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LA CHOUANNERIE DANS LE DÉPARTEMENT DES CÔTES-DU-NORD, DURANT LE DIRECTOIRE

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La défaite des émigrés à Quiberon, en juillet 1795, ne mit pas fin à l'agitation royaliste. Les chouans multiplièrent leurs entreprises et les continuèrent durant tout le Directoire [Note : Cf. Les comptes décadaires de l'an IV à l'an VII (Arch. nat. Flo. III, Côtes-du-Nord, 10), plusieurs récits d'arrestations de chouans dans le département, en l'an VI (Id., Flo 91), les papiers relatifs à la chouannerie en l'an VI et en l'an VII aux Archives dép. des Côtes-du-Nord (Côtes-d'Armor), série L, troubles et insurrections (une liasse pour chaque mois)]. Le 19 thermidor an VII, le commissaire du Directoire exécutif près le département des Côtes-du-Nord (aujourd'hui Côtes-d'Armor), Denoual, signalait dans une lettre au ministre de l'intérieur, la persistance de la chouannerie « dont les éléments paraissaient s'être encore réunis, sinon dans tout leur ensemble, du moins en nombre suffisant pour opérer des désastres funestes... » (Arch. nat. Flo Côtes-du-Nord, 10). Les menées royalistes furent assez actives et les actes de brigandage assez fréquents pour inquiéter le commissaire Denoual, qui les retraça au gouvernement dans un rapport très étudié, intitulé : « Résumé sur la situation politique du département des Côtes-du-Nord sous les rapports du royalisme connu sous le nom de chouannerie à l'époque du 1er pluviôse an Vll, précédé d'une analyse sur la même guerre pendant 1793, les ans 2, 3 et 4 » [Note : Ce « Résumé » fut d'abord adressé au ministre de la police générale, en pluviôse an VII. Le 16 messidor, Denoual signale son « Résumé » au ministre de l'intérieur et propose de lui en envoyer une copie s'il le désire. Le ministre en demanda la copie, le 5 thermidor, que Denoual lui envoya le 19 suivant (Arch. dép Côtes-du-Nord, L, Commissariat du directoire exécutif, Registre de correspondance du 10 brumaire an VI au 26 nivôse an VIII ; lettres des 16 messidor et 19 thermidor an VII). Cette copie, non signée et non datée, est aux Archives nationales sous la cote Flo III, Côtes-du-Nord (Côtes-d'Armor), 10]. Ce rapport mérite une attention particulière car il est l’œuvre d'un administrateur intelligent et pondéré, qui connaissait admirablement la vie politique du département. Né à Dinan, en 1757, avocat au Parlement, lieutenant du maire, à Dinan, en 1787, député suppléant aux Etats généraux, en 1789, député à la Fédération de Pontivy, en 1790 (Kerviler. Répertoire général de bio-bibliographie bretonne. Tome XII, pp. 43-44.), Denoual-Duplessix fut nommé par le Département, en brumaire an IV, commissaire provisoire du Directoire exécutif près de la municipalité de Dinan (intra-muros). Le Directoire confirma sa nomination. Dans cette fonction, Denoual s'occupa surtout de réprimer la chouannerie. Très modéré, il s'attira la haine des partis extrêmes, des terroristes et des royalistes (Arch. nat., F7, 3669-1, passim.). Candidat au corps législatif en prairial an V, il « eût été nommé député... sans la ligue des chouans » [Note : Id. F1b II, Côtes-du-Nord, 2. Copie d'une lettre d'un sieur Maugourit au ministre de la police générale, envoyée au ministre de l'intérieur, 1er jour complémentaire an V]. Après le 18 fructidor, il offrit de donner sa démission, s'il avait perdu la confiance du gouvernement, tout en demandant qu'on ne choisît pas pour lui succéder le chef des « anarchistes » dinannais, Corseul. Il fut maintenu et, le premier jour complémentaire de l'an V, le ministre de la police générale transmettait au ministre de l'intérieur la lettre d'un correspondant qui proposait Denoual pour remplacer le commissaire de Saint-Brieuc, dont il prévoyait le changement. En germinal an VI, il fut élu administrateur du département. Le 7 prairial an VII, Pouhaer ayant été élu aux Cinq-Cents, il devint commissaire central : de tous les candidats il était celui qui connaissait « le mieux la chouannerie et par conséquent » pouvait « en préserver le département avec plus d'efficacité » (Id., ibid., passim.). Au début de l'an VIII, le préfet le dira « digne de la plus grande confiance » et, le 11 nivôse de la même année, il sera nommé directeur des Contributions directes [Note : Id. F1b II, Côtes-du-Nord, 3. Renseignements sur les fonctionnaires du département]. Denoual était donc bien placé pour apprécier la chouannerie.

Bien qu'il ait cru « avoir analysé tous les événements remarquables » de la guerre civile et « avoir réussi... à faire connaître l'historique parfait de la chouannerie » dans le département des Côtes-du-Nord (Cf. Sa lettre du 19 thermidor an VII au ministre de l'intérieur), la première partie de son rapport raconte surtout à grands traits les démarches et l'œuvre de Puisaye entre 1793 et 1797 ; elle est moins précise [Note : Dans la pensée de Denoual, son historique de la chouannerie devait « pour ainsi dire la [faire] connaître partout parce que, formée par les mêmes combinaisons, elle doit donner, sur tous les points où ce fléau public exerce ses ravages, de semblables résultats » (Id., ibid.)] que le « résumé » proprement dit « sur la situation politique du département des Côtes-du-Nord... » dont nous avons reproduit ou analysé les passages les plus intéressants.

