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LES BARONS DE BRETAGNE AU XIIIème siècle

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§ 1. — Avant Pierre de Dreux. (1201-1212).

Nous allons voir s'accuser, se développer de plus en plus eu Bretagne, au XIIIème siècle, le mouvement spontané, inconscient, des esprits, des mœurs, des choses plus que des hommes, déjà signalé par ailleurs, qui tendait à faire des barons du duc, non une classe à part, mais une sorte de collège aristocratique formant la tête de la noblesse, le conseil obligé du duc dans toutes les matières de quelque importance.

Ainsi, en 1201, les délégués du duc de Bretagne, chargés de faire exécuter dans le duché la sentence pontificale supprimant la métropole de Dol, ont pour instruction d'agir en cette matière par l'avis des évêques et « des autres grands personnages de Bretagne : ad consilium episcoporum et aliorum MAGNORUM VIRORUM de Britannia ». Et par ces grands personnages on entend certainement les barons, car les délégués déclarent, en vue de certaines difficultés, que s'il y a contestation, ils s'en remettront à l'avis de deux évêques et de deux barons de Bretagne : ad consilium duorum episcoporum et duorum BARONUM BRITANNIAE (Dom Morice, Preuves,T. I, 794-795).

La duchesse Constance, veuve du duc de Bretagne Geofroi II, mère et tutrice du duc Arthur Ier, étant morte en septembre 1201, le roi d'Angleterre, Jean sans Terre, dans l'idée que cette princesse lui avait transmis par testament la tutelle du jeune duc (qui était son neveu), adressa, le 30 janvier 1202, un message solennel aux barons de Bretagne pour demander l'exécution de ce testament. La pièce est courte, peu connue, et mérite d'être citée :

« Jean, roi d'Angleterre, aux barons de Bretagne salut. Nous vous mandons et vous prions de faire exécuter, conformément à ses sages dispositions, le testament de Constance, naguère duchesse de Bretagne, particulièrement en ce qui nous touche, comme vous y êtes tenus devant Dieu, sans laisser le seigneur Pape ni aucun autre se mêler de cette affaire » [Note : « Joannes Dei gratia etc. baronibus Britanniae, etc. salutem. Mandamus vobis rogantes quod testamentum Constantiae quondam comitissae Britanniae, sicut ipsa illud rationabililer condidit et secundum Dominum, teneri faciatis in his quae ad nos pertinent, ne dominus Papa vel alius ad hoc debcat manum apponere. Teste meipso apud Lich, trigesimo die Januarii anno Domini M. CC. II. » (Dom Morice, Preuves, T. I, 796, d’après Rymer)].

C'était reconnaître, dans le corps des barons de Bretagne, le dépositaire légitime et naturel du pouvoir ducal pendant la minorité du souverain. Aussi ne s'étonnera-t-on pas de voir le duc-régent, qui, grâce à Dieu, ne fut pas Jean sans Terre mais Gui de Thouars veuf de Constance, traiter les barons de Bretagne avec une distinction marquée, notamment dans un acte de 1205, relatif au déplacement des bâtiments conventuels de l'abbaye de Villeneuve (située au bord du lac de Grandlieu) : question importante et délicate, à cause de la sépulture de la duchesse Constance inhumée dans ce monastère. Aussi le duc a-t-il bien soin de dire qu'il agit en cette matière « avec l'assentiment et sur le conseil des évêques, des barons, des vavasseurs et de tous les autres hommes de Bretagne » : « Cum assensu et consilio episcoporum, baronum et vavassorum, et aliorum hominum nostrorum Britanniae ».

Ici, on le voit, distinction très nette entre les barons et les autres nobles réduits au nom de vavasseurs, c'est-à-dire de vassaux d'ordre et d'importance secondaire. Distinction encore plus accusée dans la souscription de la charte, où les témoins se trouvent ainsi désignés ; d'abord, quatre évêques et un abbé, puis ceux-ci : « Harscoët de Retz et Guillaume de Clisson, barons ; Guillaume de Rezé, chevalier, Gicquel de Guérande, Gautier de Pirmil et beaucoup d’autres » [Note : « Testes : domini Nannetensis, Venetensis, Redonensis, Maloviensis episcopi ; abbas de Buzeio ; Arcoildus de Radesiis et Wilelmus de Clizonio, barones ; et Wilelmus de Rezayo, miles, et Juquellus de Guerrandia et Gauterius de Pilemil, et alii quamplures » (Dom Morice, Preuves, T. I, 801, et Recueil d'actes inédits des ducs de Bretagne, n° 72, p. 137-138].

