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LA CHOUANNERIE DANS LE FINISTÈRE

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La Chouannerie est une guerre civile qui opposa Républicains et Royalistes en Bretagne lors de la Révolution française. Elle est étroitement liée à la guerre de Vendée qui se déroula sur la rive gauche de la Loire, l'ensemble de ces deux conflits étant parfois connu sous le nom de « guerres de l'Ouest ». Les premiers affrontements éclatèrent en 1792 évoluant en jacquerie paysanne, puis en guérilla avant de se terminer par la victoire des Républicains en 1800.

La chouannerie à Rochefort en Terre (Bretagne).

UN CHEF DE CHOUANS AUX MULTIPLES SURNOMS : JEAN-FRANÇOIS EDME LE PAIGE, DIT « DE BAR », « D'ORSENNE », « GASPARD », « LE PRUSSIEN », « RENAUD », « MONTE-AU-CIEL » ... QUELQUES PRÉCISIONS SUR SON ORIGINE. SON ACTIVITÉ CHOUANNE. DIVERGENCE ENTRE LA DATE RÉELLE DE SA MORT ET CELLE DE SON ACTE DE DÉCÈS.

Au début de l'année 1762, le régiment de Talaru se trouvait en quartier d'hiver à Concarneau. Un simple soldat comptant déjà huit ans de service et se parant du titre d'écuyer, Edme Le Paige, originaire de Chalon-sur-Saône, où il était né d'un conseiller du roi, contrôleur des fortifications de Bourgogne et de Bresse. « s'imagina, quoique très ignorant, de devenir greffier du siège royal. Il demanda son agrément à M. du Laurens, sénéchal, qui sut si à propos agir pour lui, qu'il demeura adjudicataire » (Arch. du Finistère, B 806), pour la somme de 2.700 livres, suivant bail des 11 et 27 août 1762. Il fut reçu greffier le 10 janvier 1763 (Arch. du Finistère, B 1290).

En 1766, Le Paige fut accusé de malversations dans l'exercice de ses fonctions. Des plaintes furent adressées à l'avocat général du roi au Parlement de Bretagne qui remontra « que dans la juridiction de Concarneau, il règne différens abus extrêmement préjudiciables au bien public ; qu’il s'y commet impunément des faux et des prévarications de toutes espèces ; que le greffe surtout est très mal administré, qu'il est entre les mains d'un ancien soldat de Talaru qui, depuis cinq ans, fait les fonctions de greffier sans talens ni sans connoissances » [Note : Arch. du Finistère, B 806. — On peut se demander comment M. du Laurens, sénéchal et seul juge de la sénéchaussée de Concarneau, pouvait assurer l'exercice de la juridiction avec un tel greffier, surtout que nous savons, de plus, que son procureur du roi, Mathieu-Joseph Le Poupon, était extravagant, insensé... Le Poupon dut se démettre de sa charge en 1772 et sa mère fut obligée de le faire enfermer à l'hôpital de Lanmeur. Ses dérèglements de jeunesse avaient fait scandale à Pont-Croix]. Néanmoins Le Paige continua à diriger le greffe jusqu'en 1769. A. cette date, il céda son Office à maître Mathieu-Marie Treffvou et acquit la charge de notaire de Guillaume-Hyacinthe Billette (Arch. du Finistère, B 1290).

Comme la plupart de ses confrères, Le Paige se livrait également au commerce de sardines ; « il le faisoit même avec avantage et jouissoit conséquemment d'une grande aisance », ce qui lui permettait de cautionner les entreprises d'autres marchands (Arch. du Finistère, B 4581).

Cependant le marasme des industries de la pêche pendant les années qui précédèrent la Révolution l'atteignit comme les autres trafiquants ; de plus, vers 1786, un de ses fils, Louis-Edme, s'enfuit, en Amérique « après avoir vendu et emporté le prix de tous les bateaux et ustensiles concernant le commerce qu'il faisoit au compte de son père à Douarnenez » (Arch. du Finistère, série Q. Partage entre la nation et les émigrés).

Le 3 avril 1789, Le Paige présida l'assemblée électorale de Lanriec ; il fut même élu troisième député de cette paroisse pour le choix des députés aux Etats généraux (Savina et Bernard, Cahiers de doléances..., p. 292).

Lors de l'assemblée « des jeunes citoyens, corps et corporations de la ville de Concarneau, tenue le 4 août 1789, chez le sieur Bonnecarrère, à l'effet de former et de diviser en compagnie les dits corps et corporations et nommer leurs chefs pour la conservation et le salut de la ville et arsenal », Le Paige père fut élu aide-major de la première compagnie et son fils Armand porte-enseigne. Quant à Jean-François-Edme Le Paige, le futur chef de Chouans, il est mentionné comme simple fusilier dans la deuxième compagnie. Cependant, lorsque une troisième compagnie fut formée par les jeunes marins, le 27 septembre, il en fut élu capitaine. En cette qualité, il fit partie du détachement de vingt-quatre hommes qui se rendit à Lannion, le 24 octobre, pour coopérer au rétablissement de l'ordre troublé lors de l'affaire des grains. Le 31 octobre, le détachement était de retour ; une délégation de la garde nationale partit à sa rencontre jusqu'à la chapelle de Saint-Laurent et la troupe pénétra en ville tambour battant et drapeau déployé. Le major Morineau rendit compte de sa mission en indiquant que le détachement avait perdu ses munitions de guerre, comprenant un baril de poudre pesant vingt livres et quatre cents balles, en la ville de Landerneau (Arch. du Finistère, 14 L 67).

La suppression, en 1790, du siège de Concarneau et par suite de tous les offices judiciaires qui en dépendaient, réduisit Le Paige père à demander son incorporation dans la gendarmerie départementale. Le 17 septembre 1792, il fut nommé gendarme à la brigade de Rosporden. Plus tard il fut affecté à la brigade de Quimper, d'abord comme brigadier, puis, à partir du 1er fructidor an II (18 août 1794), comme maréchal des logis. En floréal an II, le comité de surveillance de Quimper fit des difficultés pour viser son certificat de civisme « jusqu'à, ce qu'il ait prouvé avoir tout fait pour empêcher l'émigration de son fils dit Dorsenne ».

Sur les attestations délivrées par les municipalités de Rosporden et de Concarneau, le visa fut finalement accordé (Comité de surveillance de Quimper, reg. 2, f°s 93, 94).

Le 19 nivôse an IX (9 janvier 1801), il fut constaté un déficit de 3.243 francs 93 centimes dans la caisse de la brigade, qui lui était confiée en sa qualité de quartier-maître, quoiqu'elle fermât à trois clefs. Le Paige fut immédiatement arrêté, puis transféré à Saint-Brieuc pour y être traduit au conseil de guerre. Il y décéda, à l'hôpital civil, le 5 prairial an IX (25 mai 1801), avant d'avoir subi son jugement. Il était âgé de 65 ans (Arch. du Finistère, série Q. Partage entre la nation et les émigrés).

Edme Le Paige avait épousé à Rosporden, le 12 janvier 1763, Louise-Hélène Musseau, fille d'un procureur à Concarneau (Etat civil de Rosporden). Un fils, prénommé Jean-François-Edme, leur naquit à Concarneau le 28 juillet 1763 (Etat civil de Concarneau). Ce devait être le futur chef de Chouans, De Bar.

Jean-François-Edme fit ses études au séminaire de Plouguernével, puis au collège de Quimper. Après avoir fait son droit à Rennes, il se fit recevoir avocat en Parlement de Bretagne.

Ses succès au barreau ne furent pas brillants ; pour augmenter ses ressources, il essaya le commerce de sardines, mais la aussi il eut des déboires (Arch. du Finistère, B 4592).

Après la dissolution de la garde nationale de Concarneau, le 18 avril 1790, Le Paige-Dorcenne — il signait ainsi, en adornant son paraphe des trois points maçonniques — se trouva sans emploi et sans moyens d'existence. Il est à croire que ses concitoyens le tenaient en piètre estime, car il ne figure dans aucun poste dans les administrations nouvelles. De plus, il se voyait devant un passif de 2.559 livres, auquel il se trouvait dans l'impossibilité de faire honneur (Arch. du Finistère, série Q. Partage entre la nation et les émigrés).

Toutes ces considérations ne furent sans doute pas étrangères à sa détermination de quitter sa patrie. Le 28 septembre 1792, Le Paige s'embarqua sur les côtes de Nevez en compagnie de Le Breton, curé de Nizon, Auffret, vicaire de Mellac, madame veuve Damain, ses deux filles et sa petite-fille, Victoire de Joannis, veuve de Sébastien-Henri-Joseph de Penandreff, mademoiselle de Penandreff et mademoiselle de Joannis, enfin un domestique [Note : Arch. du Finistère, district de Quimperlé. Police. — La famille Damain, composée de sept personnes, avait jugé prudent de quitter Port-Louis pour venir s'établir à Pont-Aven, après le massacre de Gérard son ami et son correspondant commercial]. Le maire de Pont-Aven, qui signala ce départ, pensait que la famille Damain se rendait peut-être à l'île de France, dont elle était originaire et où elle avait encore des propriétés, ou bïen que toutes ces personnes suivraient en Espagne les deux prêtres insermentés. Nous ignorons vers quelle destination se dirigèrent ces émigrants.

Suivant Sageret, Le Paige-Dorsenne « se mit en route pour rejoindre la coalition des gentilshommes de Bourgogne, mais n'y réussit pas. D'Ostende, qu'il avait gagné, il passa en Espagne au mois de février 1793 et y servit pendant près de deux ans dans la légion de Saint-Simon. Au cours de cette campagne, il fut blessé devant Saint-Jean-Pied-de-Port » (E. Sageret, Le Morbihan et la Chouannerie morbihannaise, t. I, p. 189). Lui-même dit, en effet, qu'il servit en Espagne, en 1793 et 1794, sous les ordres du général Caro, dans les Pyrénées-Orientales (Arch. nat., F7 6380). De Bilbao, le 24 févier 1793, il écrivait à madame Galabert, à Concarneau, en se plaignant d'être exilé, de ne point recevoir de réponse à plus de quarante lettres qu'il avait adressées en France. « Il promet des détails sûrs et intéressants pour un prochain avenir et demande si tous les Français sont heureux » (Arch. nat., W 543).

Dans le courant de 1794, Le Paige revint à Concarneau, d'où il se rendit dans les Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), si nous en croyons la lettre ci-après, écrite du Petit-Moros, en Lanriec, le 14 juin 1819, par le chouan amnistié Frollo [Note : Elie-Lubin-Marie Frollo naquit à Concarneau, le 13 mars 1778, de Jean-Baptiste Frollo, ancien capitaine de gardes-côtes, et de Marie-Gabrielle-Félicité Audren. Connu dans la chouannerie sous le nom de Carnage, on lui attribua le meurtre de Cadiou, huissier du tribunal de Quimper, sur la route de Quimper à Rosporden ; le 14 brumaire an VIII (5 novembre 1799) ; il fut également l'un des meurtriers de Jean Briand, juge de paix de Briec] au préfet du Finistère, que nous pensons devoir reproduire intégralement à cause des renseignements qu'elle fournit sur d'autres points :

« Je n'avais pas encore 17 ans accomplis quand, au commencement de 1794, je quittais la maison paternelle pour suivre le penchant de mon cœur en m'associant aux bandes royalistes qui se formaient dans les départements des Côtes-du-Nord et du Finistère.

M. Le Pêche, plus connu sous te nom de Dorsaine et de De Bar, fut mon premier guide dans cette carrière de l'honneur. A son retour de ses voyages en Angleterre, de Bar, né dans la même ville que moi, à Concarneau, n'avait d'autre asile que la maison de ma mère ou celle des amis de confiance que nous disposions à le recueillir lorsque, muni des pouvoirs du Roi, il débarquait sur nos côtes avec quelques compagnons dont la mission émanait aussi immédiatement de l'autorité royale.

En 1794, il me conduisit dans les Côtes-du-Nord où, dès mon arrivée, et malgré mon jeune âge, il me délivra un brevet d'officier recruteur.

J'ai souvent reçu de ce chef des témoignages distingués de satisfaction : je lui ai souvent prouvé par mon empressement, mon ardeur à transmettre ses ordres aux compagnies qu'il avait organisées, et à agir de concert avec lui, que les dangers les plus éminents, les sacrifices les plus pénibles, ne pouvaient pas refroidir mon zèle.

En 1798, je fus le premier de mon département à reprendre les armes. J'allais rejoindre le comte de Geslin, notre ancien chef de division, à Quimperlé, et parcourait depuis quelque temps les campagnes, sans avoir encore réussi à enrôler un seul homme. Je me joignis à lui et bientôt nous parvinmes à réunir 400 volontaires.

MM. de Cornouailles, La Rufle et Coroller ne tardèrent pas à nous seconder [Note : Michel-Armand de Cornouaille naquit au manoir de Kerlez, en Briec, de Guillaume-Jacques et de Louise-Véronique de Boiguehenneuc, le 22 décembre 1777, et fut baptisé à Quimper (La Chandeleur) le 27 juillet 1780. Il résida à Quimper avec sa sœur Reine-Véronique de 1790 à 1793. Il participa à toute la Chouannerie. En 1815, il organisa l'insurrection de Quimperlé. Il mourut à Quimper, avec le grade de chef de bataillon, le 11 mai 1822, mari de Rose-Marie-Josèphe de Quelen. — Jonathas-Jean Coroller de Kervescontou, né à Saint-Mathieu de Quimper, le 27 octobre 1778, entra dans les troupes royales en 1795. Il prit part à toutes les campagnes de la Chouannerie et mourut à Morlaix, le 20 juillet 1828. — Marie-Hyacinthe de Geslin naquit à Kerulut, en Plobannalec, le 3 juillet 1768, de Jean-Marie, lieutenant de vaisseau, et de Malouine-Josèphe du Breil de Névet. Il était renommé comme « un des plus cruels parmi les chouans qu'il commandoit. Il a dirigé une grande partie des assassinats qui ont eu lieu dans le Finistère » (note de Daniel, capitaine de gendarmerie). En 1808, il était sous la surveillance de la police. Geslin mourut à Quimperlé le 1er novembre 1832]. La 9ème légion dite du Finistère s'organisa sous leur inspection. J'y ai successivement occupé les grades de capitaine et d'adjudant-major, dit lieutenant de canton.