Pendant que le comte d'Artois qui, après le désastre de Quiberon, était venu à l’île d'Yeu, pour donner, par sa présence plus rapprochée du théâtre de la guerre, un peu de confiance à ses partisans, regagnait bientôt l'Angleterre, Puisaye « parcourait alternativement les territoires d'Ille-et-Vilaine, des Côtes-du-Nord et du Morbihan... ». Quand la prise de Stofflet et de Charette eût permis à Hoche de consacrer tous ses efforts aux départements bretons, la pacification s'y fit rapidement. Les campagnes étaient lasses d'être pillées. Puisaye le comprit. Il donna l'ordre « de ne plus songer à faire la guerre les armes à la main, mais d'employer tous les moyens pour chouanner l'opinion publique... Depuis thermidor an IV jusqu'à germinal an V, tous les efforts tendirent à s'emparer des élections... ». Mais le 18 fructidor ruina les espoirs royalistes. De nouveau, Puisaye changea de tactique ; il reprit les armes et agita les campagnes. Son insuccès accrut le discrédit dans lequel le comte d'Artois le tenait déjà depuis longtemps et « qui s'était propagé parmi presque tous les anciens chouans » [Note : Denoual dit du chef chouan, appelé par les siens « comte Joseph » : « Jusqu'alors il avait été regardé des preux chevaliers comme un être très douteux et à cet égard il n'a jamais pu généralement détruire les impressions qui s'étaient accréditées sur son compte. Puisaye a sans doute servi le parti royaliste avec zèle et persévérance; mais il n'a jamais passé que pour un intrigant rusé, adroit, laborieux: il n'a pu jamais acquérir la réputation de loyauté, de bravoure et de talents militaires sans laquelle un chef de parti n'obtient jamais de grands succès. » — Si Puisaye fut secondé, en Normandie par Frotté, dans le Maine par Scépeaux, il ne put jamais compter sur le Morbihan où Georges et la Vendée « lui refusèrent toute confiance ou ne lui accordèrent qu'un assentiment passager ». Un envoyé du comte d'Artois, de Botherel, manifestait dans le Morbihan « des opinions contre Puisaye », tandis qu'il se montrait dans l'Ille-et-Vilaine « son partisan zélé ». Cf. aussi : Chassin, Les pacifications de l'Ouest, 1794-1801-1815, Paris, 1899, in-8°, t. 3, pp. 106-108]. Le comte d'Artois n'avait, pas voulu jusqu'alors lui témoigner ouvertement son mécontentement parce qu'il était protégé par M. Windham [Note : Puisaye s'était rendu en Angleterre dès fructidor an II pour obtenir l'appui des princes et du cabinet de Saint-James. « Le talent de Puisaye pour ce genre de négociations est incontestable et il réussit à convaincre les ministres anglais, surtout M. Windham... ». Après l'affaire de Quiberon, de nombreuses plaintes ayant été portées contre Puisaye au Conseil d'Edimbourg et renvoyées par celui-ci au cabinet de Saint-James, M. Windham avait défendu le comte Joseph. — Sur les rapports de Puisaye avec l'Angleterre, cf. Lettre de M. le comte Joseph de Puisaye ... commandant en chef pour sa Majesté dans sa province de Bretagne ... à S. A. R. Monsieur, frère du roi, lieutenant-général du royaume, impr. royale, l'an II du règne de Louis XVIII, in-4°, 22 p. (Arch. nat. F7 7213)] ; il obtint enfin du cabinet anglais son remplacement [Note : Botherel, chargé de préparer l'opération, aborda dans la baie de Saint-Cast le 13 ventôse an VI. On lui avait, donné de l'argent pour détacher les partisans de Puisaye et préparer les élections. Il ne resta qu'un mois en France et se contenta de donner 150 livres à chaque prêtre qu'il rencontra. Il avait laissé à un ancien officier de marine, Fremy de Keranisan, le soin de faire les mutations que nécessitait la disgrâce de Puisaye].

« Enfin le nouveau système de chouannerie se développa. Il avait été adopté par le cabinet de St-James et le comte d'Artois ; il y a quelques mois, on apprit à n'en pouvoir douter que Puisaye était remplacé par un comte de Béhague jadis commandant à St-Domingue, et que les rôles étaient distribués entre les chefs principaux. Le département des Côtes-du-Nord a été aussi le théâtre des intrigues où se sont exercés les nouveaux provocateurs de la révolte : mais ils ont été presque généralement repoussés par les citoyens des campagnes qui se sont encore ressouvenus avec amertume des vexations qu'ils ont éprouvées » pendant les années 3 et 4ème [Note : En vendémiaire an IV, d'après un transfuge « depuis Mongerval et la Mézière jusqu'au fort de Châteauneuf et depuis Gévezé jusqu'aux environs de Saint-Meen, Plumaugat, les bords de la route en deçà et au delà dans les cantons de Tréfumel et Evran et encore depuis les environs de Jugon, en prenant la forêt de la Hunaudaye et communes environnantes jusques vers Pleurtuit et Dinard, les rebelles, c'est-à-dire les nobles et les « émigrés rentrés » pouvaient être au nombre de 150, grossis d'environ 50 déserteurs soldats ou marins. Puisaye avait prescrit l'établissement de colonnes mobiles sur chaque grand'route « pour empêcher les habitants des campagnes de transporter des denrées et d'avoir aucune communication avec ceux des villes ». Il avait aussi ordonné « de chouanner (c'est-à-dire de massacrer) tous les patriotes des campagnes ». Ces ordres de Puisaye furent exécutés et les chouans commirent de nombreux assassinats. Par exemple, le 14 brumaire, à Mellionnec, ils tuaient les Saint-Jalmes père et fils, l'un maire de Mellionnec et l'autre juge de paix du canton, et 4 gardes territoriaux ; le même jour, à Plénée, ils assassinaient le juge de paix, François Pringault, son greffier Boisnard et un