On voit ici le chemin parcouru depuis deux cents ans. Aux XIème et XIIème siècles, les personnages admis en une circonstance donnée et publique dans l'entourage du duc de Bretagne, étaient tous au même titre qualifiés barons. Ici on met soigneusement en tête les grands vassaux, auxquels est réservé le nom de barons, et l'on rejette au second plan les autres nobles, chose d’autant plus naturelle que tout récemment, entre 1202 et 1205, les barons de Bretagne venaient de signaler leur puissance, leur énergie, leur vaillance par un grand coup.

Jean sans Terre, roi d'Angleterre, cloaque de tous vices, de tous crimes et de toutes lâchetés, après avoir en trahison pris son neveu Arthur, duc de Bretagne à peine âgé de dix-sept ans, n'ayant pu trouver personne ni Français ni Anglais pour commettre le crime, le tua lui-même avec une hideuse férocité le 3 avril 1203. A cette nouvelle toute la Bretagne se leva indignée, les barons en tête, Voici comme, d'après une chronique contemporaine aujourd'hui perdue, notre vieil historien Pierre Le Baud peint cette explosion :

« Quand les evesques, les barons et le peuple de Bretagne furent acertenez de la mort de leur duc Artur et comment le mauvais roi Jean son oncle l'avait ainsi cruellement meurdri, ils furent doloreux oultre mesure, car ils avoient en lui toute espérance, et s'assemblèrent dans la cité de Vennes pour délibérer des affaires du païs : car celui roi Jean avoit entre les mains Aliéonor sa nièce, fille du duc Gefroi son frère et de la duchesse Constance, laquelle Aliénor estoit sœur germaine dudit Artur et lui devoit par droict succeder, et requéroit jà ledit roi Jean, sous couleur de la garde (Tutelle) d’elle comme prouche parent, avoir le gouvernement du païs. Mais les Bretons l'en refusèrent.

Et convindrent (s'assemblèrent) en la cité de Vennes Gui de Thouars, qui lors gouvernoit la duché de Bretagne pour Alix sa fille, Allain le fils du comte Henri, lequel (Allain) tenoit lors Penthièvre, Treguer et Goëllo, avec ses deux frères Estienne et Conan. Aussi y convindrent :

1) Guiomar et Hervé, vicomtes de Léon,

2) Conan et Soliman de Léon,

3) André, sire de Vitré,

4) Guillaume, sire de Fougères,

5) Jean de Dol (sire de Combour) et Jodoin son fils,

6) Olivier, vicomte de Rohan, et ses frères,

7) Juhaël, sire de Mayenne [Note : Sire de Dinan par sa femme Gervaise de Dinan],

8) Gefroi, sire de Chasteaubriant,

9) Guillaume, sire de Derval,

10) Gefroi, sire d'Ancenis,

11) Allain, sire de Chasteaugiron,

12) Jacques et Galeran ses fils,

13) Allain, sire de Rochefort,

14) Olivier de Dinan,

15) Harscoit, sire de Rais,

16) Garsuire son fils,

17) Raoul, sire de Montfort,

18) Pierre, sire de Lohéac,

19) Rolland, sire de Rieux,

20) Gefroi, sire de Pouencé (et de la Guerche),

21) Jean, sire de Montauhan,

22) Allain, sire de la Roche-Bernard,

23) Estienne, sire de Pontchasteau,

24) Bonabes, sire de Rougé,

25) Foulques Painel, sire d'Aubigné,

26) Olivier, sire de Coëtquen,

27) Brient Le Bœuf (sire de Nozai),

28) Hervé de Blain, vicomte de Donge,

29) Hervé de Beaumanoir et Gefroi son fils,

30) Aimeri, sire de Machecoul,

31) Péan, sire de Malestroit,

32) Soudan du Fou,

33), 34) Hervé et Even du Pont (l'Abbé),

35) Goranton de Vitré,

36) Allain, sire d'Acigné,

37) Hervé, sire de Joué,

38) Guillaume, seneschal de Rennes,

39) Henri, seneschal de Cornouaille

Et une multitude d’autres.

