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BREST ET LE FINISTÈRE sous LA TERREUR

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Action des Représentants et de la Commission administrative. — Hésitations et divisions intestines. — Création définitive du Tribunal révolutionnaire. — Exécution des officiers De Rougemont, Le Dall-Keréon et Montécler.

Revenons aux hommes qui, plus haut placés que les comités et les administrations locales, avaient toute la pensée de ces mesures et de ces énormités, et après être resté quelque temps dans les détours obscurs des clubs et des commissions locales, où toutes les dispositions combinées ailleurs ne faisaient que recevoir leur exécution, pénétrons chez les Représentants eux-mêmes, et sachons ce qu'ils voulaient, ce qu'ils pensaient.

Mais pour être exact et juste envers ceux mêmes qu'on peut juger sévèrement sans sortir des bornes d'une loyale indulgence, disons que, vers cette époque, c'est-à-dire dans le courant de Frimaire, Brest et le Finistère, comme le reste de la Bretagne, furent inopinément très alarmés du mouvement des armées vendéennes vers la Normandie, et que la défaite des Républicains à Pontorson, jointe à l'épuisement absolu du pays en hommes et en matériel de toute espèce, jeta les clubs et les partisans de la Montagne dans un état d'excitation plus difficile à décrire qu'à comprendre. Jean-Bon Saint-André et Prieur de la Marne, partirent subitement de Brest (Frimaire, an II) pour marcher à la rencontre des Vendéens, en se dirigeant sur le Morbihan et les Côtes-du-Nord. Tout ce qui était disponible, tout ce qui pouvait être utilisé, hommes, chevaux, charrettes, grains, cuirs, étoffes, toiles, habits, souliers, fers, linge, médicaments, tout fut requis et enlevé pour le service de l'armée. Sur les derrières ou confondus avec la troupe, marchèrent les hommes qui se mirent en mouvement à la suite de Tribout et de Rossignol, armés de faulx, de piques, de pieux et des armes que l'on était parvenu à trouver chez les particuliers et dans les maisons des émigrés. (On peut voir ailleurs ce que nous avons dit de cette campagne).

C'est dans ces circonstances, que Bréard, resté seul à Brest, commença ce mouvement de compression et de terreur que ses collègues lui conseillaient à chaque dépêche ; que le Comité de Salut public lui recommandait en envoyant Jullien sur les lieux, et que les clubs et les comités réclamaient à grands cris par des lettres et des délibérations où l'on disait : — « Qu'il fallait que les traîtres disparussent de la terre pour que l'ordre régnât…. Qu'il fallait que les Fédéralistes, ces faux frères qui avaient entravé la Constitution, fussent frappés de nullité… ». A quoi Bréard répondait, en multipliant ses émissaires près des clubs et des comités. Ecrivant à son collègue Jean-Bon Saint-André, il lui disait : — « Que Jullien allait bien ; que Carrier était un bon bougre ; mais que Rennes ne marchait pas, et qu'il espérait que Prieur le pousserait ».

« Du reste, ajoutait-a dans une dépêche du 11 Frimaire, j'ai organisé trois commissions ambulantes qui parcourent tous les cantons. Les membres de ces commissions m'ont été fournis par la Société révolutionnaire de Brest ».

Pour compléter ces mesures, il ne laissait pas d'ailleurs que d'agir activement, et plusieurs pièces, que nous avons sous les yeux, nous apprennent que c'est le moment où, tirant parti de ces bons patriotes qui entraient jusques dans le sein des familles, lui et ses collègues multiplièrent les arrestations qui allaient bientôt motiver la création du Tribunal révolutionnaire. C'est aussi le moment où les anciens membres du département, décrétés le 19 Juillet, furent définitivement réunis dans les prisons de Landerneau, de Carhaix et de Morlaix ; c'est le moment où les Conen de Saint-Luc, qui eurent jusqu'à trois membres de leur famille de sacrifiés, furent définitivement écroués dans les prisons de Paris, après que tous leurs papiers, au nombre de deux cent quatre-vingt-quatre pièces, eussent été saisis et adressés à l'accusateur public Fouquier-Tinville [Note : La correspondance du parquet du Tribunal révolutionnaire de Brest avec celui du Tribunal révolutionnaire de Paris, nous apprend que, le 1er Thermidor an II, ce dernier tribunal condamna et fit exécuter, à Paris, Victoire Conen de Saint-Luc, née à Rennes, âgée de 33 ans ; — Gilles-René Conen de Saint-Luc, né à Rennes, âgé de 75 ans, ancien conseiller au Parlement, — et sa femme Amélie-Laurence-Céleste Dubois, née à Quimper, âgée de 53 ans ; — plus, Aimé-Marie Alour de Saint-Alouarn, né à Quimper, âgé de 28 ans ; — Françoise Laroque, âgée de 30 ans, née à Quimper, — et Floride Laroque, âgée de 33 ans, née à Quimper. Voilà pour la journée du 1er Thermidor an II. Le 6 Nivôse de la même année, deux membres de la même famille, Alexandre-Marie Laroque Trémaria, médecin, âgé de 42 ans, natif de Quimper, — et Victor-Hyacinthe Laroque Trémaria, officier de marine, âgé de 30 ans, également de Quimper, avaient été condamnés et exécutés par jugement du même Tribunal. Un autre jugement du 2 Messidor an II, atteignit et frappa de la peine de mort, Marie-Philippe L'Ollivier, femme Saint-Pern, née à Trégavan et âgée de 70 ans. Un autre jugement du 6 conduisit également sur l'échafaud trois aides-cultivaleurs de la commune de Bannalec : — Thomas Andres, âgé de 29 ans, — Corentin Péron, âgé de 28 ans, — et Mathieu Toupin, âgé de 26 ans. Le 29 Prairial, ce fut le tour de Charles Moret, jeune homme de 25 ans, boucher à Brest, — et de Christophe Fustin, âgé de 26 ans, élève entrepreneur dans la même ville. Enfin, je trouve, le 17 Messidor, une dernière exécution à laquelle succomba Claude Le Foll, maréchal-ferrant, âgé de 28 ans, né a Landerneau. Voila ce que la correspondance de Donzé-Verteuil avec Fouquier-Tinville nous a appris sur les exécutions qui concernent le Finistère ; mais bien d'autres eurent lieu que nous ne mentionnons pas].