Mon service, Monsieur le Préfet, ne s'est pas ralenti un seul instant ; il a constamment duré jusqu'au jour où, par ordre de MM. Les comtes de Cornouailles et de Geslin, je fis la soumission attestée par la carte de reddition que j'ai l'honneur de joindre ici avec le certificat du maire actuel de ma commune.

Il me serait impossible d'administrer d'autres documents justificatifs de mes services militaires ; vous en connaissez bien les raisons ; vous savez que du jour de ma première soumission en 1794, le brevet du comte Le Pêche, dit de Bar, ces certificats honorables, mes relations par écrit avec mes chefs de canton et de division ne pouvaient pas être conservés sans m'exposer à chaque minute du jour à être livré, poings et mains liés, aux ennemis de mon Roi.

J'appartiens, Monsieur le Préfet, à une famille que d'anciens services militaires ont constamment honorée ; je ne vous parle pas des services de mon père, ma lettre serait trop compliquée. Je vous dirai seulement qu'il avait mérité la décoration de Saint-Louis, mais qu'il refusa de la solliciter en 1789, dédaignant de la porter dans les temps d'affreuse mémoire où le crime ne rougissait pas de se montrer à découvert, préparait publiquement la chute de la plus antique, de la plus glorieuse monarchie de l'Europe ... » (Arch. du Finistère, série M. Police et sûreté générale).

Pendant les derniers mois de 1794 et les premiers mois de 1795, Le Paige-Dorsenne s'occupait de recruter des troupes dans les Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor). Au cours de ses tournées de racolage, il aurait pu se trouver en présence d'un de ses cousins germains, le chef de bataillon Le Paige-Dorsenne, commandant les troupes républicaines à Moncontour [Note : Chassin, Pacification, I, p. 60 ; Levot, Biographie bretonne, I, p. 133. — Edme-Charles-Louis Le Paige-Dorsenne, né à Duccy le 25 juin 1772, volontaire au 1er bataillon des Côtes-du-Nord en 1791, capitaine en 1793, puis chef de bataillon, colonel au 5ème régiment de la garde impériale, baron de l'Empire en 1814, chevalier de la Légion d'honneur et de Saint-Louis. C'était un des plus beaux cavaliers de l'Empire. Il mourut à Avranches, où une rue porte son nom, le 23 décembre 1855].

Après avoir organisé la région limitrophe des trois départements des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), du Morbihan et du Finistère, De Bar — nous le désignerons désormais sous ce nom — en reçut le commandement, avec du Chélas, des chefs de l'armée catholique et royale (G. de Cadoudal, Cadoudal et la Chouannerie, p. 59). Un de leurs détachements se rendit à Guilligomareh dans la nuit du 1er frimaire an III (21 novembre 1794) et assassina le curé constitutionnel Cabon, « qui fut trouvé gisant dans son appartement percé de plusieurs coups de fusils tirés, suivant les apparences, à bout portant, puisque sa chemise s'est trouvée brûlée et noircie par le feu de la poudre » (District de Quimperlé, reg. 2, f° 34). Gabon était coupable, aux yeux des chouans, d'avoir conduit lui-même les gendarmes, de jour et de nuit, à la poursuite de l'ancien recteur de Guilligomarch, Le Guennec, signalé errant dans les environs (District de Quimperlé. Police).

La même aventure faillit arriver au curé d'Arzano, Jean-Claude Pécart. Dans la nuit du 21 au 22 nivôse (15-16 janvier 1795), une bande de chouans envahit son presbytère, le pilla et emporta une somme de 1.057 livres. « Si le sieur Pécart se fut trouvé le soir chez lui, il eut été indubitablement tué » (District de Quimperlé. Police).

En mai 1795, les chouans commirent des vols dans des villages de Querrien et de Rédéné ; en juin, des vaches, des bœufs et des chevaux furent enlevés à Kerguyomar, en Querrien, au préjudice du citoyen Chef-du-Bois [Note : On sait que la fameuse expédition du Pont-de-Buis eut lieu également en ce mois de juin et au cours de laquelle furent assassinés trois curés constitutionnels et un instituteur].

Pendant tout l'été de 1795, la région limitrophe du Morbihan et des Côtes-du-Nord fut parcourue par de nombreuses bandes de chouans sous les ordres de Poulpiquet, dit Sans-Quartier, d'Amphernet, dit Aimé, du Chélas, dit la Couronne, Geslin, Roquefeuil, etc...

Le 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795), « environ 60 chouans entrèrent chez Jean-Michel Gourlaouen, greffier de la justice de paix de Querrien, à qui ils reprochèrent d'avoir dénoncé des émigrés et des prêtres. Après avoir bu 30 bouteilles et forcé Gourlaouen à en prendre sa part, ils le conduisirent au pied du nouvel arbre de la liberté, coupèrent l'arbre en sa présence et ayant déshabillé le malheureux, le fusillèrent, puis lui coupèrent la tête avec son propre sabre, qu'ils vinrent mettre fumant de son sang sous les yeux de sa famille éplorée » (Arch. du Finistère, 10 L 19).

Quelques jours plus tard, dans la nuit du 25 au 26 vendémiaire (17-18 octobre), une autre bande, ou peut-être la même, immola Cavelat, curé constitutionnel et Guillaume Bernard, juge de paix de Kernével. Leur forfait accompli, comme à Guilligomarch, comme à Querrien, les assassins disparurent et personne ne les reconnut [Note : Arch. du Finistère, 7L 20. Corresp. district de Quimperlé — Nous ne rapporterons que les événements plus ou moins dirigés par de Bar, ou arrivés dans son rayon de commandement].

Pendant les derniers mois de 1795 et les premiers mois de 1796, le Finistère ne fut guère troublé par les incursions des chouans ; mais à partir du début d'avril, le conseil du Morbihan ayant chargé De Bar, concurremment avec Deschamps de Villiers, « de rallier les mécontents du côté de Carhaix et d'étendre l'insurrection dans le Finistère » (G. de Cadoudal, op. cit., p. 133), des racoleurs parcoururent les campagnes de Langolen, Coray, Trégourez, Leuhan, Laz, prenant les noms des déserteurs, des conscrits et même des hommes mariés et les avertissant, avec des menaces, « de se tenir prêts quand on viendrait les réunir ». Dans la région de Scrignac et vers le Ponthou, des bandes se formèrent et se dirigèrent vers les Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), sous la conduite d'inconnus disposant de beaucoup de numéraire. Des cultivateurs furent dépouillés par ces bandes ; « ils se laissent piller sans nommer leurs voleurs dans la crainte d'être assassinés » (Arch. du Finistère, 7 L 19, f°s 24, 66. Police des cantons).

Les chefs de recrutement enrôlaient des vagabonds, des condamnés de droit commun, des voleurs, des bagnards évadés grâce à la complicité de gardiens infidèles, acquis à prix d'argent (pendant les mois de brumaire et de frimaire an V, trente forçats s'évadèrent du bagne de Brest) (Arch. du Finistère, 7 L 19, f°s 24).

Le mois de floréal an IV fut marqué par de nombreux meurtres. Le 13 (2 mai 1796), entre sept et huit heures du matin, cinq hommes, l'un habillé en paysan et les autres en « sans-culottes », arrêtèrent François Canaff, vicaire de Saint-Yvi, sur le grand chemin conduisant à Quimper, vis-à-vis du village de Kerousal en Saint-Yvi. Celui qui paraissait être le chef c'était Geslin — lui prit la main droite « et se retirant un peu en arrière, lui a tiré un coup de fusil à la partie supérieure et latérale gauche du cou, qui l'étendit à terre. Un deuxième coup dans le bas-ventre l'acheva » [Note : Justice de paix de Rosporden. — François Canaff avait été curé de Perguet jusqu'en 1787, puis professeur de quatrième au collège de Quimper. Il devint vicaire à Saint-Yvi, le 1er octobre 1793, après la déportation de Guillaume Le Guellec].

Dans la nuit du 16 au 17 floréal (5-6 mai 1796), des inconnus pénétrèrent chez Jean-Julien-Marie Robert, notaire et président du canton de Trégunc et l'assassinèrent. Ils coupèrent en outre l'arbre de la liberté et commirent un vol chez Luc Martin (Tribunal criminel. Dossiers non classés).

Dans la nuit du 19 au 20 floréal (8-9 mai), le vicaire de Saint-Evarzec, Jacques Lavalot, fut victime d'une autre bande. Le juge de paix descendu sur les lieux le lendemain rapporta le procès-verbal suivant : « Le 20 floréal an quatre, sur l'avis nous donné au greffe d'un assassinat commis en la personne du citoyen Jacques Lavalot, desservant comme vicaire la commune de Saint-Evarzec, nous être transportés jusqu'au bourg du dit Saint-Evarzec, à l'effet de constater tant l'assassinat que le vol fait en l'église de la même commune, où étant rendus et ayant entré dans la cour du cy-devant presbytère, nous avons trouvé un cadavre qu'on nous a dit être celui de Jacques Lavalot âgé, suivant son passe-port, de soixante six ans, natif du département des Côtes-du-Nord ; en conséquence, pour vérifier la cause et l'effet de sa mort, nous avons requis le citoyen Pouillier, officier de santé à la résidence de Quimper, d'en faire ouverture et de nous rapporter les suites de sa mort, ce qu'il a fait comme suit : en l'endroit le dit Pouillier, après vérification faite du dit cadavre, nous a déclaré avoir apperçu à la partie supérieure de la région lombaire une plaie d'arme à feu large d'une pièce de vingt-quatre sols environ, et ne pénétrant que la seconde vertèbre lombaire dans laquelle la balle s'est perdue ; poursuivant ensuite ses recherches, il nous a déclaré avoir apperçu une autre plaie à la partie antérieure supérieure et latérale droite de la poitrine, pénétrante jusqu'au poumon du même côté, laquelle plaie est large d'environ une pièce de douze sols ; que la balle avait porté entre la seconde et troisième vraies côtes et s'était perdue dans le poumon droit... Rendus à l'église, on nous a fait voir que le tabernacle du grand autel avait été ouvert par le moyen de la clef, et on nous a déclaré que les mêmes malfaiteurs qui avaient commis l'assassinat cy-dessus, avaient enlevé du dit tabernacle le saint ciboire, le soleil et le calice en argent qui y étaient, qu'ils ont ensuite fait ouverture de la porte de la sacristie par le moyen de la clef qu'ils avaient prise chez Allain Le Breton, sonneur de cloche, et qu'ils ont emporté une chasuble fond rouge, à fleurs blanches, galonnée en or... ».

Le sonneur de cloches avait dû remettre les clefs « ayant trois pistolets bandés sur la gorge ».

Vincent Jaouen, aubergiste, déclara : « hier, environ les dix heures et demie du soir, il entendit frapper à la porte de la cour du presbytère, que tôt après, il entendit frapper et même enfoncer celle de la maison manale, et qu'environ cinq minutes après l'effraction, il entendit tirer un coup de fusil, et tôt après un coup de pistolet ; déclare n'avoir autre connaissance, attendu qu'il n'a osé sortir de chez lui... ».

Dans la nuit du 22 au 23 floréal (11-12 mai), « des hommes armés, qu'on dit être au nombre de deux cents, sont entrés de force dans la maison du citoyen Hégel, percepteur des contributions de la commune d'Elliant, l'ont contraint, sous peine d'être fusillé, de leur livrer une somme de deux cents livres en numéraire et de quatre cent mille livres à peu près en assignats... Avant de quitter la maison du citoyen Hégel, ces brigands lui ont donné une reconnaissance signée de trois prétendus chefs de l'armée catholique de Bretagne...

La même troupe a pillé aussi dans le bourg d'Elliant la maison du citoyen Jean Le Batz, sabotier, qui ne doit la vie qu'à sa fuite... » (Arch. Finistère, 5 L 14. f° 4).

Alain Quéré, de Kerlavéo, en Elliant, fut assassiné dans la nuit du 24 au 25 floréal (13-14 mai) [Note : Tribunal criminel. — V. mention d'autres méfaits à Elliant et Langolen et d'autres vols chez les percepteurs, dans Peyron. Documents sur la Chouannerie dans le Finistère, p. 129 et suiv.]. Des vols. furent commis chez un grand nombre de personnes à Elliant : Jean Bernard à Kergaouen, Jeanne Le Cavellat, son gendre et son fils à Popty, Jacques Méry au moulin du Jet, Guy Marec à Kervran, François Le Meur, ex-juge de paix, Jean Postic à Kernevel.

Parmi les auteurs de ces attentats se trouvait Jean-Baptiste Riou, natif d'Elliant, « qui avait servi la République en qualité d'officier marinier sur le vaisseau l'Achille faisant partie de l'escadre sortie de Brest avant le combat de prairial an II et fait prisonnier par les Anglais ; qui s'était volontairement enrôlé en Angleterre dans les troupes ennemies de la République ; qui était descendu avec elles au mois de messidor an III sur les côtes de Carnac ; qui n'avait été acquitté par la commission militaire à Vannes qu'à condition de servir dans les troupes françaises et qui les avait abandonnées pour prendre parti dans les bandes de chouans ». Un autre complice était Corentin Poulichet, déserteur, originaire de Laz. Cette troupe était dirigée par Geslin et Victor du Brieux [Note : Riou et Poulichet furent traduits devant le conseil de guerre, à Brest, le 22 germinal an V (11 avril 1797). Riou fut condamné à mort et Poulichet à dix ans de fer. Un frère de ce dernier, Louis Poulichet, sera compromis dans l'assassinat de l'évêque Audrein].