Lesdits barons de Bretagne, continue Le Baud, poursuivans à avoir vengeance du roi Jean, le firent appeller à droict par devant le roi Philippe (Auguste) son souverain, en la cour des pairs de France ; fut fait son procès solennellement et donné contre lui arrest, par lequel fut dit et déclaré que, pour son crime de parricide, toutes les seigneuries qu'il tenoit du roi Philippe estoient et seroient confisqués à la couronne de France » (Le Baud, Histoire de Bretagne, p. 209, 210).

Quelques mois après, cette juste sentence était exécutée ; Jean sans Terre avait perdu d'un coup la Normandie, le Maine, l'Anjou, le Poitou, etc. Dans cette terrible exécution les barons de Bretagne s'étaient montrés au premier rang, et pour début de leur campagne avaient pris (?) et incendié l'inexpugnable forteresse du Mont Saint-Michel.

La liste des barons de Bretagne donnée en cette circonstance par Le Baud peut contenir des erreurs de détail pour quelques prénoms. Dans l'ensemble elle n’est pas contestable et elle a un caractère très accentué : elle ne comprend que des grands feudataires et les comprend presque tous. Sauf trois (Porhoët, l'Argouët, Clisson), toutes les grandes seigneuries de Bretagne sont là représentées, soit par leurs titulaires, soit par des gens de leur famille.

Ce sont d'abord les comtés et vicomtés :

Comtés : Penthièvre, Tréguer, Goëllo.

Vicomtés : Léon (n° 1 et 2), Rohan (n° 6), Donge (n° 28), Le Fou (n° 32).

Les neuf baronnies dites anciennes sont là presque au complet, savoir :

Vitré (n° 3 et 35),

Fougères (n° 4),

Châteaubriant (n° 8),

Retz (n° 15 et 16),

La Roche-Bernard (n° 22),

Ancenis (n° 10),

Pontchâteau (n°23),

Pont-l'Abbé (n° 33).

Lanvaux seul manque, mais c'était, je l'ai dit, une très petite seigneurie, et qui peut-être même à cette date n'existait pas encore. En revanche, à côté de ces huit vénérables, en voici une quinzaine, qui pour la plupart ne le leur cèdent ni en antiquité ni en importance, à savoir :

Combour (n° 5),

Dinan (n° 7 et 14),

Derval (n° 9),

Châteaugiron (n° 11 et 12),

Rochefort (n° 13),

Montfort (n° 17),

Lohéac (n° 18),

Rieux (n° 19),

La Guerche (n° 20),

Montauban (n° 21),

Aubigné (n° 25),

Nozai (n° 27),

Blain (n° 28),

Beaumanoir (n° 29),

Malestroit (n° 31),

Joué (n° 37).

On y trouve même quelques vassaux ou juveigneurs des grandes seigneuries ci-dessus, qui tenaient aussi quelques fiefs du duc, comme :

Rougé, sous Châteaubriant (n° 24),

Coëtquen, sous Dinan (n° 26),

Machecoul, sous Retz (n° 30),

Acigné, sous Vitré (n° 36).

Le Baud nous donne ici une liste à peu près complète des barons de Bretagne au commencement du XIIIème siècle, c'est-à-dire des principaux feudataires formant la tête de l'aristocratie féodale bretonne et le grand conseil du duc. C'est à eux (car Gui de Thouars n'avait nulle initiative), c’est à leur patriotisme vibrant, à leur résolution énergique que l'on dut la poursuite instantanée, foudroyante de Jean sans Terre devant le roi de France, qui amena immédiatement le châtiment et la ruine du monstre.

Mais les barons assemblés à Vannes en avril 1203 prirent une mesure plus grave encore peut-être et plus importante pour l'avenir de la Bretagne. A ce moment, et après la mort d'Arthur, il restait quatre filles de la duchesse Constance : l'aînée appelée Aliénor, sœur d'Arthur, fille du duc Geofroi II, née par conséquent avant 1187 ; trois filles de Gui de Thouars, Alix, Catherine et Marguerite. L'ordre de primogéniture appelait au trône de Bretagne Aliénor ; mais elle était entre les mains de Jean sans Terre, par elle ce misérable essaierait de régner sur la Bretagne. Les barons écartèrent du trône ducal Aliénor et y appelèrent Alix. Les barons de Bretagne, cette fois, disposèrent donc souverainement de la souveraineté.

