre de marchandise, » pour le renseigner sur toutes choses.

Cette lettre contient les promesses habituelles de récompenses pour tous ceux qui le serviront bien.

En ce qui concerne le capitaine Carreau, le roi d'Angleterre montre bien l'importance majeure qu'il attache à la possession de Brest : le commandant recevra tant de biens du roi, il recueillera tant d'avantages de son dévouement, qu'il sera plus content de son nouveau maître que d'aucun de ceux qu'il servit jamais.

En rappelant l'offre de 2.000 écus de pension qu'il avait faite à un officier dont la lettre de rémission n° XLV nous apprend le nom, Olivier de Coëtmen, Henri VII assure qu'il le tient pour sage, vertueux et constant en affaires. « Et si veult, ajoute le roi, nous envoier ung brevet signé de sa main comme il nous promet servir vers tous et contre tous, nous lui promectons le tenir secret, sans que jamais il en ayt dangier ne reprouche, et lui envoyrons de l'argent pour son entretenement et tellement qu'il n'aura besoing de rien ».

Enfin à l'amiral de Bretagne qui, selon le rapport de Le Pennec, s'était déclaré prêt à mettre ses navires à la disposition du roi d'Angleterre, à Rainefort, Henri VII espère faire de si grands avantages, que toute sa vie il louera Dieu d'avoir tenu son parti.

Cette lettre du 5 avril renferme de nouveaux sauf-conduits, mais en petit nombre ; il y est dit, que le roi ne croit pas devoir écrire les lettres que Le Pennec lui avait demandées pour certains personnages, dans la crainte de contribuer par cela même à faire divulguer le complot ; mais il autorise son correspond'ant à leur donner l'assurance « que, à l’aide de Dieu, en brief temps, nous remectrons le pays et peuple de Bretaigne en sa liberté et franchise et hors de la captivité des Françoys, et qu'ilz vivront en l'avenir soubz prince de leur nation quel ilz auront bien agréable » (Document XXV du 5 avril 1492).

« Cette désignation si claire, fait remarquer M. de la Borderie, montre au doigt le personnage ; un seul seigneur de Bretagne pouvait, avec un semblant de droit, élever des prétentions au trône ducal, un seul en avait élevé : Jean II, vicomte de Rohan du chef de sa femme Marie de Bretagne, seconde fille du duc breton François Ier »  (Introduction, page XIII).  C'était, celui-là même qui venait d'être remplacé par le prince d'Orange dans les fonctions de lieutenant-général de la province.

Le Pennec avait reçu cette lettre quelques jours avant le 15 avril. Ce jour-là, il adressa au capitaine Carreau la confirmation des récompenses que lui accordait Henri VII, et il l'entretint de son projet de passer en Angleterre pour les raisons communiquées au porteur ; il n'attendait pour l'effectuer que l'avis et la réponse du commandant.

Il envoya dans le même temps devers Coëtmen, l'homme au 2.000 écus de pension ; mais celui-ci répondit au messager que c'était folie Le Pennec d'affirmer une chose qu'il ne pouvait garantir, et que, quant à écrire lettres ni brevet de sa main, il ne le ferait pour rien au monde (Document XLV, p. 69). Dure réponse à l'adresse de l'ancien conseiller que la correspondance nous dépeint comme un viveur besoigneux.

Cependant Carreau ayant fait savoir à son compère qu’il n'avait pas reçu certaines lettres annoncées, celui-ci perd subitement la tête et se dispose, le 16 avril, à effectuer son exil : les lettres non parvenues avaient été confiées par lui à un archer du commandant qui se rendait à Brest, à l'expiration de son congé ; Le Pennec a peur que ce messager infidèle ne les ait portées au roi de France ; dans ce cas, il serait perdu et le capitaine aussi.

Mais il est bientôt rassuré sur ce dernier point par La Mothe, l'homme de confiance de Carreau : l'archer insouciant avait tout simplement mis à profit son congé en employant plus de temps qu'il ne fallait dans l'accomplissement de sa mission.

En ce temps là, il était grandement question d'une descente des Anglais en Bretagne : le chancelier Philippe de Montauban, alors à Malestroit, après en avoir prévenu le prince d'Orange, qui était à Morlaix, en informait le roi Charles VIII, à la date du 24 avril, et lui demandait de l'artillerie et des approvisionnements. Le gouvernement veillait donc, et la bourgeoisie, de son côté, prenait des mesures pour repousser l'invasion.