Le 26 messidor an IV (14 juillet 1796), De Bar se rendit à Concarneau en compagnie du commissaire de Gourin ; le commissaire de Concarneau le fit arrêter et remettre entre les mains du citoyen Stiplin, commandant de la place. Ce dernier le fit relâcher le lendemain, malgré l'opposition de l'agent de Concarneau, « attendu qu'il était muni de deux passeports, l'un des généraux Quintin et Lavallée et l'autre d'une administration municipale ». La possession du premier passeport paraît indiquer, qu'à cette époque, De Bar s'était soumis aux autorités militaires (Arch. du Finistère, 10 L 141).

Quoi qu'il en soit, on n'entendit plus parler de lui jusqu'en prairial an V. Le 16 prairial (4 juin 1797), Allain-Launay signalait sa présence chez Jouan, commissaire de Carnoët et chez le commissaire de Maël-Carhaix, Guezno-Penanster (P. Hémon, Carhaix et le district de Carhaix, p. 452). On le croyait « fortement occupé à réorganiser une chouannerie ».

Le 18 fructidor obligea De Bar à se cacher dans les environs de Rostrenen [Note : H. Pommeret, La troisième Chouannerie, p. 17. — Nous renvoyons à ce travail, sérieusement documenté, pour tout ce qui concerne les entreprises de De Bar dans les Côtes-du-Nord].

Le 1er frimaire an VI (21 novembre 1797), Allain-Launay signalait de Carhaix « que De Barre reparaît dans ces contrées, il vient, avec dix ou douze autres scélérats de son espèce, d'assassiner, dans sa maison, Le Clech de Langonnet, ci-devant chouan, parce que celui-ci a refusé de reprendre les armes, après les avoir rendues de bonne foi » (P. Hémon, op. cit., p. 455).

Le 3 nivôse an VI (23 décembre 1797), le commissaire du Faouët rendait compte : « Le Pêche de Barre, dit Dorsen, et Le Bail, ci-devant chouan, ont été rencontrés ces jours derniers entre Carhaix et Langonnet par un détachement du 1er bataillon de la 81ème brigade, commandé par le citoyen Préville, sous-lieutenant. Ces deux individus ont exhibé de faux passeports à l'officier qui les a relâchés ». Cette étourderie irrita vivement les administrateurs du Morbihan qui signalèrent le fait au général Duthil (Arch. du Morbihan, L 306).

Dans la nuit du 7 au 8 floréal an VI (26-27 avril 1798), une bande de 20 à 25 chouans attaqua la demeure du percepteur de Motreff, canton de Saint-Hernin. Comme il se défendait, « ils ont ramassé des landes et des bruyères et ont allumé le feu dans une grange où étaient plusieurs ustensiles pour le labour, sa jument y étoit également, de sorte que tout a été brûlé. Le frère du percepteur a voulu se sauver avec la caisse, mais il a été atteint par les brigands qui l’ont assommé à coups de crosse de fusil et ont emporté la masse. Cette troupe se retira ensuite en bon ordre, à pas précipités, chacun gardant bien son rang. Ces bandes étoient pour la plupart en uniforme national » (Arch. du Morbihan, L 306. Cf. de Cadoudal, op. cit., p. 405).

Seize des brigands firent leur retraite sur le canton de Tréogan et sept vers Gourin. Parmi eux, le domestique du percepteur avait reconnu :

« 1° Bonaventure, ancien domestique chez la veuve Mascle et demeurant ordinairement chez elle au lieu du Guern, commune de Gourin ;
2° Guillaume Le Guern, fils de Jean, du lieu de Cozvoasec, même commune ;
3° Louis Le Meller, demeurant chez son père à Kernaou, même commune.
Ces trois individus sont d'anciens chouans qui n'ont jamais posé les armes et Le Meller auroit dit au domestique du percepteur que s'il parloit de lui, il le retrouveroit.
Lorsque ces trois hommes projettent quelques vols, ils réunissent sous leurs ordres quelques autres coquins de leur espèce, et l'on assure qu'ils peuvent rassembler de cette manière de 30 à 40 hommes.
Les renseignements qui me sont parvenus m'apprennent que Le Paige dorxène est l'un des principaux de cette bande ; qu'ils ont un repaire au Saint près de Gourin, des intelligences à Roudouallec et, qu'ils sont très souvent près ce bourg, au lieu de Kerespar, chez le citoyen Salaün, dont l'ancien valet, connu sous le nom de Guillaouic, fait partie de cette troupe ... »
(Arch. du Finistère, 7 L 15, 1ère partie, f° 1 ; 3ème partie, f° 3. Cf. Duchâtellier, histoire de la Révolution..., t. VI, p. 155).

Le 14 floréal (3 mai) une bande de 15 à 18 hommes, tous armés et la plupart en uniforme, se rendit chez le citoyen Gilles, à Kergoaler, en Scaër, en s'annonçant comme un détachement de colonne mobile. Quand Gilles s'aperçut de son erreur, il voulut fuir, mais il fut rattrappé et contraint de signer un billet au porteur de 3.000 livres payable à vue. Cette bande avait également projeté d'enlever la caisse du percepteur de Scaër, mais elle ne put réaliser son dessein. A la suite de ces méfaits, un détachement de troupes fut envoyé secrètement dans les environs de Coray dans le but de détruire ces groupes de malfaiteurs (Arch. du Finistère, 7 L 15, 4ème partie, f° 5 ; 7 L 9, f° 10).

Le 4 floréal (23 avril), les Anglais débarquèrent 1.800 fusils dans la baie de La Forêt. De Bar les attendait au Petit-Moros, près de Concarneau, d'où il les fit acheminer vers le Morbihan, par Melgven, le sud de Bannalec et Scaër (Arch. nat., F 7 3676-2 ; Arch. du Finistère, 7 L 9, f° 14 ; Arch. du Morbihan, L 306).

Le 23 floréal (12 mai), des commissaires civils furent désignés pour « accompagner et diriger la force armée qui doit perquérir dans les communes de Clohars-Carnoët, Moëlan, Lothéa, Pont-Aven, Riec, Névez, Concarneau, Beuzec-Conq, Trégunc, Fouesnant, La Forêt, Perguet et Saint-Evarzec, à l'effet de saisir les émigrés, prêtres déportés rentrés, les réfractaires exerçant malgré les prohibitions de la loi, les étrangers inconnus, les hommes sans aveu, qui peuvent être refugiés dans ces cantons. Les maisons des particuliers doivent être visitées exactement et sans distinction, mais avec un examen plus sévère de celles des personnes susceptibles d'avoir quelque intelligence avec les ennemis extérieurs ou intérieurs... Il s'agit aussi de s'assurer s'il n'a point été fait sur nos côtes de versement de munitions et d'armes... » (Arch. du Finistère, L 9, f° 16).

Fin mai, De Bar, avec trois affidés vêtus de vestes courtes et de pantalons verts, essaya, à trois reprises, de s'emparer de Du Chélas, dit La Couronne, son ancien compagnon, qui refusait de reprendre les armes. « Après la perquisition inutile en sa maison du Reste, en Langoëlan, les quatre chouans s'en allaient disant : « Tôt ou tard nous aurons sa tête ; c'est un lâche et un traître, il périra » [Note : Chassin, Pacification..., III, p. 143. Ils ne réussirent jamais à l'atteindre : Pierre-Jacques Rémond du Chélas vécut jusqu'en 1826].

Au début de juin, on le rencontra sur le territoire de Lignol accompagné d'une bande armée d'environ 16 individus, parmi lesquels on reconnut Le Bail, Robin, ex-curé de Ploerdut, Le Puil, ex-curé d'Arzano, Guillaume, prêtre d'Inguiniel, Claudiac, ex-curé de Seglien, Le Goff, ex-vicaire de Séglien et Le Borgne, prêtre. Quelques jours plus tard, Dupré, maréchal-des-logis de gendarmerie de Pontivy, faillit prendre De Bar à Silfiac ; il découvrit son gîte dans une chaumière et s'empara d'une partie de ses fonds. De Bar y vivait publiquement avec l'ancienne domestique de Loréal, curé de Silfiac. Il réussit à se dissimuler dans un champ de seigle, où l'on retrouva la table encore servie (Arch. du Morbihan, L 306).

Vers la mi-juin, une colonne mobile guidée par le commissaire de Mellionnec, Saint-Jalmes, le manqua encore, mais il laissa son fusil à deux coups aux mains de la colonne. « Deux mois auparavant, rapporte le même commissaire, je le manquai de même dans le bourg de Lescoët où il perdit un pistolet en fuyant. Il y a une providence pour les scélérats » [Note : Arch. des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), LM5 117. — François-Marie Saint-Jalmes, né à Plouguernével en 1750, prêtre en 1775, recteur de Gouarec en 1782, puis de Gouesnach en 1786. Il prêta le serment à Gouesnach le 11 février 1790 et devint procureur de la commune. Après le départ de Guillouzo, recteur de Mellionnec, Saint-Jalmes reçut l'institution canonique de Jacob, pour cette paroisse, le 21 octobre 1791. Il épousa Anne Le Staën qui lui donna plusieurs enfants. Il fut fusillé par les chouans vers la fin de 1798].
Au commencement de messidor (fin juillet), après avoir parcouru la commune de Spézet, où il prit les noms de plusieurs jeunes gens auxquels il donna l'ordre de se tenir prêts à marcher au premier signal, De Bar se rendit à l'assemblée de Gourin, où il fut reconnu par le commissaire de Scaër, qui prit la fuite au lieu de prévenir les autorités militaires (Arch. du Finistère, 7 L 9, f°s 32, 42).

Quelques jours plus tard, De Bar devait commettre un crime affreux. Le 3 fructidor (20 août), à la tête de douze brigands, à six heures du matin, il obligea Poulizac, commissaire du canton de Saint-Hernin et Quéméner, curé constitutionnel de Motreff, à le suivre, enchaînés l'un à l'autre. La bande les entraîna dans la forêt de Conveau, près de Langonnet, où, après un simulacre de jugement « prononcé, dit-on, par un abbé », ils furent pendus dos à dos. Le cadavre de Poulizac portait, cloué entre les deux épaules, un écriteau avec ces mots : avis aux dénonciateurs (Duchâtelller, op. cit., t. VI, p. 155, 163, 269).

Au sortir de la forêt de Conveau, la bande se rendit dans la commune de Ploerdut, en passant par Trégarantec.

Pendant plusieurs jours, des détachements venus de Carhaix, de Rostrenen, de Gourin et du Faouët, fouillèrent tous les bois et les fourrés de la région avant de retrouver les suppliciés [Note : Arch. du Finistère, 7 L 15, f° 1. — Thomas Poulizac avait été élu administrateur du district de Carhaix le 25 septembre 1791. Il exerça ensuite les fonctions de président du conseil général du même district jusqu'au 21 ventôse an II (11 mars 1794). — Jacques Quéméner, né à Brasparts, le 8 mars 1755, était curé de Saint-Rivoal en 1790. Il était curé de Motreff depuis 1793].

Quels furent, les complices de De Bar dans cette affaire ? Le 12 fructidor (29 août), Le Goazre, commissaire du département, écrivait : « Les nommés Tutour, métayer de Kergoat, en Saint-Hernin, et Banem, son domestique, sont fortement soupçonnés d'avoir sollicité la venue des brigands qui ont enlevé le 3 du courant les citoyens Poulizac et Quéméneur. Mes renseignements m'apprennent 1° que Poulizac avoit provoqué le désarmement de ces deux hommes comme très dangereux ; 2° que ce désarmement s'effectua le premier ; 3° que le deux, dès la pointe du jour, Tutour et Banem s'absentèrent et ne rentrèrent que le trois, peu de moments avant l'arrivée des brigands chez Poulizac ; 4° que la famille Tutour manifesta durant la journée du trois une joie extrême et qu'elle en fit un jour de fête... » [Note : Arch. du Finistère, 7 L 9, f° 60. — Tutour et Banem furent conduits à Châteaulin, le 9 fructidor an VI (26 août 1798), pour être traduits devant le jury d'accusation. Nous n'avons pas retrouvé le registre de jugements].

Le 15 fructidor (1er septembre), le même commissaire dénonçait un autre complice présumé : « Du Cap, ancien chouan retiré à Quimper, demanda et obtint, le six ou le sept, un passeport et déclara vouloir aller à Ploerdut près Guéméné et prendre sa route pour Coray et Scaër. Je soupçonne que cet homme n'est allé que pour affaire de correspondance et peut-être pour prendre de nouveaux ordres des chefs des brigands, ou pour assister au jugement de condamnation de Poulizac et de son compagnon d'infortune. Vous n'ignorez pas, sans doute, que ces messieurs imitent le vieux de la montagne ; ils ont leurs listes de proscriptions, envoient leurs sicaires arrêter les républicains dont ils ont juré la mort, et quand ils les ont saisis, ils les jugent au nom du prétendu roi ... » (Arch. du Finistère, 7 L 15, 3ème partie, f° 5).

Le malheureux Poulizac paraît avoir prévu le triste sort qui l'attendait ; le 3 prairial an VI (22 mai 1798), il avait offert sa démission : « il est temps que je goûte tes douceurs de la vie privée [il avait 66 ans]... je me suis dans tous les temps sacrifié pour le bien de mon pays. Journellement mes jours sont exposés en remplissant mes fonctions... » (Arch. du Finistère, Police des cantons).

Déjà, le 26 fructidor an III (12 septembre 1795), six chouans avaient rendu visite au greffier de la municipalité de Saint-Hernin, lui avaient intimé l'ordre, de la part de Roquefeuil, chef de canton, de cesser ses fonctions sous peine de mort et de transmettre la même injonction à tous les membres de la municipalité. Le lendemain, pareil ordre fut donné à Spézet (Arch. du Finistère, Police générale, district de Carhaix).