ouvrier, Calvel, demeurant chez le juge ; à Pordic, on signalait aussi des pillages et des meurtres (Arch. nat. Flo III, Côtes-du-Nord, 10, Compte décadaire, 2ème décade de brumaire an IV). Le 15 brumaire, les chouans enlevaient au moins 1000 quintaux de grains tant aux patriotes du district de Loudéac qu'aux fermiers des biens nationaux et des biens d'émigrés ; ils exigeaient en nature les rentes stipulées en grains et les autres en numéraire métallique. « Ils enlèvent surtout chez les fermiers des domaines nationaux le prix de leurs fermages... » écrit le commissaire central le 27 nivôse an IV (Id. Côtes-du-Nord, 12). C'était surtout dans l'est et le sud du département qu'ils opéraient ; le général Valletaux (le général de brigade commandant la 1ère subdivision de la grande division de l'ouest) ne suffisait pas à y rétablir l'ordre (Id., ibid., Compte décadaire, 3ème décade de brumaire an IV). — Cf. encore : Arch. Nat. F7 7098, une lettre du commissaire central au ministre de la police générale, 7 ventôse an IV, deux copies des lettres des commissaires près des municipalités de Dinan (6 ventôse an IV) et de Guingamp (5 ventôse an IV) ; id. F7 7109, un rapport au Directoire sur la situation des Côtes-du-Nord et une lettre de la députation des Côtes-du-Nord au ministre de l'intérieur, 24 ventôse an IV]. Ces provocateurs ont paru à plusieurs époques et n'ont obtenu aucun succès décidé. Ils ont reçu plus ou moins d'espérance dans quelques points [Note : « Les cultivateurs qui repoussaient naguère toute idée d'une nouvelle chouannerie commencent à se familiariser avec la perspective de la reprise des hostilités. Beaucoup même la désirent d'après des rapports récents » (Lettre du commissaire central des Côtes-du-Nord au ministre de l'intérieur, 16 messidor an VII, Arch. dép. Côtes-du-Nord, Reg. correspondance, op. cit.)] ; mais leurs démarches se sont bornées jusqu'à ce jour à entretenir sur la côte des agents de correspondance qui font passer les ordres dans l'intérieur, et à organiser clandestinement par divisions et par cantons les parties du territoire où ils trouvent des facilités.

Dans le département des Côtes-du-Nord, il y a deux points de correspondance. Celui par lequel on a eu des données les plus suivies et les plus certaines s'étend depuis Erquy jusqu’à Dinard. Louisel, ancien employé dans les fermes, émigré, est celui auquel on adresse les dépêches. Ce Louisel se tient souvent dans la commune d'Erquy canton de Pléneuf. Ces paquets sont apportés tantôt par un nommé Macé dit Jules de Rucca près de Lamballe et par Chateaubriand ex noble émigré, marié à Jersey avec une anglaise. Et aussi par Noël dit Auguste de Saint-Briac [Note : Le commissaire du gouvernement près de la municipalité de Dinan avertissait le commissaire central du département, le 7 floréal an VI, que Noël avait débarqué au Guildo avec douze sacs de monnaies d'or et de dépêches (Arch. dép. des Côtes-du-Nord, L. Lettre du 7 floréal an VI)]. Macé est le fils d'un paysan auquel sa famille avait donné une éducation scholastique. Il était abbé au commencement de la Révolution et se retira pendant longtemps chez une femme Roncieres ex noble dans les environs de Plancoët. Il a aussi de fréquentes habitudes, et à chaque fois qu'il vient en France, il ne manque pas de voir et de séjourner chez Bergerac, ex noble demeurant dans la commune de Créhen du canton de Plancoët. Ce Macé jouit de la plus grande confiance du duc de Bouillon qui dirige de Jersey l'ensemble de la correspondance. Ce Jules était encore sur le terrain dans la première décade de Nivôse dernier. Alors Louisel était chez Bergerac et le conciliabule principal se passa dans cette maison. L'on n'a pu en savoir les particularités secrètes ; mais on a appris de Jules par d'autres intermédiaires que sans doute on préparait une expédition en Angleterre et qu'une descente aurait lieu au printemps ; qu'Auguste ou Noël était actuellement employé pour la correspondance qui se fait par Saint-Coulomb entre Cancale et Saint-Malo. Il est utile à cet égard de rapporter un fait récent qui aurait du tenir sa place lorsqu'on a parlé de la disgrâce de Puisaye. On se rappellera que Dufour avait cherché les moyens d'assassiner Keranisan [Note : Fremy de Keranisan, chargé par Botherel de préparer le remplacement de Puisaye, était devenu suspect à, Dufour « qui tenait la correspondance dans la partie de Saint-Coulomb entre Saint-Malo et Cancale ». Dufour avait résolu de tuer Fremy qu'il supposait caché dans les bois de la Heusselaye près de Montauban. L'intervention des troupes républicaines de Saint-Meen avait mis la bande de Dufour en fuite et fait avorter son projet]. Le même a pris encore ombrage contre un nommé Bertin de Saint-Malo, émigré, constamment chouan et qui n'a point remis les armes. Ce Bertin devait remplacer immédiatement Dufour et dès lors sa mort fut résolue. Dufour tendit pièges sur pièges à Bertin qui a eu le bonheur de les éviter ; mais un nommé Saint-Gilles noble chouan rentré, mais émigré et, non sorti par suite du 18 fructidor, a été tué dans la commune de la Gouesnière, entre Chàteauneuf, Saint-Malo et Cancale, il y a environ 4 mois. On assure que Dufour s'était embusqué pour attendre Bertin ; que Saint-Gilles se présenta au passage et reçut le coup funeste. Il est à croire qu'on a voulu soustraire Bertin à l'animosité de Dufour et que Noël dit Auguste a été chargé de la correspondance dans cette partie. Ce Noël a eu récemment un accident à Jersey : il s'est cassé la cuisse.