Le Pennec avait tremblé plus d'une fois pour sa sûreté ; ayant un certain nombre de gens dans sa confidence, il ne se sentait pas précisément rassuré. Le 2 mai, il prend enfin son parti : il écrit au commandant de la place de Brest qu’il se propose de l'aller voir aussitôt qu'il le pourra, pour s'entretenir avec lui des affaires du roi d'Angleterre ; mais le même jour, il semble préparer son départ, ou plutôt sa fuite, vers une autre direction. En effet : il mande en toute hâte le prêtre Allain, qui est au service de son neveu, et le prie de lui apporter de l'argent ; il pense s'en aller avec lui par delà, c'est-à-dire en Angleterre. Dans une autre lettre du même jour, il prie instamment son neveu, de lui envoyer messire Allain sans le moindre retard ; il l'attend pour commencer le voyage, et il doit faire une diligence extrême, sous peine de souffrir un dommage irréparable [Note : M. de la Borderie pense que Le Pennec et Carreau partirent alors, chacun de son côté, pour pousser activement la campagne de propagande (P. XIV)].

C'est à cette date du 2 mai 1492 que finit la correspondance de l'ancíen maître des requêtes du duc de Bretagne. Mais la seconde partie de la publication de M de la Borderie, composée de quatorze pièces, copiées la plupart à la Bibliothèque nationale, permet d'ajouter quelques renseignements aux faits que nous venons de résumer.

Si le commandant Carreau est entré franchement dans le complot breton, il a dû s'arrêter devant le passage du Rubicon, c'est-à-dire au moment de s'engager à conserver la place de Brest jusqu'au 8 juin pour le roi d'Angleterre et de consentir à recevoir sur le prix de sa trahison un premier acompte que le roi proposait de lui envoyer par un homme sûr et fidèle (Lettre XXV, § 3, du 5 avril). En acquiesçant à cette partie du programme, il eût donné le dernier sceau à son engagement ; mais rien ne dit qu'il l'ait fait, et le contraire ressort des événements ; de sorte qu'en ne répondant pas à l'attente du monarque anglais, il a dû faire naître des doutes sur sa sincérité. La lettre du 2 mai, que lui adresse Le Pennec, semble destinée à détourner son attention ; et les apprêts que fait celui-ci pour son départ, indiquent, croyons-nous, que le chef du complot se défiait alors de son complice.

Parmi les personnes qui avaient été en relation avec Le Pennec, nous avons déjà rencontré Nicolas Coëtanlem, négociant à Morlaix, et le seigneur Yvan de Coëtongar, des environs de la ville. Tous les deux ayant été dénoncés par La Mothe qui, on se le rappelle, était employé par le capitaine Carreau dans sa correspondance avec l'ancien conseiller, le premier fut emprisonné au Louvre, d’ou il se sauva, et le second à la Bastille où il reste six mois environ ; mais, au mois de novembre 1492, Charles VIII ayant signé la paix avec l'Angleterre, leur accorda des lettres de rémission. Des declarations qu'ils firent à ce moment (Documents XLV et XLVI), il résulte que le 9 mai précédent, La Mothe, qui devait connaître leurs relations avec Le Pennec, avait voulu jouer près d'eux un vilain rôle en cherchant à les séduire : il les aurait mis au courant du complot, et, après en avoir obtenu de grands serments de n'en rien dire, il aurait fait tous ses efforts pour les gagner à ses projets ; mais ce qu'il disait leur paraissait si invraisemblable qu'ils ne le crurent pas tout d'abord ; ils pensaient qu'il en agissait ainsi pour leur arracher des aveux, afin de pouvoir ensuite les accuser et profiter de leurs biens. Ils feignaient une complète ignorance. Diverses réunions eurent lieu, les jours suivants, dans lesquelles La Mothe aurait révélé bien des choses, sur Le Pennec et Carreau, et montré une partie de la correspondance de son capitaine.

Les deux récits contiennent beaucoup de passages semblables, mais ils ont aussi des différences, et celui de Coëtongar renferme des assertions qui doivent être relevées. Selon lui, en effet, vers le 11 mai, des lettres venues d'Angleterre auraient été données par Coëtanlem à Coëtongar, et par celui-ci à un serviteur d'Olivier de Coëtlogon qui les aurait portées à Le Pennec ; puis l'un des jours suivants, Coëtongar aurait été mandé au Bois de la Roche par Le Pennec qui se serait montré fort mécontent des indiscrétions que venait de commetre La Mothe ; c'est Coëtongar qui, dans le même temps, aurait remis à Coëtmen la lettre par laquelle Le Pennec lui rappelait l'offre d'une pension de 2.000 écus et lui demandait un engagement écrit de sa main.