Dans la crise périlleuse que traversait alors la Bretagne, Jean sans Terre leur avait reconnu ce pouvoir dès 1202, en leur demandant l'exécution du testament de la duchesse Constance. Il le reconnut de nouveau en 1208, quand par son ordre sa nièce Aliénor, qui se disait duchesse de Bretagne, invita les barons à envoyer une députation en Angleterre pour s’entendre avec son oncle (Dom Morice, Preuves, T. I, 811-812). Ce qu'ils n'eurent garde de faire, car leur plus vif désir était d'avoir à leur tête une dynastie vraiment nationale, et l'année suivante (1209), par un traité conclu à Paris en présence et avec l'assentiment du roi de France, Gui de Thouars assura la main de sa fille Alix, l'héritière de Bretagne, au jeune comte Henri de Penthièvre, encore mineur, fils du comte Alain qui réunissait alors dans sa main tout l'apanage de Penthièvre, c'est-à-dire les comtés de Penthièvre, de Tréguer et de Goëllo. Le consentement des barons n'est pas mentionné explicitement dans cet acte, mais il est certain qu'on avait eu soin de s'en assurer ; car une des dispositions de ce traité en remet l'exécution complètement en leur pouvoir : il y est dit en effet que, jusqu'à la majorité du jeune Henri et même jusqu'au moment où il sera armé chevalier, la garde des châteaux et des forteresses ducales de Bretagne restera entre les mains des barons [Note : « Ita tamen quod castella et munitiones (Britanniae) tradentur in manibus fidelium baronum Britanniae, donec Henricus sit miles, cui tunc in pace tradentur » (Dom Morice, Preuves, T.  I, 813)]. Qui tient les forteresses d’un pays est maître du pays, de ses destinées, et peut donner le trône à qui il veut. On voit par là à quelle puissance, à quel grand rôle politique étaient montés à ce moment les barons de Bretagne.

 

§ 2. — Sous le duc Pierre de Dreux. (1213-1237).

Malheureusement, ce mariage si désirable ne s'accomplit pas. Philippe-Auguste mal inspiré préféra donner la main d'Alix et le duché de Bretagne à un prince de la maison royale de France, Pierre de Dreux (en 1213). Celui-ci, comme tous les Capétiens, possédé de la passion d'agrandir son pouvoir personnel, usa son énergie peu commune et ses brillantes facultés dans une lutte perpétuelle contre les pouvoirs qui bornaient le sien, notamment, les barons, le clergé, la royauté. Les barons reçurent ses premiers coups ; mais bientôt, sentant lui-même le besoin de les avoir pour auxiliaires dans sa lutte violente contre le clergé, il affecta de les ménager.

En 1225, quand il fonda dans la forêt de Rennes le château et la ville de Saint-Aubin du Cormier — situation stratégique fort bien choisie pour défendre la frontière, — il convoqua les barons à Nantes en assemblée solennelle pour confirmer et augmenter les franchises de cette nouvelle ville. Dans la charte de fondation figurent les noms d’une soixantaine de seigneurs et, comme aux Etats de Vannes 1203, tous ceux qu'on peut reconnaître sont ou des possesseurs de grandes terres ou des gens de leurs familles. Sans reproduire la nomenclature originale, qu'on peut lire dans l'acte latin (Dom Morice, Preuves, T. I, 854), nous allons indiquer les seigneuries qui y sont représentées. Ce sera à peu de chose près, la répétition de la liste de 1203. On n’y trouve plus, il est vrai, les comtés de Penthièvre ni de Tréguer, que Pierre de Dreux avait confisqué à son profit ; mais on y rencontre encore celui de :

1) Goëllo, représenté par le nom d'Avaugour.

El les vicomtés de :

2) Léon,

3) Rohan,

4) Donge,

5) Le Fou.

Puis sept des baronnies dites anciennes :

6) Vitré,

7) Châteaubriand,

8) Retz,

9) La Roche-Bernard,

10) Ancenis,

11) Pontchâteau,

12) Pont-l'Abbé.