Les organisateurs de la nouvelle chouannerie ont paru à plusieurs reprises dans le ci-devant district de Dinan ; ils n'y ont point reçu d'accueil : ils ne sont aucunement en mesure pour opérer un soulèvement. Il ne faut pas confondre à cet égard les rapports qui ont été faits et qu'a donné pour constants le commandant de Dinan sur un nommé Richard chef de chouans non rentré et qui, après la pacification, s'est retiré à Jersey. Ce Richard pendant la chouannerie a été l'effroy des cantons de Corseul, Plancoët et Ploubalay et aussitôt qu'il arrive quelque correspondance à la côte, on croit toujours voir Richard. Le fait est qu'il a déplu au Duc de Bouillon et qu'il végète dans la disgrâce à Jersey [Note : Cependant le commissaire du gouvernement près la municipalité de Planooët écrivait au commissaire central, en vendémiaire an VI, que « le fameux Richard » chef de chouans, parcourait la commune de Ploubalay avec 10 hommes (Arch. dép. Côtes-du-Nord, L, Lettre du 10 vendémiaire an VI). Le 4 brumaire suivant, le ministre de la police générale recommandait au commissaire central de mettre la capture de Richard à prix (Id., ibid. Lettre du 4 brumaire an VI)]. Dans le ci-devant district de Lamballe on peut compter à peu près sur les mêmes dispositions.

Le ci-devant district de Broons donne plus d'inquiétudes en ce que Robinet Saint-Régent chef de chouans non rentré émigré, ennemi implacable de la République y fait sa residence. Il est revenu d'Angleterre, il y a plus de six mois, avec des pouvoirs très étendus. Son séjour, dans cette contrée, y a porté l'allarme et plusieurs familles l'ont quittée pour aller se mettre en sûreté dans des communes protégées par la force armée. Ce Robinot Saint-Régent parait chargé d'organiser la chouannerie nouvelle dans les ci-devant districts de Broons, Loudéac et partie de celui de Dinan (canton de Tréfumel) des Côtes-du-Nord, dans partie de celui de Ploermel du Morbihan et partie de celui de Montfort d'Ille-et-Vilaine. Le canton de Trémorel du ci-devant district de Broons très éloigné de l'Administration centrale qui ne peut pas le surveiller avec fruit offre à Saint-Régent un asile assuré et on craint qu'il ne parvienne de ce point à obtenir quelques succès [Note : Le 27 floréal an VII, la municipalité de Broons, sur avis des commissaires du gouvernement près les cantons de Trémorel et de Broons, décide de maintenir en état d'arrestation Mathurin Dreux, secrétaire de la municipalité de Trémorel, « prévenu d'avoir voulu enrôler des jeunes gens dans la nouvelle organisation chouannique et d'y figurer comme second chef du canton » (Arch. com. Broons, Registres des délibérations de la municipalité. — Séance du 27 floréal an VII)]. Il sera secondé pour le district de Montfort par Gabillard qui a infiniment la confiance des paysans. Ce Gabillard était chef de chouans : il avait remis les armes en Messidor an 4. Poursuivi et ensuite incarcéré par le département d'Ille-et-Vilaine, il a trouvé le moyen de s'évader, depuis il erre dans les campagnes et appartient par la force des choses et par ses affections au parti dans lequel il a joué un rôle même important. Saint-Régent a ses communications également faciles avec la chouannerie du Morbihan dont le canton de Trémorel est limitrophe, ainsi que du département d'Ille-et-Vilaine. Pendant tout le temps de la chouannerie, Saint-Régent a commandé dans la partie où il se trouve encore [Note : Saint-Régent, ancien officier de marine, dit « Pierrot du Morbihan » était de Lanrelas. Les autres chefs chouans de la région étaient : Lamour Lanjégu, émigré, chef de canton ; Trémaudan, dit Petit-Pierrot, capitaine ; Le Gris, dit César, capitaine ; Béchu, riche cultivateur de Lanrelas (ce dernier mort en l'an V) ; Gabillard, capitaine ; les deux Mérillac fils ; Jean-Baptiste Raux de Gommené, major ; Picot Limoëlan, émigré rentré, dit Tape à mort (Arch. dép. Côtes-du-Nord, L, canton de Broons, Etat des citoyens qui ont été tués, mutilés et volés par les brigands chouans pendant la guerre civile des départements de l'Ouest, 21 brumaire an VI)]. Il est donc essentiel d'y porter un œil bien attentif [Note : En brumaire an VI, le ministre de la police générale avait ordonné l'arrestation et la déportation de 15 prêtres, presque tous anciens curés ou vicaires, accusés de préparer la guerre civile dans cette région ; et respectivement domiciliés dans les communes de Saint-Vran, Merdrignac, Loscouet, Langourla, Mérillac, Saint-Laurent, Trémorel, Illifaut, Lanrelas, Mégrit, Sévignac, Caulnes, Moncontour et Quessoy (Arch. dép. Côtes-du-Nord, L, Extrait des délibératons du Directoire exécutif..., 22 brumaire an VI)].

Broons, ancien chef-lieu de district, n'est pas un point qui offre de grandes ressources [Note : Le 6 octobre 1793, la municipalité de Broons, qui avait déjà fait deux tentatives pour établir un Comité de Sûreté générale, décidait de convoquer les électeurs pour tenter encore d'organiser ce Comité que rendait nécessaire « le très grand nombre des malveillants, fanatiques, désorganisateurs et ennemis du bien public » (Arch. com. Broons, Registres des délibérations de la municipalité, séance du 6 octobre 1793)]. Cependant les fonctionnaires publics y sont patriotes et ils employent tous les moyens dont ils peuvent disposer pour maintenir la tranquillité publique [Note : Les registres des délibérations de la municipalité signalent quelques exemples de brigandages commis dans le canton de Broons (Id., ibid., séances des 7 germinal an IV et 10 floréal an V). Cf. aussi un Etat des citoyens qui ont été tués... volés par les ... chouans pendant la guerre civile des départements de l'Ouest dans le canton de Broons, du 21 brumaire an VI (Arch. dép. Côtes-du-Nord, L). Cet état signale pour la commune de Broons, 1 blessé, 4 morts, pour les communes de Rouillac et Sévignac, 21 vols estimés à 24246 livres, sans donner la date de chaque crime ou vol. — C'était surtout dans les communes de Rouillac et Sévignac que les chouans se montraient ; le chef-lieu du canton était protégé par une garnison (Arch. com. Broons, Registres délibérations..., séance du 10 floréal an V) ; les troupes du district furent quelque temps commandées par le général de brigade Champeaux (Id., ibid., 2 floréal an IV). — Le 15 messidor an XI, le conseil municipal déclarait que « les habitants, peu aisés, tant des campagnes que du chef-lieu ont été pour la plupart ruinés par le brigandage qui a désolé ce pays pendant le chouanage, qu'ils n'en sont point encore rétablis et ne le seront de longtemps... » (Id., ibid., séance du 15 messidor an XI)]. Beaucoup de cantons voisins de celui de Broons n'appartiennent à la République que par leur situation géographique et par le payement des contributions [Note : Plouasne par exemple qu'on qualifiait de « quartier général de ces Messieurs » (Arch. dép. Côtes-du-Nord, L, lettre du commissaire du gouvernement de Broons au commissaire central, 1er vendémiaire an VI)]. Le souvenir des maux causés en l'an 3 et l'an 4 par le fléau de la guerre civile enchaine la malveillance : mais la proximité du Morbihan qui est le foyer de la chouannerie déterminera dans cette partie une plus prompte explosion, si les organisateurs royaux parviennent à former de nouvelles bandes dévastatrices… ».