Si cette partie du récit de Coëtongar était exacte, Le Pennec aurait différé de plus d'une semaine son départ annoncé le 2 mai, mais elle ne nous paraît pas conforme à la vérité. Depuis, en effet, la lettre écrite par Henri VII, le 5 avril, laquelle était avant le 15 aux mains de Le Pennec, la correspondance publiée ne contient point de lettres d'Angleterre ; si le correpondant du roi en avait reçu après le 2 mai, elles auraient été saisies comme les autres. En second lieu, le XIème document, quelle que soit sa date de février ou de mars, prouve que Coëtongar était depuis longtemps en relation avec Le Pennec et que celui-ci l'avait envoyé à cette époque porter des lettres du Bois de la Roche. Enfin pour demander à Coëtmen l'engagement écrit de servir le roi d'Angleterre, Le Pennec, toujours pressé d'agir, n'attendit pas le 12 mai, puisqu'il était en mesure de le faire un mois plus tôt.

Les récits des deux inculpés semblent décrire exactement les faits dont ils nous entretiennent ; mais à quelques-uns de ces faits bien déterminés ils donnent, au lieu du mois d'avril, une date postérieure au 9 mai, afin de chercher à prouver qu'ils n'étaient point coupables avant les séductions de La Mothe.

Ils furent cruellement punis. Incontinent après ces choses, dit la première lettre de rémission, La Mothe accusa Coëtanlem devant les gens du roi du crime de lèse-majesté ; et depuis ces choses, dit la seconde lettre, La Mothe fit constituer Coëtongar prisonnier à Morlaix et l'accusa du crime de lèse-majesté, puis il alla devant le prince d'Orange qui lui accorda la confiscation des biens de l'accusé (Documents XLV et XLVI). Ces derniers événements durent suivre de près les réunions de l'accusateur et de ses victimes, c'est-à-dire qu'elles durent avoir lieu avant le mois de juin.

Quant à Le Pennec, il n'en est plus question après ses lettres du 2 mai, et nous pensons qu'il doit disparaître de la scène à partir de ce moment. Le 12 mai, il n'eût pas été en sûreté en Bretagne, car le prince d'Orange y prenait des mesures pour résister aux Anglais dont on annonçait, l'arrivée sur nos côtes (Documents XXXV), et le capitaine Carreau n'avait pas fait défection à sa souveraine. Ce silence, qui se fait tout à coup sur le nom, du premier conspirateur, et la composition de la correspondance remise au lieutenant-général ont quelque chose d'étrange et font pressentir comme un mystère que cache le dernier acte d'un drame.

Une seule pièce de la correspondance est étrangère à Le Pennec : adressée le 10 mai à de Coëtlogon par Jean Le Prestre, elle ne parvint point à sa destination et dut être saisie sur le porteur dans les jours qui suivirent cette date. Toutes les autres pièces avaient appartenu à Le Pennec, soit qu'il s'agit de lettres à son adresse, soit de lettres de lui sous forme de copies. Il en avait confié un certain nombre à Carreau pour lui faire connaître ses relations avec la cour d'Angleterre et lui montrer le grand cas qu'on y faisait de sa personne ; mais la publication en contient plusieurs qu'il n'avait aucune raison de comuniquer, et il suffirait de la présence au dossier des deux lettres qu'il écrivit, le 2 mai, à son neveu et à Messire Allain, pour permettre d'affirmer que les pièces saisies étaient les siennes.

La main du commandant de Brest apparaît évidemment dans cette saisie des documents incriminés et dans leur remise au prince d'Orange [Note : Déclaration contenue dans le document XLV. Ce sont les copies de cette correspondance, faites par les soins du prince d'Orange, qui furent déposées plus tard aux archives du Doubs, son pays d'origine], car ils ne renferment aucune lettre de Carreau qui seul pouvait, avoir intérêt à les faire disparaître ; et puis, quoique désigné dans les autres écrits, il ne fut pas inquiété dans son commandement, ainsi que le prouvent la lettre qu'il adressa au prince le 18 juillet et celle que le sénéchal de Quercy écrivit le 5 août au roi Charles VIII (Documents XLI et XLII). Carreau commandait encore à Brest en 1495 (Document LIII, p. 136. L'artillerie en Bretagne).

Mais comment était-il parvenu à posséder toute cette correspondance ?