Avec Léon et Avaugour, cela fait neuf ; manquent Fougères et toujours Lanvaux, ce prétendu doyen des barons qu'on ne voit figurer nulle part. Mêlées à ces « anciennes », tout à fait sur le même rang, on trouve dans cette liste une quinzaine d'autres seigneuries aussi importantes, et pour la plupart aussi anciennes :

13) La Guerche,

14) Châteaugiron,

15) Aubigné,

16) Combour,

17) Dinan,

18) Tinténiac,

19) Montfort,

20) Lohéac,

21) Derval,

22) Nozai,

23) Blain,

24) Montauban,

25) Malestroit,

26) La Hunaudaie,

27) Minibriac,

28) Joué,

29) Coiron,

30) Saint-Gilles,

31) Melesse.

Les trois dernières terres, quoique moins considérables que les autres, sont encore des fiefs directs, tenus du duc in capite. Mais cette assemblée de 1225 renfermait aussi, comme celle de 1203 et dans les mêmes conditions, quelques tenanciers d'arrière-fiefs, à savoir :

32) Coëtquen, sous la seigneurie de Dinan,

33) Beaufort sous la seigneurie de Dinan,

34) Acigné, sous la seigneurie de Vitré,

35) Cornillé, sous la seigneurie de Vitré,

36) Rougé, sous Châteaubriant,

37) Orange, sous Fougères.

On le voit, c'est, à quelques noms près, tout le même baronage qu'en 1203.

En 1227, Pierre de Dreux convoqua les barons à Redon, pour les faire jurer une ligue contre le clergé (Dom Morice, Preuves, T. I, 861). Mais bientôt il recommença à empiéter sur leurs droits. Aussi, en 1230, quand saint Louis entra en Bretagne avec son armée pour châtier les félonies de ce duc contre la couronne ; quand, sous les murs d'Ancenis, la cour des pairs eut déclaré ce prince déchu du bail de Bretagne, c'est-à-dire du gouvernement de ce duché pour son fils mineur, saint Louis n'hésita point à adresser aux barons de Bretagne un véritable manifeste ainsi conçu :

« Louis, par la grâce de Dieu roi de France, à tous les barons de Bretagne salut et affection. Nous voulons vous faire savoir que, en notre présence, les prélats, les barons et les autres chevaliers de France qui nous accompagnent ont, à l'unanimité, en raison des forfaits commis par lui contre nous, condamné Pierre de Dreux, naguère duc de Bretagne, à perdre par jugement le bail de ce duché ; ils ont jugé aussi que les barons de Bretagne et tous autres qui lui avaient juré fidélité sont relevés de leur serment, de leur hommage, et ne sont plus tenus de lui obéir en raison de ce bail.

Aussi, comme vous et vos devanciers avez toujours témoigné pour le royaume de France et pour son honneur un grand attachement et une sincère affection, nous vous mandons, vous requérons, et vous prions de vous joindre à nous comme vous y êtes tenus, et de faire pour nous tout ce que vous devez faire, du moment où vous vous trouvez déliés de la foi et de l’hommage prêté à Pierre de Dreux. Sachez au reste que si vous vous portez envers nous comme il convient et comme l'exige votre devoir, nous agirons envers vous de telle sorte que vous aurez fort à vous en louer. Fait au camp devant Ancenis, l'an 1230, au mois de juin » (Voir le texte latin de cette pièce dans notre Recueil d'actes inédits des ducs de Bretagne, p. 173 n° 103).

Ce manifeste, dont l'effet répondit pleinement à l'attente de saint Louis, montre quelle était à ses yeux l'importance politique des barons de Bretagne.

Quant au duc Pierre (dont je n’ai point à faire ici l'histoire), il parvint à se maintenir tellement quellement jusqu’en 1237 dans le gouvernement de la Bretagne ; mais les dernières années de son règne virent s'effondrer en grande partie l'œuvre d’accroissement du pouvoir ducal poursuivie par lui avec tant de passion et souvent tant de violence. Ainsi, en 1235, au cœur de ses Etats, à Saint-Brieuc, s'édifia sous l’autorité du roi de France une enquête solennelle ayant pour but de constater les violences, les usurpations commises par le duc contre les barons de Bretagne, et de rétablir ceux-ci dans tous leurs droits. Cette enquête nous fait connaître les principaux privilèges afférents aux barons et à leurs terres, et qui les distinguaient des autres gentilshommes. Notons seulement les trois principaux :

1° Le droit de haute et pleine justice, que l'on appelait le placitum spadae. la justice du glaive, comprenant toute la juridiction criminelle jusque et y compris la peine de mort ;

2° Le droit d'établir sur leurs terres des châteaux, des villes murées, toutes sortes de forteresses sans autorisation du duc ;

3° Le droit de lagan ou de bris, consistant à s'approprier toutes les épaves jetées par la mer sur les côtes de leurs seigneuries et même tous les navires naufragés avec les biens qu’ils contenaient.