Dans le district de Saint-Brieuc « une bande de ces rebelles commandée par Duviquet [Note : Pierre Duviquet, dit Constant. Dans un « ordre signifié par César au président de l'administration municipale de Plessala », en l'an IV, Duviquet est dénommé « commandant la cavalerie » de la division César (Arch. nat. F1 7155). Duviquet et ses chouans avaient notamment assassiné le percepteur du Gouray (Arch. dép. Côtes-du-Nord, L, lettre du ministre de la police générale au commissaire central des Côtes-du-Nord, 7 brumaire an VI). — Sur l'arrestation et l'exécution de Duviquet, cf. Chassin, op. cit., pp. 166-171] qui a subi le dernier supplice, ensuite par Carfort qui en est encore le chef, désole le territoire [Note : Cette bande, la seule qui soit « continuellement rassemblée ... est forte de 15 à, 20 brigands. Elle parcourt une ligne depuis Lamballe jusqu'à Matignon et une autre depuis Lamballe jusques vers Loudéac. Elle a deux grandes forêts pour se réfugier, Lorges et la Hunaudaye et plusieurs bois très étendus. Cette bande, qui ne s'est presque jamais dissoute depuis l'an IV, a désolé longtemps les environs de cette résidence. Les plus dangereux [étaient] Duviquet, Petit-Port et Villemain... » (Arch. dép. Côtes-du-Nord, registres de correspondance du commissariat..., op. cit. Lettre du commissaire central ... du 16 messidor an VII)]. Inutilement les royalistes non armés voudraient insinuer que cette bande n'a aucune affinité avec la haute chouannerie [Note : Dans sa lettre du 16 messidor an VII (id., ibid.), Denoual remarquait : « Il n'est pas encore bien constant que la bande des environs de Lamballe soit reconnue par ce qu'on appelle la haute chouannerie. Je sais qu'en germinal le chef le Pape m'assura, dans un interrogatoire particulier, que le parti royaliste considérait les membres de cette bande comme des voleurs et qu'il avait ordre de les faire fusiller s'il les rencontrait ». Denoual supposait que cette bande avait dû depuis « se faire aggréger à ceux qui ont de grandes prétentions, qui sant également voleurs, assassins et dévastateurs comme les premiers »]. On sait à n'en pouvoir douter que si l'organisation générale reste dans les ténèbres, il existe de petits rassemblements en activité qui servent à attaquer les voitures publiques à mettre à contribution les acquéreurs de domaines nationaux, et à tenir les républicains dans une continuelle inquiétude. Cette bande a été infiniment affaiblie ; trois sont dans les fers (Dont Petit-Port dit Saute-Dessus et Villemain dit Pas à blanc (Id., ibid.)), deux ont été assommés par les paysans ; un est mort de la petite vérole, un autre a abandonné et trahi le parti. Il en reste encore 7 à 8, nombre suffisant pour effrayer les patriotes des campagnes et pour commettre bien des assassinats. L'administration centrale fait à cette bande une guerre continuelle. Elle a réussi à ce que la plupart des paysans se sont déclarés contre ces nouveaux brigandages et plusieurs s'empressent de les dénoncer et ceux qui ont été capturés ont été pour ainsi dire livrés par eux [Note : Dans la Relation de la défaite des chouans à Plourach, canton de Plougonver, le 13 fructidor an VII (Saint-Brieuc, an VII, un placard), l'administration centrale du département signale « la manière dont les habitants du canton se sont conduits dans la circonstance, tant à raison de leur véracité dans les renseignements qu'ils ont donnés sur la marche des brigands, que par la bonne volonté dont plusieurs de ces habitants ont donné des preuves en se présentant pour combattre aussi avec les Républicains... »]. Le chef Carfort est dit-on mourant par suite de deux coups de feu qu'il a reçus dans une maison où 6 volontaires déguisés le trouvèrent seul, et le manquèrent. Il s'échappa de leurs mains après avoir été blessé [Note : Le Nepvou de Carfort. Cf. aussi Chassin, op. cit., p. 247. — En nivôse, de nombreuses captures de brigands et de chouans furent opérées ; notamment celles de Nivet dit La Pinte, de Petit-Port, de Villemain, de Jean-François Herlan dit Joli-Cœur, de Yves Tanguy dit Monsieur, de Yves Boulay dit Grand Guillaume, de Poencès Kerilis, chef commandant le 7ème arrondissement, breveté par Debarre, d'Yves Le Fol et de Jacques Herlan, ces trois dernières faites ensemble (Arch. nat. Flo III, Côtes-du-Nord, 10. Compte mensuel..., nivôse an VII). Cf. aussi : Arch. dép. Côtes-du-Nord, L, liasses de nivôse, pluviôse, germinal an VI]. Le district de Guingamp n'a encore inspiré aucune crainte. La bande de Carfort peut y paraître quelquefois ; mais c'est seulement en passant. Il semble cependant que Debarre, chef de division... a l'intention d'y risquer quelques démarches. Le district de Pontrieux paraît faire partie d'une nouvelle organisation qui aussi comprendrait le pays de Léon en Finistère et celui de Tréguier du district de Lannion. Cette division d'après des renseignements récens aurait un général particulier, et Durumain y serait employé. On ne connaît pas de détails très circonstanciés et il faudra que de nouvelles captures viennent éclaircir les doutes. Cependant on prévoit que cette nouvelle division est pour la côte [Note : « Dans le district de Pontrieux, il n'est pas à