C'est le moment où les Coatanscours de Kerjean furent détenus ; le moment où Raby et Belval, passant pour avoir été les affidés des Girondins et de l'ancien département, furent désignés pour tomber bientôt sous le coup de la hache révolutionnaire ; c'est le moment où Scanvic, le pauvre capitaine de la barque qui avait favorisé l'embarquement et la fuite des députés girondins, fut également écroué ; c'est le moment où le lieutenant Bergevin, commandant la corvette la Vigilante, chargée d'intercepter le passage de Guadet et de Pétion, fut également saisi et détenu ; c'est le moment où Thévenard, commandant d'armes au port de Brest, Billard premier chirurgien de la marine, et Le Bronsort, juge du tribunal de commerce de Brest, furent aussi saisis sur la dénonciation d'une commission militaire, qui dit avoir appris de la bouche d'un Chouan au moment de mourir, qu'ils trahissaient la République et livraient ses secrets ; — enfin, c'est le moment où les prêtres insermentés furent de nouveau recherchés et jetés dans les prisons, les uns au Château de Brest, pour passer plus tard au Tribunal révolutionnaire ; les autres aux Capucins de Landerneau, pour être dirigés sur Rochefort et déportés.

Quant aux plaintes et aux réclamations que ces pauvres détenus pouvaient avoir à faire, et que d'après la hiérarchie ils devaient adresser aux Comités révolutionnaires, nous trouvons un de ces Comités qui leur fait répondre par un de ses membres, que jusqu'au moment où les Représentants pourront eux-mêmes les entendre, il est inutile qu'ils se fatiguent l'esprit à leur citer les lois et les règlements qui sont désormais sans objet.

Quelque circonstance venait-elle d'ailleurs à émouvoir la population ou à la surexciter, les Représentants prescrivaient aussitôt les plus minutieuses recherches, et, à leur suite, les visites domiciliaires. Il suffisait pour cela d'un navire arrivant en rade et ayant débarqué quelques personnes réputées suspectes, des Américains et des neutres qu'on supposait avoir été en relations aux Etats-Unis ou ailleurs avec les émigrés ou des Français mal notés. — L'arrivée des réfugiés de la Martinique ou de l'Acadie, après la prise de ces colonies par les Anglais, donnèrent lieu à la fréquente répétition de ces mesures, et quel caractère n'avaient-elles pas ? — Un arrêté des Représentants, faisant fermer le port et les portes, décidait, le soir, que le lendemain la générale serait battue à cinq heures du matin (cela avait lieu même en hiver) ; que chacun étant à son poste, des sentinelles seraient placées dans toutes les rues à cinq pas de distance les unes des autres ; que ces sentinelles arrêteraient toutes les personnes qui sortiraient de chez elles ou qui essaieraient de communiquer entr'elles ; que l'appel serait fait dans toutes les compagnies, et que, dès ce moment, les Commissaires préposés aux visites, assistés d'un membre de la municipalité, du district ou du comité révolutionnaire, procéderaient à leurs opérations, et que toute personne arrêtée serait conduite à la Salle de la Société populaire, rue de Siam, pour le côté de Brest, et au Temple de la Raison (ancienne église Saint-Sauveur), pour le côté de Recouvrance.

Une délibération du Comité révolutionnaire de Brest à l'occasion de l'une de ces journées, s'exprime ainsi :

« Suivant les rapports qui nous ont été faits, la visite, qui avait été commandée par les Représentants, s'est exécutée avec ordre et exactitude. Nous avons apposé les scellés sur plusieurs magasins que nous n'avons pas eu le temps de vérifier ; — nous avons fait conduire dans un dépôt tous les hommes qui nous ont paru suspects ; nous avons nommé une commission pour les interroger, et au decadi prochain, nous constaterons le résultat de nos recherches ».

A ces mesures tout exceptionnelles, il en était une de règle courante et ordinaire, c'est que le commandant de la place pouvait faire toutes les visites domiciliaires qu'il jugeait convenables, sans avis préalable. (Arrêté du 4 Pluviôse an II).

Et cependant tant de zèle, tant d'empressement ne parvenaient pas à satisfaire les impatients, et le registre de correspondance de la commission administrative provisoire du département nous apprend que, vers le mois de Frimaire, au moment où le gouvernement révolutionnaire allait être appliqué à toute la France, en vertu de la loi du 14 de ce mois, il s'éleva au sein des clubs, comme des administrations les plus prononcées du département, des doutes sur l'énergie de Bréard un instant resté seul à Brest, pendant que ses collègues Tréhouart, Prieur et Jean-Bon Saint-André couraient vers la haute Bretagne pour faire tête aux Vendéens. — Ces doutes et ces impatiences sont exposés tout au long dans la correspondance dont nous parlons.

C'est la commission administrative qui s'adresse d'abord au Représentant, et qui au lieu de le traiter de Montagnard et de très cher Sans-Culotte, comme elle l'avait fait dans ses premières missives, ne l'appelle plus que Républicain représentant.

« Nous voulons t'apprendre, lui disent-ils, à la date du 17 Frimaire an II, qu'après avoir arraché le masque dont se couvrait un fripon aussi fameux par son exagération que par ses brigandages (Du Couëdic, le procureur-général syndic de la commission administrative) ; qu'en faisant une guerre ouverte à tous les désorganisateurs de son espèce, nous ne sommes pas plus disposés à composer avec la tourbe fédéraliste qui nous avait poussés sur le bord du précipice.