Si l'intention de Le Pennec eût été de fuir rapidement, comme nous le pensons, il avait intérêt à se diriger sur Morlaix, où le riche armateur Coëtanlem, son ami et son complice, pouvait le faire embarquer sur un navire qui l'eût conduit sans retard en Angleterre ; s'il avait réellement besoin de voir le capitaine Carreau, quoi qu'il dût avoir des raisons de s'en défier, il pouvait aussi trouver à Brest un vaisseau que le commandant de la place s'était engagé à mettre à sa disposition. Le voila donc parti, s'il ne fut pas arrêté dans sa demeure au dernier moment.

Peut-on admettre qu'il ait laissé chez lui ces documents si compromettants, même dans la pensée qu'une fois en Angleterre il n'avait rien à craindre pour sa personne, et que le commandant de Brest les y ait fait saisir ? Cela n'est guère probable ; on ne laisse pas derrière soi de pareils témoins de son estime.

Aurait-il été arrêté en chemin comme dut l'être le messager porteur de la lettre adressée le 10 mai à de Coëtlogon ?

Aurait-il caché sa correspondance chez son neveu, qu'il se proposait de voir dans sa fuite, et y aurait-elle été saisie toujours par les soins du capitaine Carreau ?

Enfin, serait-il arrivé à Brest avec le projet de s'y embarquer pour l'Angleterre, et là le commandant lui aurait-il enlevé de gré ou de force la malle dont il était porteur ?

A toutes ces questions, il ne saurait y avoir de réponse précise. Néanmoins, tout nous porte à croire que, tout près du 2 mai, il fut arrêté chez lui ou sur la route de Morlaix.

Quoi qu'il en soit, Le Pennec disparut sens laisser de traces derrière lui ; il n'y a plus rien de lui après cette date. Ce ne fut point un conspirateur habile ; il se livrait à trop de gens et faisait trop parade des lettres qu'il recevait d'Angleterre ; il ne sut pas donner un corps au complot, lequel dût, en même temps que lui, s'évanouir du sol breton. Le Pennec n'avait point l'autorité que donne une grande situation et qui s'impose aux hommes et les entraîne. D'ailleurs, la Bretagne était ruinée et lasse de la guerre ; après l'union du roi Charles VIII et de la duchesse Anne, ce personnage vulgaire et léger, sans entourage ni prestige, pouvait-il sérieusement rallier à son projet, né sur le sol anglais pour servir des intérêts anglais, d'autres gens que certains mécontents ou besoigneux déçus par les derniers événements ? Le vicomte de Rohan lui-même eut failli à cette vilaine tâche ; il n'osa s'y employer, se contenta peut-être de laisser prononcer son nom et alla bouder à la Garnache, sur les confins du Comté nantais.

Malgré l'anéantissement du complot, le roi d'Angleterre n'avai tpas renoncé son projet d'invasion. Une flotte anglaise arriva en vue des côtes de France peu après le 8 juin, époque qu'il avait fixée à Le Pennec ; mais ce ne fut pas vers Brest ni Morlaix qu'il la dirigea : il était édifié, sans nul doute, sur la valeur des promesses des commandants de ces deux places, et il devait savoir que, depuis la fin d'avril, on faisait bonne garde sur le littoral breton. La flotte parut d'abord à l'entrée de la Seine ; elle fut ensuite signalée au nombre de trente-quatre vaisseaux, le vendredi 15 juin, devant la pointe nord-est du Cotentin ; le lendemain 16, à cinq heures du soir, les Anglais montés sur seize ou dix-huit bateaux tentèrent une descente à un quart de lieue de Barfleur, mais vivement accueillis par la milice du pays et les gens d'armes du roi munis d'artillerie, ils furent obligés de se rembarquer immédiatement.

Le dimanche 17, ils revinrent au nombre d'environ quinze cents conduits par le sénéchal de l'hôtel du roi, lord Willoughby, que nous avons vu au début de ce récit. Cette seconde affaire fut fort chaude, mais les Anglais durent encore se rembarquer en laissant aux mains des Français deux pièces d'artillerie et des prisonniers (Document XXXIX).

Déçu dans cette entreprise depuis si longtemps méditée, Henri VII, sans cesser de nous tenir en haleine, songea à diriger ses efforts d'un autre côté. Trois ou quatre mois plus tard, une armée anglaise descendait à Calais et cherchait à s'emparer de Boulogne où elle trouvait une résistance qui ruinait les derniers projets du roi d'Angleterre. La paix s'en suivit ; elle fut conclue entre Charles VIII et Henri VII au commencement de novembre 1492 [Note : C'est évidemment à cette paix et sans aucun doute à l'intervention du roi d'Angleterre que Coëtanlem et Coëtongar durent leur liberté] ; et, de ce moment, l'union personnelle de la Bretagne à la France fut définitivement consacrée (Introduction, p. XXVII).

(E. Orieux)

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