craindre que les chouans y prennent consistance : le pays est essentiellement patriote » (note de Denoual). — Les cantons les plus favorables aux royalistes étaient ceux qui s'étaient « livrés à l'insurrection » ; ils formaient les anciens districts de Broons, Dinan, Lamballe, Loudéac, Rostrenen et Saint-Brieuc. Le pire district était celui de Rostrenen (Arch. nat. Flo III, Côtes-du-Nord, 12, Lettre du ministre de l'intérieur au commissaire central des Côtes-du-Nord, 16 germinal an IV ; cf. aussi : Id. F7 7105, une liste des prêtres réfractaires qui évangélisent sur le territoire du district de Rostrenen et des notes sur les municipalités voisines par Poulain, ex-président du district, pluviôse an IV). Au contraire les anciens districts de Guingamp, Lannion et Pontrieux étaient « plus attachés à la République, quelque fût le goût de la monarchie dans quelques cantons » (Arch. nat. Flo III, Côtes-du-Nord, 10, Compte décadaire, 1ère décade de vendémiaire an VI). Le gouvernement, remarque le commissaire central, en germinal an VII, y « gagne chaque jour de nouveaux amis ; chaque convenancier achète son domaine et lie son existence à celle du nouvel ordre de choses... » (Id., ibid. Compte mensuel ... de situation ... du département, pour germinal an VII et Arch. dép. Côtes-du-Nord, L, Registre de correspondance du commissariat ..., op. cit. Lettre ... du 16 messidor an VII). En l'an IV, le commissaire du canton de Lézardrieux disait des habitants « ils sont patriotes ; ils ont de l'aversion pour les nobles et les prêtres réfractaires qui n'ont que peu de partisans... toutes les lois s'exécutent... et jamais il n'y a eu de troubles. » (Arch. nat. F7 7113. Lettre au ministre de la police générale, 10 ventôse an IV)]. Partie du district de Lannion serait comprise dans cette organisation et l'autre partie ainsi que tout le district de Rostrenen seraient sous le commandement de Debarre. Ce Debarre surnommé le Prussien [Note : Le Page, ou le Paige, dit vicomte d'Orsennes, ou de son nom de chouan de Bar ou Debarre était un roturier ; fils d'un gendarme ou d'un brigadier de gendarmerie de Quimper, il était homme de loi à Concarneau ; émigré en 1792, il rentra par Quiberon. Arrêté en messidor an IV, il avait été relâché par l'imprudence d'un officier (Id., I., lettre du commissaire central du Finistère au commissaire central des Côtes-du-Nord, 19 floréal an VI). Debarre et sa bande parcouraient surtout Glomel, Silfiac et les environs de Rostrenen, presque toujours accompagné du marquis de Liscouet et de plusieurs autres émigrés (Id., ibid. Extrait de la lettre du chef de brigade commandant l'arrondissement de Lorient, le Faouet et Pontivy, au général Dutil, 24 frimaire an VI)] dénomination qu'il aura sans doute changée après la capture de Poencès (Poencès Kerilis, chef commandant le 7ème arrondissement, pris en nivôse (Arch. nat. Flo III, Côtes-du-Nord, 10. Compte mensuel... nivôse an VII), a le grade de chef de division colonel [Note : Debarre avait exactement le grade de lieutenant-colonel. Sa commission et celle de Saint-Régent, qui était colonel, ont été publiées par G. Cadoudal (Georges Cadoudal et la chouannerie, Paris, 1887, in-8°, pp. 418-419)]. Sa division s'étend dans les districts de Rostrenen et de Lannion des Côtes-du-Nord et dans les parties limitrophes du Morbihan et du Finistère. Il a reçu l'ordre récent de prolonger son organisation dans le district de Guingamp, sa division est composée de 8 cantons. Il commande sous les ordres du général Georges, ancien général des chouans dans le Morbihan qui s'était soumis à l'époque de la pacification de l'an 4 et qui s'est de nouveau déclaré en rebellion. Il paraîtrait que ce Georges compterait sur une organisation de 8 divisions : ce qui formerait tout le territoire du Morbihan et partie des districts de Lannion, de Rostrenen et de Loudéac des Côtes-du-Nord et de Montfort d'Ille-et-Vilaine [Note : Ce furent des correspondances, prises sur un chef de chouans capturé en frimaire an VII, qui révélèrent la réorganisation du parti royaliste ; à cette date, 6 divisions étaient formées, 2 s'étendaient sur les Côtes-du-Nord et le Morbihan, les 4 autres sur le Morbihan seul (Arch. nat. Flo III, Côtes-du-Nord, 10. Situation politique du département des Côtes-du-Nord, à l'époque du 20 fructidor an VIII. Mémoire au Premier Consul par les envoyés des Côtes-du-Nord, Denoual, N. Armez et Baschamp-Odiot, 6 vendémiaire an IX). La capture de Le Pape, en germinal an VII, permit de saisir d'autres papiers qui confirmèrent cette organisation (Arch. dép. Côtes-du-Nord, 4. Registre... du commissariat, op. cit. Lettre du 16 messidor an VII)]. Sans doute s'il éclate ultérieurement une explosion, l'embrasement commencera à se manifester dans le Morbihan et ne se propagera dans les Côtes-du-Nord que par les résultats. On ignore si les mêmes données existent dans les départements de la Mayenne, d'Ille-et-Vilaine et de la Sarthe ; mais on le suppose, parce que l'Angleterre en stipendiant des organisateurs, leur aura recommandé de réunir les éléments de l'ancienne chouannerie et d'en former un nouvel ensemble auquel on puisse donner, quand il en sera temps, un mouvement simultané ».