Nous te dénonçons l'effrayante rapidité avec laquelle cette ligue hypocrite sort du néant où les premiers éclats partis de la foudre vengeresse de la Montagne les avait précipités. Ils ne disent plus, comme autrefois, marchons en masse contre la Montagne, mais ils marchent en silence. L'indulgence et l'impunité, la faveur même qu'ils ont surprise à des hommes qui ne les ont pas connus dans leur rébellion, qui ne les suivent pas dans leurs intrigues, les enhardissent à remonter sur l'horizon politique ; quelques-uns des plus coupables se poussent vers les fonctions publiques, se jettent en foule dans les sociétés populaires, mendient et entrainent de nouveau la faveur par l'étalage imposteur et menasonger des prétendues vertus qui divisèrent les Roland et les Pétion.

Représentant, nous ne prétendons pas confondre et poursuivre, avec les chefs de cette horde fédérante, ces hommes simples et de bonne foi qui croient servir la cause de la liberté en servant celle des conspirateurs ; mais nous sommes effrayés du court intervalle qu'ils mettent entre leur repentir et leur nouvelle prospérité.

Nous pensons qu'il est de la dernière importance de tenir encore la foule des Fédéralistes à une distance respectueuse de la Montagne, de resserrer les chefs de près, de dénoncer les intrigues déjà commencées par les vertueux partisans du modérantisme ; nous le pensons, nous le voulons, mais nous sommes dans l'impuissance d'exécuter ! Cette impuissance, il faut le dire, vient de toi ou plutôt des nombreux délégués qui agissent en ton nom dans l'étendue de notre ressort [Note : Au nombre des agents employés par Bréard, nous avons trouvé Le Clerc, Boniface, Roxlo, Le Nôtre, Combas, Martin, tous officiers ou sous-officiers pris dans les troupes de la garnison et les Maratistes de Paris ; Dagorn, inspecteur de l'enregistrement, Hérault, Guermeur et Jullien commissionnés par le Conseil exécutif ou le Comité de Salut public et mis a la disposition des Représentants].

Cette multitude de commissaires qui se prétendent revêtus de la plénitude de tes pouvoirs, qui organisent et destituent les administrations secondaires, dont enfin nous ne connaissons ni la mission ni les opérations ; la plupart mettent, faute d'ensemble et de concert avec nous, des entraves invincibles au mouvement uniforme et rapide que nous voudrions imprimer à l'administration de notre département.

Les autorités constituées, entourées, harcelées de toutes parts par des commissaires qui agissent en vertu de pouvoirs supérieurs aux nôtres, oublient les tâches essentielles que nous leur imposons, et s'embarrassent dans les mesures contradictoires qu'on leur commande.

N'as-tu recouru à l'usage de ces délégations multipliées, que parce que tu ne nous supposes, ni les moyens, ni la volonté de seconder tes efforts pour la régénération de ce département et l'exécution des mesures révolutionnaires provoquées par l'acharnement des ennemis de la République ? Si, comme le ralentissement ou plutôt l'interruption de tes commissaires avec nous peut le faire présumer, nous n'avons plus ta confiance, dis-le-nous avec la même franchise qui nous porte à te déclarer que nous croyons nuisible à la chose publique la reproduction multipliée de tes pouvoirs dans des hommes qui ne correspondent ni ne communiquent avec nous et qui agissent souvent en sens opposé ….

En un mot, si tu nous crois trop faibles pour le fardeau que ta confiance nous a imposé, dis-le-nous avec la même franchise qui nous fait te dire que ton refroidissement nous inquiète en donnant de l'audace aux intrigants qui commençaient à craindre notre énergique et impartiale probité. Mais si nous n'avons pas démérité de la confiance publique, il faut débarrasser l'autorité dont nous sommes revêtus du chaos de cette multitude de pouvoirs qui se heurtent et se brisent faute d'ensemble, et dont quelques porteurs n'ont pas même la confiance publique.

Quelques-uns de nos collègues vont, de notre part, s'expliquer avec toi ».

Mais Bréard fit la sourde oreille, Bréard ne reçut même pas les délégués de la commission administrative, Bréard se tint retiré pour eux et les laissa retourner à Landerneau sans leur donner audience.

Aussitôt lettre nouvelle à Prieur, quoiqu'éloigné du département :

« Représentant montagnard, lui disaient-ils (20 Frimaire), nous te prévenons que l'intrigue et le Fédéralisme lèvent une tête audacieuse dans le département du Finistère, que l'esprit de désorganisation se propage, qu'il existe un projet de terrasser les Maratistes, de les culbuter des places où la confiance de la Montagne les avait portés, et de les forcer par toutes sortes de dégoûts à abandonner de nouveau le champ de bataille aux fédéralistes, feuillans, tartufes et modérés de toutes les couleurs. Ils ont réussi, à force d'impudence et de menées, à surprendre encore une fois la religion du Représentant du peuple, non pas que nous ayons cru un instant que celui-ci entre dans les vues liberticides des intrigants qui l'obsèdent. Seul, livré à la foule qui le presse, harcelé de toutes parts par le choc des passions qui s'agitent autour de lui, il n'est pas étonnant qu'il commette des erreurs ! Mais, quoiqu'il ne soit que trompé, le mal n'en est pas moins réel et il est instant d'y porter remède : nous l'avons senti et nous voulons que la vérité perce. La lutte entre les patriotes, qui n'ont jamais varié, et ceux qui ont suivi constamment le courant des circonstances, est engagée. Le petit nombre des premiers ne les décourage pas ; ils sont exercés à braver la multitude, et après avoir arraché le département du Finistère à l'infâme conspiration du Fédéralisme, nous succomberons ou nous l'arracherons encore à l'intrigue et à la désorganisation.

Pour y parvenir, nous avions chargé quatre de nos collègues de présenter le mémoire que tu trouveras ci joint au Représentant Bréard, et d'avoir avec lui à ce sujet des explications franches et intéressantes. Nos collègues se rendirent à Brest le 17, demandant audience à différentes reprises, et furent renvoyés d'heure en heure jusqu'au lendemain. Deux rejoignirent leur poste et deux autres se présentèrent le lendemain à l'heure indiquée ; renvoyés de nouveau d'heure en heure jusqu'à cinq heures du soir et désespérant enfin de percer jusqu'au représentant, ils sont revenus sans avoir pu remplir leur mission.