Pierre de Dreux avait voulu confisquer à son profit les deux derniers droits et restreindre beaucoup le premier. Mais le résultat de l'enquête remit les choses dans l'ancien état.

 

§ 3. — Successeurs de Pierre de Dreux. (1237-1305).

Après le long et violent orage du règne de Pierre de Dreux, il se fit en Bretagne une grande paix, un grand silence, une longue accalmie qui dura plus d'un siècle, de 1237 à 1341.

Le fils de Pierre de Dreux, le duc Jean le Roux, qui régna cinquante ans (1237-1286), guerroya peu ses barons et ne les attaqua pas de front. Mais il leur cherchait chicanes sur chicanes, les ruinait ou les aidait à se ruiner et achetait leurs terres. Cette politique, suivie par ses trois successeurs (1286 à 1341), leur réussit fort bien, augmenta fort leur puissance, affaiblit d'autant celle des barons, dont ces princes annulèrent autant que possible l'importance politique en s'abstenant le plus possible de les réunir et de les consulter. Aussi trouvons-nous pour leur histoire, dans tout ce siècle, peu de traits caractéristiques.

Sous Jean le Roux on n'en peut guère noter que deux. En Bretagne, depuis les dernières années du règne de Pierre de Dreux, l'affreuse usure des Juifs avait excité un soulèvement universel. En 1236, on en avait fait quelques massacres ; l'indignation continuant, on pouvait craindre un renouvellement de ces excès. Ce fut donc à la fois pour sauver ces malheureux et pour satisfaire les ressentiments de ses sujets que le duc Jean le Roux, par une ordonnance du 10 avril 1240, les bannit tous de ses Etats sous peine de mort [Note : La peine de mort n’est pas prononcée juridiquement ; mais l'impunité est assurée en Bretagne aux meurtriers des Juifs], en abolissant toutes les créances qu'ils avaient sur des chrétiens [Note : « Universis presenses litteras inspecturis Johannes dux Britannie, comes Richemondie, salutem. Noveritis quod nos, ad peticionem episcoporum, abbatum, BARONUM ac vassallorum Britannie, et pensata utilitate tocius terre, eicimus omnes Judeos de Britannia... » (Dom Morice, Preuves, T. I, 914)]. Cette ordonnance fut rendue à Ploërmel, dans une assemblée dite « Parlement général », et qu’on appela plus tard les Etats, mais où entraient seulement alors les deux premiers ordres. Le duc a bien soin de déclarer que cette mesure fut prise « sur la requête des évêques, des abbés, des barons et des vassaux de Bretagne », c'est-à-dire de tout le clergé et de toute la noblesse, dans laquelle toutefois les barons sont, comme on le voit, soigneusement distingués des autres gentilshommes.

L'une des usurpations de Pierre de Dreux les plus insupportables aux Bretons, c'était sa prétention d'exercer la tutelle de ses vassaux mineurs et de jouir de leur fief jusqu’à leur majorité. On appelait cela le droit de bail et de garde, et cet abus continuait de soulever d'énergiques résistances. Jean le Roux, par une ordonnance datée de janvier 1276 (nouveau style), y renonça sous la condition qu'à la mort de tout vassal — l'héritier étant mineur ou non — le suzerain aurait toujours pendant un an la jouissance du fief de son vassal décédé : c’est ce qu’on nomma le droit de rachat. Celle ordonnance ne semble pas avoir été rendue en Parlement général ; mais le duc demanda aux barons de l'approuver par l'apposition de leurs sceaux. Ceux qui ont scellé cette pièce sont :

« 1) Girard Chaboz, seignor de Rays,

2) Olivier, seignor de Cliçon,

3) Geufrey, seignor d'Anceniz,

4) Galeran de Chasteaugyron,

5) Guillaume, seignor de Roichefort, viconte de Donge,

6) Olivier de Rogé (Rougé),

7) Bonabes, seignor de Derval,

8) Olivier de Machecol,

9) Brient Le Buef (sgr de Nozai),

10) Geufrey de Syon,

11) Guillaume de Derval,

12) Eon de la Roche (-Bernard),

13) Hervé de Léon, seignor de Chasteauneuf,

14) Paien, seignor de Malestroit,

15) Pierre, seignor de Rostrenen » (Dom Morice, Preuves, T. I, 1038-1039).