On peut donc supposer que tout est prêt en vue d'une action éventuelle ; sur tous les points, de petits partis attaquent les voitures publiques et entretiennent les hostilités [Note : Il semble qu'en l'an VII, il y ait eu recrudescence du « chouanage ». Dans la 2ème décade de vendémiaire an VII, on saisit sur un chef de bande, tué à Loguivy-Plougras, « des pièces qui étaient ses instructions. On y voit clairement énoncé le dessein horrible d'assassiner les généreux amis de la liberté habitants des campagnes, celui de piller les caisses des percepteurs des contributions et d'arrêter sur les grandes routes les fonds de la République que l'on voiture ; l'ordre y est donné de travailler à la levée de volontaires dans chaque paroisse et de choisir des lieux sûrs pour en faire des dépôts d'armes et de munitions ». (Arch. nat.. Flo III, Côtes-du-Nord, 10. Compte mensuel... vendémiaire an VII). Dans la nuit du 21 au 22 vendémiaire, à 3 kilomètres de Saint-Brieuc, les chouans pillaient la diligence ; le 19 du même mois ils assassinaient le percepteur de Loguivy-Plougras ; après avoir tué Legal, l'agent de Troguéry, une bande de 60 hommes pillait 11 maisons de citoyens, les 24 brumaire et jours suivants ; le 23 brumaire, une autre bande (c'était la bande de Saint-Régent. cf. Chassin, op. cit. pp. 283 et 287) entrait, à 8 heures du soir, dans Loudéac même, que défendait une garnison de 50 hommes ; elle pénétrait chez le receveur des contributions et volait environ 15000 francs dans la nuit du 30 brumaire, cinq vols étaient commis par les chouans dans le canton de Plédran ; le 7 frimaire, le juge de paix de Plouaret et un autre citoyen tombaient sous les coups des brigands et le curé assermenté n'échappait à la mort qu'en se sauvant sur les toits (Id., ibid. Compte mensuel... brumaire an VII). Le 12 fructidor 150 chouans attaquaient une voiture publique escortée par 14 soldats, au Pont-Jaudy, sur la route de Guingamp à Belle-Isle-en-Terre. Les carabiniers du 1er bataillon de la 13ème demi-brigade, 10 hommes de la colonne mobile de Pontrieux, les gendarmes de Guingamp se mirent à leur poursuite, les rejoignirent le 13 à Plourach d'où il les chassèrent après leur avoir tué 17 hommes et blessé davantage. Les chouans étaient commandés par Debarre (Relation de la défaite des chouans à Plourach, canton de Plougonver, le 13 fructidor an VII, op. cit. et Discours prononcé par Hello en faisant part au Conseil [des Cinq-Cents]... d'une affaire qui a eu lieu entre les républicains et une bande de brigands royaux. Séance du 29 fructidor an VII, Paris, an VIII, in-8°). Le président du canton de Bothoa fut accusé de complicité avec les chouans (Arch. dép. Côtes-du-Nord, L. Registre.... commissariat..., op. cit. Lettre du 29 fructidor an VII). — L'affaire de Plourach est celle que Chassin (op. cit., p. 345) appelle improprement « l'affaire de Louargat ». C'était surtout dans la partie du département voisine du district de Pontivy que « le chouanage était organisé d'une manière effrayante ». Le 7 thermidor, les brigands enlevaient 3200 livres que le receveur général de Loudéac faisait transporter à Saint-Brieuc, s'emparaient des chevaux de l'escorte après avoir tué 3 convoyeurs et un enfant qui les accompagnait. Dans le courant du même mois, ils tuaient le receveur des contributions de Mur, un courrier du général Jeny surpris entre Loudéac et Moncontour, 3 citoyens de Saint-Nicolas-du-Pélem, 4 de Lanrivain-Bothoa, 10 à 12 des environs de Rostrenen et enlevaient la caisse du percepteur de Saint-Caradec (Arch. nat. Flo III, Morbihan, 6. Copie des  comptes-rendus de situation du département... par le commissaire central, les 11 thermidor et 1 fructidor an VII). Le convoi d'argent avait été enlevé par la division Saint-Régent, les assassinats de Lanrivain, de Kergrist près de Rostrenen, de Saint-Nicolas-du-Pélem commis par la division Debarre (Arch. dép. Côtes-du-Nord, L, Registre... du commissariat..., op. cit. Lettre du 19 thermidor an VII)]. « La grande organisation reste cachée, elle se révélera au printemps, si la guerre renaît sur le continent » [Note : Les papiers trouvés sur le chef chouan Le Pape, dit Bel-Amour ou Tancrède, pris le 20 germinal an VII, prouvèrent que les chefs de la chouannerie correspondaient régulièrement avec la cour d'Edimbourg, qu'ils « calculaient sur la reprise générale des hostilités et comptaient faire coïncider les moyens de la chouannerie avec les efforts des armées ennemies » (Arch. dép. Côtes-du-Nord, L. Registre... commissariat ... Lettre du 16 messidor an VII, op. cit.)]. Il importe donc de savoir si les campagnards prendront part à la révolte. Le danger est grand. Il faut prendre des précautions militaires. « Le gouvernement doit presser les modifications qu'il a déjà demandées à la loi du 10 vendémiaire sur la responsabilité des communes », rendre les communes, qui n'auront pas pris les mesures prescrites, responsables des méfaits des brigands [Note : Elles l'étaient déjà : le 26 nivôse an VI par exemple, le tribunal civil du département condamnait la commune de Ploeuc à 600 francs de dommages et intérêts envers un volontaire, Pajot, blessé par les chouans le 30 brumaire précédent (Id. L. Extrait des délibérations du département... 