Voici, au surplus, dans l'exacte vérité, la marche des événements dans le Finistère depuis ton départ :

Un scélérat, que le hasard avait placé à notre tête dans les fonctions de procureur-général-syndic, (nous verrons plus tard quel était le crime que lui attribuaient ses collègues) a été démasqué, poursuivi par la commission, et enfin culbuté par l'exécration publique et le citoyen Bréard.

On jugea que la Société populaire de Landerneau, où il avait quelques partisans, devait être épurée : elle a été dissoute et recomposée par les délégués du représentant Bréard.

C'est de cette époque que date le triomphe de l'intrigue. Des patriotes douteux, des hommes le plus entachés de Fédéralisme sont à la tête du nouveau club. Les Marats désignés aux assassins à l'époque du 31 Mai sont, les uns écartés, les autres harcelés dans cette Société.

Les commissaires délégués par Bréard ont osé proposer d'exclure les autorités constituées de ce nouveau club et ont écarté de nous la confiance publique sans avoir vérifié si nous l'avions déméritée ».

Nous ne devons cependant pas omettre de dire en passant, que ce sont ces mêmes commissaires qui avaient régénéré le Comité révolutionnaire et formé le premier noyau du club par la désignation de douze Sans-Culottes chargés de faire le reste ; mais ici, comme en tant d'autres circonstances dont chaque lecteur a de nombreux exemples sous les yeux, l'esprit et les jalousies rivales de la petite localité aveuglent nos montagnards et les empêchent de voir que ce sont ces commissaires, comme les Le Clerc et les Hérault, régénérateurs des clubs de Brest, de Landerneau et de Quimper, âmes damnées des Représentants, qui allaient doter Brest d'un Tribunal révolutionnaire si vivement désiré par la commission administrative qui se plaignait toujours qu'on n'en finît pas assez vite avec les Fédéralistes.

Pauvres politiques sans expérience et sans réflexion, que la passion porte à tous les excès et à toutes les défiances qui naissent de la mobilité de leur imagination ; hommes à la fois instigateurs et dupes, qu'un semblant de patriotisme a fanatisés, et que l'aveuglement met à la disposition des intrigants les plus mal famés.

Mais continuons à les laisser parler.

« Des Fédéralistes connus par leur exagération, disent-ils à Prieur, sont revêtus de grands pouvoirs. Ceux que la loi nous confie sont brisés dans nos mains ; des étrangers, qui n'ont vu de près les conspirateurs ni dans leur révolte ni  dans leur retour, se flattent de les mieux connaître que nous, qui avons lutté avec eux au milieu des orages.

Une multitude de commissaires revêtus des pouvoirs du représentant Bréard parcourent le département, portant le trouble et le désordre dans toutes les parties de l'administration et ne se donnant même pas le soin de communiquer avec les autorités constituées et d'exhiber leurs pouvoirs.

Ou nous sommes indignes de la confiance publique, et alors il faut nous juger et nous punir, ou nous remplissons nos devoirs, et alors il faut faire justice des fripons et des modérés que notre énergie et notre probité embarrassent.

Viens donc, brave Montagnard, sonder les nouvelles plaies du Finistère ; viens porter le flambeau scrutateur sur notre conduite, sur nos opérations politiques, sur ce que nous avons fait depuis cinq ans pour ou contre la liberté. Viens, il est impossible que ta présence puisse être plus utile ailleurs qu'ici ; il faut les mains d'Hercule pour briser les filets qu'on jette encore sur le Finistère, dont la régénération tardive accuse, non les talents et les bonnes intentions de ton collègue, mais la rage et l'astuce de nos ennemis communs ; viens renverser les obstacles qui nous séparent du représentant Bréard.

Tu trouveras à ton arrivée un compte plus circonstancié de notre situation.

Mais si, contre notre attente, tu te crois plus nécessaire ailleurs, nous sommes résolus à le faire connaître à la Convention.

Le Représentant Bréard est, dit-on, malade [Note : Nous voyons, en effet, par les lettres de Bréard, qu'il avait, en ce moment une attaque de goutte et la fièvre] ; mais d'autres trouvent accès près de lui, et les entrées sont fermées pour les premiers Montagnards en date et en conduite. Souviens-toi que nous sommes jaloux de prouver que nous ne tenons ni à nos places ni à nos pouvoirs, mais au salut de la République, à laquelle nous sommes depuis longtemps dévoués, et comme magistrats et comme citoyens ».

Quelques jours se passèrent, et Bréard s'étant un peu amolli, reçut enfin les membres de la commission administrative, et tout s'arrangea pour le mieux, ainsi que nous l'apprend une nouvelle lettre du 29, adressée à Prieur, qui se trouvait à Laval, et en avait peut-être écrit lui-même à son collègue Bréard. Cette nouvelle lettre porte que le représentant Bréard, quoique, toujours malade, avait reçu les membres de la commission administrative, et qu'il était revenu à leur égard du refroidissement pénible où ils l'avaient trouvé. Enfin, que malgré les perfides insinuations dont on l'avait circonvenu, il leur avait rendu la confiance dont ils seraient toujours dignes ; — qu'au reste, un seul Représentant, malade et accablé d'occupations, était à Brest hors d'état de faire face à toutes les affaires qui se présentaient, et qu'il était instant qu'il revînt sur les lieux pour compléter la régénération du Finistère, glacé par le modérantisme des Fédéralistes, travaillé par l'intrigue, agité par le fanatisme, menacé par les ennemis du dehors.