Dans la soirée du 30 vendémiaire an VII (21 octobre 1798), Jean-Claude Pécart, commissaire du canton d'Arzano, ex-curé constitutionnel de cette paroisse, qui rentrait chez lui après avoir concouru à la formation des matrices pour les rôles de l'an VII, fut enlevé par les chouans. On ne sut jamais ce qu'il était devenu. Le citoyen Kergos-Horellou, commissaire de Clohars-Carnoët, désigné par l'administration centrale pour prendre des informations sur cet événement, ne put obtenir aucune précision ni sur les circonstances ni sur les auteurs de l'attentat [Note : Jean-Claude Pécart était né à Cléguer (Morbihan), le 5 novembre 1756. En 1790, il était vicaire à Arzano, où il prêta le serment, le 2 janvier 1791. Après le départ du recteur Le Puil, qui avait d'abord prêté également le serment, mais s'était rétracté aussitôt, Pécart fut élu curé d'Arzano à l'élection du 25 mars 1792. Le 26 mars 1794, il épousa, à Arzano, Anne Le Roux, originaire de Pluméliau (Morbihan), âgée de 31 ans. A la suite du pillage de son presbytère par les Chouans, en 1795, il dut se retirer à Quimperlé pour se mettre à l'abri de leurs violences. Nommé commissaire du canton d'Arzano, il y retourna le 2 messidor an VI (20 juin 1798)].

Pendant les derniers mois de 1798, les raids de De Bar dans le Finistère cessèrent ; à la suite des derniers attentats, on avait établi des postes de 25 à 30 hommes dans la plupart des chefs-lieux de canton avoisinant le Morbihan et les Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor). Néanmoins, les autorités étaient inquiètes ; le 6 brumaire an VII (27 octobre 1798), l'administration centrale du Finistère écrivait au Directoire :

« Il est à craindre, citoyens Directeurs, que les chouans et les émigrés, qui séjournent dans les deux départements limitrophes du Finistère, ne réunissent assez de force pour désorganiser de nouveau par l'assassinat des patriotes.

Nous avons copie des ordres d'un certain Debarre qui prescrit à l'un de ses chefs subordonnés de former l'état de tous les patriotes des divers cantons, de se faire informer de l'état des recettes des percepteurs pour s'en emparer dès qu'il y aura des fonds dans leurs caisses, et de prendre les renseignements les plus positifs sur le départ des fonds à la République destinés pour le port de Brest. Ce même Debarre s'engage, dès ce moment, à faire réunir, sur les points qui lui seront indiqués, assez d'hommes pour assurer l'exécution de ces ordres » [Note : Arch. du Finistère, 7 L 9, f°s supp. Cf. Chassin, Pacification..., III, p. 245 et s. ; Duchâtellier, t. VI, p. 155 et s. ; Pommeret, La troisième Chouannerie, p 19 et suiv. Ces instructions furent saisies sur le cadavre de Le Bell, lieutenant de De Bar].

D'après d'autres ordres trouvés sur Poëns-Kerilly, De Bar recommandait à ses lieutenants de veiller à l'organisation des paroisses et de rançonner les acquéreurs de biens nationaux, sans toutefois recourir aux exécutions capitales.

De plus, dans une circulaire du 9 septembre 1798, il ordonnait « à ses officiers de payer régulièrement les soldats pour que ceux-ci ne se montrassent pas trop exigeants » (Sageret, op. cit., t. I, p. 194). Les rafles chez les percepteurs devaient principalement servir à cet effet.

Dans le courant de novembre 1798, De Bar reçut de Cadoudal le brevet de colonel signé du comte d'Artois le 9 mai 1798, dont la remise avait été différée jusqu'au retour de Mercier envoyé auprès du comte d'Artois pour exposer à celui-ci la situation en Bretagne (De Cadoudal, op. cit. p. 191, 192). A cette époque, De Bar exerçait le commandement de la septième division qui comprenait huit cantons, quatre des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) et les quatre autres du Morbihan et du Finistère. Le secrétaire était Guillouzo, ancien curé de Mellionnec, et le commissaire, un abbé Kerhervé [Note : Chassin, Pacification, III, p. 260. Cet abbé Kerhervé devait être René Kerhervé, originaire de Guerlesquin, vicaire à Plougonven, 1790, qui prêta le serment en 1791 pour éviter la déportation, reparut à Plougonven en l'an III et disparut après le 19 fructidor sous le coup d'un arrêté de déportation du Directoire du 28 frimaire an VI 18 décembre 1797)].

Le 3 nivôse an VII (23 décembre 1798), il se produisit à Brest un incident assez troublant. Ce jour-là, deux matelots du vaisseau Le Gaulois, Casimir Le Paige, demi-frère de De Bar, et Antoine Patier, tous deux natifs de Concarneau, jouaient aux cartes chez Guyomard, rue des Mœurs, à Recouvrance, avec un locataire de ce dernier, Jean-Louis-Charles Dumontier, commis aux vivres, originaire de Rochefort. Le Paige ayant dit à Dumontier qu'il jouait mal, celui-ci lui rétorqua : « Je joue bien avec Les Barres ». — Ce n'est pas de Les Barres, mais de De Bar que vous voulez parlez, et l'auriez-vous vu ? demanda alors Le Paige. — « Oui, répondit Dumontier, je sais où il est, j'ai bu ma part d'une bouteille de vin à long bouchon avec lui et un autre enfermés dans un cabinet ». Le Paige ayant témoigné le désir de voir son demi-frère, Dumontier lui dit qu'il le consulterait le lendemain et que s'il y consentait, il le conduirait. Le lendemain Casimir Le Paige revint trouver Dumontier pour lui rappeler sa promesse, mais celui-ci refusa de le mener auprès de De Bar. Le Paige menaça alors Dumontier de le dénoncer ; ce qu'il fit, en effet, au général Doraison, commandant à Brest, qui ordonna l'arrestation de Dumontier, le 26 nivôse (15 janvier 1799), sous l'inculpation « de communiquer avec un émigré et de concourir à le recéler ». Mais Dumontier ne reparut plus à son domicile à Brest. Il fut cependant arrêté le 17 germinal (6 avril 1799) et écroué à la maison d'arrêt de Brest. Traduit devant le jury d'accusation, il démentit les propos rapportés par Casimir Le Paige, affirmant n'en avoir aucun souvenir. Le 27 germinal (16 avril), le jury rendit un verdict disant qu'il n'y avait pas lieu à accusation [Note : Arch. du Finistère, Reg. de jugements du jury d'accusation de Brest et 10 L 138 ; Arch. nat., F 7 469, n° 201].

Il est fort probable cependant que De Bar fit réellement le voyage de Brest à l'époque rapportée plus haut. Avec son audace reconnue, il était venu évidemment se rendre compte par lui-même des possibilités et des chances de réussite d'une action contre le port militaire, où Cadoudal entretenait des intelligences, particulièrement par l'intermédiaire de l'enseigne de vaisseau Rivoire. On prétendait que l'amiral Terrasson était de connivence avec Rivoire, de même que de Vergès, commandant la brigade de marine. On sait que le projet fut déjoué ; Rivoire, arrêté en février 1800, fut condamné à la déportation par la cour martiale de Rochefort [Note : Levot, Les projets de l'enseigne Rivoire contre le port de Brest (Bull. Société académique de Brest, 2ème série, t. II, p. 122). Cf. Sageret, op. cit., passim, verbo Rivoire].

Dans la nuit du 22 au 23 nivôse an VII (11-12 janvier 1799), sept ou huit chouans venus du Morbihan, « habillés de bleus, dont deux en uniforme national et deux autres très jeunes et jolis de figure, vêtus de vestes de chasse », assaillirent dans sa demeure Antoine Le Gallo, à Keranhouarn en Querrien, et l'assassinèrent. Ils emportèrent 75 francs en numérare (Arch. du Finistère, Police des cantons).

Au début de l'année 1799, De Bar perdit l'un des plus actifs de ses lieutenants, Poëns-Kerilly, dit Philippe, arrêté le 14 janvier 1799, en même temps que d'autres chouans notables. Le même mois, Jean-Louis Tanguy, dit Ulysse, neveu de l'abbé Dohollou, et Roland Madiou, dit Sans-Quartier, tous deux de Plouégat-Moysan, furent arrêtés par la gendarmerie, incarcérés à Brest pour être traduits en conseil de guerre. Ces deux derniers avaient été capturés, de même que les nommés Hamon et Lambert, grâce aux indications fournies par François-Marie Buhot-Kersers, ex-prêtre dont la tête fut mise à prix par un ordre du jour signé de De Bar [Note : Arch. du Finistère, 5 L 13, f° 17 ; Duchâtellier, Brest et le Finistère sous la Terreur, p. 134. On sait que le surnom de Sans-quartier avait également été porté par Alexandre-Marie de Poulpiquet, de Quimper, fusillé à Quimperlé le 12 brumaire an IV (3 novembre 1795), à l'âge de 18 ans].

En mars, sept habitants de Guilligomarch furent appréhendés par une colonne mobile, « comme prévenus de chouannage, de vols, et inspirant la terreur dans la commune qu'ils habitent ». Certains furent traduits devant une commission militaire, d'autres devant le jury de Quimperlé (Arch. du Finistère, 5 L 13, f°s 27, 32). Le même mois, « des brigands se portèrent chez le citoyen Barnabé, agent de la commune de Leuhan, et non contents de le piller et maltraiter, lui imposèrent l'obligation de leur remettre une somme de 600 francs qu'ils lui prescrivirent de porter chez le nommé Rivoal, à Roudoualec ». Rivoal fut arrêté quelques jours après par une colonne mobile et transféré devant l'administration du Morbihan (Arch. du Finistère, 5 L 13, f° 25 ; 7 L 17, f° 25).

Le même mois encore, « six militaires de la garnison de Landeleau, après avoir parcouru la commune de Spézet, rentraient dans leur cantonnement ; un d'eux se détacha, pour satisfaire à la nature, de ses camarades qui continuaient toujours leur route. Des brigands, au nombre de douze, suivaient par derrière. Tout à coup, ils viennent fondre sur cet infortuné militaire, lui tirent plusieurs coups de fusils et se sauvent aussitôt, en enlevant son fusil » [Note : Arch. du Finistère, Police des cantons. Chassin, Pacification, III, p. 284, signale à la même date une attaque contre le détachement de Landeleau dirigée par « le ci-devant abbé Dorlat et un émigré La Faye ». Nous pensons que Dorlat est une graphie défectueuse et qu'il s'agit de l'abbé Du Bot (Philippe-Marie Dagorne du Bot, né à Carhaix en 1743, ancien chanoine et vicaire général de Rennes, décédé à Prévasy, en Plouguer, en 1815)].

Le 21 nivôse an VII (10 janvier 1799), une bande de chouans pénétra dans l'abbaye de Saint-Maurice de Carnoët, obligea Julien Launay, ancien religieux cistercien de cet abbaye, qui y était demeuré, à la suivre dans le bois, les yeux bandés. Les chouans ne le relâchèrent que sur sa promesse de rétracter son serment. Ils maltraitèrent en outre le domestique. Dans la nuit du 14 au 15 pluviôse (2-3 février), un parti d'une trentaine de chouans se présenta de nouveau à Saint-Maurice, y commit des vols avec effraction et exerça des sévices sur la personne de Pierre Le Postec, premier garçon domestique du citoyen Bodénan, propriétaire de l'abbaye.

Par jugement du tribunal civil du Finistère, la commune de Clohars-Carnoët fut condamnée à « une réparation civile au profit des citoyens Launay, Pézel et Le Postec et à une amende égale au profit de la République ». Le versement n'ayant pas été effectué en temps voulu, par arrêté du 17 prairial an VII (5 juin 1799), l'administration centrale du Finistère ordonna qu'un commissaire, accompagné d'une force armée, se rendrait dans la commune de Clohars pour opérer le recouvrement (Arch. du Finistère, 5 L 13, f°s 21, 40).

A la fin d'avril, la diligence de Quimper à Lorient fut attaquée près de la chapelle de la Véronique en Bannalec par 27 chouans déguisés la plupart en militaires. Plusieurs coups de fusil furent tirés par les assaillants, mais personne ne fut atteint, sauf le voiturier qui eut sa blouse percée de part en part. La diligence put continuer sa route sans dommage. Le 15 messidor (3 juillet), la même diligence fut de nouveau assaillie au même endroit par 15 à 20 brigands. Après avoir tué cinq des sept militaires de l'escorte, ils enlevèrent une somme de 14.353 livres. Leur coup fait, les chouans rentrèrent dans le Morbihan en passant par Scaër [Note : Arch. du Finistère, 5 L 13, f°s 44, 72 ; Police des cantons ; Arch. d'Ille-et-Vilaine, 16m39].

Durant le printemps de 1799, De Bar activa le recrutement de ses troupes dans les régions du Morbihan et des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) avoisinant le Finistère (Chassin, Pacification, III, p. 289 ; Arch. Côtes-du-Nord, LM5 136). En août, il fut nommé chef de la huitième légion du Morbihan, dite de Gourin (De Cadoudal, op. cit., p. 194).

Au cours des derniers mois de 1799, toute l'activité de De Bar se porta dans les Côtes-du-Nord, aidé par ses lieutenants Penanster et Keranflech, et dans le Morbihan, secondé par Bonaventure Carré, Le Guern, etc...

Quelques incursions furent cependant effectuées dans le Finistère en cette fin d'année. Le 13 vendémiaire (5 octobre), « des scélérats connus sous le nom de chouans se sont présentés au moulin du Bois, commune de Saint-Goazec ; ils y ont maltraité trois gendarmes qui s'y sont trouvés pour la recherche d'un déserteur ; ils leur ont enlevé une partie de leur vêtement., leurs armes et leurs chevaux... » (Arch. du Finistère, Police des cantons.).