5 ventôse an VI). La commune de Plévin, avait été de même condamnée à 1.200 francs de dommages et intérêts envers la veuve d'un sieur Couent, tué par les chouans et à lui payer en outre 285 francs volés au mort (Id., ibid. Lettre de Marie-Thérèse Couent au département des Côtes-du-Nord, an VI). — La loi du 10 vendémiaire an IV fut confirmée par un arrêté du Directoire du 14 brumaire an VII. Le département trouvait cette loi « peu efficace, sinon dangereuse, en ce que les amendes imposées atteignent les patriotes en même temps que les protecteurs des brigands ». Les ex-nobles, les parents d'émigrés, les prêtres réfractaires inciviques seuls devraient les supporter (Chassin, op. cit. p. 285)], prendre une prompte décision « sur la remise des peines à faire à ceux des complices qui dénonceraient les rassemblements, les dépôts d'armes... Si la guerre se renouvelle sur le continent, alors le gouvernement peut retirer un grand succès en proclamant l'amnistie qu'il n'a jamais appliquée d'une manière légale dans les départements de l'Ouest, la loi qui la prononce lui laissant la faculté d'en faire usage à sa volonté... » ; cette proclamation pourra retarder et même empêcher la révolte. D'autre part, puisque dans les rangs des chouans il y a des déserteurs, le gouvernement doit autoriser ses agents à « organiser pour ainsi dire une contre-désertion, des défections partielles ou générales parmi les déserteurs » [Note : Dans les bandes de chouans, il y avait de nombreux déserteurs. Presque tous les chouans tués à l'affaire de Plourach étaient des déserteurs de la marine, du 2ème régiment de chasseurs à cheval et de divers corps de la division (Chassin, op. cit. p. 345). En dehors des déserteurs, les chouans se recrutaient « surtout parmi les tailleurs, les garçons meuniers, les tisserands, les journaliers des campagnes et parmi les artisans des villes... » (Arch. nat. Flo III, Morbihan, 12, quelques observations sur la chouannerie dans le Morbihan, par Lemalliaud, membre du Corps législatif, nivôse an VIII). Les émigrés et les déserteurs ne s'entendaient pas toujours parfaitement ; en vendémiaire an IV, un transfuge déclarait : « Il existe une sorte de défection entre les déserteurs et les émigrés ; cinq des premiers ont été fusillés les jours derniers, un sixième qui devait éprouver le même sort est allé se rendre au cantonnement de Bécherel... » (Id., Côtes-du-Nord, 10, Compte décadaire... 2ème et 3ème décades de vendémiaire an IV)]. Il faut encore entrer en relations avec les chefs de l'ancienne chouannerie, les empêcher de se révolter à nouveau ; bien se garder de faire arrêter quelque chef marquant, ce serait effrayer tous les autres et les jeter dans la révolte. Il faut intéresser les campagnes au régime républicain, « tâcher surtout de leur faire faire de graves insultes au parti royaliste » ; pour surveiller chaque district, on pourra instituer des commissaires sûrs et éclairés, mettre à leur disposition des fonds pour l'espionnage ; on choisira « pour exercer cette surveillance des hommes d'un sens droit et d'intentions pures et non des visionnaires ou des exaspérés qui voient des chouans dans tous les citoyens des campagnes, qui ne connaissent de moyens que le sabre et qui repoussent ceux de la douceur et du prosélytisme... ». Si malgré tout, la guerre civile éclate, on n'aura plus qu'à recourir à l'armée et à agir avec vigueur [Note : Le gouvernement ne tint pas grand compte de cet avertissement. Il laissa les Côtes-du-Nord presque sans défense : 718 fusiliers seulement, presque tous conscrits, furent pendant longtemps la seule force proposée à la garde de l'intérieur et de près de 40 lieues de côtes ; dans les colonnes mobiles, on réussit à encadrer environ 600 hommes qui, à la fin de l'an VII, commencèrent « à faire un bon service » (Arch. nat., Flo III, Côtes-du-Nord, 10, Situation politique du département des Côtes-du-Nord, à l'époque du 20 fructidor an VIII..., op. cit., et, Arch. dép. Côtes-du-Nord, L, Registre... commissariat..., lettre du 16 messidor an VII, op. cit.). Aussi, quelques jours avant le coup d'état du 18 brumaire, dans la nuit du 4 au 5 brumaire an VIII, les chouans envahirent le chef-lieu du département lui-même et l'occupèrent pendant quelques heures ; 10 citoyens périrent cette nuit-là, dont Poulain-Corbion père, commissaire du gouvernement, près de la municipalité de Saint-Brieuc, auquel les chouans ordonnèrent de crier : « Vive le Roi » et qui répondit : « Vive la République » (Arch. dép. Côtes-du-Nord, L, ibid. Lettre du 8 frimaire an VIII). — Cf. aussi : Chassin, op. cit. pp. 404-406 et la brochure (in- 4°, 70 p.) publiée à Saint-Brieuc, en 1889, à l'occasion de l'inauguration du monument à Poulain-Corbion. Sous le Consulat, de nombreux pillages et assassinats succédèrent à l'affaire de Saint-Brieuc. Le général Hédouville, commandant la 13ème division militaire, accorda une suspension d'armes qui enhardit les rebelles. Ceux-ci tuèrent et pillèrent jusqu'à la fin de pluviôse. A cette époque, eut lieu un simulacre de remise d'armes : sur 6.000 fusils connus entre les mains des royalistes, 600 à peine furent rendus ; pourtant le calme se rétablit (Arch. nat. Flo III, Côtes-du-Nord, 10, Situation... du département... au 20 fructidor an VIII, op. cit.). L'organisation royaliste subsista et bientôt le gouvernement s'inquiéta : cf. la mission de Barbé-Marbois en Bretagne et la séance d'un conseil convoqué à Pontivy par Barbé-Marbois... composé du général Hédouville... et des préfets du Morbihan, du Finistère et des Côtes-du-Nord, tenu le 19 nivôse an IX (Arch. nat. Flo III, Ille-et-Vilaine, 7)].

(J. LETACONNOUX).

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