Une affiche, une tendre lettre de Bréard qui déclara, par un démenti formel et public, que jamais la commission administrative n'avait perdu sa confiance (lettre et affiche du 1er Nivôse), terminèrent cette affaire et firent rentrer dans le concert commun tous les ardents ouvriers des mesures coërcitives et des vengeances que leurs paroles et leur correspondance décelaient si hautement. La commission de Landerneau en remercia le Représentant, en lui disant (5 Nivôse) que l'expression franche et loyale de la confiance qu'il leur rendait, enlevait pour toujours, à leurs ennemis communs, l'espoir de voir réussir le nouveau piège où on avait essayé de le faire tomber, et que désormais la patrie était sûre d'être sauvée par l'union indispensable de ceux qui lui consacraient leur sang et leurs veilles. Car ce dernier coup de massue, ajoutaient-ils dans leur affiche, est le digne prix, de leurs honteuses menées, et le char révolutionnaire plus rapidement entraîné va brûler leurs marais et purger l'atmosphère de leurs baves. Cette pièce publique était signée de Moyot, président ; Perrin, Gonidec Guibert, Leissègues, Davon, Le Roux, et Goëz, secrétaire général.

Tout allait donc, d'un pas ferme et sûr, vers le but si clairement indiqué. Mais sans que nous sachions bien comment cela se fit, il s'éleva presqu'aussitôt un autre différend entre les Représentants réunis à Brest et le Comité de Salut public lui-même.

Quelques lettres des Représentants nous apprennent en effet qu'il s'était présenté à eux, vers la fin de Brumaire, deux jeunes gens, se disant envoyés par le ministre des affaires étrangères et chargés par lui d'une mission secrète. Très étonnés du caractère d'une pareille mission, les Représentants avaient demandé à ces jeunes gens l'exhibition de leurs pouvoirs, et ceux-ci n'ayant pu leur produire qu'un passeport signé du Ministre, sans visa du Comité de Salut public, et deux pièces servant d'instructions, mais dépourvues de l'autorisation du Comité, les Représentants en avaient manifesté tout leur étonnement.

« Aussi, disaient-ils, notre surprise n'a pas été grande lorsque nous avons lu dans ces instructions assez mal digérées, que les commissaires ne devaient s'ouvrir qu'avec réserve aux Représentants du peuple sur l'objet de leur mission. — S'il est vrai qu'ils en aient une, serait-elle dirigée contre nous ! et deux jeunes gens seraient-ils envoyés à Brest pour épier notre conduite. Nous la mettrons au grand jour quand vous voudrez et quand la Convention nationale l'ordonnera ; mais nous vous déclarons avec franchise, que nous ne voulons pas d'espions à côté de nous. Si la mission des agents prétendus du ministère des affaires étrangères avait réellement cet objet, nous vous demandons notre rappel ; d'autres verront s'ils doivent occuper une place à de pareilles conditions. Pour nous, nous vous disons franchement que nous ne le voulons pas ; les commissaires du conseil exécutif, Guermeur et Hérault, avoués par vous, celui du comité, Jullien, ont trouvé auprès de nous amitié et confiance ; nous les employons ; ils nous écoutent et ils servent la chose publique ; mais nous ne pouvons avoir confiance dans des hommes auxquels un seul ministre impose l'obligation d'avoir des secrets pour nous ».

Que conclure de tout cela et de la tiédeur de Bréard envers la commission de Landerneau ? Que conclure d'un autre passage de ses dépêches où il disait (11 Frimaire) que le Comité de Salut public l'accusait d'être trop bon, et que déjà on le traitait de modéré, parce qu'il n'organisait pas le Tribunal révolutionnaire auquel les Fédéralistes devaient passer le plus tôt possible ?

Pour être vrai, je crois qu'il faut dire que Bréard, en l'absence de ses collègues Jean-Bon Saint-André et Prieur, accablé de besogne et de sollicitations, atteint de la goutte, malade et épuisé, faiblit évidemment et demanda bien réellement son rappel à la Convention, pour le moment où ses collègues rentreraient de leur expédition vers la Normandie. Plusieurs des biographes de Bréard lui ont fait un mérite de cette demande de rappel, et ont parlé de sa modération et du désir qu'il aurait eu d'épargner, à Brest, toutes les horreurs de la terreur ; mais comment croire à cette mansuétude, quand nous voyons qu'il se donnait Carrier lui-même pour modèle, et qu'un peu plus tard, quand Hugues, premier accusateur public du Tribunal révolutionnaire de Brest, à sa création, fut accusé d'avoir faibli, ce furent lui et Jean-Bon Saint-André, son collègue, qui s'empressèrent d'écrire en toute hâte à Donzé-Verteuil, substitut et digne élève de Fouquier-Tinville, pour lui dire qu'ils l'avaient directement demandé au Comité de Salut public, et que toute son énergie était nécessaire à Brest.

Non, Bréard ne se fit jamais modéré ; un instant il fut malade et put se trouver importuné des instances que lui faisaient les ultra-révolutionnaires ; mais dès que ses deux collègues, à la fin de Frimaire, eurent l'espoir de rentrer à Brest, tout marcha rapidement comme nous allons le voir au but si impatiemment désiré des Sans-Culottes, des clubs et des comités.

A Bréard seul appartient bien le mérite qu'on lui a dénié d'avoir créé le Tribunal révolutionnaire de Brest. Les registres de sa correspondance sont là pour en faire foi, et on y lit une lettre du 22 Frimaire, au moment même où il fit fermer la porte au zèle importun de la commission administrative de Landerneau. En écrivant au patriote Hugues, accusateur public du Tribunal révolutionnaire de Rochefort, il lui disait :  « Qu'il avait reçu les deux expéditions qu'il lui avait adressées de l'acte d'accusation contre les prévenus de complicité dans la trahison de Toulon, qui pouvaient se trouver en ce moment à Brest ; qu'il prenait des mesures pour que ces grands coupables ne pussent échapper au châtiment qui leur était dû, et qu'il le priait, en conséquence, de lui faire passer promptement les renseignements certains et nominatifs qu'il lui annonçait, afin que le Tribunal révolutionnaire en purge aussitôt la Société, ajoute-t-il, car je te préviens que je demande au Comité de Salut public de t'ordonner de te rendre ici pour remplir les fonctions d'accusateur public pour ce qui sera relatif à la conspiration de Toulon. Tu dois sentir les motifs de cette mesure, et je pense que tu  l'approuveras ».