Le 30 octobre, une troupe de 60 hommes armés arriva dans la soirée au bourg de Guengat, sous le commandement de Bonaventure. Quelques hommes se présentèrent chez Palud, ministre du culte, le maltraitèrent, le dévalisèrent et lui firent promettre de rétracter son serment. Ils essayèrent de retrouver le percepteur, mais il était parti. Chez divers autres habitants, ils exigèrent différentes sommes, puis se retirèrent vers onze heures par la route de Quimper [Note : Peyron, Documents sur la Chouannerie, p. 170. — Guillaume Carré, dit Bonaventure, était né à Bouthéry, en Le Saint, le 25 novembre 1775. Il mourut à Châteaulin, le 9 octobre 1816, avec le gracie de lieutenant-major].

Le 17 brumaire (3 novembre), une autre bande de 16 chouans envahit la demeure de Pierre Briand, juge de paix de Briec, la pilla, mais ne put atteindre le juge de paix. La même bande probablement revint le 8 frimaire (29 novembre) et cette fois le malheureux Briand fut tué de plusieurs coups de fusil non loin de sa maison.

Le 6 frimaire (27 novembre), un journalier de Kerhuant en Briec subit le même sort (Peyron, op. cit., p. 174, 177).

Le 27 brumaire (18 novembre), le juge de paix de Scrignac fut immolé par un parti dirigé par De Bar ; ce même parti fit d'autres victimes à Loguivy-Plougras (Pommeret, op. cit., p. 67).

Le 19 frimaire (10 décembre), « trente ou quarante chouans entrèrent à sept heures du soir dans le bourg de Scaër, y coupèrent l'arbre de la liberté, y cherchèrent les fonctionnaires publics, qui heureusement étaient évadés, mirent à contribution les acquéreurs de domaines nationaux, dont ils emmenèrent quelques-uns de force, enlevèrent sept ou huit fusils et deux paires de pistolets. Ils ont promis de retourner sous peu et ont annoncé qu'il leur fallait de l'argent. La même bande s'est portée à Gourin et y a pillé une somme de 2.000 francs à peu près » (Arch. du Finistère, 7 L 17, n° 94).

Malgré ces extorsions de fonds, la troupe de De Bar se plaignait de ne pas être payée ; elle faillit même fusiller son chef « s'il ne se fût sauvé au galop de son cheval » (Chassin, Pacification, III, p. 551).

A cette époque De Bar avait son cantonnement au château de Kerlouet en Plévin. Pour assurer le couchage de ses troupes, il fit faire, le 15 nivôse (5 janvier 1800), une requisition dans la commune de Motreff de 20 lits complets, cinq marmites et autant de gamelles. D'autres réquisitions furent opérées dans les communes de Plévin et de Paule (Arch. du Finistère, Police des cantons).

Avec ses lieutenants Penanster, Le Pape et Le Naour, « ils ont volé et levé des contributions en argent ; ils ont embauché beaucoup de jeunes gens et sont venus à bout d'entraîner dans leur bande une grande partie de la compagnie franche de Rostrenen, composée, pour la plupart, de paysans. C'est avec de telles recrues que Penanster a épuisé les communes de Trébrivan, Mezle-Carhaix, Kergrist-Moëlou, Locarn, Duault, etc... » (Arch. du Finistère, Police des cantons).

Dans le but de stimuler le recrutement des troupes chouannes, Cadoudal remit en vigueur, par un ordre du jour du 13 novembre 1799, la défense de contracter mariage pour les jeunes gens âgés de moins de 40 ans, déjà, prononcée en 1796 (De Cadoudal, op. cit., p. 156). Des pénalités étaient prévues : la peine de mort pour les jeunes gens et les officiers d'état civil ; des amendes pour les parents. La peine de mort devait également être appliquée aux jeunes gens qui refuseraient de marcher, ou qui se retireraient des formations sans permis [Note : Chassin, Pacification, III, p. 414. Cf. p. 260, 261. — Voir aussi Pommeret, Esprit public, p. 460 ; Troisième Chouannerie, p. 66 ; Le Falher, Le Royaume de Bignan, p. 657, 661, 665 ; Peyron, Documents, p. 175].

De Bar fit afficher ces violentes prescriptions dans la plupart des bourgs de la 8ème légion. En même temps, il interdisait aux prêtres de procéder aux mariages. Les prêtres du Finistère durent se montrer récalcitrants, car De Bar leur adressa la lettre suivante : « Messieurs les ecclésiastiques de l'évêché de Quimper : Chargé par le Roi du commandement du pays de Quimper, en vous l'annonçant, je tremble de ne pouvoir pas remplir efficacement les vues de mon souverain dans un pays où on se ressouvient à peine d'un règne qui pendant treize siècles fit le bonheur de notre patrie. Cet amour que l'on portoit autrefois aux Bourbons est presque effacé du cœur des habitants du pays de Quimper.

« J'ose donc espérer des ministres du vrai culte demeurés fidèles à Dieu et au Roi qu'ils m'aideront à disposer le pays aux événements qui vont avoir lieu. Puissent-ils me seconder ainsi que les officiers chargés de mes ordres, et bientôt nous nous verrons allégés.
J'ai l'honneur d'être avec respect votre très humble serviteur.
Signé : Lepaige de Bar, adjudant général.
P. S. — Les mariages sont suspendus jusqu'à la Saint-Martin »
[Note : Arch. du Finistère, série M (Communiquée par M. Bourde de la Rogerie, ancien archiviste du Finistère)].

Le clergé orthodoxe du Finistère était donc invité à se faire l'auxiliaire et le complice de mesures de brigandage. L'effet fut tout autre que ne l'avait espéré De Bar. Ses ordres furent dénoncés à Cadoudal par le vicaire capitulaire de Quimper. Cadoudal communiqua la protestation à De Bar qui répondit lui-même, à la date du 30 jarnier 1800 [Note : Peyron, Documents..., p. 158. Peyron a daté par erreur cette lettre du 30 janvier 1799. De plus, il n'indique pas la provenance du document que nous n'avons pas rencontré dans nos recherches ; il appartient sans doute aux archives de l'évêché]. La réponse est un peu longue, mais elle montre si bien l'état des esprits à l'époque, tant du côté du clergé que du côté de De Bar, que nous n'hésitons pas à la reproduire intégralement :

« Monsieur,
Le général Georges, par sa lettre du 19 de ce mois, m'annonce que vous lui avez écris une lettre pleine d'amertume, relativement aux prétendus ordres royaux qui ont été intimés aux ministres catholiques, concernant la deffence du mariage pour les jeunes gens.
Vous prétendez que j'agis avec le ton le plus indécent et les menaces les plus graves ; vous dites que, depuis deux ans, je fais ma principale étude de tracasser les bons prêtres et les exposer sains ménagement ; vous ajoutez que je suis un vrai fléau.
Mon honneur et mon devoir me prescrivent de répondre à ces imputations.
J'avoue, Monsieur, que j'ai mis beaucoup d'ostentation en notifiant à certains ecclésiastiques de Cornouaille, la défense concernant les mariages. Voici les motifs qui m'avaient inspiré contre eux des sentiments d'aigreur.
J'ai cherché trois fois à voir les ecclésiastiques de Quimper, pour leur communiquer les ordres que j'avais de travailler les paroisses et leur demander des instructions qui m'étaient nécessaires. Quelques-uns de ces ecclésiastiques n'ont jamais été visibles, quoiqu'ils fussent dans la maison où je les demandais. Ils ont dit plusieurs fois que les tentatives pour le rétablissement de la royauté étaient chimériques ; d'autres, que la religion pouvait exister sous le gouvernement républicain. Ces propos, dont j'atteste le rapport, me soulevaient la bile.
J'eus l'honneur de vous en faire mention en vous annonçant que le Roy venait d'ordonner au général Georges de préparer et disposer ses sujets fidèles ; j'avoue que je vous marquais en même temps, que l'on serait forcé de sévir contre les ecclésiastiques insouciants et nuisibles aux intérêts de la Royauté. L'objet de mes démarches envers eux était pur et avait pour objet le bien public ; je ne pensais certainement pas que je devenais leur importun ; je ne pouvais de même les compromettre, puisque je ne les voyais pas, je ne pouvais les compromettre dès qu'ils ont cru ne pouvoir déférer aux ordres qui leur étaient notifiés. Aussitôt qu'ils ont demandé à mes officiers une réponse définitive, j'ai répondu qu'ils étaient les maîtres de prendre le parti qu'ils croiraient le plus convenable d'après les règles de la prudence et d'après leurs connaissances ; M. Tancrède attestera le fait.
Moi ! Monsieur, le bourreau des ecclésiastiques ! Cette assertion contraste avec la conduite que j'ai constamment tenue jusqu'à ce moment ; les preuves subsistent ; dès que les dénonciateurs et les persécuteurs des ministres catholiques m'ont été connus, ils ont été punis.
Tous vos ecclésiastiques ne vous ressemblent pas, et des parents de ceux dont, suivant eux, j'ai été les importuns, m'ont refusé un azile dans un moment où des douleurs inouies aux jambes et des fièvres m'empêchaient de voyager.
Je sais que votre opinion politique, Monsieur, est très saine, je vous dois encore l'aveu que vos principes religieux, demeurés inébranlables, m'avaient inspiré pour vous des sentiments de la plus haute estime et du plus profond respect ; bien des fois j'avais hautement manifesté devant des ecclésiastiques qui ne m'avaient pas fui, la confiance que vous méritiez et vous n'aviez pas un plus zélé partisan que moi.
Vous même, Monsieur L... (Probablement M. de Larchantel, grand vicaire), vous ne me jugiez pas intraitable lorsque vous me dites, quelque temps après le 18 thermidor : « Dès que vous aurez des ordres, communiquez-les moi et je ferai tout pour le Roi ». J'eus l'honneur de vous faire part de ceux que nous avions reçus et, dans votre réponse, vous me permettez de vous le dire avec franchise, je n'apperçu pas votre première résolution.
J'espère et je vous demande à nous réconcilier. L'intérêt de la religion et du trône nous prescrit de nous réunir ; et j'ose croire qu'en les envisageant, vous abandonnerez le parti que vous aviez pris de n'avoir et de ne permettre aucun rapport avec moi.
Je ne désire rien tant que de communiquer avec vous ; soyez assuré que je vous ferai part de tous les ordres que je recevrai avant de les envoyer aux ecclésiastiques subalternes. Voici un ordre des Princes et un mandement de trois Evêques de la province. Peut-être que vous avez reçu ces pièces par le Général. Veuillez bien m'en accuser réception.
Quant à mon changement, je ne suis pas éloigné de le solliciter et même ma démission. Je désire que des sujets plus convenables et plus zélés que moi se présentent, ce sera sans peine que je leur remettrai mes pouvoirs.
J'ai l'honneur d'être avec respect, Monsieur,
Votre très humble serviteur,
Lepaige Bar dit Le Prussien »
.

La polémique se poursuivit-elle ? Nous l'ignorons. La même aversion pour les brigandages des chouans se manifesta également dans les Côtes-du-Nord parmi le clergé (Pommeret, op. cit., p. 87). De Bar ne venait-il pas d'intimer aux prêtres de Neuillac et de Mûr l'ordre de cesser leurs fonctions ? Evidemment la réouverture des églises « ne faisait pas l'affaire des chefs de chouans, car les paysans ayant retrouvé leurs prêtres et leur culte, n'avaient plus de raisons de reprendre les armes » (Sageret, op. cit., t. II, 1er fasc., p. 71).

Le 19 février 1800, De Bar livra son matériel de guerre (Sageret, op. cit., t. I, p. 622) et « renvoya en haillons, après les avoir dépouillés de leurs habits et de leur équipement, les jeunes gens qui ont refusé de le suivre » (Pommeret, op. cit., p. 84). Mais lui-même ne paraît pas décidé à faire sa soumission. Au mois de mai, on le signala dans la vieille abbaye de Bon-Repos et aux environs de Guéméné, avec du Fou de Kerdaniel (Sageret, op. cit., t. II, 1er fasc., p. 88, 114). En juillet, De Bar fut convoqué par Cadoudal, qui lui remit sa nomination d'adjudant-général pour le Finistère, en vertu des pouvoirs qu'il avait reçus de Londres le 20 mai (De Cadoudal, op. cit., p. 241).

Durant l'été de 1800, le Finistère ne fut guère troublé. Mais De Bar organisait en silence ses bandes.

Son fidèle lieutenant Frollo parcourait les environs de Quimper, Guengat, Plogonnec, Locronan, Edern, cherchant à faire des recrues. Des vols furent commis dans plusieurs communes. Des armes furent transportées dans certains endroits en vue d'en pourvoir les nouvelles troupes (P. Hémon, Audrein, p. 122, 123).

L'événement sensationnel de cette période fut le meurtre de l'évêque du Finistère, Yves-Marie Audrein, commis dans la nuit du 28 brumaire an IX (19 novembre 1800) par une bande dirigée par Le Cat. Ce fait a déjà été si souvent raconté, qu'il est inutile de l'exposer une fois de plus [Note : Voir surtout P. Hémon, Audrein, Paris, 1903. Hémon cite et critique, p. 88-112, les principaux travaux concernant cet épisode tragique].

S'il n'est pas possible de prouver que De Bar fut l'instigateur de cet assassinat, il est certain cependant que les meurtriers étaient à sa solde et agissaient d'après ses instructions. Les ordres trouvés sur Le Cat, signés Renaud, le démontrent [Note : Sageret a attribué par erreur ce surnom de Renaud à Guezno de Penanster. Voir t. II, 1er fascicule, p. 407. — Penanster était surnommé Vochel ou Coco. On l'appelait aussi parfois le capitaine La Brousse].

En janvier 1801, De Bar se rendit auprès de Cadoudal dans le Morbihan et fut chargé par lui de réorganiser la chouannerie dans le Finistère (Chassin, Pacification, III p. 692, n° 1).