Un fait à noter, c’est le nombre relativement faible des barons qui scellent cet acte, très faible surtout si on le compare au nombre des deux dernières assemblées de barons dont nous avons parlé, en 1225 et en 1203. Ici commence à percer une tendance, qui se développera bientôt davantage, visant à restreindre de plus en plus le nombre des barons, à transformer ce bataillon d'élite de la noblesse bretonne en un simple état-major formé de quelques chefs, tendance qui aboutira enfin à l'institution des « neuf baronies anciennes ». — Mais nous n'y sommes pas encore, car ici, de ces neuf « anciennes », deux seulement, Retz et Ancenis, sont représentées ; les autres dont il est cas n’ont jamais fait partie des « anciennes » — quoique en réalité tout aussi vieilles.

Du règne de Jean II, duc de Bretagne (1286 à 1305), fils de Jean le Roux, il nous reste un document qui semblerait propre à nous renseigner sur la liste des seigneurs considérés a la fin du XIIIème siècle comme barons de Bretagne.

C'est ce qu'on appelle le Livre des Ostz du duc Jean II, c'est-à-dire le rôle des vassaux qui relevaient immédiatement du duc dans toute la Bretagne et du service militaire, ou service d'ost [Note : Du mot hostis, qui au moyen-âge signifiait armée, expédition de guerre, service militaire. Les ostz sont le pluriel d'ost, c'est-à-dire, les services militaires dus au duc Jean II], qui lui était dû par chacun d'eux, en l'an 1294 Au début de cette étude, nous avons dit que dans le principe, et d'après la théorie féodale, les barons du duc de Bretagne ou de tout autre suzerain, c’étaient les vassaux qui tenaient de lui leur fief in capite, c'est-à-dire immédiatement. D'après cela, le rôle des vassaux fourni par le Livre des Ostz devrait être précisément la liste des barons de Bretagne. Mais, outre que ce rôle n’est pas complet, les choses ou plutôt les mots et leur signification avaient fort varié, en cette matière, du commencement du XIème à la fin du XIIIème siècle. Pour s'en convaincre, il suffit de lire le préambule du Livre des Ostz, ainsi conçu : « Comme Monseigneur Jehan de Bretaigne, conte de Richemont, eust semonz ses ostz à Ploërmel au jour de jeudi après la mi-aoust qui fut l’an de grâce M. CC. LXXXX. IV, ce sont les recongnoissances que ses barons et ses autres genz li firent combien ils li dévoient d’ost » etc. (Dom Morice, Preuves, T. I, col. 1110).

Tous ceux qui doivent le service d'ost au duc de Bretagne sont forcément ses vassaux in capite ; donc, suivant la théorie du XIème siècle, tous les vassaux qui reconnaissent, dans le Livre des Ostz, lui devoir ce service seraient les barons du duc. Cependant le préambule officiel de ce document fait une distinction formelle : dans ce rôle du Livre des Ostz il y a les barons du duc, mais il y a aussi « ses autres genz ». Donc, dans l'usage de ce temps, le sens du mot baron n’est plus le même qu'au XIème siècle ; il est beaucoup plus restreint et ne s'applique plus qu'aux principaux feudataires formant, comme je l'ai déjà dit, l'élite, le premier rang de la noblesse. Le nombre, la composition de ce premier rang sont encore très indéterminés. Quoiqu'il tende à se restreindre, il comprend encore très certainement bien plus de neuf feudataires. Mais le Livre des Ostz a complètement omis d'indiquer, parmi les vassaux du duc, lesquels sont ses barons et lesquels ses autres genz. A ce point de vue on n’en peut rien tirer (A. de La Borderie).

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