Au reste, disait-il encore dans une autre dépêche du lendedemain au Comité de Salut public, où il parlait de la création du Tribunal en question, de l'appel de Hugues à Brest qui lui était indispensable et de la nécessité d'agir : « Il faut que nous marchions, mais mon embarras est grand pour trouver à Brest des citoyens propres à former ce Tribunal, car dans ce pays les têtes vraiment révolutionnaires sont malheureusement rares ».

Une autre lettre du 21 Frimaire, à ses affidés Hérault et Le Clerc, disait : « que, d'accord avec la Société populaire, il avait demandé un Tribunal révolutionnaire, et une armée révolutionnaire, et qu'il espérait obtenir à raison du soin qu'il avait pris d'en faire sentir l'importante nécessité (1) ». [Note : L'un de ces derniers, Jean-Bon Saint-André a, aussi de son côté, essayé, quand le 9 Thermidor eut enfin arrêté l'effusion du sang, de repousser les accusations qui furent dirigées contre lui par les hommes qui dénoncèrent les excès des terroristes à Brest, et il dit à ce sujet, qu'à son arrivée à Brest, Bréard et Tréhouart étaient disposés à établir un Tribunal révolutionnaire pour juger les prévenus, que Prieur adopta d'abord leur opinion, et que s'y étant opposé fortement, ils se rangèrent enfin tous trois à son avis, et que, jusqu'à son départ pour le département de la Manche, en Frimaire, il ne fut plus question de la création de ce Tribunal… Rien ne s'oppose, en effet, à l'admission de ces circonstances, et il en résulterait seulement une preuve de plus en faveur de l'avis qui nous fait attribuer à Bréard la création du Tribunal révolutionnaire de Brest, quoique l'acte de son établissement soit signé de Tréhouart et de Laignelot seulement. Mais est-ce à dire, comme Jean-Bon Saint-André tend à l'insinuer dans un autre passage de sa défense, qu'il resta étranger à tout ce que fit le Tribunal révolutionnaire de Brest ? — nous ne le croyons pas, et nous pensons même qu'aucun Représentant ne s'est servi plus souvent que lui de cette épouvantable machine de guerre !].

Mais pour bien comprendre ce qui allait se faire à Brest, redisons un instant ce qui se fit à Rochefort pour les officiers de l'Apollon et de la flûte le Pluvier, tous deux venus désemparés de Toulon, comme le Patriote et l'Entreprenant à Brest, comme d'autres bâtiments à Lorient. — C'est Laignelot qui parle :

« Rochefort, 8 Frimaire, an II.
Enfin la justice du peuple vient de frapper les scélérats qui s'étaient rendus ici sur le vaisseau l'Apollon pour préparer l'entrée du port aux Anglais et le leur livrer, comme ils avaient contribué à livrer Toulon. Le Tribunal révolutionnaire vient de condamner à mort dix officiers de ce vaisseau, et le vengeur du peuple en a délivré la République. Tous les marins, les ouvriers du port sont allés les prendre et les ont escortés d'une double haie jusqu'aux lieux de l'expiation. L'air a retenti des cris de : Vive la République ! à la chute de chaque tête, et des chants patriotiques, des cris de : Vive le Tribunal ! ont rendu un juste hommage aux membres qui le composent, et en particulier à Hugues l'accusateur, excellent Jacobin, dont le civisme, les talents et l'activité se trouvent au degré le plus désirable !.... »
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Parlant, dans une autre missive, de l'organisation du Tribunal auquel Brest allait emprunter un accusateur public et un bourreau, il ajoutait : « Qu'enfin le dernier préjugé des anciens temps était tombé, et qu'après avoir nommé eux-mêmes tous les membres du Tribunal qu'ils avaient formé sur le modèle de celui de Paris, ils avaient voulu laisser aux patriotes de Rochefort la gloire de se montrer librement les vengeurs de la République ; qu'ils avaient à cet effet exposé ce besoin à la Société populaire réunie dans l'ancienne église de Saint-Charles, et lui avaient demandé qu'elle voulût bien désigner elle-même l'homme qui devait clore toutes les procédures, le guillotineur. — Moi, s'est écrié avec un noble enthousiasme le citoyen Ance, c'est moi qui ambitionne l'honneur de faire tomber la tête des assasins de ma patrie ! — A peine a-t-il eu le temps de prononcer cette phrase, que d'autres se sont levés pour le même objet, et ils ont réclamé du moins la faveur de l'aider. — Nous avons proclamé le citoyen Ance guillotineur, et nous l'avons invité à venir en dînant avec nous prendre ses pouvoirs par écrit, et les arroser d'une libation en l'honneur de la République ».

Peu de jours auparavant, Lequinio, rendant compte au Comité de Salut public et à ses collègues de Brest de ce qui se passait à Rochefort, quant à l'esprit de ces populations, leur disait que toutes les boîtes à bon Dieu et les étuis à graisse des défunts charlatans religieux leur avaient été remis ; — que toutes les images et tableaux du fanatisme avaient été portés sur un bûcher chargé de 5 à 6,000 volumes de livres pieux que le feu avait consumés de midi à dix heures du lendemain matin.

C'est dans ces circonstances, et pressé par de si dignes exemples, que Bréard sollicite, à la fois, Laignelot de venir à Brest, et ses collègues Jean-Bon Saint-André, Prieur et Tréhouart, détachés à Lorient, de rentrer le plus tôt possible, et de faire en sorte qu'un des bataillons de zélés Montagnards, formés à Paris pour aller combattre les Girondins, fût détaché de la Normandie pour renforcer la garnison de Brest et y imprimer cette salutaire terreur qui devait anéantir les tièdes et les tartufes de la plaine.