Le 9 mars, Rudler, nommé préfet du Finistère et se rendant à son poste, fut attaqué auprès de Bolazec par une bande conduite, dit-on, par De Bar. « Une trentaine de chouans cachés dans des fossés a fait feu sur ma voiture et sur l'escorte qu'on m'avait donnée en entrant dans le département. La bonne contenance du peloton de la 31ème demi-brigade leur en a tellement imposé, qu'ils ont disparu aussitôt. Aucun des soldats de mon escorte n'a été blessé, plusieurs ont eu cependant leurs chapeaux percés de balles, et l'un des chevaux de ma voiture a reçu un coup de feu.

Le citoyen Didelot, mon prédécesseur, qui se rendait à son nouveau poste avec une escorte de 25 hommes, n'était qu'à 200 mètres du lieu de l'attaque, ce qui, sans doute, a précipité la fuite des brigands » [Note : Arch. nat. F7 3676-II. Voir Chassin, Pacification, III, p. 697. Duchâtellier. VI, p. 73. rapporte, sans préciser la date, que « le préfet Didelot, se rendant de Quimper à Quimperlé, est assailli près de Bannalec, et perd deux hommes de son escorte »].

De Bar essayait encore de terroriser les administrateurs; en octobre 1801, il « notifie au maire de Langoëlan qu'il ait à donner de bons certificats aux jeunes gens emprisonnés pour cause de royalisme, et qu'il le fusillera, lui et toutes les canailles de Langoëlan, s'ils ne cessent de dénoncer et de faire prendre les royalistes, lorsqu'ils savent où ils sont » 98.

Le mois suivant, il faillit être capturé. Le 25 brumaire an X (16 novembre 1801), le substitut du commissaire près le tribunal criminel de Pontivy relatait au sous-préfet de Châteaulin que « le nommé, Yves Le May, connu par ses brigandages et ses assassinats, vient d'être arrêté dans mon arrondissement. L'espoir d'échapper au supplice le détermine à faire des révélations. Sur ses données on est parvenu à découvrir la retraite de De Bar et à se saisir de ses effets. Lorsque la troupe de Pontivy y arrive, le brigand a disparu ; elle ne trouve qu'un lit complet, deux morceaux de gros draps, une longue-vue, des cartes de géographie, des cartouches et des balles...

Dans ce moment, De Bar, Guillemot, Georges, Dujardin, Sans-Souci et Bonaventure sont occupés dans le Morbihan à rassembler mille à douze cents uniformes à l'aide desquels ils doivent déguiser pareil nombre de leurs partisans. Ils ont même assassiné un volontaire qui refusait de leur livrer ses effets. Cette mesure achevée, ils doivent se porter, tambour battant, sur Châteaulin et en enlever toutes les caisses publiques » (Arch. du Finistère, Série M. Voir Chassin, Pacification, III, p. 723 ; Sageret, III, p. 104). Si ce projet a été réellement envisagé par les chefs de chouans, il est certain qu'il ne fut pas exécuté.

Fin janvier 1802, le préfet du Morbihan assurait que Guillemot, De Bar, Dujardin et Penanster « faisaient des démarches pour venir se rendre » (Le Falher, Le Royaume de Bignan, p. 686. A la fin de 1801, ils n'accompagnèrent donc pas Cadoudal en Angleterre, comme le dit de Cadoudal, op. cit., p. 277). Mais, ils ne se décidèrent pas. Ayant été avisés que le comte d'Artois leur offrait un asile en Angleterre, les principaux chefs passèrent aux îles en avril (Le Falher, op. cit., p. 687, Huon de Penanster, Une conspiration, en l'an XI et en l'an XII, p. 39), mais De Bar ne les accompagna pas.

Le 30 avril, il écrivait à Kermenguy-Roslan, à Saint-Pol-de-Léon : « Nous, adjudant général, chargé au nom du Roy de toute la direction du Finistère, après avoir pris les avis motivés des officiers rassemblés en conseil, nous condamnons le sieur Kermenguy à payer dans les 24 heures la somme de 6.000 francs, par corps et par reprise sur tous ses biens ; en conséquence, nous prescrivons à tous nos inférieurs de mettre le présent à exécution ; passé le cinq may et de trois jours en trois jours, d'augmenter la somme par tiers jusqu'à entier payment, lequel sera pris sur ses biens » [Note : Arch. du Finistère, Série M. Il s'agit de Nicolas-François-Marie de Kermenguy, né à Saint-Pol-de-Léon le 4 novembre 1769, émigré en 1792, ensuite dans l'armée des Princes, chef de chouans après Quiberon, amnistié le 14 mars 1803, décédé à Saint-Pol-de-Léon le 11 février 1849].

Kermenguy ne se troubla pas ; au lieu de s'exécuter, il communiqua la lettre au préfet du Finistère qui le fit protéger par la gendarmerie.

Devant l'insuccès de sa tentative de chantage, De Bar résolut d'agir par lui-même pour se procurer les fonds dont il avait un pressant besoin. Cette fois, il choisit sa victime dans une région fort éloignée des lieux ordinaires de ses opérations et où les méfaits des chouans ne s'étaient jamais fait sentir.

Le 17 floréal an X (7 mai 1802) « sept hommes, dont six vêtus en uniforme de canonniers, armés de fusils et gibernes et le septième vêtu comme les cultivateurs de la commune de Scrignac, se rendirent de cette commune, sous nuit et à cheval, au village de Kéréon, en Guimiliau, où ils durent arriver à deux bu trois heures après minuit.
« Ils en partirent le 19 à quatre heures de relevé avec un guide, laissant leurs chevaux à ce village, et à environ sept heures, ils se présentèrent au village du Mescoat, commune de Ploudiry, demeure d'Alain Pouliquen, propriétaire et fabricant de toiles... ».

Les inconnus forcèrent Pouliquen à les suivre, le contraignant « de franchir des fossés et de traverser des champs, sans que son âge et ses infirmités lui eussent attiré de leur part le moindre ménagement ». Après avoir repris leurs chevaux à Kéréon, « tous montèrent à cheval et Alain Pouliquen fut forcé d'en faire autant, en s'écriant que puisqu'il le fallait, il allait à la mort. La crainte de voir s'échapper leur proie leur avait fait prendre la précaution d'attacher le cheval d'Alain Pouliquen avec des cordes à celui qui le précédait et à celui qui le suivait ». De plus, on lui avait bandé les yeux.

On arriva ainsi au village de Lestrézec, en Berrien. Là, celui d'entr'eux qu'ils appelaient le général dit à Pouliquen « qu'il était temps de l'expédier, qu'il allait mourir. Il le fit conduire jusqu'à la porte et fit à l'un de ses satellites charger son fusil en présence de la victime. Après cette menace terrible, le même général, s'avançant vers Alain Pouliquen, le prit par la main et l'ayant fait rentrer, lui annonça que moyennant trente mille francs, on lui accorderait la vie ».

On le fit aussitôt écrire à ses enfants une lettre pressante qui lui fut dictée, pour qu'ils eussent à déposer cette somme à l'auberge du Squiriou.

Dans la soirée du 20 floréal (10 mai), les bandits et leur captif se rendirent au village de Guennéguez, en Scrignac, où ils passèrent la journée du lendemain. Dans la nuit, ils se transportèrent à Kerivoas toujours en Scrignac, puis à Kerosic en Carnoët. Là, ils apprirent que les enfants de Pouliquen s'étaient présentés au Squiriou avec la somme exigée, « mais qu'ils n'avaient pas pu la compter à cause de la présence de la force armée qui s'y était portée en même temps ».

De Kerosic, des guides amenèrent la petite troupe à Keroullé en Trébrivan, où les « brigands quittèrent leurs uniformes pour prendre des vestes courtes et des carmagnoles qu'on leur jetta par-dessus le fossé du jardin où plusieurs d'entr'eux jouaient aux cartes ».

Le soir, à la nuit, on se rendit à Pennanéach, encore en Trébrivan, et on y passa les journées des 25, 26 et 27 floréal (15, 16 et 17 mai).

Le 20 floréal (10 mai) Pouliquen avait dû écrire un nouveau billet à sa famille par lequel il lui recommandait « s'ils désiraient le voir encore en vie, de faire toute diligence pour porter secrètement la rançon de 30.000 francs à mi-chemin de la grande route de Morlaix à Carhaix, dans l'auberge du Squiriou ». De Pennanéach, le 25 floréal (15 mai), nouvelle lettre de Pouliquen à ses enfants, dans laquelle « il se plaint de leur indiscrétion ; il leur recommande de s'expédier promptement avec plus de discrétion et leur dit que s'il périt, ses enfants en seront cause » ... Après cette dernière supplique, transmise par l'intermédiaire du citoyen Derrien de Landivisiau et qui spécifiait cette fois que la rançon devait être déposée chez un aubergiste au bourg de Carnoët, la fille de Poulinquen se rendit à Carnoë, escortée d'un parent, et y déposa les trente mille francs en or.

A peine la fille de Pouliquen et son compagnon avaient-ils quitté Carnoët, qu'un émissaire des chouans se présenta à l'auberge, réclama la somme déposée et obligea l'aubergiste à le suivre jusqu'au village de la Villeneuve. « A l'approche, l'émissaire prit les deux sacs, s'avança vers deux des malfaiteurs qui se promenaient derrière une maison, dont il appela De Bar ou Le Barre, et l'autre, d'après son signalement, doit être Le Masson, et leur dit familièrement qu'il apportait la rançon du bonhomme.
On s'occupa aussitôt de la compter et lorsqu'on se fut assuré qu'elle était entière, De Barre fut à la maison où l'on gardait Pouliquen, le rendit à la liberté et lui donna un guide qui le conduisit à une lieue de Carhaix »
.

Le 10 prairial (30 mai), Alain Pouliquen était revenu dans sa famille en bonne santé.

Parmi les chouans qui accompagnèrent De Bar à Ploudiry figuraient Guillaume Le Guern, dit Sans-Souci, Bigorneau et Loup, dont on ignorait les noms. Les autres étaient inconnus.

Les chevaux qui avaient servi aux brigands pour accomplir leur raid, avaient été fournis par Charles Le Foll, cultivateur et marchand de boeufs, demeurant à Rustang, en Scrignac. Leur marche avait été guidée par Joseph Guitton, du Cosquer du Run, près le Pénity, en Carnoët. A Scrignac, ils avaient été hébergés par Corentin Jaffray. Ces trois individus ne tardèrent pas à être arrêtés, ainsi que plusieurs autres qui avaient été mêlés, directement ou indirectement, à l'enlèvement d'Allain Pouliquen, entr'autres Maurice Le Masson, aubergiste au Squiriou.

En apprenant ces arrestations, De Bar écrivit à Alain Pouliquen, à la date du 6 juin 1802 : « Vous savez qu'en quittant vous promîttes solennellement de faire mettre en liberté toutes les personnes innocentes détenues pour cause de votre enlèvement. Il est certain que vous n'avez pas tenu votre promesse. Réfléchissez-y de nouveau, on est de revoir, allez ! ».

L'aurait-il voulu, Pouliquen ne pouvait évidemment pas faire suspendre le cours du procès. Après une longue information, le tribunal spécial de Quimper, par jugement du 19 pluviôse an XI (8 février 1803), condamna à mort Charles Le Foll, Joseph Guitton et Corentin Jaffray. Tous les autres prévenus furent acquittés « comme n'étant pas convaincus d'avoir agi librement ». Les trois condamnés furent guillotinés à Quimper le 24 pluviôse [Note : Arch. du Finistère, Fonds du tribunal spécial. P. Hémon, Audrein, p. 169, en rapportant ces exécutions, croyait que les trois condamnés avaient été mêlés aux méfaits de la bande de Le Cat : il ignorait l'affaire Pouliquen].

De Bar, muni sans doute d'une bonne partie des pièces d'or de Pouliquen, ne tarda pas à rejoindre les autres chefs chouans, qui commençaient à s'inquiéter de son sort. Le 11 juin 1802, il débarqua à Guernesey venant de la côte de Saint-Brieuc. Vers la fin de juillet, le commandant de Guernesey fit transporter tous les chefs à Jersey, sur l'ordre du gouvernement anglais (Sageret, III, p. 340 ; Huon de Penanster, op. cit., p. 39-42).

De Jersey, De Bar et les autres chefs chouans furent conduits à Southampton où ils débarquèrent, au bout de cinq jours de traversée, en août 1802.

De Southampton ils furent dirigés sur le camp de Rumsey, à quelques kilomètres de la ville, où le gouvernement anglais pourvut à leur entretien (Sageret, III, p. 352, 354, 371, 374).

Au début de 1803, Cadoudal rendit visite à ses compatriotes à Rumsey ; il leur fit part de ses projets contre Bonaparte. Il y revint vers la mi-juillet et avisait de Bar « qu'il aurait à regagner le territoire de sa légion, à s'y rendre compte de l'état d'esprit de ses anciens subordonnés et à y lever un contingent de trente à quarante jeunes gens, qui se tiendraient prêts à marcher au premier signal pour rejoindre à Paris d'autres individus qui devaient être provoqués par les mêmes moyens dans différents départements, et former une masse de quinze cents hommes destinés à faire un coup de main et à assassiner le premier consul » (Roger Le Grand, De Bar, l'Irréductible).

Dans les premiers jours d'août, de Bar se trouvait à Guernesey (Sageret, III, p. 552). A la fin de septembre il était à Jersey où, dans un acte de baptême, il se faisait qualifier de « Comte de Bar sur Seine, maréchal des camps et armées du Roy de France, chevalier de Saint-Louis » [Note : Revue historique de l'Ouest, 1901, p. 342 : De l'Estourbeillon, Les Familles françaises à Jersey, p. 261. — De Bar n'était ni comte ni probablement chevalier de Saint-Louis. Ses parents d'Avranches-Ducey ne prenaient aucune qualification. Mais La Chesnaye du Bois, dans son article sur les Le Paige habitant la Flandre, nobles et assez hautement alliés, raconte qu'ils descendaient de la famille féodale des comtes de Bar-sur-Seine, issue des anciens seigneurs de Brienne ; qui auraient pris le nom de Le Paige lorsqu'ils ne furent plus seigneurs de Bar. Il est probable que notre chouan eut connaissance de cet article et voulut établir une confusion. Les usurpations furent très nombreuses pendant l'émigration (Note communiquée par M. Bourde de la Rogerie). Le choix du surnom de l'ancien avocat de Concarneau se trouverait ainsi expliqué].