Tous ces vœux furent enfin exaucés, et, à peu de jours de là, la ville de Brest se trouva tout-à-coup éclairée le soir par un grand nombre de torches que portaient des étrangers, sous les pas desquels s'étaient abaissés les ponts-levis de la place : c'étaient les révolutionnaires de Paris, formant le 3ème bataillon de la Montagne. Les tambours battaient aux champs et les pièces de campagne, mèches allumées, suivaient cette terrible bande que les lumières présentaient sous un aspect d'autant plus sinistre, que d'immenses bonnets à poils ombrageaient leurs figures à moitié couvertes par d'épaisses moustaches. Quelques cris de Vive la Montagne ! pareils à des déchirements échappés de l'orage, se firent entendre, et ces hommes s'étant rendus sur le Champ-de-Bataille, où ils reçurent leurs billets de logement, on put suivre jusqu'à une heure avancée de la nuit le bruit retentissant de leurs sabres traînant dans les rues silencieuses de Brest. Le représentant Laignelot avait paru à leur tête ; il arrivait suivi de Ance et de Hugues, du bourreau et de l'accusateur, prenant ainsi possession de la malheureuse cité.

L'arrêté suivant, signé des représentants Tréhouart et Laignelot, fut placardé sur tous les murs de la ville :

« ARTICLE 1ER. — Il sera formé, dans la cité de Brest, un Tribunal révolutionnaire, à l'instar de celui de Paris, sans appel au Tribunal de cassation, pour juger tous les citoyens accusés de délits contre la liberté du peuple, la sûreté du Gouvernement républicain, l'unité et l'indivisibilité de la République ; de tout vol, de dilapidation tendant à opérer son dépérissement ; en un mot, de tous crimes contre l'intérêt national.

ART. 2. — Ce Tribunal fera toutes ses instructions en public et dans le lieu le plus spacieux possible.

ART. 3. — Les comités de surveillance des différentes municipalités, les autorités constituées des tribunaux des côtes de Brest et de Lorient feront conduire au Tribunal de Brest, pour y être jugés, les citoyens contre lesquels ils auront des preuves de l'un des délits mentionnés à l'article 1er.

ART. 4. — Ce Tribunal révolutionnaire sera installé le vingt-unième jour du mois, à neuf heures du matin, par la municipalité de Brest.

ART. 5. — Ce Tribunal est formé ainsi qu'il suit : quatre juges, un accusateur public, un substitut, un greffier, un greffier-commis et douze jurés. Il interrompra ses fonctions le dernier jour de chaque décade.

ART. 6. — Goyrand, juge au Tribunal de Rochefort, président ; Lignières, greffier au même tribunal, juge ; - Palis, chirurgien, juge ; - Le Bars, fils, juge ; - Hugues, accusateur public ; - Grand-Jean, substitut, faisant fonctions de président provisoirement ; — Dayot, de Rennes, greffier ; - Quémar, fils, commis-greffier et greffier provisoire.

JURÉS PROVISOIRES : Despujols, lieutenant de vaisseau ; - Gautier, capitaine de vaisseau ; - Durand, municipal ; - Combas, sergent-major de l'armée révolutionnaire ; - Desrues caporal ; - Blot, calfat ; - Martin, lieutenant de marine ; - Brandin, marchand ; - Allégot, menuisier du port.

ART. 7. — Le présent sera imprimé, publié, affiché dans toutes les communes des côtes de Brest et de Lorient.

Fait à Brest, le 17 Pluviôse an II de la République une et indivisible ».

Et le 20, la veille du jour où l'installation du Tribunal devait avoir lieu dans la chapelle de l'Hôpital, la même municipalité qui se trouvait chargée de cette installation, recevait la lettre suivante :

« Je vous requiers, au nom de la loi, d'ordonner au charpentier de la commune de dresser, demain, à sept heures du matin, la sainte guillotine, qui demeurera en permanence jusqu'à nouvel ordre sur la place de la Liberté (aujourd'hui Champ-de-Bataille). Envoyez-le-moi, et je lui indiquerai l'emplacement.
L'accusateur public du Tribunal séant à Brest.
HUGUES »
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Une Montagne, sainte, aussi fut en même temps dressée sur la place de la Liberté, ou Champ-de-Bataille. Depuis la fédération de 1790, un autel de la patrie, en toile peinte, sur les faces duquel on avait figuré la prise de Valenciennes et quelques autres faits d'armes des premières campagnes de la Révolution, occupait le milieu de cette place. Renversé en peu d'heures, ce souvenir de la fédération fut remplacé par un monceau de bûches de bois sur lesquelles on jeta une toile grossière, qui, à l'aide de quelques couleurs, figura les accidents d'un roc escarpé. C'était la sainte Montagne qui se dressait en face de la justice du peuple, comme le représentant Laignelot le disait de la guillotine.

Tout ceci se passait le 21 Pluviôse au matin, de sept à huit heures, et le même jour, à neuf heures, la municipalité conduite par le Maire de la ville, asseyait dans la Chapelle de l'Hôpital, sur leurs sièges ombragés de drapeaux aux trois couleurs, les juges Claude-François Grandjean, comme président provisoire ; Maurice Le Bars, fils, et Joseph Palis, comme juges. Aussitôt et sans délai comparurent devant le sinistre Tribunal, conduits par un piquet des bandes révolutionnaires du 3ème bataillon de Paris, Baud-Vachères, capitaine de vaisseau, Claude-Robert de Rougemont, lieutenant de vaisseau, Claude-Marie Keréon, enseigne, et Louis-Henri- Marie de Montécler, élève de marine. Ce dernier était à peine âgé de 18 ans, et Keréon n'en avait encore que 19. Du reste, comme si on avait voulu, par ce premier acte, terrifier le pays et l'épouvanter, les accusateurs avaient eu soin de choisir leurs premières victimes dans les enfants mêmes du pays. De Rougemont était de Brest et y avait sa famille ; Keréon était de Quimper, et son père avait été longtemps procureur du Roi près de la Cour royale de cette ville ; Montécler avait sa famille à Lesneven.

Et quel était leur crime ? Le libellé du jugement prononcé contre eux porte qu'ils faisaient partie de la station du traître Rivière dans les Antilles ; qu'ils y avaient maltraité les patriotes, avili et foulé aux pieds le pavillon national après avoir arboré la cocarde blanche, et qu'ils avaient concouru à enlever le vaisseau la FERME et quelques autres bâtiments qu'ils avaient conduits par trahison dans les ports d'Espagne.