Il retourna à Guernesey, d'où il partit le 19 octobre à bord d'un brick anglais, pour aborder dans l'anse de Bréhec, près Saint-Quay-Portrieux, dans la nuit du 20 au 21. Son départ de Guernesey avait été signalé à Chépy, commissaire général de police à Brest, qui s'empressa d'en aviser les autorités.

Un ancien agent de correspondance royaliste fut chargé de retrouver les traces de De Bar. Cet agent, nommé Tarillon, passé au service de la police, se fit accompagner de deux gendarmes déguisés connaissant le breton.

Tarillon réussit à se faire indiquer l'itinéraire suivi par De Bar en se rendant dans le Morbihan. Après des visites à Guezno-Penanster père à Maël-Carhaix, à Even, notaire à Callac, à L'Hostis-Kerhorre, maire de Pestivien, il apprit que De Bar avait fait déposer des lettres chez le frère du maire de Pestivien à Lanvollon. Tarillon put gagner la confiance d'un certain Jérôme Carsin, à Plourhan, le décida à se rendre à Lanvollon, à se faire remettre les précieuses lettres et à les lui rapporter. En possession du paquet qui comprenait cinq lettres : une au comte d'Artois, une au chevalier de Vossey, un autre à Cadoudal, une quatrième à une dame Daouenne à Jersey, et enfin la cinquième d'Even à Penanster, Tarillon se hâta de rejoindre Saint-Brieuc.

La révélation des projets des chefs chouans mit en mouvement toutes les autorités administratives et policières. Bonaparte lui-même, impressionné par les déclarations de De Bar au comte d'Artois au sujet de certains officiers français susceptibles de seconder les vues des conspirateurs, ordonna les recherches les plus actives pour s'emparer de De Bar et fit procéder à l'arrestation du notaire Even. Devant l'insuccès des recherches, la police, d'accord avec le Premier Consul, envoya en Bretagne un agent spécial nommé Valette. Celui-ci fit remettre Even en liberté croyant ainsi pouvoir découvrir la retraite de De Bar, en faisant surveiller attentivement le notaire. Ce fut en vain (Cf. pour plus de détails, Huon de Penanster, op. cit., p. 65 et suiv.). De dépit, Bonaparte donna l'ordre au préfet des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor) de faire arrêter toutes les personnes qui, de près ou de loin, avaient pu favoriser les refuges de De Bar. Au début de février 1804 vingt-deux individus, parmi lesquels figuraient Even, Penanster père, les frères L'Hostis-Kerhorre, Allain-Launay, furent appréhendés, dirigés d'abord sur Saint-Brieuc, puis sur Paris où ils arrivèrent le 20 mars, après avoir effectué toute la route à pied (Huon de Penanster, op. cit., p. 161 et suiv. Malheureusement, les dates précises manquent dans cet ouvrage).

Pendant ce temps-là qu'était devenu De Bar? En pluviôse an XII (janvier-février 1804), son signalement fut répandu dans tout l'ouest : « Le Paige, dit Debarre, dit Gaspard, ancien avocat à Quimper, lieutenant de Georges dans les Côtes-du-Nord, débarqué vers Saint-Brieuc, il y a environ quatre mois, taille 5 pieds 2 pouces (1 mètre 67), rablu et un peu voûté, âgé de 38 à 40 ans, cheveux noirs et coupés à la Titus, sourcils noirs, barbe idem, favoris idem et abondants, front haut, nez mince et ordinaire, yeux bruns et vifs, bouche moyenne, les lèvres ni grosses ni minces, dents blanches, menton rond, visage plein et coloré. Il était en chapeau rond, bottines, pantalon bleu, gilet de coton rayé grisâtre et à carreaux, lévite gris-cendré ».

Ce signalement fut traduit en breton comme suit : « Ar Paige, hanvet Debarr, hanvet Gaspard, gueichal alvocat e Concarneau, letanant George e Départamant Costou-an-Nord, débarquet de quichen San Briec var dro pemp mis so [Note : Le texte français dit quatre mois], pemp trouatat ha daou veutet, trohet caër hac eun tamic crom, etre eiz vloaz ha tregont ha daou-uguent vloas, bleo du ha trohet ber, malzennou du, baro du, cuchennou du ha fournis, tal huel, fri moan ac ordinal, daoulagat brun ha vif, bec na bras na bian, muzellou na teo na tano, dent guen, helguez rond, bisaich leun ha livet mat. Guisquet e voa gant eun toc rond, eur bottinezou, eur bragou hir glas, eur chelet coton grisard roudennet a hed hac a dreuz, eur beverle gris a denn var liou ludu ».

Le 26 frimaire an XII (18 décembre 1803) on avisait le préfet du Finistère que « le fameux Lepeige, dit Debar, fils du lieutenant de maréchaussée de Concarneau, voyage à Carnot (Carnoët) Côtes-du-Nord, du côté de la forêt du Fréau. A Gourin, il loge chez Bréban et Hamon Penvern. A Roudoualec, il loge dans les auberges sur la route de Coray. A Maël-Carhaix, il loge à Quenquis-Saliou, chez Penanster. A Mesle-Pestivien chez Mme Treveno. A Plévin, il loge au Kerlouet, château de Roquefeuille et au bourg et aux environs de Paule ; à Lochrist, en Carnot, à Duault, chez Bercole, au grand Landujen, au bourg ; à Scrignac (mais rarement), entre les forêts de Fréau, Lemezec, Lergont, le Squiriou et les forêts de Goesbriand » (Arch. du Finistère, série M).

Le 27 nivôse an XII (18 janvier 180), le ministre de la justice écrivait au Préfet du Finistère :

« Il résulte, citoyen Préfet, des renseignements certains qui m'ont été fournis que le retour de Lepêche de Debar avait pour but de sonder les dispositions des hommes qui avaient pris part aux troubles précédents, et de préparer, s'il lui était possible, un mouvement pour l'époque qui aurait été jugée favorable pour les chefs de ce parti ; qu'il devait en outre se procurer un certain nombre d'hommes sûrs et déterminés qu'on devait envoyer à Paris pour y attenter aux jours du Premier Consul ; que ces hommes devaient se rendre à leur destination séparément et par des chemins différents avec la qualité et le costume de marchands ambulants ou d'ouvriers. Il résulte des confidences qu'il a faites que la plupart de ceux auxquels il s'est adressé ne lui ont pas paru aussi bien disposés qu'il l'avait espéré, pour l'expédition dont il voulait les charger. J’ai d'ailleurs lieu de croire qu'il soupçonne que la ligne par laquelle la correspondance passait était connue, qu'il est déterminé à se rembarquer et qu'il s'occupe même des moyens de pouvoir le faire avec sûreté, n'osant plus repartir par le point où il est arrivé dans le département des Côtes-du-Nord... ».

Le mois suivant, on assurait que De Bar était resté pendant huit jours au château de Kersalaün, en Leuhan ; qu'il s'était rendu également à Briec chez Mlle Tréouret, où il avait passé quatre jours, et à Trohanet (Arch. du Finistère, série M).

A la fin du même mois, le préfet du Finistère avisait le Grand Juge que « d'après les derniers renseignements qui me sont parvenus, il paraît que Debar est retiré avec Bonaventure dans les communes de Lanvénégen et de Gourin ».

En réalité, De Bar avait rejoint l'Angleterre à la fin du mois de janvier 1804, puisque Jean-Marie-Jérôme Allain-Launay et Even, arrêtés au début de février, déclarèrent avoir favorisé son embarquement.

Au commencement d'avril, il revint en Bretagne en même temps que Guillemot et Penanster. Leur but était évidemment d'essayer de tenter quelque chose dans le Morbihan pour sauver Georges Cadoudal et ses amis arrêtés et détenus à Paris. Leur présence en Bretagne fut vite connue et les recherches pour s'en emparer redoublèrent de vigueur.

Le 15 floréal an XII (5 mai 1804), le préfet du Finistère rendait compte au ministre de la Justice du résultat des poursuites : « J'ai envoyé cinq espions sur les limites du département déguisés sous divers costumes et je leur ai recommandé, s'ils parvenaient à découvrir la retraite de ce brigand [De Bar], d'en donner avis de suite au cantonnement le plus voisin... Une battue générale a eu lieu dans les trois départements, dans la région du Faouët, Gourin, Rostrenen et Callac, le 25 germinal (15 avril) ; elle n'a eu aucun succès dans le Finistère. Du 10 au 16 floréal (30 avril-6 mai), trois gendarmes de la brigade de Pont-Croix, déguisés en militaires déserteurs, espionnèrent dans les communes de Coray, Roudouallec, Guiscriff, Querrien, Saint-Thurien, Scaër, Laz, Briec, Kerfeunteun, Plogonnec. En vain. Aucun indice sur la présence de De Bar. De leur côté, un gendarme de Quimper et un autre de Châteauneuf, déguisés en paysans, parcoururent les communes de Châteaulin, Pleyben, Gouézec, Spézet, Roudouallec, Leuhan, Coray, Scaër, Trégourez, Querrien, Guiscriff, Briec, Landudal, Edern, Landrévarzec. Après neuf jours de recherches et d'informations, tant de jour que de nuit, résultat infructueux ».

De son côté, le préfet du Morbihan communiquait à son collègue du Finistère, le 26 floréal (16 mai), les renseignements suivants : « De Bar a écrit à un curé de l'arrondissement de Pontivy pour lui reprocher amèrement que sa conduite et ses prédications tendent à rattacher l'opinion publique au système de l'usurpateur dont le règne n'est pas aussi solide qu'on le pense ; il fait des menaces à ceux que ne s'occuperont pas à travailler l'esprit public en sens contraire et en faveur des Bourbons. Au reste, j'ai vu cette lettre, c'est le style d'un fou qui ne sait ce qu'il dit ni ce qu'il veut.

Debar est venu, il y a peu de jours, à Ploerdut, mais il est reparti de suite et se tient habituellement dans les environs de Rostrenen. Il a lutté dernièrement et s'est battu à coups de poingt avec un conscrit qui, sur son ordre, ne voulait pas quitter la cocarde nationale ; c'était dans la commune de Penpoul. Il a divers souterrains pour se cacher et particulièrement dans le voisinage du château de Trégarantec » (Arch. du Finistère, série M. Les détails qui suivent sont extraits de ce fonds sauf indications contraires).

Un agent envoyé à Scrignac par le commissaire général de police à Brest, donna l'assurance que de Bar avait séjourné chez le maire Thépault vers le 19 floréal (9 mai).

Le premier prairial (21 mai), « un espion envoyé par le commissaire du gouvernement près le tribunal criminel du Finistère pour l'arrondisssement de Quimperlé s'aboucha au bourg du Saint avec le frère de Bonaventure, dit Pot-Bian, qui lui avoua qu'il avait conduit De Bar à Glomel et qu'il reçut 12 livres pour sa peine. Il a passé ensuite à Saint-Hervé, chapelle au bourg de Tréogan, et à Paule, où il a parlé à Catherine Lebail, aubergiste, qui reçoit habituellement ces chouans et qui lui a avoué que De Bar et Penanster avaient été chez elle, qu'ils lui avaient raconté être sortis de Paris avec une voiture portant de la volaille d'Alençon à Paris » [Note : C'est la seule mention qui a été faite d'un voyage de De Bar et de Penanster à Paris, du moins à notre connaissance].

Vers le 10 prairial (30 mai 1804), De Bar « a passé à Mellionnec et près de Loquion, commune de Ploerdut. Il était déguisé en paysan du Finistère et accompagné d'un homme mal vêtu que l'on croit être son domestique. Il s'est ensuite enfoncé dans un bois qui touche aux Côtes-du-Nord et a disparu. Il paraissait inquiet, égaré et au désespoir ».

En juillet 1804, le commissaire général de police à Brest écrivait au préfet du Finistère que De Bar avait été vu sur les côtes nord du département depuis Plougerneau jusqu'à Roscoff. Ce n'était pas invraisemblable ; le chef chouan se sentant traqué partout, avait sans doute essayé d'atteindre un vaisseau anglais dans ces parages.

En août, De Bar paraît avoir séjourné dans la région de Scrignac. Le lieutenant de gendarmerie Jouan le rechercha vainement ; il avouait « qu'on l"atteindra difficilement si l'on ne peut découvrir un agent discret et affidé qui voudra suivre discrètement la marche de ces brigands et feindre même de faire cause commune avec eux... les fouilles faites avec un certain appareil donnent l'alarme et les brigands disparaissent dans les Côtes-du-Nord ou le Morbihan... ».

Pierre Le Moan, débitant de tabac à Scrignac, déclarait « que le maire et le juge de paix de Scrignac protégeaient les chouans et que la majorité des habitants savaient parfaitement leurs menées, mais craignaient de dire la vérité, parce qu'on leur avait fait des menaces... ». Dans le même mois d'août, François Herry, de Naonédic en Scrignac, « avait rencontré dans un endroit nommé le Croissant des herbes, en Scrignac, deux individus qu'il reconnut pour être Le Peige de Bar et Penanster ; l'un boîtait un peu du pied gauche, l'autre est un très bel homme et bien constitué. Il causa quelque temps avec eux et reçut six francs de De Bar pour se taire sur leur séjour à Scrignac. Ils allèrent coucher ce jour-là chez la veuve Jaffray à Livouien. Depuis cette époque, il les a encore vus deux fois et la dernière dans le courant de vendémiaire (septembre), vers la nuit tombante ; ils causèrent avec lui et lui donnèrent du tabac pour fumer la pipe. Ils logèrent ce soir chez la veuve Le Foll, à Runtaou, où ils ont resté deux jours ».