Le jour même, et sans perdre un moment, les trois plus jeunes de ces officiers, De Rougemont, âgé de 33 ans, De Montécler et Keréon étaient traînés, sur la place de la Liberté, dans un tombereau que suivait Ance vêtu en muscadin, avec un énorme bonnet phrygien de couleur rouge… Son œil était plein des souvenirs de Rochefort, et, en quelques minutes, se dressant de toute sa taille sur les planches de la fatale machine, il mit trois têtes devant lui. — Un roulement et des cris de Vive la Montagne ! que quelques bonnes âmes de Brest, encore inhabituées à ce spectacle, prirent pour des cris de grâce, tant on avait peine à croire à une si monstrueuse cruauté, annoncèrent aux fidèles que la patrie était vengée.

Quel début et quelle journée ! — A sept heures, érection de la guillotine et sa déclaration en permanence (Par arrêté des Représentants) ; — à neuf heures, installation du fatal Tribunal ; — avant midi, procès, jugement et condamnation ; — à cinq heures, exécution et mise à mort, sur le Champ-de-Bataille, en face même de la maison de Rougemont, l'un des exécutés.

Dire aujourd'hui quelle fut l'émotion et la stupeur de Brest à cette première exécution, serait difficile. Nous en avons entendu parler par quelques témoins oculaires, et tous ont redit quel fut pendant plusieurs jours le silence des rues de la ville restées veuves de leurs habitants qui se cachaient ; quelle fut surtout la pénible émotion de pitié qu'inspira la jeunesse des deux officiers Keréon et Montécler, à peine, sortis de l'enfance ; quels tristes regrets toutes les femmes et les mères de famille accordèrent à leur mémoire, et en même temps quel pénible sentiment de terreur et d'épouvante jetèrent dans toutes les âmes les acclamations tumultueuses des deux clubs de Brest et de Recouvrance, qui, se mêlant aux Maratistes de Paris, se promenèrent dans les rues et vinrent plusieurs fois se grouper sur le Champ-de-Bataille où s'était dressée la justice du peuple, demandant à tue-tête les Représentants qui demeuraient à l'hôtel Saint-Pierre et avaient une terrasse de leur jardin qui dominait la place. Ceux-ci, se montrant au peuple comme d'un balcon, mêlèrent un instant leur voix à celle des clubistes, et il y eut bientôt des cris forcenés de Vive la Montagne ! auxquels se joignirent les accents répétés du Ça ira et de la Carmagnole, sorte de musique satanique, aux croassements de laquelle les femmes des clubs et des glacis de la ville, portant la cocarde tricolore à leurs bonnets, se mirent à danser entraînés par leurs frères des bataillons Maratistes.

Dans ces groupes on parlait peu des victimes, comme on le pense bien, mais en revanche on y parlait au long de la bonne mine de Ance, le jeune muscadin qui avait si bien expédié les traîtres ; de sa crânerie, de sa patriotique résolution, et de l'honneur qu'il avait de dîner à la table des Représentants et de se mêler à leurs joies, car ne croyez pas que ces hommes de sang fussent tristes ou sombres… — Tout Brest a su leurs habitudes ; — tout Brest répète encore le nom de leurs intimes et de leurs maîtresses ; et l'on a redit pendant de longues années le nom de ces jeunes femmes, qui se faisant bien venir du président Ragmey et de ses amis, leur ménageaient dans une villa peu éloignée des murs de la place, de douces soirées, où les élégantes de l'époque, légèrement gazées, se laissaient aller à des intimités auxquelles rien ne manquait, pas même les prodigalités complaisantes du maximum, qui en appauvrissant tant de gens sut en enrichir d'autres.

Le nom d'une de ces femmes est encore dans la mémoire de beaucoup de personnes, et il y a bien des familles qui ne doivent pas oublier son utile intervention.

Mais encore un trait. Le 22 Pluviôse, moins de vingt-quatre heures après la terrible exécution des jeunes officiers que tout Brest pleura, Hugues, l'accusateur public, écrivait déjà au district de Lesneven de saisir tout ce qui avait appartenu à Montécler…. et n'ayant pas de réponse à cet ordre, le 28, il écriyait à cette date au même district, que s'il savait que ce fût négligence ou malveillance de sa part, il l'aurait envoyé chercher par des gendarmes porteurs d'un mandat d'amener contre le président et l'agent national du district.

De leur côté, les Représentants, rendant compte de cette première exécution à la Convention, lui disaient que le glaive de la loi venait enfin de frapper les coupables…. que les conspirateurs du Finistère allaient être jugés, et que le peuple applaudissait au sort qui les attendait.

Toutefois, nous devons le dire, ces excès et ce premier crime ne passèrent pas sans quelques protestations de la part des habitants de Brest ou d'une partie d'entr'eux au moins, et l'on peut voir encore aux archives de la ville une lettre manuscrite qui fut trouvée le lendemain de cette sinistre journée, après qu'elle eût été répandue à plusieurs exemplaires dans les rues de la ville. On y lisait que c'était une lâcheté aux Brestois de se laisser ainsi diriger par un protestant (Jean-Bon avait été ministre de la religion réformée), et de renoncer à leurs anciennes croyances, quand tout peuple, même les sauvages, avait une religion ; que la fermeté et la résignation des victimes étaient bien propres à les rappeler aux saines doctrines, et que c'était un mensonge inouï aux perturbateurs de parler chaque jour du renversement de la Bastille, quand la France entière se couvrait de prisons et qu'il n'y avait pas de famille qui n'y eût quelques-uns des siens….

Comme dernière expression de la sombre terreur de cette affreuse journée, nous aurions bien désiré donner à nos lecteurs la lettre touchante que Keréon écrivit à sa mère quelques heures avant de monter sur l'échafaud ; mais une réserve ou un scrupule dont nous n'avons pas à rechercher le motif ne nous l'a pas permis.

(Armand du Chatellier).

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