Ces révélations faites sur le moment eussent probablement amené l'arrestation des proscrits ; mais les habitants de Scrignac gardèrent bien leur secret ; ils savaient à quelles représailles terribles ils se seraient exposés en dévoilant la retraite de De Bar et de ses compagnons. Deux ou trois mois après, lorsque tout danger de voir reparaître les chouans n'existait plus, les langues se délièrent, mais trop tard.

Cependant les chefs chouans revenus dans le Morbihan se rendirent compte qu'il n'y avait plus rien à faire depuis la mort de Cadoudal. De plus, ils se savaient traqués de toutes parts. Guillemot résolut donc de tenter de regagner l'Angleterre ; il fit part de son projet à De Bar qui le rejoignit dans le courant de novembre 1804.

Dans la nuit du 19 au 20 novembre, Guillemot, De Bar, le frère de Cadoudal et deux autres chouans s'embarquèrent dans la rivière d'Auray à bord d'une chaloupe qui les conduisit à l'île de Houat. Après huit jours d'attente, voyant qu'aucune voile anglaise ne paraissait à l'horizon, ils résolurent de continuer leur voyage vers Belle-Ile et les Glénans espérant toujours rencontrer un vaisseau anglais ou bien parvenir en Angleterre par leurs propres moyens. Le mauvais état de la mer les obligea à se réfugier dans la baie de la Forêt, près de Concarneau ; le 26 novembre au soir, Guillemot, De Bar et leurs compagnons débarquèrent. De Bar, qui connaissait parfaitement la région, leur procura sans doute un refuge, soit au petit Moros, soit ailleurs. Tous regagnèrent le Morbihan par étapes et nuitamment.

On sait que Guillemot fut arrêté à Breluhern, en Plaudren, le 16 décembre, condamné à mort et exécuté à Vannes (Voir sur cet épisode, Le Falher, Le Royaume de Bignan, p. 704 et s. ; Le Grand, op. cit., p. 10 et s).

Quant à De Bar, il réussit à s'échapper et à se réfugier dans la région de Carhaix avec Le Thieis. En janvier 1805, en compagnie de ce dernier et de Penanster, on le signala à Lestrézec, en Berrien, et à Livouien, en Scrignac.

En mars, il proposa sa soumission et celle de quelques compagnons au sous-préfet de Napoléonville, sous certaines conditions. Ces conditions ne furent pas agréées par Fouché qui ordonna « de s'assurer de De Bar par la force ou par la ruse ». De plus, « il ne voyait pas la possibilité de lui promettre la vie sauve, quelles que soient les révélations les plus franches » (Le Grand, op. cit., p. 15). Devant cette perspective, il ne restait d'autre alternative aux proscrits que de se dissimuler de plus en plus et d'essayer de rejoindre l'Angleterre. Une première tentative d'embarquement sur la côte de Quiberon échoua. Enfin, au mois d'août 1805, De Bar, Le Thieis, le frère de Cadoudal et probablement aussi Penanster, réussirent à tromper la vigilance des gardes-côtes et à regagner les îles (Le Grand, op. cit., p. 15).

Au début de septembre 1805, De Bar se trouvait à Londres. Le 27 de ce mois, il lui fut accordé la permission d'y résider et à 13 milles aux environs, pendant trois mois ; cette permission fut prolongée par la suite jusqu'au 1er août 1806. Mais l'inaction à Londres pesait à De Bar ; il proposait des projets aux ministres anglais qui, par l'organe de Windham, lui répondaient « qu'ils désigneraient volontiers un jour pour la conversation que vous désirez, s'ils pensaient que dans le moment présent quelque bien pourrait en résulter... Pour le présent, permettez-nous de nous restreindre à l'assurance de l'intérêt que nous ne manquerons jamais de prendre au sort de ceux qui ont souffert dans la cause à laquelle vous vous référez ». Devant cette fin de non-recevoir polie et l'invite indirecte de se tenir tranquille, De Bar sollicita et obtint un passeport pour se rendre à Jersey par Southampton. De Jersey, il lui fut permis, le 14 octobre 1806, de s'embarquer à bord du cutter Le Betsy pour aller à Guernesey, où le gouverneur lui délivra l'autorisation de s'établir à Granville ou dans tout autre village de l'île (Arch. nat. F7 6380).

On ne possède aucun renseignement certain sur l'existence de De Bar à partir de la fin de 1806. Des notes de police ont signalé qu'il serait venu en Bretagne en 1807 et en 1808 (D'Hauterive, La Police secrète du premier Empire, III, p. 81, 217 ; Arch. du Finistère, Corresp. du sous-préfet de Brest, série M), mais on n'a nulle certitude sur ces déplacements. En 1809, il se trouvait à Jersey au moment de la querelle entre Puisaye et d'Aravay ; il fit partie du jury d'honneur qui devait prendre connaissance des accusations d'indélicatesse et même d'assassinat portées par Puisaye contre d'Aravay (Contades, Emigrés et Chouans, p. 289).

Le 4 août, 1809, le préfet du Finistère soupçonnait la présence de De Bar dans le Finistère et ordonnait « au gendarme Jaulinot et au nommé François Goasanvot, résidant à Quimper, de se porter à Concarneau, Scaër, Carhaix, Gourin, Maël-Carhaix et dans les autres lieux circonvoisins, où ils présumeront pouvoir recueillir des renseignements sur les brigands Penanster, Le Pêche dit Debarre et autres chouans » (Arch. du Finistère, série M).

En 1810, De Bar habitait à Londres dans Piccadilly, Air streed 6. On le voit s'employer auprès des autorités anglaises pour essayer de faire libérer son demi-frère César, employé aux écritures sur le vaisseau Le Brave pris par les Anglais le 6 février 1806, dont l'équipage avait d'abord été conduit à la prison de La Jamaïque, puis déposé à Kingston. Le 20 septembre 1810, César, en ce moment prisonnier sur le ponton Le Glory, supplie encore De Bar d'intercéder pour lui.

La position de De Bar à Londres n'était cependant pas brillante : le 28 juin 1811, il écrivait à lord Liverpool qu'il se trouvait dans une situation déplorable et il réclamait le paiement d'une somme de 273 livres.

Néanmoins, il combinait des projets qu"il soumettait aux ministres anglais : tantôt, il suggérait un coup de main sur le fort Penthièvre et Quiberon ; si on le transportait sur les côtes du Morbihan, avec quelques officiers de son choix, il promettait de s'emparer du fort et de la presqu'île ; il ne demandait que 1.500 fusils et des munitions pour armer les royalistes. Une autre fois, il s'offrait de faire enlever les princes espagnols détenus à Valençay ; « qu'on lui permette de faire un premier voyage sur les lieux et de rapporter des documents sur l'intérieur de la maison, qui prouveront jusqu'à l'évidence qu'il peut y avoir facilement accès ».

En 1811, il entra en relation avec Goldsmith, rédacteur du journal l'Anti-Gallican et offrit d'agir lui-même avec le concours de ses compagnons « pour punir définitivement Bonaparte et délivrer l'Europe de son tyran ». Tous ces projets ne furent même pas pris en considération. Alors De Bar, mécontent du traitement anglais et désespérant de se faire employer, décida de passer en Bretagne avec quelques officiers. En septembre 1812, il se rendit à Guernesey où il retrouva Droz et Le Guern qui acceptèrent de s'associer à lui. Mais, au lieu d'obtenir à Guernesey des facilités de se faire transporter sur les côtes de Saint-Brieuc, comme ils le demandaient, ils furent constitués prisonniers par le major de l'île et renvoyés à Plymouth avec menace d'être conduits à Morlaix sur un parlementaire (Arch. nat. 6380-6381).

Nos trois chouans trouvèrent cependant le moyen de se faire embarquer sur la frégate La Rotha qui les mit à terre dans l'île de Hoëdic le 7 novembre. Quelques jours après ils passèrent dans l'île de Houat.

Leur présence à Houat fut bientôt signalée à Lorient ; un détachement amené de ce port par le lougre l'Alerte sous le commandement de l'enseigne auxiliaire Allanioux, surprit les trois proscrits qui succombèrent, après s'être défendus courageusement, le 23 novembre 1812 [Note : Voir, pour plus de détails : Le Grand, op. cit., p. 19 ; Le Falher, Aventures de guerre civile, p. 159 ; Le Cam, Houat et Hoëdic. Histoire. Charte. Récits de voyage, p. 74 ; Huon de Penanster, op. cit., p. 315 ; Chassin, Pacification, III, p. 752 ; E. Daudet, La Police et les Chouans, p. 323 ; Pommeret, Esprit public..., p. 418. — L'enseigne Allanioux fut nommé chevalier de la Légion d'honneur et admis dans la marine impériale avec le grade d'enseigne de vaisseau, par décret du 14 Juin 1813 (Arch. du port de Lorient)].

* * *

Edme Le Paige père fut marié trois fois et il laissait plusieurs enfants de ses trois femmes. Deux de ses fils, Casimir et César, entrèrent dans la marine. En mai 1803, ils se trouvaient en congé à Quimper et sollicitaient une prolongation : « il serait bien douloureux de nous voir forcés de rejoindre nos postes et d'abandonner deux petits frères et une sœur en très bas âge, sans pouvoir leur laisser quelques secours, vu qu'ils sont dénués de tout, et de leur côté et de celui de notre marâtre sans nulle ressource. Nous vous prions, citoyen préfet, de prolonger notre congé pour nous mettre à l'abri de la poursuite des gendarmes qui ne nous aiment pas depuis la malheureuse évacuation de notre défunt père, que nous n'avons pu engager à une pareille sortie, vu que nous n'étions pas au pays » [Note : Arch. du Finistère, série Q. Partage entre la nation et les émigrés. Casimir Le Paige devint marchal-des-logis de gendarmerie à Pont-l'Abbé, puis sergent de ville à Quimper. En 1811, César se trouvait en garnison à Ham, d'où il demandait à De Bar de lui envoyer une grammaire anglaise].

Les biens appartenant à De Bar avaient été vendus comme biens d'émigré. Ils consistaient principalement en une moitié de maison et un jardin situés quartier des halles à Concarneau, qui furent adjugés pour la somme de 1.080 fr. Ses frères et soeurs obtinrent, dans la répartition du milliard des émigrés, une indemnité de 2.700 francs (Arch. Du Finistère, série Q. Milliard des émigrés, bordereau n° 474).

Mais, avant de pouvoir toucher cette somme, ils devaient produire un extrait de l'acte de décès de De Bar, ce qui ne fut pas possible, le décès n'ayant pas été rapporté sur aucun registre d'état civil. Ils durent donc s'adresser au tribunal civil de Quimper pour faire fixer officiellement son décès, ouvrir sa succession et les habiliter à la recueillir. Le tribunal régla la question comme suit :

« Au mois d'octobre mil huit cent treize [en réalité en novembre 1812], le sieur Jean-François-Edme Dorcène Lepaige de Barre, émigré français résidant len Angleterre, fut envoyé en mission en France par nos princes ; il débarqua à l'île Douat près Quiberon. On fut bientôt instruit de son débarquement et on dépêcha de Lorient le lougre l'Alerte, sous le commandement du sieur Allanioux, pour s'emparer de sa personne. Le sieur Le Paige refusa de se rendre, fit usage de ses armes et succomba percé de plusieurs balles.

Le sieur Jean-Charles-Casimir Lepaige, son frère, demeurant à Quimper, ayant aujourd'hui besoin de justifier de ce décès qui, à ce qu'il paraît, n'a été rapporté sur aucun registre de l'état civil, demande, pour le constater, que les sieurs Gourlaouen et Le Bris, marins de la ville de Concarneau et présents à l'audience, soient entendus.

Au dessus de quoi et attendu l'indigence dûment constatée du dit sieur Jean-Charles-Casimir Le Paige, M. le procureur du Roi avait l'honneur de requérir de son office qu'il plût au tribunal entendre les témoins produits....

Le premier se nomme Hyacinthe Gourlaouen, âgé de quarante-cinq ans, marin demeurant ordinairement à Concarneau, lequel a déposé :

Je me trouvais au nombre des marins qui composaient l'équipage du lougre l'Alerte qui fut envoyé de Lorient, sous le commandement du sieur Allanioux, à l'île Douat, près Quiberon, pour combattre et détruire, si on le pourrait, le sieur Dorcène Le Paige de Barre, qui s'y était réfugié. C'était au commencement du mois d'octobre, et autant que je puis me le rappeler, le onze, que le sieur Le Paige fut attaqué. Il se défendit et avec beaucoup de courage pendant plusieurs heures [Note : C'est nous qui soulignons. Comme on ne possède d'autre relation de l'affaire que le rapport d'Allanioux, cette déclaration du marin Gourlaouen nous fait soupçonner qu'Allanioux a voulu s'attribuer le beau rôle et qu'il a donné à son rapport une allure un peu théatrale], mais il succomba à la fin, percé de plusieurs balles. Après sa mort, comme Le Bris et moi étions du même pays que le sieur Le Paige et que nous avions eu de fréquentes relations avec lui avant son émigration, nous fûmes appelés pour constater son identité.

Le second se nomme Jean-Marie. Le Bris, âgé de soixante-deux ans, marin demeurant ordinairement à Concarneau... ». Déposition identique à la précédente.

Le tribunal, après avoir acquis la certitude que l'acte de décès ne figurait ni sur les registres d'état civil de l’île de Houat, ni sur ceux de Lorient, rendit son jugement le 4 décembre 1826. Ce jugement fixait le décès de Le Paige De Bar au onze octobre 1813 et ordonnait la transcription de cette décision sur les registres de l'île de Houat et de Concarneau (Arch. du Finistère, Registre de jugements du tribunal civil de Quimper, année 1826).

Ainsi, par suite, de l'imprécision des souvenirs des deux marins, le tribunal prolongeait officiellement l'existence de De Bar de près d'une année.

(Par Daniel Bernard).

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